Language of document : ECLI:EU:C:2020:230

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 26 mars 2020 (1)

Affaire C80/19

E. E.

en présence de

Kauno miesto 4-ojo notaro biuro notarė Virginija Jarienė,

K.-D. E.

[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 650/2012 – Champ d’application – Notion de “succession ayant une incidence transfrontière” – Notion de “résidence habituelle” – Soumission des notaires aux règles de compétence judiciaire internationale – Notion d’“acte authentique” – Choix de la loi résultant des termes d’une disposition à cause de mort – Dispositions transitoires – Attribution de compétence judiciaire internationale par les parties intéressées »






1.        Le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) pose un certain nombre de questions préjudicielles sur l’interprétation du règlement (UE) no 650/2012 (2). Elle les juge nécessaires pour statuer sur un recours formé contre le refus d’un notaire lituanien de satisfaire à une demande visant à l’ouverture d’une succession et à la délivrance d’une attestation nationale de succession.

2.        Le litige porte sur la succession à cause de mort d’une ressortissante lituanienne qui résidait en Allemagne (3) et qui avait passé un testament devant notaire en Lituanie, où sont situés les biens entrant dans la succession. Son fils, également de nationalité lituanienne, a présenté à un notaire de Kaunas (Lituanie) une demande tendant à l’ouverture de la succession et à la délivrance de l’attestation de succession, demande que le notaire a rejetée au motif que la défunte avait sa résidence habituelle en Allemagne.

3.        Sur demande de la Cour, les présentes conclusions se limiteront aux quatrième, cinquième et sixième questions. Lors de leur analyse, il me faudra toutefois faire incidemment référence au contenu de certaines des autres questions.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union : le règlement no 650/2012

4.        Les considérants suivants du règlement no 650/2012 sont pertinents :

« (7)      Il y a lieu de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en supprimant les entraves à la libre circulation de personnes confrontées aujourd’hui à des difficultés pour faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontières. Dans l’espace européen de justice, les citoyens doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession. Les droits des héritiers et légataires, des autres personnes proches du défunt ainsi que des créanciers de la succession doivent être garantis de manière effective.

[…]

(20)      Le présent règlement devrait respecter les différents systèmes de règlement des successions applicables dans les États membres. Aux fins du présent règlement, il convient dès lors de donner au terme “juridiction” un sens large permettant de couvrir, non seulement les juridictions au sens strict qui exercent des fonctions juridictionnelles, mais également les notaires ou les services de l’état civil dans certains États membres qui, pour certaines questions successorales, exercent des fonctions juridictionnelles au même titre que les juridictions, et les notaires et les professionnels du droit qui, dans certains États membres, exercent des fonctions juridictionnelles dans le cadre d’une succession donnée en vertu d’une délégation de pouvoirs accordée par une juridiction. Toutes les juridictions au sens du présent règlement devraient être liées par les règles de compétence prévues dans le présent règlement. Inversement, le terme “juridiction” ne devrait pas viser les autorités non judiciaires d’un État membre qui, en vertu du droit national, sont habilitées à régler les successions, telles que les notaires dans la plupart des États membres, lorsque, comme c’est généralement le cas, ils n’exercent pas de fonctions juridictionnelles.

(21)      Le présent règlement devrait permettre à tous les notaires qui sont compétents en matière de successions dans les États membres d’exercer cette compétence. La question de savoir si les notaires d’un État membre donné sont ou non liés par les règles de compétence prévues dans le présent règlement devrait dépendre de la question de savoir s’ils relèvent ou non de la définition du terme “juridiction” aux fins du présent règlement.

[…]

(23)      Compte tenu de la mobilité croissante des citoyens et afin d’assurer une bonne administration de la justice au sein de l’Union et de veiller à ce qu’un lien de rattachement réel existe entre la succession et l’État membre dans lequel la compétence est exercée, le présent règlement devrait prévoir que le facteur général de rattachement aux fins de la détermination, tant de la compétence que de la loi applicable, est la résidence habituelle du défunt au moment du décès. Afin de déterminer la résidence habituelle, l’autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. La résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent règlement.

(24)      Dans certains cas, il peut s’avérer complexe de déterminer la résidence habituelle du défunt. Un tel cas peut se présenter, en particulier, lorsque, pour des raisons professionnelles ou économiques, le défunt était parti vivre dans un autre État pour y travailler, parfois pendant une longue période, tout en ayant conservé un lien étroit et stable avec son État d’origine. Dans un tel cas, le défunt pourrait, en fonction des circonstances de l’espèce, être considéré comme ayant toujours sa résidence habituelle dans son État d’origine, dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale. D’autres cas complexes peuvent se présenter lorsque le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs États ou voyageait d’un État à un autre sans s’être installé de façon permanente dans un État. Si le défunt était ressortissant de l’un de ces États ou y avait l’ensemble de ses principaux biens, sa nationalité ou le lieu de situation de ces biens pourrait constituer un critère particulier pour l’appréciation globale de toutes les circonstances de fait.

(25)      En vue de déterminer la loi applicable à la succession, l’autorité chargée de la succession peut, dans des cas exceptionnels où, par exemple, le défunt s’était établi dans l’État de sa résidence habituelle relativement peu de temps avant son décès et que toutes les circonstances de la cause indiquent qu’il entretenait manifestement des liens plus étroits avec un autre État, parvenir à la conclusion que la loi applicable à la succession ne devrait pas être la loi de l’État de résidence habituelle du défunt mais plutôt celle de l’État avec lequel le défunt entretenait manifestement des liens plus étroits. Les liens manifestement les plus étroits ne devraient toutefois pas être invoqués comme facteur de rattachement subsidiaire dès que la détermination de la résidence habituelle du défunt au moment de son décès s’avère complexe.

[…]

(27)      Les dispositions du présent règlement sont conçues pour assurer que l’autorité chargée de la succession en vienne, dans la plupart des cas, à appliquer son droit national. Le présent règlement prévoit dès lors une série de mécanismes qui entreraient en action dans les cas où le défunt avait choisi pour régir sa succession le droit d’un État membre dont il était un ressortissant.

(28)      Parmi ces mécanismes devrait figurer celui permettant aux parties concernées de conclure un accord d’élection de for en faveur des juridictions de l’État membre de la loi choisie. Il faudrait préciser au cas par cas, en fonction notamment de la question couverte par l’accord d’élection de for, si l’accord devrait être conclu entre toutes les parties concernées par la succession ou si certaines d’entre elles pourraient accepter de soumettre une question spécifique à la juridiction choisie au cas où la décision de ladite juridiction sur ladite question n’affecterait pas les droits des autres parties à la succession.

[…]

(37)      Afin de permettre aux citoyens de profiter, en toute sécurité juridique, des avantages offerts par le marché intérieur, le présent règlement devrait leur permettre de connaître à l’avance la loi applicable à leur succession. Des règles harmonisées de conflits de lois devraient être introduites pour éviter des résultats contradictoires. La règle principale devrait assurer que la succession est régie par une loi prévisible, avec laquelle elle présente des liens étroits. Pour des raisons de sécurité juridique et afin d’éviter le morcellement de la succession, cette loi devrait régir l’ensemble de la succession, c’est‑à‑dire l’intégralité du patrimoine composant la succession, quelle que soit la nature des biens et indépendamment du fait que ceux‑ci sont situés dans un autre État membre ou dans un État tiers.

[…]

(39)      Le choix de la loi devrait être formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort ou résulter des termes d’une telle disposition. Le choix de la loi pourrait être considéré comme résultant d’une disposition à cause de mort dans le cas où, par exemple, dans sa disposition, le défunt avait fait référence à des dispositions spécifiques de la loi de l’État de sa nationalité ou dans le cas où il avait mentionné cette loi d’une autre manière. »

5.        Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 650/2012, on entend par :

« g)      “décision”, toute décision en matière de successions rendue par une juridiction d’un État membre, quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, y compris une décision concernant la fixation par le greffier du montant des frais du procès ;

[…]

i)      “acte authentique”, un acte en matière de succession dressé ou enregistré formellement en tant qu’acte authentique dans un État membre et dont l’authenticité :

i)      porte sur la signature et le contenu de l’acte authentique ; et

ii)      a été établie par une autorité publique ou toute autre autorité habilitée à le faire par l’État membre d’origine ».

6.        L’article 3, paragraphe 2, du règlement no 650/2012 dispose :

« Aux fins du présent règlement, le terme “juridiction” désigne toute autorité judiciaire, ainsi que toute autre autorité et tout professionnel du droit compétents en matière de successions qui exercent des fonctions juridictionnelles ou agissent en vertu d’une délégation de pouvoirs d’une autorité judiciaire ou sous le contrôle d’une autorité judiciaire, pour autant que ces autres autorités et professionnels du droit offrent des garanties en ce qui concerne leur impartialité et le droit de toutes les parties à être entendues, et que les décisions qu’ils rendent en vertu du droit de l’État membre dans lequel ils exercent leurs fonctions :

a)      puissent faire l’objet d’un recours devant une autorité judiciaire ou d’un contrôle par une telle autorité ; et

b)      aient une force et un effet équivalents à une décision rendue par une autorité judiciaire dans la même matière.

[…] »

7.        En vertu de l’article 4 du règlement no 650/2012 :

« Sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. »

8.        L’article 5 du règlement no 650/2012 précise :

« 1.      Lorsque la loi choisie par le défunt pour régir sa succession en vertu de l’article 22 est la loi d’un État membre, les parties concernées peuvent convenir que la ou les juridictions de cet État membre ont compétence exclusive pour statuer sur toute succession.

2.      Cet accord d’élection de for est conclu par écrit, daté et signé par les parties concernées. […] »

9.        Conformément à l’article 7 du règlement no 650/2012 :

« Les juridictions d’un État membre dont la loi avait été choisie par le défunt en vertu de l’article 22 sont compétentes pour statuer sur la succession, à condition :

[…]

c)      que les parties à la procédure aient expressément accepté la compétence de la juridiction saisie. »

10.      L’article 9, paragraphe 1, du règlement no 650/2012 dispose :

« Lorsque, au cours de la procédure devant une juridiction d’un État membre exerçant la compétence en vertu de l’article 7, il apparaît que toutes les parties à ladite procédure n’étaient pas parties à l’accord d’élection de for, la juridiction continue d’exercer sa compétence si les parties à la procédure qui n’étaient pas parties à l’accord comparaissent sans contester la compétence de la juridiction. »

11.      L’article 22 du règlement no 650/2012 se lit comme suit :

« 1.      Une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès.

[…]

2.      Le choix est formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort ou résulte des termes d’une telle disposition.

[…] »

12.      En vertu de l’article 59, paragraphe 1, du règlement no 650/2012 :

« Les actes authentiques établis dans un État membre ont la même force probante dans un autre État membre que dans l’État membre d’origine ou y produisent les effets les plus comparables, sous réserve que ceci ne soit pas manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre concerné.

[…] »

13.      Conformément à l’article 83, paragraphes 2 et 4, du règlement no 650/2012 :

« 2.      Lorsque le défunt avait, avant le 17 août 2015, choisi la loi applicable à sa succession, ce choix est valable s’il remplit les conditions fixées au chapitre III ou s’il est valable en application des règles de droit international privé qui étaient en vigueur, au moment où le choix a été fait, dans l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle ou dans tout État dont il possédait la nationalité.

[…]

4.      Si une disposition à cause de mort, prise avant le 17 août 2015, est rédigée conformément à la loi que le défunt aurait pu choisir en vertu du présent règlement, cette loi est réputée avoir été choisie comme loi applicable à la succession ».

B.      Le droit lituanien

1.      Le code civil

14.      L’article 5.4 du Lietuvos Respublikos civilinis kodeksas (code civil) dispose :

« 1.      Le lieu d’ouverture de la succession est considéré comme étant le lieu du dernier domicile du défunt (article 2.12 du présent code).

[…]

4.      En cas de litige, le lieu de l’ouverture de la succession peut être déterminé par une juridiction à la demande des personnes intéressées, en tenant compte de toutes les circonstances. »

15.      L’article 5.66 du code civil dispose :

« 1.      Les héritiers légaux ou testamentaires peuvent demander au notaire du lieu de l’ouverture de la succession de délivrer une attestation de succession. […] »

2.      La loi relative au notariat

16.      L’article 1er de la Lietuvos Respublikos notariato įstatymas (loi relative au notariat) prévoit :

« Le notariat se compose de l’ensemble des notaires auxquels la présente loi confère le droit d’attester juridiquement les droits subjectifs non litigieux et les faits juridiques des personnes physiques et morales ou d’autres organisations et de leurs établissements, et de garantir la protection des intérêts légitimes de ces personnes et de l’État. »

17.      En vertu de l’article 26 de la loi relative au notariat :

« Les notaires accomplissent les actes de notaire suivants :

[…]

(2)      ils délivrent des attestations de succession ;

[…]

Il est reconnu que les faits constatés dans les documents certifiés sous forme notariée sont établis et n’ont pas à être prouvés, tant que ces documents (ou une partie d’entre eux) ne sont pas reconnus comme étant invalides selon les modalités fixées par la législation ».

3.      Le code de procédure civile

18.      L’article 444, paragraphe 2, du civilinio proceso kodeksas (code de procédure civile) dispose :

« Le juge statue sur les affaires :

[…]

8) concernant l’acceptation de la succession, ainsi que l’établissement du lieu réel de l’ouverture de la succession ».

19.      Aux termes de l’article 511, paragraphe 1, du code de procédure civile :

« Un acte de notaire, ou le refus d’accomplir un acte de notaire, sont susceptibles de recours selon les modalités prévues dans la présente section. »

II.    Les faits et les questions préjudicielles

20.      E. E. est un ressortissant lituanien dont la mère a épousé K.‑D. E., un ressortissant allemand. La mère et son fils (issu d’un précédent mariage) ont déménagé en Allemagne alors que celui‑ci était mineur.

21.      Le 4 juillet 2013, la mère d’E. E. a fait un testament devant le notaire de Garliava (Lituanie), en instituant son fils comme seul héritier de l’ensemble de sa succession (4).

22.      Le 17 juillet 2017, E. E. a saisi la quatrième étude notariale de la ville de Kaunas (Lituanie) en lui demandant d’ouvrir le dossier de succession et de délivrer une attestation de succession (5).

23.      Le notaire a rejeté la demande d’E. E. au motif que le lieu de résidence habituelle de la défunte au moment de son décès, au sens du règlement no 650/2012, était en Allemagne.

24.      E. E. a contesté le refus du notaire devant le Kauno apylinkės teismas (tribunal de district de Kaunas, Lituanie). Cette juridiction a jugé, le 29 janvier 2018, que, bien que la mère d’E. E. ait admis s’être installée en Allemagne, elle n’avait pas rompu ses liens avec la République de Lituanie. C’est pourquoi, sur la base des principes du raisonnable et de bonne foi, elle a fait droit au recours, annulé la décision du notaire et lui a ordonné d’exécuter l’acte de notaire.

25.      Le notaire a fait appel de l’ordonnance de première instance devant le Kauno apygardos teismas (tribunal régional de Kaunas, Lituanie), qui, par décision du 26 avril 2018, l’a annulée. Cette juridiction d’appel a estimé que, lorsque le lieu de la résidence habituelle du défunt est contesté, seul un tribunal peut déterminer que celui‑ci avait sa résidence habituelle dans son État d’origine ; et que, dans cette affaire, rien n’indiquait que le requérant avait soulevé cette question devant un tribunal. Cette juridiction a également estimé que, en annulant la décision de notaire contestée, le tribunal de première instance s’était fondé à tort sur des principes généraux.

26.      E. E. a introduit un pourvoi en cassation devant le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie), qui a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Est-ce que la situation de l’affaire au principal, où une citoyenne lituanienne, dont la résidence habituelle était peut-être située dans un autre État membre à la date de son décès, mais qui n’avait en tout état de cause jamais rompu ses liens avec son pays d’origine et qui, notamment, avait établi un testament en Lituanie avant son décès, par lequel elle avait légué tous ses biens à son héritier, un citoyen lituanien, et où il est apparu au moment de l’ouverture de la succession que l’ensemble de la succession consistait en un bien immobilier situé en Lituanie, et où, par ailleurs, son conjoint survivant, ressortissant d’un autre État membre, avait clairement exprimé son intention de renoncer à toutes prétentions sur les biens de la défunte, n’avait pas été partie à la procédure juridictionnelle en Lituanie et avait consenti à la compétence des juridictions lituaniennes et à l’application du droit lituanien, doit être considérée, au sens des dispositions du règlement no 650/2012, comme une succession ayant une incidence transfrontalière à laquelle ce règlement devrait s’appliquer ?

2)      Les notaires lituaniens, qui ouvrent un dossier de succession, délivrent une attestation de succession et accomplissent les autres actes nécessaires pour que les héritiers fassent valoir leurs droits, doivent-ils être considérés comme des “juridictions” au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 650/2012, compte tenu du fait que les notaires respectent dans leur activité les principes d’impartialité et d’indépendance, que leurs décisions les lient eux‑mêmes ainsi que les autorités judiciaires, et que leurs actes peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel ?

3)      Si la réponse à la deuxième question est positive, les attestations de succession délivrées par les notaires lituaniens doivent-elles être considérées comme des décisions au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 650/2012 et faudrait-il de ce fait déterminer la compétence aux fins de les adopter ?

4)      Si la réponse à la deuxième question est négative, les dispositions de l’article 4 et de l’article 59 du règlement no 650/2012 (lues en combinaison ou séparément, mais pas exclusivement) doivent-elles être interprétées en ce sens que les notaires lituaniens peuvent, sans appliquer les règles générales de compétence, délivrer des attestations de succession, et que ces dernières devraient être considérées comme étant des actes authentiques, produisant aussi des effets juridiques dans les autres États membres ?

5)      L’article 4 du règlement no 650/2012 (ou d’autres dispositions de ce règlement) doit-il être interprété en ce sens que le lieu de la résidence habituelle du défunt ne peut être fixé que dans un seul État membre ?

6)      Les dispositions des articles 4, 5, 7 et 22 du règlement no 650/2012 (lues en combinaison ou séparément, mais pas exclusivement) doivent-elles être interprétées et appliquées en ce sens que, dans les circonstances factuelles exposées à la première question, les parties intéressées en l’espèce ont consenti à la compétence des juridictions lituaniennes et à l’application du droit lituanien ? »

III. La procédure devant la Cour

27.      La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 4 février 2019. Des observations ont été présentées par les gouvernements lituanien, tchèque, espagnol, hongrois et autrichien, ainsi que par la Commission européenne.

28.      Une audience s’est tenue le 16 janvier 2020, à laquelle ont participé des représentants des gouvernements espagnol et lituanien, ainsi que de la Commission.

IV.    Analyse

29.      J’aborderai tout d’abord la (cinquième) question concernant la possibilité que la résidence habituelle d’un défunt soit située dans plusieurs États membres. Pour y répondre, je dois inévitablement me pencher sur la question de l’applicabilité du règlement no 650/2012 au litige.

30.      J’examinerai ensuite la (quatrième) question, relative à l’attestation de succession, ce qui m’amènera également à évoquer le point de savoir si le notaire qui délivre cette attestation peut être qualifié d’autorité judiciaire.

31.      Enfin, je m’en tiendrai à la dernière (et sixième) question, concernant la compétence des autorités judiciaires lituaniennes et l’application du droit lituanien à la succession litigieuse à cause de mort.

A.      Sur la cinquième question préjudicielle

1.      Applicabilité du règlement no 650/2012

a)      Les successions à cause de mort « ayant des incidences transfrontières »

32.      Le règlement no 650/2012 vise à supprimer « les entraves à la libre circulation de personnes confrontées aujourd’hui à des difficultés pour faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontières » (6).

33.      Le règlement no 650/2012 ne contient pas de définition de la notion de « succession ayant des incidences transfrontières », ni de liste des éléments qui, disséminés entre plusieurs États, permettraient de déterminer précisément ces incidences. Selon moi, l’objectif de ce règlement exige de procéder à une évaluation flexible de ces termes, en sorte d’y faire entrer toute succession dont l’organisation (par le défunt) ou le traitement (postérieurement à son décès) est entravé par l’existence de liens avec plus d’un État.

34.      Pour les chapitres II et III du règlement no 650/2012, la résidence habituelle du défunt au moment du décès (7) est le critère commun pour l’attribution de la compétence judiciaire internationale et le point de rattachement de la règle de conflit. C’est sur cette base qu’il convient d’apprécier si, en raison de la localisation d’un autre élément dans un État différent de celui de la résidence du défunt, la succession n’est pas purement interne.

35.      Quant à savoir ce que pourrait être cet « autre élément », les dispositions spécifiques du règlement no 650/2012 présentent des hypothèses de succession à cause de mort ayant une portée dans plus d’un for, tout en fournissant, sans exhaustivité, des lignes directrices pour reconnaître leur caractère transnational. La situation des biens, les héritiers, légataires ou autres proches parents du défunt, ainsi que la nationalité du défunt sont des éléments typiques qui peuvent être retenus.

b)      Caractère obligatoire de l’application

36.      L’application du règlement no 650/2012 n’est pas facultative, c’est‑à‑dire qu’elle ne dépend de la volonté d’aucune des parties (8). Elle s’impose à l’opérateur juridique, sans qu’il puisse l’écarter lorsqu’il est établi, à la lumière des dispositions dudit règlement, qu’une succession peut avoir des incidences dans plus d’un for.

37.      Le règlement no 650/2012 fournit en revanche aux parties intéressées des moyens d’atténuer, dans une certaine mesure, les effets découlant de la nature transfrontière de la situation.

38.      En particulier, l’article 22 du règlement no 650/2012 permet au défunt de prendre l’initiative de son vivant, afin de pallier les conséquences d’une résidence habituelle située dans un État différent de celui où seront concentrés les autres facteurs (vraisemblablement) pertinents pour la succession. Il ne pourra toutefois le faire que dans le cadre prévu par ce règlement, c’est‑à‑dire uniquement s’il possède la nationalité du deuxième État. Dans cette hypothèse, il pourra choisir que la loi de cet État soit applicable.

39.      La succession ne cesse pas d’être internationale du fait de ce choix : ce dernier donnera toutefois aux parties intéressées la possibilité d’attribuer une compétence internationale aux tribunaux de ce même État (9) après le décès du de cujus (articles 5 et suivants du règlement no 650/2012).

2.      Sur la notion de « résidence habituelle du défunt au moment du décès »

40.      La juridiction de renvoi demande, en substance, si, aux fins du règlement no 650/2012, la résidence habituelle du défunt est unique ou si, au contraire, l’on pourrait admettre qu’il y en ait plusieurs (10).

a)      Une seule résidence habituelle

41.      Comme je l’ai déjà indiqué, la résidence habituelle constitue en principe, dans l’économie du règlement no 650/2012, le « facteur général de rattachement » permettant d’établir la compétence judiciaire internationale et la loi applicable. Cette résidence ne peut, selon moi, qu’être unique et non pas multiple.

42.      Les arguments tirés de la prévisibilité, de la sécurité juridique, de la prévention des résultats contradictoires ou de la vocation de la loi applicable à régir l’ensemble de la succession afin d’éviter son morcellement, qui sont énumérés au considérant 37 du règlement no 650/2012, plaident en faveur de l’unicité de la résidence habituelle. Cette thèse est renforcée par le considérant 27, aux termes duquel les dispositions de ce règlement sont conçues pour assurer que l’autorité chargée de la succession en vienne, dans la plupart des cas, à appliquer son droit national.

43.      Il est vrai que le règlement no 650/2012 envisage la possibilité que « le défunt [ait vécu] de façon alternée dans plusieurs États ou [voyagé] d’un État à un autre sans s’être installé de façon permanente dans un État » (11). La solution que propose toutefois ce règlement dans ces cas, qu’il qualifie de complexes, combine différents facteurs permettant de procéder à l’évaluation finale de toutes les circonstances objectives, en vue de déterminer quelle était « la » résidence habituelle.

44.      Les dispositions du règlement no 650/2012 perdraient leur utilité s’il était admis que, pour régler les problèmes qu’il entend résoudre, une personne pourrait avoir sa résidence habituelle dans différents États en même temps. Cette possibilité rendrait inopérantes de nombreuses dispositions du texte normatif lui‑même, qui, je le répète, se réfère sans cesse à « la » résidence habituelle au singulier et non pas au pluriel.

b)      Détermination de la résidence habituelle

45.      Le règlement no 650/2012 ne donne pas non plus de définition de ce qui constitue une « résidence habituelle » dans le cadre d’une succession transfrontière : il se contente de rappeler que cette résidence devrait révéler un « lien étroit et stable » avec un État (12).

46.      La résidence habituelle est une notion autonome du droit de l’Union, qui ne renvoie pas à chacun des concepts utilisés pour désigner ce même phénomène en droit national. Dans le cas contraire, l’uniformité de l’application du règlement no 650/2012 serait compromise, ouvrant la porte aux divergences d’opinions des autorités chargées de l’appliquer.

47.      Bien qu’il ne soit pas exclu de recourir à la définition de la « résidence habituelle » utilisée par d’autres règles du droit de l’Union, il n’en convient pas moins d’apprécier ce lieu, qui se caractérise par un lien étroit et stable avec un État, compte tenu des objectifs spécifiques du présent règlement (13), qu’énumère son considérant 7.

48.      L’opérateur juridique devra donc localiser la dernière résidence habituelle du défunt en s’inscrivant dans cette perspective, et, partant, en fonction des indications fournies par le règlement no 650/2012, en ne recourant à d’autres qu’à titre subsidiaire.

49.      Si le règlement no 650/2012 ne définit pas la notion de « résidence habituelle », il fournit néanmoins, dans ses considérants 23 et 24, des indications utiles pour l’établir. Il précise d’emblée que la détermination de la résidence habituelle doit résulter d’une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du de cujus au cours des années précédant son décès et au moment de celui‑ci.

50.      Pour faciliter cette évaluation, il convient de recueillir tous les éléments de preuve pertinents légalement admissibles. À cet égard, de simples déclarations concordantes, que des personnes concernées par la succession font devant une autorité chargée de la succession n’exerçant pas (comme je l’expliquerai ci‑dessous) de fonctions juridictionnelles, me semblent insuffisantes pour établir la résidence habituelle du défunt.

51.      L’ensemble des éléments de fait relatifs à la vie du de cujus, dont il est question au considérant 23 du règlement, permettra de décider lequel des cas visés audit considérant et dans celui qui suit correspond au cas d’un défunt spécifique.

52.      Le premier cas est celui dans lequel les données factuelles relatives, notamment, à la durée et à la régularité de la présence du défunt dans un État (facteurs objectifs) et aux conditions et raisons de cette présence (facteurs subjectifs) révèlent, en elles‑mêmes, l’existence d’un « lien étroit et stable » avec cet État (14).

53.      La stabilité est certainement ce que l’on recherche dans cette première phase de l’analyse. Cependant, je pense qu’une fois celle‑ci confirmée, il n’y pas pour autant lieu d’en tirer des conséquences définitives sur la résidence habituelle du défunt. Il pourra également être nécessaire d’évaluer les circonstances qui l’ont justifiée (15), afin de déterminer le lieu habituel de gestion des intérêts de ce dernier.

54.      Bien que le législateur européen ait privilégié le critère de la résidence habituelle, l’on ne saurait ignorer la mobilité croissante des individus. Le temps passé dans un État membre n’est donc pas, en soi, un critère décisif : il convient d’entreprendre l’examen de chaque cas de telle sorte que d’autres indices, relatifs à l’intégration familiale et sociale de la personne, ou à sa proximité par rapport au lieu en question, corroborent le résultat auquel renvoie l’élément temporel.

55.      La deuxième situation, décrite au considérant 24 du règlement no 650/2012, concerne le cas où l’on ne constate pas de présence régulière et prolongée du défunt dans un État donné (16). Deux hypothèses peuvent être avancées sur cette base :

–        la personne a pu faire un choix professionnel qui l’a conduite à s’expatrier, mais sans modifier « le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale » ;

–        il se peut aussi que le de cujus  ait passé sa vie dans plusieurs États, sans avoir consolidé de lien stable avec aucun d’entre eux.

56.      Dans ces cas, un élément personnel (la nationalité du défunt) ou un élément économique (la localisation de ses principaux biens) peut fournir une contribution particulière à l’appréciation globale de l’ensemble des circonstances de fait.

57.      Eu égard au raisonnement de la juridiction de renvoi, je pense que la Cour devrait souligner que la nationalité du défunt ou la localisation de ses biens sont des éléments déterminants de la résidence habituelle qui interviennent à titre subsidiaire. Autrement dit, un examen conjoint des faits relatifs à la stabilité de la situation du défunt et à sa justification suffira pour déterminer si ladite situation est « complexe », selon la terminologie même du considérant 24 du règlement no 650/2012.

58.      Cet examen précède nécessairement le recours à la nationalité et à la localisation des principaux biens du défunt, qui présente un caractère exceptionnel dans le cadre du système mis en place par le règlement no 650/2012 pour assurer la sécurité juridique (17).

59.      Enfin, je rappelle que, s’agissant de la détermination de la loi applicable, le considérant 25, in fine, du  règlement no 650/2012 interdit l’utilisation, comme facteur de rattachement subsidiaire, du critère des « liens manifestement plus étroits » entretenus par le défunt avec un système juridique autre que celui de sa dernière résidence habituelle, même lorsque la détermination de cette dernière s’avère complexe (18). Il en ressort clairement, selon moi, que l’on ne saurait s’affranchir de la détermination d’une résidence habituelle, aussi difficile que soit cette opération.

3.      Application à la présente affaire

a)      Sur la dernière résidence habituelle de la défunte : Allemagne ou Lituanie ?

60.      La juridiction de renvoi indique que des éléments relatifs à la résidence habituelle de la défunte « ne ressortent pas clairement du dossier ou font l’objet de désaccords » (19). Elle ne semble donc pas considérer que le tribunal de première instance ou la juridiction d’appel aient tranché ce point.

61.      Si c’est le cas, le tableau qui s’en dégage se caractérise davantage par un manque d’informations que par la présence de doutes découlant de la coexistence d’éléments contradictoires qui empêcheraient de se forger une conviction quant au lieu de la dernière résidence habituelle.

62.      S’il n’est pas possible d’obtenir des éléments supplémentaires dans le cadre du recours en cassation, le litige devra être jugé sur la base des éléments figurant au dossier, puisque la succession ne peut être réglée sans trancher cette question. En dernière analyse, si les doutes sur ce point se révélaient insurmontables, la deuxième des hypothèses décrites au considérant 24 du règlement no 650/2012 pourrait être utilisée. La nationalité de la défunte et la localisation des principaux biens de la succession passeraient alors au premier plan dans l’appréciation globale de l’ensemble des circonstances objectives.

b)      Sur les incidences transfrontières de la succession

63.      La juridiction de renvoi veut savoir si, en l’absence de certitude sur la dernière résidence habituelle du défunt, la convergence des autres éléments connus (concernés par la succession) vers un seul for (le lituanien) autorise à qualifier la succession de purement interne. Dans ce cas, le règlement no 650/2012 ne serait pas applicable.

64.      Comme je l’ai déjà indiqué, l’application du règlement no 650/2012 n’est pas facultative. Il découle de cette prémisse que la pertinence juridique de certaines déclarations ou conduites, telles que celles du mari de la défunte (qui a exprimé son désintérêt pour la succession et a consenti à ce qu’elle soit réglée en Lituanie), sera déterminée par ce règlement s’il est applicable, et par un autre régime juridique s’il ne l’est pas.

65.      Bien qu’il appartienne à la juridiction de renvoi de se prononcer sur ce point, les incidences transfrontières de la succession à cause de mort sont pour le moins difficiles à éluder, étant donné que l’un des héritiers potentiels se trouve en Allemagne, que l’autre est en Lituanie, de même que les biens de la succession, et que la défunte avait sa dernière résidence dans l’un de ces États (probablement en Allemagne, où elle a déclaré vivre lorsqu’elle a fait établir son testament). C’est dans cette mesure que le règlement no 650/2012 régirait la succession.

66.      Une réponse conditionnant l’applicabilité du règlement no 650/2012 aux décisions prises par chaque partie sur les aspects de la succession qui la concernent créerait une situation d’une extrême insécurité. Il en va différemment lorsque, après avoir opté en faveur de l’application de ce règlement, ces décisions sont évaluées en fonction des dispositions que prévoit celui‑ci.

B.      Sur la quatrième question préjudicielle

67.      La quatrième question repose sur l’hypothèse selon laquelle les notaires lituaniens ne sont pas considérés comme des « juridictions » au sens du règlement no 650/2012. Sur cette base, la juridiction de renvoi souhaite savoir si ces notaires seraient habilités à délivrer des attestations de succession « sans appliquer les règles générales de compétence ».

68.      La deuxième partie de cette même question concerne le point de savoir si les attestations de succession peuvent être qualifiés d’« actes authentiques » au sens du règlement no 650/2012.

1.      La soumission du notaire lituanien aux règles de compétence du règlement no 650/2012

a)      Aspect liminaire : le notaire à l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 650/2012

69.      Le règlement no 650/2012 définit le terme « juridiction » à son article 3, paragraphe 2, qui inclut les autorités judiciaires et d’autres opérateurs juridiques ayant compétence en matière successorale.

70.      Conscient qu’il existe différents modèles de répartition des compétences pour régler les questions relatives aux successions dans les États membres, le législateur européen a intégré cet élément dans le règlement no 650/2012 (20). Il précise ainsi que le système se veut neutre, à l’instar d’autres instruments antérieurs, dans lesquels a été adoptée, directement ou par voie d’interprétation, une notion de « juridiction » combinant une perspective institutionnelle, ou organique, et une approche fonctionnelle.

71.      La Cour a eu l’occasion de rappeler, dans un contexte analogue à celui de la présente affaire, que « l’exercice des fonctions juridictionnelles implique d’avoir le pouvoir de statuer de sa propre autorité sur d’éventuels points litigieux entre les parties concernées » (21).

72.      Dans l’arrêt WB, la Cour s’est appuyée, en premier lieu, sur son interprétation du terme « décision », effectuée au sujet d’une transaction judiciaire dans le cadre de la convention de Bruxelles de 1968, et de la qualification de celle‑ci aux fins du chapitre de cette convention qui est consacré à la reconnaissance et à l’exécution des décisions. En second lieu, elle a repris sa jurisprudence antérieure relative à l’article 267 TFUE.

73.      C’est eu égard à ces éléments que, dans son arrêt WB, la Cour a refusé le caractère de « juridiction » au notaire qui ne peut exercer les activités relatives à la délivrance du certificat d’hérédité qu’à la demande concordante des parties intéressées, en laissant intactes les prérogatives du juge en l’absence d’accord des parties (22).

b)      Les règles de compétence énoncées par le règlement no 650/2012 s’appliquent-elles ?

74.      La qualification d’une autorité non judiciaire (ou d’un professionnel du droit) de « juridiction », au sens du règlement no 650/2012, a deux conséquences : l’une, dans le cadre de la compétence judiciaire internationale ; l’autre, dans le cadre du régime de circulation du produit de son activité.

75.      Ce n’est que si, et seulement si, l’autorité non judiciaire (ou le professionnel du droit) agit en tant que « juridiction » qu’elle est soumise aux règles de compétence judiciaire internationale du règlement no 650/2012 (23). Cela garantit que leurs interventions satisfont à l’objectif de proximité entre l’autorité et la succession, nécessaire à la bonne administration de la justice, et à celui d’éviter le morcellement de la succession quant au fond (24).

76.      En dehors de cette hypothèse, le notaire n’est pas soumis aux règles de compétence judiciaire internationale du règlement no 650/2012. Par extension, il ne lui appartient pas davantage de déterminer si les juridictions du for dans lequel il exerce bénéficient d’une compétence générale leur permettant, dans un deuxième temps, de statuer sur sa propre compétence en tant que notaire, conformément à la répartition territoriale opérée par la loi du for.

77.      La juridiction de renvoi (25) paraît interpréter le règlement no 650/2012 en ce sens que le notaire ne doit pas délivrer de certificat national d’hérédité si les autorités juridictionnelles du système juridique dans lequel il agit ne bénéficient pas d’une compétence internationale en vertu de ce règlement. Cette thèse est partagée par les gouvernements hongrois et autrichien, et son contenu a été commenté lors de l’audience.

78.      Il est certain qu’une telle interprétation garantirait l’unité de traitement d’une succession liée à plusieurs ordres juridiques. En vertu de l’article 64 du règlement no 650/2012, il s’agit d’ailleurs de la règle applicable lorsque la délivrance d’un certificat successoral européen est demandée. Le règlement ne l’impose toutefois pas lorsque la demande porte sur un certificat national.

79.      Le règlement no 650/2012 explique, dans son considérant 32, que l’objectif d’unité se conjugue avec celui de faciliter la vie des héritiers ; c’est ce que précisent des dispositions telles que celles de l’article 13. Le fait que des autorités non juridictionnelles (par exemple, des notaires n’exerçant pas de fonctions juridictionnelles) de différents États membres délivrent des documents sur le statut des héritiers ou leurs droits ne devrait pas morceler la succession quant au résultat matériel, puisqu’elles appliquent toutes la même loi.

80.      La pluralité des certificats produit bien sûr un morcellement du point de vue de la gestion de la succession, mais cette possibilité (inévitable) est admise dans le règlement no 650/2012, qui la décrit à son considérant 36 pour s’en remettre, comme forme de solution, à l’accord volontaire des parties sur la manière de procéder. À défaut d’accord – et donc en cas de conflit –, le règlement no 650/2012 fait intervenir une autorité juridictionnelle : le dernier mot revient à la juridiction compétente en vertu dudit règlement.

c)      Dans la présente affaire

81.      Il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi, qui ont été confirmées à l’audience, qu’un notaire lituanien n’est pas compétent pour statuer sur les questions controversées entre les parties. Il n’a pas le pouvoir d’établir des faits qui ne sont pas clairs et évidents, ni de statuer sur des faits contestés ; en cas de doute sur le contenu du testament, il ne lui appartient pas de l’expliquer, ni de suivre l’interprétation donnée par l’un des héritiers, ni, en cas de désaccord entre eux, de déterminer l’interprétation du texte reflétant la volonté réelle du de cujus.

82.      En cas de controverse ou de doute, le notaire lituanien doit s’abstenir de se prononcer, le juge étant celui auquel il appartient de statuer. Ce sont les autorités judiciaires qui, en tout état de cause, règlent les litiges concernant le lieu d’ouverture de la succession, la validité du testament, son exécution ou l’administration de la succession, entre autres (26).

83.      Il résulte de ces informations (que doit corroborer la juridiction de renvoi) que la délivrance d’une attestation de succession par les notaires lituaniens n’emporte pas l’exercice de fonctions juridictionnelles. Ces notaires ne sont donc pas des « juridictions » au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 650/2012.

84.      En conséquence de ce qui précède, le notaire lituanien n’est pas soumis aux règles de compétence judiciaire internationale du règlement no 650/2012 et son intervention n’est pas conditionnée par le fait que ces règles confèrent ou non compétence aux juridictions lituaniennes pour régler un litige en matière de succession.

2.      Sur la quatrième question préjudicielle, deuxième partie – l’acte authentique

85.      La juridiction de renvoi veut savoir si l’attestation délivrée par le notaire lituanien est un « acte authentique » au sens du règlement no 650/2012, produisant des effets juridiques dans les autres États membres (27).

86.      La Cour s’est prononcée à plusieurs reprises sur la notion d’« acte authentique », telle que définie à l’article 3, paragraphe 1, sous i), du règlement no 650/2012 ; et récemment dans l’arrêt WB (28). La condition et la portée de l’« authenticité », élément essentiel de l’acte authentique, sont également décrites dans ce règlement et ont été abordées par la Cour dans ce même arrêt (29).

87.      Sur la base de cette jurisprudence et des informations disponibles (30), l’attestation fournie par le notaire lituanien semble présenter les caractéristiques nécessaires pour être qualifiée d’« acte authentique » au sens du règlement no 650/2012, dès lors que :

–        le notaire est habilité par l’article 26 de la loi relative au notariat à délivrer des certificats relatifs à une succession ;

–        dans le même article de la loi relative au notariat, les faits constatés dans les documents certifiés sous forme notariée sont établis et n’ont pas à être prouvés, tant que ces documents ne sont pas reconnus invalides ;

–        aux termes de l’article 40 de la loi relative au notariat, le notaire doit refuser d’accomplir un acte contraire à la loi ;

–        l’attestation de succession est un acte authentique conforme à un modèle officiel mis en œuvre par le ministère de la Justice, qui certifie l’acceptation de la succession et les droits des héritiers sur les biens ; et que

–        avant de le délivrer, le notaire doit effectuer une série d’actions, parmi lesquelles vérifier l’existence ou l’absence d’un testament ; s’il en existe un, vérifier son contenu et sa validité ; déterminer les biens de la succession ; identifier les héritiers, en examinant les déclarations d’acceptation de la succession ou de renonciation à celle‑ci ; apprécier les liens familiaux et matrimoniaux, ainsi que les titres de propriété.

88.      Là encore, c’est à la juridiction de renvoi de statuer de façon définitive à cet égard puisque la connaissance de son droit national la place en meilleure position pour apprécier ce point. Si elle considère que l’attestation de succession constitue un acte authentique, la force probante de celle‑ci devra être admise dans les autres États membres, conformément à l’article 59, paragraphe 1, du règlement no 650/2012.

C.      Sur la sixième question préjudicielle

89.      La juridiction de renvoi formule en réalité deux questions connexes, en prenant comme point de départ les faits décrits dans sa décision de renvoi. Elle souhaite savoir si, sur la base de ces faits, « les parties intéressées en l’espèce ont consenti à la compétence des juridictions lituaniennes et à l’application du droit lituanien ».

90.      La réponse exige donc une interprétation de l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 650/2012. Compte tenu de la date du testament, antérieure au 17 août 2015, je vais également examiner ses dispositions transitoires.

91.      En vertu de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 650/2012, le choix de la loi d’un État membre par le défunt ouvre aux parties concernées la possibilité de convenir de conférer la compétence exclusive aux juridictions de cet État, sous certaines conditions. L’article 7, sous c), élargit le choix, en permettant qu’il soit fait expressément devant la juridiction à laquelle l’affaire a déjà été soumise. Dans sa décision de renvoi, la juridiction a quo sollicite également l’interprétation de ces dispositions.

1.      Le choix de la loi ne figurant pas expressément dans le testament

a)      Dispositions testamentaires prises à partir du 17 août 2015 (31)

92.      La consécration du choix de la loi en matière de succession est l’un des aspects les plus marquants du règlement no 650/2012. La validité du choix est toutefois soumise à des exigences subjectives, objectives et formelles.

93.      Pour d’évidentes raisons, la faculté de choix n’est reconnue qu’au défunt. En vertu de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 650/2012, il ne peut désigner que sa loi nationale (32).

94.      Afin d’assurer la volonté de choix et la clarté sur l’objet, l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 650/2012 impose des conditions formelles : le choix doit être formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort ou résulter des termes d’une telle disposition. Cette seconde possibilité est celle qui pose le plus de difficultés en pratique.

95.      Déterminer s’il y a eu un choix de loi en matière de succession nécessite un soin particulier afin de garantir le respect de la volonté d’un individu (le défunt) qui, par définition, ne pourra ni la confirmer ni en discuter lors de l’ouverture de la succession.

96.      Pour cette raison, et en vue des conditions formelles que j’ai déjà mentionnées, je considère que l’on ne saurait déduire le choix de la loi applicable d’éléments externes aux dispositions testamentaires elles‑mêmes ; et ce a fortiori lorsque celles-ci ont été prises devant notaire et que ce dernier a donc apporté (ou que l’on peut présumer qu’il a apporté) un conseil sur la loi applicable à la succession.

97.      Ainsi, des facteurs extérieurs à la disposition testamentaire (comme le déplacement du défunt dans un certain pays pour y faire un testament, la nationalité de l’autorité intervenante ou le système qui lui donne compétence) ne sont pas déterminants. Le cas échéant, ils tiendront lieu d’arguments invoqués à titre surabondant, c’est‑à‑dire à  l’appui de la conclusion tirée quant à l’existence ou non d’un choix de la loi, découlant de la disposition testamentaire elle‑même.

98.      À propos de cette dernière, aux termes du considérant 39 du règlement no 650/2012, le choix de la loi « pourrait être considéré comme résultant d’une disposition à cause de mort dans le cas où […] le défunt [y] avait fait référence à des dispositions spécifiques de la loi de l’État de sa nationalité ou dans le cas où il avait mentionné cette loi d’une autre manière ».

99.      Cette conséquence dépendra, dans une large mesure, des dispositions spécifiques auxquelles il aura été fait référence. Une comparaison avec la loi de la résidence habituelle, applicable par défaut, est nécessaire pour établir jusqu’à quel point les dispositions visées ne constituent que des dispositions typiques de l’ordre juridique dont le choix est examiné.

b)      Les testaments antérieurs au 17 août 2015

100. Les considérations exposées ci‑dessus sont toutefois sujettes à modification en ce qui concerne les testaments établis avant la date de pleine applicabilité du règlement no 650/2012.

101. L’article 83 du règlement no 650/2012 prévoit un régime transitoire pour les dispositions testamentaires antérieures au 17 août 2015. Son but est de les protéger contre les changements législatifs intervenus postérieurement à la date à laquelle le défunt a organisé le sort de son patrimoine après sa mort.

102. Inspiré par l’objectif de préserver la volonté du testateur, l’article 83, paragraphe 2, régit la validité du choix de la loi, nationale ou autre, fait avant le 17 août 2015 (si le de cujus décède à cette date ou après). Ce choix est valable s’il remplit les conditions fixées au chapitre III du règlement no 650/2012, ou celles en vigueur au moment où le choix a été fait, dans l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle ou dans tout État dont il possédait la nationalité.

103. Conformément à l’article 83, paragraphe 4, du règlement no 650/2012, si une disposition à cause de mort, prise avant le 17 août 2015, est valable « conformément à la loi que le défunt aurait pu choisir en vertu du présent règlement, cette loi est réputée avoir été choisie comme loi applicable à la succession ».

104. La fiction établie par cette disposition élimine la nécessité de rechercher si un testament antérieur au 17 août 2015 comporte un choix de la loi applicable, lorsque ce choix ne ressort pas avec évidence du texte (auquel cas il convient de se référer à l’article 83, paragraphe 2, du règlement no 650/2012 ; si tant est, bien entendu, que soit remplie la condition prévue à cette disposition elle‑même.

c)      Dans le litige au principal

105. Il n’est pas contesté que le testament a été établi devant notaire en Lituanie le 4 juillet 2013. À cette date, la succession comportait déjà des éléments d’extranéité connus du défunt : sa nationalité lituanienne, sa présence stable en Allemagne, la situation de ses biens en Lituanie et les nationalités différentes de son mari et de son fils, respectivement.

106. En outre, à cette date, le règlement no 650/2012 était déjà entré en vigueur. Un choix explicite de la loi, ou découlant des termes de la disposition testamentaire, aurait été possible en vertu de l’article 83, paragraphe 2, de ce règlement.

107. En tout état de cause, si le testament est valable selon la loi nationale de la défunte en vigueur à la date à laquelle elle a passé l’acte devant notaire ou à celle de son décès, l’article 83, paragraphe 4, du règlement no 650/2012 permettra de s’en tenir tout simplement à la fiction du choix effectif de cette loi.

2.      L’élection de for qui suit le choix de la loi

a)      Justification et conditions

108. En vertu de l’article 4 du règlement no 650/2012, la compétence judiciaire internationale pour statuer sur tout aspect d’une succession présentant des éléments transfrontières appartient exclusivement aux juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.

109. Il y aura probablement un lien étroit entre les juridictions ainsi désignés et les biens successoraux, ainsi qu’avec les personnes intéressées par la succession. Et comme la loi applicable est, par défaut, celle de la dernière résidence habituelle du défunt, il y aura aussi automatiquement une corrélation forum-jus. Ces deux objectifs sont au cœur du règlement no 650/2012, comme l’expliquent ses considérants 23 et 27.

110. La mobilité croissante des personnes, combinée à la possibilité de choisir la loi nationale comme applicable à une succession future, compromet ou empêche directement les objectifs que je viens d’évoquer. Conscient de cette situation, le législateur européen a adopté des règles de compétence judiciaire internationale qui, sous certaines conditions, se substituent à celle de l’article 4 du règlement no 650/2012.

111. Une de ces règles est celle qui offre aux personnes concernées par la succession le pouvoir d’attribuer compétence aux juridictions de l’État de la nationalité du défunt, lorsque ce dernier a choisi sa loi nationale comme loi applicable.

112. Il convient de se demander si l’option donnée aux intéressés, qui, je le répète, dépend d’un choix préalable de la loi par le défunt, existe également lorsqu’il n’est pas certain qu’il y ait eu un choix explicite, mais que la loi nationale du de cujus s’impose en raison de la fiction inscrite à l’article 83, paragraphe 4, du règlement no 650/2012 (pour les testaments antérieurs au 17 août 2015).

113. Selon moi, la réponse doit être affirmative. Il convient d’écarter une lecture formaliste du règlement no 650/2012 (bien que celui‑ci se réfère toujours à la loi « choisie » par le défunt), tout en renforçant l’attribution de la compétence à l’autorité qui connaît le mieux le droit matériel applicable. Il me semble qu’il s’agit de la solution la plus conforme à l’objectif énoncé au considérant 27 de ce règlement.

114. Lorsque la loi choisie par le défunt pour régir sa succession est celle d’un État membre, l’article 5 du règlement no 650/2012 prévoit que les parties concernées peuvent conférer à une juridiction de cet État une compétence exclusive pour statuer sur toute succession.

115. Cette soumission expresse est toutefois subordonnée à des conditions formelles strictes, conformément à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 650/2012. L’objectif est de garantir que la personne qui souscrit à un accord conférant une compétence exclusive connaisse son contenu, donne son consentement et soit consciente de ses conséquences : la prorogation de compétence des juridictions choisies et la dérogation à celle des juridictions de la dernière résidence habituelle du défunt.

116. L’article 7, sous c), du règlement no 650/2012 prévoit également que les parties à la procédure (qui doit être comprise comme une procédure déjà en cours) acceptent expressément la compétence de la juridiction saisie. L’article 9 étend la compétence de la juridiction qui a fait l’objet d’un accord d’élection de for, et qui est déjà saisie de l’affaire, aux parties à la procédure qui n’étaient pas parties à cet accord, si elles comparaissent devant cette juridiction sans contester sa compétence.

117. Le règlement no 650/2012 ne prévoit aucune autre possibilité d’attribution de compétence. La non‑comparution d’une partie intéressée qui s’est vu signifier l’ouverture de la procédure de succession n’équivaut pas à une soumission tacite. Une déclaration par une partie intéressée concernant ses droits ou obligations en relation avec la succession, faite en dehors de toute procédure, n’a pas non plus cet effet.

118. Le législateur européen n’impose pas les mêmes conditions formelles strictes à l’article 5 qu’à l’article 7 du règlement no 650/2012. Dans ce deuxième cas, la procédure est en cours : les personnes concernées qui sont appelées à y participer, et qui acceptent à cet instant la compétence du juge saisi d’une affaire, auront disposé de tous les éléments pertinents pour manifester un consentement jugé éclairé.

119. L’acceptation de la compétence doit cependant être expresse, afin d’éviter tout doute quant à son existence. Il appartient au législateur national de préciser d’autres conditions de temps et de forme pour faire valoir l’acceptation dans le cadre de la procédure qui a été engagée, en respectant les principes d’effectivité et d’équivalence.

b)      Dans la présente affaire

120. Selon les éléments du renvoi préjudiciel, il ne semble pas y avoir eu d’accord des parties en vue d’attribuer une compétence aux juridictions lituaniennes. Il existe en revanche des déclarations unilatérales du mari de la défunte, faites en Allemagne, par lesquelles ce dernier renonce à toute revendication sur l’héritage, consent à la compétence de la juridiction lituanienne et refuse de comparaître devant elle dans les procédures engagées dans cet État.

121. Seule la deuxième de ces déclarations présente un intérêt, dans la mesure où elle pourrait correspondre à la situation décrite à l’article 7, sous c), du règlement no 650/2012. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de déterminer si c’est le cas, à la lumière des termes de cette déclaration, en particulier de la portée du consentement qui y est exprimé. La juridiction de renvoi devra également vérifier les autres conditions de temps et de forme prévues par sa législation pour qu’une telle déclaration ait un effet attributif de compétence dans la procédure en cours.

122. En ce qui concerne la compétence au titre d’un accord d’élection de for entre les parties, je pense qu’il convient de rappeler que le règlement no 650/2012 ne doit pas être interprété de manière à empêcher les parties de régler la succession en dehors de tout litige, dans un État membre qu’elles ont choisi, et, lorsque c’est possible, selon la loi de cet État membre. Une telle possibilité devrait être ouverte même si la loi applicable à la succession n’est pas celle de cet État. Ce critère, qui est clairement exprimé dans le considérant 29 du règlement no 650/2012, peut être utile à la juridiction de renvoi.

V.      Conclusion

123. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose d’apporter la réponse suivante au Lietuvos Aukščiausiasis Theismas (Cour suprême de Lituanie) :

1)      L’article 4 du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, ainsi que les autres dispositions relatives à la résidence habituelle du défunt doivent être interprétés en ce sens que cette résidence habituelle ne peut être qu’unique.

2)      Lorsque la résidence habituelle du défunt se situe dans un État et que les autres éléments pertinents de la succession se trouvent dans un ou plusieurs autres États, la succession est de nature transfrontière, si bien que le règlement no 650/2012 est applicable.

3)      L’article 3, paragraphe 2, et l’article 4 du règlement no 650/2012 doivent être interprétés en ce sens qu’un notaire qui ne peut être qualifié de « juridiction » au sens de cette disposition n’est pas soumis aux règles de compétence prévues par ce règlement.

4)      L’article 3, paragraphe 1, sous i), du règlement no 650/2012 doit être interprété en ce sens qu’une attestation nationale de succession telle que celle en cause au principal, délivrée par un notaire à la demande d’une des parties, conformément à un modèle officiel, et après vérification de la véracité des faits et des déclarations qui y sont exposés, constitue un « acte authentique », qui a dans les autres États membres la force probante dont il est assorti.

5)      L’article 22, paragraphe 2, du règlement no 650/2012 doit être interprété en ce sens que le choix de la loi par le défunt qui n’a pas été formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort doit résulter exclusivement des termes d’une telle disposition.

6)      L’article 83, paragraphe 4, du règlement no 650/2012 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une disposition testamentaire antérieure au 17 août 2015 ne comporte pas de choix de la loi, ou que ce choix ne résulte pas des termes de ladite disposition, la loi nationale du défunt, en vertu de laquelle cette disposition testamentaire est valable, s’applique à la succession, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si cette loi avait été effectivement choisie.

7)      L’article 7, sous c), du règlement no 650/2012 doit être interprété en ce sens que la déclaration faite par une partie intéressée en dehors de la procédure, en vertu de laquelle elle admet la compétence des juridictions aux fins d’une procédure engagée par d’autres parties, équivaut à une acceptation expresse de la compétence desdites juridictions, si cette déclaration satisfait aux conditions de temps et de forme requises par les règles procédurales du for.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (JO 2012, L 201, p. 107).


3      Ce point de fait est contesté dans le litige au principal.


4      Elle a affirmé lui laisser tous ses biens immobiliers, qu’ils soient situés en Lituanie ou non, ainsi que l’argent déposé dans une banque lituanienne. Elle a également déclaré vivre en Allemagne.


5      On peut déduire des informations figurant dans le dossier que la défunte est décédée après le 17 août 2015.


6      Considérant 7. Voir, également, arrêt du 21 juin 2018, Oberle (C‑20/17, EU:C:2018:485, point 32).


7      Lorsque la question de l’applicabilité du règlement no 650/2012 se pose pour décider de la loi applicable à la future succession, la réponse sera, en règle générale, fondée sur l’hypothèse selon laquelle la résidence habituelle à la date de l’examen sera la dernière. Il n’est pas exigé que l’État dans lequel le défunt réside soit membre de l’Union ou lié par le règlement no 650/2012 : voir article 10 de ce règlement, qui est applicable si le défunt avait sa résidence habituelle dans un État non soumis audit règlement, mais que certains des biens entrant dans sa succession sont situés dans un État membre ; ou l’article 20, sur l’application universelle des règles de conflit du même règlement.


8      Le règlement no 650/2012 reconnaît toutefois une certaine incidence de la volonté du défunt et des autres parties intéressées : voir points 92 et suiv. des présentes conclusions à propos de la sixième question de la juridiction de renvoi.


9      Pour autant qu’il s’agisse d’un État membre de l’Union, lié par le règlement no 650/2012.


10      Au point 63 de sa décision de renvoi, la juridiction a quo reconnaît qu’il semble ressortir des dispositions du règlement no 650/2012 qu’un lieu de résidence habituelle unique constitue la seule possibilité, mais ajoute que « cette position n’est cependant pas affirmée expressément, [de sorte qu’] une plus grande clarté et des précisions devraient […] être apportées par la Cour ». Tous les intervenants à l’audience ont confirmé que le défunt ne pouvait avoir qu’un seul lieu de résidence habituelle. Une autre question, essentielle pour la résolution de ce litige, est celle de savoir comment déterminer ce lieu.


11      Considérant 24 du règlement no 650/2012.


12      Considérant 23 du règlement no 650/2012.


13      Considérant 23, in fine, du règlement no 650/2012. Mise en italique par mes soins.


14      À cet égard, j’estime que l’on ne saurait tirer aucune conclusion directe du domicile fiscal ou conjugal du défunt : ces éléments doivent être examinés dans le cadre d’une évaluation globale, avec les autres indices pertinents.


15      En particulier, l’activité – rémunérée ou non – exercée par le défunt, le lieu où il l’a exercée, sa durée, la nature (le cas échéant) du contrat, la présence ou non d’un logement permanent, son environnement familial et social, le lieu où il a reçu un traitement médical, l’administration qui a pris en charge les frais y afférents, etc., entre autres facteurs.


16      Cette deuxième hypothèse est généralement illustrée en référence aux couples de retraités qui ont deux centres de vie, l’un au nord et l’autre au sud de l’Europe. Voir, à cet égard, l’arrêt de la Cour de cassation du 29 mai 2019 (Cass. 1re civ., 29 mai 2019, no 18‑13.383, JurisData no 2019‑009044).


17      La résidence habituelle du défunt est le critère de l’attribution de la compétence et de la détermination de la loi applicable, que retiennent, respectivement, les articles 4 et 21 du règlement no 650/2012. S’agissant de la compétence judiciaire internationale, la situation des biens n’a qu’un caractère subsidiaire (voir article 10 de ce règlement) ; et un caractère exceptionnel en ce qui concerne la loi applicable (article 30 et, le cas échéant, article 34 dudit règlement). La nationalité n’est pas pertinente, sauf si le défunt a choisi la loi applicable (articles 5 et 22 du même règlement).


18      Un tel lien permet, lors de la détermination de la loi applicable, de corriger le résultat de l’utilisation de la résidence habituelle comme facteur de rattachement. Voir article 21, paragraphe 2, du règlement no 650/2012.


19      Point 41 de la décision de renvoi.


20      Bien que le règlement no 650/2012 exprime cette volonté dans son considérant 20, le fait est que sa formulation reflète la conviction que l’assimilation fonctionnelle des notaires (et autres professionnels) aux juges est de nature résiduelle.


21      Arrêt du 23 mai 2019, WB (C‑658/17, EU:C:2019:444, point 55).


22      Arrêt du 23 mai 2019, WB (C‑658/17, EU:C:2019:444, point 59, et point 1 du dispositif).


23      Considérant 22 du règlement no 650/2012. Selon l’arrêt du 21 juin 2018, Oberle (C‑20/17, EU:C:2018:485), une autorité judiciaire au sens strict (c’est‑à‑dire selon un critère organique par opposition à un critère fonctionnel) est en revanche soumise aux règles de compétence pour toute procédure qui lui est confiée en matière de succession, même si son intervention n’emporte pas de décision réglant un litige : ainsi, par exemple, lorsqu’elle délivre un certificat successoral national.


24      L’argument de l’unité dans le traitement procédural (au sens large, comprenant également la réception et la formalisation des expressions de volonté, ainsi que la délivrance de certificats) de la succession transfrontière n’est pas absolu. Si l’on s’y attachait uniquement, toute activité relative à une succession couverte par le règlement no 650/2012 devrait être exercée dans un seul État membre : à savoir dans l’État membre dont les juridictions seraient compétentes en vertu du règlement no 650/2012, au cas où une procédure serait engagée devant elles. Ce n’est cependant pas l’option retenue par le législateur européen.


25      Point 54 de la décision de renvoi.


26      Lors de l’audience, des précisions ont été apportées sur la notion de « compétence exclusive » du notaire : celle-ci signifie simplement que les héritiers doivent s’adresser à un notaire pour l’ouverture de la succession.


27      Le considérant 22 conçoit les actes notariés conformément à un régime duel : soit il s’agit de « décisions », soit il s’agit d’« actes authentiques ». Le fait est qu’ils peuvent n’être ni l’un ni l’autre.


28      Arrêt du 23 mai 2019, WB (C‑658/17, EU:C:2019:444, point 67).


29      Considérant 62 du règlement no 650/2012 et point 68 de l’arrêt du 23 mai 2019, WB (C‑658/17, EU:C:2019:444) : « En outre, il ressort du considérant 62 de ce règlement qu’il convient d’adopter une interprétation autonome du concept d’“authenticité”, répondant à une série d’éléments, notamment la véracité de l’acte, les exigences de forme qui lui sont applicables, les pouvoirs de l’autorité qui le dresse et la procédure suivie pour le dresser. L’authenticité devrait également recouvrir les éléments factuels consignés dans l’acte par l’autorité concernée, tels que le fait que les parties indiquées ont comparu devant ladite autorité à la date indiquée et qu’elles ont fait les déclarations qui y sont mentionnées. »


30      Outre les informations fournies par la juridiction de renvoi et les observations du gouvernement lituanien, par écrit et lors de l’audience, voir l’étude de Beaumont, P., Fitchen, J., et Holliday, J., The evidentiary effects of authentic acts in the Member States of the European Union, in the context of successions, https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2016/556935/IPOL_STU(2016)556935_FR.pdf, p. 152 et suiv.


31      L’article 84 du règlement no 650/2012 dispose que le présent règlement « est applicable à partir du 17 août 2015 ». Conformément à l’article 83, paragraphe 1, ses dispositions s’appliquent aux successions des personnes qui décèdent le 17 août 2015 ou après cette date. Les dispositions testamentaires prises le 17 entrent donc dans le champ d’application de l’instrument européen.


32      Le choix pourrait être plus large dans les cas relevant de l’article 83, paragraphe 2, du règlement no 650/2012 du fait de la référence qui y est faite aux règles de droit international privé en vigueur, au moment où le défunt a fait son choix, dans les États où il avait sa résidence habituelle ou dans tout État dont il possédait la nationalité.