Language of document : ECLI:EU:C:2005:652

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

27 octobre 2005 (*)

«Manquement d’État – Directive 93/37/CEE – Marchés publics de travaux – Concessions de travaux publics – Règles de publicité»

Dans les affaires jointes C-187/04 et C-188/04,

ayant pour objet deux recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduits le 22 avril 2004,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. K. Wiedner, en qualité d’agent, assisté de Me G. Bambara, avvocato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par M. I. M. Braguglia, en qualité d'agent, assisté de M. M. Fiorilli, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. J. Makarczyk (rapporteur), Mme R. Silva de Lapuerta, P. Kūris, et J. Klučka, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l'avocat général entendu, de juger les affaires sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1       Par ses requêtes, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, dans la mesure où l’établissement public ANAS SpA (ci-après l’«ANAS») a confié la construction et la gestion des autoroutes de la Valtrompia, d’une part, et de la Pedemontana Veneta Ovest, d’autre part, à la Società per l’autostrada Brescia-Verona-Vincenza-Padova pA (ci-après la «société concessionnaire») dans le cadre de concessions directes mises en œuvre par le biais d’une convention conclue le 7 décembre 1999 sans publication préalable d’un avis de marché, alors même que les conditions nécessaires à cet égard n’étaient pas réunies, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), et notamment des articles 3, paragraphe 1, et 11, paragraphes 3, 6 et 7 de celle-ci.

 Le cadre juridique

2       L’article 1er de la directive 93/37 prévoit:

«Aux fins de la présente directive:

a)      les ‘marchés publics de travaux’ sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre, d’une part, un entrepreneur et, d’autre part, un pouvoir adjudicateur défini au point b) et ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement l’exécution et la conception des travaux relatifs à une des activités visées à l’annexe II ou d’un ouvrage défini au point c), soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur;

[…]      

c)      on entend par ‘ouvrage’ le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique;

d)      la ‘concession de travaux publics’ est un contrat présentant les mêmes caractères que ceux visés au point a), à l’exception du fait que la contrepartie des travaux consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter l’ouvrage, soit dans ce droit assorti d’un prix;

[…]»

3       L’article 3, paragraphe 1, de cette directive est libellé comme suit:

«Dans le cas où les pouvoirs adjudicateurs concluent un contrat de concession de travaux publics, les règles de publicité définies à l’article 11 paragraphes 3, 6, 7 et 9 à 13 et à l’article 15 sont applicables à ce contrat lorsque sa valeur égale ou dépasse 5 000 000 d’écus.»

4       L’article 7, paragraphe 3, de la même directive est ainsi rédigé:

«Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés de travaux en recourant à la procédure négociée, sans publication préalable d’un avis de marché, dans les cas suivants:

a)      lorsqu’aucune offre ou aucune offre appropriée n’a été déposée en réponse à une procédure ouverte ou restreinte, pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées. Un rapport doit être communiqué à la Commission à sa demande;

b)      pour les travaux dont l’exécution, pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection des droits d’exclusivité, ne peut être confiée qu’à un entrepreneur déterminé;

c)      dans la mesure strictement nécessaire, lorsque l’urgence impérieuse, résultant d’événements imprévisibles pour les pouvoirs adjudicateurs en question, n’est pas compatible avec les délais exigés par les procédures ouvertes, restreintes ou négociées visées au paragraphe 2. Les circonstances invoquées pour justifier l’urgence impérieuse ne doivent en aucun cas être imputables aux pouvoirs adjudicateurs;

d)      pour les travaux complémentaires qui ne figurent pas dans le projet initialement adjugé ni dans le premier contrat conclu et qui sont devenus nécessaires, à la suite d’une circonstance imprévue, à l’exécution de l’ouvrage tel qu’il y est décrit, à condition que l’attribution soit faite à l’entrepreneur qui exécute cet ouvrage:

–       lorsque ces travaux ne peuvent être techniquement ou économiquement séparés du marché principal sans inconvénient majeur pour les pouvoirs adjudicateurs

         ou

–       ­lorsque ces travaux, quoiqu’ils soient séparables de l’exécution du marché initial, sont strictement nécessaires à son perfectionnement.

Toutefois, le montant cumulé des marchés passés pour les travaux complémentaires ne doit pas dépasser 50 % du montant du marché principal.

[...]»

5       L’article 11 de la directive 93/37 dispose:

«[...]

3.      Les pouvoirs adjudicateurs désireux d’avoir recours à la concession de travaux publics font connaître leur intention au moyen d’un avis.

[...]

6.       Les avis prévus aux paragraphes 1 à 5 sont établis conformément aux modèles qui figurent aux annexes IV, V et VI et donnent les renseignements qui y sont demandés.

Les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent exiger des conditions autres que celles prévues aux articles 26 et 27 lorsqu’ils demandent des renseignements concernant les conditions de caractère économique et technique qu’ils exigent des entrepreneurs pour leur sélection (annexe IV partie B point 11, annexe IV partie C point 10 et annexe IV partie D point 9).

7.       Les avis prévus aux paragraphes 1 à 5 sont envoyés par les pouvoirs adjudicateurs dans les meilleurs délais et par les voies les plus appropriées à l’Office des publications officielles des Communautés européennes. Dans le cas de la procédure accélérée prévue à l’article 14, les avis sont envoyés par télex, télégramme ou télécopieur.

L’avis prévu au paragraphe 1 est envoyé le plus rapidement possible après la prise de décision autorisant le programme dans lequel s’inscrivent les marchés de travaux que les pouvoirs adjudicateurs entendent passer.

L’avis prévu au paragraphe 5 est envoyé au plus tard quarante-huit jours après la passation du marché en question.»

 Les faits à l’origine des litiges et la procédure précontentieuse

6       La construction et la gestion des autoroutes de la Valtrompia et de la Pedemontana Veneta Ovest ont été confiées par l’ANAS à la société concessionnaire dans le cadre de deux concessions, attribuées sur la base d’une convention conclue le 7 décembre 1999 – portant révision d’une convention précédente conclue le 21 décembre 1972 et d’actes additionnels ultérieurs – et approuvée par décret interministériel du 21 décembre 1999, enregistré par la Cour des comptes italienne le 11 avril 2000.

7       Les concessions en cause, attribuées sans publication préalable d’un avis de marché au sens de la directive 93/37, prévoyaient une série de travaux visant à compléter et développer le réseau autoroutier, à savoir la construction de deux raccordements: le premier, entre l’autoroute A/4 Brescia-Padova et la Valtrompia, constitué de deux branches subséquentes, le second, entre l’autoroute A/4 (comune di Montebello-Vicentino) et l’autoroute A/31 (comune di Thiene).

8       Considérant que la République italienne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 93/37, la Commission a engagé à l’encontre de cet État membre la procédure en manquement prévue à l’article 226 CE.

9       Après lui avoir adressé, le 18 octobre 2002, une lettre de mise en demeure à laquelle les autorités italiennes n’ont pas répondu, la Commission a, le 11 juillet 2003, émis un avis motivé, invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Les autorités italiennes n'ayant pas donné suite à cet avis, la Commission a décidé d’introduire les présents recours.

10     Par ordonnance du président de la Cour du 19 octobre 2004, les affaires C-187/04 et C-188/04 ont été jointes aux fins d’une éventuelle procédure orale et de l’arrêt.

 Sur les recours 

 Argumentation des parties

11     À l'appui de ses recours, la Commission fait valoir que les concessions visant la construction et la gestion des autoroutes de la Valtrompia et de la Pedemontana Veneta Ovest confiées à la société concessionnaire relèvent de l’article 1er, sous d), de la directive 93/37. Elle soutient, également, que les autoroutes faisant l’objet des travaux en cause constituent des ouvrages au sens de l’article 1er, sous c), de ladite directive.

12     Ayant rappelé que le coût des contrats de construction et d’exploitation des autoroutes de la Valtrompia et de la Pedemontana Veneta Ovest dépasse largement le seuil établi par la directive 93/37, la Commission fait valoir que lesdits contrats auraient dû faire l’objet d’une publication au Journal officiel des Communautés européennes, conformément aux articles 3, paragraphe 1, et 11, paragraphe 3, 6 et 7, de la directive 93/37.

13     Le gouvernement italien rappelle, en premier lieu, que, selon l’interprétation des dispositions nationales pertinentes, les travaux consistant à moderniser, élargir ou compléter des autoroutes en service, tels que, entre autres, les bretelles autoroutières et les connexions entre les différentes autoroutes, constituent des ouvrages relevant des interventions comprises dans la mission normale de la concession initiale. Ainsi, la directive 93/37 ne s’appliquerait pas.

14     En deuxième lieu, il fait valoir que ce n’est qu’en rationalisant et en absorbant une partie des coûts par la société concessionnaire, dont l’actionnariat est constitué majoritairement de collectivités locales, qu’il a été possible de procéder à l’investissement nécessaire à la réalisation des bretelles autoroutières en cause.

15     À cet égard, le gouvernement italien soutient que, si les raccordements en cause faisaient l’objet d’une concession autonome, celle-ci ne permettrait pas la récupération des coûts d’investissement, quelle que soit la durée de la concession envisagée. En conséquence, un éventuel appel d’offres pour l’attribution de la concession autonome dans le cas d’espèce se traduirait par l’absence de concurrents ou conduirait à la faillite de l’adjudicataire concessionnaire.

16     En troisième lieu, ce gouvernement conteste la qualification des travaux relatifs aux raccordements autoroutiers en cause en tant qu’ouvrage au sens de l’article 1er, sous c), de la directive 93/37, dans la mesure où l’infrastructure autoroutière en question serait dépourvue d’une fonction technique et économique autonome.

17     S’agissant de l’argument du gouvernement italien selon lequel la réalisation des raccords autoroutiers relèverait de la mission des concessions initiales, la Commission fait valoir que, dans la mesure où, en l’espèce, le pouvoir adjudicateur a renégocié la concession initiale en approuvant également un nouveau plan financier, on ne peut qualifier les travaux en cause de simples interventions relevant des concessions initiales, car ces dernières ont été remplacées par de nouvelles concessions.

18     En ce qui concerne la notion d’«ouvrage» au sens de l’article 1er, sous c), de la directive 93/37, et plus particulièrement la fonction technique ou économique autonome que cet ouvrage est censé remplir par lui-même, la Commission précise, d’une part, que la fonction technique autonome n’implique pas nécessairement que l’ouvrage soit dépourvu de liens avec d’autres ouvrages et, d’autre part, que la fonction économique doive se référer à l’ouvrage lui-même et non à sa gestion. Dès lors, le caractère non rémunérateur de la concession, résultant de la décision du pouvoir adjudicateur d’imposer des tarifs qui permettent seulement de supporter le coût de l’entretien dudit ouvrage, ne pourrait pas justifier le non-respect des règles de publicité.

 Appréciation de la Cour

19     Il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/37 que les règles de publicité relatives aux marchés de travaux s’appliquent également dans le cas où les pouvoirs adjudicateurs concluent un contrat de concession de travaux publics.

20     À titre liminaire, il convient de relever que, aux termes de l’article 1er, sous a) et d), de la directive 93/37, une concession de travaux publics est un contrat à titre onéreux, conclu par écrit, entre, d’une part, un entrepreneur et, d’autre part, un pouvoir adjudicateur défini au même article, sous b), et ayant pour objet l’exécution d’un certain type de travaux, dont la contrepartie consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter l’ouvrage, soit dans ce droit assorti d’un prix.

21     Or, il y a lieu de constater, en premier lieu, que, en l’espèce, la société concessionnaire s’est vu accorder, en contrepartie de la construction de bretelles autoroutières, le droit d’exploiter l’ouvrage et de percevoir un droit de péage auprès des utilisateurs. Par conséquent, les contrats en cause constituent des «concessions de travaux publics» au sens de l’article 1er, sous d), de la directive 93/37.

22     En deuxième lieu, eu égard à leur valeur, il est constant que les contrats portant sur la construction et la gestion des autoroutes de la Valtrompia et de la Pedemontana Veneta Ovest relèvent du champ d’application de la directive 93/37.

23     En troisième lieu, s’agissant des arguments du gouvernement italien selon lesquels, d’une part, en vertu des dispositions nationales pertinentes, les travaux en cause seraient des ouvrages relevant des interventions comprises dans la mission normale de la concession initiale, auxquels la directive 93/37 ne s’appliquerait pas, et, d’autre part, un éventuel appel d’offres pour l’attribution de la concession autonome se serait traduit par une absence de concurrents, il convient de rappeler qu’il ne peut être recouru à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché que dans les cas limitativement énumérés à l’article 7, paragraphe 3, de cette directive.

24     À cet égard, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, les dispositions d’une directive qui autorisent des dérogations aux règles visant à garantir l’effectivité des droits reconnus par le traité CE dans le secteur des marchés publics de travaux doivent faire l’objet d’une interprétation stricte et que c’est à celui qui entend s’en prévaloir qu’incombe la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles justifiant la dérogation existent effectivement (arrêts du 18 mai 1995, Commission/Italie, C‑57/94, Rec. p. I‑1249, point 23; du 28 mars 1996, Commission/Allemagne, C‑318/94, Rec. p. I‑1949, point 13, et du 13 janvier 2005, Commission/Espagne, C‑84/03, Rec. p. I‑139, point 48).

25     Or, le gouvernement italien n’a pas démontré l’existence d’une situation justifiant l’application de l’une des exceptions prévues par la directive 93/37 en particulier, celles figurant à l’article 7, paragraphe 3, sous a) et d), de celle-ci.

26     En quatrième lieu, il résulte de l’article 1er, sous c), de la directive 93/37 que l’existence d’un ouvrage doit être appréciée par rapport à la fonction économique ou technique du résultat des travaux effectués.

27     Or, comme le relève le gouvernement italien, la construction et la gestion de deux nouveaux raccordements autoroutiers sont, d’un point de vue technique, destinées à relier les zones choisies afin de résoudre les graves problèmes de voirie que connaissent les communes concernées. Le résultat de l’ensemble des travaux de génie civil en cause remplit donc par lui-même la fonction technique.

28     Quant à la fonction économique visée par la directive 93/37, il convient de constater qu’un concessionnaire d’autoroute, en tant qu’il met à la disposition des usagers contre rémunération une infrastructure autoroutière, accomplit une activité économique (voir en ce sens, arrêt du 12 septembre 2000, Commission/France, C‑276/97, Rec. p. I‑6251, point 32). L’absence d’une rentabilité autonome des concessions en cause n’est pas de nature à enlever à l’ensemble des travaux concernés son caractère d’ouvrage au sens de la directive 93/37.

29     En tout état de cause, pour que le résultat des travaux puisse être qualifié d’ouvrage au sens de l’article 1er, sous c), de la directive 93/37, il suffit que soit remplie l’une de deux fonctions susmentionnées.

30     Il résulte de ce qui précède que les griefs de la Commission sont fondés.

31     Dans ces conditions, il convient de constater que, dans la mesure où l’ANAS a confié la construction et la gestion des autoroutes de la Valtrompia et de la Pedemontana Veneta Ovest à la société concessionnaire dans le cadre de concessions directes sans publication préalable d’un avis de marché, alors même que les conditions nécessaires à cet égard n’étaient pas réunies, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 93/37, et plus particulièrement des articles 3, paragraphe 1, et 11, paragraphes 3, 6 et 7 de celle-ci.

 Sur les dépens

32     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      Dans la mesure où l’établissement public ANAS SpA a confié la construction et la gestion des autoroutes de la Valtrompia et de la Pedemontana Veneta Ovest à la Società per l’autostrada Brescia-Verona-Vincenza-Padova pA dans le cadre de concessions directes sans publication préalable d’un avis de marché, alors même que les conditions nécessaires à cet égard n’étaient pas réunies, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, et plus particulièrement des articles 3, paragraphe 1, et 11, paragraphes 3, 6 et 7 de celle-ci.

2)      La République italienne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l'italien.