Language of document : ECLI:EU:C:2019:1100

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

18 décembre 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Procédures de recours – Directive 89/665/CEE – Directive 92/13/CEE – Droit à une protection juridictionnelle effective – Principes d’effectivité et d’équivalence – Recours en révision des décisions juridictionnelles méconnaissant le droit de l’Union – Responsabilité des États membres en cas de violation du droit de l’Union par les juridictions nationales – Évaluation du dommage indemnisable » 

Dans l’affaire C‑362/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Székesfehérvári Törvényszék (cour de Székesfehérvár, Hongrie), par décision du 6 décembre 2017, parvenue à la Cour le 5 juin 2018, dans la procédure

Hochtief AG

contre

Fővárosi Törvényszék,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. S. Rodin, président de chambre, MM. M. Vilaras (rapporteur) et D. Šváby, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, TUE, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de l’article 49 TFUE, de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007 (JO 2007, L 335, p. 31) (ci-après la « directive 89/665 »), de la directive 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications (JO 1992, L 76, p. 14), telle que modifiée par la directive 2007/66 (ci-après la « directive 92/13 »), de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO 1993, L 199, p. 54), ainsi que des principes de primauté, d’équivalence et d’effectivité du droit de l’Union.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Hochtief AG à la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie) au sujet d’un dommage prétendument causé par cette dernière juridiction, dans l’exercice de ses compétences juridictionnelles, à Hochtief.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, et l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, rédigés en des termes quasiment identiques à ceux, respectivement, de l’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, et de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 92/13, prévoient :

« 1.      [...]

Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application de la directive 2004/18/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114)], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles 2 à 2 septies de la présente directive, au motif que ces décisions ont violé le droit [de l’Union] en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

[...]

3.      Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée. »

4        L’article 2, paragraphe 1, de la directive 89/665 dispose :

« Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant :

a)      de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher qu’il soit encore porté atteinte aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou l’exécution de toute décision prise par le pouvoir adjudicateur ;

b)      d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l’appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause ;

c)      d’accorder des dommages et intérêts aux personnes lésées par une violation. »

5        L’article 2, paragraphe 1, de la directive 92/13 prévoit :

« Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant :

soit

a)      de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher que d’autres préjudices soient causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché en cause ou l’exécution de toute décision prise par l’entité adjudicatrice

et

b)      d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans l’avis de marché, l’avis périodique indicatif, l’avis sur l’existence d’un système de qualification, l’invitation à soumissionner, les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation de marché en cause ;

soit

c)      de prendre, dans les délais les plus brefs, si possible par voie de référé et, si nécessaire, par une procédure définitive quant au fond, d’autres mesures que celles prévues aux points a) et b), ayant pour but de corriger la violation constatée et d’empêcher que des préjudices soient causés aux intérêts concernés ; notamment d’émettre un ordre de paiement d’une somme déterminée dans le cas où l’infraction n’est pas corrigée ou évitée.

Les États membres peuvent effectuer ce choix soit pour l’ensemble des entités adjudicatrices, soit pour des catégories d’entités définies sur la base de critères objectifs, en sauvegardant en tout cas l’efficacité des mesures établies afin d’empêcher qu’un préjudice soit causé aux intérêts concernés ;

d)      et, dans les deux cas susmentionnés, d’accorder des dommages-intérêts aux personnes lésées par la violation. 

Lorsque des dommages-intérêts sont réclamés au motif qu’une décision a été prise illégalement, les États membres peuvent prévoir, si leur système de droit interne le requiert et s’il dispose d’instances ayant la compétence nécessaire à cet effet, que la décision contestée doit d’abord être annulée ou déclarée illégale. »

 Le droit hongrois

6        L’article 260 du polgári perrendtartásról szóló 1952. évi III. törvény (loi no III de 1952, instituant le code de procédure civile, ci-après le « code de procédure civile ») prévoit :

« 1.      La révision est ouverte contre un jugement définitif lorsque

a)      une partie se prévaut d’un fait ou de preuves, ou d’une décision définitive d’une juridiction ou autre autorité que la juridiction n’a pas appréciés au cours de la procédure, à condition que ces éléments – s’ils avaient été appréciés – aient été de nature à conduire à une décision plus favorable à cette partie ;

[...]

2.      En application du paragraphe 1, sous a), une partie ne peut exercer un recours en révision que lorsque, sans faute de sa part, elle n’a pas pu faire valoir au cours de la procédure antérieure le fait, les preuves ou la décision qu’elle invoque dans ce recours. » 

7        L’article 361, sous a), du code de procédure civile dispose :

« La Kúria [(Cour suprême, Hongrie)], afin de tirer les conséquences d’un recours constitutionnel, décide ce qui suit : dans le cas où l’Alkotmánybíróság [(Cour Constitutionnelle, Hongrie)] a annulé une règle ou disposition de droit matériel, et où seule une procédure contentieuse (ou non contentieuse) était en cours dans cette affaire, elle informe l’auteur du recours constitutionnel qu’il peut dans les trente jours présenter un recours en révision auprès de la juridiction qui était saisie en première instance dans cette procédure. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

8        Le 5 février 2005, le Budapest Főváros Önkormányzata (municipalité de Budapest-Capitale, Hongrie) (ci-après le « pouvoir adjudicateur ») a publié un appel à participer à une procédure de passation d’un marché public de travaux d’un montant dépassant le seuil prévu par le droit de l’Union, suivant la procédure négociée avec publication préalable d’un avis de marché. Cinq candidatures ont été reçues dans le délai requis, au nombre desquelles figurait celle d’un consortium dirigé par Hochtief (ci-après le « consortium »).

9        Le 19 juillet 2005, le pouvoir adjudicateur a annoncé au consortium que sa candidature était invalide en raison d’une incompatibilité et qu’elle avait été rejetée. Cette décision était motivée par le fait que le consortium avait désigné comme chef de projet un expert qui avait participé à la préparation de l’appel d’offres aux côtés du pouvoir adjudicateur.

10      Par sentence du 12 septembre 2005, le Közbeszerzési Döntőbizottság (commission arbitrale des marchés publics, Hongrie) (ci-après la « commission arbitrale ») a rejeté le recours administratif introduit par le consortium contre cette décision, estimant que la désignation de l’expert dans la demande de participation ne pouvait être considérée comme étant une erreur administrative, comme le faisait valoir Hochtief.

11      Le 4 novembre 2005, Hochtief a introduit un recours contre la sentence de la commission arbitrale auprès du Fővárosi Bíróság (tribunal de Budapest, Hongrie).

12      Par jugement du 28 avril 2006, le Fővárosi Bíróság (tribunal de Budapest) a rejeté ce recours.

13      Le consortium a interjeté appel devant la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale, Hongrie) contre le jugement mentionné au point précédent. À l’appui de son appel, il a, notamment, invoqué l’arrêt du 3 mars 2005, Fabricom (C‑21/03 et C‑34/03, EU:C:2005:127), qui n’a été disponible en langue hongroise que postérieurement à l’introduction de son recours contre la sentence du 12 septembre 2005.

14      Par décision du 13 février 2008, la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle, qui a donné lieu à l’arrêt du 15 octobre 2009, Hochtief et Linde-Kca-Dresden (C‑138/08, EU:C:2009:627).

15      À la suite du prononcé de cet arrêt, la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) a, par un arrêt du 20 janvier 2010, confirmé le jugement du Fővárosi Bíróság (tribunal de Budapest) du 28 avril 2006.

16      Par arrêt du 7 février 2011, le Legfelsőbb Bíróság (dénomination antérieure de la Cour suprême, Hongrie) a confirmé l’arrêt de la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) du 20 janvier 2010.

17      Entre temps, le 23 août 2010, Hochtief avait introduit un recours en révision contre l’arrêt de la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) du 20 janvier 2010, en demandant l’annulation de celui-ci et son remplacement par une nouvelle décision.

18      À l’appui de son recours en révision, Hochtief a fait valoir que l’arrêt du 3 mars 2005, Fabricom (C‑21/03 et C‑34/03, EU:C:2005:127), qu’elle n’avait pu invoquer ni devant la commission arbitrale ni dans le cadre de son recours contre la sentence de cette dernière dès lors qu’il n’était pas disponible en langue hongroise, tout comme l’arrêt du 15 octobre 2009, Hochtief et Linde-Kca-Dresden (C‑138/08, EU:C:2009:627), constituaient des faits nouveaux, au sens de l’article 260, paragraphe 1, sous a), du code de procédure civile, susceptibles de justifier la révision de l’arrêt de la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) du 20 janvier 2010.

19      Le recours en révision de la Hochtief a été rejeté par ordonnance du Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale, Hongrie) du 6 juin 2013. Saisie d’un appel de Hochtief contre cette ordonnance, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), statuant en dernier ressort, a, par ordonnance du 29 mai 2014, confirmé l’ordonnance de rejet du recours en révision.

20      Le 15 août 2014, Hochtief a formé un recours constitutionnel contre l’ordonnance visée au point précédent. Ce recours a été rejeté comme irrecevable par ordonnance de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) du 9 février 2015.

21      Hochtief a alors saisi la juridiction de renvoi d’une action en réparation du préjudice que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) lui aurait causé dans l’exercice de sa compétence juridictionnelle, en adoptant l’ordonnance du 29 mai 2014, qui a confirmé sur appel le rejet de son recours en révision.

22      À l’appui de son recours, Hochtief fait valoir que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), en tant que juridiction statuant en dernier ressort, a commis une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union, d’une part, en méconnaissant le droit à une protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ainsi que les principes fondamentaux du droit de l’Union en matière de marchés publics, tels qu’affirmés dans l’arrêt du 15 octobre 2009, Hochtief et Linde-Kca-Dresden (C‑138/08, EU:C:2009:627), et, d’autre part, en omettant de soumettre une question préjudicielle à la Cour, en application de l’article 267, troisième alinéa, TFUE.

23      En ce qui concerne le préjudice qu’elle aurait subi du fait de la violation alléguée du droit de l’Union, Hochtief fait valoir que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), en rejetant son recours en révision, l’a privée de la possibilité de récupérer les dépens qu’elle avait exposés tant dans la procédure principale que dans la procédure de révision.

24      C’est dans ces circonstances que la Székesfehérvári Törvényszék (cour de Székesfehérvár, Hongrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Faut-il interpréter les principes fondamentaux et les règles du droit de l’Union (notamment l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’exigence d’une interprétation uniforme du droit), tels que la Cour les a interprétés notamment dans l’arrêt [du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513),] en ce sens que la responsabilité de l’État en raison d’une décision contraire au droit de l’Union d’une juridiction statuant en dernier ressort peut être établie en se fondant uniquement sur le droit national ou sur des critères développés par le droit national ? Dans la négative, faut-il interpréter les principes fondamentaux et les règles du droit de l’Union, notamment les trois critères dégagés par la Cour dans [l’arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513),] à propos de la responsabilité de l’“État”, en ce sens que la réalisation des conditions de la responsabilité de l’État membre en raison d’une violation du droit de l’Union par les juridictions dudit État membre doit être appréciée sur la base du droit national ?

2)      Faut-il interpréter les règles et les principes fondamentaux du droit de l’Union (notamment l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’exigence d’un recours effectif), en particulier les arrêts de la Cour relatifs à la responsabilité des États membres [du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428), du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame (C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79), ainsi que du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513)], en ce sens que l’autorité de la chose jugée de décisions contraires au droit de l’Union rendues par des juridictions statuant en dernier ressort exclut que la responsabilité de l’État membre puisse être établie ?

3)      Faut-il interpréter les principes d’“effectivité” et d’“équivalence” prévus dans les directives [89/665], [92/13] et [2007/66], ainsi que dans les arrêts [du 13 janvier 2004, (C‑453/00, EU:C:2004:17), du 16 mars 2006, Kapferer (C‑234/04, EU:C:2006:178), du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C‑118/08, EU:C:2010:39), et du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067),] en ce sens qu’une partie ne doit plus pouvoir se prévaloir, au stade de la procédure de révision, des constatations d’un arrêt de la Cour rendu à l’issue d’une procédure préjudicielle engagée dans la procédure principale par une juridiction de second degré, étant précisé que celles-ci n’ont pas été prises en compte dans la procédure principale, notamment dans le cas où la juridiction nationale statuant en dernier ressort a rejeté le pourvoi en cassation formé contre l’arrêt rendu dans la procédure principale au motif que la partie ne s’est pas prévalue en temps utile de l’arrêt de la Cour ?

4)      Faut-il interpréter les directives visées à la troisième question ainsi que la jurisprudence de la Cour sur la question de l’ouverture de la révision, résultant notamment des arrêts [du 13 janvier 2004, (C‑453/00, EU:C:2004:17), du 16 mars 2006, Kapferer (C‑234/04, EU:C:2006:178), du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C‑118/08, EU:C:2010:39), et du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067)], ainsi, également, que les principes dégagés par la Cour dans les arrêts [du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a. (C‑470/99, EU:C:2002:746), du 27 février 2003, Santex (C‑327/00, EU:C:2003:109), ainsi que du 11 octobre 2007, Lämmerzahl (C‑241/06, EU:C:2007:597)], à propos des délais du droit national appliqués dans des procédures de recours en matière de marchés publics, en ce sens que les juridictions nationales peuvent légalement opposer la forclusion à la partie qui, en seconde instance, se prévaut, d’une part, d’un arrêt de la Cour que la juridiction de seconde instance a obtenu dans le cadre de l’affaire pendante devant elle et, d’autre part, d’un arrêt de la Cour qui n’a été disponible dans la langue officielle de l’État membre qu’en seconde instance, puis rejeter, malgré cela, la demande de révision introduite par ladite partie sur la base des arrêts de la Cour invoqués par celle-ci, mais non pris en compte, et des faits qui sont pertinents en vertu desdits arrêts ?

5)      Faut-il interpréter les directives susmentionnées, ainsi que la jurisprudence de la Cour résultant notamment des arrêts [du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17), du 16 mars 2006, Kapferer (C‑234/04, EU:C:2006:178), du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C‑118/08, EU:C:2010:39), et du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067),] en ce sens que les juridictions nationales peuvent légalement, alors même que la partie au litige cite l’arrêt [du 12 février 2008, Kempter (C‑2/06, EU:C:2008:78)] – en vertu duquel une partie n’a pas l’obligation d’invoquer explicitement les arrêts de la Cour, la juridiction étant tenue de [les] appliquer d’office – ne pas tenir compte desdits arrêts en se prévalant du droit procédural national – au point de ne même pas mentionner cette circonstance dans la décision clôturant la procédure, pas plus que dans ses motifs – puis rejeter, malgré cela, la demande de révision introduite par ladite partie sur la base des arrêts de la Cour invoqués par celle-ci, mais non pris en compte, et des faits qui sont pertinents en vertu desdits arrêts ?

6)      Faut-il interpréter la condition d’une “violation suffisamment caractérisée”, dégagée dans les arrêts [du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513), et du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391),] comme n’étant pas remplie lorsque la juridiction statuant en dernier ressort passe entièrement sous silence une jurisprudence de la Cour bien établie et très précisément décrite – et que différents avis juridiques ont par ailleurs confortée – et, en contradiction manifeste avec celle-ci, rejette sans aucune motivation au regard du droit de l’Union une demande de révision sans, visiblement, n’avoir examiné ni même évoqué la nécessité d’un renvoi préjudiciel devant la Cour, alors même que cette nécessité a également été démontrée dans le moindre détail dans la jurisprudence pertinente de la Cour ? Compte tenu de l’arrêt [du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335),] rendu par la Cour, la juridiction nationale doit-elle fournir une motivation lorsqu’elle n’autorise pas la révision en s’écartant d’une interprétation de la Cour dotée d’un caractère contraignant et s’abstient, sans donner de motivation, de saisir la Cour d’une question préjudicielle à ce propos ?

7)      Faut-il interpréter les principes de recours effectif et d’équivalence, au sens de l’article 19 et de l’article 4, paragraphe 3, TUE, ainsi que la liberté d’établissement et de prestation de services consacrée à l’article 49 TFUE, ou encore la directive [93/37], ainsi que les directives [89/665], [92/13] et [2007/66], en ce sens que ceux-ci permettent que les autorités et les juridictions saisies rejettent systématiquement, au mépris manifeste du droit de l’Union applicable, les recours exercés par le requérant pour avoir été exclu de la procédure de marché public, étant précisé que ces recours exigent le cas échéant de rédiger de nombreux mémoires au prix d’un investissement important de temps et d’argent, sans oublier la participation à des audiences, et que, même s’il existe en théorie la possibilité d’établir la responsabilité en raison d’un dommage causé dans l’exercice d’une compétence juridictionnelle, la réglementation en cause empêche le requérant de pouvoir exiger de la juridiction réparation du préjudice qu’il a subi en raison des mesures illégales ?

8)      Faut-il interpréter les principes qui ont été dégagés dans les arrêts [du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, EU:C:1983:318), du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513), et du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391),] en ce sens que le dommage causé par le fait que la juridiction statuant en dernier ressort, en contradiction avec la jurisprudence constante de la Cour, n’a pas autorisé la révision demandée en temps utile par une partie et dans le cadre de laquelle ladite partie aurait pu exiger le remboursement des frais qui lui ont été occasionnés n’est pas un dommage susceptible d’être indemnisé ?

9)      Dès lors que le droit national commande d’autoriser la révision lorsque celle-ci est nécessaire pour rétablir la constitutionnalité en raison d’une nouvelle décision de la juridiction constitutionnelle, ne devrait-il pas alors, en vertu du principe d’équivalence et de [l’arrêt du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C‑118/08, EU:C:2010:39)], autoriser la révision dans le cas où un arrêt de la Cour rendu antérieurement dans une autre affaire, ainsi qu’un arrêt de la Cour obtenu dans l’affaire principale, de même que les faits qui sont pertinents en vertu desdits arrêts, ne sont pas pris en compte dans la procédure principale en raison des dispositions du droit national relatives aux délais de procédure ? »

 Sur les questions préjudicielles

25      En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

26      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre de la présente affaire.

 Considérations liminaires

27      Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, l’affaire au principal porte sur une demande de réparation du préjudice prétendument subi par Hochtief du fait de l’ordonnance de la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) du 29 mai 2014, mentionnée au point 19 de la présente ordonnance, par laquelle cette juridiction, statuant en dernier ressort, a confirmé l’ordonnance du Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale) du 6 juin 2013 ayant rejeté le recours en révision introduit par cette société contre l’arrêt de la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) du 20 janvier 2010, mentionné au point 15 de la présente ordonnance.

28      Il s’ensuit que l’affaire au principal suppose de déterminer si, en procédant ainsi, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a commis une violation du droit de l’Union susceptible de fonder une obligation de réparer le préjudice que Hochtief allègue avoir subi du fait de cette violation.

29      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en révision d’un jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée postérieur à un arrêt rendu par la Cour sur le fondement de l’article 267 TFUE est tenue de faire droit à ce recours.

 Sur la recevabilité de la septième question

30      Par sa septième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, si le rejet systématique, en méconnaissance du droit de l’Union, de recours introduits par un soumissionnaire évincé d’une procédure de marché public, tel que Hochtief, est compatible avec le droit de l’Union.

31      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure prévue à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre celle-ci et les juridictions nationales. Il en découle qu’il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 29 juillet 2019, Hochtief Solutions Magyarországi Fióktelepe, C‑620/17, ci-après l’« arrêt Hochtief Solutions », EU:C:2019:630, point 30 et jurisprudence citée).

32      Toutefois, le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale est possible, notamment, lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou lorsque le problème est de nature hypothétique (arrêt Hochtief Solutions, point 31 et jurisprudence citée).

33      Or, la septième question relève, précisément, de ce dernier cas de figure. En effet, il apparaît de manière manifeste que cette question n’a aucun rapport avec l’objet de l’affaire au principal, tel qu’il a été résumé au point 28 de la présente ordonnance, et qu’elle présente, dès lors, un caractère hypothétique.

34      Il s’ensuit que la septième question est irrecevable.

 Sur les première, deuxième, sixième et huitième questions

35      Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à obtenir des indications concernant, en particulier, les principes énoncés par la Cour en matière de responsabilité d’un État membre pour les dommages causés aux particuliers en raison d’une violation du droit de l’Union par une juridiction nationale statuant en dernier ressort. La juridiction de renvoi demande, en substance, si lesdits principes doivent être interprétés en ce sens, premièrement, que la responsabilité de l’État membre concerné doit être appréciée sur la base du droit national, deuxièmement, que le principe de l’autorité de la chose jugée exclut que la responsabilité de cet État membre puisse être établie, troisièmement, qu’il y a une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union lorsque la juridiction statuant en dernier ressort refuse de soumettre à la Cour une question d’interprétation du droit de l’Union qui a été soulevée devant elle et, quatrièmement, qu’ils s’opposent à une règle de droit national qui exclut des dommages susceptibles de faire l’objet d’une réparation les frais occasionnés à une partie par la décision juridictionnelle en cause.

36      En premier lieu, il convient de rappeler que, s’agissant des conditions d’engagement de la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables, la Cour a itérativement jugé que les particuliers lésés ont un droit à réparation dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit de l’Union violée a pour objet de leur conférer des droits, que la violation de cette règle est suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le dommage subi par ces particuliers (arrêt Hochtief Solutions, point 35 et jurisprudence citée).

37      Il convient également de rappeler que la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés par une décision d’une juridiction statuant en dernier ressort qui viole une règle de droit de l’Union est régie par les mêmes conditions (arrêt Hochtief Solutions, point 36 et jurisprudence citée).

38      Par ailleurs, les trois conditions rappelées au point 36 de la présente ordonnance sont nécessaires et suffisantes pour engendrer au profit des particuliers un droit à obtenir réparation, sans pour autant exclure que la responsabilité d’un État membre puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit national (arrêt Hochtief Solutions, point 37 et jurisprudence citée).

39      Il en résulte que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une règle de droit national qui prévoit, pour l’engagement de la responsabilité d’un État membre au titre des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables, des conditions moins restrictives que celles établies par la jurisprudence de la Cour rappelée au point 36 de la présente ordonnance (arrêt Hochtief Solutions, point 38 et jurisprudence citée).

40      En deuxième lieu, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’oppose pas à la reconnaissance du principe de la responsabilité d’un État membre du fait de la décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort qui viole une règle de droit de l’Union. En effet, en raison, notamment, de la circonstance qu’une violation des droits tirés du droit de l’Union par une telle décision ne peut normalement plus faire l’objet d’un redressement, les particuliers ne sauraient être privés de la possibilité d’engager la responsabilité de l’État afin d’obtenir par ce moyen une protection juridique de leurs droits (arrêt Hochtief Solutions, point 39 et jurisprudence citée).

41      En troisième lieu, il découle d’une jurisprudence constante de la Cour que la mise en œuvre des conditions rappelées au point 36 de la présente ordonnance permettant d’établir la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables doit, en principe, être opérée par les juridictions nationales conformément aux orientations fournies par la Cour pour procéder à cette mise en œuvre (arrêt Hochtief Solutions, point 40 et jurisprudence citée).

42      À cet égard,  s’agissant, en particulier, de la deuxième de ces conditions, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés par une décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort qui viole une règle de droit de l’Union ne saurait être engagée que dans le cas exceptionnel où la juridiction nationale statuant en dernier ressort a méconnu de manière manifeste le droit applicable (arrêt Hochtief Solutions, point 41 et jurisprudence citée).

43      Afin de déterminer s’il existe une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union, la juridiction nationale saisie d’une demande en réparation doit tenir compte de tous les éléments qui caractérisent la situation qui lui est soumise. Parmi les éléments pouvant être pris en considération à cet égard figurent, notamment, le degré de clarté et de précision de la règle violée, l’étendue de la marge d’appréciation que la règle violée laisse aux autorités nationales, le caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, le caractère excusable ou inexcusable d’une éventuelle erreur de droit, la circonstance que, le cas échéant, les attitudes prises par une institution de l’Union européenne ont pu contribuer à l’adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit de l’Union, ainsi que l’inexécution, par la juridiction nationale en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE (arrêt Hochtief Solutions, point 42 et jurisprudence citée).

44      En tout état de cause, une violation du droit de l’Union est suffisamment caractérisée lorsqu’elle est intervenue en méconnaissance manifeste de la jurisprudence de la Cour en la matière (arrêt Hochtief Solutions, point 43 et jurisprudence citée).

45      S’agissant du litige au principal, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, en tenant compte de tous les éléments qui caractérisent la situation en cause au principal, si la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), par l’ordonnance du 29 mai 2014, mentionnée au point 19 de la présente ordonnance, a commis une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union en méconnaissant de manière manifeste le droit de l’Union applicable, y compris la jurisprudence de la Cour pertinente, notamment les arrêts du 3 mars 2005, Fabricom (C‑21/03 et C‑34/03, EU:C:2005:127), ainsi que du 15 octobre 2009, Hochtief et Linde-Kca-Dresden (C‑138/08, EU:C:2009:627) (voir, en ce sens, arrêt Hochtief Solutions, point 44).

46      En quatrième lieu, dès lors que les conditions rappelées au point 36 de la présente ordonnance sont réunies, c’est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu’il incombe à l’État membre de réparer les conséquences du préjudice causé, étant entendu que les conditions fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation (principe d’effectivité) (arrêt Hochtief Solutions, point 45 et jurisprudence citée).

47      À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la réparation des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union doit être adéquate au préjudice subi, de nature à assurer une protection effective de leurs droits (arrêt Hochtief Solutions, point 46 et jurisprudence citée).

48      Or, une règle de droit national en vertu de laquelle, dans un cas où la responsabilité d’un État membre est engagée pour des dommages causés du fait d’une violation d’une règle de droit de l’Union par une décision d’une juridiction de cet État statuant en dernier ressort, les frais occasionnés à une partie par cette décision sont de manière générale exclus des dommages susceptibles de faire l’objet d’une réparation peut rendre, en pratique, excessivement difficile ou même impossible d’obtenir une réparation adéquate du préjudice subi par cette partie (arrêt Hochtief Solutions, point 47).

49      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première, deuxième, sixième et huitième questions que la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés par la décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort qui viole une règle de droit de l’Union est régie par les conditions énoncées par la Cour, notamment au point 51 de l’arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513), sans pour autant exclure que la responsabilité de cet État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit national. Cette responsabilité n’est pas exclue du fait que cette décision a acquis l’autorité de la chose jugée. Dans le cadre de la mise en œuvre de cette responsabilité, il appartient à la juridiction nationale saisie de la demande en réparation d’apprécier, en tenant compte de tous les éléments qui caractérisent la situation en cause, si la juridiction nationale statuant en dernier ressort a commis une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union en méconnaissant de manière manifeste le droit de l’Union applicable, y compris la jurisprudence de la Cour pertinente. En revanche, le droit de l’Union s’oppose à une règle de droit national qui, dans un tel cas, exclut de manière générale des dommages susceptibles de faire l’objet d’une réparation les frais occasionnés à une partie par la décision préjudiciable de la juridiction nationale.

 Sur les troisième, quatrième, cinquième et neuvième questions

50      Compte tenu du contexte de l’affaire au principal, tel que rappelé aux points 28 et 29 de la présente ordonnance, il convient de comprendre que, par ses troisième, quatrième, cinquième et neuvième questions, la juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, si le droit de l’Union, notamment la directive 89/665 et la directive 92/13 ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui n’autorise pas la révision d’un jugement, revêtu de l’autorité de la chose jugée, d’une juridiction dudit État membre, ayant statué sur un recours en annulation contre un acte d’un pouvoir adjudicateur sans aborder une question dont l’examen était envisagé dans un arrêt antérieur de la Cour prononcé en réponse à une demande de décision préjudicielle présentée dans le cadre de la procédure relative à ce recours en annulation ou dans un arrêt antérieur de la Cour prononcé en réponse à une demande de décision préjudicielle posée dans le cadre d’une autre affaire.

51      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665 et l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 92/13 imposent aux États membres l’obligation d’adopter les mesures nécessaires pour s’assurer que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs dans le cadre des procédures de passation des marchés concernés par ces directives peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, au motif qu’elles ont violé le droit de l’Union en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit (arrêt Hochtief Solutions, point 50 et jurisprudence citée).

52      Ces dispositions, qui sont destinées à protéger les opérateurs économiques contre l’arbitraire du pouvoir adjudicateur, visent ainsi à s’assurer de l’existence, dans tous les États membres, de moyens de recours efficaces, afin de garantir l’application effective des règles de l’Union en matière de passation de marchés publics, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées (arrêt Hochtief Solutions, point 51 et jurisprudence citée).

53      Ni la directive 89/665 ni la directive 92/13 ne contiennent de dispositions régissant spécifiquement les conditions dans lesquelles ces voies de recours peuvent être exercées. Ces directives ne prévoient que des dispositions établissant les conditions minimales auxquelles doivent répondre les procédures de recours instaurées dans les ordres juridiques nationaux, afin de garantir le respect des prescriptions du droit de l’Union en matière de marchés publics (arrêt Hochtief Solutions, point 52 et jurisprudence citée).

54      En l’occurrence, il ressort des éléments fournis par la juridiction de renvoi que, en droit procédural hongrois, la révision, au sens de l’article 260 du code de procédure civile, est une voie de recours extraordinaire, permettant, lorsque les conditions posées par cette disposition sont remplies, de remettre en cause l’autorité de la chose jugée attachée à un jugement définitif (arrêt Hochtief Solutions, point 53).

55      Or, il convient de rappeler l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée. En effet, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause (arrêt Hochtief Solutions, point 54, ainsi que arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 26 et jurisprudence citée).

56      Partant, le droit de l’Union n’impose pas au juge national d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision juridictionnelle, même si cela permettrait de remédier à une situation nationale incompatible avec ce droit (arrêt Hochtief Solutions, point 55, ainsi que arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 27 et jurisprudence citée).

57      En effet, il a été jugé que le droit de l’Union n’exige pas que, pour tenir compte de l’interprétation d’une disposition pertinente de ce droit adoptée par la Cour, un organe juridictionnel national doive, par principe, revenir sur sa décision revêtue de l’autorité de la chose jugée (arrêt Hochtief Solutions, point 56, ainsi que arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 28 et jurisprudence citée).

58      L’arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17), évoqué par la juridiction de renvoi, ne saurait remettre en cause cette considération.

59      Certes, il ressort de cet arrêt que le principe de coopération loyale, consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, impose à un organe administratif, saisi d’une demande en ce sens, de réexaminer une décision administrative définitive afin de tenir compte de l’interprétation de la disposition pertinente retenue entre-temps par la Cour lorsque, notamment, cet organe dispose, selon le droit national, du pouvoir de revenir sur cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz, C‑453/00, EU:C:2004:17, point 28).

60      Il est constant toutefois que cette considération ne concerne qu’un éventuel réexamen d’une décision définitive d’un organe administratif et non pas, comme en l’occurrence, d’une juridiction (arrêt Hochtief Solutions, point 59).

61      À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que si les règles de procédure internes applicables comportent la possibilité, sous certaines conditions, pour le juge national, de revenir sur une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée en vue de rendre la situation issue de cette décision compatible avec le droit national, cette possibilité doit, conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, prévaloir, si ces conditions sont réunies, afin que soit restaurée la conformité de cette situation avec la réglementation de l’Union (arrêt Hochtief Solutions, point 60, ainsi que arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 29 et jurisprudence citée).

62      En l’occurrence, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que, aux termes de l’article 260 du code de procédure civile, la révision d’un jugement définitif est ouverte lorsqu’une partie peut se prévaloir, notamment, d’une décision juridictionnelle définitive dont il n’a pas été tenu compte au cours de la procédure ayant abouti au jugement dont la révision est sollicitée et uniquement si cette partie n’a pas été en mesure, sans que cela résulte d’une faute de sa part, de faire valoir l’existence de cette décision au cours de ladite procédure (arrêt Hochtief Solutions, point 61).

63      Par ailleurs, il ressort du libellé de la neuvième question que le droit hongrois autorise la révision d’une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée pour rétablir la constitutionnalité d’une situation en raison d’une nouvelle décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) (arrêt Hochtief Solutions, point 62).

64      Il appartient, dès lors, à la juridiction de renvoi de vérifier si les règles procédurales hongroises comportent la possibilité de revenir sur un jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée, en vue de rendre la situation issue de ce jugement compatible avec une décision juridictionnelle définitive antérieure, dont la juridiction qui a rendu ce jugement ainsi que les parties à l’affaire ayant donné lieu à celui-ci avaient déjà connaissance. Si tel était le cas, conformément à la jurisprudence de la Cour citée au point 61 de la présente ordonnance, cette possibilité devrait, conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, dans les mêmes conditions, prévaloir, pour rendre la situation compatible avec un arrêt antérieur de la Cour (voir, en ce sens, arrêt Hochtief Solutions, point 63).

65      C’est dans le même contexte qu’il y a lieu d’apprécier l’éventuelle pertinence de la circonstance qu’un tel arrêt antérieur de la Cour, en l’occurrence l’arrêt du 3 mars 2005, Fabricom (C‑21/03 et C‑34/03, EU:C:2005:127), n’est devenu disponible en langue hongroise qu’en cours d’instance, avant que la juridiction saisie en appel rende son jugement.

66      Cela étant, il convient, en tout état de cause, de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, en raison, notamment, de la circonstance qu’une violation des droits tirés du droit de l’Union par une décision juridictionnelle définitive ne peut normalement plus faire l’objet d’un redressement, les particuliers ne sauraient être privés de la possibilité d’engager la responsabilité de l’État afin d’obtenir par ce moyen une protection juridique de leurs droits (arrêt Hochtief Solutions, point 64).

67      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux troisième, quatrième, cinquième et neuvième questions que le droit de l’Union, notamment la directive 89/665 et la directive 92/13 ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui n’autorise pas la révision d’un jugement, revêtu de l’autorité de la chose jugée, d’une juridiction dudit État membre, ayant statué sur un recours en annulation contre un acte d’un pouvoir adjudicateur sans aborder une question dont l’examen était envisagé dans un arrêt antérieur de la Cour prononcé en réponse à une demande de décision préjudicielle présentée dans le cadre de la procédure relative à ce recours en annulation ou dans un arrêt antérieur de la Cour prononcé en réponse à une demande de décision préjudicielle dans une autre affaire. Toutefois, si les règles de procédure internes applicables comportent la possibilité, pour le juge national, de revenir sur un jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée en vue de rendre la situation issue de ce jugement compatible avec une décision juridictionnelle définitive nationale antérieure, dont la juridiction qui a rendu ledit jugement ainsi que les parties à l’affaire ayant donné lieu à celui-ci avaient déjà connaissance, cette possibilité doit, conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, dans les mêmes conditions, prévaloir, pour rendre la situation compatible avec le droit de l’Union, tel qu’interprété par un arrêt antérieur de la Cour.

 Sur les dépens

68      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :

1)      La responsabilité d’un État membre pour des dommages causés par la décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort qui viole une règle de droit de l’Union est régie par les conditions énoncées par la Cour, notamment au point 51 de l’arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C224/01, EU:C:2003:513), sans pour autant exclure que la responsabilité de cet État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit national. Cette responsabilité n’est pas exclue du fait que cette décision a acquis l’autorité de la chose jugée. Dans le cadre de la mise en œuvre de cette responsabilité, il appartient à la juridiction nationale saisie de la demande en réparation d’apprécier, en tenant compte de tous les éléments qui caractérisent la situation en cause, si la juridiction nationale statuant en dernier ressort a commis une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union en méconnaissant de manière manifeste le droit de l’Union applicable, y compris la jurisprudence de la Cour pertinente. En revanche, le droit de l’Union s’oppose à une règle de droit national qui, dans un tel cas, exclut de manière générale des dommages susceptibles de faire l’objet d’une réparation les frais occasionnés à une partie par la décision préjudiciable de la juridiction nationale.

2)      Le droit de l’Union, notamment la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007, et la directive 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications, telle que modifiée par la directive 2007/66, ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui n’autorise pas la révision d’un jugement, revêtu de l’autorité de la chose jugée, d’une juridiction dudit État membre, ayant statué sur un recours en annulation contre un acte d’un pouvoir adjudicateur sans aborder une question dont l’examen était envisagé dans un arrêt antérieur de la Cour prononcé en réponse à une demande de décision préjudicielle présentée dans le cadre de la procédure relative à ce recours en annulation ou dans un arrêt antérieur de la Cour prononcé en réponse à une demande de décision préjudicielle dans une autre affaire. Toutefois, si les règles de procédure internes applicables comportent la possibilité, pour le juge national, de revenir sur un jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée en vue de rendre la situation issue de ce jugement compatible avec une décision juridictionnelle définitive nationale antérieure, dont la juridiction qui a rendu ledit jugement ainsi que les parties à l’affaire ayant donné lieu à celui-ci avaient déjà connaissance, cette possibilité doit, conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, dans les mêmes conditions, prévaloir, pour rendre la situation compatible avec le droit de l’Union, tel qu’interprété par un arrêt antérieur de la Cour.

Signatures


*      Langue de procédure : le hongrois.