Language of document : ECLI:EU:T:2002:116

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)

14 mai 2002 (1)

«Aides d'État - Aide à la restructuration - Recours en annulation - Erreurs manifestes d'appréciation»

Dans l'affaire T-126/99,

Graphischer Maschinenbau GmbH, devenue KBA-Berlin GmbH, établie à Berlin (Allemagne), représentée par Me A. Bach, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. D. Triantafyllou et P. Nemitz, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation partielle de la décision 99/690/CE de la Commission, du 3 février 1999, relative à une aide d'État envisagée par l'Allemagne au profit de la société Graphischer Maschinenbau GmbH, Berlin (JO L 272, p. 16),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, P. Mengozzi, J. Pirrung, M. Vilaras et N. J. Forwood, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 3 juillet 2001,

rend le présent

Arrêt

Faits

1.
    La requérante, établie à Berlin, est une filiale à 100 % de la société Koenig & Bauer-Albert AG (ci-après «KBA»), établie à Würzburg (Allemagne). Elle fabrique des pièces pour rotatives à journaux et vend des composants à KBA, qui exerce son activité essentiellement dans la construction de presses.

2.
    Une réduction générale de la demande dans le secteur des machines à imprimer ayant provoqué, en 1993, une forte diminution des commandes passées à la requérante par KBA et ses autres filiales et succursales (ci-après le «groupe KBA»), la décision de fermer l'usine de la requérante a été prise en novembre 1996. La fermeture devait intervenir le 30 juin 1997 pour éviter l'accumulation de pertes.

3.
    Le Land de Berlin et les syndicats concernés ayant exprimé leur volonté d'éviter la fermeture de l'usine de la requérante, des négociations entre ceux-ci, d'une part, et la requérante et KBA, d'autre part, ont abouti à la signature d'un «pacte pour l'emploi», le 24 février 1997, sur la base d'un plan de restructuration élaboré, selon la requérante, en collaboration avec les autorités berlinoises. Le Land de Berlin se serait déclaré prêt, dès ce stade, à octroyer une aide d'environ 9 millions de marks allemands (DEM) à la requérante.

4.
    Dans son plan de restructuration, qui a été finalisé en septembre 1997 à la suite de plusieurs légères modifications de la version de février 1997, la requérante visait à concentrer sa production sur une gamme réduite de produits nouveaux, notamment des changeurs de bobines modifiés et plus compétitifs, des introducteurs et des rouleaux refroidisseurs. Les produits non rentables devaient être abandonnés et le cycle de production devait être organisé de façon plus efficace. Dans le cadre de la restructuration prévue, dont le coût total s'élevait à 22,93 millions de DEM, KBA devait reprendre les pertes de la requérante, d'un montant de 12,25 millions de DEM, et effectuer une contribution de 1,37 millions de DEM conjointement avec la requérante.

5.
    La requérante ne disposant pas de son propre bureau d'études, les travaux d'étude et de développement prévus par le plan de restructuration devaient être effectués dans d'autres usines appartenant à des sociétés du groupe KBA situées à Würzburg et à Frankenthal (Allemagne). Des travaux de réaménagement de l'usine de Berlin étaient également prévus pour permettre la fabrication des nouveaux produits par la requérante. Selon cette dernière, les travaux d'étude et de développement n'ont été entamés qu'après la signature du pacte pour l'emploi.

6.
    En août 1997, le Land de Berlin n'ayant toujours pas pris la décision d'octroyer une aide à la requérante, KBA a menacé de fermer l'usine de cette dernière. Le 11 septembre 1997, le Sénat de Berlin a finalement décidé d'octroyer une aide de 9,31 millions de DEM à la requérante (ci-après l'«aide litigieuse») et une première tranche de cette aide, de 2,5 millions de DEM, lui a été versée le 23 décembre 1997. Le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a notifié l'aide à la Commission par lettre du 21 janvier 1998, à laquelle était annexée, notamment, une copie de la version finale du plan de restructuration.

7.
    À la suite d'un échange de correspondances, et notamment de trois lettres de la Commission des 23 février, 28 mai et 3 juillet 1998 demandant au gouvernement de la République fédérale d'Allemagne de fournir des précisions sur l'aide en question et des réponses de celui-ci, en particulier celle du 18 juin 1998, ainsi que d'un entretien ayant eu lieu entre les parties intéressées le 1er juillet 1998, la Commission a informé les autorités allemandes, par lettre du 17 août 1998 (JO C 336, p. 13, ci-après la «lettre d'ouverture»), de sa décision d'ouvrir la procédure d'examen conformément à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE).

8.
    Le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a répondu à la lettre d'ouverture par lettre du 21 septembre 1998, préparée en collaboration avec les mandataires ad litem de la requérante. Par ailleurs, la requérante affirme que son mandataire a eu une conversation téléphonique avec le fonctionnaire de la Commission ayant la responsabilité du dossier, le 7 octobre 1998.

9.
    Le 3 février 1999, la Commission a adopté la décision 99/690/CE, relative à une aide d'État envisagée par l'Allemagne au profit de la société Graphischer Maschinenbau GmbH, Berlin (JO L 272, p. 16, ci-après la «décision litigieuse»). Elle a décidé d'exclure des «frais de restructuration admissibles» la totalité des frais d'étude et de développement des produits nouveaux ou modifiés, qui s'élèvent à 4,875 millions de DEM. Ayant tenu compte, notamment, de la contribution de KBA de 12,25 millions de DEM et de la contribution conjointe de KBA et de la requérante de 1,37 millions de DEM, ainsi que du fait que les frais de restructuration admissibles, ainsi réduits, ne s'élèvent qu'à 18,055 millions de DEM, la Commission a conclu que l'aide envisagée n'était compatible avec le marché commun que dans la mesure où elle devait financer ces frais à concurrence de 4,435 millions de DEM. L'aide envisagée a donc été déclarée incompatible avec le marché commun pour autant qu'elle dépasse ce montant.

10.
    Le dispositif de la décision litigieuse se lit comme suit:

«Article premier

L'aide d'État que l'Allemagne envisage d'accorder à la société Graphischer Maschinenbau GmbH de Berlin, sous la forme d'une subvention de 9,31 millions [de DEM] n'est compatible avec le marché commun au sens de l'article 92, paragraphe 3, point c), du traité CE et de l'article 61, paragraphe 3, point c), de l'accord EEE que pour un montant de 4,435 millions de [DEM].

Le montant de l'aide envisagée qui dépasse ces 4,435 millions de [DEM] ne peut être accordé.

Article 2

Pour justifier de l'exécution en bonne et due forme du plan de restructuration, l'Allemagne remet à la Commission des rapports annuels détaillés.

Article 3

Dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente décision, l'Allemagne informe la Commission des mesures prises pour son application.

Article 4

La République fédérale d'Allemagne est destinataire de la présente décision.»

Procédure

11.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 mai 1999, la requérante a introduit le présent recours en annulation partielle de la décision litigieuse au titre de l'article 230 CE.

12.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues par l'article 64 du règlement de procédure du Tribunal, il a invité les parties et le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne à répondre à certaines questions écrites et à produire certains documents. Il a été satisfait à ces demandes dans le délai imparti.

13.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l'audience du 3 juillet 2001.

Conclusions des parties

14.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision litigieuse pour autant qu'elle déclare la partie de l'aide envisagée dépassant le montant de 4,435 millions de DEM incompatible avec le marché commun et l'interdit;

-    obliger la Commission à déclarer l'aide envisagée compatible avec le marché commun à concurrence d'un montant supplémentaire de 4,875 millions de DEM;

-    condamner la Commission aux dépens.

15.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

16.
    Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l'article 113 du règlement de procédure, le Tribunal peut soulever d'office toute fin de non-recevoir d'ordre public.

17.
    À cet égard, le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, il ne lui appartient pas, dans le cadre d'un recours en annulation d'un acte fondé sur l'article 230 CE, d'adresser des injonctions aux institutions communautaires (arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, DSM/Commission, C-5/93 P, Rec. p. I-4695, point 36, et du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T-374/94, T-375/94, T-384/94 et T-388/94, Rec. p. II-3141, point 53). En effet, si le Tribunal annule l'acte attaqué, il incombe alors à l'institution concernée de prendre, en vertu de l'article 233 CE, les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt d'annulation (arrêt du Tribunal du 27 janvier 1998, Ladbroke Racing/Commission, T-67/94, Rec. p. II-1, point 200). Dès lors, le deuxième chef des conclusions de la requérante, visant à ce que le Tribunal oblige la Commission à déclarer l'aide envisagée compatible avec le marché commun dans son ensemble, doit être rejeté comme étant irrecevable.

Sur le fond

18.
    Dans la décision litigieuse, la Commission a appuyé sa conclusion quant à l'incompatibilité de la partie de l'aide envisagée dépassant le montant de 4,435 millions de DEM essentiellement sur deux considérations autonomes, que la requérante conteste par deux séries de moyens.

19.
    Premièrement, la Commission a relevé que ces travaux ne pouvaient licitement être financés par cette partie de l'aide dès lors que les travaux d'étude et de développement ont été engagés avant même que la requérante et KBA n'aient pu avoir la certitude que l'aide y afférente serait octroyée, de sorte que celle-ci n'a pas pu inciter KBA à les entreprendre. À cet égard, la requérante invoque, en substance, trois moyens tirés, respectivement, d'un défaut de motivation, d'une violation du droit d'être entendu et de diverses erreurs de droit ou erreurs manifestes d'appréciation dans l'application de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité CE [devenu, après modification, article 87, paragraphe 3, sous c), CE], ainsi que des lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté (JO 1997, C 283, p. 2, ci-après les «lignes directrices»).

20.
    Deuxièmement, la Commission a considéré que la partie de l'aide litigieuse qui n'a pas été approuvée ne saurait être considérée comme une aide licite à la restructuration de la requérante, dès lors que les travaux d'étude et de développement ont été effectués par d'autres sociétés du groupe KBA dans leurs propres établissements, situés en dehors du territoire du Land de Berlin, et que, par conséquent, la requérante n'est pas la réelle bénéficiaire de cette partie de l'aide. À cet égard, la requérante invoque trois moyens, tirés, respectivement, de diverses erreurs de droit ou erreurs manifestes d'appréciation dans l'application des critères posés par l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité ainsi que par les lignes directrices, d'une violation des droits de la défense et d'un défaut de motivation de la décision litigieuse.

21.
    La requérante invoque, en outre, un moyen tiré d'un détournement de pouvoir prétendument commis par la Commission, dans la mesure où celle-ci aurait retenu une solution de compromis, au lieu de se baser sur une appréciation objective de la situation.

22.
    Le Tribunal relève que, dans la mesure où chacune des séries de moyens, visées aux points 19 et 20 ci-dessus, se rapporte à un volet autonome du raisonnement retenu dans la décision litigieuse, l'éventuel bien-fondé d'un seul moyen de l'une de ces séries n'emporte pas nécessairement la conséquence que la décision litigieuse doit être annulée. Il est nécessaire, par conséquent, pour entraîner l'annulation de ladite décision, qu'au moins un moyen de chacune de ces deux séries soit reconnu comme étant fondé.

23.
    Dans ces conditions, le Tribunal estime qu'il convient d'examiner d'abord le moyen de la première série tiré de diverses erreurs de droit ou erreurs manifestes d'appréciation en ce qui concerne le critère relatif à l'incitation et, ensuite, celui de la deuxième série tiré également de diverses erreurs de droit ou erreurs manifestes d'appréciation en ce qui concerne l'identité du bénéficiaire réel de la partie de l'aide qui a été refusée.

Sur le moyen tiré de diverses erreurs de droit ou erreurs manifestes d'appréciation entachant la conclusion selon laquelle le critère de l'incitation fait défaut

24.
    Le présent moyen s'articule en trois branches tirées, la première, d'une erreur manifeste d'appréciation quant au moment où les frais d'étude et de développement ont été engagés, la deuxième, d'une erreur de droit ou d'une erreur manifeste d'appréciation quant à la conclusion selon laquelle l'aide n'était pas compatible avec le marché commun du fait que lesdits frais auraient été engagés avant la date de notification de l'aide et, la troisième, d'une violation du principe de proportionnalité du fait de l'exclusion de l'ensemble des frais d'étude et de développement.

25.
    Il convient d'examiner d'abord la deuxième branche de ce moyen.

Arguments des parties

26.
    La requérante a soutenu, dans le cadre de la première branche du moyen que, contrairement aux constatations factuelles de la décision litigieuse, les frais d'étude et de développement n'avaient pas été engagés en grande partie avant la date de la notification de l'aide par les autorités allemandes, le 21 janvier 1998. Elle fait valoir dans le cadre de la deuxième branche du même moyen que, à supposer même que lesdites constatations soient exactes, la Commission a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste d'appréciation en déduisant de celles-ci que la partie de l'aide relative aux travaux d'étude et de développement n'est pas compatible avec le marché commun dès lors que l'effet incitatif nécessaire fait défaut en ce qui la concerne.

    

27.
    La Commission renvoie, d'abord, à la jurisprudence (arrêt de la Cour du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission, 730/79, Rec. p. 2671), selon laquelle aucune aide d'État ne peut être accordée au titre de l'une des exceptions énumérées à l'article 92, paragraphe 3, du traité, à moins qu'elle ne soit nécessaire pour inciter une ou plusieurs entreprises à prendre des mesures qui contribuent à l'objectif envisagé par l'exception en cause. Selon la Commission, dès lors qu'une entreprise engage des travaux de développement sans bénéficier d'une aide, comme l'a fait la requérante, l'aide à la restructuration ultérieurement accordée ne saurait être considérée comme nécessaire pour atteindre cet objectif.

28.
    Bien que la Commission admette que l'encadrement communautaire des aides d'État à la recherche et au développement (JO 1996, C 45, p. 5) n'est pas directement applicable au cas d'espèce, elle considère néanmoins opportun de rappeler que cet encadrement consacre le principe de nécessité de l'aide exposé au point précédent, dans le cadre spécifique des aides à la recherche et au développement, et qu'il indique, au point 6.5, que la Commission se montrera plus stricte, «dès lors qu'une partie significative des dépenses de recherche et de développement a été effectuée préalablement à la demande d'aide».

29.
    La Commission invoque la jurisprudence, selon laquelle une entreprise bénéficiaire d'une aide n'a aucune certitude quant à son octroi avant que la Commission n'ait pris une décision d'approbation et que le délai de recours à l'encontre de cette décision ne soit écoulé (arrêt de la Cour du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C-169/95, Rec. p. I-135, point 53). Ainsi, en l'espèce, la circonstance que près de la moitié des coûts relatifs aux travaux d'étude et de développement a été engagée avant la notification de l'aide, laquelle est d'ailleurs intervenue près d'un an après le commencement des travaux, suffirait à exclure la possibilité que cette aide ait pu inciter la requérante à effectuer ces travaux.

30.
    L'argumentation de la requérante selon laquelle c'est l'engagement de verser l'aide en question, pris par le Sénat du Land de Berlin lors de la signature du «pacte pour l'emploi», le 24 février 1997, qui l'a amenée à engager les travaux en cause, serait donc sans pertinence. Il ne serait pas exact que la perspective de bénéficier d'une aide simplement envisagée sur le plan politique puisse justifier l'entreprise d'une opération de restructuration par le bénéficiaire. De toute manière, cette argumentation serait infirmée par la circonstance que la requérante a dû menacer de fermer son usine pour obtenir, en août 1997, une décision formelle d'octroi de l'aide. En réalité, par le biais de cet ultimatum, la requérante et KBA auraient cherché, pour la première fois en août 1997, à faire financer par le Land de Berlin des travaux qui avaient déjà été commencés.

31.
    Selon la Commission, il doit être conclu que KBA aurait fait effectuer les travaux d'étude et de développement en cause quand bien même aucune aide ne lui aurait été octroyée.

Appréciation du Tribunal

32.
    À titre liminaire, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, la Commission jouit d'un large pouvoir d'appréciation dans l'application de l'article 92, paragraphe 3, du traité, qui implique la prise en considération et l'appréciation de faits et de circonstances économiques complexes. Le juge communautaire ne pouvant substituer son appréciation des faits, notamment sur le plan économique, à celle de l'auteur de la décision, le contrôle du Tribunal doit, à cet égard, se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l'exactitude matérielle des faits ainsi que de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt Philip Morris/Commission, précité, points 17 et 24; arrêt du Tribunal du 6 octobre 1999, Salomon/Commission, T-123/97, Rec. p. II-2925, point 47).

33.
    De surcroît, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la légalité d'un acte communautaire doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l'acte a été adopté et les appréciations complexes portées par la Commission ne doivent être examinées qu'en fonction des seuls éléments dont celle-ci disposait au moment où elle les a effectuées (voir arrêt Salomon/Commission, précité, point 48 et la jurisprudence citée).

34.
    Il convient de rappeler, en outre, que la Commission est en droit de refuser l'octroi d'une aide dès lors que celle-ci n'a pas incité les entreprises bénéficiaires à adopter un comportement de nature à contribuer à la réalisation de l'un des objectifs visés par l'article 92, paragraphe 3, du traité (voir, en ce sens, arrêt Philip Morris, précité, points 16 et 17). L'aide litigieuse ayant été examinée dans le cadre de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité et au regard des lignes directrices qui en exposent les conditions, cette jurisprudence est applicable en l'espèce.

35.
    Ayant relevé en l'espèce que les travaux d'étude et de développement ont été engagés avant la notification de l'aide, le 21 janvier 1998, la Commission invoque cette circonstance d'ordre chronologique, dans la décision litigieuse, pour appuyer sa conclusion selon laquelle l'aide qui devait financer lesdits travaux profiterait en fait à KBA. Devant le Tribunal, elle a soutenu que cette argumentation démontre également l'absence de l'élément d'incitation requis par la jurisprudence citée au point précédent. Selon la Commission, KBA n'aurait pas exposé en effet les frais relatifs auxdits travaux avant la notification de l'aide à la Commission si ces derniers n'avaient pas été exécutés dans son propre intérêt.

36.
    Il convient donc d'examiner si cet aspect chronologique de l'affaire permet de considérer, conformément à l'argumentation de la Commission dans la décision litigieuse, que l'élément d'incitation requis par la jurisprudence fait défaut en l'espèce en ce qui concerne l'aide devant financer les travaux d'étude et de développement.

37.
    En principe, le fait que des travaux en rapport avec une restructuration aient été entamés par l'entreprise avant même que les autorités nationales n'aient donné la moindre indication concernant leur intention d'octroyer une aide exclut que la promesse ultérieure d'une aide ou son octroi effectif puisse être considéré comme une incitation de l'entreprise à effectuer ladite restructuration. En effet, une fois que de tels travaux sont engagés, du moins dans une mesure significative, ne pas les achever constitue normalement une perte de ressources. La décision prise par l'entreprise à procéder est donc en principe définitive.

38.
    En revanche, la circonstance qu'une partie importante des coûts afférents à des travaux d'étude et de développement a été engagée avant la notification de l'aide à la Commission ne permet pas de conclure que la promesse d'une aide de la part des instances nationales, pour ces travaux, n'a pu inciter l'entreprise en cause à y procéder et que ces travaux doivent en conséquence être exclus des coûts de restructuration admissibles. Les arguments développés en ce sens par la Commission en ce qui concerne les assurances et même les engagements donnés par le Land de Berlin ne sauraient donc être retenus.

39.
    En effet, il convient de relever d'abord qu'une entreprise, dont la situation économique est telle qu'elle a besoin de bénéficier d'une aide à la restructuration pour assurer sa viabilité, ne peut pas toujours attendre d'avoir la certitude absolue du versement de cette aide pour mettre en oeuvre son programme de restructuration. Au contraire, il se peut, dans certains cas, que cette mise en oeuvre s'impose à bref délai afin que le critère du retour à la viabilité, prévu dans les lignes directrices, puisse être satisfait.

40.
    La Commission a d'ailleurs reconnu la pertinence de cette analyse dans les circonstances du cas d'espèce en relevant, dans la décision litigieuse, que «les capacités de [la requérante] n'auraient pas permis le développement à bref délai des produits compétitifs et novateurs nécessaires et que, de ce fait, [la requérante] a dû avoir recours aux capacités de KBA» (p. 24).

41.
    Par ailleurs, il est évident qu'une entreprise potentiellement bénéficiaire d'une nouvelle aide étatique ne peut avoir aucune certitude d'en bénéficier réellement avant que les autorités de l'État membre n'aient notifié cette aide à la Commission et que cette dernière n'ait constaté sa compatibilité avec le marché commun. Le fait de notifier une aide n'a aucune incidence, en lui-même, sur la compatibilité de celle-ci avec le marché commun.

42.
    Ainsi, la notification de l'aide ne lève nullement l'incertitude quant à son approbation au niveau communautaire. Tant que la Commission n'a pas pris une décision d'approbation et même, tant que le délai de recours à l'encontre de cette décision n'est pas écoulé, le bénéficiaire n'a pas de certitude quant à la légalité de l'aide envisagée, seule susceptible de faire naître chez lui une confiance légitime (voir, en ce sens, arrêt Espagne/Commission, précité, point 53). Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l'absence de certitude absolue quant à l'octroi d'une aide et, partant, de confiance légitime, à l'époque où le bénéficiaire potentiel décide de procéder à sa restructuration, ne signifie pas que les assurances données préalablement par des instances nationales ou régionales n'ont eu aucun effet incitatif.

43.
    Dans ces conditions, force est de reconnaître que la Commission ne saurait déduire du simple fait que des travaux d'étude et de développement ont été engagés avant la date de notification de l'aide devant les financer que cette aide ne remplit pas le critère relatif à l'incitation. Il incombe à la Commission d'apprécier les circonstances de chaque cas d'espèce pour déterminer si la perspective de l'octroi de l'aide est suffisamment probable pour que le critère relatif à l'incitation puisse être effectivement satisfait.

44.
    Ainsi, en l'espèce, la Commission aurait dû tenir compte de la forme et de la nature précises des communications et actes émanant des autorités nationales compétentes, ainsi que des autres circonstances pertinentes et, notamment, de l'urgence tenant à la situation économique de la requérante, constatée dans la décision litigieuse, aux fins d'apprécier l'existence de l'élément d'incitation.

45.
    Par ailleurs, l'appréciation de la Commission manque de cohérence en l'espèce. En effet, dans la décision litigieuse, la Commission relève que «[la requérante] a lancé la fabrication en série du changeur de bobines amélioré (type ‘Pastomat RC’) à la fin de 1997, ce qui a contribué au premier succès commercial du plan de restructuration», et elle en déduit qu'une forte proportion des frais relatifs aux travaux de développement prévus par le plan de restructuration avait déjà été engagée avant la notification.

46.
    Or, cette production en série n'a pu démarrer que dans la mesure où non seulement la partie des travaux de développement relative au changeur de bobines en question, mais aussi la partie des travaux de réaménagement de l'usine de Berlin où il devait être fabriqué, étaient achevées. D'ailleurs, la décision litigieuse confirme que des travaux de réaménagement significatifs ont été réalisés en 1997, dans la mesure où la Commission y relève que «les coûts engendrés en fait en 1997 doivent être imputés à la restructuration et à la fermeture provisoire qui a eu lieu aux fins de la réorganisation de la production et de la gamme de produits» (p. 22).

47.
    Néanmoins, la Commission a considéré, dans la décision litigieuse, que l'ensemble des travaux de réaménagement de l'usine de Berlin étaient des frais de restructuration admissibles et qu'ils pouvaient donc être financés par la partie de l'aide déclarée compatible avec le marché commun. Ce faisant, elle a reconnu, du moins implicitement, que les assurances et engagements donnés par le Land de Berlin dans le courant de l'année 1997 quant à l'octroi de l'aide ont incité la requérante et KBA à effectuer lesdits travaux de réaménagement.

48.
    Il résulte de ce qui précède que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en concluant à l'incompatibilité avec le marché commun de la partie de l'aide afférente aux travaux d'étude et de développement au motif que, selon elle, l'élément d'incitation nécessaire manquait à cet égard, dès lors que les frais relatifs à ces travaux avaient été engagés «avant le mois de janvier 1998» (p. 23), soit «avant la notification» (p. 24), et ce sans tenir compte de l'éventuelle pertinence de l'ensemble des circonstances relatives à l'octroi de l'aide et, notamment, des circonstances antérieures à la notification. Le caractère erroné de l'analyse effectuée par la Commission à cet égard est confirmé par le fait qu'elle a approuvé l'aide relative aux travaux de réaménagement de l'usine de Berlin alors qu'il ressort de constatations figurant dans la décision litigieuse que ceux-ci avaient également été entamés avant la notification de l'aide.

    

49.
    L'erreur relevée au point précédent serait inopérante, et ne saurait donc suffire à justifier l'annulation de la décision litigieuse, si, dans les circonstances particulières du cas d'espèce, elle n'avait pu avoir une influence déterminante quant au résultat (voir, par analogie, par rapport à une erreur de droit, arrêts du Tribunal du 5 juin 1996, Günzler Aluminium/Commission, T-75/95, Rec. p. II-497, point 55, et du 27 février 1997, FFSA e.a./Commission, T-106/95, Rec. p. II-229, point 199).

50.
    Ainsi, s'il devait ressortir de la décision litigieuse, lue à la lumière des éléments dont la Commission disposait au moment de son adoption, que cette dernière était fondée à considérer que la partie de l'aide relative aux travaux d'étude et de développement ne revêtait pas l'élément d'incitation nécessaire parce que ces travaux avaient débuté à une date où les autorités nationales n'avaient pas encore fait connaître leur intention de l'octroyer, l'annulation de la décision litigieuse pour les motifs relevés au point précédent n'aurait aucun sens. En effet, dans cette hypothèse, la Commission ne pourrait que parvenir à la même conclusion à l'égard de la partie de l'aide déclarée incompatible avec le marché commun en prenant en considération cette date plutôt que la date de la notification.

51.
    Dans cette optique, il convient d'examiner l'argumentation de la Commission, selon laquelle les indications reçues des autorités nationales par la requérante et KBA avant que cette dernière ne décide d'engager les travaux d'étude et de développement n'étaient pas suffisantes pour l'y inciter.

52.
    À cet égard, il ressort des arguments présentés dans le mémoire en défense que les autorités du Land de Berlin ont adopté une décision formelle d'octroi de l'aide à la suite des menaces de fermeture de l'usine de la requérante, faites par KBA en août 1997. Il convient de relever également que, dans leur lettre adressée à la Commission le 18 juin 1998, les autorités allemandes ont fait référence à une «décision d'octroi du 11 septembre 1997». À la demande du Tribunal, le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a produit une copie de cette décision du Sénat du Land de Berlin. Il s'avère que celle-ci est bien la décision par laquelle l'aide en faveur de la requérante, d'un montant de 9 310 000 DEM, a été formellement accordée, le 11 septembre 1997, sous réserve de l'approbation de la Commission.

53.
    Force est de constater que la requérante a donc reçu du Land de Berlin, le 11 septembre 1997 au plus tard, autant de garanties quant à l'octroi de l'aide qu'elle pouvait licitement en obtenir.

54.
    Quant à la signature du pacte pour l'emploi, le 24 février 1997, il y a lieu de rejeter l'argument de la Commission suivant lequel les engagements politiques non entérinés par des décisions administratives juridiquement contraignantes sont, par nature, trop peu fiables pour inciter une entreprise à entreprendre un programme de restructuration au sens de la jurisprudence rappelée au point 34 ci-dessus. De nouveau, cette argumentation fait abstraction du fait que les circonstances de chaque affaire relevant des lignes directrices sont différentes et qu'il incombe à la Commission d'apprécier l'existence de l'élément d'incitation en tenant compte de tous les éléments pertinents, y compris les engagements non contraignants qui ont pu être donnés par des instances politiques au niveau national ou, comme en l'espèce, au niveau d'une entité territoriale.

55.
    En l'occurrence, il ressort de la décision litigieuse que «au mois de novembre 1996, KBA avait eu l'intention de fermer [la requérante] au 30 juin 1997, auquel cas l'accord [de contrôle et de transfert des bénéfices] aurait fait l'objet d'une résiliation anticipée, avant la fermeture et [la requérante] n'aurait pu exiger la reprise de ses pertes d'exploitation de 1996 et de 1997».

56.
    Par ailleurs, en réponse à une question du Tribunal, la Commission a produit une copie de la version du plan de restructuration qui lui avait été communiquée par les autorités allemandes au cours de la procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité. Il apparaît à la lecture de la section 0 de ce document que KBA avait, en effet, initialement décidé de fermer l'usine de la requérante, mais que, à la suite de discussions approfondies avec le Sénat de Berlin, les 8 janvier et 14 février 1997, un plan approprié permettant la survie partielle de l'entreprise avait été élaboré et un soutien financier approuvé par le Sénat. Ensuite, la section 0 du plan expose que la direction de KBA avait décidé de procéder à une restructuration complète de l'entreprise de la requérante en vue d'assurer sa survie partielle, dans la mesure où il était possible de compter sur le soutien financier envisagé.

57.
    À cet égard, l'argument tiré de ce que KBA a dû menacer de fermer la requérante pour obtenir l'octroi formel de l'aide de la part des autorités berlinoises, avancé par la Commission devant le Tribunal, n'infirme pas les arguments de la requérante quant à la réalité des assurances données par ces autorités en février 1997. En effet, la requérante ne prétend pas que ces assurances étaient juridiquement contraignantes et elle ne nie donc pas avoir pris un risque, tout comme KBA, en misant sur elles. Cependant, la circonstance que KBA a pu douter, en août 1997, du respect des engagements des autorités publiques, et le fait qu'elle ait cherché à faire pression pour les y contraindre, n'impliquent pas automatiquement qu'elle ne s'est pas fondée sur ces engagements pour entreprendre la restructuration à partir de février 1997.

58.
    Enfin, s'il ressort clairement de la décision litigieuse que la Commission considère, au regard du peu de renseignements dont elle disposait en l'absence du calendrier précis qu'elle affirme avoir demandé aux autorités allemandes, qu'une proportion importante des frais relatifs aux travaux de développement a été engagée avant la fin de l'année 1997, force est néanmoins de constater que la décision litigieuse ne contient aucune constatation sur les dépenses effectuées avant le 11 septembre 1997 ou avant le 24 février 1997. La Commission n'ayant pas apprécié la situation à ces dates, il convient de constater que l'erreur manifeste qu'elle a commise a pu avoir une influence décisive à cet égard.

59.
    Dès lors, le présent moyen est fondé et, par conséquent, il n'est pas besoin d'examiner les autres moyens de cette première série.

Sur le moyen tiré d'une erreur de droit ou d'une erreur manifeste d'appréciation prétendument commise par la Commission en ce que celle-ci a considéré que la partie de l'aide relative aux travaux d'étude et de développement n'est pas une aide à la restructuration bénéficiant à la requérante au sens des lignes directrices

60.
    Ce moyen, qui s'articule en quatre branches, porte, premièrement, sur les conséquences à tirer du fait que les usines de Würzburg et Frankenthal ne se trouvent pas dans des régions assistées, deuxièmement, sur l'appréciation selon laquelle les travaux d'étude et de développement profitent à KBA, troisièmement, sur l'appréciation selon laquelle la viabilité de la requérante ne serait pas affectée par l'interdiction d'une partie de l'aide, du fait qu'une forte proportion des frais avait déjà été engagée, et, quatrièmement, sur l'appréciation selon laquelle la partie de l'aide refusée n'impliquerait aucun élément d'incitation supplémentaire.

61.
    Il convient d'examiner conjointement les deuxième et troisième branches de ce moyen.

Arguments des parties

62.
    Selon la requérante, la Commission a fait une erreur de droit et/ou une erreur manifeste d'appréciation en considérant que les travaux d'étude et de développement profitent à KBA, si bien que celle-ci, plutôt que la requérante, est en réalité la bénéficiaire principale de la partie de l'aide y afférente. En effet, les bureaux d'étude du groupe KBA, loin d'avoir besoin de faire les travaux en cause pour s'occuper, n'auraient pas manqué de travail au moment où ils les ont entrepris, et d'autres projets du groupe KBA auraient ainsi été retardés. Cependant, le temps aurait manqué pour faire intervenir un bureau d'études externe. Par ailleurs, la fermeture de l'usine de la requérante aurait été la solution la moins coûteuse pour KBA.

63.
    En outre, la requérante fait valoir que la Commission n'aurait pas dû faire abstraction de son autonomie juridique par rapport à sa société mère, KBA, pour considérer que celle-ci était la bénéficiaire de l'aide. En matière d'aides, il conviendrait d'apprécier la situation d'une filiale sans tenir compte de celle des autres entreprises faisant partie du même groupe (arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T-371/94 et T-394/94, Rec. p. II-2405, points 314 et 315).

64.
    L'affirmation, dans la décision litigieuse, selon laquelle «[KBA] avait tout intérêt à ce que soient développés de meilleurs composants pour les presses de sa fabrication» (p. 24) ne serait ni étayée par des éléments de preuve ni fondée. Avant la mise en oeuvre du plan de restructuration, le groupe KBA aurait utilisé certains composants, notamment des changeurs de bobines, fournis par des tiers, stratégie qu'elle aurait pu étendre à d'autres composants si la requérante avait cessé ses activités. Ainsi, selon la requérante, si la décision de fermer son usine le 30 juin 1997 n'avait pas été révoquée, les travaux d'étude et de développement en cause n'auraient pas été engagés par le groupe KBA, du moins pendant la période 1997-1999.

65.
    En toute hypothèse, la Commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que la viabilité de la requérante n'était pas remise en cause par la décision litigieuse. En effet, les frais relatifs aux travaux de développement n'auraient pas encore été facturés à la requérante par le groupe KBA, précisément au motif que l'aide y afférente n'a pu être versée. Si ces frais avaient été facturés, la requérante aurait subi des pertes.

66.
    La Commission fait valoir qu'elle était fondée à considérer que KBA, société qui n'était pas en difficulté, était la bénéficiaire principale de l'aide.

67.
    À cet égard, la Commission relève que KBA détient la totalité du capital de la requérante et qu'elle reprend ses pertes ou bénéfices en vertu d'un accord conclu entre les deux sociétés. Dans leurs observations formulées au cours de la procédure administrative, les autorités allemandes auraient qualifié la requérante d'«extension d'atelier» de KBA et, dans leur lettre du 18 juin 1998, elles auraient affirmé qu'il fallait apprécier «comme formant un tout l'engagement pris par les deux entreprises».

68.
    En outre, selon la Commission, la requérante ne saurait tirer argument de l'arrêt British Airways e.a./Commission, précité. En effet, l'appréciation de la Commission dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt aurait été basée sur le fait que les relations entre Air France et Air Inter étaient devenues celles de «sociétés soeurs indépendantes» relevant d'une même société «holding», plutôt que celles d'une société mère et de sa filiale. Dans ces circonstances, le Tribunal aurait considéré, en tenant compte du large pouvoir d'appréciation de la Commission, que celle-ci était autorisée à traiter ces deux sociétés comme des entreprises autonomes dans le cadre de son appréciation de l'aide en cause (voir point 314 de l'arrêt).

69.
    En l'espèce, en revanche, KBA et la requérante auraient eu des relations plus classiques de société mère et de filiale, et la Commission aurait donc été fondée à les traiter comme une entité unique dans le cadre de son appréciation de la partie de l'aide en rapport avec les travaux d'étude et de développement (voir arrêt de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, Rec. p. 3809, point 11).

70.
    De surcroît, les travaux de développement financés par l'aide auraient bénéficié directement à la société KBA dans la mesure où celle-ci avait un intérêt stratégique à ce que des composants flexibles et novateurs pour les presses de sa fabrication soient produits au sein de son propre groupe (p. 17 et 24 de la décision litigieuse) et remplacent progressivement les composants fournis auparavant par des fabricants extérieurs au groupe KBA, améliorant ainsi la souplesse de ses approvisionnements et sa compétitivité. Le plan de restructuration aurait permis également de supprimer les capacités faisant double emploi au sein du groupe KBA, ainsi que d'améliorer le taux d'utilisation des sites de production dudit groupe (p. 20 de la décision litigieuse). Il s'ensuivrait, par ailleurs, que la Commission n'a pas commis d'erreur en se référant à la restructuration de KBA, dès lors que d'autres sociétés du groupe KBA, en dehors de la requérante, ont dû prendre des mesures pour s'adapter à la nouvelle situation créée par la restructuration de celle-ci. Néanmoins, il serait clair que la Commission a considéré dans la décision litigieuse que seule la requérante, et non le groupe entier, faisait l'objet du plan de restructuration sur lequel porte son appréciation.

71.
    Enfin, contrairement à l'argumentation de la requérante, il n'y aurait pas lieu d'assimiler les conditions dans lesquelles le bureau d'études du groupe KBA a fourni des prestations à la requérante à celles qui auraient été imposées par un bureau d'études externe. En effet, sans préciser le prix qui devait être facturé à la requérante par le bureau du groupe KBA pour rémunérer les travaux en cause, les autorités allemandes se seraient bornées à affirmer qu'il avait été «calculé de manière à couvrir tous les frais occasionnés par le développement et la construction». La requérante, quant à elle, ferait référence, dans sa requête, au «remboursement de frais».

72.
    Il serait donc constant que le prix à facturer ne contient aucun élément correspondant au bénéfice qu'un bureau d'études externe devrait nécessairement réaliser, et qu'il est donc inférieur au meilleur prix que la requérante aurait pu obtenir sur le marché. Or, si le groupe KBA a contribué aux travaux d'étude et de développement en vendant le savoir-faire qui en résulte à sa filiale à des conditions avantageuses, il serait logique d'en déduire qu'ils ont été réalisés par celui-ci dans son propre intérêt.

73.
    Par ailleurs, le grief tiré de la référence, faite dans la décision litigieuse, à la viabilité de la société requérante ne serait pas fondé. Ayant considéré que l'aide en rapport avec les travaux d'étude et de développement n'était pas compatible avec le marché commun et devait être interdite, la Commission aurait cependant voulu s'assurer que cette réduction de l'aide n'empêcherait pas, en pratique, le retour à la viabilité de la société requérante. En effet, ce dernier élément serait l'un des objectifs que doit viser tout plan de restructuration, au titre des lignes directrices (point 3.2.2.A). Dans la décision litigieuse, la Commission aurait constaté que cet objectif n'était pas remis en cause par la minoration envisagée.

Appréciation du Tribunal

74.
    À titre liminaire, il convient de renvoyer aux considérations relatives au contrôle du juge communautaire exposées ci-dessus aux points 32 et 33.

75.
    Il y a lieu de rejeter, d'abord, l'argument de la requérante tiré de l'arrêt British Airways e.a./Commission, précité. En effet, l'appréciation de la Commission dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, confirmée par le Tribunal, était fondée sur le fait que les relations entre Air France et Air Inter étaient devenues celles de «sociétés soeurs indépendantes» relevant d'une même société «holding» plutôt que celles d'une société mère et de sa filiale, comme en l'espèce. Il ne découle donc pas de cette jurisprudence que la Commission aurait dû traiter KBA et la requérante comme des entreprises autonomes. Au contraire, il incombait à la Commission de tenir compte de l'ensemble des circonstances pertinentes aux fins de son appréciation, y compris la relation de société mère et de filiale existant entre KBA et la requérante.

76.
    Dans la décision litigieuse, la Commission considère que la partie de l'aide relative aux travaux d'étude et de développement profite à KBA, si bien que celle-ci, et non sa filiale, en est la bénéficiaire principale. Cette conclusion est fondée sur une analyse manifestement erronée.

77.
    Il convient de relever aussi, avant d'aborder la question de l'incidence du refus partiel de l'aide litigieuse, que le plan de restructuration prévoit, selon les termes de la décision litigieuse, «la concentration de [la société requérante] sur la fabrication de seulement trois composants de machine» et l'abandon de la production d'autres composants réalisée dans des conditions déficitaires, la fabrication de ces derniers étant transférée aux usines du groupe KBA de Würzburg et de Frankenthal (p. 20 et 22 de la décision litigieuse). S'il est exact que ce transfert était susceptible de profiter à KBA, dans la mesure, notamment, où il permettait d'accroître le taux d'utilisation desdites usines, il y a lieu de rappeler que KBA devait choisir, au début de l'année 1997, entre la restructuration de l'entreprise de la requérante et sa fermeture définitive, et que ledit transfert de production était possible, voire logique, dans ces deux hypothèses. Dans ces conditions, force est de constater que la restructuration de l'entreprise de la requérante n'a pas profité au groupe KBA du fait de cette redistribution des fonctions au sein dudit groupe, dès lors que celle-ci aurait pu être réalisée et, vraisemblablement, aurait été réalisée, en tout état de cause.

78.
    Il y a lieu de constater que le refus de la Commission d'approuver l'aide à raison de 4,875 millions de DEM a eu pour conséquence, en pratique, que le groupe KBA a dû assumer une charge supplémentaire, en accomplissant les travaux d'étude et de développement sans contrepartie financière, pour que le plan de restructuration puisse être mis en oeuvre, dès lors que la requérante n'était pas à même de supporter cette contrepartie (voir ci-dessous points 80 et 81).

79.
    Or, force est de relever que la Commission n'a pas démontré à suffisance de droit l'existence, pour KBA, d'un intérêt financier ou commercial direct à assumer la charge que représentaient les travaux d'étude et de développement, en sus de sa participation avec ses fonds propres, sous la forme d'une reprise des pertes d'un montant de 12,25 millions de DEM (p. 17 de la décision litigieuse) et de sa contribution de 1,37 millions de DEM conjointement avec la requérante (p. 23). En effet, la Commission a affirmé, dans la décision litigieuse (p. 20), que, sur la base d'hypothèses «optimistes mais réalisables» présentées par les autorités allemandes, le plan de restructuration prévoyait que la requérante ne redeviendrait rentable qu'en l'an 2000, en réalisant un bénéfice modeste de 520 000 DEM. Dans ces conditions, il n'y avait aucune raison de supposer, au moment où la décision a été adoptée, que KBA allait tirer de son investissement dans la société requérante, sous forme de dividendes qui lui seraient versés en sa qualité de société mère, des bénéfices suffisants pour couvrir les frais relatifs aux travaux d'étude et de développement, et encore moins pour lui offrir un rendement raisonnable du capital investi.

80.
    Il découle de ces constatations que l'affirmation selon laquelle l'interdiction de l'aide à raison de 4,875 millions de DEM n'entraverait pas la rentabilité du plan de restructuration et, partant, la viabilité de la société requérante n'est pas exacte. En effet, le plan de restructuration sur la base duquel la Commission a considéré, dans la décision litigieuse, que la requérante n'allait redevenir rentable qu'à moyen terme partait de la prémisse selon laquelle les coûts des travaux d'étude et de développement seraient facturés par le groupe KBA à la requérante sans marge bénéficiaire (p. 24 de la décision litigieuse), et que cette dernière réglerait la dette ainsi créée grâce à l'aide relative auxdits travaux. En l'absence d'un intérêt avéré pour KBA à financer lesdits travaux elle-même, il y a lieu de considérer que cette dette était tout sauf virtuelle et devait effectivement être réglée.

81.
    Le raisonnement de la Commission fait abstraction de la créance mentionnée au point précédent et n'explique pas de quelle manière la requérante pouvait redevenir rentable tout en supportant cette charge supplémentaire. La requérante n'étant pas en mesure de rémunérer les travaux d'étude et de développement à moins que la partie de l'aide refusée par la Commission ne lui soit versée, la décision litigieuse a pour conséquence de rendre l'opération économique globale, consistant dans le développement, la production et la commercialisation des nouveaux composants, déficitaire. La circonstance qu'une forte proportion des frais avait déjà été engagée au moment de l'adoption de la décision litigieuse, invoquée par la Commission, est indifférente à cet égard, étant donné qu'elle n'a, en définitive, aucune incidence sur la viabilité de la société requérante dès lors que la dette subsiste.

82.
    Il y a lieu de rappeler, par ailleurs, que la Commission avait considéré dans un premier temps, dans les deuxième et troisième des sept «conclusions» provisoires exposées dans la lettre d'ouverture (p. 15), que les coûts prévus par le plan de restructuration pour les travaux de développement des nouveaux produits envisagés étaient excessifs et qu'il n'était pas nécessaire que le groupe KBA vende le savoir-faire qui en résultait à la requérante, au lieu de lui consentir une licence. Cependant, dans la décision litigieuse, la Commission a retiré ses objections à l'égard de ces aspects du plan de restructuration. À cet égard, elle a relevé, en premier lieu, que les coûts relatifs aux travaux en question seraient répartis sur une durée de sept ans, conformément à l'usage dans le secteur de la construction mécanique, ce qui se traduit par une charge annuelle de 868 000 DEM et correspond, par rapport au chiffre d'affaires de 36 millions de DEM escompté pour l'an 2000, à une part de 2,4 % par an, et, en deuxième lieu, que le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne s'était engagé à veiller à ce que le produit desdits travaux profite exclusivement à la requérante.

83.
    Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, ainsi que du fait que KBA aurait pu éviter de reprendre les pertes de la requérante en fermant l'usine de celle-ci en juin 1997, les arguments de la Commission quant aux relations étroites entre KBA et la requérante ne démontrent pas que le versement d'une aide à la seconde profitait nécessairement à la première.

84.
    L'existence d'un intérêt financier direct à la mise en oeuvre du plan de restructuration pour KBA n'étant pas établie, il s'ensuit que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation sur ce point, à moins qu'il ne ressorte de la décision litigieuse que ce plan lui profitait d'une manière indirecte. Il y a donc lieu de vérifier si la décision litigieuse fait état d'une autre raison économique susceptible d'avoir incité KBA à financer les travaux d'étude et de développement.

85.
    À cet égard, il convient de relever que, dans la décision litigieuse, la Commission a justifié sa conclusion selon laquelle KBA avait un intérêt à la réalisation des travaux d'étude et de développement en retenant la circonstance que les bureaux d'études du groupe KBA ont effectué ces travaux et en constatant que «[KBA] est le bénéficiaire principal des activités exercées sur son propre site de production» (p. 24 de la décision litigieuse). Par ailleurs, la Commission a affirmé que KBA avait «tout intérêt à ce que soient développés de meilleurs composants pour les presses de sa fabrication» (p. 24 de la décision litigieuse), raisonnement qu'elle a complété devant le Tribunal en invoquant l'intérêt stratégique de KBA à ce que les composants en question soient fournis par la requérante. Il y a lieu d'examiner la pertinence et le bien-fondé de ces deux volets du raisonnement de la Commission.

86.
    En premier lieu, la circonstance qu'il était prévu dans le plan de restructuration que les bureaux d'études du groupe KBA devaient effectuer les travaux d'étude et de développement moyennant rémunération par la requérante ne suffit pas, à elle seule, pour étayer la conclusion selon laquelle KBA avait un intérêt à ces travaux. Il est exact, comme le relève la Commission, que, si la partie de l'aide relative aux travaux d'étude et de développement avait été considérée comme licite, elle aurait été versée par la requérante au groupe KBA pour rémunérer les travaux en question. Cependant, le simple versement indirect à KBA des fonds avancés par le gouvernement du Land de Berlin n'est pas pertinent aux fins de déterminer laquelle des deux sociétés était le «bénéficiaire principal» de l'aide en l'espèce, dès lors que ce paiement devait rémunérer un travail concret, dont la prestation avait nécessairement occasionné des frais réels aux bureaux d'étude du groupe KBA. La Commission n'a pas expliqué comment KBA pouvait couvrir ces frais en l'absence dudit versement. En effet, selon le plan de restructuration, le groupe KBA devait vendre le savoir-faire résultant des travaux d'études et de développement à la requérante au prix coûtant pour rentabiliser cette opération. Par ailleurs, comme cela a été noté au point 82 ci-dessus, l'usage exclusif de ce savoir-faire était réservé à la requérante aux termes d'un engagement donné par le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne à la Commission.

87.
    Il convient de relever également, à cet égard, que, selon la requérante, les bureaux d'études du groupe KBA étaient déjà occupés à 100 % de leurs capacités par d'autres projets, dont la réalisation a dû être reportée pour leur permettre d'effectuer les travaux en question dans le bref délai qu'imposaient les difficultés financières de la requérante. Ces faits n'ont pas été abordés dans la décision litigieuse et la Commission n'a pas demandé de renseignements sur la situation des bureaux d'études du groupe KBA au cours de la procédure administrative.

88.
    Il s'ensuit que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où elle a supposé que le plan de restructuration profitait à KBA du fait qu'il apportait un travail rémunéré aux bureaux d'études du groupe KBA et ce alors qu'il ressort, en particulier, de la décision litigieuse que les bureaux d'études du groupe KBA devaient facturer ce travail à la requérante au prix coûtant, sans la moindre marge bénéficiaire. Ainsi, l'erreur commise par la Commission à cet égard trouve son origine dans l'insuffisance de l'instruction à laquelle elle a procédé, et plus particulièrement dans le fait qu'elle ne s'est pas renseignée sur l'ensemble des circonstances pertinentes, y compris la question de savoir si lesdits bureaux d'études étaient sous-employés (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 72). Il y a lieu de constater, à cet égard, que la Commission n'a pas prétendu, dans la lettre d'ouverture, que KBA allait profiter du plan de restructuration du fait que les travaux d'étude et de développement seraient effectués dans les bureaux d'étude du groupe KBA.

89.
    En deuxième lieu, il n'est pas évident qu'une société mère a nécessairement un intérêt commercial à faire développer par ses bureaux d'études des composants nouveaux pour les machines de sa fabrication afin qu'ils soient produits par sa filiale. La pertinence de cette analyse dépend des circonstances particulières de l'espèce et, spécialement, de l'état de l'offre sur les marchés des composants concernés, ainsi que de la question de savoir si la filiale peut rentabiliser la production de ceux-ci, compte tenu de l'ensemble des coûts qu'elle doit supporter à cette fin.

90.
    Il y a lieu de considérer que l'affirmation selon laquelle KBA avait «tout intérêt à ce que soient développés de meilleurs composants pour les presses de sa fabrication» ne serait exacte en l'occurrence, sur le plan commercial, que s'il était établi que le groupe KBA ne pouvait obtenir auprès de fournisseurs externes, de manière fiable et à des prix intéressants, des produits d'aussi bonne qualité que ceux développés pour la requérante.

91.
    La décision litigieuse n'examine pas de manière approfondie l'existence possible de sources alternatives d'approvisionnement, mais il convient de relever que, dans la mesure où elle s'est penchée sur cette question, la Commission a relevé des faits qui infirment plutôt qu'ils ne valident sa propre thèse. En effet, il est affirmé dans la partie de la décision litigieuse relative à l'appréciation de l'aide que, si les composants fabriqués par la requérante devaient en principe remplacer des produits qui étaient auparavant achetés à des fabricants extérieurs, «la situation de concurrence par rapport à ces fabricants [n'était] pas supprimée pour autant» (p. 22). Cette analyse confirme les observations des autorités allemandes du 21 septembre 1998 à cet égard, selon lesquelles la requérante continuerait de faire face à la concurrence d'autres fabricants parce que le groupe KBA resterait libre de se procurer ailleurs les composants offerts par la requérante.

92.
    À la lumière de ce qui précède, il n'est pas établi à suffisance de droit en l'espèce que KBA, ou le groupe KBA, avait un intérêt commercial à réaliser des travaux d'étude et de développement dès lors que ces travaux lui permettraient de créer une source d'approvisionnement fiable des composants nécessaires à la fabrication de ses machines, à tout le moins dans les conditions d'exploitation globalement déficitaires résultant du refus par la Commission d'une partie de l'aide litigieuse relevées au point 81 ci-dessus. Au contraire, l'appréciation de la Commission dans la décision litigieuse tend à indiquer que d'autres sources d'approvisionnement valables existaient déjà et que, dans ces conditions, KBA n'avait pas besoin d'assurer le développement de ces produits et leur fabrication par la requérante.

93.
    Quant à l'argument de la Commission tiré du fait que le prix à facturer à la requérante par le groupe KBA pour rémunérer les travaux d'étude et de développement ne contient pas le bénéfice qu'un bureau d'études externe aurait dû nécessairement réaliser, il convient de relever d'abord que cette argumentation, qui tient au fait que KBA aurait réalisé ces travaux dans ces conditions en raison des avantages qu'elle pouvait en tirer à terme, est incompatible avec celle tirée de l'apport de travail rémunérateur aux bureaux d'études du groupe KBA, rejetée au point 88 ci-dessus. En outre, il n'est pas possible de déduire du fait que KBA a contribué aux travaux d'étude et de développement en vendant le savoir-faire ainsi acquis au prix coûtant qu'elle avait nécessairement un intérêt stratégique à les effectuer, que l'aide litigieuse soit ou non accordée par les autorités du Land de Berlin.

94.
    La Commission a donc commis une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où elle a déduit des éléments de fait dont elle disposait que KBA avait un intérêt à la réalisation des travaux d'étude et de développement au motif, notamment, que ceux-ci devaient être réalisés par ses propres bureaux d'études et que les produits développés devaient être fabriqués par sa filiale. La simple affirmation selon laquelle «[KBA] avait tout intérêt à ce que soient développés de meilleurs composants pour les presses de sa fabrication» (p. 24 de la décision litigieuse) ne suffit pas à fonder la conclusion retenue par la Commission, selon laquelle KBA, et non la requérante, était la véritable bénéficiaire de l'aide litigieuse.

95.
    Dans la mesure où la Commission a commis des erreurs qui résultent, au moins en partie, de la nature inadéquate des informations dont elle disposait, il convient de vérifier si elle pouvait s'appuyer sur des éléments de preuve incomplets par rapport à ces aspects du cas d'espèce relatifs à l'identité du bénéficiaire réel de la partie de l'aide litigieuse refusée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 avril 1994, Allemagne et Pleuger Worthington/Commission, C-324/90 et C-342/90, Rec. p. I-1173, point 26 à 29). Si la Commission a assorti la lettre d'ouverture d'une injonction de fournir «tous les renseignements concernant cette aide», il convient toutefois de relever que, dans la décision litigieuse, elle n'a pas considéré comme insuffisantes les informations qu'elle avait reçues quant à l'intérêt de KBA à la restructuration, à la différence de celles portant sur d'autres aspects de l'affaire. Dans ces conditions, la règle posée au point 26 de l'arrêt Allemagne et Pleuger Worthington/Commission, précité, n'est pas pertinente en l'espèce.

96.
    En tout état de cause, il y a lieu de relever que ni les autorités allemandes ni KBA et la requérante, qui auraient pu déposer des observations en leur qualité d'intéressés au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité, ne pouvaient déduire des termes de la lettre d'ouverture, cités au point précédent, qu'elles devaient fournir de plus amples éléments de nature à démontrer que KBA n'avait aucun intérêt au développement des nouveaux composants envisagés. En particulier, il ne saurait leur être reproché le fait qu'elles n'ont pas fourni de leur propre initiative des renseignements concernant le taux d'utilisation des capacités de recherche et de développement du groupe KBA et des informations plus complètes que celles mentionnées au point 91 ci-dessus sur les sources extérieures d'approvisionnement pour lesdits composants.

97.
    À cet égard, il y a lieu de rappeler que les termes en question figurent dans la troisième des sept «conclusions» provisoires exposées dans la lettre d'ouverture. Cette troisième «conclusion» porte essentiellement sur la question de savoir si le groupe KBA devait vendre le savoir-faire développé pour la requérante ou lui consentir une licence, considération à laquelle le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a répondu dans ses observations du 21 septembre 1998. L'intérêt de KBA à ce que les composants en cause, que la Commission qualifie erronément de «pièces de machines spéciales», soient fabriqués au sein du groupe, n'y est évoqué qu'à titre subsidiaire.

98.
    À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que le présent moyen est fondé.

99.
    Il résulte de ce que les deux moyens examinés ci-dessus sont fondés que la décision litigieuse doit être annulée, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens et arguments soulevés par la requérante.

Sur les dépens

100.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu, eu égard aux conclusions de la requérante, de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie),

déclare et arrête:

1)    La décision 99/690/CE de la Commission, du 3 février 1999, relative à une aide d'État envisagée par l'Allemagne au profit de la société Graphischer Maschinenbau GmbH, Berlin, est annulée pour autant qu'elle déclare la partie de l'aide envisagée dépassant le montant de 4,435 millions de DEM incompatible avec le marché commun et l'interdit.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    La Commission est condamnée aux dépens.

Vesterdorf
Mengozzi
Pirrung

Vilaras Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mai 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: l'allemand.