Language of document : ECLI:EU:T:2018:781

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

15 novembre 2018 (*)

« Aides d’État – Dispositions concernant l’impôt sur les sociétés permettant aux entreprises fiscalement domiciliées en Espagne d’amortir la survaleur résultant de prises de participations dans des sociétés fiscalement domiciliées à l’étranger – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Notion d’aide d’État – Sélectivité – Système de référence – Dérogation – Différence de traitement – Justification de la différence de traitement »

Dans l’affaire T‑239/11,

Sigma Alimentos Exterior, SL, établie à Madrid (Espagne), représentée initialement par Mes A. Morillo Méndez et M. Ferre Navarrete, puis par Mes Morillo Méndez, J. Igual Gorgonio et C. Cañizares Pacheco, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. R. Lyal, C. Urraca Caviedes et Mme P. Němečková, puis par MM. Lyal et Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 4 de la décision 2011/282/UE de la Commission, du 12 janvier 2011, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 135, p. 1),

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de M. S. Gervasoni (rapporteur), président, Mme K. Kowalik‑Bańczyk et M. C. Mac Eochaidh, juges,

greffier : Mme X. Lopez Bancalari, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 1er février 2018,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Le 10 octobre 2007, à la suite de plusieurs questions écrites qui lui avaient été posées au cours des années 2005 et 2006 par des membres du Parlement européen ainsi qu’à la suite d’une plainte d’un opérateur privé dont elle avait été le destinataire au cours de l’année 2007, la Commission des Communautés européennes a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen, prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, à l’égard du dispositif prévu à l’article 12, paragraphe 5, introduit dans la Ley del Impuesto sobre Sociedades (loi espagnole relative à l’impôt sur les sociétés) par la Ley 24/2001, de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social (loi 24/2001, portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social), du 27 décembre 2001 (BOE no 313, du 31 décembre 2001, p. 50493), et repris par le Real Decreto Legislativo 4/2004, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret législatif royal 4/2004, portant approbation du texte remanié de la loi relative à l’impôt sur les sociétés), du 5 mars 2004 (BOE no 61, du 11 mars 2004, p. 10951, ci-après la « mesure litigieuse » ou le « régime litigieux »).

2        La mesure litigieuse prévoit que, dans le cas d’une prise de participation d’une entreprise imposable en Espagne dans une « société étrangère », lorsque cette prise de participation est d’au moins 5 % et que la participation en cause est détenue de manière ininterrompue pendant au moins un an, la survaleur financière (voir points 51 et 53 ci-après) en résultant peut être déduite, sous forme d’amortissement, de l’assiette imposable de l’impôt sur les sociétés dont l’entreprise est redevable. La mesure litigieuse précise que, pour être qualifiée de « société étrangère », une société doit être assujettie à un impôt identique à l’impôt applicable en Espagne et ses revenus doivent provenir essentiellement de la réalisation d’activités à l’étranger.

3        Par lettre du 5 décembre 2007, la Commission a reçu les observations du Royaume d’Espagne sur la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen (ci-après la « décision d’ouverture »). Entre le 18 janvier et le 16 juin 2008, la Commission a également reçu les observations de 32 tiers intéressés. Par lettres du 30 juin 2008 et du 22 avril 2009, le Royaume d’Espagne a présenté ses commentaires sur les observations des tiers intéressés.

4        Le 18 février 2008, ainsi que les 12 mai et 8 juin 2009, des réunions techniques ont été organisées par la Commission avec les autorités espagnoles. D’autres réunions techniques ont également été organisées avec certains des 32 tiers intéressés.

5        Par lettre du 14 juillet 2008 et par courrier électronique du 16 juin 2009, le Royaume d’Espagne a soumis des informations additionnelles à la Commission.

6        La Commission a clôturé la procédure, en ce qui concerne les prises de participations réalisées au sein de l’Union européenne, par sa décision 2011/5/CE, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48, ci-après la « décision du 28 octobre 2009 »).

7        La Commission a déclaré incompatible avec le marché intérieur le régime litigieux, consistant en un avantage fiscal permettant aux sociétés espagnoles d’amortir la survaleur résultant de prises de participations dans des sociétés non résidentes, lorsqu’il s’appliquait à des prises de participations dans des sociétés établies au sein de l’Union.

8        La Commission a cependant maintenu ouverte la procédure en ce qui concerne les prises de participations réalisées en dehors de l’Union, les autorités espagnoles s’étant engagées à fournir des éléments supplémentaires relatifs aux obstacles aux fusions transfrontalières existant en dehors de l’Union dont elles avaient fait état.

9        Le Royaume d’Espagne a communiqué à la Commission des informations relatives aux investissements directs réalisés par des sociétés espagnoles en dehors de l’Union les 12, 16 et 20 novembre 2009, ainsi que le 3 janvier 2010. La Commission a également reçu les observations de plusieurs tiers intéressés.

10      Le 27 novembre 2009, ainsi que les 16 et 29 juin 2010, ont eu lieu des réunions techniques entre la Commission et les autorités espagnoles.

11      Le 12 janvier 2011, la Commission a adopté la décision 2011/282/UE, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 135, p. 1, ci-après la « décision attaquée »). Cette décision, dans sa version publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 21 mai 2011, avait fait l’objet d’un correctif en date du 3 mars 2011. Elle a fait l’objet d’un second correctif publié au Journal officiel le 26 novembre 2011.

12      La décision attaquée déclare incompatible avec le marché intérieur le régime litigieux, lorsqu’il s’applique à des prises de participations dans des entreprises établies en dehors de l’Union (article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée). L’article 4 de cette décision prévoit, notamment, la récupération par le Royaume d’Espagne des aides accordées.

II.    Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 mai 2011, la requérante, Sigma Alimentos Exterior, SL, a introduit le présent recours.

14      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 11 novembre 2011, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité.

15      La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 29 décembre 2011.

16      Par ordonnance du 9 septembre 2013, le Tribunal a joint l’exception au fond.

17      La procédure a été suspendue du 13 mars au 7 novembre 2014, date à laquelle le Tribunal s’est prononcé dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Banco Santander et Santusa/Commission (T‑399/11, EU:T:2014:938) et a annulé la décision attaquée.

18      La procédure a été suspendue de nouveau du 9 mars 2015 au 21 décembre 2016, date à laquelle la Cour s’est prononcée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, ci-après l’« arrêt World Duty Free »).

19      Par l’arrêt World Duty Free, la Cour a annulé l’arrêt du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission (T‑399/11, EU:T:2014:938), renvoyé l’affaire devant le Tribunal et réservé pour partie les dépens.

20      Par courrier du 16 janvier 2017, le Tribunal a invité les parties à présenter leurs observations sur l’arrêt World Duty Free. La Commission a présenté ses observations dans le délai imparti. La requérante n’a pas présenté d’observations.

21      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries lors de l’audience du 1er février 2018.

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée dans la mesure où il déclare que le régime litigieux comporte des éléments d’aide d’État ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée dans la mesure où il déclare que le régime litigieux comporte des éléments d’aide d’État lorsqu’il est appliqué à des acquisitions de participations qui impliquent une prise de contrôle ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 4 de la décision attaquée dans la mesure où il prévoit la récupération des aides pour les opérations réalisées antérieurement à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        à défaut, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

24      La Commission soutient que le présent recours est irrecevable, car la requérante serait dépourvue d’intérêt à agir. De plus, elle ne serait pas individuellement concernée par la mesure litigieuse.

25      La requérante soutient que son recours est recevable.

26      Or, il y a lieu de rappeler que le juge de l’Union est en droit d’apprécier, selon les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond le recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52).

27      En l’espèce, il est justifié d’examiner au fond le recours et, le cas échéant, de ne pas statuer sur sa recevabilité.

28      À cet égard, au soutien du recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de l’absence de sélectivité de la mesure litigieuse. Ce moyen se fonde sur deux griefs, le premier, tiré du fait que la mesure litigieuse est applicable à toutes les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés en Espagne et, le second, tiré de l’existence d’obstacles juridiques aux regroupements transfrontaliers.

A.      Arguments des parties

29      Dans le cadre du premier grief, la requérante soutient que la mesure litigieuse n’est pas sélective. En effet, cette mesure serait applicable à toutes les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés en Espagne et son application n’impliquerait pas que le bénéfice qu’elle prévoit soit en réalité réservé à un type d’entreprises.

30      La décision attaquée serait, à cet égard, contraire à la fois à la pratique décisionnelle de la Commission et, de manière plus générale, aux directives applicables en matière de droit des sociétés.

31      L’exigence d’une prise de participation d’au moins 5 % du capital social de la société acquise ne constituerait pas une condition pour conclure à la sélectivité de la mesure litigieuse.

32      La requérante ajoute qu’à aucun moment la Commission n’explique, ni ne démontre, quel est le type d’entreprises ou de secteur économique auquel la mesure litigieuse confère un avantage.

33      Dans le cadre du second grief, la requérante considère que la Commission n’a pas établi l’absence d’obstacles juridiques explicites, en particulier aux États-Unis et au Pérou.

34      Elle relève, notamment, qu’il existe des obstacles à la fois administratifs et fiscaux aux fusions transfrontalières au Pérou.

35      Elle ajoute que la Commission n’a pas respecté, à cet égard, son obligation de motivation.

36      Dans la réplique, la requérante confirme en substance la position qu’elle a présentée dans la requête s’agissant du premier grief tout en écartant certains arguments avancés par la Commission dans le mémoire en défense. Elle maintient ainsi sa position selon laquelle la mesure litigieuse n’aboutirait jamais à un traitement de faveur pour un secteur de l’économie ou pour certaines entreprises données, puisque toutes les entreprises répondant aux conditions requises seraient traitées de la même manière et selon les mêmes critères.

37      S’agissant de l’existence d’obstacles juridiques aux regroupements transfrontaliers, la requérante critique les arguments de la Commission en ce que ceux-ci se focalisent sur l’État du Delaware (États-Unis). Par ailleurs, elle affirme à nouveau qu’il existe de tels obstacles au Pérou.

38      La Commission soutient que le premier grief de la requérante doit être écarté. Elle se fonde sur l’application d’une méthode en trois étapes, consistant dans la définition d’un cadre de référence, dans l’établissement de l’existence d’une dérogation à ce cadre de référence et dans la possibilité pour l’État membre concerné de justifier cette dérogation. La Commission invoque également la jurisprudence de la Cour relative aux mesures favorisant les entreprises réalisant des exportations. Elle estime, dans ses observations présentées sur l’arrêt World Duty Free, que son analyse a été confirmée par cet arrêt.

39      La Commission soutient également que le second grief de la requérante doit être écarté.

40      Elle indique que la mesure litigieuse s’applique à toutes les prises de participations, y compris minoritaires, et que, par conséquent, le second grief doit être écarté comme étant inopérant.

41      De plus, selon la Commission, il suffisait de constater l’absence d’obstacles juridiques dans un seul pays tiers pour pouvoir conclure à la sélectivité de la mesure litigieuse.

42      La Commission ajoute que sa décision est suffisamment motivée et que l’absence d’obstacles au regroupement transfrontalier est suffisamment établie aux États-Unis et au Pérou.

B.      Appréciation du Tribunal

43      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir arrêt World Duty Free, point 53 et jurisprudence citée).

44      En ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l’avantage qui est constitutive de la notion d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il résulte d’une jurisprudence tout aussi constante de la Cour que l’appréciation de cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire (voir arrêt World Duty Free, point 54 et jurisprudence citée).

45      Par ailleurs, lorsque la mesure en cause est envisagée comme un régime d’aide et non comme une aide individuelle, il incombe à la Commission d’établir que cette mesure, bien qu’elle prévoie un avantage de portée générale, en confère le bénéfice exclusif à certaines entreprises ou à certains secteurs d’activité (voir arrêt World Duty Free, point 55 et jurisprudence citée).

46      S’agissant en particulier de mesures nationales conférant un avantage fiscal, il y a lieu de rappeler qu’une mesure de cette nature qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation plus favorable que les autres contribuables est susceptible de procurer un avantage sélectif aux bénéficiaires et constitue, partant, une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En revanche, ne constitue pas une telle aide au sens de cette disposition, un avantage fiscal résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques (voir arrêt World Duty Free, point 56 et jurisprudence citée).

47      Dans ce contexte, aux fins de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective », la Commission doit, dans un premier temps, identifier le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné et, dans un second temps, démontrer que la mesure fiscale en cause déroge audit régime commun, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans une situation factuelle et juridique comparable (voir arrêt World Duty Free, point 57 et jurisprudence citée).

48      La notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer que cette différenciation est justifiée dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elles s’inscrivent (voir arrêt World Duty Free, point 58 et jurisprudence citée).

49      C’est donc au terme d’une méthode en trois étapes, telle que présentée aux points 47 et 48 ci-dessus, qu’il est possible de conclure qu’une mesure fiscale nationale présente un caractère sélectif.

50      Il convient également, toujours à titre liminaire, de reprendre les motifs de la décision attaquée sur la base desquels la Commission a conclu au caractère sélectif de la mesure litigieuse.

51      Tout d’abord, il y a lieu de préciser que la survaleur est définie dans la décision attaquée comme étant la valeur de la bonne réputation du nom commercial de l’entreprise concernée, les bonnes relations avec ses clients, la qualification de ses travailleurs et d’autres facteurs similaires qui permettent d’espérer à l’avenir des gains supérieurs aux gains apparents (considérant 27 de la décision attaquée). Elle résulte de la différence comptable entre le coût d’acquisition et la valeur de marché des actifs qui composent les entreprises acquises par l’entité regroupée ou qui sont sous son contrôle (considérant 123 de la décision attaquée). Lorsque l’acquisition d’une société se fait au moyen de l’acquisition de ses actions, la survaleur correspond à l’écart entre le prix payé pour la prise de participation dans une société et la valeur de marché des actifs qui font partie de cette société, écart qui se doit d’être enregistré dans la comptabilité de l’entreprise acquéreuse comme actif incorporel distinct, dès que cette entreprise prend le contrôle de l’entreprise acquise (considérant 27 de la décision attaquée).

52      Au considérant 28 de la décision attaquée, il est indiqué que, conformément aux principes fiscaux espagnols, la survaleur ne peut, à l’exception de la mesure litigieuse, être amortie qu’en cas de « regroupement d’entreprises », c’est-à-dire, selon une acception large de cette expression, tant à la suite d’une acquisition ou contribution des actifs composant des entreprises indépendantes qu’après une opération de fusion ou de scission.

53      La survaleur financière est définie dans la décision attaquée comme équivalant à la survaleur qui aurait été enregistrée dans la comptabilité de l’entreprise acquéreuse en cas de regroupement de cette entreprise acquéreuse et de l’entreprise acquise. Ainsi, selon la Commission, le concept de survaleur financière visé par la mesure litigieuse introduit, dans le domaine des prises de participations, une notion généralement utilisée pour les opérations de regroupement d’entreprises (considérant 29 de la décision attaquée).

54      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que le cadre ou système de référence pertinent était le régime général espagnol de l’impôt sur les sociétés et, plus précisément, les règles relatives au traitement fiscal de la survaleur financière définies dans ledit régime fiscal (considérant 118 de la décision attaquée). Elle a ajouté qu’elle confirmait ainsi le système de référence retenu dans la décision du 28 octobre 2009. Or, au considérant 89 de cette dernière décision, elle avait précisé que « la mesure litigieuse [devait] être évaluée en tenant compte des dispositions générales du régime de l’impôt sur les sociétés applicables aux situations dans lesquelles l’apparition de la survaleur [conduisait] à un avantage fiscal […] parce qu’elle [considérait] que les situations dans lesquelles la survaleur financière [pouvait] être amortie ne [couvraient] pas toute la catégorie des contribuables se trouvant dans une situation similaire en fait ou en droit ». La Commission a ainsi estimé que le cadre de référence ne pouvait se limiter au traitement fiscal de la survaleur financière instauré par la mesure litigieuse, dès lors que cette mesure ne bénéficiait qu’aux prises de participations dans des sociétés non résidentes, et que c’étaient donc les dispositions générales du régime de l’impôt sur les sociétés relatives à l’amortissement fiscal de la survaleur (ci-après le « traitement fiscal de la survaleur ») qui constituaient le cadre de référence.

55      La Commission a également indiqué que, en permettant que la survaleur qui aurait été comptabilisée si les entreprises s’étaient regroupées apparaisse même sans regroupement d’entreprises, la mesure litigieuse constituait une exception au système de référence (considérant 124 de la décision attaquée), dès lors que celui-ci, pour des raisons comptables, ne prévoyait l’amortissement de la survaleur que dans l’hypothèse d’un tel regroupement (considérants 28, 29 et 123 de la décision attaquée).

56      La Commission a ajouté que la mesure litigieuse ne pouvait être considérée comme une nouvelle règle générale à part entière, dès lors que l’amortissement de la survaleur résultant de la simple prise de participation était autorisé seulement dans le cas de prises de participations transfrontalières et non dans le cas de prises de participations nationales. La mesure litigieuse introduisait ainsi, selon la Commission, une différence de traitement entre les opérations nationales et les opérations transfrontalières (considérant 124 de la décision attaquée).

57      La Commission a poursuivi en relevant, au considérant 136 de la décision attaquée, que la mesure litigieuse n’était pas nécessaire compte tenu de la logique du système fiscal. Elle a ajouté qu’elle était également disproportionnée. Il convient de relever que la Commission avait déjà, au considérant 106 de la décision attaquée, souligné le caractère à la fois vague et imprécis, mais également discriminatoire, de la mesure litigieuse.

58      La Commission a précisé que la mesure litigieuse conduisait à imposer une taxation différente à des entreprises se trouvant dans des situations comparables pour la seule raison que certaines d’entre elles prenaient part à des investissements à l’étranger (considérant 136 de la décision attaquée) et qu’elle conduisait aussi, en s’appliquant y compris à des prises de participations minoritaires, à traiter de manière identique des situations différentes (considérant 139 de la décision attaquée).

59      La Commission a conclu que le caractère d’avantage sélectif du régime fiscal en cause n’était pas justifié par la nature du système fiscal (considérant 140 de la décision attaquée).

60      Il convient d’ajouter que la Commission a également vérifié s’il existait des obstacles juridiques explicites aux regroupements transfrontaliers concernant des États qui n’étaient pas membres de l’Union (considérants 113 à 120 de la décision attaquée).

61      La Commission a précisé qu’elle examinait la législation de ces États tiers dans le seul but de vérifier les allégations des autorités espagnoles au sujet de l’existence d’obstacles aux regroupements transfrontaliers. Elle a souligné que cet examen ne constituait en aucune manière une reconnaissance de ce que ces obstacles pouvaient justifier un système de référence différent de celui qu’elle avait retenu (considérant 113 de la décision attaquée).

62      En se fondant sur un tel examen, la Commission a conclu qu’il n’y avait « aucune raison de s’écarter du système de référence de la décision d’ouvrir la procédure et de la décision [du 28 octobre 2009] » (considérant 118 de la décision attaquée).

63      Il convient d’apprécier si, au regard de chacun des deux griefs soulevés par la requérante, la Commission a pu conclure à bon droit, sur la base de la jurisprudence qui a été rappelée et des motifs qui viennent d’être exposés, que la mesure litigieuse était sélective.

1.      Sur le grief tiré de l’absence de sélectivité prima facie

64      Dans l’arrêt du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission (T‑399/11, EU:T:2014:938), le Tribunal a, en substance, considéré qu’il n’était pas possible de constater qu’une mesure constitutive d’un avantage fiscal faussait la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions si cet avantage était accessible à toutes les entreprises redevables de l’impôt sur les sociétés dans l’État membre ayant adopté la mesure en cause. Le Tribunal a estimé que l’avantage que procurait une mesure fiscale nationale de portée générale était accessible à toute entreprise lorsqu’il était impossible d’identifier une catégorie d’entreprises exclue du bénéfice de la mesure ou, son corollaire, une catégorie d’entreprises auxquelles le bénéfice de la mesure était réservé (points 38 à 49, 56 et 83 à 85).

65      Or, le Tribunal a considéré que l’avantage que procure la mesure litigieuse était accessible à toute entreprise redevable de l’impôt sur les sociétés en Espagne qui choisit de prendre des participations dans des sociétés non résidentes. Le Tribunal a en effet relevé que toute entreprise pouvait procéder librement à un tel choix sans que, notamment, le secteur d’activité de l’entreprise ou sa taille, exercent une contrainte à cet égard et qu’une même entreprise pouvait, de façon successive, voire concomitante, acquérir des titres de participation dans des sociétés résidentes et dans des sociétés non résidentes (arrêt du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission, T‑399/11, EU:T:2014:938, points 57 à 65).

66      Sur la base d’un tel constat d’accessibilité de la mesure litigieuse, le Tribunal, faisant application du raisonnement exposé au point 64 ci-dessus, a conclu que la Commission, pour constater que la mesure litigieuse était sélective, ne pouvait se borner à relever qu’elle constituait une exception à un système de référence, qu’elle n’avait bénéficié qu’aux entreprises réalisant les opérations qu’elle vise et qu’elle « entend[ait] favoriser l’exportation de capital ».

67      Par l’arrêt World Duty Free, la Cour a invalidé le raisonnement exposé au point 64 ci-dessus en estimant qu’il introduisait une exigence supplémentaire, relative à l’identification d’une catégorie particulière d’entreprises pouvant être distinguées du fait de propriétés spécifiques, qui ne pouvait être déduite de la jurisprudence (points 69 à 71 et 78).

68      La Cour a en effet jugé qu’une condition d’application ou d’obtention d’une aide fiscale pouvait fonder le caractère sélectif de cette aide si cette condition conduisait à opérer une différenciation entre des entreprises se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par le régime commun qui sert de cadre de référence, dans une situation factuelle et juridique comparable et si, partant, elle révélait une discrimination à l’égard des entreprises qui en étaient exclues (arrêt World Duty Free, point 86). La Cour a également relevé que le fait que les entreprises résidentes, lorsqu’elles effectuent des prises de participations dans des sociétés fiscalement domiciliées en Espagne, ne puissent obtenir l’avantage que prévoit la mesure litigieuse, pouvait permettre de conclure au caractère sélectif de cette mesure (arrêt World Duty Free, point 87).

69      Ainsi, un constat de sélectivité ne résulte pas nécessairement d’une impossibilité pour certaines entreprises de bénéficier de l’avantage prévu par la mesure en cause du fait de contraintes juridiques, économiques ou pratiques les empêchant de réaliser l’opération qui conditionne l’octroi de cet avantage, mais peut résulter de la seule constatation qu’il existe une opération qui, alors qu’elle est comparable à celle qui conditionne l’octroi de l’avantage en cause, n’ouvre pas droit à celui-ci. Il s’ensuit qu’une mesure fiscale peut être sélective alors même que toute entreprise peut librement faire le choix de réaliser l’opération qui conditionne l’octroi de l’avantage que prévoit cette mesure.

70      L’accent a ainsi été mis sur une notion de sélectivité fondée sur la distinction entre des entreprises choisissant de réaliser certaines opérations et d’autres entreprises choisissant de ne pas les réaliser et non sur la distinction entre des entreprises au regard de leurs caractéristiques propres.

71      Il incombe, dès lors, au Tribunal de faire application de ce raisonnement à la mesure litigieuse.

72      Or, il ne peut qu’être constaté que la mesure litigieuse avantage les entreprises imposables en Espagne qui ont choisi de prendre des participations dans des sociétés non résidentes par rapport aux entreprises imposables en Espagne qui ont choisi de prendre des participations dans des sociétés résidentes.

73      En effet, les entreprises imposables en Espagne ne peuvent, lorsqu’elles effectuent une opération de prise de participation dans une société résidente, obtenir, au titre de cette opération, l’avantage prévu par la mesure litigieuse.

74      Ainsi, lorsqu’une entreprise imposable en Espagne a choisi d’acquérir des participations dans une société non résidente, elle est alors – dans le cadre délimité par cette opération – favorisée par rapport à toute autre entreprise, y compris elle-même (voir point 65 ci-dessus), qui choisirait de procéder à l’acquisition de participations dans une société résidente.

75      Il résulte de ce qui précède qu’une mesure fiscale nationale telle que la mesure litigieuse, qui accorde un avantage dont l’octroi est conditionné par la réalisation d’une opération économique, peut être sélective y compris lorsque, eu égard aux caractéristiques de l’opération en cause, toute entreprise peut librement faire le choix de réaliser cette opération.

76      Le premier grief invoqué par la requérante, lequel est tiré, en substance, du fait que toute entreprise peut bénéficier de l’avantage procuré par la mesure litigieuse, doit donc être écarté.

2.      Sur le grief tiré de l’existence d’obstacles aux regroupements transfrontaliers

77      Par le second grief, la requérante se prévaut de l’existence d’obstacles aux regroupements transfrontaliers pour alléguer que la mesure litigieuse n’est pas sélective. Elle se fonde ainsi sur la prémisse selon laquelle l’existence de tels obstacles pourrait rendre non pertinente la comparaison que la Commission opère, au titre de la méthode d’analyse en trois étapes mentionnée aux points 47 et 48 ci-dessus, entre les prises de participations dans des sociétés résidentes et les prises de participations dans des sociétés non résidentes.

78      Il appartient, dès lors, au Tribunal d’apprécier si une telle prémisse est établie, ce qui le conduit à déterminer si la Commission a correctement mis en œuvre les trois étapes de la méthode d’analyse mentionnée aux points 47 et 48 ci-dessus, à savoir l’identification d’un régime fiscal national commun (première étape), le constat d’une dérogation à ce régime fiscal (deuxième étape) et, le cas échéant, la justification d’une telle dérogation (troisième étape).

a)      Sur la première étape

79      Ainsi qu’il a été relevé au point 54 ci-dessus, la Commission a retenu comme cadre de référence pour son analyse de la sélectivité le traitement fiscal de la survaleur et n’a pas circonscrit ce cadre au traitement fiscal de la seule survaleur financière. Elle a estimé en effet que les situations dans lesquelles la survaleur financière pouvait être amortie ne couvraient pas toute la catégorie des contribuables se trouvant dans une situation similaire en fait et en droit. Elle n’a donc pas limité, dans la décision attaquée, l’examen du critère de sélectivité aux seules prises de participations dans des sociétés non résidentes.

80      Cependant, selon la requérante, alors que les entreprises espagnoles peuvent sans difficulté procéder à un regroupement avec des sociétés résidentes, ce qui leur permet de bénéficier d’un amortissement de la survaleur, elles rencontrent des difficultés qui les empêcheraient de procéder à un regroupement et donc de bénéficier de cet amortissement, pour les opérations qui concernent les sociétés non résidentes, en particulier dans certains États qui ne sont pas membres de l’Union.

81      Ainsi, selon le type d’opérations en cause, les entreprises se trouveraient dans des situations juridiques et factuelles différentes justifiant un traitement fiscal différent. Il ne serait, dès lors, pas possible de considérer que la mesure litigieuse, qui ne s’applique qu’aux prises de participations dans des sociétés non résidentes, introduit une différenciation entre des opérations se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable.

82      Est en cause ici l’identification d’un régime fiscal national commun, c’est-à-dire la première des trois étapes de la méthode dont la Cour prévoit la mise en œuvre aux fins d’examiner le caractère sélectif ou non d’une mesure fiscale nationale (voir points 47 et 48 ci-dessus).

83      Premièrement, il convient de relever que cette première étape est mentionnée au paragraphe 16 de la communication de la Commission sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO 1998, C 384, p. 3, ci-après la « communication de 1998 »). À ce paragraphe, il est précisé qu’il convient d’abord de déterminer le régime commun applicable.

84      Au demeurant, dans la communication relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, [TFUE] (JO 2016, C 262, p. 1, ci-après la « communication de 2016 »), la Commission indique que le système de référence constitue l’élément à partir duquel la sélectivité d’une mesure doit être appréciée (paragraphe 132).

85      Deuxièmement, il convient de souligner que, si la jurisprudence de la Cour a apporté des précisions permettant de délimiter la portée géographique du cadre de référence préalablement à l’analyse des rapports qu’il entretient avec la mesure regardée comme étant constitutive d’une aide (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, points 64 à 66 ; voir, également, s’agissant d’une entité administrative disposant d’un pouvoir normatif autonome par rapport à celui de l’État membre concerné, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, points 61 et 62), la délimitation matérielle de ce cadre de référence, au contraire, est opérée, en principe, en lien avec cette mesure.

86      Ainsi, dans l’arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a. (C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 50), s’agissant d’une mesure consistant en une exonération de l’impôt sur les sociétés dont bénéficiaient les sociétés coopératives de production et de travail, la Cour a considéré que cet impôt, dans son ensemble, constituait le cadre de référence, compte tenu du fait que, pour les besoins du calcul de l’impôt sur le revenu des sociétés, la base imposable des bénéficiaires de cette mesure était déterminée de la même manière que celle des autres types de sociétés, c’est-à-dire en fonction du montant du bénéfice net résultant de l’exercice de l’activité de l’entreprise au terme de l’année d’imposition. Ainsi, le cadre de référence a été défini en prenant en considération, d’une part, l’objet de la mesure, qui présentait un lien évident avec celui du cadre de référence, et, d’autre part, la situation des bénéficiaires de cette mesure, qui était comparable à celle d’autres personnes auxquelles le cadre de référence s’appliquait.

87      Dans l’arrêt du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas (C‑279/08 P, EU:C:2011:551, point 63 à 67), alors que la mesure en cause réservait un avantage à certaines entreprises en leur permettant de monétiser la valeur économique des réductions d’émissions d’oxydes d’azote qu’elles réalisaient, la Cour a admis que le cadre de référence soit défini essentiellement par l’absence de mention de cette mesure dans des textes normatifs qui, pourtant, avaient un objet environnemental analogue au sien. Elle a ainsi indiqué que ce cadre de référence était constitué des « lois relatives à la gestion de l’environnement et à la pollution atmosphérique ne comportant pas la mesure en cause ».

88      La Cour, dans ces deux affaires, a estimé qu’il existait un régime dont l’objet présentait un lien avec celui de la mesure en cause et qui, alors qu’il était moins favorable que cette mesure, s’appliquait pourtant à des opérateurs se trouvant dans des situations comparables à celle des bénéficiaires de cette mesure. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a. (C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 50), ces opérateurs étaient les autres sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés dont la base imposable était déterminée de la même manière que celle des sociétés coopératives de production et de travail. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas (C‑279/08 P, EU:C:2011:551, point 64), il s’agissait des entreprises émettrices d’oxydes d’azote auxquelles la mesure en cause ne s’appliquait pas, mais qui, pourtant, tout comme les entreprises auxquelles cette mesure s’appliquait, se voyaient imposer des obligations en matière de limitation ou de réduction des émissions d’oxydes d’azote.

89      Il résulte ainsi de la jurisprudence que, outre l’existence d’un lien entre l’objet de la mesure en cause et celui du régime normal, l’examen du caractère comparable des situations relevant de cette mesure et des situations relevant de ce régime permet également de délimiter matériellement la portée dudit régime.

90      C’est d’ailleurs le caractère comparable de ces situations qui permet aussi de conclure à l’existence d’une dérogation (voir point 47 ci-dessus), lorsque les situations relevant de la mesure litigieuse sont traitées différemment de celles relevant du régime normal alors qu’elles leur sont comparables.

91      Ainsi, un raisonnement d’ensemble portant sur les deux premières étapes de la méthode mentionnée aux points 47 et 48 ci-dessus peut, dans certains cas, conduire à déterminer à la fois le régime normal et l’existence d’une dérogation.

92      Il convient toutefois de préciser que, dans l’arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a. (C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, points 54 à 61), la Cour a poursuivi l’analyse en examinant les caractéristiques particulières des sociétés coopératives de production et de travail et a conclu, au terme de cette analyse, qui s’apparentait alors à celle opérée au cours de la deuxième étape de la méthode mentionnée aux points 47 et 48 ci-dessus, que ces sociétés ne sauraient, en principe, être considérées comme se trouvant dans une situation juridique et factuelle comparable à celle des sociétés commerciales.

93      Troisièmement, toujours selon la jurisprudence de la Cour, le caractère comparable des situations qui permet, dans le cadre de la première étape de la méthode mentionnée aux points 47 et 48 ci-dessus, de délimiter matériellement le régime normal, s’apprécie au regard de l’objectif poursuivi par ce régime.

94      Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a. (C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 50), c’est en examinant la situation des opérateurs au regard de l’objectif de l’impôt sur les sociétés que la Cour a conclu au caractère comparable de la situation des sociétés coopératives de production et de travail et de celle des autres sociétés. En effet, alors que l’objectif de cet impôt est l’imposition des bénéfices des sociétés (point 54), la détermination de la base imposable des sociétés coopératives et de celle des autres sociétés, qui est une première étape nécessaire aux fins d’établir l’impôt, s’opérait de manière identique (point 50).

95      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas (C‑279/08 P, EU:C:2011:551, points 63, 64 et 67), d’autres sociétés que celles bénéficiant de la mesure litigieuse, qui émettaient également des oxydes d’azote, se voyaient en conséquence imposer par les « lois relatives à la gestion de l’environnement et à la pollution atmosphérique » (voir point 87 ci-dessus) les mêmes obligations en matière de limitation ou de réduction des émissions d’oxydes d’azote. Ces autres sociétés se trouvaient donc, au regard de l’objectif de protection de l’environnement poursuivi non seulement par la mesure litigieuse, mais surtout par lesdites lois, lesquelles constituaient le régime normal, dans une situation comparable à celle des sociétés bénéficiant de la mesure litigieuse.

96      Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de déterminer si, en l’espèce, au regard de l’objectif du régime normal identifié par la Commission, dont l’objet doit être en lien avec celui de la mesure litigieuse, les entreprises prenant des participations dans des sociétés résidentes et celles prenant des participations dans des sociétés non résidentes se trouvent dans des situations juridiques et factuelles qui ne sont pas comparables et qui sont si différentes que le cadre de référence aurait dû se limiter à la mesure litigieuse.

97      À cet égard, il convient de relever que la mesure litigieuse permet l’amortissement à des fins fiscales de la survaleur résultant de prises de participations dans des sociétés non résidentes.

98      Dans le système fiscal espagnol, l’assiette imposable est déterminée à partir du résultat comptable, en y introduisant ensuite des corrections en application de règles fiscales (considérants 49 et 121 de la décision attaquée).

99      Or, l’une de ces règles fiscales, dont l’objet présente un lien avec celui de la mesure litigieuse, prévoit l’amortissement de la survaleur.

100    Selon cette règle, l’amortissement de la survaleur est possible en cas de « regroupement d’entreprises », c’est-à-dire, dans une acception large de cette expression, tant à la suite d’une acquisition ou contribution des actifs composant des entreprises indépendantes qu’après une opération de fusion ou de scission (considérants 28 et 123 de la décision attaquée).

101    Il convient de préciser qu’il ne peut être déduit des dispositions de l’article 89, paragraphe 3, de la loi espagnole relative à l’impôt sur les sociétés que les entreprises pourraient, en dehors de l’hypothèse dans laquelle la mesure litigieuse s’applique, bénéficier de l’amortissement de la survaleur pour de simples prises de participations. En effet, en vertu de ces dispositions, lorsqu’une entreprise acquiert des participations dans une société, elle n’est autorisée à amortir la survaleur relative à cette prise de participation que si elle fusionne ensuite avec la société acquise.La fusion, qui est une forme de regroupement d’entreprises – la seule d’ailleurs prise en compte par la Commission dans une acception étroite de cette expression (considérant 32 de la décision attaquée) qu’elle utilise lorsqu’elle se limite au cas des prises de participations (considérants 29 et 36 de la décision attaquée) – est donc une condition nécessaire à l’amortissement de la survaleur.

102    Il résulte de ce qui précède que seul un regroupement d’entreprises permet l’amortissement de la survaleur à des fins fiscales. Il y a lieu de souligner également que le traitement fiscal qui est ainsi fait de la survaleur s’applique de manière indifférente aux opérations transfrontalières et aux opérations internes au Royaume d’Espagne.

103    Or, c’est en lien avec une logique comptable que le traitement fiscal de la survaleur s’organise sur la base du critère tiré de l’existence ou non d’un regroupement d’entreprises.

104    En effet, un regroupement d’entreprises résulte d’une acquisition ou d’une contribution des actifs composant des entreprises indépendantes ou encore d’une fusion ou d’une scission (voir point 100 ci-dessus). À la suite de ces opérations, une survaleur, qui résulte de la différence entre le coût d’acquisition et la valeur de marché des actifs ainsi acquis, apparaît, comme actif incorporel distinct, dans la comptabilité de l’entreprise issue du regroupement (considérants 28 et 123 de la décision attaquée).

105    Ainsi, au regard des techniques et des principes comptables que le traitement fiscal de la survaleur vise à respecter, le constat de l’existence d’un regroupement d’entreprises, lequel conduit à comptabiliser cette survaleur, ce qui permet ensuite de l’amortir, est pertinent.

106    Il est vrai que, en vertu des principes comptables espagnols, l’écart entre le prix payé pour une prise de participation dans une société et la valeur de marché des actifs qui font partie de cette société peut, même en l’absence de regroupement d’entreprises, être enregistré dans la comptabilité de l’entreprise acquéreuse comme actif incorporel distinct lorsque cette dernière prend le contrôle de l’entreprise acquise. Il s’agit alors de présenter, dans le cadre d’une consolidation des comptes, la situation globale d’un groupe de sociétés soumises à un contrôle unique (considérants 27 et 121 de la décision attaquée).

107    Cependant, le fait qu’une entreprise ait pris des participations dans une société résidente ou dans une société non résidente est sans rapport avec l’enregistrement de la survaleur dans la comptabilité de l’entreprise et donc avec l’objectif du traitement fiscal de la survaleur.

108    À cet égard, il est indifférent qu’il puisse exister des obstacles au regroupement transfrontalier. En effet, l’objectif du traitement fiscal de la survaleur est d’assurer une certaine cohérence entre le traitement fiscal de la survaleur et son traitement comptable, ce qui justifie d’amortir la survaleur lorsqu’elle résulte d’un regroupement d’entreprises (voir points 103 et 105 ci-dessus). Le traitement fiscal de la survaleur ne vise donc pas à compenser l’existence d’obstacles au regroupement transfrontalier ou à assurer un traitement égalitaire des différents types de prises de participations.

109    Par conséquent, les entreprises qui prennent des participations dans des sociétés non résidentes se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le traitement fiscal de la survaleur, dans une situation juridique et factuelle comparable à celle des entreprises qui prennent des participations dans des sociétés résidentes.

110    C’est donc à bon droit que, dans le cadre de la première étape de la méthode mentionnée aux points 47 et 48 ci-dessus, la Commission n’a pas limité l’examen du critère de sélectivité aux seules prises de participations dans des sociétés non résidentes et a ainsi retenu, au titre du régime normal, le traitement fiscal de la survaleur et non le traitement fiscal de la survaleur financière instauré par la mesure litigieuse (voir point 54 ci-dessus).

111    Il convient d’ajouter que la mesure litigieuse, en permettant l’amortissement de la survaleur pour des prises de participations dans des sociétés non résidentes sans qu’il y ait de regroupement d’entreprises, applique à ces opérations un traitement différent de celui qui s’applique aux prises de participations dans des sociétés résidentes, alors que ces deux types d’opérations se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime normal, dans des situations juridiques et factuelles comparables. Il peut donc, dès ce stade de l’analyse, être relevé que c’est à bon droit que la Commission a constaté, dans le cadre de la deuxième étape de la méthode mentionnée aux points 47 et 48 ci-dessus, que la mesure litigieuse dérogeait au régime normal (arrêt World Duty Free, point 57).

112    Cependant, malgré l’existence d’un régime fiscal, en lien avec la mesure litigieuse et au regard de l’objectif duquel des opérations, qui ne bénéficient pas de cette mesure, se trouvent dans une situation comparable aux opérations qui en bénéficient, il convient encore d’examiner si la mesure litigieuse pourrait, eu égard à ses caractéristiques propres et donc, indépendamment de toute analyse comparative, constituer, à elle seule, un cadre de référence autonome.

113    À cet égard, il doit être relevé qu’une mesure peut constituer son propre cadre de référence lorsqu’elle instaure un régime fiscal clairement délimité, poursuivant des objectifs spécifiques et se distinguant ainsi de tout autre régime fiscal appliqué dans l’État membre concerné. Dans une telle hypothèse, il convient alors, aux fins d’apprécier la condition de sélectivité, de déterminer si certains opérateurs sont exclus du champ d’application de la mesure alors que, au regard de l’objectif qu’elle poursuit, ces opérateurs se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des opérateurs auxquels elle s’applique (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2012, British Aggregates/Commission, T‑210/02 RENV, EU:T:2012:110, points 51, 63, 67 et 71 à 75).

114    S’agissant d’une mesure qui n’instaure pas un régime fiscal clairement délimité, mais appartient à un ensemble juridique plus large, l’avocat général Warner, dans ses conclusions dans l’affaire Italie/Commission (173/73, EU:C:1974:52, p. 728), a apporté des précisions qui, alors même qu’elles portent sur un système de sécurité sociale national, peuvent utilement s’appliquer en matière fiscale aux fins d’identifier si une telle mesure peut être regardée comme constituant, par elle-même, un cadre de référence autonome.

115    Selon l’avocat général Warner, une réforme générale du système de sécurité sociale dans un État membre, ayant incidemment pour effet de réduire le taux des cotisations patronales, pourrait en tant que telle être étrangère au domaine d’application des dispositions relatives aux aides d’État. Cependant, selon lui, la mesure en cause dans cette affaire ne constituait pas une telle réforme et ne formait pas non plus un élément d’une réforme de cette nature, mais avait seulement pour objet de résoudre un problème particulier. Elle relevait donc, ainsi que la Cour l’a confirmé dans l’arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, EU:C:1974:71), des dispositions relatives aux aides d’État.

116    L’approche présentée par l’avocat général Warner dans ses conclusions dans l’affaire Italie/Commission (173/73, EU:C:1974:52, p. 728) conduit à se fonder sur le caractère systématique et général d’une mesure pour l’exclure du champ d’application des dispositions relatives aux aides d’État.

117    En l’absence d’autres précisions apportées dans la jurisprudence quant à la méthode permettant d’identifier, au sein d’un ensemble plus large, un régime autonome susceptible de constituer un cadre de référence, il est utile de se référer, à titre indicatif, aux communications adoptées par la Commission en la matière.

118    C’est d’ailleurs une approche similaire à celle adoptée par l’avocat général Warner qui est présentée au paragraphe 133 de la communication de 2016, duquel il ressort que le système de référence est composé d’un ensemble cohérent de règles qui s’appliquent de manière générale sur la base de critères objectifs à toutes les entreprises relevant de son champ d’application tel que défini par son objectif.

119    Il peut encore être relevé que le paragraphe 13 de la communication de 1998 prévoit, aux fins de distinguer les aides d’État des mesures générales, deux catégories de mesures générales, à savoir, d’une part, les « mesures de pure technique fiscale (par exemple, fixation des taux d’imposition, des règles de dépréciation et d’amortissement et des règles en matière de reports de pertes ; dispositions destinées à éviter la double taxation ou l’évasion fiscale) » et, d’autre part, les « mesures poursuivant un objectif de politique générale en réduisant la charge fiscale liée à certains coûts de production ».

120    En l’espèce, la mesure litigieuse n’est qu’une modalité particulière d’application d’un impôt plus large, l’impôt sur les sociétés, et n’instaure donc pas un régime fiscal clairement délimité (voir point 113 ci-dessus). Il convient donc de faire application des considérations exposées aux points 114 à 119 ci-dessus.

121    À cet égard, il convient de relever que la mesure litigieuse n’introduit pas, comme l’indique à bon droit la Commission au considérant 124 de la décision attaquée, une nouvelle règle générale à part entière relative à l’amortissement de la survaleur, mais une exception à la règle générale selon laquelle seuls les regroupements d’entreprises peuvent conduire à l’amortissement de la survaleur, cette exception étant censée remédier, selon le Royaume d’Espagne, aux effets défavorables pour les prises de participations dans des sociétés non résidentes que l’application de la règle générale engendrerait.

122    Ainsi, premièrement, la mesure litigieuse réserve le bénéfice de l’amortissement de la survaleur aux seules prises de participations dans des sociétés non résidentes. Elle ne fait donc pas de l’opération consistant à prendre des participations un nouveau critère général qui organiserait le traitement fiscal de la survaleur, ce qui pourrait permettre de considérer que la mesure litigieuse serait une « mesure de pure technique fiscale » au sens du paragraphe 13 de la communication de 1998.

123    Deuxièmement, dans ses observations exposées dans la décision attaquée, le Royaume d’Espagne a indiqué que la mesure litigieuse avait été adoptée en raison du fait qu’il existerait des obstacles, notamment juridiques, empêchant les investisseurs espagnols d’effectuer des regroupements transfrontaliers d’entreprises et donc, de bénéficier de l’amortissement de la survaleur que permet le droit fiscal espagnol dans l’hypothèse d’un tel regroupement, alors qu’ils pourraient procéder sans difficulté à des regroupements dans un contexte national (considérants 60 et 93 de la décision attaquée). La mesure litigieuse vise donc seulement, selon son auteur, à remédier à une situation, jugée insatisfaisante, qui aurait été créée par le régime relatif au traitement fiscal de la survaleur. Elle ne constitue donc pas une réforme de l’impôt sur les sociétés autonome par rapport à ce régime.

124    De plus, dans la mesure où elle a pour objet de résoudre un problème particulier, celui des effets supposés des obstacles aux regroupements transfrontaliers sur le traitement fiscal de la survaleur, la mesure litigieuse ne peut être regardée comme poursuivant un objectif de politique économique générale au sens du paragraphe 13 de la communication de 1998.

125    Par conséquent, pour reprendre les termes utilisés par l’avocat général Warner dans ses conclusions dans l’affaire Italie/Commission (173/73, non publiées, EU:C:1974:52, p. 728), la mesure litigieuse, qui a seulement pour objet de résoudre un problème particulier, n’est pas une réforme générale.

126    Il résulte de ce qui précède que le système de référence ne peut se limiter à la seule mesure litigieuse. Cela confirme que le traitement fiscal de la survaleur constitue, comme l’a retenu à bon droit la Commission dans la décision attaquée, le système de référence pertinent en l’espèce (voir point 110 ci-dessus).

127    Au regard des considérations qui précèdent et, en particulier, de celles qui figurent aux points 108 et 124 ci-dessus, l’existence d’obstacles aux regroupements transfrontaliers, à supposer même qu’elle soit établie, ne peut conduire à remettre en cause le cadre de référence retenu par la Commission.

b)      Sur la deuxième étape

128    S’agissant de la deuxième étape de la méthode mentionnée aux points 47 et 48 ci-dessus, si la Cour, dans l’arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C‑143/99, EU:C:2001:598, point 41), a fait référence à l’objectif poursuivi par la « mesure concernée », elle a, par la suite, fait référence à l’objectif poursuivi par le « régime juridique » dans lequel s’insère cette mesure (arrêts du 29 avril 2004, GIL Insurance e.a., C‑308/01, EU:C:2004:252, point 68 ; du 3 mars 2005, Heiser, C‑172/03, EU:C:2005:130, point 40 ; du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 54, et du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 54). Dans l’arrêt World Duty Free, rendu en grande chambre, la Cour a, de manière encore plus explicite, fait référence à l’objectif poursuivi par le régime fiscal commun ou normal applicable dans l’État membre concerné (point 57).

129    Il convient de relever que, du fait de cette jurisprudence, l’exercice de comparaison qui s’applique aux fins de mettre en œuvre la deuxième étape de la méthode mentionnée aux points 47 et 48 ci-dessus s’apparente désormais, dans une large mesure, à celui que la Cour utilise aussi aux fins de définir le champ d’application matériel du cadre de référence (voir points 89 à 95 ci-dessus).

130    En application de la jurisprudence mentionnée au point 128 ci-dessus, en particulier l’arrêt World Duty Free sur lequel les parties ont pu, conformément au principe du contradictoire, faire valoir leurs observations, il y a lieu de prendre en compte l’objectif du régime commun dans son ensemble.

131    Or, il convient de constater que l’objectif poursuivi par le régime normal n’est pas de permettre aux entreprises de bénéficier de l’avantage fiscal que constitue l’amortissement de la survaleur lorsqu’elles rencontrent des difficultés les empêchant de procéder à un regroupement d’entreprises (voir points 103 à 108 ci-dessus).

132    C’est plutôt la mesure litigieuse qui vise à le faire en remédiant à l’existence d’obstacles au regroupement transfrontalier et en permettant ainsi, selon le Royaume d’Espagne, de garantir le respect du principe de neutralité fiscale (voir point 123 ci-dessus).

133    L’existence éventuelle d’obstacles aux regroupements transfrontaliers n’est donc pas pertinente au stade de l’examen de la deuxième étape de la méthode mentionnée aux points 47 et 48 ci-dessus. Elle sera, en revanche, à nouveau examinée dans le cadre de la troisième étape de cette méthode.

134    Au surplus, il convient de rappeler que le régime normal ne prévoit l’amortissement de la survaleur qu’en cas de regroupement d’entreprises et que la mesure litigieuse, en permettant cet amortissement pour des prises de participations dans des sociétés non résidentes, applique à ces opérations un traitement différent de celui qui s’applique aux prises de participations dans des sociétés résidentes, alors que ces deux types d’opérations se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime normal, dans des situations juridiques et factuelles comparables. La mesure litigieuse introduit, dès lors, une dérogation à ce régime, ainsi que la Commission l’a estimé à bon droit (voir point 111 ci-dessus).

c)      Sur la troisième étape

135    Ainsi qu’il a été rappelé au point 48 ci-dessus, la Cour a jugé, dans le cadre de la troisième étape de la méthode mentionnée aux points 47 et 48 ci-dessus, que la notion d’« aide d’État » ne visait pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime normal, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer que cette différenciation est justifiée dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elles s’inscrivent.

136    À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une distinction doit être établie entre, d’une part, les objectifs assignés à une mesure fiscale ou à un régime fiscal particulier et qui leur sont extérieurs et, d’autre part, les mécanismes inhérents au système fiscal lui-même qui sont nécessaires à la réalisation de tels objectifs. Par conséquent, des exonérations fiscales qui résulteraient d’un objectif étranger au système d’imposition dans lequel elles s’inscrivent ne sauraient échapper aux exigences découlant de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, points 69 et 70).

137    Au paragraphe 138 de la communication de 2016, la Commission renvoie d’ailleurs à des principes fondateurs ou directeurs intrinsèques du système fiscal en cause ou encore à des mécanismes inhérents au système et nécessaires à son fonctionnement ainsi qu’à son efficacité qui, seuls, sont susceptibles de justifier une dérogation.

138    En l’espèce, la différence de traitement entre les prises de participations dans des sociétés résidentes et les prises de participations dans des sociétés non résidentes qu’introduit la mesure litigieuse permettrait, selon le Royaume d’Espagne, dans ses observations exposées dans la décision attaquée (considérants 60 et 93 de la décision attaquée), de neutraliser la différence de traitement que le régime fiscal espagnol de la survaleur instaurerait en faveur des premières et au détriment des secondes.

139    La différenciation introduite par la mesure litigieuse serait donc justifiée dès lors qu’elle résulterait du principe de neutralité fiscale.

140    Or, le principe de neutralité, qui est reconnu en droit fiscal espagnol (considérant 138 de la décision attaquée), relève des mécanismes inhérents à un système fiscal, ainsi qu’il ressort d’ailleurs du paragraphe 139 de la communication de 2016, selon lequel le principe de neutralité fiscale peut constituer une justification possible d’une dérogation au régime normal.

141    Le Royaume d’Espagne pouvait donc utilement se fonder sur le principe de neutralité fiscale aux fins de justifier la différenciation qu’introduit la mesure litigieuse.

142    Il convient de relever que c’est seulement dans un cas particulier comme celui de l’espèce que l’objectif visé par la mesure en cause peut utilement être invoqué au cours de la troisième étape de la méthode mentionnée aux points 47 et 48 ci-dessus.

143    Le caractère pertinent de la justification de la différenciation introduite par la mesure litigieuse, à savoir le principe de neutralité fiscale, ayant été admis, il reste encore à déterminer si la mesure litigieuse est effectivement de nature à garantir la neutralité fiscale.

144    Selon une jurisprudence constante, l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets (voir arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 87 et jurisprudence citée).

145    En premier lieu, il convient de rappeler que, lorsqu’une dérogation est identifiée par la Commission, c’est à l’État membre concerné qu’il appartient de démontrer que cette dérogation est justifiée dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elle s’inscrit (voir point 48 ci-dessus).

146    Il y a donc lieu de déterminer si, en l’espèce, les éléments apportés lors de la procédure administrative par le Royaume d’Espagne sont suffisants pour justifier, contrairement à ce que la Commission a estimé, la dérogation constatée au point 134 ci-dessus.

147    Selon le Royaume d’Espagne, la mesure litigieuse vise à rétablir une situation de neutralité fiscale en mettant fin à une différence de traitement injustifiée entre, d’une part, les entreprises qui peuvent sans difficulté procéder avec une société résidente à une fusion qui leur permet de bénéficier de l’amortissement de la survaleur et, d’autre part, les entreprises qui rencontrent des difficultés d’ordre juridique, en particulier dans les États qui ne sont pas membres de l’Union, les empêchant de procéder à une fusion avec une société non résidente et donc de bénéficier de l’amortissement de la survaleur.

148    Il convient de relever que la mesure litigieuse, aux fins de neutraliser la différence de traitement injustifiée qui résulterait ainsi du régime normal, accorde le bénéfice de l’amortissement de la survaleur aux entreprises qui prennent des participations dans des sociétés non résidentes.

149    La mesure litigieuse se fonde ainsi nécessairement sur la prémisse selon laquelle les entreprises qui souhaitent procéder à des fusions transfrontalières et qui ne peuvent le faire en raison d’obstacles, notamment juridiques, au regroupement, prennent par défaut des participations dans des sociétés non résidentes ou, pour le moins, conservent les participations dont elles disposent déjà.

150    En l’absence d’une telle prémisse, la mesure litigieuse ne pourrait en effet être regardée comme bénéficiant aux entreprises qui, selon le Royaume d’Espagne, font l’objet d’un traitement défavorable injustifié résultant de l’application du régime normal. Elle ne pourrait donc avoir un effet neutralisant.

151    Or, la prémisse mentionnée au point 149 ci-dessus n’est pas établie.

152    En effet, une prise de participation, contrairement à une fusion, n’entraîne pas la dissolution de la société acquise. Eu égard à cette différence et à ses implications juridiques et économiques, il n’est pas évident que ces deux types d’opérations visent à atteindre les mêmes objectifs ou qu’elles correspondent à des stratégies économiques identiques. Il en va d’autant plus ainsi s’agissant de prises de participations minoritaires qui relèvent pourtant, lorsqu’elles atteignent un seuil de 5 %, du champ d’application de la mesure litigieuse. Par conséquent, il ne peut être présumé qu’une entreprise qui ne peut opérer une fusion avec une société prenne par défaut des participations dans cette société.

153    Il est même plausible que les entreprises souhaitant procéder à une fusion avec une société non résidente et se trouvant dans l’incapacité de le faire en raison d’obstacles, notamment juridiques, au regroupement renoncent à acquérir ou à conserver des participations dans la société en cause. Ainsi, ces entreprises, qui, pourtant, sont celles qui sont susceptibles de subir un traitement défavorable, ne bénéficient pas de l’avantage octroyé par la mesure litigieuse.

154    Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Royaume d’Espagne, auquel il appartient de démontrer que la dérogation est justifiée (voir point 145 ci-dessus), ait établi que les entreprises qui souhaitent procéder à des fusions transfrontalières et qui ne peuvent le faire du fait d’obstacles, notamment juridiques, au regroupement, prennent par défaut des participations dans des sociétés non résidentes ou, pour le moins, conservent les participations dont elles disposent déjà. Au demeurant, la requérante ne l’a pas établi non plus, ni même d’ailleurs allégué.

155    Il résulte de ce qui précède qu’il n’a pas été démontré que l’avantage résultant de la mesure litigieuse bénéficierait aux entreprises subissant la différence de traitement à laquelle cette mesure est censée remédier. Les effets neutralisants de la mesure litigieuse n’ont donc pas été établis.

156    À cet égard, il peut être relevé que la Commission a indiqué, au considérant 106 de la décision attaquée, que la mesure litigieuse était trop imprécise et vague, en ce sens que son application n’était pas subordonnée à l’existence de situations spécifiques et légalement délimitées qui justifieraient un traitement fiscal différent.

157    En second lieu, à supposer même que la mesure litigieuse ait pour conséquence de neutraliser les effets supposément pénalisants du régime normal (liés à l’existence d’obstacles aux fusions transfrontalières), ce qui n’est pas établi, elle présente, ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission (considérants 136, 138 et 139 de la décision attaquée), un caractère disproportionné et donc injustifié.

158    En effet, toutes les entreprises prenant des participations d’au moins 5 % dans des sociétés résidentes n’ont pas nécessairement vocation à opérer une fusion avec ces sociétés et, ainsi, à se voir accorder le bénéfice de l’amortissement de la survaleur.

159    Tout d’abord, une telle fusion n’est pas toujours possible. Tel est le cas, par exemple, lorsque l’entreprise en cause ne dispose pas d’une participation lui donnant le contrôle de la société avec laquelle elle souhaite fusionner et que les autres actionnaires de cette société s’opposent au regroupement.

160    De plus, à supposer même qu’une telle fusion soit possible, l’amortissement de la survaleur ne profitera qu’aux entreprises qui souhaitent procéder à une telle opération. Or, il n’est pas certain que toutes les entreprises ayant acquis des participations, y compris majoritaires, dans une société résidente souhaitent procéder à une fusion avec cette société compte tenu, notamment, du fait qu’il n’est pas évident qu’une prise de participation et une fusion visent à atteindre les mêmes objectifs ou qu’elles correspondent à des stratégies économiques identiques (voir point 152 ci-dessus).

161    Pourtant, toutes les entreprises qui prennent des participations dans des sociétés non résidentes, alors qu’elles n’ont pas nécessairement pour objectif de procéder à une fusion, bénéficieront, en vertu de la mesure litigieuse, de l’amortissement de la survaleur.

162    À cet égard, la Commission a relevé à juste titre, au considérant 106 de la décision attaquée, que la mesure litigieuse couvrait « de manière discriminatoire une vaste catégorie d’opérations, ce qui ne peut se justifier par l’existence de différences objectives entre les contribuables ».

163    Il convient encore de souligner que la circonstance que les entreprises qui acquièrent des titres de participation dans des sociétés résidentes puissent plus aisément, si elles le souhaitent, bénéficier de l’amortissement de la survaleur en procédant à une fusion, ne place pas ces entreprises dans une position aussi avantageuse que les entreprises qui acquièrent des titres de participation dans des sociétés non résidentes et qui bénéficient à ce titre, de façon automatique, de l’amortissement de la survaleur.

164    Il résulte de ce qui précède que l’application de la mesure litigieuse conduit à traiter de manière différente des entreprises qui se trouvent pourtant dans des situations comparables.

165    Ainsi, à supposer même que la mesure litigieuse permette de rétablir une certaine neutralité fiscale mise en cause par le régime normal, ce qui n’est pas établi (voir point 155 ci-dessus), les effets qu’elle produit ont, en tout état de cause, pour conséquence qu’elle ne peut être regardée comme justifiée au regard du principe de neutralité fiscale, ainsi que la Commission l’a, à bon droit, estimé dans la décision attaquée (voir point 157 ci-dessus).

166    En conclusion, ainsi qu’il résulte de chacun des deux motifs autonomes exposés dans les considérations qui figurent aux points 145 à 165 ci-dessus, il ne ressort pas des pièces du dossier que la dérogation qu’introduit la mesure litigieuse soit justifiée au regard du principe de neutralité fiscale.

167    Alors que le système de référence qui doit être retenu pour examiner le caractère sélectif de la mesure litigieuse ne peut se limiter à la seule mesure litigieuse, mais doit englober l’ensemble du traitement fiscal de la survaleur (voir point 126 ci-dessus) et que la mesure litigieuse introduit une dérogation par rapport au régime normal applicable dans l’État membre concerné (voir point 134 ci-dessus), l’existence éventuelle d’obstacles aux fusions transfrontalières n’est, compte tenu des considérations qui précèdent, pas de nature à pouvoir justifier la dérogation qu’introduit la mesure litigieuse.

168    Il résulte de tout ce qui précède que le constat de sélectivité de la mesure litigieuse opéré par la Commission dans la décision attaquée ne saurait être remis en cause par la présence d’obstacles au regroupement transfrontalier.

169    Le second grief de la requérante doit donc être écarté, sans qu’il soit besoin d’examiner la question de l’existence d’obstacles au regroupement transfrontalier, qu’il s’agisse, d’une part, du caractère suffisamment établi du constat, opéré par la Commission, de l’absence de ces obstacles ou, d’autre part, du caractère suffisamment motivé de la partie de la décision attaquée consacrée à ces obstacles.

170    Il convient d’ajouter qu’il ressort des considérations présentées aux points 49 à 59 ci-dessus que la Commission a suffisamment motivé sa décision quant au constat du caractère sélectif de la mesure litigieuse.

171    Il résulte de tout ce qui précède que l’unique moyen présenté au soutien du présent recours doit être écarté.

172    Il convient donc de rejeter le recours dans son intégralité sans qu’il soit besoin de statuer sur sa recevabilité.

IV.    Sur les dépens

173    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, elle supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Sigma Alimentos Exterior, SL supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

Gervasoni

Kowalik-Bańczyk

Mac Eochaidh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 novembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.