Language of document : ECLI:EU:C:2020:805

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

8 octobre 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Marché intérieur de l’électricité – Directive 2009/72/CE – Article 37 – Missions et compétences de l’autorité de régulation – Règlement extrajudiciaire des litiges – Notion de “partie ayant un grief à faire valoir” – Plainte introduite par un client final contre le gestionnaire d’un réseau de transport auquel l’installation de ce client n’est pas directement raccordée – Panne survenue sur ce réseau – Absence de relation contractuelle entre ledit client et le gestionnaire dudit réseau – Recevabilité de la plainte »

Dans l’affaire C‑360/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le College van Beroep voor het bedrijfsleven (cour d’appel du contentieux administratif en matière économique, Pays-Bas), par décision du 23 avril 2019, parvenue à la Cour le 3 mai 2019, dans la procédure

Crown Van Gelder BV

contre

Autoriteit Consument en Markt (ACM),

en présence de :

TenneT TSO BV,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. M. Ilešič, E. Juhász, C. Lycourgos et I. Jarukaitis (rapporteur), juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 mars 2020,

considérant les observations présentées :

–        pour Crown Van Gelder BV, par Me M. R. het Lam, advocaat,

–        pour TenneT TSO BV, par Mme L. Baljon, assistée de Me I. Brinkman, advocaat,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et P. Huurnink, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement finlandais, par M. J. Heliskoski, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. E. Manhaeve et Mme O. Beynet, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 juin 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Crown Van Gelder BV à l’Autoriteit Consument en Markt (ACM) (Autorité des consommateurs et des marchés, Pays-Bas) au sujet d’une décision de cette dernière déclarant irrecevable la plainte introduite par cette société contre TenneT TSO BV, gestionnaire du réseau national à haute tension, à la suite d’une panne survenue sur ce réseau.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 37, 42, 51 et 54 de la directive 2009/72 énoncent :

« (37)      Les régulateurs de l’énergie devraient avoir le pouvoir de prendre des décisions contraignantes relativement à des entreprises d’électricité et d’infliger des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives à l’encontre de celles qui ne respectent pas les obligations qui leur incombent, ou de suggérer qu’une juridiction compétente leur inflige de telles sanctions [...] En outre, il y a lieu de conférer aux régulateurs de l’énergie le pouvoir de contribuer à assurer un service universel et public de grande qualité, dans le respect de l’ouverture du marché et dans un souci de protection des clients vulnérables, et de garantir le plein effet des mesures de protection des consommateurs. [...]

[...]

(42)      Tous les secteurs de l’industrie et du commerce [de l’Union européenne], et notamment les petites et moyennes entreprises, ainsi que tous les citoyens de l’Union, qui bénéficient des avantages économiques du marché intérieur, devraient pouvoir bénéficier également de niveaux élevés de protection des consommateurs [...] Ces clients devraient également bénéficier de la faculté de choix, d’un traitement équitable, de possibilités de représentation et de mécanismes de règlement des litiges.

[...]

(51)      Il convient que les intérêts des consommateurs soient au cœur de la présente directive et que la qualité du service constitue une responsabilité centrale pour les entreprises d’électricité. Les droits existants des consommateurs doivent être renforcés et garantis, et ils devraient inclure une plus grande transparence. La protection du consommateur devrait garantir, dans le contexte de [l’Union] au sens large, que tous les consommateurs bénéficient d’un marché compétitif. Les États membres ou, si un État membre le prévoit, les autorités de régulation, devraient veiller au respect des droits des consommateurs.

[...]

(54)      Des moyens de règlement des litiges efficaces et accessibles à tous les consommateurs sont la garantie d’une meilleure protection des consommateurs. Les États membres devraient mettre en place des procédures rapides et efficaces pour le traitement des plaintes. »

4        L’article 1er de cette directive est ainsi libellé :

« La présente directive établit des règles communes concernant la production, le transport, la distribution et la fourniture d’électricité, ainsi que des dispositions relatives à la protection des consommateurs, en vue de l’amélioration et de l’intégration de marchés de l’électricité compétitifs dans [l’Union]. [...] Elle définit également les obligations de service universel et les droits des consommateurs d’électricité, et clarifie les obligations en matière de concurrence. »

5        L’article 2 de ladite directive donne les définitions suivantes :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

3.      “transport”, le transport d’électricité sur le réseau à très haute tension et à haute tension interconnecté aux fins de fourniture à des clients finals ou à des distributeurs, mais ne comprenant pas la fourniture ;

4.      “gestionnaire de réseau de transport”, une personne physique ou morale responsable de l’exploitation, de la maintenance et, si nécessaire, du développement du réseau de transport dans une zone donnée et, le cas échéant, de ses interconnexions avec d’autres réseaux, et chargée de garantir la capacité à long terme du réseau à satisfaire une demande raisonnable de transport d’électricité ;

[...]

9.      “client final”, un client achetant de l’électricité pour sa consommation propre ;

[...] »

6        L’article 3 de la directive 2009/72, intitulé « Obligations de service public et protection des consommateurs », dispose, à son paragraphe 7 :

« Les États membres prennent les mesures appropriées pour protéger les clients finals et veillent en particulier à garantir une protection adéquate aux consommateurs vulnérables. [...] Ils garantissent un niveau de protection élevé des consommateurs, notamment en ce qui concerne [...] les mécanismes de règlement des litiges. [...] »

7        Aux termes de l’article 12 de cette directive, intitulé « Tâches des gestionnaires de réseau de transport » :

« Chaque gestionnaire de réseau de transport est tenu :

a)      de garantir la capacité à long terme du réseau de répondre à des demandes raisonnables de transport d’électricité, d’exploiter, d’entretenir et de développer, dans des conditions économiquement acceptables, des réseaux de transport sûrs, fiables et efficaces, en accordant toute l’attention requise au respect de l’environnement ;

b)      d’assurer les moyens appropriés pour répondre aux obligations de service ;

c)      de contribuer à la sécurité d’approvisionnement grâce à une capacité de transport et une fiabilité du réseau adéquates ;

d)      de gérer les flux d’électricité sur le réseau en tenant compte des échanges avec d’autres réseaux interconnectés. À cet effet, le gestionnaire de réseau de transport est tenu de garantir un réseau électrique sûr, fiable et efficace et, dans ce contexte, de veiller à la disponibilité de tous les services auxiliaires nécessaires, y compris ceux fournis en réponse à la demande, dans la mesure où cette disponibilité est indépendante de tout autre réseau de transport avec lequel son réseau est interconnecté ;

[...] »

8        L’article 32 de ladite directive, intitulé « Accès des tiers », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Le gestionnaire d’un réseau de transport ou de distribution peut refuser l’accès s’il ne dispose pas de la capacité nécessaire. [...] Les autorités de régulation, si les États membres le prévoient, ou les États membres, veillent à ce que ces critères soient appliqués de manière homogène et à ce que l’utilisateur du réseau auquel l’accès a été refusé puisse engager une procédure de règlement des litiges. [...] »

9        L’article 36 de la directive 2009/72, intitulé « Objectifs généraux de l’autorité de régulation », dispose :

« Aux fins des tâches de régulation définies dans la présente directive, l’autorité de régulation prend toutes les mesures raisonnables pour atteindre les objectifs suivants dans le cadre de ses missions et compétences définies à l’article 37, en étroite concertation, le cas échéant, avec les autres autorités nationales concernées, y compris les autorités de concurrence, et sans préjudice de leurs compétences :

[...]

g)      assurer que les clients bénéficient du fonctionnement efficace des marchés nationaux, promouvoir une concurrence effective et contribuer à garantir la protection des consommateurs ;

[...] »

10      Aux termes de l’article 37 de cette directive, intitulé « Missions et compétences de l’autorité de régulation » :

« 1.      L’autorité de régulation est investie des missions suivantes :

[...]

b)      assurer le respect, par les gestionnaires de réseau de transport et de distribution et, le cas échéant, les propriétaires de réseau, ainsi que par les entreprises d’électricité, des obligations qui leur incombent en vertu de la présente directive et des autres dispositions législatives [de l’Union] applicables, notamment en ce qui concerne les questions transfrontalières ;

[...]

h)      veiller au respect des règles régissant la sécurité et la fiabilité du réseau et évaluer leurs performances passées, et définir ou approuver des normes et exigences en matière de qualité de service et de fourniture, ou y contribuer en collaboration avec d’autres autorités compétentes ;

[...]

m)      surveiller le temps pris par les gestionnaires de réseau de transport et de distribution pour effectuer les raccordements et les réparations ;

n)      contribuer à garantir, en collaboration avec d’autres autorités compétentes, l’effectivité et la mise en œuvre des mesures de protection des consommateurs, y compris celles énoncées à l’annexe I ;

[...]

4.      Les États membres veillent à ce que les autorités de régulation disposent des pouvoirs nécessaires pour s’acquitter des missions visées aux paragraphes 1, 3 et 6 d’une manière efficace et rapide. À cet effet, l’autorité de régulation se voit confier au moins les compétences suivantes :

a)      prendre des décisions contraignantes à l’égard des entreprises d’électricité ;

[...]

d)      infliger des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives à l’encontre des entreprises d’électricité qui ne respectent pas les obligations qui leur incombent en vertu de la présente directive ou des décisions juridiquement contraignantes applicables de l’autorité de régulation ou de l’agence, ou proposer qu’une juridiction compétente inflige de telles sanctions. Ceci comprend le pouvoir d’infliger ou de proposer d’infliger au gestionnaire de réseau de transport ou à l’entreprise verticalement intégrée, selon le cas, des sanctions allant jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires annuel du gestionnaire de réseau de transport ou de l’entreprise verticalement intégrée, pour non-respect des obligations qui leur incombent en vertu de la présente directive ; et

e)      droits d’enquête appropriés et pouvoirs d’instruction nécessaires pour le règlement des litiges conformément aux paragraphes 11 et 12.

[...]

11.      Toute partie ayant un grief à faire valoir contre un gestionnaire de réseau de transport ou de distribution en ce qui concerne les obligations imposées audit gestionnaire par la présente directive peut s’adresser à l’autorité de régulation qui, agissant en tant qu’autorité de règlement du litige, prend une décision dans un délai de deux mois après la réception de la plainte. Ce délai peut être prolongé de deux mois lorsque l’autorité de régulation demande des informations complémentaires. Une nouvelle prolongation de ce délai est possible moyennant l’accord du plaignant. La décision de l’autorité de régulation est contraignante pour autant qu’elle ne soit pas annulée à la suite d’un recours.

[...] »

 Le droit néerlandais

11      L’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72 a été transposé, dans le droit néerlandais, à l’article 51, paragraphe 1, de la Wet houdende regels met betrekking tot de productie, het transport en de levering van elektriciteit (Elektriciteitswet 1998) [loi fixant les règles en matière de production, de fourniture et de transport d’électricité (loi sur l’électricité de 1998)], du 2 juillet 1998 (Stb. 1998, n° 427). Aux termes de cet article 51, paragraphe 1, « [u]ne partie qui a un différend avec un gestionnaire de réseau sur la manière dont celui-ci s’acquitte de ses fonctions et pouvoirs ou remplit ses obligations en vertu de la présente loi peut déposer une plainte auprès de l’[ACM] ».

 Le litige au principal et la question préjudicielle

12      Le 27 mars 2015, une panne généralisée du poste haute tension de 380 kV de Diemen (Pays-Bas), qui fait partie du réseau à haute tension dont TenneT TSO est le gestionnaire, a eu pour effet de priver d’électricité pendant plusieurs heures une grande partie de la province de Noord-Holland (Hollande-Septentrionale) et une petite partie de la province de Flevoland.

13      Cette panne a eu pour conséquence d’interrompre pendant plusieurs heures le transport d’électricité jusqu’à l’usine de Crown Van Gelder qui exploite, à Velsen-Noord (Pays-Bas), une usine de papeterie raccordée au réseau de distribution géré par Liander NV, lequel réseau est alimenté par le réseau à haute tension géré par TenneT TSO.

14      Affirmant qu’elle avait subi de ce fait un dommage, Crown Van Gelder a introduit une plainte devant l’ACM aux fins de faire constater que TenneT TSO n’avait pas mis en œuvre tout ce qui était raisonnablement en son pouvoir pour prévenir l’interruption du service de transport d’électricité et que la conception du réseau du poste de Diemen ne satisfaisait pas aux exigences légales.

15      Par décision du 30 avril 2018, l’ACM a déclaré cette plainte irrecevable au motif que Crown Van Gelder n’avait pas de relation directe avec TenneT TSO et ne pouvait, dès lors, être considérée comme une « partie ayant un différend avec un gestionnaire de réseau », au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la loi sur l’électricité de 1998. Elle a constaté, à cet égard, que l’usine de Crown Van Gelder n’était pas raccordée au réseau de TenneT TSO, que Crown Van Gelder n’avait pas conclu de contrat avec ce gestionnaire de réseau et qu’elle ne recevait pas de factures de celui-ci.

16      Crown Van Gelder a formé un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi, le College van Beroep voor het bedrijfsleven (cour d’appel du contentieux administratif en matière économique, Pays-Bas).

17      Cette juridiction expose que les parties au litige devant elle s’opposent sur l’interprétation de la notion de « toute partie au litige ayant un grief à faire valoir », au sens de l’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72. Devant trancher la question de savoir, en particulier, si une plainte peut être introduite par une personne morale qui exploite une entreprise raccordée au réseau régional, dont l’approvisionnement en électricité a été interrompu par une panne du réseau national qui alimente ce réseau régional, elle estime que la portée de cette disposition n’est pas à ce point claire qu’il n’existe aucun doute raisonnable quant à son interprétation.

18      C’est dans ces conditions que le College van Beroep voor het bedrijfsleven (cour d’appel du contentieux administratif en matière économique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72[...] doit-il être interprété en ce sens que cette disposition ouvre également le droit d’introduire une plainte contre le gestionnaire du réseau national (gestionnaire de réseau de transport) en faveur d’une partie lorsque cette partie est raccordée non pas au réseau de ce gestionnaire de réseau national concerné (gestionnaire de réseau de transport) mais exclusivement à un réseau régional (réseau de distribution) sur lequel le transport de l’électricité est interrompu par une panne sur le réseau national (réseau de transport) qui alimente le réseau régional (réseau de distribution) ? »

 Sur la question préjudicielle

19      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72 doit être interprété en ce sens que l’autorité de régulation peut rejeter une plainte introduite par un client final contre le gestionnaire d’un réseau de transport à la suite d’une panne survenue sur ce réseau de transport, au motif que l’installation de ce client final est raccordée non pas directement audit réseau de transport, mais uniquement à un réseau de distribution alimenté par celui-ci.

20      L’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72 prévoyant que toute partie ayant un grief à faire valoir contre un gestionnaire de réseau de transport ou de distribution en ce qui concerne les obligations imposées à ce gestionnaire par cette directive peut s’adresser à l’autorité de régulation qui, agissant en tant qu’autorité de règlement du litige, prend une décision dans un délai de deux mois après la réception de la plainte, il y a lieu, pour répondre à la question posée, d’interpréter la notion de « partie ayant un grief à faire valoir ».

21      Selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union, qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée, doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (arrêt du 19 décembre 2019, GRDF, C‑236/18, EU:C:2019:1120, point 30 et jurisprudence citée).

22      En l’occurrence, s’agissant tout d’abord du libellé de l’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72, il ressort de celui-ci que la compétence de l’autorité de régulation, prévue par cette disposition, est subordonnée expressément à deux conditions. D’une part, la plainte doit viser un gestionnaire de réseau de transport ou de distribution. D’autre part, le grief formulé dans cette plainte doit porter sur des obligations imposées au gestionnaire de réseau par cette directive.

23      En revanche, il ne ressort pas des termes de l’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72 que la compétence de l’autorité de régulation, sur le fondement de cette disposition, soit subordonnée à l’existence d’une relation directe entre le plaignant et le gestionnaire de réseau visé par ladite plainte.

24      À cet égard, il convient de faire observer qu’une interprétation de la notion de « partie ayant un grief à faire valoir » en ce sens qu’elle impliquerait une telle condition limiterait la portée de cette notion, alors que l’emploi du terme « toute », qui précède celui de « partie », indique au contraire que ladite notion doit être comprise de manière large. En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 30 à 32 de ses conclusions, le terme de « partie » ne désigne pas nécessairement une partie à un contrat, mais peut également être compris dans le « sens “procédural” » de ce terme, comme faisant référence à des personnes ayant un intérêt à saisir l’autorité de régulation. D’ailleurs, dans certaines versions linguistiques de cette disposition, d’autres termes que « partie » sont utilisés, tels que « Betroffene » (personne concernée) dans la version en langue allemande et « interessado » (personne intéressée) dans la version en langue portugaise, lesquels ne désignent pas une partie à un contrat.

25      En ce qui concerne, ensuite, le contexte de l’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72, il convient de relever qu’aucune disposition de celle-ci ne tend à restreindre la portée de la notion de « partie ayant un grief à faire valoir » en excluant de cette notion les personnes n’ayant pas de relation directe avec le gestionnaire de réseau concerné. Au contraire, l’article 32, paragraphe 2, de cette directive prévoit que l’utilisateur d’un réseau auquel l’accès a été refusé doit pouvoir engager une procédure de règlement des litiges, bien que, précisément, dans le cas d’un tel utilisateur, il n’existe pas de relation contractuelle entre l’intéressé et le gestionnaire de réseau.

26      Enfin, quant aux objectifs poursuivis par la directive 2009/72, il convient de relever qu’il découle des considérants 37, 42, 51 et 54 ainsi que de l’article 1er de cette directive que celle-ci vise à conférer aux régulateurs de l’énergie le pouvoir de garantir le plein effet des mesures de protection des consommateurs, à faire bénéficier tous les secteurs de l’industrie et du commerce ainsi que tous les citoyens de l’Union de niveaux élevés de protection des consommateurs et de mécanismes de règlement des litiges, à mettre les intérêts des consommateurs au cœur de ladite directive, à ce que les autorités de régulation, lorsque l’État membre leur confère cette compétence, veillent au respect des droits des consommateurs d’électricité ainsi qu’à mettre en œuvre des moyens de règlement des litiges efficaces et accessibles à tous les consommateurs.

27      De même, l’article 3, paragraphe 7, de la directive 2009/72 impose notamment aux États membres de garantir un niveau de protection élevé des consommateurs, en particulier en ce qui concerne les mécanismes de règlement des litiges, et l’article 36, sous g), de cette directive assigne aux autorités de régulation l’objectif de contribuer à garantir la protection des consommateurs (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 2020, Energiavirasto, C‑578/18, EU:C:2020:35, points 34 et 35).

28      Pour atteindre ces objectifs, l’article 37, paragraphe 1, sous b), de la directive 2009/72 donne mission à l’autorité de régulation d’assurer le respect, par les gestionnaires de réseau de transport et de distribution et, le cas échéant, par les propriétaires de réseau ainsi que par les entreprises d’électricité, des obligations qui leur incombent en vertu de cette directive et d’autres dispositions de l’Union applicables. À cette fin, l’autorité de régulation dispose notamment, en vertu de l’article 37, paragraphe 4, sous a), d) et e), de cette directive, du pouvoir de prendre des décisions contraignantes à l’égard des entreprises d’électricité et d’infliger des sanctions effectives ou de proposer qu’une juridiction compétente inflige de telles sanctions, ainsi que de droits d’enquête appropriés et des pouvoirs d’instruction nécessaires pour le règlement des litiges conformément à l’article 37, paragraphe 11, de ladite directive.

29      Dans le contexte de l’affaire au principal, il convient de faire observer également que, selon l’article 37, paragraphe 1, sous h) et m), de la directive 2009/72, l’autorité de régulation a pour mission de veiller au respect des règles régissant la sécurité et la fiabilité du réseau, d’évaluer leurs performances passées ainsi que de surveiller le temps pris par les gestionnaires de réseau de transport et de distribution pour effectuer les raccordements et les réparations.

30      Or, une limitation du droit de saisir l’autorité de régulation d’une plainte conformément à l’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72 aux seuls clients finals ayant un lien direct avec le gestionnaire de réseau concerné n’apparaît pas conforme aux objectifs rappelés aux points 26 et 27 du présent arrêt, en ce qu’elle restreint l’accès des consommateurs au mécanisme de règlement des litiges et, partant, les possibilités, pour cette autorité, d’accomplir les missions qui lui sont confiées, telles que celles exposées aux points 28 et 29 de cet arrêt.

31      En outre, s’agissant en particulier des gestionnaires de réseau de transport, il convient d’observer que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 47 de ses conclusions, les tâches et les obligations qui leur sont imposées par la directive 2009/72 ne concernent pas seulement les entités dont l’installation est raccordée à leur réseau. Ainsi, en particulier, l’article 12, sous a) à d), de cette directive leur impose notamment d’exploiter, d’entretenir et de développer, dans des conditions économiquement acceptables, des réseaux de transport sûrs, fiables et efficaces, d’assurer des moyens appropriés pour répondre aux obligations de service, de contribuer à la sécurité de l’approvisionnement grâce à une capacité de transport et une fiabilité du réseau adéquates ainsi que de gérer les flux d’électricité sur le réseau en tenant compte des échanges avec d’autres réseaux interconnectés.

32      Dès lors, une limitation du droit de saisir l’autorité de régulation d’une plainte conformément à l’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72 aux seuls clients finals ayant un lien direct avec le gestionnaire de réseau de transport concerné restreint, en particulier, la capacité de l’autorité de régulation à accomplir, grâce à une plainte, la mission dont elle est notamment investie et qui consiste à assurer le respect, par les gestionnaires de réseau de transport, des obligations qui leur incombent en vertu de cette directive.

33      Il découle de tout ce qui précède que la notion de « partie ayant un grief à faire valoir » ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle implique une relation directe entre le plaignant et le gestionnaire de réseau de transport visé par la plainte.

34      Ainsi, si l’article 37 de la directive 2009/72 n’impose pas aux États membres de conférer à l’autorité de régulation la compétence de régler les litiges entre les consommateurs d’électricité et les gestionnaires de réseau, mais leur permet d’attribuer cette compétence à une autre autorité (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 2020, Energiavirasto, C‑578/18, EU:C:2020:35, points 36 à 40 et 43), ladite compétence, lorsqu’elle est conférée par un État membre à l’autorité de régulation, ne saurait être subordonnée à l’existence d’une relation directe entre le plaignant et le gestionnaire de réseau visé par la plainte.

35      Par conséquent, dès lors qu’elle est saisie d’une plainte d’un client final invoquant le non-respect d’obligations imposées aux gestionnaires de réseau de transport par la directive 2009/72, l’autorité de régulation n’est pas fondée à rejeter cette plainte au motif que l’installation de ce client final est raccordée non pas directement à ce réseau de transport, mais uniquement à un réseau de distribution alimenté par celui-ci.

36      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72 doit être interprété en ce sens que l’autorité de régulation ne peut rejeter une plainte introduite par un client final contre le gestionnaire d’un réseau de transport, à la suite d’une panne survenue sur ce réseau, au motif que l’installation de ce client final est raccordée non pas directement audit réseau de transport, mais uniquement à un réseau de distribution alimenté par celui-ci.

 Sur les dépens

37      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

L’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE, doit être interprété en ce sens que l’autorité de régulation ne peut rejeter une plainte introduite par un client final contre le gestionnaire d’un réseau de transport, à la suite d’une panne survenue sur ce réseau, au motif que l’installation de ce client final est raccordée non pas directement audit réseau de transport, mais uniquement à un réseau de distribution alimenté par celui-ci.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.