Language of document : ECLI:EU:C:2006:126

ORDONNANCE DE LA COUR (quatrième chambre)

21 février 2006 (*)

«Pourvoi – Aides accordées par les autorités italiennes en faveur de Poste Italiane»

Dans l’affaire C-367/04 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 20 août 2004,

Deutsche Post AG, établie à Bonn (Allemagne), représentée par Mes J. Sedemund et T. Lübbig, Rechtsanwälte,

DHL Express (Italy) Srl, anciennement DHL International Srl, établie à Rozzano (Italie), représentée par Mes J. Sedemund et T. Lübbig, Rechtsanwälte,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Kreuschitz et M. Niejahr, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

République italienne, représentée par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. D. Del Gaizo, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,

Poste Italiane SpA, représentée par Mes A. Sandulli et A. Fratini, avvocati, ainsi que par M. B. O’Connor, solicitor,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Schiemann, président de chambre, MM. E. Juhász, et E. Levits (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. R. Grass,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1       Par leur pourvoi, la société de droit allemand Deutsche Post AG ( ci-après «DP») et la société de droit italien DHL Express (Italy) Srl, anciennement DHL International Srl, (ci-après «DHL») demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 27 mai 2004, Deutsche Post et DHL/Commission (T-358/02, non encore publiée au Recueil, ci-après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle celui-ci a rejeté comme irrecevable leur recours tendant à l’annulation de la décision 2002/782/CE de la Commission, du 12 mars 2002, relative aux aides d’État accordées par l’Italie en faveur de Poste Italiane SpA (ex-Ente Poste Italiane) (JO L 282, p. 29, ci-après la «décision litigieuse»).

2       La République italienne et Poste Italiane SpA (ci-après «Poste Italiane»), parties intervenantes en première instance au soutien des conclusions de la Commission des Communautés européennes, ont présenté des observations devant la Cour.

 Les faits à l’origine du litige

3       Le 12 mars 2002, la Commission a, à l’issue de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, adopté la décision litigieuse. Dans cette dernière, adressée à la République italienne, la Commission a considéré, notamment, que le versement par les autorités italiennes, de 1994 à 1999, d’aides publiques d’un montant total de 17 960 milliards de ITL (9,28 milliards d’euros) à Poste Italiane, ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

4       DP et DHL, dans laquelle DP détient depuis 1998 une participation devenue majoritaire en 2002, sont toutes deux actives sur le marché italien des services postaux ouverts à la concurrence. DHL est présente sur le marché italien des services de transport express de documents et de colis aux niveaux national et international. Le groupe DP est constitué des sociétés suivantes présentes sur le marché italien des services postaux ouverts à la concurrence:

–       Deutsche Post Srl, offrant en Italie des services nationaux et internationaux d’acheminement des colis, de logistique et d’entreposage,

–       Deutsche Post Global Mail GmbH, titulaire d’une licence pour fournir, notamment, des services dans le secteur de la levée, du transport, du tri et de la distribution de lettres et de colis, et

–       Danzas Italia SpA, offrant des services de logistique intégrée par voies terrestre, aérienne et maritime, destinés au marché italien.

5       Les requérantes n’ont pas participé à la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, qui a précédé l’adoption de la décision litigieuse.

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

6       Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 décembre 2002, les requérantes ont introduit un recours en annulation contre la décision litigieuse. Elles reprochaient à la Commission, en substance, d’avoir enfreint le principe général de non-discrimination, puisqu’elle aurait favorisé Poste Italiane en autorisant les aides accordées par les autorités italiennes, alors que des aides semblables accordées par les autorités allemandes à DP avaient été déclarées incompatibles avec le marché commun par la décision 2002/753/CE de la Commission, du 19 juin 2002, concernant des mesures prises par la République fédérale d’Allemagne en faveur de Deutsche Post AG (JO L 247, p. 27).

7       Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 22 janvier 2003, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité à l’appui de laquelle elle a fait valoir deux moyens. En premier lieu, elle a soutenu que la décision litigieuse, adressée à la République italienne, ne concernait pas individuellement les requérantes au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE et, en second lieu, que celles-ci ne justifiaient pas d’un intérêt légitime à agir. En outre, la Commission a invoqué l’existence d’une différence fondamentale entre la procédure concernant DP et celle relative à Poste Italiane.

8       Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a accueilli cette exception d’irrecevabilité et a rejeté le recours comme irrecevable au motif que les requérantes n’étaient pas individuellement concernées au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

9       À cet égard, le Tribunal s’est référé à la jurisprudence constante selon laquelle les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise de manière analogue à celle dont le destinataire de ladite décision le serait (voir arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223).

10     Le Tribunal a également rappelé, au point 34 de l’ordonnance attaquée, que la décision litigieuse, ayant été adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE, il ressortait également de la jurisprudence qu’une telle décision concernait individuellement les entreprises qui, à l’origine de la plainte ayant donné lieu à cette procédure, avaient été entendues en leurs observations, lesquelles avaient déterminé le déroulement de la procédure, si toutefois leur position sur le marché était substantiellement affectée par la mesure qui faisait l’objet de ladite décision. À cet égard, le Tribunal a fait référence aux points 24 et 25 de l’arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, (169/84 Rec. p. 391), et au point 72 de l’arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, BP Chemicals/Commission (T-11/95, Rec. p. II-3235).

11     S’agissant des requérantes, le Tribunal a jugé, au point 35 de l’ordonnance attaquée, que les conditions énoncées par cette jurisprudence n’étaient pas remplies, aucune d’entre elles n’ayant entamé la procédure administrative qui s’est déroulée devant la Commission ni déposé d’observations dans le cadre de cette procédure, qui auraient pu déterminer le déroulement de celle-ci.

12     Toutefois, le Tribunal a également considéré, au point 36 de l’ordonnance attaquée, qu’une entreprise peut, même si elle n’a pas joué de rôle actif dans le cadre de la procédure administrative devant la Commission, démontrer qu’elle est individuellement concernée, étant précisé qu’elle doit, en toutes circonstances, prouver que la mesure autorisée par la décision contestée était susceptible d’affecter, et ce de manière substantielle, sa position sur le marché en cause. À cet égard, le Tribunal a fait référence au point 72 de l’arrêt du Tribunal BP Chemicals/Commission, précité.

13     Se référant au point 7 de l’arrêt du 10 décembre 1969, Eridania e.a./Commission (10/68 et 18/68, Rec. p. 459, point 7), le Tribunal a précisé que ne constituait pas une telle incidence substantielle sur la position d’une telle entreprise la simple circonstance que la décision en cause était susceptible d’exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant dans le marché pertinent et que cette même entreprise se trouvait dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de ladite décision. Se référant aux points 40 et 41 de l’arrêt du 23 mai 2000, Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission (C-106/98 P, Rec. p. I-3659), le Tribunal a de même indiqué qu’une entreprise ne saurait se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire de la mesure en cause, mais que cette entreprise devait démontrer, en outre, l’importance de l’atteinte à sa position sur le marché.

14     En l’espèce, le Tribunal a jugé, au point 38 de l’ordonnance attaquée, qu’aucun élément de nature à établir la particularité de la situation concurrentielle sur le marché postal italien des sociétés faisant partie du groupe DP, à savoir Deutsche Post Srl, Deutsche Post Global Mail GmbH et Danzas Italia SpA, n’avait été apporté par les requérantes.

15     Après avoir apprécié les arguments des requérantes, selon lesquels DHL appartient à un «groupe de tête» de trois entreprises étrangères en concurrence avec Poste Italiane sur le marché italien du transport de courrier accéléré, le Tribunal a estimé, au point 44 de l’ordonnance attaquée, qu’aucun élément ne permettait d’indiquer que la position de DHL sur le marché en cause avait été substantiellement affectée par les mesures autorisées par la décision litigieuse.

16     Enfin, aux points 45 et 46 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a jugé que les arrêts du Tribunal invoqués par les requérantes, notamment ceux du 5 novembre 1997, Ducros/Commission (T-149/95, Rec. p. II-2031), et du 5 décembre 2002, Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum/Commission (T-114/00, Rec. p. II-5121), n’étaient pas pertinents pour la solution du litige en cause. En effet, premièrement, dans l’arrêt Ducros/Commission, précité, la requérante avait déposé, contrairement à DP et DHL en l’espèce, une plainte visant les aides accordées à un concurrent et avait été la seule entreprise à participer à la procédure administrative. De plus, ladite requérante ainsi que le bénéficiaire des aides en cause avaient participé au même appel d’offres relatif à un marché public, ce dernier ayant été adjugé au bénéficiaire de ces aides et non pas à la requérante. À cet égard, le marché public concerné aurait représenté une partie essentielle du chiffre d’affaires annuel de la requérante. Or, selon le Tribunal, de tels éléments spécifiques faisaient, en l’espèce, défaut dans le chef des requérantes. Deuxièmement, le Tribunal a estimé que la référence à l’arrêt Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum/Commission, précité, était inopérante, dans la mesure où la décision de la Commission en cause dans cette affaire avait été adoptée à l’issue d’un examen purement préliminaire, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce.

 Sur le pourvoi

17     Par leur pourvoi, les requérantes concluent à ce que la Cour:

–       annule l’ordonnance attaquée;

–       déclare recevable leur recours introduit le 5 décembre 2002 devant le Tribunal, et

–       condamne la Commission ainsi que la République italienne et Poste Italiane aux dépens.

18     La Commission, soutenue en cela par la République italienne et Poste Italiane, conclut à ce que la Cour:

–       rejette le présent pourvoi comme manifestement irrecevable ou, en tout état de cause, comme manifestement non fondé, et

–       condamne les requérantes aux dépens.

19     À l’appui de leur pourvoi, les requérantes invoquent deux moyens. Le premier, au soutien duquel quatre arguments sont invoqués, est tiré de ce que le Tribunal aurait fait une interprétation trop restrictive de l’article 230, quatrième alinéa, CE. Premièrement, il aurait méconnu, pour juger que les requérantes n’étaient pas individuellement concernées, le fait que, compte tenu de la structure du marché, elles sont des concurrentes directes et facilement individualisables de Poste Italiane. Deuxièmement, en ce qui concerne l’incidence de ladite décision sur la position concurrentielle des requérantes, le Tribunal aurait appliqué un critère plus strict que celui qui serait exigé dans le cadre de l’examen de l’aide au fond. Troisièmement, il aurait méconnu la qualité d’intéressées, au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, des requérantes pour juger que celles-ci n’étaient pas individuellement concernées. Quatrièmement, le Tribunal aurait méconnu ses propres arrêts Ducros/Commission et Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum/Commission, précités. Le second moyen est tiré de ce que le Tribunal s’est abstenu d’examiner les arguments des requérantes relatifs à leur intérêt à agir.

20     Lorsqu’un pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, en vertu de l’article 119 de son règlement de procédure, rejeter totalement ou partiellement ce pourvoi, par voie d’ordonnance motivée, sans ouvrir la procédure orale.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

21     Par le premier argument présenté à l’appui de ce moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal n’aurait pas retenu le rapport particulier de concurrence qu’elles entretiennent avec Poste Italiane pour constater qu’elles sont individuellement concernées par la décision litigieuse.

22     En particulier, le fait non seulement que DHL soit nommément désignée dans ladite décision, mais également que la structure du marché des services de courrier accéléré soit caractérisée par un «groupe de tête» d’entreprises postales opérant à l’échelle internationale, aurait dû suffire pour que le Tribunal reconnaisse que la position concurrentielle des requérantes était substantiellement affectée par la décision litigieuse.

23     Les requérantes appartenant à ce groupe de tête facilement identifiable de seulement trois entreprises étrangères, l’octroi d’un avantage unilatéral à une entreprise affecterait nécessairement leur position de concurrentes directes sur le marché en cause. À cet égard, elles relèvent que, selon le Tribunal, il serait nécessaire d’apporter des éléments concrets, susceptibles de prouver que la position concurrentielle de DHL aurait connu un développement substantiellement meilleur en l’absence d’autorisation des mesures d’aide en cause, afin de démontrer qu’elles sont individuellement concernées. Or, selon les requérantes, leur qualité de concurrentes directes rendrait une telle preuve superflue, la structure de ce marché étant telle que lesdites mesures affecteraient nécessairement la position concurrentielle qu’elles occupent.

24     La Commission et Poste Italiane considèrent, d’une part, que les arguments avancés par les requérantes ne peuvent tenir lieu d’arguments juridiques et ne permettent nullement de conclure à l’illégalité de l’ordonnance attaquée.

25     La Commission ajoute, d’autre part, que la qualité de concurrent direct, pour autant qu’elle soit pertinente, ne saurait exempter les requérantes d’apporter la preuve qu’elles satisfont aux critères permettant d’admettre qu’elles sont individuellement concernées par la décision litigieuse, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

26     À cet égard, il ne serait fait aucune distinction, pour l’application de cette disposition, entre concurrents directs et indirects. Seul serait déterminant le fait que les concurrents du bénéficiaire des mesures en cause sont uniquement concernés en raison de leur qualité objective de concurrent (arrêt de la Cour du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C-312/00 P, Rec. p. I-11355, point 76). Se référant aux points 77 de cet arrêt, et 47 de l’arrêt du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré (C-263/02 P, Rec. p. I-3425), la Commission fait valoir que, même si une décision peut avoir des effets concrets différents pour les concurrents du bénéficiaire des mesures qu’elle prévoit, cela ne signifie pas pour autant qu’elle les concerne individuellement, dès lors que cette situation est objectivement déterminée par leur qualité de concurrents.

27     La Commission considère, par ailleurs, que le fait que, dans une partie de la décision, les requérantes sont mentionnées explicitement ne les individualise pas au regard de la décision litigieuse, l’intérêt individuel devant être apprécié, ainsi que l’exige l’article 230, quatrième alinéa, CE, selon des critères objectifs. À cet égard, la Commission et le gouvernement italien soulignent que la décision litigieuse ne concerne pas seulement le marché des services de courrier accéléré, en cause en l’espèce, mais également d’autres secteurs postaux. Il en résulterait que, en permettant aux requérantes de ne contester que certains aspects de la décision, il serait toujours possible d’affirmer qu’elles sont individuellement concernées, ce qui remettrait en cause le caractère objectif des critères prévus à l’article 230, quatrième alinéa, CE.

28     Poste Italiane ajoute enfin que les requérantes se seraient bornées à alléguer qu’elles se trouvaient dans un «rapport très particulier de concurrence vis-à-vis de Poste italiane, immédiatement identifiable» du fait de leur appartenance «à un groupe de tête facilement individualisable de trois entreprises étrangères seulement» sans pour autant démontrer que leur position sur le marché concerné avait été affectée. En outre, le marché des services de courrier accéléré, en cause en l’espèce, se caractériserait par la présence de nombreuses entreprises, étrangères mais également nationales. La décision litigieuse n’aurait ainsi que précisé les répercussions des mesures d’aide autorisées sur une catégorie ouverte d’intéressés. Il en résulte que les requérantes ne sauraient se fonder uniquement sur leur qualité d’entreprise exerçant l’activité économique en cause, pour démontrer qu’elles sont individuellement concernées par la décision litigieuse puisqu’elles n’apporteraient, au demeurant, aucun élément pertinent permettant de distinguer la position de DHL de celle des concurrents présents sur ce marché.

29     Par le deuxième argument invoqué à l’appui de ce moyen, les requérantes soutiennent également que le Tribunal a exigé d’elles, à tort, qu’elles présentent des preuves concrètes de l’existence d’une incidence substantielle de la mesure d’aide contestée sur leur position concurrentielle sur le marché concerné, étant donné qu’il s’agirait là d’un critère nettement plus strict que celui qui serait exigé dans le cadre de l’examen au fond d’une aide d’État au regard de l’article 87 CE. Or, rien ne justifierait une telle différence.

30     La Commission rétorque que la jurisprudence relative à l’interprétation de la notion d’aide d’État au sens de l’article 87 CE n’est pas liée à la notion d’intérêt individuel visée à l’article 230, quatrième alinéa, CE et que, en raison de leurs objets différents, ces dispositions doivent être interprétées de façon indépendante. Elle fait valoir que la conception des requérantes, selon laquelle chaque concurrent, même s’il n’est que marginalement concerné, aurait qualité pour agir, ne serait pas conciliable avec la formulation de l’article 230, quatrième alinéa, CE et l’interprétation qu’il convient de donner de celui-ci.

31     Poste Italiane ajoute que les critères qu’emploie la Commission pour apprécier au fond la conformité d’une aide d’État correspondent à la fonction de gardienne de la concurrence dans le marché intérieur que celle-ci exerce, alors que les critères prévus pour l’exercice par des personnes physiques et morales de recours contre les actes communautaires garantissent le respect des droits individuels, à condition que lesdites personnes soient directement et individuellement concernées par ces actes. La conception des requérantes visant à mettre sur le même plan ces critères différents aurait, par conséquent, pour effet de vider de son contenu la condition tenant à l’existence d’un intérêt individuel prévue à l’article 230, quatrième alinéa, CE.

32     Par le troisième argument invoqué à l’appui de ce moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal aurait dû déduire leur qualité pour agir de leur statut potentiel d’intéressées au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE. À cet égard, ces dernières font valoir qu’elles sont les concurrentes directes du bénéficiaire de l’aide concernée dans la mesure où elles offrent les mêmes services que celui-ci et qu’elles sont éventuellement affectées dans leurs intérêts par cette aide (arrêts du 19 mai 1993, Cook/Commission, C-198/91, Rec. p. I-2487, points 23 et 24, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203, points 17 et 18). De surcroît, la décision de la Commission mentionnant les requérantes en tant que concurrentes directes de l’entreprise favorisée, il ne serait ni nécessaire ni possible de rapporter une preuve concrète supplémentaire de l’incidence substantielle qu’aurait l’octroi de ladite aide sur la position concurrentielle qu’elles occupent sur le marché en cause.

33     La Commission fait toutefois valoir que la qualité pour agir des requérantes doit être appréciée exclusivement sur le fondement de l’article 230, quatrième alinéa, CE, qui n’établit pas de distinction entre sujets de droit bénéficiant ou non du statut d’intéressé. Elle ajoute que les arrêts auxquels renvoient les requérantes concernent des décisions de la Commission qui ont été rendues sans ouverture de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. À cet égard, le respect des garanties prévues par cette procédure n’aurait pu être assuré aux bénéficiaires de celles-ci que s’ils avaient eu la possibilité d’attaquer ces décisions devant la Cour, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. La Commission fait également valoir que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l’ordonnance attaquée ne met en évidence aucun concurrent «direct» du bénéficiaire de la mesure en cause.

34     Par le quatrième argument invoqué à l’appui de ce moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal aurait commis une erreur de droit en n’appliquant pas, en l’espèce, la solution qu’il a retenue dans ses arrêts Ducros/Commission et Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum/Commission, précités. D’après les requérantes, l’arrêt précité Ducros/Commission étaye leur thèse selon laquelle elles sont individuellement concernées par la décision litigieuse. En effet, dans cet arrêt, le Tribunal, pour admettre la qualité pour agir de la requérante, se serait notamment fondé de manière décisive sur le fait que, d’une part, cette dernière se trouvait dans un rapport de concurrence direct avec l’entreprise bénéficiaire de l’aide en cause et que, d’autre part, elle était mentionnée dans la décision de la Commission. En outre, les requérantes font valoir que, dans l’ordonnance attaquée, le Tribunal n’a pas tenu compte du fait qu’une association, qui n’avait pas participé à la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, avait néanmoins qualité pour agir lorsque certains membres de ladite association pouvaient être considérés comme des concurrents directs des bénéficiaires des aides d’État litigieuses, ainsi qu’il ressort de l’arrêt Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum/Commission, précité.

35     La Commission, le gouvernement italien et Poste Italiane considèrent que lesdits arrêts ne sont pas, en l’espèce, pertinents. En effet, dans l’affaire à l’origine de l’arrêt Ducros/Commission, précité, c’est la plainte du concurrent du bénéficiaire de la mesure contestée qui, ayant entraîné l’ouverture de la procédure d’enquête au titre du droit des aides d’État, aurait joué un rôle déterminant pour l’appréciation de la qualité pour agir dudit concurrent. De surcroît, la participation de la société requérante et du bénéficiaire de cette mesure au même appel d’offres et la circonstance que le marché public correspondant représentait une part tout à fait notable du chiffre d’affaires annuel de la société requérante auraient constitué des éléments décisifs faisant défaut dans la présente espèce. Quant à la référence à l’arrêt Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum/Commission, précité, d’une part, Poste Italiane fait valoir que l’interprétation que les requérantes font de celui-ci conduirait à remettre en cause les critères prévus à l’article 230, quatrième alinéa, CE, d’autre part, la Commission renvoie à la procédure de pourvoi en cours qu’elle a engagée en vue de l’annulation de cet arrêt.

 Appréciation de la Cour

36     En premier lieu, les requérantes soutiennent que le Tribunal a exigé, à tort, qu’elles apportent des éléments concrets de nature à démontrer que leur position concurrentielle serait substantiellement affectée par l’aide accordée. Le rapport de concurrence particulier qu’elles entretiennent avec le bénéficiaire de cette aide suffirait, à cet égard, à les individualiser.

37     Ainsi que l’a rappelé le Tribunal aux points 33 à 35 de l’ordonnance attaquée, il est de jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire de la décision le serait (voir, notamment, arrêts précités Plaumann/Commission, Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, point 39, ainsi que arrêt du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, C-78/03 P, non encore publié, point 33).

38     S’agissant plus particulièrement du domaine des aides d’État, ont été reconnues comme individuellement concernées par une décision de la Commission clôturant la procédure ouverte au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, à l’égard d’une aide individuelle, outre l’entreprise bénéficiaire, les entreprises concurrentes de cette dernière ayant joué un rôle actif dans le cadre de cette procédure, pour autant que leur position sur le marché soit substantiellement affectée par la mesure d’aide faisant l’objet de la décision attaquée (voir, notamment, arrêts précités Cofaz e.a./Commission, point 25, et Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, point 40).

39     En l’espèce, il convient, d’une part, de rappeler que, ainsi que le Tribunal l’a relevé en fait, les requérantes n’ont pas pris part à la procédure mise en œuvre par la Commission sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE.

40     S’agissant, d’autre part, de la position des requérantes sur le marché concerné, il suffit de rappeler, ainsi que l’a fait le Tribunal au point 37 de l’ordonnance attaquée, que la seule circonstance qu’un acte tel que la décision litigieuse est susceptible d’exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant dans le marché pertinent et que l’entreprise concernée se trouvait dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de cet acte ne saurait en tout état de cause suffire pour que ladite entreprise puisse être considérée comme individuellement concernée par ledit acte (voir, en ce sens, arrêt Eridania e.a./Commission, précité, point 7).

41     À cet égard, une entreprise ne saurait se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire, mais doit établir, en outre, qu’elle est dans une situation de fait qui l’individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (arrêt Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, précité, point 41).

42     Or, ayant constaté que les requérantes se sont bornées à alléguer que la mesure d’aide en cause serait susceptible d’influencer, d’une certaine manière, les rapports de concurrence existant sur le marché pertinent, sans pour autant démontrer l’importance de l’atteinte à leur position qu’entraîne cette mesure, le Tribunal a estimé que ces dernières n’avaient pas démontré, au travers d’éléments concrets, dans quelle mesure elles se trouveraient dans une situation de fait qui les individualiserait d’une manière analogue à celle du destinataire de la décision litigieuse. Le Tribunal a en outre constaté, au point 39 de l’ordonnance attaquée, que rien ne permettait de déduire du passage de la décision se référant à DHL que la position de cette dernière sur le marché pertinent a été substantiellement affectée par les mesures dont a bénéficié Poste Italiane.

43     Dans ces conditions, l’argument des requérantes conduit, en réalité, à remettre en cause l’appréciation d’éléments de preuve effectuée par le Tribunal. Or, ainsi qu’il ressort des articles 225 CE et 58 du statut de la Cour de justice, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est dès lors seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments de preuve qui lui ont été soumis, sous réserve du cas de la dénaturation desdits faits ou éléments de preuve (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136/92 P, Rec. p. I-1981, points 49 et 66, ainsi que du 7 novembre 2002, Glencore et Compagnie Continentale/Commission, C-24/01 P et C-25/01 P, Rec. p. I-10119, point 65).

44     Or, en l’espèce, les requérantes n’ont fourni à la Cour aucun élément de nature à démontrer l’existence d’une dénaturation des éléments de preuve soumis au Tribunal ou d’une inexactitude matérielle des constatations de ce dernier au regard des pièces du dossier.

45     Le premier argument des requérantes doit, dès lors, être écarté comme étant manifestement irrecevable.

46     En deuxième lieu, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir exigé que soient remplis des critères plus stricts aux fins de l’appréciation de leur qualité pour agir que ceux qui sont exigés pour l’examen au fond de l’existence d’une aide d’État.

47     Il convient de rappeler que les critères qu’emploie la Commission pour établir les éléments constitutifs d’une distorsion de concurrence, dans le cadre de l’article 87 CE, ne remplissent pas les mêmes fonctions et n’ont pas la même finalité que ceux requis pour apprécier la recevabilité d’un recours et définis à l’article 230, quatrième alinéa, CE. Ainsi, la recevabilité du recours d’une personne privée ne saurait être examinée qu’à l’aune de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

48     Par conséquent, il convient de constater que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en appliquant aux requérantes les critères prévus à l’article 230, quatrième alinéa, CE, et en exigeant, notamment, que celles-ci démontrent que la décision litigieuse les concerne individuellement.

49     En troisième lieu, les requérantes soutiennent que le Tribunal aurait dû déduire leur qualité pour agir de leur statut potentiel d’intéressées.

50     À ce titre, il convient de rappeler que le simple fait qu’un requérant puisse être considéré comme intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE ne saurait suffire pour que soit admise la recevabilité de son recours. Il doit, en effet, démontrer qu’il bénéficie d’un statut particulier au sens de la jurisprudence Plaumann/Commission, précitée (voir, en ce sens, arrêts précités Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 37, et Cofaz e.a./Commission, points 22 à 25).

51     Au demeurant, il ressort des arrêts sur lesquels les requérantes fondent leur argumentation que le statut d’intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE permet aux requérants qui en disposent de contester la décision de la Commission, constatant, sans ouverture de la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE, qu’une aide est compatible avec le marché commun et ce afin de ne pas les priver de leurs droits procéduraux (arrêts précités, Cook/Commission, point 23, et Matra/Commission, point 17). Or, il est constant, ainsi que l’a indiqué le Tribunal au point 47 de l’ordonnance attaquée, que la décision litigieuse a été adoptée à la suite de la procédure administrative prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, à laquelle les requérantes n’ont pas participé.

52     Par conséquent, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 47 de l’ordonnance attaquée, que la qualité d’intéressées ne suffisait pas à elle seule, à individualiser les requérantes d’une manière analogue à celle dont le destinataire de la décision litigieuse le serait.

53     En dernier lieu, les requérantes soutiennent que le Tribunal a procédé à une interprétation erronée de sa propre jurisprudence, dans la mesure où il a dans ses arrêts Ducros/Commission et Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum/Commission, précités, admis la qualité pour agir des requérantes sur le fondement de leur rapport de concurrence direct avec le bénéficiaire de l’aide.

54     À cet égard, il convient, d’une part, de relever que ledit arrêt Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum/Commission a été annulé par la Cour dans son arrêt Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, si bien que tout argument tiré de la prétendue méconnaissance dudit arrêt du Tribunal ne peut qu’être écarté dans le cadre du présent pourvoi.

55     S’agissant, d’autre part, de l’arrêt Ducros/Commission, précité, il suffit de relever que, à supposer même que la circonstance que le Tribunal s’écarte de l’approche qu’il aurait retenue dans l’un de ses précédents arrêts puisse en tant que telle être invoquée comme moyen à l’appui d’un pourvoi, il ressort en l’occurrence de l’appréciation souveraine des faits à laquelle s’est livré le Tribunal aux points 45 de l’ordonnance attaquée que, en l’espèce, les requérantes n’ont pas participé à la procédure ouverte par la Commission sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE. À cet égard, ainsi que l’a constaté le Tribunal, la situation de DP et de DHL se distingue nettement de celle de la requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ducros/Commission, précité, ce qui a pour conséquence qu’un élément déterminant permettant de les individualiser en tant que concurrentes du bénéficiaire de l’aide fait en l’espèce défaut.

56     Il s’ensuit que les requérantes ne sauraient se fonder sur ledit arrêt pour soutenir qu’elles sont individuellement concernées par la décision de la Commission et remettre en cause l’appréciation à laquelle s’est livré le Tribunal.

57     Le premier moyen doit, par conséquent, être écarté comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé.

 Sur le second moyen

 Argumentation des parties

58     Par leur second moyen, les requérantes font valoir qu’elles justifient également d’un intérêt à agir dans la mesure où elles sont des concurrentes directes de Poste Italiane. Elles considèrent qu’il ressort de l’arrêt du Tribunal du 18 décembre 1997, ATM/Commission (T-178/94, Rec. p. II-2529, point 63) que l’intérêt à agir d’un requérant pour attaquer une décision de la Commission en matière d’aides d’État est directement lié à la question de l’intérêt individuel. Cet intérêt serait toujours admis lorsque, comme en l’espèce, le requérant a qualité pour agir.

59     La Commission relève que le Tribunal ne s’est pas prononcé, dans l’ordonnance attaquée, sur l’absence d’intérêt à agir des requérantes, ce qui a pour conséquence de rendre inopérant ce moyen du pourvoi.

 Appréciation de la Cour

60     Dès lors que le Tribunal s’est prononcé sur l’absence de qualité pour agir des requérantes, en constatant, à bon droit, ainsi qu’il ressort de l’examen du premier moyen, que celles-ci ne sont pas individuellement concernées par la décision litigieuse, l’ordonnance attaquée se trouve justifiée par ce seul motif, sans que le Tribunal n’ait eu à se prononcer sur l’intérêt à agir de ces dernières.

61     Le moyen par lequel les requérantes reprochent au Tribunal de ne pas s’être prononcé sur leur intérêt à agir doit dès lors être rejeté comme manifestement non fondé.

62     Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi doit être rejeté, le premier moyen invoqué au soutien de celui-ci étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé, et le second étant manifestement non fondé.

 Sur les dépens

63     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission et Poste Italiane ayant conclu à la condamnation des requérantes et celles-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens. Selon l’article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) ordonne:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Deutsche Post AG et DHL Express (Italy) Srl, anciennement DHL International Srl, sont condamnées aux dépens.

3)      La République italienne supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l'allemand.