Language of document : ECLI:EU:T:2004:312

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
21 octobre 2004 (1)

« Aides d'État – Recours en annulation – Recevabilité – Acte concernant individuellement la requérante – Article 87, paragraphe 1, CE – Accords de rééchelonnement et de remboursement de dettes – Critère du créancier privé »

Dans l'affaire T-36/99,

Lenzing AG, établie à Lenzing (Autriche), représentée initialement par Me H.-J. Niemeyer, puis par Mes I. Brinker et U. Soltész, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Kreuschitz et D. Triantafyllou, en qualité d'agents, assistés de Me M. Núñez-Müller, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume d'Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'annulation partielle de la décision 1999/395/CE de la Commission, du 28 octobre 1998, concernant l'aide d'État accordée par l'Espagne à Sniace, SA, située à Torrelavega, Cantabrique (JO 1999 L 149, p. 40), telle que modifiée par la décision 2001/43/CE de la Commission, du 20 septembre 2000 (JO 2001, L 11, p. 46),



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre élargie),



composé de M. R. García-Valdecasas, président, Mme P. Lindh, MM. J. D. Cooke, H. Legal et Mme M. E. Martins Ribeiro, juges,

greffier : Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 23 octobre 2003,

rend le présent



Arrêt




Législation nationale applicable

1
Aux termes de l’article 20 du décret royal législatif n° 1/1994, du 20 juin 1994, portant approbation du texte codifié de la loi générale sur la sécurité sociale (BOE n° 154, du 29 juin 1994, p. 20658, ci-après la « loi générale sur la sécurité sociale ») :

« 1. Des échelonnements ou un fractionnement du paiement des dettes en cotisations de sécurité sociale ou en majorations de ces cotisations, ainsi que des dettes en ressources de la sécurité sociale autres que les cotisations, peuvent être accordés.

[…]

3. Les échelonnements et le fractionnement de dettes à l’égard de la sécurité sociale sont accordés sous la forme et aux conditions fixées par voie réglementaire. Pour être valable, la décision administrative accordant l’échelonnement ou le fractionnement doit prévoir la garantie de l’obligation, conformément aux dispositions réglementaires en vigueur, par la constitution de droits réels ou personnels, sauf si des motifs exceptionnels justifient d’accorder une dérogation.

4. L’échelonnement ou le fractionnement du paiement de dettes envers la sécurité sociale donne lieu, à compter de la date à laquelle l’octroi de l’échelonnement et du fractionnement prend effet jusqu’à la date du paiement, au versement d’intérêts au taux légal qui sera en vigueur au moment de l’octroi, en application des dispositions de la loi 24/1984, du 29 juin 1984, sur la modification du taux d’intérêt légal. »

2
Aux dettes rééchelonnées s’ajoutent, conformément à l’article 27 de la loi générale sur la sécurité sociale, des majorations de retard.

3
Les conditions d’échelonnement et de fractionnement du paiement des dettes envers la sécurité sociale sont précisées par le décret royal n° 1637/1995, du 6 octobre 1995, portant approbation du règlement général de perception des ressources du régime de sécurité sociale (BOE n° 254, du 24 octobre 1995, p. 30844). L’article 40, paragraphe 1, de ce décret royal prévoit notamment :

« Le paiement des dettes à l’égard de la sécurité sociale peut être échelonné ou fractionné, tant pendant la période de paiement volontaire qu’au cours de l’exécution forcée, à la demande des débiteurs dont la situation économique et financière et d’autres circonstances particulières, que la Trésorerie générale de la sécurité sociale apprécie, empêchent de s’acquitter de leurs dettes. »

4
Le rééchelonnement des dettes en cotisations de sécurité sociale est également réglementé par les articles 11 à 27 de l’arrêté du ministre du Travail et de la Sécurité sociale du 22 février 1996 mettant en œuvre le règlement général de perception des ressources du régime de sécurité sociale (BOE n° 52, du 29 février 1996, p. 7849).

5
Le Fondo de Garantía Salarial (fonds de garantie salariale, ci-après le « Fogasa ») est un organisme indépendant placé sous la tutelle du ministère du Travail et de la Sécurité sociale, doté de la personnalité juridique et de la capacité d’agir en vue de l’accomplissement de ses objectifs. Sa principale fonction consiste, aux termes de l’article 33, paragraphe 1, du décret royal législatif n° 1/1995, du 24 mars 1995, portant approbation du texte codifié de la loi portant statut des travailleurs (BOE n° 75, du 29 mars 1995, p. 9654, ci-après le « statut des travailleurs »), à verser « aux travailleurs les salaires qui ne leur ont pas été payés pour cause d’insolvabilité, cessation des paiements, faillite ou situation de concours entre les créanciers des entrepreneurs ». L’article 33, paragraphe 4, oblige le Fogasa à se subroger dans les droits et actions des travailleurs afin d’obtenir le remboursement des sommes avancées.

6
Les formalités à accomplir afin d’obtenir ce remboursement sont précisées dans le décret royal n° 505/85, du 6 mars 1985, relatif à l’organisation et au fonctionnement du Fogasa (BOE n° 92, du 17 avril 1985, p. 10203), qui vient compléter le statut des travailleurs. L’article 32 de ce décret royal prévoit :

« 1. Afin de faciliter le recouvrement des sommes dues, le [Fogasa] peut conclure des accords de remboursement définissant les aspects relatifs à la forme, au délai et aux garanties, en associant l’effet de l’action subrogatoire aux exigences de continuité de l’entreprise et de préservation de l’emploi.

Les sommes dont le remboursement a été rééchelonné portent intérêt au taux légal en vigueur. 

2. La conclusion d’un accord de remboursement rééchelonné de la dette est portée à la connaissance de l’organe judiciaire saisi, le cas échéant, d’une procédure d’exécution forcée.

3. L’inexécution de la convention entraîne la résolution de l’accord ; le [Fogasa] exerce toutes les actions qui lui incombent et peut demander la réouverture des procédures qui auraient été suspendues.

[…] »

7
La conclusion des accords de remboursement des sommes avancées par le Fogasa est réglementée par l’arrêté du ministre du Travail et de la Sécurité sociale du 20 août 1985 (BOE n° 206, du 28 août 1985, p. 27071). Cet arrêté fixe les critères objectifs auxquels doit se conformer le Fogasa, en précisant que ceux-ci s’appliquent « dans les limites de la marge de manœuvre requise qui permet de tenir compte des particularités de chaque cas d’espèce ». L’article 2, paragraphe 1, de ce même arrêté établit les délais maximaux à l’intérieur desquels la dette peut être rééchelonnée. Son article 3 prévoit qu’il y a lieu d’exiger une garantie « jugée suffisante ». Enfin, selon l’article 6, paragraphe 3, le Fogasa peut rejeter toute demande d’échelonnement ou de fractionnement.


Faits à l’origine du litige

8
Lenzing AG (ci-après la « requérante ») est une société autrichienne qui produit et commercialise des fibres de cellulose (viscose, modal et lyocell).

9
Sniace, SA (ci-après « Sniace »), est une société espagnole qui produit de la cellulose, du papier, des fibres de viscose, des fibres synthétiques et du sulfate de sodium. Elle est établie en Cantabrique (Espagne), une région qui, depuis septembre 1995, bénéficie du statut de région assistée au titre de l’article 92, paragraphe 3, sous a), du traité CE [devenu, après modification, article 87, paragraphe 3, sous a), CE].

10
En mars 1993, les tribunaux espagnols ont placé Sniace, qui connaissait des difficultés économiques et financières depuis plusieurs années, en état de cessation des paiements. En octobre 1996, les créanciers privés de Sniace ont conclu un accord par lequel ils convertissaient en actions de cette société 40 % de leurs créances sur celle-ci, accord qui a conduit à la levée de l’état de cessation des paiements. Faisant usage de leur droit d’abstention, les créanciers publics de Sniace ont décidé de ne pas prendre part à cet accord.

11
Les 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995, Sniace a conclu avec le Fogasa des accords relatifs au remboursement à ce dernier des arriérés de salaires et des indemnités qu’il avait versés aux travailleurs de Sniace. Le premier accord prévoyait le remboursement d’un montant de 897 652 789 pesetas espagnoles (ESP), majoré de 465 055 911ESP d’intérêts calculés au taux d’intérêt légal de 10 %, par échéances semestrielles sur une période de huit ans (ci-après l’« accord du 5 novembre 1993 »). Le second accord prévoyait le remboursement d’un montant de 229 424 860 ESP, majoré de 110 035 018 ESP d’intérêts calculés au taux d’intérêt légal de 9 %, par échéances semestrielles sur une période de huit ans (ci-après l’« accord du 31 octobre 1995 »). En vue de garantir les créances du Fogasa, Sniace a constitué, en faveur de ce dernier, le 10 août 1995 une hypothèque sur deux de ses propriétés. Le montant remboursé par Sniace dans le cadre de ces deux accords s’élevait à 186 963 594 ESP en juin 1998.

12
Le 8 mars 1996, la Trésorerie générale de la sécurité sociale (ci-après la « TGSS ») a conclu un accord avec Sniace en vue du rééchelonnement de dettes de celle-ci en cotisations de sécurité sociale d’un montant total de 2 903 381 848 ESP et concernant une période allant de février 1991 à février 1995 (ci-après l’« accord du 8 mars 1996 »). Cet accord prévoyait le remboursement de ce montant, augmenté d’intérêts calculés au taux d’intérêt légal de 9 %, en 96 mensualités jusqu’en mars 2004. Il a été modifié par un accord du 7 mai 1996, prévoyant un différé du remboursement pendant un an, un remboursement en 84 mensualités et l’application du taux d’intérêt légal de 9 % (ci-après l’« accord du 7 mai 1996 »). Ces accords n’ayant pas été respectés par Sniace, ils ont été remplacés par un nouvel accord passé le 30 septembre 1997 entre cette société et la TGSS (ci-après l’« accord du 30 septembre 1997 »). Le remboursement portait sur un montant de 3 510 387 323 ESP, correspondant à des arriérés de cotisations de sécurité sociale pour une période allant de février 1991 à février 1997, à augmenter de majorations de retard d’un montant de 615 056 349 ESP, et devait s’effectuer sur une période de dix ans. Durant les deux premières années, seuls les intérêts, calculés à un taux annuel de 7,5 %, seraient versés, tandis que, durant les années suivantes, les remboursements porteraient sur le principal et sur les intérêts. En avril 1998, Sniace avait remboursé 216 118 863 ESP dans le cadre de l’accord du 30 septembre 1997.

13
La requérante a adressé, le 4 juillet 1996, une plainte à la Commission au sujet d’une série d’aides d’État qui auraient été octroyées à Sniace pendant plusieurs années à partir de la fin des années 80. Elle a transmis des informations complémentaires à la Commission par lettres des 26 novembre et 9 décembre 1996. Les autorités espagnoles ont présenté des observations par lettre du 17 février 1997.

14
Par lettre du 10 mars 1997, la Commission a informé la requérante du classement de sa plainte au motif qu’il n’était pas suffisamment prouvé que Sniace avait bénéficié d’aides d’État au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE).

15
Par lettre du 17 avril 1997, la requérante a communiqué des informations supplémentaires à la Commission au soutien de sa plainte, dont un plan de viabilité relatif à Sniace, élaboré en août 1996 par une société privée de conseil à la demande du ministère de l’Industrie du gouvernement régional de Cantabrique. La requérante a eu une réunion avec la Commission le 17 mai 1997. Par lettre du 18 juin 1997, elle a fourni à cette dernière certaines informations sur le marché européen des fibres de viscose.

16
Par lettre du 7 novembre 1997, la Commission a communiqué au gouvernement espagnol sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) à l’égard de certaines des prétendues aides dénoncées par la requérante, dont les accords des 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995 et le « non-recouvrement des cotisations de sécurité sociale depuis 1991 », et l’a invité à présenter ses observations. Les autres États membres et les parties intéressées ont été informés de l’ouverture de cette procédure et ont été invités à faire valoir leurs observations éventuelles par la publication de cette lettre au Journal officiel des Communautés européennes du 14 février 1998 (JO C 49, p. 2). Le gouvernement espagnol a communiqué ses observations par lettre du 19 décembre 1997. Des tiers intéressés, dont la requérante par lettre du 27 mars 1998, ont présenté leurs observations, lesquelles ont été commentées par le gouvernement espagnol par lettre du 24 juin 1998. Par lettre du 16 avril 1998, ce dernier a répondu à des questions posées par la Commission par lettre du 23 février 1997.

17
Le 28 octobre 1998, la Commission a adopté la décision 1999/395/CE concernant l’aide d’État accordée par l’Espagne à Sniace, SA, située à Torrelavega, Cantabrique (JO 1999, L 149, p. 40, ci-après la « décision du 28 octobre 1998 »).

18
Le dispositif de cette décision se lit comme suit :

« Article premier

L’aide d’État suivante mise à exécution par l’Espagne en faveur de [Sniace] est incompatible avec le marché commun :

a) l’accord du 8 mars 1996 (modifié par l’accord du 7 mai 1996) passé entre Sniace et la [TGSS] pour le rééchelonnement d’une dette d’un montant total de 2 903 381 848 ESP au titre du principal, tel que modifié de nouveau par l’accord du 30 septembre 1997 portant sur le rééchelonnement de dettes d’un montant total de 3 510 387 323 ESP au titre du principal, dans la mesure où le taux d’intérêt était inférieur au taux du marché ; et

b) les accords des 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995 passés entre Sniace et le [Fogasa] portant sur deux montants de 1 362 708 700 ESP et 339 459 878 ESP respectivement (intérêts compris), dans la mesure où le taux d’intérêt était inférieur au taux du marché.

En ce qui concerne les autres points visés par la procédure ouverte en vertu de l’article [88, paragraphe 2, CE], à savoir une garantie de prêt totalisant un milliard de [ESP] et accordée en vertu de la loi 7/93, le mécanisme de financement de la construction d’une usine de traitement des effluents et l’annulation partielle de dettes par le conseil municipal de Torrelavega, ces mesures ne constituent pas une aide, de sorte qu’il est possible de clore la procédure. Toutefois, l’Espagne doit communiquer à la Commission, dans les deux mois qui suivent la publication de la présente décision, les liquidations modifiées par le conseil municipal de Torrelavega de la taxe sur les activités économiques dont Sniace est redevable pour les années 1995 et suivantes. Pour ce qui est du non-recouvrement des contributions à la protection de l’environnement pour la période 1987-1995, la Commission adoptera une décision distincte en temps utile.

Article 2

1. Le Royaume d’Espagne prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès du bénéficiaire l’aide visée à l’article 1er et déjà illégalement mise à sa disposition.

2. La récupération de l’aide a lieu conformément aux procédures du droit national. Les sommes à récupérer produisent des intérêts à compter du jour où elles ont été mises à la disposition du bénéficiaire jusqu’à leur récupération effective. Les intérêts sont calculés sur la base du taux de référence applicable.

Article 3

Le Royaume d’Espagne informe la Commission dans les deux mois suivant la notification de la présente décision des mesures prises pour s’y conformer.

Article 4

Le Royaume d’Espagne est destinataire de la présente décision. »


Arrêt Tubacex et décision du 20 septembre 2000

19
Par requête déposée au greffe de la Cour le 24 décembre 1998, le Royaume d’Espagne a introduit un recours en annulation de la décision du 28 octobre 1998 (affaire C-479/98). La procédure dans cette affaire a été suspendue une première fois, par décision du président de la Cour du 23 février 1999, dans l’attente du prononcé de l’arrêt de la Cour dans l’affaire C-342/96, Espagne/Commission, qui soulevait des questions similaires.

20
Cette dernière affaire avait pour objet un recours en annulation de la décision 97/21/CECA, CE de la Commission, du 30 juillet 1996, concernant une aide d’État accordée à la Compañía Española de Tubos por Extrusión SA, située à Llodio (Álava) (JO 1997, L 8, p. 14). Par cette décision, la Commission avait considéré que certains accords de remboursement conclus par la Compañía Española de Tubos por Extrusión (ci-après « Tubacex »), sa filiale Acería de Álava et le Fogasa ainsi que certains accords de rééchelonnement et de fractionnement des cotisations conclus par ces mêmes entreprises et la TGSS contenaient des éléments d’aide octroyés illégalement et incompatibles avec le marché commun en vertu de l’article 87 CE et de la décision n° 3855/91/CECA de la Commission, du 27 novembre 1991, instituant des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie (JO L 362, p. 57), « dans la mesure où le taux d’intérêt appliqué [était] inférieur aux taux pratiqués sur le marché ». Selon la Commission, en effet, l’application du taux d’intérêt légal de 9 % aux accords en cause ne correspondait pas aux conditions normales du marché, dans lesquelles le taux d’intérêt moyen appliqué par les banques privées d’Espagne aux prêts d’une durée supérieure à trois ans était considérablement plus élevé.

21
Le 29 avril 1999, la Cour a rendu son arrêt dans l’affaire C-342/96 (Rec. p. I‑2459, ci-après l’« arrêt Tubacex »). Elle a tout d’abord constaté que le Fogasa ne consentait pas des prêts aux entreprises en faillite ou en difficulté, mais satisfaisait toutes les demandes légitimes présentées par les travailleurs avec l’argent qu’il versait et récupérait ensuite auprès des entreprises. Elle a ajouté que le Fogasa pouvait conclure des accords de remboursement lui permettant d’échelonner ou de fractionner les sommes dues et que, de même, la TGSS pouvait accorder des échelonnements ou des fractionnements du paiement des dettes en cotisations de sécurité sociale. La Cour a ensuite relevé que l’État ne s’était pas comporté comme un investisseur public dont l’intervention devrait être comparée au comportement d’un investisseur privé qui place son capital en vue d’une rentabilisation à plus ou moins court terme de celui-ci, mais comme « un créancier public qui, à l’instar d’un créancier privé, cherche à récupérer des sommes qui lui sont dues et qui conclut, à cet effet, des accords avec le débiteur, en vertu desquels les dettes accumulées seront échelonnées ou fractionnées en vue de faciliter leur remboursement » (point 46). Elle a précisé que les accords en cause avaient été conclus en raison de la circonstance que préexistait l’obligation légale pour Tubacex de procéder au remboursement des salaires avancés par le Fogasa et au paiement des dettes en cotisations de sécurité sociale et qu’ils n’avaient donc pas fait naître de nouvelles dettes de Tubacex à l’égard des pouvoirs publics (point 47). Enfin, la Cour a déclaré que « [les] intérêts normalement applicables à ce type de créances sont ceux qui sont destinés à réparer le préjudice subi par le créancier à raison du retard dans l’exécution par le débiteur de son obligation de se libérer de sa dette, à savoir les intérêts moratoires » et que, « [dans] l’hypothèse où le taux des intérêts moratoires appliqué aux dettes à l’égard d’un créancier public différerait de celui pratiqué pour les dettes à l’endroit d’un créancier privé, il conviendrait de retenir ce dernier taux dans l’occurrence où il serait plus élevé que le premier » (point 48). Au vu de ces éléments, la Cour a annulé la décision 97/21 « en tant qu’elle déclare incompatibles avec l’article [87 CE] les mesures adoptées par le Royaume d’Espagne en faveur de [Tubacex] dans la mesure où le taux d’intérêt de 9 % appliqué aux sommes dues par cette dernière au [Fogasa] et à la TGSS est inférieur aux taux pratiqués sur le marché».

22
Dans l’affaire C-479/98, la Commission a, par lettre du 17 juin 1999, indiqué à la Cour que, au vu de l’arrêt Tubacex, elle avait l’intention de procéder au retrait partiel de la décision du 28 octobre 1998 et de rouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE afin de recueillir au préalable les observations des tiers intéressés. Elle a, dès lors, sollicité, en vertu de l’article 82 bis, paragraphe 1, sous b), du règlement de procédure de la Cour, la suspension de la procédure dans cette affaire dans l’attente dudit retrait partiel. Par décision du 1er juillet 1999, le président de la Cour a fait droit à cette demande.

23
À la suite de l’arrêt Tubacex, la Commission a réexaminé la décision du 28 octobre 1998. Par lettre du 16 février 2000, elle a communiqué au gouvernement espagnol sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE à l’égard des « éléments d’aide […] réputés incompatibles avec le marché commun exposés à l’article 1er de la décision [du 28 octobre 1998] » et l’a invité à présenter ses observations. Les autres États membres et les parties intéressées ont été informés de l’ouverture de cette procédure et ont été invités à faire valoir leurs observations éventuelles par la publication de cette lettre au Journal officiel des Communautés européennes du 15 avril 2000 (JO C 110, p. 33). Le gouvernement espagnol a communiqué ses observations par lettre du 19 avril 2000.

24
Le 20 septembre 2000, la Commission a adopté la décision 2001/43/CE portant modification de la décision du 28 octobre 1998 (JO 2001, L 11, p. 46, ci-après la « décision du 20 septembre 2000 »).

25
Le point V « Appréciation » de la décision du 20 septembre 2000 se lit comme suit:

« (20)
La Commission doit déterminer si les éléments réputés incompatibles avec le marché commun à l’article 1er de la décision [du 28 octobre 1998] constituent des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE]. S’il apparaît qu’une aide d’État a été accordée en l’espèce, la Commission devra alors vérifier si celle-ci est compatible avec le marché commun.

(21)
Les éléments de fait et de droit contenus dans l’arrêt Tubacex sont analogues à ceux que l’Espagne avait invoqués devant la Cour de justice dans l’affaire C-479/98 ainsi qu’à ceux que Sniace a avancés devant le Tribunal de première instance dans l’affaire T-190/99 contre la décision [du 28 octobre 1998]. La Commission estime que l’argumentation développée par la Cour dans cet arrêt s’applique également aux accords passés entre Sniace et le Fogasa et à ceux conclus entre Sniace et la [TGSS], jugés contenir une aide d’État dans la décision [du 28 octobre 1998].

(22)
Premièrement, il convient de souligner que Sniace était déjà soumise à l’obligation réglementaire préexistante de rembourser les salaires payés par avance par le Fogasa et de se libérer de ses dettes en cotisations de la sécurité sociale. Les accords en question n’ont donc pas créé de nouvelle dette de Sniace à l’égard des autorités publiques. Ainsi, dans les accords de remboursement du Fogasa et les accords de rééchelonnement de la [TGSS], l’État ne s’est pas comporté comme un investisseur public dont l’intervention doit être comparée au comportement d’un investisseur privé qui place son capital en vue d’une rentabilisation de celui-ci, mais comme un créancier public qui, à l’instar d’un créancier privé, cherche à récupérer les sommes qui lui sont dues. Par conséquent, aux fins de l’appréciation des aides d’État contestées, la Commission doit comparer les intérêts moratoires appliqués aux dettes à l’égard du créancier public avec ceux qui seraient appliqués aux dettes à l’égard de créanciers privés dans des circonstances similaires.

(23)
Cependant, il convient d’indiquer que les situations particulières des débiteurs et des créanciers sont susceptibles de compliquer la détermination du comportement commun qu’adopteraient des créanciers privés cherchant à recouvrer les sommes qui leur sont dues. Par conséquent, la Commission doit fonder son appréciation sur une analyse du comportement des créanciers privés au cas par cas.

(24)
En l’espèce, à la suite de la demande présentée par Sniace en 1992, les tribunaux espagnols ont déclaré l’entreprise en état de cessation de paiements au mois de mars 1993. Usant de leur droit d’abstention, les créanciers publics n’ont pas souscrit à l’accord d’octobre 1996 conclus entre les créanciers dans le cadre de la procédure de cessation de paiements. Comme la Commission l’a constaté dans la décision d’ouvrir la procédure, en usant de leur droit d’abstention, les créanciers publics ont ainsi protégé l’intégralité de leurs créances.

(25)
Les accords entre le Fogasa et Sniace, d’une part, et entre la sécurité sociale et Sniace, d’autre part, n’ont pas accordé de traitement préférentiel à cette entreprise par rapport au traitement prévu dans l’accord passé entre les créanciers privés.

(26)
Toutefois, les conditions offertes aux créanciers privés n’étaient pas les mêmes que celles consenties aux créanciers publics en raison du statut, des sûretés et du droit d’abstention dont jouissent les institutions publiques. Par conséquent, la Commission considère que cette approche comparative ne constitue pas en l’espèce une application correcte du critère du ‘créancier privé’, tel que défini par la Cour, qui − comme elle l’a ensuite souligné dans son arrêt du 29 juin 1999 dans l’affaire DMT (C-256/97) − suppose que le comportement des créanciers publics en cause devrait être comparé à celui d’un créancier privé hypothétique se trouvant, dans la mesure du possible, dans la même situation.

(27)
La Commission constate que l’article 1108 du code civil espagnol dispose que le taux d’intérêt légal est celui qui s’applique à la réparation du préjudice subi par le créancier lorsque le débiteur est en retard de paiement et qu’aucun autre taux d’intérêt n’a été fixé. De plus, l’article 312 de la loi commerciale espagnole dispose que, en cas de prêt d’argent et lorsqu’il n’existe pas d’accord particulier entre les parties, le débiteur est tenu de rembourser la valeur légale […] de la dette à la date du remboursement. Par conséquent, le taux d’intérêt légal serait le taux le plus élevé qu’un créancier privé pourrait espérer obtenir s’il poursuivait le recouvrement de la dette par des moyens légaux.

(28)
Par conséquent, un créancier privé n’aurait pas pu obtenir du débiteur un taux d’intérêt sur les arriérés supérieur à celui du taux d’intérêt légal à titre de compensation pour ne pas avoir poursuivi le recouvrement de la dette par des moyens légaux.

(29)
Enfin, il convient d’attirer l’attention sur la situation particulière de Sniace à la date de la conclusion des accords de rééchelonnement avec le Fogasa et la [TGSS]. Cette entreprise connaissait d’importantes difficultés financières, qui l’ont acculée à la cessation de paiements et ont sérieusement compromis ses chances de survie. Comme la Commission l’a indiqué dans sa décision [du 28 octobre 1998], en évitant de procéder à un recouvrement forcé pour ne pas risquer de provoquer la mise en liquidation de l’entreprise, la [TGSS] a agi de manière à mettre de son côté toutes les chances de recouvrer la dette.

(30)
Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission admet que, en l’espèce, en rééchelonnant les dettes de Sniace et en leur appliquant le taux d’intérêt légal, l’Espagne a cherché à mettre de son côté toutes les chances de recouvrer l’ensemble des sommes qui lui étaient dues sans avoir à subir de pertes financières. Par conséquent, l’Espagne s’est comportée comme l’aurait fait un créancier privé hypothétique dans la même situation qu’elle vis-à-vis de Sniace. »

26
Au vu de ces considérations, la Commission a conclu, dans la décision du 20 septembre 2000, que « les accords de remboursement conclus entre le Fogasa et Sniace et l’accord de rééchelonnement passé entre la sécurité sociale et Sniace ne [constituaient] pas des aides d’État » (considérant 31) et que, par conséquent, « il y [avait] lieu de modifier sa décision [du 28 octobre 1998] » (considérant 32).

27
Le dispositif de la décision du 20 septembre 2000 prévoit :

« Article premier

La décision [du 28 octobre 1998] est modifiée comme suit :

1)
L’article 1er, paragraphe 1, est remplacé par le paragraphe suivant :

‘Les mesures suivantes mises en œuvre par l’Espagne en faveur de [Sniace] ne constituent pas des aides d’État :

a) l’accord du 8 mars 1996 (modifié par l’accord du 7 mai 1996) passé entre Sniace et la [TGSS] pour le rééchelonnement d’une dette d’un montant total de 2 903 381 848 [ESP] (soit 17 449 676,34 euros) au titre du principal, tel que modifié de nouveau par l’accord du 30 septembre 1997 portant sur le rééchelonnement de dettes d’un montant total de 3 510 387 323 [ESP] (soit 21 097 852,72 euros) au titre du principal et

b) les accords du 5 novembre 1993 et du 31 octobre 1995 passés entre Sniace et le [Fogasa] portant sur deux montants de 1 362 708 700 [ESP] (soit 8 190 044,23 euros) et de 339 459 878  [ESP] (soit 2 040 194,96 euros) respectivement.’

2)      L’article 2 est supprimé.

Article 2

Le Royaume d’Espagne est destinataire de la présente décision. »

28
Il sera fait référence ci-après à la décision du 28 octobre 1998, telle que modifiée par la décision du 20 septembre 2000, par la « décision attaquée ».

29
Par ordonnance du 4 décembre 2000, le président de la Cour a ordonné la radiation de l’affaire C-479/98 du registre de la Cour.


Procédure

30
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 février 1999, la requérante a introduit le présent recours en vue d’obtenir l’annulation partielle de la décision du 28 octobre 1998.

31
Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 21 mai 1999, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal.

32
Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 juillet 1999, le Royaume d’Espagne a demandé à intervenir dans la présente affaire à l’appui des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 11 octobre 2001, le président de la cinquième chambre élargie du Tribunal a fait droit à cette demande.

33
Par ordonnance du 10 décembre 1999 du président de la cinquième chambre élargie du Tribunal, la présente procédure a été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt dans l’affaire C-479/98, conformément à l’article 47, troisième alinéa, du statut CE de la Cour de justice (devenu article 54, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice), à l’article 77, sous a), et à l’article 78 du règlement de procédure du Tribunal.

34
Par lettre du 24 janvier 2001, le greffe du Tribunal a invité les parties principales à présenter leurs observations sur la continuation de la présente procédure au regard de la décision du 20 septembre 2000 et de l’ordonnance de radiation du président de la Cour du 4 décembre 2000, précitée. La requérante a présenté ses observations par lettre enregistrée au greffe du Tribunal le 12 février 2001 et dans laquelle elle a notamment adapté ses conclusions (voir point 41 ci-après). Par lettre enregistrée au greffe le 16 février 2001, la Commission a indiqué, en substance, que l’objet de la présente procédure n’était pas affecté par la décision du 20 septembre 2000.

35
Le 11 avril 2001, la requérante a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité.

36
Par ordonnance du 8 octobre 2001, le Tribunal (cinquième chambre élargie) a joint au fond l’exception d’irrecevabilité.

37
Le Royaume d’Espagne a déposé son mémoire en intervention le 14 février 2002, au sujet duquel les parties principales ont présenté leurs observations.

38
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a invité la Commission à produire certains documents et le Royaume d’Espagne à répondre à des questions écrites et à produire un document. La Commission et le Royaume d’Espagne ont déféré à ces demandes dans le délai imparti. Le Tribunal a également invité la requérante à répondre oralement à une question lors de l’audience.

39
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l’audience du 23 octobre 2003.


Conclusions des parties

40
Dans sa requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler l’article 1er de la décision du 28 octobre 1998 dans la mesure où la Commission y déclare que :

« 1. le non-recouvrement des créances, majorations de retard et intérêts en faveur de la [TGSS], ainsi que les accords de rééchelonnement de la dette conclus entre Sniace et la [TGSS] le 8 mars 1996, le 7 mai 1996 et le 30 septembre 1997, et

2. le non-recouvrement des créances et des intérêts moratoires en faveur du […] Fogasa, ainsi que les accords conclus entre Sniace et le […] Fogasa le 5 novembre 1993 et le 31 octobre 1995,

à l’exception des taux d’intérêts divergents des taux du marché, ne constituent pas des aides d’État au sens de l’article [87, paragraphe 1, CE] » ;

condamner la Commission aux dépens.

41
Dans sa lettre du 12 février 2001 (voir point 34 ci-dessus), la requérante adapte le premier chef de ses conclusions comme suit :

« annuler l’article 1er de la [décision attaquée], dans la mesure où la Commission y déclare que :

le non-recouvrement des créances, majorations de retard et intérêts dus à la [TGSS], ainsi que les accords de rééchelonnement de la dette conclus entre Sniace et cet organisme le 8 mars 1996, le 7 mai 1996 et le 30 septembre 1997, et

le non-recouvrement des créances et des intérêts moratoires dus au Fogasa, ainsi que les accords conclus entre Sniace et le Fogasa le 5 novembre 1993 et le 31 octobre 1995

ne constituent pas des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE ».

42
Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal déclarer le recours recevable.

43
La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme irrecevable ;

en tout état de cause, rejeter le recours comme non fondé ;

condamner la requérante aux dépens.

44
Le Royaume d’Espagne, partie intervenante, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme irrecevable ;

à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

condamner la requérante aux dépens.


Sur la recevabilité

45
La Commission et le Royaume d’Espagne excipent de l’irrecevabilité du recours au motif que la requérante, d’une part, ne justifie pas d’un intérêt à agir et, d’autre part, n’est pas individuellement concernée par la décision attaquée.

Sur l’absence d’intérêt à agir

Arguments des parties

46
La Commission indique que, dans la décision du 20 septembre 2000, elle constate que ni les accords de rééchelonnement et de remboursement en tant que tels ni les taux d’intérêt qu’ils prévoient ne constituent des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Elle fait valoir que cette décision est devenue définitive dès lors que la requérante n’a pas introduit de recours en annulation contre elle et que ce sont donc les conclusions, telles que formulées dans la requête, qui circonscrivent l’objet du litige. Ces conclusions ne viseraient que l’article 1er de la décision du 28 octobre 1998, et ce uniquement dans la mesure où le défaut de recouvrement, par la TGSS et par le Fogasa, de « leurs créances, pénalités de retard et intérêts » auprès de Sniace n’est pas considéré comme une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

47
La Commission soutient que la requérante n’a pas d’intérêt à agir. Elle avance que si le Tribunal devait faire droit aux conclusions en annulation de la requête, cela « n’affecterait pas le caractère définitif de la décision [du 20 septembre 2000] et ne changerait rien à la version de la décision [du 28 octobre 1998] ainsi modifiée ». En effet, « on en resterait, même après l’annulation de l’article 1er de la décision [du 28 octobre 1998] dans les conditions demandées par la requérante, à la version définitive de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision [du 28 octobre 1998] tel que modifié par la décision [du 20 septembre 2000], qui a expressément établi que les mesures litigieuses ne constituent pas des aides d’État ».

48
Dans sa duplique, la Commission avance que la décision du 20 septembre 2000 « n’est pas une simple ‘rectification’ de la décision [du 28 octobre 1998], pas plus qu’elle ne la remplace, mais constitue au contraire une nouvelle appréciation à part entière, y compris des aides qui avaient déjà été jugées compatibles avec le marché commun dans la décision [du 28 octobre 1998] ». Elle précise que la procédure ouverte au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE à la suite de l’arrêt Tubacex (voir point 23 ci-dessus) ne couvrait pas la seule question des taux d’intérêt mais visait « toutes les mesures ayant abouti à l’adoption de la décision [du 28 octobre 1998], mais en tenant désormais compte de [cet arrêt] ». De même, dans la décision du 20 septembre 2000, elle aurait « explicitement et globalement examiné et évalué ces mesures du point de vue du droit des aides, notamment les accords conclus entre le Fogasa ou la [TGSS] et Sniace ». La requérante aurait, dès lors, « également » dû introduire un recours en annulation contre la décision du 20 septembre 2000.

49
Le Royaume d’Espagne avance que l’article 1er, paragraphe 1, de la décision du 28 octobre 1998 a été « vidé de son contenu par la modification introduite par la décision [du 20 septembre 2000] » et que le présent recours est donc devenu sans objet.

50
La requérante fait remarquer que les conclusions en annulation contenues dans sa requête ne visent la décision du 28 octobre 1998 que dans la mesure où la Commission y a déclaré que « le non-recouvrement des créances, majorations de retard et intérêts dus à [la TGSS], ainsi que les accords de rééchelonnement de la dette passés entre Sniace et cet organisme, et le non-recouvrement des créances et des intérêts moratoires dus au […] Fogasa, ainsi que les accords conclus entre Sniace et le Fogasa, ne constituent pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE ». Ces conclusions ne viseraient pas la déclaration figurant à l’article 1er de cette décision, selon laquelle « la différence entre les taux d’intérêt convenus dans les accords, d’une part, et le taux plus élevé pratiqué sur le marché, d’autre part, constitue une aide d’État ».

51
La requérante explique que la décision du 20 septembre 2000 a modifié partiellement la décision du 28 octobre 1998 en ce sens que la Commission y considère que la différence susvisée entre les taux d’intérêt ne constitue pas non plus une aide d’État. La décision du 20 septembre 2000 ne modifierait pas les autres aspects de la décision du 28 octobre 1998 et, plus particulièrement, pas celui critiqué dans la requête. L’objet du litige, tel que formulé dans celle-ci, resterait donc inchangé.

52
La requérante ajoute que, même s’il fallait considérer que la décision du 20 septembre 2000 a abrogé et a remplacé celle du 28 octobre 1998, elle serait en droit d’adapter, comme elle l’a fait dans sa lettre du 12 février 2001 (voir points 34 et 41 ci-dessus), ses conclusions. Elle invoque, à cet égard, l’arrêt de la Cour du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission (14/81, Rec. p. 749).

53
Pour ces différents motifs, la requérante soutient qu’elle justifie d’un intérêt à agir.

Appréciation du Tribunal

54
Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu’une modification, en cours d’instance, de la décision attaquée constitue un élément nouveau qui permet à la partie requérante d’adapter ses moyens et conclusions (arrêt Alpha Steel/Commission, précité, point 8 ; arrêts du Tribunal du 3 février 2000, CCRE/Commission, T‑46/98 et T-151/98, Rec. p. II-167, points 33 à 36, et du 28 février 2002, Kvaerner Warnow Werft/Commission, T-227/99 et T-134/00, Rec. p. II-1205, point 22).

55
Dans la décision du 28 octobre 1998, la Commission a notamment considéré que l’accord du 8 mars 1996, tel que modifié par les accords des 7 mai 1996 et 30 septembre 1997, conclu entre Sniace et la TGSS et les accords des 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995 passés entre Sniace et le Fogasa ne constituaient pas des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE sauf « dans la mesure où le taux d’intérêt était inférieur au taux du marché ». Dans sa requête, la requérante poursuit l’annulation de cet aspect de la décision du 28 octobre 1998 en faisant valoir notamment que « l’aide d’État comprend […] l’ensemble des cotisations sociales encore dues, additionnées des majorations de retard et des intérêts au taux du marché [ainsi que] toutes les sommes dues au Fogasa, additionnées des intérêts au taux du marché ». S’agissant de la TGSS, la requérante soutient, plus particulièrement, que constitue une aide d’État le fait que cet organisme tolère, depuis 1991 au moins, que Sniace ne s’acquitte pas de ses dettes en cotisations de sécurité sociale, que, en 1996 et en 1997, il n’ait pas procédé au recouvrement de ses créances malgré le fait que Sniace n’avait pas respecté les accords des 8 mars et 7 mai 1996 mais qu’il ait, au contraire, conclu un troisième accord de rééchelonnement, qu’il n’ait pas exigé la fourniture de sûretés réelles et qu’il ait renoncé à exiger le paiement de majorations de retard et d’intérêts au taux du marché. S’agissant du Fogasa, la requérante avance, en substance, que doit être qualifié d’aide d’État le fait que cet organisme n’ait pas procédé au recouvrement de ses créances envers Sniace, alors que cette société n’avait pas respecté les accords des 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995, et qu’il n’ait pas prévu le paiement de majorations de retard et d’intérêts moratoires dans ces accords.

56
Par la décision du 20 septembre 2000, la Commission a modifié la décision du 28 octobre 1998, sans abroger et remplacer celle-ci. Le seul changement intervenu est que, appliquant le critère du créancier privé plutôt que celui de l’investisseur privé, elle a considéré que les taux d’intérêt pratiqués par la TGSS et le Fogasa dans le cadre des accords de rééchelonnement et de remboursement conclus avec Sniace ne constituaient pas non plus une aide d’État. L’aspect de la décision du 28 octobre 1998 visé par les conclusions en annulation de la requête n’a donc été qu’accessoirement affecté par la décision du 20 septembre 2000. Cette dernière décision doit être considérée comme un élément nouveau permettant à la requérante d’adapter ses moyens et conclusions, ainsi qu’elle l’a fait dans sa lettre du 12 février 2001. Il serait, en effet, contraire à une bonne administration de la justice et à une exigence d’économie de procédure d’obliger la requérante à introduire un nouveau recours en annulation devant le Tribunal, dirigé contre la décision du 20 septembre 2000.

57
Il s’ensuit que la requérante a un intérêt à voir annuler la décision attaquée.

Sur la question de savoir si la requérante est individuellement concernée

Arguments des parties

58
La Commission rappelle que, selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise de manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait (arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197).

59
Elle expose que, dans le domaine du contrôle des aides d’État, une décision de la Commission clôturant une procédure ouverte au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE concerne individuellement les entreprises qui ont été à l’origine de la plainte ayant donné lieu à cette procédure et qui ont été entendues en leurs observations, lesquelles ont déterminé le déroulement de la procédure, si, toutefois, leur position sur le marché est substantiellement affectée par la mesure d’aide qui fait l’objet de ladite décision (arrêts de la Cour du 28 janvier 1986, COFAZ e.a./Commission, 169/84, Rec. p. 391, points 24 et 25, et du 23 mai 2000, Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, C-106/98 P, Rec. p. I-3659, point 40 ; arrêts du Tribunal du 27 avril 1995, ASPEC e.a./Commission, T-435/93, Rec. p. II-1281, point 63, et du 15 septembre 1998, BP Chemicals/Commission, T-11/95, Rec. p. II-3235, point 72). Elle souligne que, dans l’arrêt Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, précité, la Cour a déclaré qu’« [u]ne entreprise ne saurait donc se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire, mais doit établir en outre, compte tenu de son degré de participation éventuelle à la procédure et de l’importance de l’atteinte à sa position sur le marché, qu’elle est dans une situation de fait qui l’individualise d’une manière analogue à celle du destinataire » (point 41).

60
Or, en l’espèce, dans sa requête, la requérante ne démontrerait pas de manière suffisamment détaillée que sa position sur le marché a été substantiellement affectée par les prétendues aides accordées à Sniace ni ne ferait valoir des circonstances de fait qui l’individualiseraient de la même manière que le destinataire. Elle se contenterait de faire valoir des arguments d’ordre général et ne donnerait aucune indication sur les effets des prétendues aides sur sa situation particulière.

61
En tout état de cause, il ne semble pas, selon la Commission, que ces prétendues aides aient affecté substantiellement la position de la requérante.

62
À cet égard, la Commission relève, en premier lieu, que la requérante est « de loin » le plus important producteur de fibres de viscose et que, depuis 1991, elle a amélioré considérablement ses résultats sur ce marché. Au soutien de ses affirmations, elle fait valoir les éléments suivants :

le groupe auquel appartient la requérante produit annuellement environ 275 000 tonnes de fibres de cellulose et est l’un des trois chefs de file mondiaux sur le marché des fibres de viscose ;

la requérante et les sociétés Säteri et Courtaulds plc représentent ensemble environ 90 % de la production communautaire de fibres de viscose ;

entre 1991 et 1997, la part de marché de la requérante sur le marché mondial des fibres de viscose artificielles et synthétiques à filer a constamment augmenté, passant de 9,2 à 16,4 % ;

entre 1991 et 1997, la production de la requérante a régulièrement augmenté, passant de 152 700 tonnes par an à 270 800 tonnes par an ;

s’agissant de la requérante, « [l’]année 1995 s’est […] caractérisée par une très forte demande, 1996 par la pleine utilisation des capacités de production, 1997 par une production record et, enfin, 1998 par des résultats records » ;

la requérante a annoncé de bons résultats pour le premier trimestre de l’année 1999 ;

pour le troisième trimestre de l’année 1997, elle a annoncé une hausse de ses prix de vente, « son indépendance croissante vis-à-vis de la pression des prix sur le marché mondial » et la nécessité d’importer pour satisfaire la demande ;

le chiffre d’affaires consolidé de la requérante a progressé à concurrence de 7,2 % entre le premier semestre de 2000 et la période correspondante de 2001.

63
Dans son mémoire en défense, la Commission ajoute qu’il ressort des données communiquées par la requérante que celle-ci a réussi à augmenter ses parts de marché dans la Communauté entre 1995 et 2000 alors que, durant la même période, celles de ses concurrents (à l’exception de Säteri) n’ont cessé de diminuer.

64
En deuxième lieu, la Commission avance que les problèmes qui existent sur le marché et qui ont provoqué un recul de la demande, des surcapacités temporaires de production et une baisse des prix ne sont pas la conséquence des prétendues aides octroyées à Sniace, mais de facteurs externes tels que les importations en provenance d’Asie, la faiblesse des débouchés potentiels sur les marchés d’exportation en Asie, les entraves commerciales à l’exportation vers les pays tiers auxquelles sont confrontés les producteurs européens et la diminution des achats d’articles à base de viscose en Europe.

65
En troisième lieu, la Commission indique que Sniace ne produit annuellement que 25 000 tonnes de fibres de viscose et qu’elle figure parmi les petits producteurs européens et mondiaux. Elle précise que cette société a dû faire face à de nombreuses difficultés économiques ainsi qu’à des conflits sociaux, ce qui l’a obligée à interrompre sa production pendant une grande partie des années 90. Elle rappelle que Sniace était en état de cessation des paiements de mars 1993 à octobre 1996.

66
Le Royaume d’Espagne ajoute que la requérante ne fait valoir aucune circonstance spécifique l’individualisant de manière analogue à celle dont le destinataire de la décision attaquée le serait. Il souligne que le simple fait que la requérante soit une entreprise concurrente du bénéficiaire des prétendues aides ne suffit pas pour l’individualiser.

67
La requérante soutient être individuellement concernée par la décision attaquée.

68
En premier lieu, elle rappelle qu’elle a été à l’origine de la plainte ayant donné lieu à l’ouverture de la procédure visée à l’article 88, paragraphe 2, CE et qu’elle a participé activement à cette procédure.

69
En deuxième lieu, la requérante affirme que les prétendues aides ont sensiblement porté préjudice à sa position sur le marché des fibres de viscose. Elle avance qu’il existe une vive concurrence entre elle-même et Sniace sur ce marché, lequel est en constant déclin depuis des années et souffre de fortes surcapacités de production. La concurrence sur les prix y serait acharnée et Sniace serait en mesure, grâce aux prétendues aides, de vendre ses produits 20 % moins cher que ses concurrents dans l’Union européenne. La requérante estime que les indications qu’elle a données dans sa requête et dans les annexes à celle-ci, ainsi que les renvois qu’elle a effectués aux observations de ses concurrents reproduites dans la décision du 28 octobre 1998, démontrent suffisamment qu’elle est individuellement concernée par la décision attaquée. Elle prétend que les éléments qu’elle invoque dans ses écritures démontrent que « tous les concurrents de Sniace sont exposés à une concurrence importante au niveau des prix et sont tenus, bien que leur structure de coûts soit meilleure, de prendre d’autres mesures de rationalisation, parce que Sniace est artificiellement maintenue en vie » et que « [c]ette situation d’ensemble pour le moins défavorable concerne également la requérante qui a optimisé ses équipements et sa structure de coûts et obtient de bons résultats grâce à une politique commerciale conçue sur des bases neuves et en dépit d’un environnement économique difficile ». Elle admet que les difficultés que connaît le marché des fibres de viscose ont une influence sur les prix de ce produit mais précise que, « à l’intérieur du cadre créé par les données extérieures du marché », les prétendues aides ont elles-mêmes contraint les concurrents de Sniace à baisser leurs prix et à prendre des mesures de rationalisation.

70
La requérante considère que la Commission ne saurait lui dénier la qualité pour agir au motif qu’elle dispose d’une position importante sur le marché ou qu’elle a augmenté le niveau de ses ventes durant la période concernée. Dans les arrêts cités par la Commission, le juge communautaire n’aurait nullement tenu compte de tels facteurs pour considérer que les requérantes n’étaient pas individuellement concernées par les décisions attaquées. Dans son arrêt du 5 novembre 1997, Ducros/Commission (T-149/95, Rec. p. II-2031), le Tribunal aurait considéré que la situation sur le marché de l’entreprise concernée était affectée par une décision de la Commission autorisant l’octroi d’une aide dès lors qu’il existait un rapport de concurrence entre cette entreprise et le bénéficiaire de l’aide. La requérante ajoute que les résultats positifs qu’elle a obtenus auraient encore été meilleurs si Sniace n’avait pas été en mesure de mener la « politique de prix agressive […] qui a été rendue possible par les aides ». Enfin, elle fait valoir que les prétendues aides ont permis à cette société de se maintenir artificiellement sur le marché alors que sa disparition aurait entraîné, pour ses concurrents, une diminution des capacités excédentaires et une amélioration de la situation commerciale.

71
La requérante avance que « la détermination du cercle des entreprises ayant qualité pour agir doit être fonction de la finalité des dispositions relatives aux aides ». Elle estime, en conséquence, que les critères qui sont retenus par la Commission et par le juge communautaire pour établir l’existence éventuelle d’une « atteinte substantielle ou une distorsion de concurrence » au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE peuvent également être appliqués lorsqu’il s’agit de déterminer si une entreprise a qualité pour agir. Elle fait remarquer que, de l’avis de la Commission, la concurrence est toujours affectée au sens de cette disposition lorsque des aides sont, comme en l’espèce, octroyées dans un « secteur particulièrement problématique » et les aides aux entreprises en difficulté ont tendance, par leur nature même, à fausser la concurrence. Elle invoque également la jurisprudence selon laquelle « l’importance relativement faible d’une aide ou la taille relativement modeste de l’entreprise bénéficiaire n’excluent pas a priori l’éventualité que les échanges entre États membres soient affectés » (arrêts ASPEC e.a./Commission, précité, point 64, et BP Chemicals/Commission, précité, point 72). Enfin, la requérante expose que les prétendues aides octroyées à Sniace étaient des aides au fonctionnement et que celles-ci entraînent pratiquement toujours une distorsion substantielle de la concurrence.

72
En troisième lieu, la requérante avance que les affirmations de la Commission relatives à la position de Sniace sur le marché des fibres de viscose sont en contradiction directe avec certaines constatations figurant dans la décision du 28 octobre 1998. Elle indique notamment que la part de marché de Sniace dans la Communauté se situe entre 10,3 et 13 % et que, en Espagne, cette société a disposé d’une part de marché de 35,5 % en 2000. Elle ajoute que la page d’accueil du site internet de Sniace mentionne que celle-ci est l’un des plus importants producteurs de fibres de viscose en Europe.

Appréciation du Tribunal

73
Selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les « atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait » (arrêts Plaumann/Commission, précité, Rec. p. 197, 223, et Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, précité, point 39).

74
S’agissant, plus particulièrement, du domaine des aides d’État, ont été reconnues comme individuellement concernées par une décision de la Commission clôturant la procédure ouverte au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, à l’égard d’une aide individuelle, outre l’entreprise bénéficiaire, les entreprises concurrentes de cette dernière ayant joué un rôle actif dans le cadre de cette procédure, pour autant que leur position sur le marché soit substantiellement affectée par la mesure d’aide faisant l’objet de la décision attaquée (arrêt COFAZ e.a./Commission, précité, point 25).

75
Une entreprise ne saurait donc se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire, mais doit établir en outre, compte tenu de son degré de participation éventuelle à la procédure et de l’importance de l’atteinte à sa position sur le marché, qu’elle est dans une situation de fait qui l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait (arrêt Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, précité, point 41).

76
En l’espèce, il est constant que la requérante et Sniace sont présentes sur le marché des fibres de viscose. À plusieurs endroits de la décision du 28 octobre 1998, la Commission qualifie d’ailleurs expressément la requérante de concurrent de Sniace. Il convient donc d’examiner dans quelle mesure la participation de la requérante à la procédure et l’affectation de sa position sur le marché sont de nature à l’individualiser, conformément à l’article 230 CE.

77
En premier lieu, s’agissant de la participation à la procédure, il y a lieu de constater que c’est la plainte détaillée, en date du 4 juillet 1996, introduite par la requérante, et complétée par ses lettres des 26 novembre et 9 décembre 1996, qui est à l’origine de l’ouverture de la procédure. Certes, dans un premier temps, la Commission avait considéré qu’il n’était pas suffisamment prouvé que Sniace avait bénéficié d’aides d’État et, en conséquence, avait fait part de son intention de classer la plainte. Toutefois, c’est précisément au vu d’informations supplémentaires et circonstanciées fournies par la requérante par lettres des 17 avril et 18 juin 1997 et lors de la réunion du 17 mai 1997 que la Commission a décidé de revenir sur sa position et d’ouvrir la procédure au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE.

78
Il convient de constater également que cette décision d’ouverture de la procédure se fonde principalement sur les arguments et éléments de preuve avancés par la requérante. Cette dernière a, en outre, soumis des observations détaillées, par lettre du 27 mars 1998, à la suite de la publication de ladite décision.

79
Il est donc établi que la requérante a été à l’origine de la plainte qui a donné lieu à l’ouverture de la procédure et qu’elle a participé activement à celle-ci.

80
En second lieu, s’agissant de l’importance de l’atteinte à la position de la requérante sur le marché, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, ainsi qu’il ressort du point 28 de l’arrêt COFAZ e.a./Commission, précité, il n’appartient pas au juge communautaire, au stade de l’examen de la recevabilité, de se prononcer de façon définitive sur les rapports de concurrence entre la requérante et les entreprises bénéficiaires des aides. Dans ce contexte, il incombe seulement à la requérante d’indiquer de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision de la Commission est susceptible de léser ses intérêts légitimes en affectant substantiellement sa position sur le marché en cause.

81
Il y a lieu de constater, en l’espèce, que, dans sa requête, la requérante a mis l’accent sur le fait que les prétendues aides avaient porté atteinte à sa position concurrentielle sur le marché des fibres de viscose en ce qu’elles avaient permis à Sniace de se maintenir artificiellement en activité alors que ce marché se caractérisait par un nombre très limité de producteurs, une vive concurrence et de fortes surcapacités.

82
Pour démontrer l’existence de telles surcapacités, la requérante a expressément renvoyé à certaines pages des observations qu’elle avait présentées le 27 mars 1998 à la suite de l’ouverture de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE et qui sont annexées à sa requête. Ces pages contiennent des données relatives à la consommation, à la production et aux capacités de production de fibres de viscose dans la Communauté pour les années 1992 à 1997, données émanant du Comité international de la rayonne et des fibres synthétiques (CIRFS).

83
En outre, lors de l’audience, la requérante a renvoyé à certaines informations contenues dans sa plainte du 4 juillet 1996, également annexée à sa requête. Dans cette plainte, elle a donné des indications sur le marché des fibres de viscose, a identifié les producteurs de viscose alors présents sur le marché, en donnant une estimation de leurs capacités de production respectives, et a apporté des précisions sur les quantités de fibres de viscose vendues par Sniace durant les années 1991 à 1995, en distinguant notamment les quantités vendues en Espagne de celles exportées vers l’Italie.

84
La Commission n’a présenté aucun élément de nature à mettre en doute l’exactitude des informations fournies par la requérante. Au contraire, elle reconnaît, tant dans son exception d’irrecevabilité que dans la décision du 28 octobre 1998, que le marché des fibres de viscose souffrait de surcapacités. Ainsi, au considérant 74 de cette décision, elle relève expressément que « Sniace opère dans un secteur en déclin, ce qui a amené certains de ses concurrents à réduire leurs capacités », que « [l]a production de ces fibres dans l’EEE a été ramenée de 760 000 tonnes en 1992 à 684 000 tonnes en 1997 (soit une réduction de 10 %) et la consommation durant la même période a diminué de 11 % » et que « le taux moyen d’utilisation des capacités au cours de cette période était d’environ 84 %, ce qui est peu pour un secteur à si forte intensité de capital ».

85
De plus, il doit être souligné que la Commission a reconnu, tant dans la décision du 28 octobre 1998 (considérant 80) que dans celle du 20 septembre 2000 (considérant 29), que les importantes difficultés financières que connaissait Sniace avaient sérieusement compromis ses chances de survie et que si la TGSS avait procédé au recouvrement forcé de ses créances, cela aurait pu entraîner la fermeture de cette société. Or, au vu du nombre très réduit de producteurs sur le marché et des surcapacités de production qui existaient sur celui-ci, la disparition de Sniace aurait été susceptible d’avoir des effets sensibles sur la position concurrentielle des producteurs restants en entraînant une diminution de leurs capacités excédentaires et une amélioration de leur situation commerciale. Si, certes, Sniace ne figurait pas parmi les producteurs de fibres de viscose les plus importants de la Communauté, la position qu’elle occupait sur le marché était loin d’être négligeable. Ainsi, il doit notamment être observé que la Commission a relevé, au considérant 9 de la décision du 28 octobre 1998, que la capacité de production de fibres de viscose de Sniace « [avoisinait] les 32 000 tonnes (9 % environ de la capacité totale au niveau de la Communauté ».

86
Il convient de constater que ces éléments sont de nature à établir que la position de la requérante sur le marché est substantiellement affectée par la décision attaquée.

87
Par ailleurs, la requérante a mis l’accent sur le fait que les prétendues aides avaient permis à Sniace de vendre ses produits, dans la Communauté, à des prix inférieurs de 20 % environ par rapport aux prix moyens de ses concurrents. Au soutien de cette affirmation, la requérante s’est référée aux déclarations des sociétés Courtauld plc et Säteri, mentionnées aux considérants 15 et 17 de la décision du 28 octobre 1998. Dans sa réplique, elle a complété cette affirmation par un renvoi exprès à sa lettre du 18 juin 1997, annexée à sa requête, dans laquelle elle avait fourni à la Commission des informations supplémentaires sur le marché européen des fibres de viscose. Dans cette lettre, figurent des tableaux indiquant notamment, pour les années 1989 à 1996, les quantités de fibres de viscose et de modal livrées par Sniace et la requérante en Espagne ainsi que par Sniace et les producteurs autrichiens en France et en Italie. Ladite lettre contient également des indications sur les prix à l’importation pratiqués en France et en Italie, de 1989 à 1996, par Sniace et d’autres producteurs. En outre, la requérante a annexé à sa réplique des tableaux dans lesquels figurent les mêmes indications pour les années 1997 jusqu’au milieu de 2001. Il ressort de ces différentes indications que, dans la plupart des cas et à l’exception des producteurs des pays d’Europe de l’Est, les prix de Sniace étaient inférieurs à ceux des autres producteurs européens.

88
La Commission ne conteste pas que Sniace a vendu ses produits à des prix inférieurs à ceux de ses concurrents européens. Elle avance seulement que la baisse générale des prix de plus de 30 % observée sur le marché entre 1990 et 1996 n’est pas une conséquence de l’octroi des prétendues aides à Sniace mais de facteurs externes, dont les importations en provenance d’Asie. Il y a lieu de relever, en outre, qu’il est indiqué, dans l’article de la publication spécialisée  European Chemical News  annexé par la Commission à son exception d’irrecevabilité, que « [l]es observateurs du marché affirment que Sniace continue à exercer une influence négative sur les prix qui dépasse sa faible capacité en termes de position sur le marché ».

89
Ainsi, il ne saurait être exclu que les prétendues aides, dont certaines sont qualifiées d’« avantage appréciable » par la Commission elle-même (considérant 80 de la décision du 28 octobre 1998), ont permis à Sniace de vendre ses produits à des prix inférieurs à ceux de ses concurrents, dont la requérante.

90
Enfin, l’argument que la Commission tire du fait que, au cours des années en cause, la requérante a eu de bons résultats et a augmenté sa production est dénué de toute pertinence. L’affectation substantielle de la position sur le marché de l’intéressé ne doit, en effet, pas nécessairement se traduire par une baisse de sa rentabilité, une diminution de sa part de marché ou l’enregistrement de pertes d’exploitation. La question qui se pose dans ce contexte est celle de savoir si l’intéressé se trouverait dans une situation plus favorable en l’absence de la décision dont il poursuit l’annulation. Ainsi que le souligne à juste titre la requérante, cela peut valablement couvrir l’hypothèse du manque à gagner subi par ce dernier du fait de l’octroi d’un avantage par des autorités publiques à un de ses concurrents.

91
Il résulte des considérations qui précèdent que la requérante a indiqué de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision attaquée était susceptible de léser ses intérêts légitimes en affectant substantiellement sa position sur le marché. Il doit donc être conclu qu’elle est individuellement concernée par la décision attaquée.

92
Il s’ensuit que le recours doit être déclaré recevable.


Sur le fond

93
La requérante invoque deux moyens à l’appui de son recours. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et le second d’une violation de l’obligation de motivation.

Arguments des parties

94
Dans le cadre du premier moyen, la requérante soutient, à titre liminaire, que, dans l’arrêt Tubacex, la Cour ne s’est prononcée que sur la question de savoir si certaines modalités des accords de rééchelonnement et de remboursement des dettes conclus avec la TGSS et le Fogasa, et plus particulièrement les taux d’intérêts prévus, contenaient des éléments d’aides d’État. La Cour n’aurait nullement statué sur les accords en tant que tels ni n’aurait examiné les questions juridiques soulevées dans le cadre de la présente affaire. Renvoyant au libellé du point 46 de l’arrêt Tubacex, la requérante avance que, s’il est vrai que la Cour a fondé son appréciation sur la prémisse de la Commission selon laquelle le non-recouvrement, par les deux organismes susvisés, de leurs créances ne revêtait pas le caractère d’une aide d’État, elle n’a toutefois pas repris cette prémisse à son compte. Selon la requérante, la Cour ne pouvait, en effet, remettre en cause celle-ci, puisqu’elle n’avait pas été contestée par le Royaume d’Espagne et qu’elle ne lésait pas ce dernier.

95
La requérante en conclut qu’il ne saurait être déduit de l’arrêt Tubacex que la Cour considère, par principe, que les accords de remboursement et de rééchelonnement de dettes conclus entre la TGSS et le Fogasa, d’une part, et des entreprises en difficulté, d’autre part, ne constituent pas en soi des aides d’État. Cette question devrait être examinée dans chaque cas individuel au regard des circonstances de l’espèce et sur la base du critère du créancier privé.

96
Ensuite, la requérante avance que la TGSS et le Fogasa disposent d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou non des sursis de paiement et, le cas échéant, pour en déterminer les modalités. La condition de spécificité constituant l’une des caractéristiques de la notion d’aide d’État serait donc remplie dans le cas présent.

97
Par ailleurs, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas fait une application correcte du critère du créancier privé en l’espèce.

98
En premier lieu, elle affirme que la Commission fonde son argumentation sur la prémisse erronée selon laquelle « le recouvrement d’une créance à l’échéance nécessite une justification particulière ». Elle explique, à cet égard, que, en présence d’un débiteur solvable, un créancier privé procède au recouvrement de ses créances dès qu’elles deviennent exigibles. De même, en règle générale, lorsqu’un débiteur connaît des difficultés économiques, un créancier privé ne serait pas disposé à lui accorder des reports de paiement, mais ferait valoir directement ses droits, le cas échéant en réalisant les sûretés qu’il détient. Un créancier privé ne s’abstiendrait de procéder au recouvrement de ses créances exigibles que lorsque cela constitue la solution la plus judicieuse d’un point de vue économique, par exemple si cela lui permet, comparativement aux autres options disponibles, de recouvrer la plus grande partie de ses créances ou d’éviter des pertes encore plus importantes.

99
En second lieu, la requérante avance que, en l’espèce, le comportement de la TGSS et du Fogasa n’était pas conforme à celui qui pouvait être attendu d’un créancier privé hypothétique se trouvant dans la même situation qu’eux.

100
Au soutien de cette affirmation, premièrement, elle fait valoir que la procédure de cessation des paiements n’empêchait pas ces organismes de recouvrer leurs créances. Elle explique que « la protection juridictionnelle d’un débiteur dans le cadre de [cette procédure] se limite aux créances nées avant l’ouverture de [ladite] procédure ». Les créances de la TGSS et du Fogasa nées après l’ouverture de la procédure de cessation des paiements auraient donc pu être recouvrées à tout moment. S’agissant des créances nées en 1991 et en 1992, elles auraient pu être recouvrées à cette époque-là. En tout état de cause, elles auraient pu faire l’objet d’une exécution forcée dès le mois d’octobre 1996.

101
Deuxièmement, la requérante fait valoir qu’un créancier privé qui, comme la TGSS et le Fogasa, dispose de privilèges et de sûretés n’aurait pas octroyé de facilités de paiement à un débiteur connaissant des difficultés financières, mais aurait procédé à l’exécution forcée de ses créances. Elle conteste le bien-fondé de l’argument que la Commission tire du fait que, en l’espèce, aucun créancier privé de Sniace n’a procédé à une telle exécution forcée, en ce compris la banque espagnole Banesto, dont la créance était pourtant garantie par une hypothèque. Elle soutient que la position de tous ces créanciers, à l’exception de Banesto, était moins bonne que celle de la TGSS et du Fogasa. Elle ajoute que, ni dans la décision attaquée ni dans ses écritures, la Commission ne donne d’indications permettant de déterminer si ces créanciers se trouvaient dans une situation comparable à celle de ces organismes. En particulier, aucune précision ne serait fournie sur « les perspectives de recouvrement des créances auxquelles les créanciers privés ont renoncé », sur l’importance de leurs créances et sur les sûretés dont ils disposaient. Selon la requérante, des conclusions ne pourraient être tirées du comportement concret de Banesto que « si plusieurs ou même la majorité des créanciers privés placés dans une situation comparable à celle du Fogasa s’étaient comportés comme Banesto ». Enfin, elle indique qu’il ne saurait être exclu que certains des créanciers privés de Sniace étaient également actionnaires de celle-ci.

102
La requérante fait également valoir qu’il ne saurait être prétendu que la conclusion des accords de rééchelonnement et de remboursement concernés avait pour but de préserver les créances de la TGSS et du Fogasa. Selon elle, un créancier privé « aurait aussitôt tenté de se satisfaire sur le patrimoine du débiteur, afin de recouvrer au moins une partie de ses créances ». Elle répète que, pour un tel créancier, « le report du paiement et son échelonnement ne se justifient que si cela lui assure, en comparaison avec d’autres solutions, la garantie de recouvrer la plus grande partie possible de ses créances » et qu’il « n’accorderait un sursis que s’il pouvait compter sur une amélioration de la situation économique de son débiteur ». Or, une telle amélioration n’aurait pas été envisageable en l’espèce, et ce pour les motifs suivants :

le chiffre d’affaires de Sniace avait fortement diminué en 1995 et 1996 ;

aucune mesure de restructuration capable d’assurer la rentabilité et la viabilité de l’entreprise n’avait été prévue et le plan de viabilité élaboré en août 1996 n’avait pas été considéré comme constituant un plan de restructuration officiel par le gouvernement espagnol ;

en 1996, le marché des fibres de viscose souffrait de surcapacités considérables ;

un nouveau recul de la demande en fibres de viscose dans la Communauté était prévu pour les années suivantes.

103
Par ailleurs, la requérante conteste la pertinence de l’argument de la Commission tiré de ce que les créances de la TGSS et du Fogasa sont privilégiées. Elle fait valoir que si Sniace était tombée en faillite, les créances de ces deux organismes n’auraient pas été « recouvrables de manière illimitée », les créances garanties par des sûretés réelles immobilière ayant priorité. Elle indique notamment que le Fogasa n’aurait de « priorité absolue par rapport aux autres créanciers qu’en ce qui concerne les 30 derniers jours précédant le moment de la revendication de la créance ». S’agissant de la période antérieure, les créanciers disposant de sûretés réelles immobilières auraient priorité sur cet organisme.

104
Troisièmement, la requérante avance qu’un créancier privé ne se serait jamais abstenu de procéder au recouvrement de ses créances envers un débiteur connaissant des difficultés financières en acceptant simultanément que celui-ci accumule de nouvelles dettes à son égard.

105
Ainsi, s’agissant du Fogasa, elle relève que, après avoir conclu l’accord du 5 novembre 1993, qui ne concernait que des dettes nées avant cette date, cet organisme a continué à payer mensuellement les salaires des travailleurs de Sniace. Selon elle, le fait que le Fogasa était légalement tenu de continuer à payer chaque mois ces salaires ne justifie pas qu’il pouvait s’abstenir de recouvrer les créances devenues exigibles, le cas échéant en recourant à l’exécution forcée, et tolérer ainsi une accumulation des dettes.

106
Selon la requérante, la TGSS a également toléré une accumulation des dettes de Sniace. Elle indique, à ce propos, que les dettes de cette dernière envers la TGSS sont passées de 746 millions de ESP, en 1991, à 3,2 milliards, en 1995, et que cet organisme n’a pris aucune mesure pour recouvrer ses créances jusqu’en 1996. Elle relève que, en 1995, les arriérés de cotisations sociales de Sniace étaient largement supérieurs à son capital propre, qui s’élevait à 1,73 milliard de ESP. Elle critique le fait que la TGSS n’ait pas procédé à la vente des biens qu’elle avait saisis auprès de Sniace, précisant que, à la date du 31 décembre 1993, les saisies effectuées représentaient un montant total de 1,034 milliard de ESP et les dettes de cette entreprise en cotisations de sécurité sociale s’élevaient déjà à 2,4 milliard de ESP environ.

107
Quatrièmement, la requérante soutient qu’un créancier privé n’aurait jamais octroyé de nouvelles facilités de paiement à un débiteur qui n’avait pas respecté ses précédents engagements de remboursement. Elle relève que, malgré le fait que Sniace n’avait pas exécuté les accords des 8 mars et 7 mai 1996, la TGSS a accepté de conclure l’accord du 30 septembre 1997. S’agissant du Fogasa, elle indique que celui-ci a conclu l’accord du 31 octobre 1995 alors que Sniace n’avait qu’imparfaitement exécuté celui du 5 novembre 1993. En juin 1998, cette entreprise n’aurait d’ailleurs remboursé qu’un tiers des montants dus selon ces deux accords. De manière plus générale, à la date d’adoption de la décision attaquée, ces deux organismes n’auraient recouvré qu’une très faible partie de leurs créances envers Sniace.

108
Cinquièmement, la requérante fait valoir qu’un créancier privé aurait exigé des sûretés et garanties suffisantes avant d’accepter d’octroyer des facilités de paiement à un débiteur se trouvant dans une situation financière difficile.

109
Elle relève que, à la différence de plusieurs institutions financières créancières de Sniace qui avaient obtenu des garanties hypothécaires couvrant l’ensemble de leurs créances, la TGSS n’a pas réclamé de garanties à cette dernière pendant les années 1991 à 1996 en contrepartie du non-recouvrement de ses créances. Elle critique, plus particulièrement, le fait que cet organisme n’ait pas exigé de sûretés réelles lors de la conclusion de l’accord du 30 septembre 1997. Sniace se serait contentée de proposer, en 1996, à la TGSS et au Fogasa une « hypothèque conjointe », mais celle-ci n’aurait jamais été constituée, et ce alors même que la valeur effective du capital d’exploitation de cette société s’élevait à 25 milliards de ESP en date du 31 décembre 1996. Elle considère comme totalement dénué de pertinence le fait que la TGSS ait obtenu, en août 1998, la mise en gage du parc de machines de Sniace, pareille circonstance étant largement postérieure à la conclusion des accords des 8 mars et 7 mai 1996 et 30 septembre 1997. Elle ajoute que la Commission ne saurait prétendre que la TGSS était « relativement sûre » de recouvrer ses créances en cas d’insolvabilité de Sniace en arguant du fait que les actifs non grevés du patrimoine de cette entreprise représentaient 20 milliards de ESP environ. Elle indique que cet organisme courait le risque que Sniace octroie des sûretés sur ces actifs à des tiers afin d’obtenir des capitaux et rappelle que les créanciers hypothécaires ont priorité sur tous les autres créanciers qui ne détiennent pas de sûretés réelles, en ce compris les créanciers privilégiés.

110
S’agissant de l’hypothèque consentie au Fogasa, la requérante relève que, au considérant 89 de la décision du 28 octobre 1998, la Commission indique que, «[m]algré des demandes répétées, le gouvernement espagnol n’a fourni aucune précision sur la nature de [celle-ci] ».

111
Sixièmement, la requérante affirme qu’un créancier privé ne se serait abstenu de procéder au recouvrement de ses créances que si cela lui avait apporté un avantage financier. Elle considère que les intérêts et majorations de retard que Sniace devait verser à la TGSS et au Fogasa ne représentaient pas un avantage pour ces organismes, puisque leur paiement était tout aussi incertain que celui des montant dus au principal.

112
À titre liminaire, la Commission, se référant aux points 45 à 47 de l’arrêt Tubacex, affirme que la Cour a conclu, dans cet arrêt, que « ni les sommes avancées par le Fogasa aux employés d’une entreprise en difficulté ni les accords destinés à permettre à l’entreprise de rembourser ces avances au Fogasa ne revêtent en soi le caractère d’une aide d’État ». En la matière, « le contrôle au regard du droit des aides se limite[rait] donc à examiner certaines modalités contenues dans ces accords de remboursement ». Selon la Commission, les mêmes conclusions valent pour le report du paiement des dettes en cotisations de sécurité sociale octroyé par la TGSS ainsi que pour les accords de rééchelonnement conclus par celle-ci. En effet, d’une part, l’intervention de chacun de ces organismes ne devrait pas être comparée au comportement d’un investisseur privé, mais à celui d’un créancier privé, et, d’autre part, ces différents accords ne feraient pas bénéficier l’entreprise concernée de nouvelles ressources publiques. Dans sa duplique, la Commission prétend que, dans l’arrêt Tubacex, la Cour ne s’est pas prononcée sur la seule question des taux d’intérêts, mais a apprécié, plus généralement, les accords conclus entre le Fogasa et la TGSS, d’une part, et les entreprises espagnoles en difficulté, d’autre part, au regard des règles en matière d’aides d’État. Enfin, elle souligne que c’est notamment en transposant cet arrêt qu’elle a adopté la décision du 20 septembre 2000.

113
La Commission relève, ensuite, que la TGSS et le Fogasa ont agi en vertu des règles légales qui leur étaient applicables et qu’ils étaient assujettis à « des contraintes et à des exigences qui limitaient leur pouvoir d’appréciation ». Dans sa duplique, elle indique que « les mesures litigieuses du Fogasa et de la [TGSS] ne favorisent pas de manière sélective certaines entreprises données comme le présuppose l’article 87, paragraphe 1, CE ». Le Royaume d’Espagne fait valoir que, en octroyant à Sniace un rééchelonnement de ses dettes en cotisations de sécurité sociale, la TGSS a agi conformément à la législation nationale en vigueur. Il précise que cette législation s’applique de manière générale à toute entreprise se trouvant dans l’une des situations considérées, de sorte que la décision de cet organisme de rééchelonner les dettes de Sniace est « une mesure à caractère général, et non pas une décision adoptée de manière arbitraire par les autorités compétentes ».

114
Par ailleurs, la Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, conteste avoir fait une application incorrecte du critère du créancier privé en l’espèce.

115
En premier lieu, la Commission et le Royaume d’Espagne prétendent que la requérante fonde son recours sur la prémisse erronée selon laquelle la TGSS et le Fogasa ont renoncé à procéder au recouvrement de leurs créances ou ont octroyé des remises de dettes à Sniace. La Commission avance que le fait que ces organismes aient conclu des accords de rééchelonnement et de remboursement avec Sniace démontre, au contraire, qu’ils entendaient obtenir de cette dernière qu’elle rembourse ses dettes. Elle invoque également le fait que lesdits organismes n’ont pas participé à l’accord d’octobre 1996.

116
En second lieu, la Commission avance que la TGSS et le Fogasa ont adopté, en l’espèce, le comportement d’un créancier privé.

117
Premièrement, elle explique que, pendant la durée de la procédure de cessation des paiements, il était impossible pour la TGSS d’obtenir de Sniace qu’elle s’acquitte de ses dettes en cotisations de sécurité sociale relatives aux exercices 1991 et 1992. Rien ne permettrait, par ailleurs, de penser que, avant l’ouverture de cette procédure, la TGSS n’ait pas essayé d’obtenir le remboursement des sommes dues. S’agissant des créances relatives aux cotisations de sécurité sociale pour la période couverte par la procédure de cessation des paiements, la Commission reconnaît qu’elles étaient susceptibles d’être recouvrées durant cette procédure, mais considère qu’un recouvrement forcé n’était pas indispensable dès lors que cet organisme disposait de garanties suffisantes. Elle ajoute que Sniace avait interrompu ses activités pendant une grande partie des années 1993 et 1996, ainsi qu’au début de l’année 1997, et ne disposait donc d’aucun revenu lui permettant de verser ses cotisations.

118
Deuxièmement, elle conteste que la TGSS et le Fogasa auraient dû procéder à l’exécution forcée de leurs créances plutôt que de conclure des accords de rééchelonnement et de remboursement.

119
Dans ce contexte, la Commission invoque, tout d’abord, le fait que ces organismes disposaient de meilleures garanties que les créanciers privés. Elle indique que les créances de la TGSS sont privilégiées en cas d’insolvabilité du débiteur. Elle fait observer que, après déduction des garanties hypothécaires détenues par les créanciers privés, « le patrimoine non grevé de […] Sniace représentait encore 20 milliards de ESP environ », de sorte que, au vu de sa qualité de créancier privilégié, la TGSS pouvait, en cas d’insolvabilité de cette entreprise, être « relativement sûre » de recouvrer ses créances. La Commission ajoute que Sniace négociait, à l’époque de l’accord du 30 septembre 1997, la constitution d’une hypothèque de premier rang sur son terrain et ses installations en faveur de la TGSS et du Fogasa conjointement. Cette hypothèque n’aurait finalement pas été constituée et, le 31 août 1998, il aurait été décidé de garantir le rééchelonnement des dettes en cotisations de sécurité sociale par le maintien de diverses saisies conservatoires pratiquées sur des biens meubles et immeubles de Sniace. Dans ce cadre, la TGSS aurait notamment obtenu, le 6 juillet 1998, la mise en gage du parc de machines de cette entreprise et aurait ainsi « acquis un droit portant sur un montant nominal de 3 485 038 195 ESP », soit un montant correspondant à la quasi-totalité du principal de sa créance. S’agissant du Fogasa, la Commission relève que cet organisme est également un créancier privilégié et qu’une hypothèque, garantissant la totalité de la dette, a été consentie en sa faveur le 10 août 1995.

120
Ensuite, la Commission avance qu’aucun créancier privé de Sniace n’a procédé à l’exécution forcée de ses créances. Elle souligne, plus part iculièrement, que le principal créancier privé de cette société, Banesto, n’a pas poursuivi l’exécution forcée de ses créances alors même que celles-ci étaient garanties, à concurrence de 5 milliards de ESP, par une hypothèque. Par ailleurs, elle conteste l’allégation selon laquelle un créancier privé placé dans une situation comparable à celle du Fogasa aurait réalisé l’hypothèque consentie par Sniace. Elle considère que cet organisme avait d’autant moins de raisons de procéder à l’exécution forcée de ses créances qu’il était privilégié en cas d’insolvabilité de Sniace.

121
Enfin, la Commission prétend que la TGSS et le Fogasa ont « adopté une ligne plus dure et plus efficace que les créanciers privés de l’entreprise ». La Commission et le Royaume d’Espagne insistent sur le fait que ces organismes n’ont pas pris part à l’accord d’octobre 1996. Ils expliquent que, eu égard à la situation financière très précaire de Sniace, les créanciers privés, en participant à cet accord et en convertissant, conformément à celui-ci, 40 % de leurs créances en actions de cette société, ont en fait renoncé à leurs créances dans cette même proportion. La Commission ajoute que les modalités de remboursement des dettes prévues par l’accord d’octobre 1996 sont sensiblement moins favorables que celles convenues avec la TGSS et le Fogasa. En effet, ce remboursement s’étalerait sur une période de huit ans et le principal ne serait pas générateur d’intérêts.

122
Troisièmement, la Commission soutient que les autorités espagnoles lui ont assuré « de manière crédible » que la TGSS avait agi « dans le but de sauvegarder l’ensemble des droits qu’elle détenait sur Sniace ». Le Royaume d’Espagne prétend que les chances de la TGSS et du Fogasa de recouvrer leurs créances étaient meilleures s’ils concluaient les arrangements litigieux que s’ils avaient exigé le paiement immédiat de ces créances. La Commission admet qu’elle n’a tenu compte, dans son appréciation des prétendues aides, ni du plan de viabilité élaboré en août 1996 ni du plan de restructuration auquel les autorités espagnoles ont fait référence dans le cours de la procédure administrative.

123
Quatrièmement, la Commission fait valoir que la requérante n’avance aucun élément de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle la TGSS aurait toléré une accumulation des dettes de Sniace en cotisations de sécurité sociale entre 1991 et 1996 sans réagir. Elle réaffirme que, eu égard à la procédure de cessation des paiements, « une partie de ces montants n’était pas légalement recouvrable » et que Sniace avait cessé ses activités pendant une partie de la période pertinente. Par ailleurs, la Commission et le Royaume d’Espagne rappellent que le Fogasa a l’obligation légale de verser aux travailleurs les salaires qui ne leur ont pas été payés pour cause notamment de cessation des paiements et de se subroger ensuite dans les droits et actions des travailleurs afin d’obtenir le remboursement des sommes avancées.

124
Cinquièmement, la Commission prétend qu’aucun indice ne laisse supposer que Sniace n’a pas respecté les accords de rééchelonnement et de remboursement.

125
Sixièmement, la Commission et le Royaume d’Espagne considèrent que la TGSS et le Fogasa disposaient de garanties suffisantes (voir point 119 ci-dessus).

126
Septièmement, la Commission fait remarquer que, conformément à la législation espagnole, les arriérés en cotisations de sécurité sociale sont automatiquement majorés de 20 % et un taux d’intérêt légal annuel d’au moins 9 % leur est appliqué. Le défaut de recouvrement des dettes en cotisations de sécurité sociale ou l’acceptation du report de leur paiement ne sauraient donc automatiquement conférer un avantage financier substantiel à l’entreprise concernée. Le Royaume d’Espagne, se référant au point 47 de l’arrêt Tubacex, ajoute que les accords de rééchelonnement et de remboursement des dettes n’ont pas fait naître de nouvelles dettes de Sniace à l’égard des pouvoirs publics, de sorte qu’il ne saurait être prétendu que cette entreprise a obtenu un quelconque avantage économique.

Appréciation du Tribunal

127
Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, CE, « [s]auf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».

128
Il convient, tout d’abord, d’examiner si la condition de spécificité qui constitue l’une des caractéristiques de la notion d’aide d’État est remplie en l’espèce (arrêt de la Cour du 1er décembre 1998, Ecotrade, C-200/97, Rec. p. I-7907, point 40, et arrêt du Tribunal du 29 septembre 2000, CETM/Commission, T-55/99, Rec. p. II‑3207, point 39).

129
Il doit être rappelé que des mesures de portée purement générale ne relèvent pas de l’article 87, paragraphe 1, CE. Toutefois, la jurisprudence a déjà précisé que même des interventions qui, à première vue, sont applicables à la généralité des entreprises peuvent présenter une certaine sélectivité et, partant, être considérées comme des mesures destinées à favoriser certaines entreprises ou certaines productions. Tel est le cas, notamment, lorsque l’administration appelée à appliquer la règle générale dispose d’un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l’application de l’acte (arrêts de la Cour du 26 septembre 1996, France/Commission, C-241/94, Rec. p. I-4551, points 23 et 24 ; Ecotrade, précité, point 40, et du 17 juin 1999, Piaggio, C-295/97, Rec. p. I-3735, point 39).

130
En l’espèce, il y a lieu de constater que la TGSS et le Fogasa disposent d’un certain pouvoir discrétionnaire tant pour conclure des accords de rééchelonnement ou de remboursement que pour déterminer certaines modalités de ces accords, telles que le calendrier de remboursement, le montant des échéances et le caractère suffisant des garanties offertes en contrepartie du règlement des dettes. D’une part, cela résulte clairement de la réglementation régissant l’activité de ces deux organismes. Ainsi, s’agissant de la TGSS, il ressort expressément de l’article 20 de la loi générale sur la sécurité sociale et de l’article 40, paragraphe 1, du décret royal du 6 octobre 1995 que l’octroi d’échelonnements ou de fractionnements du paiement des dettes en cotisations de sécurité sociale constitue une faculté pour cet organisme. Il ressort également de l’article 40, paragraphe 1, du décret royal du 6 octobre 1995 que la TGSS dispose du pouvoir d’apprécier les « autres circonstances particulières » qui empêchent les débiteurs de s’acquitter de leurs dettes. S’agissant du Fogasa, l’article 32 du décret royal du 6 mars 1985 établit que la conclusion d’accords de remboursement constitue également une faculté pour cet organisme. En outre, ainsi qu’il est constaté par l’avocat général M. La Pergola au point 8 de ses conclusions sous l’arrêt Tubacex (Rec. p. I-2461), les éléments de l’arrêté du ministre du Travail et de la Sécurité sociale du 20 août 1985 identifiés au point 7 ci-dessus confirment que le Fogasa dispose d’une marge d’appréciation discrétionnaire en la matière. D’autre part, la Commission elle-même constate, aux considérants 81 et 89 de la décision du 28 octobre 1998, que la TGSS et le Fogasa jouissent d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder des échelonnements ou des fractionnements des dettes et en fixer certaines modalités. Ainsi, au considérant 81, elle relève qu’ « [i]l est […] incontestable que la réglementation en matière de sécurité sociale donne aux autorités un certain pouvoir discrétionnaire dans le traitement des cas individuels, dont il a précisément été fait usage en l’espèce ». Au considérant 89, elle indique que « le Fogasa jouit d’un pouvoir discrétionnaire pour reporter ou fractionner les remboursements sur une période pouvant aller jusqu’à huit ans ».

131
Il convient de relever, au surplus, que la requérante ne critique pas seulement la conclusion, par la TGSS et le Fogasa, d’accords de rééchelonnement ou de remboursement avec Sniace. Elle dénonce, en effet, également le fait qu’ils aient accepté que cette société ne respecte pas ces accords et, s’agissant de la TGSS, le fait qu’elle ait toléré, en-dehors de tout accord de rééchelonnement, que ladite société ne s’acquitte pas de ses dettes en cotisations de sécurité sociale pendant plusieurs années à partir de février 1991 au moins. Or, il est incontestable que ces derniers comportements relèvent du pouvoir discrétionnaire desdits organismes.

132
Par ailleurs, le Royaume d’Espagne ne saurait tirer argument du fait que la décision de la TGSS de procéder au rééchelonnement des dettes de Sniace n’était pas arbitraire. En effet, pour écarter la qualification de mesure générale, il n’est pas nécessaire de vérifier si le comportement de l’organisme étatique concerné revêt un caractère arbitraire. Il suffit d’établir, comme cela a été fait en l’espèce, que ledit organisme dispose d’un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la conclusion des accords de rééchelonnement ou de remboursement et la détermination de certaines des modalités de ces accords.

133
Il doit par conséquent être conclu que la condition de spécificité est remplie en l’espèce.

134
Ensuite, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’article 87, paragraphe 1, CE a pour objet d’éviter que les échanges entre États membres ne soient affectés par des avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (arrêts de la Cour du 24 février 1987, Deufil/Commission, 310/85, Rec. p. 901, point 8 ; du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C-387/92, Rec. p. I-877, point 12 , et du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39/94, Rec. p. I-3547, point 58). La notion d’aide recouvre dès lors non seulement des prestations positives telles que des subventions, des prêts ou des prises de participation au capital d’entreprises, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (arrêt Banco Exterior de España, précité, point 13).

135
En l’espèce, il y a lieu de constater que certains des comportements de la TGSS et du Fogasa qui sont dénoncés par la requérante ont procuré à Sniace un avantage commercial appréciable.

136
Ainsi, s’agissant de la TGSS, il ressort du dossier que cet organisme a toléré que Sniace ne s’acquitte pas de ses dettes en cotisations de sécurité sociale pendant une période s’étendant au moins de février 1991 à février 1997, permettant ainsi à cette société d’accumuler des dettes d’un montant total de 3 510 387 323 ESP, à augmenter de majorations de retard d’un montant total de 615 056 349 ESP et d’intérêts au taux légal. Plus particulièrement, la TGSS n’a réagi que le 8 mars 1996, en concluant un premier accord de rééchelonnement, face au défaut de paiement, par Sniace, de ses dettes en cotisations de sécurité sociale. Toutefois, outre le fait que cet accord n’a jamais été exécuté par Sniace (voir point 138 ci-après), la TGSS a accepté que cette société accumule de nouvelles dettes en cotisations de sécurité sociale jusqu’en février 1997, venant s’ajouter à celles couvertes par l’accord du 8 mars 1996.

137
Or, il est certain que le comportement d’un organisme public compétent pour collecter les cotisations de sécurité sociale qui tolère que lesdites cotisations soient payées avec retard donne à l’entreprise qui en bénéficie un avantage commercial appréciable en allégeant, à son égard, la charge découlant de l’application normale du régime de la sécurité sociale (arrêt de la Cour du 29 juin 1999, DM Transport, C-256/97, Rec. p. I-3913, point 19).

138
Il est également établi que Sniace n’a pas respecté l’accord du 8 mars 1996, tel que modifié par celui du 7 mai 1996. Ainsi que l’indique le Royaume d’Espagne, cet accord n’est, en effet, jamais entré en vigueur au motif que Sniace « n’[avait] pas procédé au remboursement des dettes exigibles ». Toutefois, la TGSS, plutôt que d’exiger, comme elle aurait eu le droit de le faire dans de telles circonstances, le paiement immédiat de la totalité de la dette, a accepté de conclure avec Sniace, le 30 septembre 1997, un nouvel accord de rééchelonnement. En agissant de cette manière, la TGSS a indubitablement conféré un avantage appréciable à Sniace. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 80 de la décision du 28 octobre 1998, un recouvrement forcé de la dette de cette société aurait pu, eu égard à sa situation financière particulièrement difficile, entraîner sa fermeture.

139
L’argument que la Commission tire du fait que, conformément à la réglementation espagnole applicable, des intérêts et des majorations de retard sont automatiquement appliqués aux arriérés en cotisations de sécurité sociale n’est pas pertinent. En effet, les intérêts et majorations de retard qu’une entreprise connaissant de graves difficultés financières peut être amenée à payer en contrepartie de larges facilités de paiement, telles que celles que la TGSS a accordées en l’espèce à Sniace, ne sont pas susceptibles de faire disparaître entièrement l’avantage dont bénéficie ladite entreprise (voir, en ce sens, arrêt DM Transport, précité, point 21).

140
S’agissant du Fogasa, il ressort du dossier que cet organisme avait conclu avec Sniace, le 5 novembre 1993, un accord en vertu duquel cette dernière s’engageait à rembourser 897 652 789 ESP pour le principal, à majorer de 465 055 911 ESP d’intérêts calculés au taux légal de 10 %, soit un montant total de 1 362 708 700 ESP, par échéances semestrielles sur une période de huit ans. La somme de 897 652 789 ESP correspondait aux montants versés par le Fogasa au titre des salaires et indemnités dus par Sniace à son personnel.

141
L’annexe 1 de cet accord, communiqué par le Royaume d’Espagne en réponse à une question du Tribunal (voir point 38 ci-dessus), indique que le montant des échéances semestrielles relatives au principal augmenterait progressivement comme suit : 20 000 000 ESP (second semestre 1994 et premier semestre 1995), 35 000 000 ESP (second semestre 1995 et premier semestre 1996), 55 000 000 ESP (second semestre 1996 et année 1997), 80 000 000 ESP (années 1998 à 2000) et 71 326 395 ESP (année 2001). Le paiement des intérêts était différé jusqu’en 2000 (quatre échéances semestrielles de 116 263 978 ESP).

142
Il ressort des informations données par le Royaume d’Espagne en réponse à une autre question qui lui avait été posée par le Tribunal (voir point 38 ci-dessus) que Sniace n’a que très partiellement respecté l’accord du 5 novembre 1993. Ainsi, en 1994, elle n’avait versé que 10 000 000 ESP sur les 20 000 000 ESP prévus, en 1995 que 30 000 000 ESP sur les 55 000 000 ESP prévus, en 1996 que 35 000 000 ESP sur les 90 000 000 ESP prévus, en 1997 que 15 000 000 ESP sur les 110 000 000 ESP prévus et en 1998 que 120 000 000 ESP sur les 160 000 000 ESP prévus. Par accord du 18 mars 1999, le plan de remboursement contenu à l’annexe 1 de l’accord du 5 novembre 1993 a d’ailleurs été modifié rétroactivement.

143
Le 31 octobre 1995, le Fogasa a conclu un second accord avec Sniace, en vertu duquel cette dernière s’engageait à rembourser 229 424 860 ESP pour le principal, à majorer de 110 035 018 ESP d’intérêts calculés au taux légal de 9 %, soit un montant total de 339 459 878 ESP, par échéances semestrielles sur une période de huit ans. La somme de 229 424 860 ESP correspondait aux montants que le Fogasa avait continué à verser après l’accord du 5 novembre 1993 au titre des salaires et indemnités dus par Sniace à son personnel.

144
L’annexe 1 de l’accord du 31 octobre 1995, communiqué par le Royaume d’Espagne en réponse à une question du Tribunal (voir point 38 ci-dessus), indique que le montant des échéances semestrielles relatives au principal évoluerait progressivement comme suit : 10 000 000 ESP (1er mai 1996, 1er novembre 1996, 1er mai 1997, 1er novembre 1997, 1er mai 1998 et 1er novembre 1998), 15 000 000 ESP (1er mai 1999, 1er novembre 1999, 1er mai 2000, 1er novembre 2000, 1er mai 2001 et 1er novembre 2001), 20 000 000 ESP (1er mai 2002, 1er novembre 2002 et 1er mai 2003) et 19 424 860 ESP (1er novembre 2003). Le paiement des intérêts était différé jusqu’à la dernière échéance semestrielle.

145
Il ressort des informations données par le Royaume d’Espagne en réponse à une autre question posée par le Tribunal (voir point 38 ci-dessus) que Sniace n’a pas non plus respecté l’accord du 31 octobre 1995. En effet, jusqu’en décembre 1998, elle n’avait remboursé que 30 000 000 ESP sur les 60 000 000 ESP prévus. Entre décembre 1998 et décembre 2001, elle n’avait versé que 50 000 000 ESP supplémentaires sur les 90 000 000 ESP prévus. Par accord du 18 mars 1999, le plan de remboursement contenu à l’annexe 1 de l’accord du 31 octobre 1995 a d’ailleurs, à l’instar de celui annexé à l’accord du 5 novembre 1993, été modifié rétroactivement.

146
Le Tribunal reconnaît que, en acceptant de verser les salaires et indemnités qui font l’objet des accords des 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995, le Fogasa a satisfait à des demandes légitimes présentées par le personnel de Sniace. Sous cet aspect, l’intervention de cet organisme ne contient pas d’éléments d’aides d’État. Toutefois, les salaires et indemnités dus aux salariés d’une entreprise font partie des coûts normaux de l’activité de celle-ci, qu’elle est, en principe, tenue d’imputer sur ses ressources propres. Toute intervention publique destinée à financer ces coûts sera donc susceptible de constituer une aide chaque fois qu’elle aboutira à conférer un avantage à l’entreprise, que les versements soient effectués directement à celle-ci ou à ses salariés par le biais d’un organisme public. En tolérant que les échéances de remboursement de la dette contractée en conséquence des versements susvisés ne soient pas respectées, le Fogasa a donné à Sniace un avantage commercial certain en allégeant, à son égard, une charge grevant normalement son budget. Cet avantage est d’autant plus certain que, eu égard au non-respect, par Sniace, des obligations qui lui incombaient en vertu des accords des 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995, le Fogasa aurait pu réclamer le remboursement immédiat du montant total de ses créances, le cas échéant en faisant valoir son hypothèque.

147
La Commission ne saurait justifier les comportements susvisés de la TGSS et du Fogasa par le fait que Sniace se trouvait en état de cessation des paiements de mars 1993 à octobre 1996. D’une part, cela n’explique nullement pourquoi la TGSS a accepté que Sniace reste en défaut de payer ses dettes en cotisations de sécurité sociale pour les années 1991 et 1992. D’autre part, l’existence de la procédure de cessation des paiements n’empêchait nullement Sniace de s’acquitter des obligations de paiement qui lui incombaient en vertu des accords de remboursement conclus avec la TGSS et le Fogasa, et ce d’autant plus que ces accords, à l’exception de celui du 30 septembre 1997, avaient été conclus avec le contrôleur judiciaire nommé par les tribunaux espagnols dans le cadre de cette procédure. Enfin, il y a lieu de constater que la requérante et la Commission s’accordent pour dire que les dettes en cotisations de sécurité sociale de Sniace nées après l’ouverture de la procédure de cessation de paiements pouvaient, en toute hypothèse, faire l’objet d’un recouvrement forcé durant cette procédure. En tout état de cause, l’ensemble des dettes en cotisations de sécurité sociale échues depuis le mois de février 1991 ainsi que les dettes envers le Fogasa couvertes par les accords des 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995 pouvaient, également en toute hypothèse, faire l’objet d’un recouvrement forcé dès la fin de la procédure de cessation des paiements, soit le mois d’octobre 1996.

148
La Commission ne saurait davantage tirer argument du fait que Sniace avait interrompu ses activités durant une partie des années 1993 et 1996 ainsi qu’au tout début de l’année 1997. D’une part, cette circonstance ne justifie à nouveau aucunement le fait que Sniace ne se soit pas acquittée de ses dettes en cotisations de sécurité sociale au titre des années 1991 et 1992. Elle n’explique pas non plus pourquoi les recettes perçues par cette société en 1994 et en 1995 n’auraient pas été suffisantes pour lui permettre de verser ses cotisations de sécurité sociale au titre de ces deux années. D’autre part, s’agissant des accords des 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995, la Commission omet de tenir compte du fait que le montant des échéances semestrielles était beaucoup moins élevé au début de la période de remboursement qu’à la fin de celle-ci (voir points 141 et 144 ci-dessus). En outre, le paiement des intérêts était différé jusqu’aux deux dernières années de la période de remboursement dans le cas de l’accord du 5 novembre 1993 (soit les années 2000 et 2001) et jusqu’à la dernière échéance dans le cas de l’accord du 31 octobre 1995 (1er novembre 2003).

149
Toutefois, pour que les avantages relevés ci-dessus puissent être qualifiés d’aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, il convient encore d’établir que Sniace ne les aurait pas obtenus dans des conditions normales de marché (arrêts SFEI e.a., précité, point 60, et DM Transport, précité, point 22). Plus précisément, il y a lieu d’examiner si la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en concluant que la TGSS et le Fogasa ont agi de la même manière qu’un créancier privé hypothétique se trouvant, dans la mesure du possible, dans la même situation à l’égard de son débiteur que ces deux organismes.

150
À cet égard, il convient de rappeler que, dans la mesure où l’application, par la Commission, du critère du créancier privé implique des appréciations économiques complexes, à l’instar de l’application du critère de l’investisseur privé, elle fait, en vertu d’une jurisprudence constante, l’objet d’un contrôle restreint à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits retenus, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56/93, Rec. p. I-723, point 11, et du 8 mai 2003, Italie et SIM 2 Multimedia/Commission, C-328/99 et C-399/00, Rec. p. I-4035, point 39; arrêt du Tribunal du 11 juillet 2002, HAMSA/Commission, T-152/99, Rec. p. II-3049, point 127).

151
Avant de procéder à cet examen, il convient d’écarter l’affirmation de la Commission selon laquelle, dans l’arrêt Tubacex, la Cour a dit pour droit que, par principe, ni les accords de rééchelonnement conclus par la TGSS ni les accords de remboursement conclus par le Fogasa ne constituent en soi une aide d’État et que seules certaines modalités de ces accords peuvent faire l’objet d’un contrôle au regard des règles en matière d’aides d’État. Ainsi que le fait remarquer à juste titre la requérante, dans la décision attaquée dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Commission avait considéré que les accords conclus entre ces deux organismes et les deux entreprises espagnoles en cause ne contenaient des éléments d’aides d’État que dans la mesure où le taux d’intérêt appliqué était inférieur aux taux pratiqués sur le marché. Dans cette affaire, le Royaume d’Espagne, partie requérante, ne poursuivait l’annulation que de cet aspect de la décision. La Cour n’était donc pas saisie de la question de savoir si le fait même d’avoir conclu ces accords et les autres modalités de ceux-ci étaient susceptibles de constituer une aide d’État.

152
En réalité, il appartient à la Commission de vérifier, dans chaque cas individuel et en fonction des circonstances de l’espèce, si la décision de la TGSS ou du Fogasa d’accepter le réaménagement des dettes d’une entreprise en difficulté ainsi que les conditions de ce réaménagement sont conformes au critère du créancier privé.

153
Il doit être ajouté que l’argument que la Commission tente de tirer de l’arrêt Tubacex ne saurait, en tout état de cause, prospérer. En effet, dans la présente affaire, il n’est pas seulement reproché à la TGSS et au Fogasa d’avoir conclu des accords de réaménagement des dettes avec Sniace, mais aussi, et surtout, d’avoir toléré que cette dernière ne les respecte pas.

154
Il ressort de la décision attaquée ainsi que des écritures de la Commission que celle-ci estime pour trois raisons que la TGSS et le Fogasa se sont comportés, en l’espèce, comme un créancier privé.

155
En premier lieu, la Commission procède à une comparaison entre le comportement de ces deux organismes et celui des créanciers privés de Sniace. Elle tire principalement argument du fait que la TGSS et le Fogasa, usant de leur droit d’abstention, n’ont pas participé à l’accord d’octobre 1996 et que, dès lors, ils n’ont pas, à la différence de ces créanciers privés, de facto renoncé à 40 % du montant de leurs créances. Elle ajoute que les conditions de remboursement prévues dans cet accord sont sensiblement moins favorables pour les créanciers privés que celles convenues avec la TGSS et le Fogasa (considérants 24 et 25 de la décision du 20 septembre 2000, points 17, 52, 60, 65, 101 et 106 du mémoire en défense, et point 26 de la duplique).

156
Cette première comparaison est manifestement erronée. La TGSS et le Fogasa se trouvaient, en effet, dans une situation différente de celle des créanciers privés de Sniace. Il convient de rappeler à ce propos que ces organismes jouissent d’un droit d’abstention, que leurs créances sont privilégiées et qu’ils disposent de certaines garanties, à savoir de droits de gage dans le cas de la TGSS et d’une hypothèque dans le cas du Fogasa. En outre, il doit être relevé que, au considérant 26 de la décision du 20 septembre 2000, la Commission souligne elle-même que « les conditions offertes aux créanciers privés n’étaient pas les mêmes que celles consenties aux créanciers publics en raison du statut, des sûretés et du droit d’abstention dont jouissent les institutions publiques » et que l’« approche comparative » entre ces deux catégories de créanciers ne constitue pas une application correcte du critère du créancier privé en l’espèce.

157
En deuxième lieu, la Commission invoque le fait que Banesto n’a pas procédé à l’exécution forcée de ses créances alors que celles-ci étaient garanties par une hypothèque (points 53 et 90 du mémoire en défense, et point 26 de la duplique).

158
Force est de constater que cette seconde comparaison n’est manifestement pas plus convaincante que la première. Aucun élément du dossier ne permet, en effet, de supposer que Banesto se trouvait dans une situation comparable à celle de la TGSS et du Fogasa. À cet égard, il y a lieu de noter que le dossier ne contient aucune indication, même sommaire, sur les circonstances ayant entouré la décision de cette banque de ne pas procéder au recouvrement forcé de ses créances. En particulier, aucune précision n’est donnée sur les modalités de remboursement de la dette de Sniace à l’égard de Banesto, sur la question de savoir si Sniace avait jusqu’alors respecté ou non ses engagements contractuels envers Banesto et sur le point de savoir si cette dernière avait, à l’instar de la TGSS, toléré une accumulation de dettes durant des années. S’agissant de ce dernier organisme, il convient de constater, en outre, que, à la différence de Banesto, sa créance n’était pas garantie par une hypothèque. Selon les indications fournies par le Royaume d’Espagne dans ses écritures, ce n’est qu’au second semestre de l’année 1998 que Sniace a fourni des garanties suffisantes à la TGSS en contrepartie du rééchelonnement de ses dettes.

159
En troisième lieu, la Commission prétend que, en concluant les accords de rééchelonnement et de remboursement concernés, la TGSS et le Fogasa ont « cherché à mettre de [leur] côté toutes les chances de recouvrer l’ensemble des sommes qui [leur] étaient dues sans avoir à subir de pertes financières » (considérant 30 de la décision du 20 septembre 2000). Au considérant 29 de la décision du 20 septembre 2000, renvoyant à sa décision du 28 octobre 1998, elle précise, s’agissant de la TGSS, que, « en évitant de procéder à un recouvrement forcé pour ne pas risquer de provoquer la mise en liquidation de l’entreprise, [cet organisme] a agi de manière à mettre de son côté toutes les chances de recouvrer la dette ».

160
Force est de constater que ces affirmations ne sont nullement démontrées. D’une part, elles sont en contradiction directe avec l’allégation répétée de la Commission selon laquelle la TGSS et le Fogasa disposaient de privilèges et de sûretés suffisantes, de sorte que rien ne les incitait à procéder à l’exécution forcée de leurs créances. D’autre part, la Commission ne disposait pas d’informations suffisantes pour être en mesure d’apprécier en pleine connaissance de cause les perspectives de rentabilité à terme et de viabilité de Sniace. Ainsi, il convient de relever que, invité par le Tribunal, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure (voir point 38 ci-dessus), à communiquer l’évolution des résultats (chiffre d’affaires et profits ou pertes) et du volume d’endettement de Sniace de 1991 à 2000, le Royaume d’Espagne a reconnu qu’il ne possédait pas ces données. Dans ces circonstances, il ne saurait être donné crédit à l’affirmation de la Commission selon laquelle « le gouvernement espagnol a […] assuré de manière crédible à la défenderesse que la sécurité sociale avait agi […] dans le but de sauvegarder l’ensemble des droits qu’elle détenait sur Sniace ». Bien plus, la Commission ne disposait d’aucun plan de restructuration crédible et réaliste concernant Sniace. Ainsi, s’agissant du plan de viabilité établi en août 1996, tant la Commission que le Royaume d’Espagne ont souligné à plusieurs reprises qu’il n’était pas acceptable et qu’il n’avait pas dicté le comportement des autorités espagnoles (voir notamment la décision d’ouverture de la procédure au titre de l’article 87, paragraphe 2, CE, et le considérant 103 de la décision du 28 octobre 1998). Dans son mémoire en défense, la Commission a même pris soin de préciser que ce plan de viabilité ne pouvait servir de base à son appréciation (point 68 du mémoire en défense). S’agissant du plan de restructuration auquel la Commission fait référence au point 70 de son mémoire en défense, il suffit de constater que celle-ci admet, au même point, qu’il ne lui a pas été présenté. Au considérant 102 de sa décision du 28 octobre 1998, elle relève, par ailleurs, que les autorités espagnoles n’ont pas « tenté de démontrer l’existence d’un plan de restructuration valable ». Interrogée au sujet de ce dernier plan lors de l’audience, la Commission a confirmé qu’elle n’en avait pas tenu compte aux fins de la décision attaquée.

161
Il doit être constaté de tout ce qui précède que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant que les comportements incriminés de la TGSS et du Fogasa satisfaisaient au critère du créancier privé.

162
Il s’ensuit que le premier moyen est fondé et, partant, que l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée doit être annulé sans qu’il soit nécessaire d’examiner le second moyen.


Sur la demande de production de documents

163
Dans sa requête, la requérante, se fondant sur l’article 21 du statut (CE) de la Cour de justice (devenu article 24 du statut de la Cour de justice) et l’article 65 du règlement de procédure, demande au Tribunal d’inviter la Commission à produire les différentes observations présentées par le gouvernement espagnol à la suite du dépôt de sa plainte et de l’ouverture de la procédure au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE.

164
Dans sa réplique, elle indique que, par cette demande, elle vise clairement à obtenir du Tribunal qu’il adopte une mesure d’organisation de la procédure conformément à l’article 64, paragraphe 4, du règlement de procédure.

165
La Commission et le Royaume d’Espagne s’opposent à cette demande. Ils avancent que la requérante présente celle-ci à titre de mesure d’instruction, au sens de l’article 65 du règlement de procédure, mais qu’elle reste en défaut de préciser les faits litigieux que la production des documents est censée démontrer. Ils ajoutent que les observations communiquées par un État membre dans le cadre de la procédure administrative ont un caractère confidentiel.

166
Dans sa duplique, la Commission relève que, dans sa réplique, la requérante a retiré sa demande de mesure d’instruction, pour la remplacer par une demande de mesure d’organisation de la procédure. Elle en conclut que la requérante doit, conformément à l’article 87, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de procédure, être condamnée aux dépens correspondants au chef de conclusions dont elle se serait ainsi désistée.

167
La Commission a communiqué, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prises par le Tribunal (voir point 38 ci-dessus), les différents documents dont la requérante avait demandé la production. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de statuer sur cette demande devenue sans objet.


Sur les dépens

168
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il convient de décider qu’elle supportera, outre ses propres dépens, ceux de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

169
Le Tribunal considère qu’il n’y a pas lieu de condamner la requérante à supporter les dépens liés au chef de conclusions tendant à ce qu’il adopte des mesures d’instruction, dont cette dernière se serait désistée dans sa réplique. Il est clair, en effet, que, dès le départ, la requérante entendait obtenir du Tribunal qu’il ordonne la production de certains documents à titre de mesure d’organisation de la procédure, et non à titre de mesure d’instruction. La précision apportée par la requérante sur ce point dans sa réplique doit se comprendre non comme un désistement, mais comme une rectification d’une simple erreur dans la désignation de la disposition applicable du règlement de procédure.

170
En vertu de l’article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)
L’article 1er,paragraphe 1, de la décision 1999/395/CE de la Commission, du 28 octobre 1998, concernant l’aide d’État accordée par l’Espagne à Sniace, SA, située à Torrelavega, Cantabrique, telle que modifiée par la décision 2001/43/CE de la Commission, du 20 septembre 2000, est annulé.

2)
La Commission supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante.

3)
Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

García-Valdecasas

Lindh

Cooke

Legal

Martins Ribeiro

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 octobre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. García-Valdecasas


1
Langue de procédure : l'allemand.