Language of document : ECLI:EU:T:2013:438

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

16 septembre 2013(*)

« Concurrence – Ententes – Marché espagnol du bitume de pénétration – Accords annuels de répartition du marché et de coordination des prix – Traduction de la communication des griefs – Imputabilité du comportement infractionnel – Délai raisonnable – Principe d’impartialité – Calcul du montant de l’amende – Autorité de la chose jugée »

Dans l’affaire T‑497/07,

Compañía Española de Petróleos (CEPSA), SA, établie à Madrid (Espagne), représentée initialement par Mes O. Armengol i Gasull, P. Pérez-Llorca Zamora et Á. Pascual Morcillo, puis par Mes Armengol i Gasull et J. Rodríguez Cárcamo, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. F. Castillo de la Torre, en qualité d’agent, assisté initialement de Me J. Rivas Andrés, avocat, et de Mme M. Heenan Bróna, solicitor, puis de Mes Rivas Andrés et J. Gutiérrez Gisbert, avocat, et enfin de Me Rivas Andrés,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2007) 4441 final de la Commission, du 3 octobre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] [affaire COMP/38.710 – Bitume (Espagne)], ainsi qu’une demande de réduction du montant de l’amende infligée à la requérante par cette décision,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. L. Truchot (rapporteur), président, Mme M. E. Martins Ribeiro et M. A. Popescu, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 janvier 2013,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par la décision C (2007) 4441 final, du 3 octobre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] [affaire COMP/38.710 – Bitume (Espagne)], dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 29 décembre 2009 (JO C 321, p. 15; ci-après la « décision attaquée »), la Commission des Communautés européennes a, d’une part, constaté la participation des treize sociétés destinataires de cette décision à un ensemble d’accords de répartition du marché et de coordination des prix du bitume de pénétration routier en Espagne (à l’exception des îles Canaries) et, d’autre part, infligé à dix de ces sociétés des amendes comprises entre 6 435 000 et 83 850 000 euros.

2        Ces dix sociétés ont introduit un recours contre cette décision, par requêtes déposées au greffe du Tribunal entre le 18 et le 20 décembre 2007 :

–        Repsol Lubricantes y Especialidades, SA, anciennement Repsol Lubricantes YPF y Especialidades, SA, Repsol Petróleo, SA et Repsol, SA, anciennement Repsol YPF, SA (ci-après, prises ensemble, « Repsol »), dans l’affaire T‑496/07 ;

–        Productos Asfálticos (PROAS), SA, dans l’affaire T‑495/07 ;

–        Compañía Española de Petróleos (CEPSA), SA (ci-après « CEPSA » ou la « requérante »), dans l’affaire T‑497/07 ;

–        Nynäs Petroleum AB et Nynas Petróleo, SA (ci-après, prises ensemble, « Nynäs »), dans l’affaire T‑482/07 ;

–        Galp Energía España, SA, Petróleos de Portugal (Petrogal), SA et Galp Energia, SGPS, SA (ci-après, prises ensemble, « Petrogal » ou « Galp »), dans l’affaire T‑462/07.

A –  Marché en cause

3        Le produit concerné par l’infraction est le bitume de pénétration utilisé pour le revêtement des routes. Le bitume est un résidu de la distillation de types spécifiques de bruts lourds. Environ 85 % du bitume produit dans l’Union européenne est utilisé pour la construction et l’entretien de routes, sous la forme d’un adhésif servant à lier le granulat de l’asphalte. Les 15 % restants sont utilisés dans d’autres domaines de la construction, notamment les revêtements de pistes d’aéroport et de parkings, et dans des applications industrielles, telles que les couvertures de toit et les enrobages de tuyau.

4        Environ 80 % du bitume utilisé pour la construction et l’entretien des routes ne font pas l’objet d’une transformation supplémentaire : il s’agit du bitume de pénétration. Les 20 % résiduels du bitume utilisé pour la construction et l’entretien des routes sont soumis à une transformation supplémentaire, par exemple, en émulsions bitumineuses, produites par mélange du bitume de pénétration avec de l’eau au moyen d’un émulsifiant (utilisé davantage dans l’entretien que dans la construction de routes), et en bitumes modifiés, obtenus en mélangeant le bitume de pénétration avec un produit chimique, usuellement constitué de polymères, afin de les rendre plus performants (bitumes modifiés par des polymères ou BMP) (considérants 4, 9 et suivants de la décision attaquée).

5        Le considérant 15 de la décision attaquée définit le marché pertinent comme étant celui du bitume de pénétration qui n’a pas subi de transformation supplémentaire et qui est utilisé dans la construction et l’entretien des routes (ci-après le « bitume de pénétration » ou le « bitume »).

6        Cette définition du marché pertinent est confirmée en ces termes par le considérant 513 de la décision attaquée :

« [… L]a présente affaire concerne une entente entre des vendeurs du même produit dans la même zone commerciale, à savoir le bitume de pénétration en Espagne […] »

7        La valeur du marché du bitume de pénétration espagnol est estimée à 286 400 000 euros pour l’année 2001, dernière année complète de l’infraction (considérant 67 de la décision attaquée).

B –  Entreprises en cause

8        L’Espagne compte, d’une part, trois producteurs de bitume, Repsol, CEPSA‑PROAS et le groupe BP, dont BP plc est le holding et dont BP España, SA et BP Oil España, SA sont des filiales exerçant leur activité en Espagne (ci-après ? prises ensemble ? « BP »), ET d’autre part, des importateurs, au nombre desquels figurent Nynäs et Petrogal (considérants 63 et 64 de la décision attaquée).

1.     Groupe Repsol

9        Repsol Productos Asfálticos, SA (RPA) est devenue Repsol Lubricantes YPF y Especialidades (ci-après « RPA/Rylesa ») le 12 décembre 2001. RPA/Rylesa a été détenue de 1991 à 2002 à raison de 99,99 % par Repsol Petróleo, elle-même filiale à 99,97 % de Repsol YPF, société faîtière du groupe Repsol. Ce groupe international de compagnies pétrolières est présent principalement en Espagne et en Amérique latine.

10      RPA/Rylesa produit et commercialise des produits de bitume. Une des activités de Repsol Petróleo est la production de bitume de pénétration et sa vente à RPA/Rylesa en vue de sa commercialisation.

11      Deux autres sociétés du groupe Repsol, Petróleos del Norte, SA (ci-après « Petronor ») et Asfalnor, SA, exercent en Espagne une activité liée au bitume de pénétration.

12      En 1991, Petronor était détenue à 56,19 % par Repsol YPF et cette participation a été portée à 85,98 % le 31 décembre 1992. Asfalnor était détenue à 60 % par Petronor en 1991 et, en avril 1992, les sociétés du groupe Repsol en détenaient 80 %, à raison de 60 % pour Petronor et de 20 % pour Repsol YPF (considérant 395 de la décision attaquée).

13      Petronor produit du bitume, qu’elle a vendu de 1990 à 1998 à Asfalnor et occasionnellement à RPA/Rylesa, en vue de sa commercialisation. Depuis 1999, Petronor vend du bitume directement à des tiers.

14      Asfalnor a commercialisé du bitume entre 1990 et 1998. Cette société a acheté du bitume à Petronor et occasionnellement à RPA/Rylesa. Depuis 1999, Asfalnor agit comme agent pour le compte de Petronor.

15      RPA/Rylesa et Petronor ont réalisé en Espagne au titre de leurs ventes de bitume de pénétration à des tiers un chiffre d’affaires de 97 500 000 euros au cours de l’exercice 2001, soit 34,04 % du marché en cause. Le chiffre d’affaires total consolidé du groupe Repsol a été de 51 355 000 000 euros en 2006, l’exercice précédant l’adoption de la décision attaquée (considérants 16 à 26 et 67 de la décision attaquée).

2.     CEPSA-PROAS

16      CEPSA est un groupe international de sociétés du secteur de l’énergie coté en Bourse et présent dans plusieurs pays. PROAS, filiale à 100 % de CEPSA depuis le 1er mars 1991, commercialise du bitume produit par CEPSA et produit et commercialise d’autres produits bitumeux (considérant 31 de la décision attaquée).

17      PROAS a réalisé en Espagne au titre de ses ventes de bitume de pénétration à des tiers un chiffre d’affaires de 90 700 000 euros au cours de l’exercice commercial 2001, soit 31,67 % du marché en cause. Le chiffre d’affaires total consolidé de CEPSA s’est élevé à 18 474 000 000 euros en 2006 (considérants 44 et 67 de la décision attaquée).

3.     BP

18      BP Oil España a réalisé en Espagne, au titre de ses ventes de bitume de pénétration à des tiers, un chiffre d’affaires de 43 500 000 euros au cours de l’exercice commercial 2001, soit 15,19 % du marché en cause. Le chiffre d’affaires total consolidé de BP a été de 211 776 000 000 euros en 2006 (considérants 35, 42 et 43 de la décision attaquée).

4.     Groupe Nynäs

19      Le groupe Nynäs, dont AB Nynäs Petroleum (ci-après « Nynäs Petroleum »), société suédoise, est le holding faîtier, produit et vend du bitume au niveau international. Nynas Petróleo commercialise du bitume en Espagne (considérants 46 et 53 de la décision attaquée).

20      Du 22 mai 1991 jusqu’en 1999, Nynas Petróleo était détenue à 100 % par la société holding Nynäs International BV. Celle-ci était elle-même au cours de la même période une filiale intégrale de Nynäs Petroleum (considérant 438 de la décision attaquée).

21      En 1999, Nynäs Petroleum a racheté à Nynäs International la totalité du capital souscrit de Nynas Petróleo, qui est restée filiale à 100 % de Nynäs Petroleum jusqu’en 2003 (considérant 439 de la décision attaquée). Le 12 juin 2003, Nynäs International a été liquidée. Après sa dissolution, son capital social a été remboursé à Nynäs Petroleum, qui est ainsi devenue son successeur économique et a endossé la responsabilité de l’infraction antérieurement commise par Nynäs International, celle-ci ayant cessé d’exister en tant qu’entité juridique distincte (considérant 440 de la décision attaquée).

22      Le groupe Nynäs n’a pas de site de production en Espagne, mais possède un dépôt de bitume à Villagarcía de Arosa, en Galice (Espagne). Nynas Petróleo a son siège à Madrid (Espagne) et son activité consiste en la vente et en la commercialisation de bitume en Espagne (considérant 53 de la décision attaquée).

23      Nynas Petróleo a réalisé en Espagne au titre de ses ventes de bitume de pénétration à des tiers un chiffre d’affaires situé entre 14 000 000 et 15 000 000 euros au cours de l’exercice commercial 2001, soit 4,89 à 5,24 % du marché en cause. Le chiffre d’affaires total consolidé du groupe Nynäs s’est élevé à 1 941 000 000 euros en 2006 (considérants 54 et 67 de la décision attaquée).

5.     Groupe Petrogal

24      De 1990 à 2003, les actifs de Galp Energía España (anciennement Petrogal Española, SA) ont été détenus à 89,29 % par Petróleos de Portugal et à 10,71 % par Tagus, RE, compagnie d’assurances elle-même contrôlée à 98 % par Petróleos de Portugal. Depuis 2003, Galp Energía España est une filiale à 100 % de Petróleos de Portugal. Celle-ci est, quant à elle, une filiale détenue à 100 % par Galp Energia, SGPS depuis le 22 avril 1999 (considérants 56, 57, 59, 456 et 458 de la décision attaquée).

25      Galp Energía España a pour activité la vente et la commercialisation de bitume en Espagne. Son chiffre d’affaires afférent au bitume vendu aux parties non liées en Espagne s’est élevé à 13 000 000 euros en 2001, dernière année complète de l’infraction, soit 4,54 % du marché en cause. Le chiffre d’affaires total consolidé de Galp Energia, SGPS a représenté 12 576 000 000 euros en 2006 (considérants 61 et 67 de la décision attaquée).

C –  Procédure administrative

26      Par lettre du 20 juin 2002, BP a informé la Commission de l’existence présumée d’une entente relative au marché du bitume routier et a présenté une demande visant à obtenir une immunité d’amende sur le fondement de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication de 2002 »). La demande comportait une lettre et huit annexes décrivant des activités anticoncurrentielles présumées sur le marché espagnol du bitume (considérant 79 de la décision attaquée).

27      Au cours d’une réunion qui s’est tenue le 25 juin 2002 avec les services de la Commission, BP a développé sa demande d’immunité et produit des documents à son soutien. BP a présenté des informations complémentaires les 4, 8 et 10 juillet 2002 (considérant 80 de la décision attaquée).

28      Le 19 juillet 2002, la Commission a accordé à BP une immunité d’amende conditionnelle, conformément au paragraphe 8, sous a), de la communication de 2002 (considérant 81 de la décision attaquée).

29      Sur le fondement de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17/62 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), tel que modifié ultérieurement, des vérifications ont été effectuées les 1er et 2 octobre 2002. Repsol, PROAS, BP, Nynäs et Petrogal étaient concernées (considérant 82 de la décision attaquée).

30      BP a fourni le 21 octobre 2002 des informations complémentaires relatives aux activités anticoncurrentielles présumées sur le marché en cause (considérant 83 de la décision attaquée).

31      Le 5 novembre 2003, les services de la Commission ont entendu M. A. T., responsable du département « Bitume » de BP España, en vertu de l’obligation de coopération de BP. À la suite de cet entretien, BP a fourni le 1er décembre 2003 des informations techniques sur le bitume (considérant 84 de la décision attaquée).

32      Le 6 février 2004, la Commission a envoyé aux entreprises concernées une première série de demandes de renseignements en application de l’article 11, paragraphe 3, du règlement n° 17, ainsi qu’une demande de renseignements informelle à BP (considérant 85 de la décision attaquée).

33      Repsol a présenté la majeure partie de sa réponse le 6 avril 2004 et, reste, le 20 avril 2004. PROAS a fourni ses réponses concernant le marché espagnol le 21 avril 2004 (considérant 86 de la décision attaquée).

34      Par télécopie du 31 mars 2004, Repsol a présenté à la Commission une demande au titre de la communication de 2002, accompagnée d’une déclaration d’entreprise (considérant 87 de la décision attaquée).

35      Le 2 avril 2004, une demande de renseignements supplémentaire concernant les documents découverts pendant la vérification effectuée à son siège a été adressée à Repsol, qui y a répondu le 22 avril 2004 (considérant 88 de la décision attaquée).

36      Par télécopie du 5 avril 2004, PROAS a présenté à la Commission une demande au titre de la communication de 2002, accompagnée d’une déclaration d’entreprise (considérant 89 de la décision attaquée).

37      Le 20 avril 2004, Repsol a déposé deux fascicules de pièces complétant sa demande au titre de la communication de 2002 (considérant 90 de la décision attaquée).

38      Le 24 octobre 2005, la Commission a envoyé aux sociétés concernées une deuxième série de demandes de renseignements en vertu de l’article 18, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1) (considérant 91 de la décision attaquée).

39      Repsol et PROAS ont répondu, respectivement, le 8 novembre et le 18 novembre 2005 (considérant 92 de la décision attaquée).

40      Le 29 mars 2006, la Commission a envoyé une troisième demande de renseignements à Repsol et à PROAS, ainsi qu’une demande de renseignements informelle à BP. Repsol a répondu le 5 avril 2006, BP le 6 avril 2006 et PROAS le 7 avril 2006 (considérants 93 et 94 de la décision attaquée).

41      Afin de clarifier le degré d’implication dans l’entente de BP, de Nynäs et de Petrogal, la Commission a envoyé le 26 avril 2006 à Repsol et à PROAS une quatrième demande de renseignements, à laquelle Repsol et PROAS ont répondu le 9 mai suivant (considérants 95 et 96 de la décision attaquée).

42      Le 22 mai 2006, la Commission a envoyé à Repsol, à PROAS et à Petrogal une cinquième demande de renseignements, relative à des questions de responsabilité. PROAS a répondu le 29 mai 2006. Repsol et Petrogal ont répondu le 30 mai suivant (considérants 98 et 99 de la décision attaquée)

43      Par lettres du 2 août 2006, la Commission a informé Repsol et PROAS, en vertu du paragraphe 26 de la communication de 2002, de son intention de leur appliquer, conformément au paragraphe 23, sous b), de ladite communication, une réduction du montant de toute amende éventuelle à raison de 30 à 50 % pour Repsol et de 20 à 30 % pour PROAS (considérants 100 et 101 de la décision attaquée).

44      Le 22 août 2006, la Commission a pris la décision d’ouvrir la procédure dans la présente affaire (troisième visa de la décision attaquée).

45      Du 24 au 28 août 2006, la Commission a notifié à BP, à Repsol, à CEPSA‑PROAS, à Nynäs et à Petrogal la communication des griefs adoptée le 22 août précédent (considérant 102 de la décision attaquée, troisième visa de ladite décision).

46      Les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 ») ont remplacé, à compter du 1er septembre 2006, les lignes directrices du 14 janvier 1998 pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, (CA) (JO 1998, C 9, p. 3 ; ci-après les « lignes directrices de 1998 »).

47      BP, Repsol, PROAS (à l’exclusion de CEPSA), Nynäs et Petrogal ont exercé leur droit d’accès aux éléments du dossier de la Commission uniquement accessibles au siège de l’institution (considérant 103 de la décision attaquée).

48      BP, Repsol, CEPSA-PROAS, Nynäs et Petrogal ont répondu par écrit dans les délais prescrits aux griefs retenus à leur égard (considérant 104 de la décision attaquée).

49      Tous les destinataires de la décision attaquée, à l’exception de Repsol Petróleo, de Repsol YPF et de CEPSA, se sont prévalus de leur droit à être entendus oralement. L’audition s’est tenue le 12 décembre 2006 (considérant 105 de la décision attaquée).

50      Le 16 février 2007, la Commission a adressé à toutes les entreprises concernées une demande de renseignements visant à obtenir la confirmation ou la correction des chiffres de ventes de bitume de pénétration précédemment fournis ainsi que des informations sur le chiffre d’affaires réalisé par chaque groupe au titre de l’exercice 2006 (considérant 106 de la décision attaquée).

D –  Décision attaquée

1.     Constatation de l’infraction

51      La décision attaquée constate que les treize sociétés qui en sont destinataires ont enfreint l’article 81 CE en participant à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans la commercialisation du bitume de pénétration sur le territoire espagnol (à l’exception des îles Canaries).

52      La Commission a identifié, dans l’infraction constatée, deux ensembles, d’une part, un partage du marché et, d’autre part, une coordination des prix consistant en des accords sur le relèvement ou la réduction des prix du bitume d’un montant équivalent et mis en œuvre simultanément (considérant 366 de la décision attaquée).

53      Les différents comportements infractionnels, ou composantes, qui ont été identifiés sont les suivants :

–        l’établissement de quotas de ventes ;

–        la répartition des volumes de produit et des clients entre tous les participants à l’entente, sur la base de ces quotas ;

–        le contrôle de la mise en œuvre du partage du marché et des clients, au moyen d’échanges d’informations sur les volumes de ventes ;

–        la création d’un mécanisme de compensation destiné à corriger les écarts survenus en ce qui concerne le partage du marché et des clients convenu ;

–        l’accord sur la modification des prix du bitume et la date d’application des nouveaux prix ;

–        la participation à des réunions régulières et à d’autres contacts afin de convenir des restrictions à la concurrence exposées ci-dessus et de les mettre en œuvre ou de les modifier en fonction des besoins (considérant 373 de la décision attaquée).

54      En premier lieu, la Commission a décrit les activités de partage du marché sur la base des déclarations que BP, Repsol et PROAS lui ont présentées dans leurs demandes au titre de la communication de 2002 et en réponse aux demandes de renseignements de la Commission (considérant 122 de la décision attaquée).

55      La Commission a considéré que l’existence de ces activités était confirmée par des éléments de preuve contemporains des faits incriminés, à savoir des documents obtenus au cours des vérifications et d’autres pièces contemporaines communiquées dans des demandes de clémence ou dans des réponses à des demandes de renseignements (considérant 123 de la décision attaquée).

56      Il ressort de sa demande d’immunité que, lorsque BP a commencé à produire du bitume de pénétration en Espagne en juillet 1991, elle a constaté que Repsol et PROAS étaient impliquées dans un accord continu de partage du marché en cause et que BP devait y participer pour pénétrer sur ce marché avec quelque succès (considérant 119 de la décision attaquée).

57      D’autres fournisseurs de bitume présents sur le marché espagnol ont coordonné leurs ventes avec Repsol, PROAS et BP : Nynäs et Petrogal auraient participé à l’entente, la première, au moins à partir de 1991, la seconde, au moins à partir de 1995 (considérant 120 de la décision attaquée).

58      Selon les déclarations de Repsol et de PROAS, les parties à l’entente ont entretenu des contacts aux fins du partage du marché autour d’une table de négociation appelée « table de l’asphalte » réunissant Repsol (RPA/Rylesa, Asfalnor et Petronor), PROAS et BP, mais également Nynäs et Petrogal, même si celles-ci n’ont participé qu’aux discussions concernant leur zone d’influence et de manière bilatérale avec Repsol ou PROAS, et non avec d’autres membres de l’entente (considérants 124 et 129 de la décision attaquée).

59      La Commission a identifié les phases suivantes du mécanisme de répartition du marché en cause mis en œuvre dans le cadre de l’entente constatée :

a)      une analyse interne du marché, effectuée vers le mois de septembre et au cours de laquelle chaque producteur aurait préparé séparément pour l’exercice commercial suivant une étude de marché estimant la consommation de bitume en Espagne ;

b)      une répartition préalable en interne du marché, accomplie vers le mois d’octobre et consistant en la préparation, par chaque producteur de bitume, d’un projet de répartition du marché à présenter lors des négociations avec ses concurrents ;

c)      un accord sur la taille du marché, c’est-à-dire sur la consommation totale de bitume à prévoir pour l’exercice commercial suivant, conclu aux alentours du mois de novembre entre Repsol, PROAS et BP ;

d)      des négociations de partage du marché prévisionnel ainsi défini, conduites en décembre-janvier ;

e)      l’accord annuel de partage du marché : de 1994 à 2000, les directeurs commerciaux compétents de Repsol et de PROAS auraient normalement tenu les discussions de clôture en décembre-janvier, afin de résoudre les problèmes de répartition du marché encore pendants ; le document contenant l’accord de partage du marché au titre d’un exercice commercial donné aurait été dénommé « PTT » ou « Petete » ;

f)      la communication des informations à Nynäs et à Petrogal et la négociation avec elles : une fois conclue la répartition du marché par les trois producteurs de bitume, Repsol ou PROAS auraient tenu une réunion avec Nynäs et une autre avec Petrogal, afin de les informer et de négocier les volumes de vente et les clients qui leur seraient attribués à chacune dans sa zone d’influence respective (considérant 130 de la décision attaquée).

60      En second lieu, la Commission a constaté que les activités de coordination des prix avaient constitué un élément de support nécessaire aux activités de partage du marché en garantissant que la répartition des volumes et des clients convenue ne soit pas affectée par l’application de politiques de prix indépendantes de la part des fournisseurs (considérant 290 de la décision attaquée).

61      La Commission a décrit les accords sur les prix en se fondant sur les déclarations spontanées de BP, de Repsol et de PROAS et sur les réponses aux demandes de renseignements. La Commission a présenté ensuite une vue d’ensemble chronologique des documents contemporains en sa possession permettant de confirmer les accords sur les prix décrits dans les déclarations précitées (considérant 291 de la décision attaquée).

62      Les modifications des prix et la date de leur mise en œuvre auraient été généralement décidées entre Repsol et PROAS, qui auraient informé ensuite BP, Nynäs et Petrogal de leurs conclusions (considérant 354 de la décision attaquée).

63      La Commission a ensuite retenu que l’ensemble des accords ou pratiques concertées avait eu pour objet de restreindre la concurrence en Espagne (à l’exception des îles Canaries), partie substantielle du marché intérieur (considérant 371 de la décision attaquée).

64      La Commission a rappelé que, selon la jurisprudence, la prise en considération des effets concrets d’un accord était superflue, dès lors qu’il apparaissait avoir pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur. Par conséquent, la démonstration d’effets anticoncurrentiels réels ne serait pas requise, lorsque l’objet anticoncurrentiel des comportements reprochés est établi (considérant 375 de la décision attaquée).

65      Il en irait de même des pratiques concertées. Même si, aux termes de l’article 81 CE, la notion de pratique concertée impliquait, outre la concertation entre les entreprises, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments, il y aurait lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur le marché. Il en serait d’autant plus ainsi lorsque la concertation a lieu sur une base régulière au cours d’une longue période. Une telle pratique concertée relèverait alors de l’article 81 CE, même en l’absence d’effets anticoncurrentiels sur le marché (considérant 331 de la décision attaquée).

66      Néanmoins, en l’espèce, la Commission a estimé avoir également prouvé, sur la base des éléments présentés dans la décision attaquée, que les accords de l’entente avaient été mis en œuvre et qu’ils avaient probablement produit des effets anticoncurrentiels réels (considérant 376 de la décision attaquée).

67      Par ailleurs, la Commission a considéré comme établi que le personnel de PROAS avait participé à l’entente (considérant 416 de la décision attaquée).

68      À la lumière de la jurisprudence sur la présomption d’exercice effectif par une société mère d’une influence déterminante sur sa filiale détenue à 100 % et compte tenu des liens de participation entre PROAS et CEPSA, la Commission a conclu que ces deux entreprises avaient constitué, pendant toute la durée de l’entente, une seule entreprise aux fins de l’application de l’article 81 CE (considérant 418 de la décision attaquée).

69      En plus de la présomption, fondée sur la propriété, selon laquelle les sociétés mères exercent une influence déterminante sur leurs filiales détenues intégralement, la Commission s’est fondée sur des indices supplémentaires montrant selon elle que PROAS et CEPSA appartenaient à une entité économique unique et avaient, par conséquent, constitué une seule entreprise. La liste de ces indices est donnée au considérant 419 de la décision attaquée, ainsi rédigé :

« […]

a)      PROAS a commercialisé tout le bitume produit par sa société mère CEPSA dans ses raffineries, créant ainsi des liens verticaux et des synergies au sein du groupe CEPSA. En effet, comme ceci a été expliqué par PROAS, PROAS a communiqué mensuellement à CEPSA ses besoins en bitume ;

b)      les résultats financiers de PROAS ont été fusionnés avec ceux de CEPSA, de sorte que les bénéfices ou les pertes de la première, y compris tous les bénéfices résultant de l’entente, ont été reflétés dans les bénéfices ou les pertes de l’ensemble du groupe CEPSA ;

c)      dans ses rapports mensuels, la direction de PROAS a informé son conseil d’administration, nommé par CEPSA, des ventes de la filiale, des importations et des exportations, des produits, de la situation du marché et de la situation financière, afin de permettre à CEPSA de superviser les résultats de PROAS ;

d)      PROAS s’est associée au nom de CEPSA dans ses relations commerciales : par exemple, les accords d’échange conclus par PROAS avec Nynäs en Espagne en 1999, 2000 et 2001 sont intitulés ‘Accord entre Nynas Petróleo, SA et PROAS (CEPSA)’ et, dans des documents contemporains relatifs à l’infraction, PROAS est nommée ‘CEPSA’ (voir, par exemple, considérants 206, 210, 213, 216, 273, 278 et 284). »

2.     Calcul du montant des amendes

70      La Commission a rappelé que, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, elle pouvait, par voie de décision, infliger aux entreprises des amendes lorsque celles-ci commettent, de propos délibéré ou par négligence, une infraction aux dispositions de l’article 81 CE. Elle a indiqué également que, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, applicable au moment de l’infraction, l’amende pour chaque entreprise participant à l’entente ne pouvait dépasser 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice précédent et que l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003 instaurait la même limitation (considérant 496 de la décision attaquée).

71      La Commission a considéré que chacune des deux restrictions à la concurrence constatées, à savoir les accords horizontaux de partage du marché et la coordination des prix, relevait, par sa nature même, des types d’infractions les plus graves à l’article 81 CE, lesquels sont susceptibles de justifier, selon la jurisprudence, la qualification d’infractions « très graves » uniquement au vu de leur nature, sans qu’il soit nécessaire qu’un tel comportement couvre une zone géographique particulière ou ait un impact particulier (considérant 500 de la décision attaquée).

72      La Commission a jugé impossible de mesurer l’impact réel de l’entente sur le marché, en raison, notamment, de l’insuffisance d’informations sur l’évolution probable que les prix nets du bitume en Espagne auraient suivie en l’absence d’accords. La Commission ne s’est pas estimée tenue de démontrer avec précision le véritable impact de l’entente sur le marché ni de le quantifier, mais a considéré qu’elle pouvait se limiter à des estimations de la probabilité d’un tel effet. En tout état de cause, la Commission a considéré que les accords de l’entente avaient été mis en œuvre et qu’il était probable qu’ils aient produits des effets anticoncurrentiels réels (considérant 501 de la décision attaquée).

73      Eu égard à la nature de l’infraction, la Commission a considéré que Repsol, PROAS, BP, Nynäs et Petrogal avaient commis une infraction très grave à l’article 81 CE et précisé que cette conclusion était formulée indépendamment de la question de savoir si l’entente avait eu un impact mesurable sur le marché. La Commission a ajouté qu’elle prenait en compte le fait que la collusion avait concerné uniquement le marché espagnol (considérant 509 de la décision attaquée).

a)     Détermination et adaptation du « montant de départ » des amendes

74      La Commission a fixé le « montant de départ » des amendes à infliger en prenant en compte la gravité de l’infraction, la valeur du marché en cause estimée à 286 400 000 euros en 2001, dernière année complète de l’infraction, et le fait que l’infraction était limitée aux ventes de bitume effectuées dans un seul État membre. Compte tenu des éléments qui précèdent, la Commission a fixé le montant de départ des amendes à 40 000 000 euros (considérant 510 de la décision attaquée).

75      La Commission a ensuite classé les entreprises destinataires de la décision attaquée en différentes catégories définies en fonction de leur importance relative sur le marché en cause, aux fins de l’application du traitement différencié, de façon à tenir compte de leur capacité économique effective à causer un préjudice grave à la concurrence. À cette fin, la Commission s’est fondée sur leurs parts, exprimées en valeur des ventes, du marché du bitume de pénétration routier espagnol au titre de l’exercice 2001 (considérants 511 et 512 de la décision attaquée).

76      Repsol et PROAS, dont les parts du marché en cause s’élevaient, respectivement, à 34,04 % et à 31,67 % au titre de l’exercice 2001, ont été classées dans la première catégorie, BP, avec une part de marché de 15,19 %, dans la deuxième catégorie, et Nynäs et Petrogal, dont les parts de marché se situaient entre 4,54 et 5,24 %, dans la troisième catégorie. Sur cette base, les montants de départ des amendes à infliger ont été adaptés comme suit (considérants 514 et 515 de la décision attaquée) :

–        première catégorie, pour Repsol et PROAS : 40 000 000 euros ;

–        deuxième catégorie, pour BP : 18 000 000 euros ;

–        troisième catégorie, pour Nynäs et Petrogal : 5 500 000 euros.

77      Afin de déterminer le montant des amendes à un niveau en garantissant l’effet suffisamment dissuasif, la Commission a considéré comme approprié d’appliquer à l’amende à infliger à BP et à Repsol un multiplicateur de 1,8 et de 1,2, respectivement, en fonction de leur chiffre d’affaires global de 2006, dernier exercice précédant l’adoption de la décision attaquée, mais de ne pas appliquer un multiplicateur à l’amende à infliger à PROAS, à Nynäs et à Petrogal (considérant 521 de la décision attaquée).

78      Les montants de départ des amendes ont donc été adaptés comme suit (considérant 522 de la décision attaquée) :

–        Repsol : 48 000 000 euros ;

–        PROAS : 40 000 000 euros ;

–        BP : 32 400 000 euros ;

–        Nynäs : 5 500 000 euros ;

–        Petrogal : 5 500 000 euros.

b)     Durée de l’infraction

79      La Commission a estimé que Repsol et PROAS devaient répondre de leur participation à l’infraction du 1er mars 1991 au 1er octobre 2002, soit une période de onze ans et sept mois.

80      La Commission a estimé que BP devait répondre de sa participation à l’infraction du 1er août 1991 au 20 juin 2002, soit une période de dix ans et dix mois.

81      La Commission a estimé que Nynas Petróleo devait répondre de sa participation à l’infraction du 1er mars 1991 au 1er octobre 2002, soit une période de onze ans et sept mois et que Nynäs Petroleum devait répondre de sa participation à l’infraction du 22 mai 1991 au 1er octobre 2002, soit une période de onze ans et quatre mois.

82      Enfin, la Commission a estimé que Galp Energía España (anciennement Petrogal Española) et Petróleos de Portugal devaient répondre de leur participation à l’infraction du 31 janvier 1995 au 1er octobre 2002, soit une période de sept ans et huit mois, et Galp Energia, SGPS, du 22 avril 1999 au 1er octobre 2002, soit une période de trois ans et cinq mois (considérant 523 de la décision attaquée).

83      La Commission a majoré le montant de départ des amendes de 10 % par année complète d’infraction et de 5 % pour toute période supplémentaire égale ou supérieure à six mois, mais inférieure à un an. Les majorations à appliquer au montant de départ des amendes se sont donc établies comme suit (considérants 524 et 525 de la décision attaquée) :

–        Repsol : 115 % ;

–        PROAS : 115 % ;

–        BP : 105 % ;

–        Nynäs :

–        Nynas Petróleo : 115 % ;

–        Nynäs Petroleum : 110 % ;

–        Petrogal :

–        Galp Energía España et Petróleos de Portugal : 75 % ;

–        Galp Energia, SGPS : 30 %.

84      Les montants des amendes à infliger à chaque entreprise ont donc été les suivants (considérant 526 de la décision attaquée) :

–        Repsol : 103 200 000 euros ;

–        PROAS : 86 000 000 euros ;

–        BP : 66 420 000 euros ;

–        Nynäs :

–        Nynas Petróleo : 11 825 000 euros ;

–        Nynäs Petroleum : 11 550 000 euros ;

–        Petrogal :

–        Galp Energía España et Petróleos de Portugal : 9 625 000 euros ;

–        Galp Energia, SGPS : 7 150 000 euros.

c)     Circonstances aggravantes

85      La Commission a exposé ce qui suit au considérant 534 de la décision attaquée :

« a)      les coordinateurs de la ‘table de l’asphalte’ étaient un salarié de Repsol et un salarié de PROAS (voir considérant 145) ;

b)      Repsol et PROAS ont organisé les réunions de l’entente et celles-ci étaient normalement présidées par un salarié de Repsol (voir considérant 145) ;

c)      lorsque les réunions de l’entente étaient tenues dans des hôtels, les factures étaient normalement payées par Repsol ou par PROAS (voir considérant 148) ;

d)      comme le rapportent BP, Repsol et PROAS, ces deux dernières entreprises ont décidé bilatéralement des modifications des prix du bitume et du moment auquel elles devaient être mises en œuvre, puis ont communiqué les décisions prises aux autres opérateurs du marché (voir considérant 302) ;

e)      à partir du début de l’entente, en ce qui concerne Nynäs, et à partir du moment où elle a rejoint l’entente en 1995, en ce qui concerne Petrogal, Repsol et PROAS ont organisé des réunions avec chacune de ces deux entreprises séparément afin de négocier leurs parts de marché dans leur zone de ventes (voir considérant 130). BP était seulement présente pendant les négociations concernant sa zone d’influence, mais n’a pas participé aux négociations traitant de la position de Repsol et de PROAS (voir considérant 137) ni à celles tenues avec Nynäs et Petrogal. Cela montre que, au lieu de réunir sur un pied d’égalité les cinq participants au cartel, les négociations de partage des marchés étaient tenues bilatéralement entre Repsol et PROAS d’un côté, et chacun des trois autres participants à l’entente de l’autre côté ;

f)      de 1994 à 2000 (c’est-à-dire, durant sept des quelque douze années de la durée de l’entente), tout problème en suspens concernant la répartition du marché procédant de l’accord annuel faisait l’objet d’un accord final entre Repsol et PROAS (voir considérant 130) ;

g)      des éléments de preuve contemporains de 1991 et 1992 rédigés par BP, rapportent que ‘Repsol a négocié avec Nynäs leur entrée officielle sur le marché espagnol’, et qu’il a été attribué à Nynäs 3,74 % du marché ‘par décision expresse de Repsol et de CEPSA’ (voir considérants 201 et 206) ;

h)      Repsol et PROAS ont offert à Petrogal une attribution de part de marché dans sa zone géographique d’influence (voir considérant 125) ;

i)      pendant la période au cours de laquelle BP a suspendu sa participation aux réunions de la ‘table de l’asphalte’, soit Repsol, soit PROAS lui ont fourni une copie de l’accord de partage des marchés (voir considérant 172) ;

j)      BP a rapporté entretenir des conversations téléphoniques de contrôle bimensuelles, soit avec Repsol, soit avec PROAS, et que l’une de ces deux entreprises a recueilli les données de BP sur les volumes de ventes (voir considérant 184) ;

k)      dans le contexte des contacts de contrôle tenus à partir de 2001, Repsol et PROAS ont déterminé des prix pour de nouveaux travaux et ont attribué de nouveaux travaux non compris dans l’accord annuel de partage des marchés (voir considérant 187) ;

l)      Repsol a produit un graphique fixant les volumes à fournir par Nynäs en 2001 qui, selon Repsol, avaient été préparés en commun par Repsol et PROAS, puis communiqués à Nynäs (voir considérant 265) ;

m)      les données estimatives des volumes du marché pour 2002 comprises dans certains graphiques préparés par PROAS ont été ultérieurement vérifiées par Repsol à la ‘table de l’asphalte’ (voir considérant 270) ;

n)      PROAS a expliqué qu’un certain document contient la consommation par province prévue par Repsol et PROAS pour 2002 et l’accord conclu par ces deux entreprises sur ces volumes de consommation (voir considérant 271) ».

86      Au vu de ces éléments, la Commission a considéré que Repsol et PROAS avaient été les moteurs significatifs de l’entente, car elles avaient attribué les parts de marché aux nouveaux membres de l’entente, avaient pris des décisions concernant la taille globale du marché, s’étaient mises d’accord sur les problèmes non résolus liés au partage du marché, avaient négocié bilatéralement et séparément avec les autres participants à l’entente les volumes et les clients devant leur être attribués dans leur zone d’influence respective, avaient rassemblé des données sur les volumes de ventes des autres participants, organisé et présidé les réunions de l’entente, couvert les frais de la majorité de celles-ci et étaient convenues bilatéralement des modifications de prix qu’elles avaient ensuite communiquées aux autres opérateurs du marché (considérant 535 de la décision attaquée).

87      La Commission a conclu que le montant de l’amende à infliger à Repsol et à PROAS devait être majoré de 30 % (considérant 536 de la décision attaquée). Le montant de leur amende a donc été porté à 134 160 000 euros pour Repsol et à 111 800 000 euros pour PROAS (considérant 568 de la décision attaquée).

d)     Application de la communication de 2002

88      La Commission a rappelé avoir ouvert son enquête à la suite de la demande d’immunité d’amende de BP présentée sur le fondement de la communication de 2002. Elle a ajouté que Repsol et PROAS avaient ultérieurement présenté une demande de réduction du montant de l’amende en vertu du même texte (considérant 569 de la décision attaquée).

89      La Commission a reconnu à BP le droit à l’immunité de l’amende qui aurait normalement dû lui être infligée après avoir constaté qu’elle avait satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 11 de la communication de 2002, lesquelles sont relatives à la coopération avec la Commission, à la cessation de la participation à l’infraction et à l’absence de mesures visant à contraindre d’autres entreprises à participer à l’infraction (considérant 573 de la décision attaquée).

90      La Commission a également décidé que Repsol et PROAS avaient droit, respectivement, à une réduction de 40 % et de 25 % du montant de l’amende qui aurait dû normalement leur être infligée (considérants 580 et 588 de la décision attaquée).

3.     Dispositif de la décision attaquée

91      Le dispositif de la décision est libellé comme suit :

« Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81, [paragraphe 1, CE] en participant, pendant les périodes indiquées, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans la commercialisation du bitume de pénétration couvrant l’ensemble du territoire espagnol (à l’exception des îles Canaries) et consistant en des accords de partage du marché et en une coordination des prix :

[…]

[PROAS] et [CEPSA], du 1er mars 1991 au 1er octobre 2002 ;

[…]

Article 2

Pour l’infraction visée à l’article 1er, les amendes suivantes sont infligées :

[…]

[PROAS] et [CEPSA] conjointement et solidairement responsables du paiement de 83 850 000 euros ;

[…]

Article 4

Les destinataires de la décision sont :

[…]

[PROAS]

[CEPSA]

[…] »

 Procédure et conclusions des parties

92      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 décembre 2007, la requérante a introduit le présent recours.

93      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en tant qu’elle la concerne ;

–        subsidiairement, réduire le montant de l’amende infligée à CEPSA ;

–        condamner la Commission aux dépens de l’instance.

94      La Commission conclut en substance à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        maintenir, voire augmenter, le montant de l’amende infligée à CEPSA ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

A –  Sur les conclusions en annulation et en réformation de la décision attaquée

95      La requérante soulève sept moyens au soutien de ses conclusions en annulation et en réformation de la décision attaquée, tirés, le premier, de la violation du principe de bonne administration et de la méconnaissance de ses droits de la défense, le deuxième, de l’application erronée de la présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement de sa filiale intégrale, le troisième, de ce que la Commission n’a pas réfuté adéquatement les arguments qu’elle avait développés au soutien de l’autonomie de comportement de PROAS dans sa réponse à la communication des griefs, le quatrième, de l’inaptitude des indices supplémentaires, retenus par la Commission, à conforter la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur sa filiale, le cinquième, de la méconnaissance des principes de respect d’un délai raisonnable et de bonne administration, le sixième, de la violation du principe de proportionnalité et, le septième, de l’absence de prise en considération par la Commission du programme d’alignement sur les règles de concurrence de l’Union établi par CEPSA.

96      Les troisième et quatrième moyens seront examinés ensemble.

1.     Sur le premier moyen, pris de la violation du principe de bonne administration et des droits de la défense

a)     Arguments des parties

97      CEPSA soutient, en premier lieu, que la Commission a commis une violation manifeste du principe de bonne administration en lui transférant son obligation de traduire la communication des griefs en langue espagnole.

98      La Commission lui aurait en effet demandé, par lettre du 19 juillet 2006, de renoncer à son droit de recevoir les notifications en langue espagnole et, concrètement, d’accepter que la communication des griefs et la décision attaquée lui soient notifiées en langue anglaise.

99      Cette façon de procéder aurait été destinée à éviter une application contestable des lignes directrices de 2006, lesquelles augmentent sensiblement le montant des amendes et sont immédiatement applicables aux affaires dans lesquelles la communication des griefs est notifiée après leur date de publication. Or, la communication des griefs destinée à CEPSA n’aurait pas encore été adoptée alors même que l’enquête durait depuis plus de quatre ans.

100    Par conséquent, si la Commission avait fait preuve de la diligence requise dans son examen de l’affaire, CEPSA n’aurait pas été obligée de renoncer à son droit de recevoir la communication des griefs en langue espagnole.

101    Par ailleurs, la Commission aurait refusé d’envoyer à CEPSA la version en langue anglaise de la décision finale, dont CEPSA avait sollicité la communication par lettre du 26 novembre 2007 aux fins de sa transmission aux représentants de ses actionnaires non hispanophones.

102    La version en langue anglaise étant tout aussi authentique que la version en langue espagnole, la Commission n’aurait pas été tenue de la traduire. Toutefois, faisant preuve d’arbitraire une fois de plus, la Commission aurait répondu à la lettre précitée un jour avant l’expiration du délai d’introduction du présent recours, en invitant CEPSA à lui préciser si elle avait l’intention de présenter en langue anglaise son recours contre la décision attaquée ou si elle allait demander l’assistance d’un cabinet d’avocats anglophones, auquel cas la Commission lui aurait communiqué la décision attaquée dans sa version en langue anglaise.

103    CEPSA fait valoir, en second lieu, que l’importance de sa renonciation à un droit aussi important que celui de recevoir en langue espagnole les notifications en cause aurait pu, au demeurant, affecter ses droits de la défense, puisqu’elle s’est vue contrainte de se défendre contre un document accusatoire rédigé dans une version « non authentique », c’est-à-dire la version de la communication des griefs constituée par sa propre traduction.

104    La Commission soutient que le présent moyen doit être écarté.

105    Lors de l’audience, la requérante a invoqué, par voie d’exception, l’illégalité de la communication de la Commission concernant les bonnes pratiques relatives aux procédures d’application des articles 101 TFUE et 102 TFUE publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 20 octobre 2011 (JO C 308, p. 6), laquelle serait contraire, notamment, à l’article 41, paragraphe 4, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 389), ainsi qu’au règlement n° 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne, (JO 1958, 17, p. 385), tel que modifié.

106    La Commission soutient que cette exception d’illégalité doit être écartée.

b)     Appréciation du Tribunal

107    Il résulte du courriel de la Commission du 9 novembre 2007 adressé à CEPSA, produit à l’annexe 5 de la requête, que « [p]ar lettre du 19 juillet 2006, la Commission a sollicité de CEPSA une renonciation à sa langue en vertu de laquelle [CEPSA] accepterait que la Commission lui adresse tout document officiel, communication des griefs ou décision que la Commission pourrait adopter [à son ] égard en [langue] anglais[e] ».

108    Selon le même courriel, « [p]ar lettre du 20 juillet 2006, CEPSA a envoyé à la Commission une renonciation à sa langue, en vertu de laquelle elle déclarait que la Commission pouvait lui notifier une communication des griefs en [langue] anglais[e] ».

109    CEPSA ayant elle-même produit devant le Tribunal ce courriel dont elle n’a pas contesté le contenu, il y a lieu de conclure que CEPSA a seulement été invitée à renoncer à son droit de recevoir la communication des griefs en langue espagnole et qu’elle a librement consenti à recevoir ce document dans sa version en langue anglaise.

110    CEPSA ayant librement accepté de recevoir un document de la procédure rédigé par la Commission dans une autre langue que la langue de procédure, elle n’est fondée à invoquer ni la violation du principe de bonne administration ni la méconnaissance de ses droits de la défense, pour autant que cette dernière prétention ne doit pas être rejetée d’emblée en raison du caractère hypothétique que lui attribue la requérante elle-même dans ses écritures.

111    La requérante invoque également, dans le cadre du moyen tiré de la violation du principe de bonne administration et des droits de la défense, la méconnaissance des dispositions de l’article 3 du règlement n° 1. Aux termes de cet article, les textes adressés par les institutions à une personne relevant de la juridiction d’un État membre sont rédigés dans la langue de cet État.

112    Le fait de ne pas avoir communiqué une version en langue espagnole de la communication des griefs constitue donc un vice dans l’établissement de ce document qui pourrait en affecter la régularité et, par voie de conséquence, affecter la régularité de la décision attaquée.

113    Cependant, CEPSA se borne à indiquer que « [c]ela a entraîné un préjudice économique (puisque elle a dû se charger de la traduction spécialisée d’un document de plus de 160 pages) et une perte de temps (le temps consacré à la traduction a été perdu pour l’analyse de fond), à cause de l’utilisation d’une autre version linguistique que celle de la langue espagnole ». Au regard d’une argumentation aussi peu développée et étayée, le Tribunal considère qu’il n’est pas établi que CEPSA n’a pas été en mesure de prendre utilement connaissance du contenu de la communication des griefs.

114    De plus, ainsi qu’énoncé ci-dessus, CEPSA a elle-même accepté de recevoir la communication des griefs en langue anglaise afin que celle-ci lui soit transmise plus rapidement. Cette circonstance contribue encore davantage à ôter tout fondement à l’allégation selon laquelle elle n’aurait pas été en mesure de prendre utilement connaissance du contenu de la communication des griefs.

115    En conséquence, il y a lieu de conclure que l’irrégularité constatée n’a pas eu en l’espèce de conséquences préjudiciables pouvant vicier la procédure administrative (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, points 47 à 52).

116    Quant aux allégations de CEPSA relatives au refus que la Commission lui aurait opposé de lui communiquer la version en langue anglaise de la décision attaquée et à la communication tardive de son consentement éventuel à une telle communication, un tel comportement, à le supposer établi, n’est pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée.

117    En effet, à supposer même que la notification irrégulière d’un acte puisse utilement être invoquée au soutien de conclusions en annulation visant cet acte, en l’espèce, la décision attaquée a été notifiée, conformément à l’article 3 du règlement n° 1, en langue espagnole, langue de l’État à la juridiction duquel CEPSA est soumise.

118    CEPSA a sollicité la communication de la version en langue anglaise de la décision attaquée à seule fin de la transmettre aux représentants de ses actionnaires non hispanophones. Cette version linguistique n’était donc pas demandée pour la personne juridique CEPSA, seule destinataire de la décision attaquée. Dès lors, la Commission n’était tenue à cet égard à aucune obligation dont la violation pourrait lui être reprochée.

119    En conséquence, il y a lieu d’écarter le moyen.

120    S’agissant du moyen invoqué par CEPSA à l’audience et tiré d’une exception d’illégalité de la communication de la Commission concernant les bonnes pratiques relatives aux procédures d’application des articles 101 TFUE et 102 TFUE, il doit être écarté comme irrecevable en application des dispositions de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal. En effet, il s’agit d’un moyen nouveau qui ne constitue pas l’ampliation d’un des moyens énoncés antérieurement dans les écrits de la requérante et ne présente pas non plus un lien suffisamment étroit avec un de ces moyens. Or, ce moyen nouveau ne se fonde pas sur des éléments de droit et de fait qui se seraient révélés au cours de la procédure juridictionnelle.

121    En tout état de cause, un tel moyen est inopérant, puisque, à la date d’adoption de la décision attaquée, ladite communication n’était pas applicable. Par suite, son éventuelle illégalité resterait sans conséquence sur la légalité de la décision attaquée.

122    Il y a donc lieu d’écarter également le moyen invoqué par la requérante à l’audience par voie d’exception.

2.     Sur le deuxième moyen, pris de l’application erronée de la présomption d’exercice effectif par une société mère d’une influence déterminante sur le comportement de sa filiale intégrale

a)     Arguments des parties

123    CEPSA relève que la Commission admet au considérant 416 de la décision attaquée qu’elle n’a pas participé directement à l’entente litigieuse. La Commission lui imputerait néanmoins, au considérant 418 de ladite décision, la responsabilité de la participation de PROAS à cette entente, en retenant, à la lumière de la jurisprudence et de son lien d’actionnariat de 100 % avec PROAS, qu’elle a exercé une influence déterminante sur le comportement de celle-ci.

124    Certes, la jurisprudence permettrait à la Commission d’imputer à une société mère une violation de l’article 81 CE commise par sa filiale intégrale avec laquelle elle forme une entité économique, en présumant l’exercice effectif par cette société mère d’une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.

125    Cependant, la jurisprudence aurait, par ailleurs, clairement établi que la détention de la totalité du capital d’une filiale par sa société mère ne suffit pas, à elle seule, à permettre de lui imputer la responsabilité du comportement de cette filiale intégrale. Un élément supplémentaire au lien d’actionnariat resterait nécessaire, mais pourrait être constitué par des indices.

126    Dans la mesure où elle fonde, à titre principal, sur la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante l’imputation à CEPSA de la participation de PROAS à l’infraction sans estimer nécessaire d’établir l’existence d’un autre élément, la décision attaquée devrait être annulée en tant qu’elle concerne CEPSA, en raison de sa contrariété à la jurisprudence sur l’unité économique constituée par la société mère et sa filiale intégrale.

127    La Commission soutient que le présent moyen doit être écarté.

b)     Appréciation du Tribunal

128    Il convient de rappeler tout d’abord qu’une infraction au droit de la concurrence de l’Union doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes (arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, point 57).

129    Cependant, le droit de la concurrence de l’Union vise les activités des entreprises et la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. La Cour a précisé que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si cette unité économique est constituée de plusieurs personnes juridiques (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, points 54 et 55).

130    Compte tenu de la jurisprudence mentionnée au point précédent, le comportement infractionnel d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 58).

131    En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise, au sens où cette notion a été définie ci-dessus. Le fait que la société mère et sa filiale constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE permet alors à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 59).

132    Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de l’Union en matière de concurrence, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale, et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (arrêt de la Cour du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, non encore publié au Recueil, point 56).

133    Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale (arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 57).

134    En l’espèce, la Commission a constaté aux considérants 31 et 417 de la décision attaquée, sans avoir été contestée sur ce point, que CEPSA a détenu 100 % du capital de PROAS pendant toute la durée de la participation de PROAS à l’infraction, soit du 1er mars 1991 au 1er octobre 2002.

135    Ce degré de participation permettait donc, à lui seul, à la Commission de présumer, ainsi qu’elle l’a fait au considérant 418 de la décision attaquée, que CEPSA avait exercé effectivement une influence déterminante sur le comportement de PROAS pendant toute cette période.

136    Il convient ici de rappeler, contrairement à ce que soutient la requérante, que la mise en œuvre de la présomption d’exercice d’une influence déterminante de la société mère sur sa filiale intégrale n’est pas subordonnée à la production d’indices supplémentaires relatifs à l’exercice effectif d’une telle influence (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 62, et Elf Aquitaine/Commission, précité, points 80 et 96).

137    La Commission n’a donc pas fait une application erronée de la présomption d’exercice effectif par une société mère d’une influence déterminante sur le comportement de sa filiale intégrale.

138    Dans ces conditions, le présent moyen doit être écarté, la question de savoir si CEPSA est parvenue ou non à renverser la présomption d’exercice d’une influence déterminante sur le comportement de PROAS étant examinée dans le cadre du troisième moyen.

3.     Sur le troisième moyen, pris du défaut de motivation entachant la réfutation par la décision attaquée des arguments que CEPSA a développés au soutien de l’autonomie de comportement de PROAS dans sa réponse à la communication des griefs et sur le quatrième moyen, pris de l’inaptitude des quatre indices supplémentaires au lien d’actionnariat à 100 % de CEPSA et de PROAS à conforter la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante

139    Il convient d’examiner, dans un premier temps, le troisième moyen et, à titre liminaire, de préciser le contenu que la requérante a entendu donner à ce moyen qu’elle a présenté comme étant tiré d’un défaut de motivation.

140    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le moyen tiré du défaut de motivation de l’acte attaqué doit être distingué de celui pris de l’inexactitude de ses motifs, en raison d’une erreur sur les faits ou dans l’appréciation juridique. Ce dernier aspect relève de l’examen de la légalité au fond de l’acte et non de la violation des formes substantielles et ne peut donc constituer une violation de l’article 253 CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 30 mars 2000, VBA/Florimex e.a., C‑265/97 P, Rec. p. I‑2061, point 114, et arrêt du Tribunal du 7 novembre 1997, Cipeke/Commission, T‑84/96, Rec. p. II‑2081, point 47).

141    Or, il apparaît que, dans le cadre du présent moyen, la requérante remet en cause le bien-fondé de la décision attaquée s’agissant de la réfutation par la Commission des arguments présentés au soutien de l’autonomie de comportement de PROAS en réponse à la communication des griefs.

142    En effet, la requérante développe aux points 65 à 73 de la requête les différents arguments exposés en réponse à la communication des griefs à l’appui de l’autonomie de comportement de PROAS. Elle vise ainsi, dans sa requête, à établir l’existence d’une telle autonomie. Or, un tel grief est relatif au bien-fondé de la décision attaquée et non à sa forme.

143    De plus, la requérante reproche à la Commission d’avoir rejeté les arguments mentionnés au point précédent en se fondant sur trois « motifs » dont elle conteste le bien-fondé.

144    Enfin, en affirmant, au point 83 de la requête, en conclusion de l’exposé du moyen, avoir « établi à suffisance » les différents indices produits au soutien de l’autonomie de comportement de PROAS, la requérante confirme qu’elle conteste le bien-fondé de la réfutation, dans la décision attaquée, des arguments relatifs à l’autonomie de comportement de PROAS qui avaient été présentés en réponse à la communication des griefs.

145    Cependant, l’intitulé du présent moyen, par l’emploi du terme « motivation », renvoie à la légalité externe de la décision attaquée.

146    De plus, la requérante soutient, au point 74 de la requête, que la Commission a, dans la décision attaquée, écarté les arguments présentés en réponse à la communication des griefs et censés démontrer l’autonomie de PROAS « sans aucun effort minimal sérieux d’argumentation ».

147    Enfin, interrogée à ce sujet lors de l’audience, la requérante n’a pas limité la portée du troisième moyen au seul bien-fondé de la décision attaquée, mais a indiqué que ce moyen portait tant sur la forme de la décision attaquée que sur son bien-fondé.

148    Il convient donc d’examiner successivement ces deux aspects.

a)     Sur l’insuffisance de motivation

 Arguments des parties

149    La requérante soutient, en substance, que la motivation de la décision attaquée est insuffisante en ce qui concerne la réponse de la Commission aux arguments qui lui ont été soumis aux fins d’établir l’autonomie de PROAS.

150    La Commission ne répond pas spécifiquement à cet argument.

 Appréciation du Tribunal

151    Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte attaqué et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 147, et la jurisprudence citée).

152    En particulier, l’obligation de motiver une décision individuelle a pour but, outre de permettre un contrôle juridictionnel, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (voir arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 148, et la jurisprudence citée).

153    L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 150, et la jurisprudence citée).

154    Lorsque, comme en l’espèce, une décision d’application des règles de concurrence de l’Union concerne une pluralité de destinataires et porte sur l’imputabilité de l’infraction, elle doit comporter une motivation suffisante à l’égard de chacun de ses destinataires, particulièrement de ceux d’entre eux qui, aux termes de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction. Ainsi, à l’égard d’une société mère tenue pour responsable du comportement infractionnel de sa filiale, une telle décision doit, en principe, contenir un exposé circonstancié des motifs de nature à justifier l’imputabilité de l’infraction à cette société (voir arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 152, et la jurisprudence citée).

155    S’agissant plus particulièrement d’une décision de la Commission qui s’appuie de manière exclusive ou qui s’appuie à titre principal, à l’égard de certains destinataires, sur la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante, il y a lieu de constater que la Commission est en tout état de cause – sous peine de rendre cette présomption, dans les faits, irréfragable – tenue d’exposer de manière adéquate à ces destinataires les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués n’ont pas suffi à renverser ladite présomption. Le devoir de la Commission de motiver ses décisions sur ce point résulte notamment du caractère réfragable de ladite présomption, dont le renversement requiert des intéressés de produire une preuve portant sur les liens économiques, organisationnels et juridiques entre les sociétés concernées (arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 153).

156    Cela étant, il convient de rappeler que la Commission n’est pourtant pas tenue dans un tel contexte de prendre position sur des éléments qui sont manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires (arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 154).

157    En l’espèce, ainsi qu’il résulte des considérants 387, 388 et 416 à 418 de la décision attaquée, la Commission a fondé la responsabilité conjointe et solidaire de CEPSA pour la participation de PROAS à l’infraction sur l’application de la présomption d’exercice d’une influence déterminante d’une société mère sur sa filiale intégrale.

158    La Commission a par ailleurs indiqué, au considérant 419 de la décision attaquée, que, en plus de la présomption résultant du lien de participation, elle se fondait également, pour montrer que PROAS et CEPSA formaient une entité économique unique, sur d’autreS indices tirés de l’existence de liens verticaux et de synergies, de la consolidation comptable des résultats financiers de PROAS et de CEPSA, de l’existence de rapports mensuels communiqués au conseil d’administration de PROAS et, enfin, de l’association de PROAS à la raison sociale « CEPSA » dans la conduite de ses relations commerciales.

159    S’agissant de manière plus spécifique du grief invoqué par la requérante, lequel porte sur la réponse apportée par la Commission aux arguments qui lui avaient été soumis aux fins d’établir l’autonomie de PROAS, il y a lieu de constater que la Commission a repris de manière détaillée, au considérant 420 de la décision attaquée, lesdits arguments.

160    Ensuite, la Commission a écarté ces arguments aux considérants 422 à 424 de la décision attaquée. En particulier, elle a relevé que les éléments invoqués par CEPSA pour démontrer l’autonomie de PROAS attestaient seulement de l’existence d’une décision délibérée de CEPSA de maintenir certains éléments inchangés au moment où elle a acquis la totalité du capital de PROAS. Pour écarter les arguments relatifs au caractère marginal des activités de PROAS au sein du groupe et à l’autonomie commerciale, financière et économique de PROAS, la Commission a indiqué que les bénéfices et les pertes de PROAS, ainsi que ses actifs et ses dettes, étaient reflétés dans les comptes de l’ensemble du groupe, et que les liens industriels verticaux entre les deux entités devaient avoir conduit la société mère à avoir une influence sur sa filiale. La Commission a aussi considéré que l’affirmation selon laquelle PROAS était perçue comme une entité autonome par les tiers était contredite par la présence du logo de CEPSA sur certains des contrats de PROAS.

161    La Commission a conclu au considérant 425 de la décision attaquée que les éléments fournis par CEPSA n’étaient pas suffisants pour renverser la présomption de l’exercice d’une influence déterminante de CEPSA sur PROAS. Elle a ajouté aux considérants suivants de la décision attaquée que l’exercice d’une influence déterminante de CEPSA sur PROAS était en outre confirmé par l’existence d’indices supplémentaires qu’aucun des arguments présentés en réponse à la communication des griefs n’invalidait.

162    Au regard de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission a, dans la décision attaquée, réfuté de manière suffisamment détaillée les arguments relatifs à l’autonomie de comportement de PROAS présentés par CEPSA en réponse à la communication des griefs.

163    Dans ces conditions, il ne saurait être fait droit au troisième moyen en tant que, par celui-ci, la requérante conteste le caractère suffisant de la motivation de la décision attaquée.

b)     Sur le bien-fondé du constat par la Commission d’une absence de renversement de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante de CEPSA sur le comportement de PROAS

164    Il convient de rappeler que la possession par une société mère de la totalité du capital d’une filiale permet à la Commission de présumer que la société mère exerce effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale (voir arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 57, et la jurisprudence citée).

165    Lorsque la présomption d’exercice d’une influence déterminante s’applique, il incombe à la société mère contestant devant le juge de l’Union une décision de la Commission retenant sa responsabilité pour un comportement commis par sa filiale de renverser cette présomption, en apportant des éléments de preuve suffisants à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (voir arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 57, et la jurisprudence citée).

166    Afin d’établir que sa filiale détermine de façon autonome son comportement sur le marché, la société mère doit se fonder sur l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques l’unissant à cette filiale (voir arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 58, et la jurisprudence citée).

167    Elle ne saurait se limiter à avancer de simples affirmations non étayées. En effet, d’une part, la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante repose sur le constat selon lequel, sauf circonstances tout à fait exceptionnelles, une société détenant la totalité du capital d’une filiale peut, au vu de cette seule part de capital, exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, l’absence d’exercice effectif de ce pouvoir d’influence peut normalement le plus utilement être recherchée dans la sphère des entités à l’encontre desquelles la présomption opère (arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, points 60 et 61).

168    C’est à l’aune des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner si les arguments de la requérante visant à établir l’autonomie de PROAS sont suffisants pour renverser la présomption en cause.

169    À cet égard, la requérante développe quatre griefs tirés de ce que, premièrement, la direction de PROAS et sa politique commerciale n’auraient pas été modifiées lors de sa prise de contrôle intégrale par CEPSA, deuxièmement, PROAS disposerait de moyens qui lui sont propres et qui ne se rattachent pas à CEPSA, troisièmement, PROAS approuverait son plan d’entreprise et définirait sa politique d’investissements stratégiques de manière indépendante et, quatrièmement, l’activité de PROAS au sein du groupe serait de faible importance.

 Sur l’absence de modification de la direction de PROAS et de sa politique commerciale lors de sa prise de contrôle intégrale par CEPSA

–       Arguments des parties

170    CEPSA rappelle en premier lieu que la Commission a estimé au considérant 422 de la décision attaquée que « les éléments invoqués par CEPSA pour démontrer l’autonomie de PROAS, en particulier en comparaison avec les autres filiales du groupe CEPSA (direction et politique commerciale inchangées après l’acquisition du contrôle de PROAS, indépendance de certains membres du conseil d’administration, conditions de travail différentes, caisses de retraite, siège social, organisation interne, associations professionnelles, centre de recherche et développement, droits de propriété intellectuelle) n’étaient pas motivés par les limites restreignant l’influence de CEPSA, mais procédaient plutôt d’une décision délibérée de CEPSA de maintenir certains éléments inchangés lorsqu’elle a acquis les 50 % résiduels des actions de PROAS ».

171    La Commission admettrait ainsi explicitement que, lors de cette acquisition, CEPSA a décidé de ne pas modifier les aspects commerciaux et le fonctionnement de sa filiale (en particulier en laissant inchangée la composition de son conseil d’administration et de l’équipe de direction). La Commission reconnaîtrait ainsi que, alors que CEPSA était en mesure d’exercer une influence déterminante sur le comportement concurrentiel de PROAS, elle a pris la décision délibérée de laisser PROAS fonctionner sur le marché comme par le passé. Cette décision de ne pas interférer dans le comportement commercial de PROAS procéderait logiquement de ce que, contrairement à CEPSA, PROAS avait une connaissance étendue du marché du bitume, dans lequel sa présence date de plus de cinquante ans, et serait la meilleure preuve de ce que, en dépit de son contrôle à 100 % par CEPSA, PROAS a continué d’agir de façon autonome sur le marché.

172    La Commission soutient que le présent grief doit être écarté.

–       Appréciation du Tribunal

173    Ainsi qu’il apparaît à la lecture du considérant 422 de la décision attaquée, la Commission a seulement opposé aux éléments invoqués par CEPSA l’explication selon laquelle, selon elle, ces éléments relevaient d’un choix délibéré de CEPSA de laisser inchangés certains aspects du fonctionnement de PROAS.

174    Par ailleurs, comme le relève la Commission au point 67 de son mémoire en défense, sans contestation de CEPSA sur ce point, celle-ci a déclaré au cours de la procédure administrative avoir remplacé certains des membres du conseil d’administration de PROAS.

175    Ce remplacement, de portée limitée, est confirmé au considérant 420, sous a), de la décision attaquée, non contesté par CEPSA, selon lequel, lors de l’acquisition de l’intégralité des actions de PROAS, CEPSA a maintenu à leur poste la majeure partie des administrateurs de PROAS.

176    Il est donc constant que CEPSA a remplacé une partie des administrateurs de PROAS lorsque, en 1991, elle a acquis la totalité du capital de cette société, ce qui est un indice de l’exercice effectif d’une influence déterminante de CEPSA sur le comportement de PROAS.

177    En tout état de cause, à supposer même qu’il soit établi que le conseil d’administration et l’équipe de direction de PROAS n’aient pas été modifiés, ou seulement de manière très marginale, après que CEPSA a acquis, en 1991, la totalité du capital de PROAS, cet élément ne permettrait pas, à lui seul, de renverser la présomption d’exercice d’une influence déterminante de CEPSA sur PROAS.

178    En effet, cette circonstance ne permet pas d’établir l’indépendance du conseil d’administration de PROAS à l’égard de CEPSA, laquelle, par le simple fait qu’elle dispose d’un pouvoir de révocation des administrateurs de PROAS, ce qui n’est pas contesté, est susceptible d’exercer sur eux une influence déterminante. Or, CEPSA n’établit pas, ni même n’allègue, par exemple, que des mesures auraient été prises afin de garantir l’indépendance du conseil d’administration de PROAS à son égard.

179    Si l’indépendance du conseil d’administration de PROAS à l’égard de CEPSA n’est pas établie, par voie de conséquence, l’indépendance de l’équipe de direction de PROAS à l’égard de CEPSA n’est pas non plus établie.

180    De plus, il convient de prendre en compte à cet égard le fait que, depuis sa fondation, en 1957, PROAS appartient pour 50 % de son capital à CEPSA. Ainsi, CEPSA possède depuis l’origine une part substantielle du capital de PROAS sur laquelle elle a donc pu exercer une influence importante au cours d’une longue période.

181    Dans ce contexte, une simple absence de changement au sein du conseil d’administration ou de l’équipe de direction de PROAS en 1991, année au cours de laquelle CEPSA a acquis l’intégralité du capital de PROAS, ne permet pas d’établir l’autonomie de PROAS à l’égard de CEPSA.

182    Il résulte de ce qui précède que le présent grief doit être écarté.

183    À titre surabondant, il convient de relever que de 1986 à 1991, c’est Repsol, c’est-à-dire un autre membre de l’entente, qui possédait le capital restant de PROAS.

184    Ainsi, la décision de CEPSA de ne pas modifier le conseil d’administration de PROAS après 1991 a-t-elle permis de maintenir en place un conseil d’administration sur lequel à la fois CEPSA, mais aussi Repsol, avaient exercé leur influence. Une telle circonstance n’est pas de nature à établir l’absence de responsabilité de CEPSA quant au comportement infractionnel de sa filiale, puisque, au contraire, sa décision a pu favoriser la mise en œuvre de l’entente.

 Sur l’existence de moyens propres à PROAS

–       Arguments des parties

185    La requérante indique que, en réponse à la communication des griefs, elle se serait prévalue du fait que PROAS disposait de ressources humaines et de moyens matériels et juridiques autonomes pour développer ses activités. PROAS aurait disposé, en effet, de ses propres salariés, qui auraient relevé d’une convention collective différente de celle des salariés de CEPSA, de ses propres droits de propriété industrielle (image corporative et logo) et elle aurait été présente, sans le concours de CEPSA, auprès des associations professionnelles du secteur du bitume.

186    La Commission soutient que le présent grief doit être écarté.

–       Appréciation du tribunal

187    Tout d’abord, il y a lieu de constater que la requérante fait référence à des éléments de preuve qu’elle aurait apportés au cours de la procédure administrative sans préciser si elle entend, devant le Tribunal, se fonder sur lesdits éléments pour établir l’indépendance de PROAS à son égard ou seulement pour démontrer le caractère insuffisamment motivé de la décision attaquée. D’ailleurs, dans cette partie de la requête, c’est-à-dire aux points 65 et 66 de celle-ci, la requérante ne renvoie à aucune pièce qu’elle présenterait au Tribunal pour conforter ses dires, ce qui semble indiquer que sa critique porte seulement sur l’aspect formel de la décision.

188    À cet égard, il convient de relever que le grief tiré de l’insuffisante motivation de la réponse apportée par la Commission, dans la décision attaquée, aux arguments invoqués pour établir l’autonomie de PROAS, a déjà été écarté.

189    S’agissant de la critique du bien-fondé de la décision attaquée, les seuls éléments du dossier, qui se rapportent aux allégations de la requérante et auxquels celle-ci d’ailleurs ne fait pas référence dans la partie de la requête consacrée au présent grief, sont des attestations relatives au fait qu’un agent de PROAS assure la gestion des brevets et des marques de cette société et que l’agent de CEPSA, qui est responsable des brevets et des marques pour le groupe et qui cite le nom des différentes sociétés pour lesquelles il exerce ses fonctions, ne mentionne pas PROAS.

190    Cependant, ces pièces ne permettent pas, à elles seules, d’établir l’absence d’exercice effectif par CEPSA d’une influence déterminante sur le comportement de PROAS.

191    En tout état de cause, le fait que PROAS dispose de ressources propres en termes de moyens humains, de moyens matériels et de droits de propriété industrielle ne permet pas de renverser la présomption d’exercice d’une influence déterminante de CEPSA. Il en va de même du fait que PROAS participe sans CEPSA aux activités des associations professionnelles du secteur du bitume.

192    Il résulte de ce qui précède que le présent grief doit être écarté.

 Sur le fait que PROAS approuvait son plan d’entreprise et définissait sa politique d’investissements stratégiques de manière indépendante

–       Arguments des parties

193    CEPSA rappelle avoir allégué dans sa réponse à la communication des griefs que PROAS approuvait son plan d’entreprise et définissait sa politique d’investissements stratégiques de manière indépendante. CEPSA joint en annexe 4 à sa requête une attestation du secrétaire du conseil d’administration de PROAS reprenant le contenu des principales décisions adoptées par cet organe en matière d’investissements stratégiques pendant la durée de l’entente.

194    Or, selon CEPSA, le dernier motif exposé par la Commission au soutien du rejet des arguments d’autonomie de PROAS consisterait à affirmer, au considérant 423 de la décision attaquée, que, « en tout état de cause, la présomption [d’exercice effectif d’une influence déterminante] ne peut pas être renversée simplement en décrivant les caractéristiques typiques de la gestion d’une structure d’entreprise, qui ne prouvent en aucun cas l’autonomie totale des filiales ».

195    CEPSA relève que, si la Commission entendait soutenir ainsi que l’adoption de décisions stratégiques, comme en matière d’investissements, était inhérente à l’organisation de toute entreprise et que, de ce fait, elle ne constituait pas une preuve suffisante d’autonomie de la filiale, la décision attaquée contredirait les arguments qu’elle oppose elle-même en son considérant 408 aux arguments de Repsol.

196    En tout état de cause, la Commission se limiterait, selon CEPSA, à affirmer qu’il est « typique » de rencontrer des filiales dont les politiques d’investissement et l’établissement d’objectifs sont arrêtés en dehors de la société mère et qui conservent une politique différente de celle-ci. CEPSA déclare ignorer l’autorité dont procède cette affirmation, mais fait observer qu’il est pour le moins aussi courant de rencontrer des entreprises ne disposant pas de budget, d’actifs ou d’employés pour réaliser leur objet social.

197    La Commission soutient que le présent grief doit être écarté.

–       Appréciation du Tribunal

198    Dans la mesure où la requérante invoquerait une incohérence affectant la motivation de la décision attaquée, incohérence entre le contenu des considérants 408 et 423 de celle-ci, son argument serait trop peu développé pour permettre au Tribunal d’en apprécier le bien-fondé.

199    En tout état de cause, cet argument porte sur un aspect à ce point marginal de la motivation de la décision attaquée qu’il ne saurait, s’il était fondé, entraîner une annulation même partielle de celle-ci.

200    Pour le reste, par son argumentation, la requérante soutient, en substance, que PROAS est autonome, puisqu’elle détermine elle-même son plan d’entreprise et sa politique d’investissements stratégiques.

201    Pour établir ses dires, la requérante se fonde sur une attestation, annexée à la requête, qui est délivrée par le secrétaire du conseil d’administration de PROAS et qui énumère les principales décisions adoptées par ledit conseil en matière d’investissements stratégiques pendant la durée de l’entente.

202    Cependant, cette attestation n’est pas de nature à renverser la présomption d’exercice effectif par CEPSA d’une influence déterminante sur PROAS.

203    En effet, à le supposer probant, en dépit de son établissement a posteriori, le 18 décembre 2007, pour les besoins de la cause, cet élément de preuve permettrait seulement d’établir que les décisions dont il fait état ont été adoptées par le conseil d’administration de PROAS, mais non qu’elles ont été prises sans l’intervention ou en dehors de l’influence de CEPSA. Or, ainsi qu’il a été énoncé ci-dessus dans le cadre de l’examen du premier grief relatif au présent moyen, l’autonomie du conseil d’administration de PROAS à l’égard de CEPSA n’est pas établie.

204    Il résulte de ce qui précède que le présent grief doit être écarté.

 Sur la faible importance de l’activité de PROAS au sein du groupe CEPSA

–       Arguments des parties

205    CEPSA invoque, en substance, le caractère très réduit de l’impact des bénéfices ou des pertes de PROAS sur CEPSA, en raison du caractère marginal des ventes de bitume dans le groupe CEPSA.

206    La Commission soutient que le présent grief doit être écarté.

–       Appréciation du Tribunal

207    Il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence, l’importance mineure que représente l’activité de la filiale auteur de l’infraction dans la politique industrielle du groupe auquel elle appartient ne saurait prouver que la société mère a laissé cette filiale définir son comportement sur le marché de façon autonome (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 juillet 2011, ENI/Commission, T‑39/07, non encore publié au Recueil, point 98).

208    En effet, bien que la part de l’activité en cause soit limitée par rapport à l’ensemble des activités du groupe, l’existence même de cette activité au sein du groupe témoigne de l’intérêt qu’elle présente pour la société mère.

209    En conséquence, aucun des éléments développés par la requérante dans le cadre du présent moyen n’est de nature à lui seul à démontrer l’autonomie du comportement de PROAS à l’égard de CEPSA. De même, pris dans leur ensemble, ces éléments ne permettent pas de renverser la présomption d’exercice effectif par CEPSA d’une influence déterminante sur le comportement concurrentiel de PROAS.

210    À titre surabondant, il convient de relever que certains des indices supplémentaires sur lesquels la Commission s’est fondée dans la décision attaquée révèlent l’existence de liens significatifs entre CEPSA et PROAS, lesquels viennent conforter le fait que ces dernières constituent une seule unité économique.

211    Tout d’abord, au considérant 419, sous a), de la décision attaquée, il est précisé que PROAS commercialisait le bitume produit par sa société mère CEPSA. De plus, la requérante a indiqué, au point 51 de la requête, que c’était lorsque la quantité de bitume fabriquée par CEPSA n’était pas suffisante pour satisfaire aux besoins de PROAS que celle-ci se tournait vers d’autres fournisseurs. Elle a également convenu, lors de l’audience, qu’une partie importante du bitume commercialisé par PROAS provenait de CEPSA. Ainsi, il est donc établi que CEPSA était le principal fournisseur de PROAS et que cette dernière ne s’approvisionnait auprès d’autres fournisseurs que lorsque CEPSA n’était pas en mesure de l’approvisionner.

212    Or, contrairement à ce que soutient la requérante, la double qualité de CEPSA, qui est le propriétaire et le fournisseur de PROAS, est de nature à créer des relations verticales et des synergies entre ces deux sociétés, lesquelles confortent l’existence d’une entité économique unique. En particulier, le fait que PROAS ne se tourne vers d’autres fournisseurs que lorsque CEPSA n’est pas en mesure de l’approvisionner ne témoigne pas d’un comportement indépendant sur le marché, lequel conduirait en principe PROAS, sous réserve de justifications économiques que la requérante ne fournit pas, à diversifier ses sources d’approvisionnement afin de mettre en concurrence ses fournisseurs et, à tout le moins, de limiter sa dépendance à l’égard de l’un d’entre eux.

213    Ensuite, c’est à juste titre que la Commission, contrairement à ce que soutient la requérante, indique au considérant 428 de la décision attaquée que la présence du logo de CEPSA sur certains des contrats conclus par PROAS ne peut être qualifiée d’anodine. En effet, du fait de cet usage du logo de CEPSA, le comportement de PROAS est susceptible d’affecter la réputation du groupe CEPSA dans son ensemble. Il n’est dès lors pas déraisonnable de penser qu’une société mère, telle que CEPSA, dans la mesure où elle permet à une filiale d’utiliser son logo, contrôle les activités de cette filiale et leurs conséquences potentielles sur sa réputation.

214    Il résulte des développements qui précèdent que la requérante n’a pas établi l’autonomie de comportement de PROAS ni, par conséquent, renversé la présomption d’exercice effectif par CEPSA d’une influence déterminante sur PROAS.

215    S’agissant des autres indices supplémentaires sur lesquels la Commission s’est fondée dans la décision attaquée, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas été examinés aux points 210 à 213 ci-dessus, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, l’application de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante par la société mère sur sa filiale intégrale n’est pas subordonnée à la production d’indices supplémentaires établissant cette influence (arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, points 80 et 96, et arrêt du Tribunal du 7 juin 2011, Arkema France e.a./Commission, T‑217/06, Rec. p. II‑2593, point 49).

216    La Commission n’est donc pas tenue, lorsque la présomption de l’exercice effectif par une société mère d’une influence déterminante sur le comportement de sa filiale intégrale n’a pas été renversée, d’apporter des indices supplémentaires pour établir cette influence aux fins de retenir la responsabilité de la société mère au titre du comportement de sa filiale.

217    Or, ainsi qu’il vient d’être énoncé, la requérante n’est pas parvenue en l’espèce à renverser la présomption en cause.

218    Dans ces conditions, l’inaptitude à conforter la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante qui pourrait affecter certains des indices supplémentaires aux liens d’actionnariat des deux sociétés que la Commission a retenus à seule fin de conforter cette présomption est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

219    Il résulte de tout ce qui précède que les troisième et quatrième moyens doivent être écartés.

4.     Sur le cinquième moyen, tiré de la méconnaissance des principes de respect du délai raisonnable et de bonne administration

a)     Arguments des parties

220    En premier lieu, CEPSA relève que la jurisprudence distingue très clairement entre, d’une part, une violation du principe de respect du délai raisonnable entraînant une violation des droits de la défense de l’administré et l’annulation de la décision de la Commission dans son intégralité et, d’autre part, une durée excessive de la procédure qui, sans concerner le fond de l’affaire, constitue une violation du principe de bonne administration par les institutions de l’Union. Dans cette seconde hypothèse, les juridictions de l’Union pourraient réduire le montant de l’amende infligée par la Commission sur le fondement de la compétence de pleine juridiction qui leur est conférée par l’article 229 CE.

221    En deuxième lieu, CEPSA reproche à la Commission de ne pas avoir notifié la communication des griefs à ses destinataires avant le 22 août 2006, soit deux ans et presque trois mois après le 1er juin 2004, date de la réception par la Commission de la dernière réponse à sa première série de demandes de renseignements. À cette date, la Commission aurait eu en sa possession la majorité, voire la quasi-totalité, des éléments de preuve nécessaires à l’adoption d’une communication des griefs, à savoir les demandes d’application de la communication de 2002 présentées par BP, Repsol et PROAS, ainsi que les très nombreux documents obtenus au cours des vérifications des 1er et 2 octobre 2002.

222    Un tel retard serait manifestement disproportionné et injustifiable au regard des circonstances de l’espèce : l’entente litigieuse n’aurait laissé aucun doute d’un point de vue juridique, le marché sectoriel pertinent et la dynamique concurrentielle n’auraient pas été particulièrement complexes et il n’y aurait pas eu un grand nombre d’opérateurs dont les circonstances particulières devaient être examinées. Le marché géographique pertinent aurait été limité à un État membre et, surtout, la preuve de l’existence de l’entente et de sa durée n’aurait pas exigé de la Commission de grands efforts, en raison, notamment, des demandes d’application de la communication de 2002 introduites par BP, Repsol et PROAS.

223    Il ne serait pas admissible que la Commission invoque le volume du dossier à propos d’une enquête ouverte à la suite d’une telle demande, alors que ce texte soumet son auteur à une obligation de coopération avec la Commission afin, précisément, de faciliter son travail d’enquête.

224    La Commission ne saurait davantage reprocher à CEPSA et à PROAS d’avoir contribué à prolonger la procédure en ne décidant pas de coopérer immédiatement après les vérifications. D’une part, la Commission n’aurait pas voulu que CEPSA soit associée à l’enquête avant de lui adresser la communication des griefs et pourrait donc difficilement prétendre désormais qu’elle était tenue de coopérer avec elle. D’autre part, CEPSA et PROAS n’auraient été nullement tenues de collaborer avec la Commission et celle-ci ne pourrait prétendre leur imputer un retard dans l’exécution de leurs obligations pour ne pas avoir collaboré ou, en l’espèce, pour ne pas avoir collaboré au moment où la Commission le jugeait opportun. Cela ne serait acceptable que dans l’hypothèse où CEPSA et PROAS auraient entravé le déroulement de l’enquête, par exemple, dans l’hypothèse où PROAS se serait opposée à la vérification dans ses locaux ou n’aurait pas répondu aux différentes demandes de renseignements.

225    La durée excessive de la procédure ne serait pas imputable à CEPSA. Celle-ci ne serait intervenue que pour répondre à la communication des griefs dans le délai imparti et il n’aurait même pas été fait droit à sa demande de prorogation de ce délai visant à lui permettre de prendre connaissance du dossier pour la première fois, dès lors qu’aucune communication ne lui avait été adressée jusque-là au cours de la phase d’instruction.

226    La Commission ne pourrait pas non plus invoquer qu’elle disposait de ressources humaines d’autant plus limitées qu’elle était confrontée à la nécessité d’ouvrir trois dossiers séparés. Dès lors qu’elle décide d’ouvrir une enquête dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire absolu, elle ne pourrait pas utiliser les conséquences d’une telle décision au préjudice des administrés. Par ailleurs, il serait très probable que la complexité du dossier invoquée par la Commission aurait été plus grande si, au lieu de devoir ouvrir trois dossiers relatifs à trois et à six marchés nationaux, elle s’était trouvée en présence d’une entente de dimension européenne ou même de portée géographique plus importante.

227    La Commission ne serait pas fondée à invoquer ses décisions antérieures pour contester la durée excessive de la procédure, dans la mesure où leur version publiée ne permet pas de savoir combien de temps s’est écoulé depuis que la Commission a pu disposer de l’essentiel des informations pertinentes pour établir la communication des griefs.

228    En outre, la Commission admettrait elle-même qu’il existe un cas dans lequel une instruction s’est prolongée, à raison de cinq mois, au-delà du temps employé à régler le dossier objet de la décision attaquée, mais qu’il s’agissait d’une entente non comparable à la présente entente, en ce sens qu’elle concernait l’ensemble du marché intérieur de l’Union, impliquait 30 entreprises et avait donné lieu à un dossier de quelque 80 000 pages. Dans les autres cas, la durée moyenne de la procédure administrative aurait été inférieure de plus d’un an à la durée que la Commission s’est accordée pour régler la présente affaire, laquelle ne présente pas de complexité particulière.

229    En troisième lieu, CEPSA prétend que le caractère excessif de la durée de la procédure d’instruction est incontestable, car la prolongation de l’instruction du dossier a eu une incidence directe et significative sur le montant de l’amende infligée, dans la mesure où la Commission a annoncé et mis en pratique une politique d’augmentation très significative du montant des amendes infligées en cas d’entente.

230    En effet, le montant moyen de celles-ci, compte non tenu des réductions ou des immunités totales que la Commission accorde dans le cadre des communications sur la coopération, aurait subi des augmentations annuelles de quelque 50 % au cours de la période comprise entre 2004, année durant laquelle la Commission disposait déjà de toutes les données nécessaires pour adopter la communication des griefs, et 2007, année de l’adoption de la décision attaquée.

231    Rien n’empêcherait CEPSA de prendre en considération le changement d’orientation que la Commission a appliqué aux éléments modulant le montant des amendes pour en comparer l’évolution historique. Il n’y aurait eu, au cours des quatre dernières années, ni changements significatifs dans les éléments que la Commission considère comme circonstances aggravantes ou atténuantes susceptibles de modifier le montant des amendes, ni modification des paramètres objectifs de réduction. Cependant, à la mi-mai 2008, alors que les lignes directrices de 2006 n’étaient pas encore applicables, le montant total des amendes infligées aurait déjà excédé celui des amendes prononcées durant toute l’année 2007, montant égal, au demeurant, à 2,7 fois le montant des amendes infligées en 2004 en matière d’ententes.

232    En tout cas, la pratique de la Commission démentirait son affirmation selon laquelle la comparaison des montants de départ des amendes ne révèle pas une augmentation significative. Ainsi, bien que les précédents cités par la Commission correspondent aux années 2002, 2003 et 2005 et portent sur un marché géographique ayant au moins la dimension de l’Union, par conséquent, sensiblement supérieure à celle du marché national de l’entente litigieuse, le montant initial de l’amende aurait été dans tous les cas inférieur au montant infligé.

233    Par ailleurs, dans tous les cas d’entente réglés en 2004 et en 2005, années au cours desquelles la décision aurait été adoptée si le principe de bonne administration avait été respecté, la Commission aurait pris pour base un montant initial inférieur à 40 000 000 euros. Au nombre de ces cas figureraient des ententes couvrant le marché intérieur de l’Union et dans lesquelles l’importance qualitative et quantitative du produit en cause était très supérieure à l’importance du produit en cause dans l’entente litigieuse.

234    En conclusion, compte tenu de la faible complexité de l’affaire, de son importance pour CEPSA, eu égard à l’augmentation continue et marquée des amendes constatée chaque année, et de l’impossibilité d’imputer le retard à CEPSA, la durée de la procédure préliminaire d’instruction, soit le laps de temps de deux ans et trois mois depuis l’obtention des informations nécessaires pour adopter une communication des griefs et son adoption effective, ne pourrait qu’être qualifiée d’excessive.

235    Enfin, en quatrième lieu, la requérante a invoqué à l’audience le caractère déraisonnable du délai de la procédure juridictionnelle et demandé sur ce fondement une réduction du montant de l’amende.

236    La Commission soutient que le présent moyen doit être écarté.

b)     Appréciation du Tribunal

237    La requérante invoque une méconnaissance du principe de délai raisonnable, d’une part, au cours de la procédure administrative et, d’autre part, au cours de la procédure juridictionnelle.

238    Il convient en l’espèce d’examiner séparément ces deux griefs compte tenu du caractère distinct de la réponse qui est apportée à chacun d’eux.

 Sur la procédure administrative

239    Selon la jurisprudence, l’observation d’un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives en matière de politique de la concurrence constitue un principe général du droit de l’Union, dont le juge assure le respect (voir arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, Rec. p. I‑8725, point 35, et la jurisprudence citée).

240    La violation de ce principe ne justifie cependant l’annulation d’une décision prise à l’issue d’une procédure administrative en matière de concurrence qu’en tant qu’elle emporte également une violation des droits de la défense de l’entreprise concernée. En revanche, lorsqu’il n’est pas établi que l’écoulement excessif du temps a affecté la capacité des entreprises concernées à se défendre effectivement, le non-respect du principe du délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure administrative (arrêt Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, précité, points 42, 43, 60 et 61, et arrêt du Tribunal du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, Rec. p. II‑1729, point 232).

241    Or, en l’espèce, à supposer même que la requérante invoque également le présent moyen au soutien de conclusions en annulation de la décision attaquée, elle n’établit pas que l’exercice de ses droits de la défense ait pu être affecté en raison de la durée de la procédure administrative.

242    Au demeurant, il y a lieu de rappeler que, de manière plus générale, aucune violation des droits de la défense n’est établie par la requérante (voir point 110 ci-dessus).

243    Cependant, même en l’absence de violation des droits de la défense, l’existence d’un délai déraisonnable peut être prise en compte par le Tribunal si, comme c’est le cas en l’espèce, le moyen est également invoqué au soutien de conclusions en réformation (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, points 13, 48 et 49, et arrêt du Tribunal du 5 juin 2012, Imperial Chemical Industries/Commission, T‑214/06, non encore publié au Recueil, points 286, 287, 293 et 294).

244    En effet, le Tribunal dispose alors d’une compétence de pleine juridiction, laquelle l’habilite à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation (arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 692).

245    Il convient à cet égard de rappeler que, en présence d’une réglementation complète régissant en détail les délais de prescription dans le respect desquels la Commission est en droit, sans porter atteinte à l’exigence fondamentale de sécurité juridique, d’infliger des amendes aux entreprises faisant l’objet de procédures d’application des règles de la concurrence, toute considération liée à l’obligation pour la Commission d’exercer son pouvoir d’infliger des amendes dans un délai raisonnable doit, en principe, être écartée (arrêts du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 324 ; du 1er juillet 2008, Compagnie maritime belge/Commission, T‑276/04, Rec. p. II‑1277, points 41 et 42 ; Visa Europe et Visa International Service/Commission, précité, points 234 à 237, et du 27 juin 2012, Bolloré/Commission, T‑372/10, non encore publié au Recueil, points 115 à 118, faisant l’objet d’un pourvoi pendant devant la Cour, affaire C‑414/12 P).

246    Or, l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1/2003 – lequel règlement a repris les dispositions pertinentes figurant dans le règlement (CEE) n° 2988/74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1) – prévoit que le pouvoir de la Commission de prononcer des amendes est soumis à un délai de prescription de cinq ans. En vertu de l’article 25, paragraphe 2, de ce texte, la prescription court, pour les infractions, comme en l’espèce, continues, à compter du jour où l’infraction a pris fin. La prescription est toutefois susceptible d’être interrompue, en application de l’article 25, paragraphes 3 et 4, dudit règlement. En vertu de l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003, la prescription court à nouveau à partir de chaque interruption, la prescription étant toutefois acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait prononcé une amende ou une astreinte, de sorte que la Commission ne saurait, sous peine que la prescription ne soit acquise, retarder indéfiniment sa décision quant aux amendes.

247    Par suite, une réglementation complète, au sens de la jurisprudence citée au point 245 ci-dessus, s’applique en l’espèce, réglementation dont la requérante n’a pas contesté la légalité.

248    Or, il est constant que PROAS a mis fin à sa participation à l’infraction continue litigieuse, dont CEPSA est en l’espèce tenue solidairement responsable en raison de leur lien d’actionnariat à 100 %, à la suite des vérifications effectuées les 1er et 2 octobre 2002 au siège des entreprises concernées.

249    Ainsi, la décision attaquée, adoptée le 3 octobre 2007, est intervenue dans les délais de prescription définis par les dispositions de l’article 25 du règlement n° 1/2003, eu égard aux divers actes interruptifs de prescription que, comme il résulte de l’exposé des antécédents du litige, la Commission a accomplis aux fins de l’instruction et de la poursuite de l’infraction litigieuse et au nombre desquels figure la dernière demande de renseignements du 16 février 2007 adressée à toutes les entreprises concernées (considérant 106 de la décision attaquée).

250    La Commission ayant prononcé les amendes en cause dans les délais de prescription fixés, toute considération liée à l’obligation pour la Commission d’exercer son pouvoir d’infliger des amendes dans un délai raisonnable doit être écartée.

251    À titre surabondant, il convient de relever que la requérante est restée en toute hypothèse en défaut d’établir le caractère déraisonnable, dont elle se prévaut, de la durée de la phase d’instruction préalable à la notification de la communication des griefs.

252    En effet, il y a lieu tout d’abord de constater que l’écoulement d’un délai d’environ deux ans et trois mois entre la date de réception par la Commission de la dernière réponse à sa première série de demandes de renseignements et la date de notification de la communication des griefs ne permet pas, à lui seul, d’établir une méconnaissance du principe de délai raisonnable dans la mesure où, ainsi qu’il résulte de l’exposé des antécédents du litige, la Commission a estimé nécessaire de compléter les informations obtenues à partir des réponses à la première série de demandes de renseignements et d’envoyer à cette fin aux entreprises concernées quatre séries de demandes de renseignements supplémentaires.

253    La requérante soutient toutefois que la Commission disposait dès le 1er juin 2004, date de la réception par la Commission de la dernière réponse à sa première série de demandes de renseignements, de la majorité, voire de la totalité, des éléments de preuve nécessaires à l’adoption de la communication des griefs.

254    Cependant, à cet égard, la requérante n’établit pas que les quatre dernières séries de demandes de renseignements transmises par la Commission auraient été dépourvues de pertinence ou répétitives.

255    À supposer même que la Commission ait disposé dès le 1er juin 2004 de la totalité des éléments de preuve nécessaires à l’adoption de la communication des griefs, il n’est pas contesté que, pour établir celle-ci, la Commission s’est fondée sur un dossier comportant 17 110 pages, volume pouvant justifier, à lui seul, l’existence d’un délai d’instruction relativement long.

256    En effet, la Commission a dû analyser l’ensemble des éléments du dossier d’instruction pour pouvoir établir la communication des griefs.

257    De plus, certains de ces éléments lui avaient été communiqués peu de temps avant le 1er juin 2004, ce qui rendait impossible la notification, dès cette date, de la communication des griefs, eu égard aux délais nécessaires pour analyser ces documents.

258    Ainsi, entre la fin du mois de mars 2004 et le 1er juin de la même année, la Commission a reçu les réponses à sa première série de demandes de renseignements fournies par les cinq entreprises concernées.

259    À cet égard, si la requérante se prévaut du volume réduit des réponses de PROAS aux quatre dernières séries de demandes de renseignements, elle n’établit pas ni même n’allègue que le volume de sa réponse à la première série de demandes de renseignements aurait été limité et qu’il en aurait été de même s’agissant des autres entreprises.

260    Par ailleurs, les demandes de clémence de Repsol et de PROAS, que la Commission a dû également analyser pour pouvoir établir la communication des griefs, avaient été respectivement introduites à la fin du mois de mars 2004 et au début du mois d’avril de la même année, c’est-à-dire, là encore, peu de temps avant le 1er juin 2004.

261    Eu égard aux considérations qui précèdent, le délai d’environ deux ans et trois mois qui s’est écoulé entre la date de réception par la Commission de la dernière réponse à sa première série de demandes de renseignements et la date de la communication des griefs ne révèle pas une inaction critiquable de la Commission.

262    Les allégations de la requérante relatives à l’absence de complexité des faits dont la Commission avait à connaître pour établir la communication des griefs, qui ne sont pas établies au regard des pièces du dossier, ne suffiraient pas, en tout état de cause, pour invalider la conclusion qui précède.

263    Par suite, le caractère excessif ou déraisonnable de la durée de la phase d’instruction préalable à la notification à la requérante de la communication des griefs ne peut être tenu pour établi.

264    En l’absence de démonstration du caractère déraisonnable de la durée de cette phase d’instruction préliminaire, il convient d’écarter comme reposant sur une prémisse erronée l’argument de la requérante selon lequel la prolongation indue de l’instruction du dossier aurait eu une incidence directe et significative sur le montant de l’amende retenu dans la décision attaquée, en raison du relèvement sensible du montant des amendes infligées prétendument opéré entre-temps par la Commission, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé de cet argument en raison de son caractère désormais inopérant.

265    En conséquence, le grief pris de la méconnaissance du principe du respect d’un délai raisonnable de la procédure administrative doit, en tout état de cause, être écarté.

 Sur la procédure juridictionnelle

266    La requérante invoque, au soutien de ses conclusions en réformation, l’existence d’un délai déraisonnable de la procédure juridictionnelle.

267    Il y a lieu de constater qu’un tel grief, lorsqu’il est présenté dans le cadre du même recours que celui pour la procédure duquel il est allégué que le principe de délai raisonnable a été méconnu, est irrecevable.

268    En effet, la formation de jugement statuant sur le recours serait amenée, si elle examinait ce grief, à se prononcer sur le caractère fautif ou illégal de son propre comportement, ce qui pourrait susciter chez le requérant des doutes légitimes concernant l’impartialité objective de ladite formation (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Léger sous l’arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité, Rec. p. I‑8422, point 67 ; de l’avocat général M. Bot sous l’arrêt de la Cour du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, C‑385/07 P, Rec. p. I‑6155, I‑6160, point 337 ; Cour eur. D. H., arrêt Milhalkov c. Bulgarie du 10 avril 2008, point 47).

269    Il convient également de relever que l’irrecevabilité, dans le cadre du présent recours, du grief présenté par la requérante, ne porte pas atteinte au droit de celle-ci à l’accès à un juge. En effet, la requérante serait recevable à invoquer un tel grief dans le cadre d’un pourvoi dirigé contre le présent arrêt (arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité, point 48), voire, dans le cadre d’un recours en responsabilité non contractuelle sur le fondement des articles 268 TFUE et 340 TFUE.

270    Il résulte de ce qui précède que le présent grief doit être écarté.

271    En conséquence, il convient d’écarter l’ensemble du présent moyen.

5.      Sur le sixième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité

272    CEPSA reproche à la Commission d’avoir fixé le montant de l’amende infligée en omettant de prendre en considération, d’une part, le fait que l’infraction a concerné un marché sectoriel peu significatif et une zone géographique très limitée et, d’autre part, le faible pourcentage que les ventes du bitume de pénétration de PROAS sur le marché espagnol ont représenté dans le chiffre d’affaires global de CEPSA.

a)     Sur le premier grief, pris de la méconnaissance du fait que l’infraction aurait concerné un marché sectoriel peu significatif et une zone géographique très limitée

 Arguments des parties

273    CEPSA rappelle que, conformément au principe de proportionnalité, la Commission a tenu compte, à plusieurs reprises dans d’autres décisions, de la faible dimension du marché en cause, tant sectoriel que géographique, pour qualifier l’infraction de « grave » et non de « très grave », conformément aux lignes directrices de 1998.

274    En l’espèce, la Commission aurait toutefois rompu avec cette pratique et violé le principe de proportionnalité en qualifiant l’infraction de « très grave » et non de « grave », tout en constatant que l’infraction ne concernait que les ventes de bitume en Espagne (à l’exception des îles Canaries). Bien que la Commission ait ainsi reconnu le caractère limité de l’infraction et prétendument modulé, en conséquence, le montant de l’amende, elle aurait, en l’espèce, en ne qualifiant pas de « grave » l’infraction, introduit une différence notable dans le montant de départ de l’amende retenu à hauteur de 40 000 000 euros. Un tel montant excéderait le montant de 20 000 000 euros correspondant à la catégorie des infractions graves retenue par les lignes directrices de 1998.

275    Certes, des décisions auraient jugé très grave une infraction à l’article 81 CE limitée au territoire d’un État membre et cette qualification aurait été acceptée en certaines occasions par le Tribunal. Toutefois, en dépit du très haut degré de gravité reconnu à certaines infractions, la Commission aurait néanmoins pris en compte les dimensions réduites de la zone géographique affectée pour fixer le montant de base de l’amende.

276    À l’exception de la décision 2003/569/CE de la Commission, du 5 décembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire IV/37.614/F3 – PO/Interbrew et Alken-Maes) et de la décision du 21 février 2007 (Affaire COMP/E‑1/38.823 – PO/Ascenseurs et escaliers mécaniques), rendues dans des affaires où le volume des ventes du produit en cause était sensiblement supérieur à celui de la présente affaire, le montant de départ de l’amende, dont le calcul prend en compte la zone géographique de l’infraction, n’aurait atteint 40 000 000 euros dans aucun des autres cas d’entente similaires mentionnés par la Commission.

277    La Commission soutient que le présent grief doit être écarté.

 Appréciation du Tribunal

278    À titre liminaire, il convient de relever que, si la requérante invoque le principe de proportionnalité, l’ensemble de son argumentation se fonde uniquement sur l’existence alléguée d’une qualification erronée de la gravité de l’infraction retenue par la Commission. Ainsi, la requérante n’a développé aucun argument autonome relatif au caractère disproportionné du montant de l’amende qui lui a été appliqué.

279    Ensuite, il y a lieu de rappeler que, au considérant 500 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que chacun des deux groupes de comportements anticoncurrentiels constatés, les accords horizontaux de partage du marché et la coordination des prix, relevait, de par sa nature même, des types d’infractions les plus graves à l’article 81 CE et que la jurisprudence avait confirmé que ce type de restrictions pouvait justifier la classification d’infractions « très graves » uniquement au vu de leur nature, sans qu’il soit nécessaire, pour de tels comportements, d’avoir un impact particulier.

280    La Commission a réaffirmé au considérant 509 de la décision attaquée que, étant donné la nature des comportements infractionnels constatés, les entreprises destinataires de la décision attaquée avaient commis une infraction très grave à l’article 81 CE et précisé que cette conclusion était formulée indépendamment de la question de savoir si l’entente avait eu un impact mesurable sur le marché.

281    À cet égard, il résulte de la description indicative des infractions très graves qui figure au point 1 A des lignes directrices de 1998, dont la Commission a fait application dans la décision attaquée, que des accords ou pratiques concertées visant, comme en l’espèce, à la répartition des marchés et à la fixation des prix peuvent emporter une telle qualification sur le seul fondement de leur nature propre, sans qu’il soit nécessaire de caractériser de tels comportements par une étendue géographique particulière ou par l’impact de l’infraction sur le marché (arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, Rec. p. I‑7415, points 75 et 81).

282    Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description indicative que le point 1 A des lignes directrices de 1998 donne des infractions ayant vocation à être considérées comme graves mentionne qu’il s’agira d’infractions du même type que celles définies comme peu graves, « mais dont l’application est plus rigoureuse, dont l’impact sur le marché est plus large et qui peuvent produire leurs effets sur des zones étendues du marché commun », celle des infractions très graves, en revanche, ne mentionne aucune autre exigence que la nature propre de l’infraction en cause (arrêt de la Cour du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 103, et arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 150).

283    Il s’ensuit que les accords de répartition du marché et les activités de coordination des prix auxquels a participé PROAS ont pu être qualifiés à bon droit par la Commission d’infractions très graves à l’article 81, paragraphe 1, CE sur le seul fondement de leur nature propre.

284    Par suite, l’argumentation de la requérante relative à la faible dimension du marché en cause, tant d’un point de vue sectoriel que géographique, doit être écartée comme inopérante.

285    Au surplus, il a été jugé que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas de cadre juridique applicable aux amendes en matière de droit de concurrence et que des décisions concernant d’autres affaires n’ont qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence de discriminations (voir arrêt de la Cour du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C‑549/10 P, non encore publié au Recueil, point 104, et la jurisprudence citée).

286    Ainsi, le fait que la Commission a imposé, dans le passé, des amendes se situant à un niveau déterminé pour certaines catégories d’infractions ne saurait l’empêcher de les fixer à un niveau plus élevé, si un relèvement des sanctions, était jugé nécessaire afin d’assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence de l’Union, celle-ci restant uniquement définie par le règlement n° 1/2003 (voir arrêt Tomra Systems e.a./Commission, précité, point 105, et la jurisprudence citée).

287    La Cour a, en effet, souligné que la mise en œuvre de ladite politique exigeait que la Commission puisse adapter le niveau des amendes en fonction des impératifs de la politique en la matière (arrêt du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 109).

288    Par suite, la requérante ne saurait utilement se prévaloir de décisions antérieures adoptées par la Commission en matière de concurrence pour contester le montant de l’amende qui lui a été infligée.

289    Il résulte de ce qui précède que le présent grief doit être écarté.

290    À supposer même que la requérante entende, par son grief, ne pas limiter sa critique à la qualification de la gravité de l’infraction, mais vise également à contester le montant de 40 000 000 euros sur lequel la Commission s’est fondée pour calculer le montant de l’amende qui lui a été appliqué, il convient de rappeler que la Commission a d’abord déterminé un montant de départ, qu’elle a fixé à 40 000 000 euros compte tenu à la fois du fait qu’elle qualifiait les infractions retenues de « très graves », de l’étendue géographique du marché concerné et de sa valeur (voir point 74 ci-dessus).

291    Sur la base de ce montant de départ, la Commission a appliqué un traitement différencié à chacun des participants à l’entente en prenant en compte la part qu’occupait chacun d’eux dans le marché du bitume de pénétration pour l’Espagne en 2001, c’est-à-dire la dernière année complète de l’infraction (considérants 511 à 515 de la décision attaquée).

292    Ainsi, la Commission a procédé au classement en trois catégories des participants à l’entente, estimant, notamment, que le montant de départ pour le calcul de l’amende, fixé à 40 000 000 euros, devait s’appliquer pleinement à Repsol et à PROAS, dont les parts de marché étaient estimées entre 31,67 et 34,04 % (considérants 514 à 515 de la décision attaquée).

293    C’est donc sur la base d’un montant de 40 000 000 euros, équivalant au montant de départ, que la Commission s’est ensuite fondée pour calculer le montant de l’amende due par la requérante.

294    S’agissant du caractère disproportionné d’un tel montant, en premier lieu, il y a lieu de constater, que l’infraction en cause a été qualifiée de « très grave » par la Commission et, ainsi qu’il ressort du point 283 du présent arrêt, que la requérante n’a pas établi que cette qualification était erronée.

295    En deuxième lieu, en ce qui concerne l’étendue géographique de l’infraction, il n’est pas contesté que l’infraction en cause se rapporte au bitume de pénétration vendu en Espagne (à l’exception des îles Canaries).

296    Sur ce point, la requérante n’établit pas qu’un tel marché ne serait pas de dimension nationale.

297    Or, il ressort de la jurisprudence qu’un marché géographique de dimension nationale correspond à une partie substantielle du marché commun (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 28 ; arrêts du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T‑49/02 à T‑51/02, Rec. p. II‑3033, point 176, et Groupe Danone/Commission, précité, point 150).

298    En troisième lieu, il est constant que la valeur totale du marché espagnol du bitume de pénétration a représenté 286 400 000 euros en 2001, dernière année complète de l’infraction en cause. Il est également constant que les ventes de PROAS concernant le bitume espagnol étaient en 2001 de 90 700 000 euros, soit 31,67 % du marché concerné.

299    Au regard de ce pourcentage et de ces deux montants, ainsi que de la gravité de l’infraction et de l’étendue du marché géographique concerné, le montant de 40 000 000 euros appliqué à la requérante pour servir de base au calcul de l’amende n’apparaît pas disproportionné.

300    Le présent grief doit donc être écarté en tout état de cause.

b)     Sur le deuxième grief, pris de la méconnaissance du faible pourcentage du chiffre d’affaires global de CEPSA représenté par les ventes de bitume de pénétration de PROAS sur le marché espagnol

 Arguments des parties

301    CEPSA reproche à la Commission d’avoir méconnu le fait que les ventes de bitume de pénétration effectuées par PROAS sur le marché espagnol ne représentaient qu’une infime partie du chiffre d’affaires global de CEPSA.

302    Selon CEPSA, il résulte de la jurisprudence que, parmi les éléments d’appréciation de la gravité de l’infraction, peuvent, selon les cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l’objet de l’infraction, la taille et la puissance économique de l’entreprise et, partant, l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. D’une part, il s’ensuivrait qu’il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise, lequel constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de sa taille et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient de la vente des marchandises faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci. D’autre part, il en résulterait qu’il ne faut attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation, de sorte que la fixation du montant d’une amende approprié ne peut être le résultat d’un simple calcul fondé sur le chiffre d’affaires global. Il en est particulièrement ainsi lorsque les marchandises concernées ne représentent qu’une faible fraction de ce chiffre (arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T‑77/92, Rec. p. II‑549, point 94).

303    Or, d’une part, CEPSA serait un groupe multinational présent sur les cinq continents et aux activités diversifiées comprenant l’exploration et la production de pétrole, l’approvisionnement de raffineries, l’importation et la vente de gaz, la production et la vente d’électricité, le raffinage, la distribution et la commercialisation de produits pétroliers.

304    D’autre part, au cours de l’exercice commercial 2001, dernière année complète de l’infraction, les ventes de bitume de pénétration de PROAS en Espagne se seraient élevées à 90 700 000 euros, soit à peine 0,77 % du chiffre d’affaires global de 11 664 000 000 euros réalisé par CEPSA au titre du même exercice commercial.

305    L’amende de 83 850 000 euros infligée à CEPSA équivaudrait ainsi pratiquement au chiffre total des ventes de PROAS au cours de la dernière année complète de l’infraction. À supposer imputable à CEPSA l’infraction commise par PROAS, cette amende dépasserait ainsi de toute évidence le montant raisonnablement nécessaire aux fins de l’objectif de prévention tant spécifique (sanction du comportement en cause et compensation de ses effets) que générale (effet dissuasif de la sanction à l’égard de comportements futurs), comme il ressort des lignes directrices de 1998 appliquées en l’espèce.

306    Contrairement à ce que soutient la Commission, le volume des ventes mondiales de CEPSA aurait exercé une influence sur la décision attaquée, dans la mesure où le montant final de l’amende représente plus de 90 % du chiffre d’affaires réalisé par PROAS durant la dernière année complète de l’infraction. Un tel résultat n’aurait pas pu être obtenu et le chiffre d’affaires de CEPSA n’aurait pas été pris en considération si la Commission n’avait pas retenu l’existence d’une entité économique unique.

307    Indépendamment de l’existence d’une entité économique unique, l’application du principe de proportionnalité aurait dû conduire la Commission à réduire le montant de l’amende dans la mesure où le montant retenu constitue un pourcentage disproportionné par rapport à l’activité exercée par PROAS sur le marché espagnol du bitume.

308    En définitive, la Commission aurait violé le principe de proportionnalité ainsi qu’une jurisprudence constante de l’Union imposant l’adéquation de la sanction à l’importance relative de l’activité de PROAS dans le groupe CEPSA.

309    La Commission soutient que le présent grief doit être écarté.

 Appréciation du Tribunal

310    Pour établir, dans le cadre du présent grief, le caractère disproportionné du montant de l’amende appliquée à CEPSA-PROAS, la requérante invoque deux arguments : d’une part, le faible pourcentage que les ventes de bitume de pénétration de PROAS sur le marché espagnol représentent dans le chiffre d’affaires global de CEPSA ; d’autre part, l’importance du montant de l’amende au regard du chiffre total des ventes de PROAS au cours de la dernière année complète de l’infraction.

311    S’agissant du premier argument, il y a lieu de relever que le faible pourcentage que les ventes de bitume de pénétration de PROAS sur le marché espagnol représentent dans le chiffre d’affaires global de CEPSA ne pourrait utilement être invoqué pour établir le caractère disproportionné de l’amende infligée à CEPSA-PROAS que si le chiffre d’affaires de CEPSA avait eu pour effet d’augmenter le montant de l’amende.

312    Or, tel n’est pas le cas, puisque le chiffre d’affaire, de CEPSA n’apparaît à aucun moment dans la formule de calcul permettant d’aboutir au montant de l’amende appliqué à CEPSA-PROAS.

313    En effet, aux considérants 514 et 515 de la décision attaquée, la Commission a procédé au classement en trois catégories des participants à l’entente aux fins de leur traitement différencié.

314    Comme elle l’a indiqué au considérant 511 de la décision attaquée, la Commission a ainsi souhaité tenir compte des différences existant entre la capacité économique effective des participants à l’entente à causer un préjudice grave à la concurrence.

315    À cette fin, la Commission a pris en compte le montant des ventes de bitume de pénétration réalisées par les participants à l’entente.

316    Ainsi, s’agissant du groupe CEPSA, seules les ventes de bitume de pénétration de PROAS ont été prises en compte.

317    Par ailleurs, le chiffre d’affaires global de CEPSA n’a pas été pris en compte par la Commission lors de la phase au cours de laquelle un coefficient multiplicateur destiné à garantir l’effet suffisamment dissuasif du montant de l’amende et calculé en fonction du chiffre d’affaires global du groupe concerné en 2006 a été appliqué pour certaines entreprises.

318    En effet, aucun coefficient multiplicateur n’a été appliqué s’agissant de CEPSA‑PROAS.

319    Le premier argument invoqué par la requérante dans le cadre du présent grief doit donc être écarté.

320    Il y a lieu d’ajouter que l’arrêt Parker Pen/Commission, précité, ne saurait être utilement invoqué par la requérante.

321    En effet, dans cet arrêt, le Tribunal a réduit le montant de l’amende infligée à Parker Pen au motif que la Commission n’avait pas pris en considération le fait que le chiffre d’affaires réalisé par la société Parker Pen avec les produits concernés par l’infraction était relativement faible par rapport à celui résultant de l’ensemble de ses ventes et que la fixation d’une amende appropriée ne pouvait pas être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global de la société (arrêt Parker Pen/Commission, précité, point 94).

322    Or, en l’espèce, ainsi qu’il vient d’être dit précédemment, la Commission a seulement pris en compte le montant des ventes du produit faisant l’objet de l’infraction.

323    De plus, l’entreprise en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Parker Pen/Commission, précité, était une société indépendante et non une société relevant, comme PROAS, d’un groupe, de sorte que l’éventuelle prise en considération d’un chiffre d’affaires global de groupe ne se posait pas.

324    S’agissant de l’argument de CEPSA selon lequel le montant de l’amende, soit 83 850 000 euros, est presque égal au chiffre total des ventes de PROAS au cours de la dernière année complète de l’infraction, il y a lieu de relever qu’une telle circonstance ne permet pas, à elle seule, de conclure à une méconnaissance du principe de proportionnalité.

325    Par ailleurs, par cet argument, la requérante doit être regardée comme contestant le montant appliqué à CEPSA-PROAS du plafond de 10 % prévu par l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 et, avant lui, par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

326    À cet égard, il est vrai que le montant final de l’amende représente plus de 10 % du chiffre d’affaires de PROAS, soit 9 070 000 euros.

327    Cependant, la Commission a fait application en l’espèce de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur sa filiale intégrale pour considérer que PROAS et CEPSA constituaient une unité économique (considérant 430 de la décision attaquée).

328    Or, le plafond de 10 %, au sens de cette disposition, doit être calculé sur la base du chiffre d’affaires cumulé de toutes les sociétés constituant l’entité économique unique agissant en tant qu’entreprise au sens de l’article 81 CE, puisque seul le chiffre d’affaires cumulé des sociétés composantes peut constituer une indication de la taille et de la puissance économique de l’entreprise en question (voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑112/05, Rec. p. II‑5049, point 90, et la jurisprudence citée).

329    De plus, ainsi qu’il résulte de la réponse apportée au troisième moyen, CEPSA n’a pas été en mesure de réfuter la présomption d’exercice effectif par elle d’une influence déterminante sur PROAS.

330    En particulier, il a été exposé que l’importance mineure que représente l’activité de la filiale auteur de l’infraction dans la politique industrielle du groupe auquel elle appartient, argument dont se prévalait également la requérante dans le cadre du troisième moyen, ne saurait prouver que la société mère a laissé cette filiale définir son comportement sur le marché de façon autonome (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 juillet 2011, ENI/Commission, T‑39/07, non encore publié au Recueil, point 98).

331    Dès lors, le second argument invoqué par la requérante dans le cadre du présent grief doit être écarté.

332    En conséquence, aucun des arguments présentés par la requérante ne lui ayant permis d’établir que la Commission aurait violé le principe de proportionnalité, le présent grief doit être écarté, ainsi que le sixième moyen dans son intégralité.

6.      Sur le septième moyen, tiré de l’absence de prise en compte du « programme d’alignement » sur les règles de concurrence de l’Union établi par CEPSA

a)     Arguments des parties

333    CEPSA considère que la Commission a commis une erreur d’appréciation en ne tenant pas compte de la mise en place en janvier 2003, soit trois mois seulement après la vérification effectuée au siège de PROAS, de son « programme d’alignement » sur les règles de concurrence de l’Union applicable à tous ses secteurs d’activité et destiné à toutes les entreprises du groupe CEPSA. L’établissement de ce programme par CEPSA aurait été motivé par la grande préoccupation suscitée par l’implication d’une de ses filiales dans l’entente.

334    La Commission aurait dû tenir compte de l’instauration de ce programme à titre de circonstance atténuante, pour réduire l’amende à laquelle CEPSA a été condamnée. La Commission aurait agi de cette manière à plusieurs reprises dans d’autres affaires d’ententes.

335    La prise en compte de ce programme aurait été particulièrement appropriée en l’espèce, pour deux motifs. D’une part, aucune entreprise du groupe CEPSA n’aurait été condamnée pour avoir participé à une entente ou commis une autre infraction grave au titre de l’article 81 CE jusqu’à la vérification effectuée au siège de PROAS. D’autre part, CEPSA soutient qu’elle a réagi radicalement et immédiatement contre d’éventuelles violations futures aux règles de concurrence de l’Union de la part de l’une de ses filiales. En l’espace de trois mois seulement, CEPSA aurait en effet, pour la première fois de son histoire, conçu et mis en œuvre un « programme d’alignement » sur ces règles.

336    La Commission soutient que le présent moyen doit être écarté.

b)     Appréciation du Tribunal

337    Le juge de l’Union considère que, malgré son importance, l’adoption par une entreprise de mesures pour empêcher de nouvelles infractions ne change rien à la réalité de l’infraction constatée. En outre, la simple adoption, par une entreprise, d’un programme de mise en conformité aux règles de concurrence ne saurait constituer une garantie valable et certaine du respect futur et durable par celle-ci desdites règles, de sorte qu’un tel programme ne saurait contraindre la Commission à une diminution du montant de l’amende au motif que l’objectif de prévention que cette institution poursuit serait déjà au moins partiellement atteint (arrêts du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, Rec. p. II‑897, point 361 ; du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission, T‑101/05 et T‑111/05, Rec. p. II‑4949, point 52, et du 30 novembre 2011, Quinn Barlo e.a./Commission, T‑208/06, non encore publié au Recueil, points 256 et 257).

338    La Commission était, en l’espèce, d’autant moins tenue de retenir, à titre de circonstance atténuante, le programme d’alignement sur les règles de concurrence de l’Union établi par CEPSA que l’infraction en cause constituait une violation manifeste de l’article 81, paragraphe 1, CE (voir arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑329/01, Rec. p. II‑3255, point 299, et la jurisprudence citée).

339    C’est également en vain que CEPSA soutient qu’aucune entreprise de son groupe n’a été condamnée pour avoir participé à une entente ou n’a commis une autre infraction grave à l’article 81 CE.

340    Il résulte en effet de la jurisprudence que, si les lignes directrices de 1998 prévoient que la Commission peut retenir des circonstances aggravantes à l’encontre d’une entreprise qui a déjà commis une ou plusieurs infractions du même type, il n’en résulte pas que, lorsque l’infraction en cause est la première de ce type commise par l’entreprise concernée, elle doit se voir appliquer un traitement favorable à titre de circonstance atténuante (arrêt Archer Daniels Midland/Commission, précité, point 300).

341    L’absence d’infraction antérieure constitue, en effet, une circonstance normale dont la Commission n’a pas à tenir compte comme circonstance atténuante (arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T‑11/89, Rec. p. II‑757, point 369, et du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 421).

342    La Commission n’a donc pas commis d’erreur en ne retenant à titre de circonstance atténuante ni l’introduction par CEPSA de son programme d’alignement sur les règles de concurrence de l’Union ni l’absence de constatation d’infractions antérieures des entreprises du groupe CEPSA à ces règles.

343    Dans ces conditions, le moyen ne saurait prospérer.

344    Il résulte de tout ce qui précède que l’ensemble des moyens invoqués par la requérante doivent être écartés et que, par suite, ses conclusions aux fins d’annulation doivent être rejetées.

345    De plus, il ne ressort pas des pièces du dossier, au regard des arguments et moyens soulevés par la requérante, que la Commission a commis une erreur justifiant une modification du montant de l’amende qui lui a été appliquée.

346    Il convient donc, eu égard à ce qui précède et à l’ensemble des circonstances de l’espèce, de rejeter les conclusions aux fins de réformation présentées par la requérante.

347    En conséquence, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

B –  Sur les demandes de la Commission relatives au montant de l’amende

348    La Commission conclut, dans les mémoires en défense et en réplique, à un maintien, voire à une majoration, de l’amende infligée à CEPSA.

1.     Sur l’absence de modification du montant de l’amende infligée à CEPSA, dans l’hypothèse de sa réduction dans l’affaire T‑495/07

a)     Arguments des parties

349    La Commission fait observer dans son mémoire en défense que, contrairement à PROAS dans l’affaire T‑495/07, CEPSA n’a développé aucun moyen au soutien d’une réduction du montant de l’amende pour coopération. La réduction pour coopération de 25 % octroyée par la décision attaquée serait, dans la présente affaire, définitive, si les moyens de CEPSA devaient être rejetés, quand bien même le Tribunal ferait droit par ailleurs aux moyens invoqués par PROAS dans l’affaire T‑495/07 pour obtenir au titre de sa coopération une réduction supérieure du montant de l’amende à celle obtenue de la Commission.

b)     Appréciation du Tribunal

350    Il y a lieu de relever que l’argumentation de la Commission, à supposer qu’elle puisse être regardée comme venant au soutien de conclusions tendant au maintien du montant de l’amende dans l’hypothèse où, par son arrêt rendu dans l’affaire où PROAS est partie requérante, le Tribunal réduirait le montant de l’amende infligée à cette dernière, ne saurait en tout état de cause être accueillie compte tenu du fait que, dans l’arrêt du 16 septembre 2013, Productos Asfálticos/Commission (T‑495/07, non publié au Recueil), le Tribunal a rejeté les prétentions de la partie requérante.

2.     Sur la majoration du montant de l’amende, dans l’hypothèse d’une remise en cause de la valeur ajoutée de la coopération de PROAS dans les affaires T‑462/07 et T‑482/07

a)     Arguments des parties

351    La Commission note que, dans deux des affaires connexes à la présente affaire, l’affaire T‑462/07, introduite par Galp, et l’affaire T‑482/07, introduite par Nynäs, Galp et Nynäs soutiennent que l’infraction n’a pas été prouvée à suffisance de droit à leur égard et reprochent à la Commission de s’être indûment fondée sur les déclarations émises par Repsol et CEPSA-PROAS dans leur demande au titre de la communication de 2002.

352    Il serait clair que, si le Tribunal annulait, ne fût-ce que partiellement, la décision attaquée à l’égard de Galp et de Nynäs, au motif que les informations fournies par CEPSA-PROAS n’auraient pas une valeur probante suffisante, il devrait réexaminer, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, l’étendue de la coopération de CEPSA-PROAS.

353    Dans un tel cas, la réduction pour coopération accordée à CEPSA devrait se limiter à 20 %, soit 5 % de moins que celle consentie. On ne pourrait exclure que, si le Tribunal estimait, dans l’affaire T‑462/07 ou dans l’affaire T‑482/07, que les informations en cause ont une valeur très limitée, il ne doive décider que CEPSA ne peut bénéficier d’aucune réduction pour coopération, sa coopération n’atteignant pas le seuil de la « valeur ajoutée significative » au sens de la communication de 2002.

354    CEPSA conclut au rejet des présentes conclusions.

b)     Appréciation du Tribunal

355    La Commission soutient que le constat, dans le cadre des affaires dans lesquelles Petrogal et Nynäs sont parties requérantes, de l’absence de valeur probante des éléments fournis par CEPSA-PROAS en application de la communication de 2002, s’il conduisait à une annulation de la décision attaquée à l’égard de Petrogal et de Nynäs ou à une réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée, devrait nécessairement conduire le juge, dans la présente instance, à diminuer la réduction du montant de l’amende dont la requérante a bénéficié au titre de ladite communication.

356    À cet égard, il convient de rappeler que les arrêts d’annulation des juridictions de l’Union jouissent de l’autorité absolue de la chose jugée (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑372/97, Rec. p. I‑3679, point 36).

357    Ainsi, une annulation fait disparaître rétroactivement l’acte en cause à l’égard de tous les justiciables, un arrêt d’annulation ayant un effet erga omnes [arrêt de la Cour du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C‑442/03 P et C‑471/03 P, Rec. p. I‑4845, point 43].

358    Cependant, une décision adoptée en matière de concurrence à l’égard de plusieurs entreprises, bien que rédigée et publiée sous la forme d’une seule décision, doit s’analyser comme un faisceau de décisions individuelles constatant à l’égard de chacune des entreprises destinataires la ou les infractions retenues à sa charge et lui infligeant, le cas échéant, une amende. Elle ne peut être annulée qu’en ce qui concerne les destinataires ayant obtenu gain de cause dans leurs recours devant le juge de l’Union et elle demeure contraignante à l’égard des destinataires n’ayant pas introduit de recours en annulation (arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, points 99 et 100).

359    Il convient de relever que la Cour a néanmoins jugé que l’annulation partielle, dans une instance, d’une décision retenant la responsabilité d’une société, permettait au juge, dans une autre instance, d’annuler dans la même mesure la décision retenant la responsabilité de sa société mère, lorsque la responsabilité de cette dernière était entièrement dérivée de celle de sa filiale (arrêt de la Cour du 22 janvier 2013, Commission/Tomkins, C‑286/11 P, non encore publié au Recueil, points 14 et 39).

360    En l’espèce, la responsabilité de CEPSA n’est pas dérivée de celle de Petrogal ou de Nynäs.

361    Dès lors, l’annulation des décisions adressées à ces deux dernières entreprises reste sans incidence sur la décision adressée à CEPSA et ne saurait donc imposer au juge, contrairement à ce que soutient la Commission, de majorer le montant de l’amende infligée à CEPSA. Il en va a fortiori de même des conséquences d’une simple réduction de l’amende infligée à Petrogal ou à Nynäs.

362    Certes, l’autorité absolue des arrêts d’annulation des juridictions de l’Union s’attache tant au dispositif de l’arrêt qu’aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire (arrêt Italie/Commission, précité, point 36).

363    Cependant, la prise en considération des motifs qui font apparaître les raisons exactes de l’illégalité constatée par le juge de l’Union n’a pour objet que de déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif (arrêt de la Cour du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., C‑310/97 P, Rec. p. I‑5363, point 55).

364    Par suite, si le dispositif d’un arrêt d’annulation est sans incidence sur la situation d’une personne, les motifs qui en constituent le support ne sauraient en avoir.

365    Ainsi, l’annulation des décisions adressées à Petrogal ou à Nynäs ou une réduction du montant de leur amende ne saurait imposer au juge de majorer le montant de l’amende infligée à CEPSA, y compris dans le cas où cette annulation ou cette réduction aurait pour motif une absence de valeur probante des éléments fournis par CEPSA-PROAS en application de la communication de 2002.

366    En tout état de cause, l’autorité d’un simple motif d’un arrêt d’annulation ne peut s’appliquer aux personnes qui n’étaient pas parties au procès et à l’égard desquelles l’arrêt ne peut dès lors avoir décidé quoi que ce soit (arrêt Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., précité, point 55).

367    Dès lors, à supposer même que l’absence de valeur probante des éléments fournis par CEPSA-PROAS en application de la communication de 2002 soit établie dans le cadre des affaires où Petrogal et Nynäs sont parties requérantes, un tel constat n’imposerait pas au Tribunal, dans la présente instance, de majorer le montant de l’amende infligée à CEPSA en diminuant la réduction du montant d’amende dont elle a bénéficié au titre de ladite communication.

368    En conséquence, les conclusions de la Commission doivent être rejetées.

369    À supposer même que le Tribunal, bien qu’il n’y soit pas tenu, puisse, sans méconnaître le principe du contradictoire, prendre en compte, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, les motifs et le dispositif des arrêts prononcés ce jour, Galp Energía España e.a./Commission (T‑462/07, non publié au Recueil), ainsi que Nynäs Petroleum et Nynas Petróleo/Commission (T‑482/07, non publié au Recueil), une telle prise en compte resterait en l’espèce sans incidence sur le montant de l’amende infligée à la requérante.

370    En effet, d’une part, l’annulation partielle par le Tribunal dans l’arrêt Galp Energía España e.a./Commission, précité, de la décision attaquée et la réduction du montant de l’amende infligée à Galp et, d’autre part, la réduction du montant de l’amende infligée à Nynäs dans l’arrêt Nynäs Petroleum et Nynas Petróleo/Commission, précité, ne reposent nullement sur le constat d’une absence de valeur ajoutée des éléments fournis par CEPSA-PROAS au titre de la communication de 2002.

371    Il résulte de tout ce qui précède et eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce que l’ensemble des conclusions présentées par la Commission doit être rejeté.

 Sur les dépens

372    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

373    La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission en ce sens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Les conclusions de la Commission européenne relatives au montant de l’amende sont rejetées.

3)      Compañía Española de Petróleos (CEPSA), SA est condamnée aux dépens.

Truchot

Martins Ribeiro

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 septembre 2013.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

A –  Marché en cause

B –  Entreprises en cause

1.  Groupe Repsol

2.  CEPSA-PROAS

3.  BP

4.  Groupe Nynäs

5.  Groupe Petrogal

C –  Procédure administrative

D –  Décision attaquée

1.  Constatation de l’infraction

2.  Calcul du montant des amendes

a)  Détermination et adaptation du « montant de départ » des amendes

b)  Durée de l’infraction

c)  Circonstances aggravantes

d)  Application de la communication de 2002

3.  Dispositif de la décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

A –  Sur les conclusions en annulation et en réformation de la décision attaquée

1.  Sur le premier moyen, pris de la violation du principe de bonne administration et des droits de la défense

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur le deuxième moyen, pris de l’application erronée de la présomption d’exercice effectif par une société mère d’une influence déterminante sur le comportement de sa filiale intégrale

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

3.  Sur le troisième moyen, pris du défaut de motivation entachant la réfutation par la décision attaquée des arguments que CEPSA a développés au soutien de l’autonomie de comportement de PROAS dans sa réponse à la communication des griefs et sur le quatrième moyen, pris de l’inaptitude des quatre indices supplémentaires au lien d’actionnariat à 100 % de CEPSA et de PROAS à conforter la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante

a)  Sur l’insuffisance de motivation

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

b)  Sur le bien-fondé du constat par la Commission d’une absence de renversement de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante de CEPSA sur le comportement de PROAS

Sur l’absence de modification de la direction de PROAS et de sa politique commerciale lors de sa prise de contrôle intégrale par CEPSA

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur l’existence de moyens propres à PROAS

–  Arguments des parties

–  Appréciation du tribunal

Sur le fait que PROAS approuvait son plan d’entreprise et définissait sa politique d’investissements stratégiques de manière indépendante

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la faible importance de l’activité de PROAS au sein du groupe CEPSA

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

4.  Sur le cinquième moyen, tiré de la méconnaissance des principes de respect du délai raisonnable et de bonne administration

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

Sur la procédure administrative

Sur la procédure juridictionnelle

5.  Sur le sixième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité

a)  Sur le premier grief, pris de la méconnaissance du fait que l’infraction aurait concerné un marché sectoriel peu significatif et une zone géographique très limitée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

b)  Sur le deuxième grief, pris de la méconnaissance du faible pourcentage du chiffre d’affaires global de CEPSA représenté par les ventes de bitume de pénétration de PROAS sur le marché espagnol

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

6.  Sur le septième moyen, tiré de l’absence de prise en compte du « programme d’alignement » sur les règles de concurrence de l’Union établi par CEPSA

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

B –  Sur les demandes de la Commission relatives au montant de l’amende

1.  Sur l’absence de modification du montant de l’amende infligée à CEPSA, dans l’hypothèse de sa réduction dans l’affaire T‑495/07

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur la majoration du montant de l’amende, dans l’hypothèse d’une remise en cause de la valeur ajoutée de la coopération de PROAS dans les affaires T‑462/07 et T‑482/07

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’espagnol.