Language of document : ECLI:EU:T:2008:537

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

28 novembre 2008(*)

« Aides d’État – Réductions de charges sociales en faveur des entreprises implantées sur le territoire de Venise et de Chioggia – Décision déclarant le régime d’aide incompatible avec le marché commun et imposant la récupération des aides versées – Recevabilité – Lien individuel – Conditions relatives à l’affectation des échanges intracommunautaires et à l’incidence sur la concurrence – Dérogations au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous b) à e), CE et de l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE – Qualification d’aide nouvelle ou d’aide existante – Principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime, d’égalité de traitement et de proportionnalité – Obligation de motivation »

Dans les affaires jointes T‑254/00, T‑270/00 et T‑277/00,

Hotel Cipriani SpA, établie à Venise (Italie), représentée initialement par Mes M. Marinoni, G. M. Roberti et F. Sciaudone, puis par Mes G. M. Roberti, F. Sciaudone et A. Bianchini, avocats,

partie requérante dans l’affaire T-254/00,

Società italiana per il gas SpA (Italgas), établie à Turin (Italie) représentée par Mes M. Merola, C. Tesauro, M. Pappalardo et T. Ubaldi, avocats,

partie requérante dans l’affaire T-270/00,

soutenue par

République italienne, représentée initialement par M. U. Leanza, puis par M. I. M. Braguglia, R. Adam et I. Bruni, en qualité d’agents, assistés de MM. P. Gentili et S. Fiorentino, avvocati dello Stato,

partie intervenante dans l’affaire T-270/00,

Coopservice – Servizi di fiducia Soc. coop. rl, établie à Cavriago (Italie),

Comitato « Venezia vuole vivere », établi à Venise,

représentés par Mes A. Bianchini et A. Vianello, avocats,

parties requérantes dans l’affaire T-277/00,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. V. Di Bucci, en qualité d’agent, assisté de MA. Dal Ferro, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2000/394/CE de la Commission, du 25 novembre 1999, concernant les mesures d’aides en faveur des entreprises implantées sur le territoire de Venise et de Chioggia, prévues par les lois n° 30/1997 et n° 206/1995 instituant des réductions de charges sociales (JO 2000, L 150, p. 50),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (sixième chambre élargie),

composé de MM. A. W. H. Meij (rapporteur), président, V. Vadapalas, N. Wahl, M. Prek et V. Ciucă, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 avril 2008,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

A –  Régime de réduction de charges sociales considéré

1        Le décret ministériel italien du 5 août 1994, notifié à la Commission, définit les critères d’attribution des réductions de charges sociales prévues par les dispositions visées à l’article 59 du décret du président de la République italien du 6 mars 1978, instituant un régime spécial de réduction de charges sociales dues par les employeurs à l’Istituto Nazionale de la Previdenza Sociale (INPS, Institut national de la prévoyance sociale), dans le Mezzogiorno, pour la période comprise entre 1994 et 1996.

2        Par décision 95/455/CE, du 1er mars 1995, relative aux dispositions en matière de réductions dans le Mezzogiorno des charges sociales grevant les entreprises et de prise en charge par le fisc de certaines de ces charges (JO L 265, p. 23), la Commission a déclaré le régime de réduction de charges sociales mentionné au point précédent compatible avec le marché commun, sous réserve du respect d’un certain nombre de conditions. Cette décision prévoyait notamment que les autorités italiennes devaient communiquer à la Commission les dispositions adoptées pour la mise en place du plan de suppression progressive, imposé par cette même décision, du régime d’aide considéré.

3        Le régime de réduction de charges sociales en cause en l’espèce a été institué par la loi italienne n° 206/1995 étendant, pour les années 1995 et 1996, le régime d’aide prévu par le décret ministériel du 5 août 1994, précité, aux entreprises implantées sur le territoire insulaire de Venise et de Chioggia. La loi italienne n° 30/1997 a prolongé ce régime, pour 1997, en faveur des entreprises établies tant dans les régions du Mezzogiorno que sur le territoire insulaire de Venise et de Chioggia.

4        L’article 1er du décret ministériel du 5 août 1994 prévoit une réduction générale de charges sociales dues par les employeurs. Quant à l’article 2 de ce même décret, il prévoit une exonération de charges sociales pour les nouveaux emplois créés dans les entreprises, pendant une durée d’un an à compter de la date d’engagement d’un travailleur sans emploi.

5        Il ressort de la décision 2000/394/CE de la Commission, du 25 novembre 1999, concernant les mesures d’aides en faveur des entreprises implantées sur le territoire de Venise et de Chiogga, prévues par les lois n° 30/1997 et n° 206/1995 instituant des réductions de charges sociales (JO 2000, L 150, p. 50, ci-après la « décision attaquée »), que, selon les données fournies par l’INPS pour la période considérée comprise entre 1995 et 1997, les réductions de charges sociales accordées à des entreprises situées sur le territoire de Venise et de Chioggia, en application de l’article 1er du décret ministériel du 5 août 1994, se sont élevées à 73 milliards de lires italiennes (ITL) (37,7 millions d’euros) par an en moyenne, réparties entre 1 645 entreprises. Les exonérations accordées à des entreprises situées sur le territoire insulaire de Venise ou de Chioggia en application de l’article 2 de ce décret se sont élevées à 567 millions de ITL (292 831 euros) par an, réparties entre 165 entreprises.

B –  Procédure administrative

6        Par lettre du 10 juin 1997, les autorités italiennes ont communiqué la loi n° 30/1997, susvisée, à la Commission, conformément aux dispositions de la décision 95/455 (voir point 2 ci-dessus). Par lettre du 1er juillet 1997, suivie d’un rappel daté du 28 août 1997, la Commission a demandé des renseignements complémentaires concernant l’extension du champ d’application du régime de réduction de charges sociales susmentionné en faveur des entreprises implantées à Venise et à Chioggia.

7        À défaut de réponse, la Commission a communiqué à la République italienne, par lettre du 17 décembre 1997, sa décision d’ouvrir la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE à l’égard des aides prévues par les dispositions des lois n° 206/1995 et n° 30/1997, qui étendaient le champ d’application des réductions de charges sociales prévues pour le Mezzogiorno au territoire insulaire de Venise et de Chioggia.

8        Les autorités italiennes ont suspendu le régime de réduction de charges sociales considéré le 1er décembre 1997.

9        La décision d’ouvrir la procédure a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 18 février 1998. Par lettre du 17 mars 1998, le requérant, le Comitato « Venezia vuole vivere » (ci-après le « comité »), une association qui regroupe les principales organisations d’opérateurs industriels et commerciaux de Venise et qui a été constituée à la suite de l’ouverture de la procédure formelle d’examen susvisée afin de coordonner les actions visant à remédier à la situation désavantageuse des opérateurs implantés à Venise , a présenté ses observations et a transmis un rapport, accompagné d’une étude réalisée par le Consorzio per la ricerca e la formazione (COSES, consortium pour la recherche et la formation, datée du mois de mars 1998 et portant sur les difficultés rencontrées par les entreprises opérant sur le territoire de la lagune, par rapport à celles implantées sur la terre ferme. Le 18 mai 1998, la municipalité de Venise a également présenté des observations, accompagnées d’une première étude effectuée par le COSES sur le même sujet, datée du mois de février 1998. Dans ses observations, elle a souligné que parmi les bénéficiaires figuraient les entreprises municipales chargées de la prestation d’un service d’intérêt économique général. Elle invoquait en leur faveur l’application de l’article 86, paragraphe 2, CE. L’ensemble de ces observations a été transmis à la République italienne.

10      Les autorités italiennes ont présenté leurs observations par lettre du 23 janvier 1999. Par lettre du 10 juin 1999, elles ont informé la Commission qu’elles faisaient siennes les observations transmises par la municipalité de Venise.

11       Par décision du 23 juin 1999, la Commission a enjoint à la République italienne de lui fournir tous les documents et informations nécessaires afin de préciser le rôle des entreprises municipales et d’apprécier la compatibilité des mesures de réduction de charges sociales considérées avec le marché commun. Les autorités italiennes ont répondu par lettre du 27 juillet 1999. Le 12 octobre 1999, une réunion s’est tenue à Bruxelles entre ces autorités et les représentants de la Commission.

C –  Décision attaquée

12      Dans la décision attaquée, la Commission considère que constituent des aides d’État compatibles avec le marché commun les réductions de charges sociales prévues par les lois susmentionnées, qui renvoient à l’article 2 du décret ministériel du 5 août 1994, lorsque ces réductions ont été accordées à des entreprises, implantées sur les territoires de Venise et de Chioggia, qui sont soit des petites et moyennes entreprises (PME) au sens de l’encadrement communautaire des aides d’État aux PME (JO 1996, C 213, p. 4), soit des entreprises implantées dans une zone habilitée à bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, soit des entreprises employant des catégories de travailleurs qui éprouvent des difficultés particulières d’insertion ou de réinsertion sur le marché du travail, conformément aux lignes directrices concernant les aides à l’emploi (JO 1995, C 334, p. 4 ; article 1er, premier alinéa, et considérant 105 de la décision attaquée).

13      S’agissant de la qualification d’aide d’État, la Commission déclare, dans les conclusions qu’elle tire de son appréciation des mesures considérées dans la motivation de la décision attaquée (considérant 110), que les mesures qui respectent la règle de minimis n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 87 CE, sauf dans les secteurs couverts par le traité CECA, ainsi que dans les secteurs de la construction navale, des transports, de l’agriculture et de la pêche, conformément à sa communication relative aux aides de minimis (JO 1996, C 68, p. 9).

14      Aux termes de l’article 1er, second alinéa, de la décision attaquée, sont incompatibles avec le marché commun les aides prévues à l’article 2 du décret ministériel du 5 août 1994, si elles ont été accordées à des entreprises qui ne sont pas des PME et qui ne sont pas implantées dans des zones habilitées à bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

15      Selon l’article 2 de la décision attaquée, constituent des aides d’État incompatibles avec le marché commun les réductions de charges sociales prévues à l’article 1er du décret ministériel du 5 août 1994, accordées aux entreprises implantées sur le territoire de Venise et de Chioggia.

16      Aux termes de l’article 3 de la décision attaquée, les aides accordées par la République italienne à l’entreprise municipale ASPIV (Azienda servizi publici idraulici e vari Venezia) et au Consorzio Venezia nuova sont compatibles avec le marché commun en vertu, respectivement, de la dérogation prévue à l’article 86, paragraphe 2, CE et de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE.

17      L’article 4 de la décision attaquée énonce que les mesures mises en œuvre par la République italienne en faveur des entreprises municipales ACTV (Azienda del conzorzio trasporti veneziano) et AMAV (Azienda multiservizi ambientali Venezia) et de Panfido SpA ne constituent pas des aides au sens de l’article 87 CE.

18      À l’article 5 de la décision attaquée, la Commission impose à la République italienne de récupérer auprès des bénéficiaires les aides incompatibles avec le marché commun, mentionnées à l’article 1er, second alinéa, et à l’article 2 de cette décision, qui leur ont été illégalement octroyées.

19      La décision attaquée a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 23 juin 2000.

 Procédure et conclusions des parties

20      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement les 16 et 18 septembre 2000, les requérants ont introduit les présents recours.

21      Par ailleurs, 56 recours ont également été formés par d’autres parties requérantes contre la décision attaquée, dans les délais prescrits.

22      Par actes séparés déposés au greffe du Tribunal le 19 janvier 2001, la Commission a soulevé des exceptions d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

23      Par décision du 25 janvier 2001, le Tribunal a renvoyé les affaires devant la deuxième chambre élargie, conformément à l’article 51, paragraphe 1, du règlement de procédure.

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 mars 2001, la République italienne a demandé à intervenir, dans l’affaire T-270/00, au soutien des conclusions de la requérante, la Società italiana per il gas SpA (Italgas). Par ordonnance du 19 juin 2001, le président de la deuxième chambre élargie a admis cette intervention.

25      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, le Tribunal, eu égard à la complexité des critères de compatibilité énoncés dans la décision attaquée, a invité la République italienne à préciser, pour chacun des requérants dans les présentes affaires ainsi que dans les 56 affaires connexes susmentionnées, si elle s’estimait tenue, en exécution de l’article 5 de la décision attaquée, de récupérer les aides litigieuses versées.

26      À la suite des réponses de la République italienne du 25 septembre 2003 et du 24 mars 2004, le Tribunal a déclaré 22 recours totalement irrecevables et 6 recours partiellement irrecevables, à l’égard des entreprises requérantes ne justifiant pas d’un intérêt à agir dans la mesure où les autorités nationales compétentes avaient estimé, lors de l’exécution de la décision attaquée, que ces entreprises n’avaient pas bénéficié d’une aide incompatible avec le marché commun et soumise à une obligation de récupération, en vertu de cette décision (ordonnances du Tribunal du 10 mars 2005, Gruppo ormeggiatori del porto di Venezia e.a./Commission, T-228/00, T-229/00, T-242/00, T‑243/00, T‑245/00 à T-248/00, T‑250/00, T-252/00, T‑256/00 à T‑259/00, T‑265/00, T-267/00, T-268/00, T‑271/00, T‑274/00 à T-276/00, T‑281/00, T-287/00 et T‑296/00, Rec. p. II‑787 ; Confartigianato Venezia e.a./Commission, T‑266/00 ; Baglioni Hotels et Sagar/Commission, T‑269/00 ; Unindustria e.a./Commission, T‑273/00, et Principessa/Commission, T‑288/00, non publiées au Recueil).

27      Le 12 mai 2005, une réunion informelle s’est tenue devant le juge rapporteur, avec la participation des représentants des parties, dans les 37 affaires dans lesquelles le recours n’avait pas été déclaré totalement irrecevable. Les parties représentées ont présenté leurs observations et marqué leur accord sur le choix de 4 affaires pilotes. À la suite de cette réunion informelle, les présentes affaires (T-254/00, T-270/00 et T-277/00) et l’affaire T-221/00 ont été désignées comme affaires pilotes.

28      Dans 29 des autres affaires connexes, le Tribunal a ordonné la suspension de la procédure à la demande conjointe des parties.

29      Par ordonnance du 12 septembre 2005, le président de la deuxième chambre élargie, les parties entendues, a joint les affaires T-254/00, T-270/00 et T-277/00 aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l’arrêt, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

30      Les procédures écrites sur les exceptions d’irrecevabilité se sont achevées par le dépôt, entre le 5 et le 23 décembre 2005, des observations écrites des requérants dans les trois affaires jointes, ainsi que celles de la République italienne dans l’affaire T-270/00.

31      Par ordonnance du 18 mai 2006, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé de joindre l’examen des exceptions d’irrecevabilité au fond. La procédure écrite s’est achevée le 23 février 2007 dans les affaires T-254/00 et T-277/00, et le 26 novembre 2007 dans l’affaire T-270/00.

32      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre élargie, à laquelle les présentes affaires ont, par conséquent, été attribuées.

33      M. le juge T. Tchipev étant empêché de siéger, le président du Tribunal a désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure, M. le juge N. Wahl pour compléter la chambre.

34      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre élargie), a décidé d’ouvrir la procédure orale. La Commission a produit les documents demandés dans le délai imparti.

35      Par ordonnance du 14 octobre 2008, l’affaire T-221/00 a été radiée à la suite du désistement de la requérante.

36      La requérante dans l’affaire T-254/00 conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        subsidiairement, annuler l’article 5 de cette décision ;

–        plus subsidiairement encore, annuler l’article 5 de la décision attaquée dans la mesure où l’obligation de récupération qu’il énonce englobe les aides allouées sur la base de la règle de minimis ; et/ou annuler cet article en ce qu’il prévoit le versement d’un intérêt à un taux supérieur au taux effectivement versé par elle sur ses propres dettes ;

–        condamner la Commission aux dépens.

37      La requérante dans l’affaire T-270/00 conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les articles 1er et 2 de la décision attaquée, en ce qu’ils déclarent incompatibles avec le marché commun les aides accordées sous la forme d’exonérations fiscales prévues par le décret ministériel du 5 août 1994 ;

–        annuler l’article 5 de cette décision ;

–        condamner la Commission aux dépens.

38      Les requérants dans l’affaire T-277/00 concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans les limites de leur intérêt ;

–        subsidiairement, annuler l’article 5 de la décision attaquée, en ce qu’il impose une obligation de récupérer le montant des réductions de charges sociales considérées et en ce qu’il prévoit de majorer ce montant d’intérêts pour la période considérée dans la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

39      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours comme irrecevables ou non fondés ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 Sur la recevabilité

40      À l’appui de son exception d’irrecevabilité, la Commission invoque l’absence de qualité pour agir tant des sociétés requérantes que du comité. Au préalable, elle soulève une exception de litispendance à l’encontre du recours formé par le comité dans l’affaire T-277/00.

A –  Sur la litispendance alléguée dans l’affaire T-277/00

1.     Arguments des parties

41      À l’appui de son exception d’irrecevabilité soulevée contre le recours formé par le comité dans l’affaire T-277/00, la Commission a invoqué l’identité à tous égards de ce recours et du recours qu’il a formé dans l’affaire T-274/00. En outre, elle a fait valoir que le présent recours dans l’affaire T-277/00 tendait à l’annulation de la même décision et se fondait sur des moyens en grande partie analogues à ceux avancés dans l’affaire T-231/00. Le recours dans l’affaire T-277/00 devrait dès lors être déclaré irrecevable en ce qu’il a été formé par le comité, en partie pour cause de litispendance en ce qui concerne la production de moyens identiques et en partie pour violation de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, pour ce qui est de la production de moyens nouveaux.

42      Le comité objecte que son recours est recevable.

2.     Appréciation du Tribunal

43      Le comité s’étant désisté de son recours dans l’affaire T-274/00 (ordonnance de radiation du 12 septembre 2005, Comitato « Venezia vuole vivere »/Commission, T-274/00), l’exception d’irrecevabilité tirée de la litispendance conserve uniquement un objet au regard du recours conjoint formé par Adriatica di navigazione SpA et par le comité dans l’affaire T-231/00. Cependant, il convient de relever que le comité a introduit le recours dans l’affaire T-277/00 conjointement avec Coopservice – Servizi di fiducia Soc. coop. rl, de sorte que, même si la litispendance alléguée était établie, elle n’aurait aucune incidence sur la recevabilité de ce recours en ce qu’il a été formé par Coopservice, et en particulier sur les moyens de fond examinés en l’espèce par le Tribunal, puisque ceux-ci ont été invoqués conjointement par les deux requérants. Dans ces circonstances, le Tribunal ne saurait en principe être tenu d’examiner l’exception de litispendance soulevée en l’occurrence par la Commission.

44      En tout état de cause, il convient de relever que le recours formé notamment par le comité dans l’affaire T-277/00 et tendant à l’annulation de la même décision ne se fonde pas sur les mêmes moyens que ceux invoqués à l’appui du recours qu’il avait introduit antérieurement dans l’affaire T-231/00. Il s’ensuit que les conditions auxquelles la jurisprudence subordonne l’existence d’une litispendance ne sont pas réunies en l’espèce (voir, en ce sens, ordonnance Gruppo ormeggiatori del porto di Venezia e.a./Commission, point 26 supra, point 41, et la jurisprudence citée). En effet, il convient de constater qu’une série de moyens, tirés de la violation de l’article 88, paragraphe 3, CE ainsi que de l’article 15 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1), et de la violation de l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE, de l’article 87, paragraphe 3, sous b), CE et de l’article 87, paragraphe 3, sous e), CE, sont uniquement invoqués dans l’affaire T-277/00.

45      S’agissant en particulier du moyen tiré de la violation de l’article 88, paragraphe 3, CE et de l’article 15 du règlement n° 659/1999, susmentionné, il est à noter que ce moyen, qui vise à établir que le régime d’aide considéré constitue une aide existante se fonde sur la continuité alléguée des lois n°s 206/1995 et 30/1997, instituant ce régime d’aide, avec une législation antérieure qui prévoyait également, sous certaines conditions, des exonérations de charges sociales en faveur des entreprises établies dans certaines régions d’Italie. En revanche, le moyen tiré de la nature d’aide existante du régime d’aide considéré, invoqué dans l’affaire T-231/00, se fonde sur l’idée distincte que le régime d’aide considéré n’a été institué, pour ce qui est de l’activité de cabotage interne, qu’après la libéralisation de ce secteur par le droit communautaire, en 1999 (arrêt du Tribunal du 15 juin 2000, Alzetta e.a./Commission, T‑298/97, T‑312/97, T‑313/97, T‑315/97, T‑600/97 à T‑607/97, T‑1/98, T‑3/98 à T‑6/98 et T‑23/98, Rec. p. II‑2319, points 143 et 167). Il s’ensuit que les argumentations du comité invoquées respectivement dans les affaires T-231/00 et T-277/00 et tendant à démontrer que le régime d’aide considéré constituait une aide existante doivent être analysées comme des moyens distincts.

46      Par ailleurs, contrairement à l’interprétation de la Commission, l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure fait uniquement obstacle à la production de moyens nouveaux en cours d’instance, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Il est privé de toute pertinence aux fins de l’appréciation de la recevabilité d’un recours ayant le même objet, opposant les mêmes parties mais fondé sur des moyens distincts de ceux invoqués dans un recours antérieur. La jurisprudence (voir point 44 ci-dessus) ne subordonne pas la recevabilité d’un tel recours à la survenance d’éléments de droit ou de fait nouveaux. En effet, la recevabilité d’un recours se heurte uniquement à la litispendance lorsque ce recours oppose les mêmes parties, tend à l’annulation de la même décision et se fonde sur les mêmes moyens qu’un recours antérieur.

47      La fin de non-recevoir fondée sur l’exception de litispendance doit dès lors être rejetée.

B –  Sur l’absence alléguée de qualité pour agir des entreprises requérantes dans les affaires T-254/00, T-270/00 et T-277/00

1.     Arguments des parties

48      La Commission soutient que les entreprises requérantes ne sont pas individuellement concernées par la décision attaquée, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

49      Selon la Commission, les bénéficiaires d’un régime d’aide ne sont pas individuellement concernés par une décision constatant l’incompatibilité de ce régime et ordonnant la récupération des aides versées, car une telle décision présente une portée générale.

50      La Commission rappelle que les bénéficiaires potentiels d’un régime d’aide ne sont pas individuellement concernés par une décision déclarant ce régime incompatible avec le marché commun. En outre, le juge communautaire aurait jugé irrecevable le recours formé par un bénéficiaire d’un régime d’aide illégal contre la décision par laquelle la Commission avait déclaré ce régime incompatible avec le marché commun, mais n’avait pas imposé la récupération des aides versées (arrêt de la Cour du 2 février 1988, Kwekerij van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, point 15).

51      Or, selon la Commission, l’imposition d’une obligation de récupération ne modifie pas la nature de sa décision et ne permet dès lors pas de considérer que les bénéficiaires du régime d’aide sont individuellement concernés.

52      À cet égard, l’arrêt de la Cour du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission (C‑15/98 et C‑105/99, Rec. p. I-8855), devrait être lu à la lumière de la situation particulière de la requérante, Sardegna Lines – Servizi Marittimi della Sardegna SpA. Cette dernière aurait en réalité bénéficié d’une aide individuelle, octroyée formellement dans le cadre d’un régime d’aide. En effet, le régime d’aide considéré aurait été applicable à un nombre très restreint d’entreprise et Sardegna Lines aurait bénéficié d’une grande partie des aides versées (au moins 9,6 milliards de ITL) sur un total de 12 697 450 000 ITL). Par ailleurs, le régime d’aide considéré se serait caractérisé par le large pouvoir discrétionnaire dont disposaient les autorités nationales en vue de l’octroi d’aides individuelles en exécution de ce régime.

53      De même, dans son arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission (C‑298/00 P, Rec. p. I-4087, point 39), la Cour aurait admis que les entreprises bénéficiaires du régime d’aide considéré étaient individuellement concernées, dans la mesure où la Commission connaissait le nombre des demandes retenues et le montant des crédits prévus pour les aides en cause. En outre, ce régime d’aide aurait été mis en œuvre au moyen de décisions individuelles.

54      Quant à la solution retenue dans l’arrêt de la Cour AELE du 21 juillet 2005, Fesil and Finnfjord e.a./Autorité de surveillance de l’AELE (affaires jointes E-5/04, E-6/04 et E-7/04), invoqué par la requérante, l’Hotel Cipriani SpA, elle ne serait pas transposable en l’espèce, dans la mesure où les règles relatives aux rapports entre les États membres de l’Association européenne de libre échange (AELE), l’Autorité de surveillance et la Cour AELE ne comportent pas de disposition semblable à l’article 234 CE, prévoyant la possibilité d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité des actes des institutions.

55      Par ailleurs, dans son ordonnance Gruppo ormeggiatori del porto di Venezia e.a./Commission, point 26 supra (points 29 et suivants), le Tribunal aurait déclaré certains recours irrecevables, tout en admettant la possibilité pour la Commission de contester le défaut de récupération par l’État membre concerné des aides versées. L’irrecevabilité de ces recours n’aurait donc pas dépendu de la récupération ou de l’absence de récupération des aides auprès des requérantes. Enfin, dans son arrêt du 23 février 2006, Atzeni e.a. (C‑346/03 et C-529/03, Rec. p. I‑1875, points 33 et 34), la Cour aurait estimé qu’il n’était pas manifeste qu’un recours en annulation introduit par des bénéficiaires de régimes d’aides destinées à des catégories de personnes définies de manière générale, contre une décision de la Commission imposant la récupération des aides versées, serait recevable.

56      La Commission estime dès lors que les arrêts Italie et Sardegna Lines/Commission, points 52 supra, et Italie/Commission, point 53 supra, ne modifient pas une jurisprudence constante, selon laquelle les recours de personnes physiques ou morales contre des décisions relatives à des régimes d’aide seraient irrecevables.

57      À cet égard, la Commission admet cependant que, lorsque la mise en œuvre du régime d’aide considéré nécessite l’adoption de mesures individuelles d’exécution impliquant un pouvoir d’appréciation de l’autorité administrative compétente, les bénéficiaires effectifs d’un tel régime peuvent être considérés comme individuellement concernés par la décision de la Commission constatant son incompatibilité avec le marché commun et ordonnant la récupération des aides versées.

58      En l’espèce, les requérants ne seraient pas individuellement concernées par la décision attaquée pour deux motifs. D’une part, les réductions de charges sociales considérées auraient été accordées automatiquement à toutes les entreprises implantées sur le territoire de Venise ou de Chioggia.

59      D’autre part, la décision attaquée concernerait un nombre indéterminé et indéterminable d’entreprises, en fonction de leurs caractéristiques objectives, à savoir qu’elles emploient des salariés et exercent leur activité dans une zone géographique déterminée. Même si, lors de l’adoption de la décision attaquée, la Commission était peut-être, comme le soutiennent les requérants, théoriquement en mesure de déterminer les entreprises bénéficiaires, avec l’aide des autorités nationales, il lui aurait appartenu d’examiner le régime d’aide, et non chaque cas d’application spécifique. La seule exception aurait concerné les entreprises municipales dont la situation avait été exposée de manière spécifique dans les observations de la municipalité de Venise que le gouvernement italien a faites siennes. La Commission aurait dès lors analysé la situation particulière de ces entreprises, qui, à la différence des requérants, seraient de ce fait individuellement concernées par la décision attaquée.

60      En revanche, la Commission n’ayant pas été en mesure d’établir, sur la base des tableaux fournis par l’INPS, les réductions dont avait bénéficié individuellement chaque entreprise, elle n’aurait pas pu constater l’octroi d’aides à chacun des bénéficiaires. L’État membre concerné serait dès lors chargé d’identifier les entreprises bénéficiaires tenues, en exécution de la décision attaquée, de restituer les aides reçues. Cette identification exigerait une analyse complexe fondée sur une série de critères d’appréciation. Il incomberait en effet aux autorités nationales d’appliquer, dans chaque cas individuel, les conditions relatives à l’existence d’une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, ainsi que les critères énoncés de manière générale et abstraite dans la décision attaquée.

61      Un tel contrôle devrait être effectué par les autorités nationales compétentes dans le cadre d’une collaboration loyale avec la Commission. En cas de divergence, la Commission pourrait saisir la Cour en application de l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE. Quant aux bénéficiaires de la mesure en cause, il leur serait loisible de contester devant le juge national d’éventuelles décisions de récupération prises contre eux, en soulevant des exceptions d’illégalité de la décision de la Commission. Leur protection juridictionnelle serait assurée par l’article 234 CE.

62      Pour l’ensemble de ces raisons, et à la différence de la décision examinée dans l’arrêt Italie/Commission, point 53 supra, la décision attaquée aurait laissé ouverte la possibilité que certaines des réductions de charges sociales considérées échappent à la qualification d’aide d’État ou constituent des aides compatibles avec le marché commun. En effet, en l’espèce, la Commission n’aurait pas constaté l’octroi d’aides d’État à chacun des bénéficiaires et n’aurait donc pas déterminé les entreprises tenues de restituer les aides perçues au titre du régime considéré.

63      La Commission en déduit que les entreprises requérantes ne présentent pas de qualités ou de caractéristiques particulières qui auraient été mises en évidence dans la décision attaquée, et qu’elles ne peuvent pas invoquer de préjudice spécifique. Elles ne sauraient dès lors être considérées comme individuellement concernées par la décision attaquée.

64      Les requérants et la République italienne, qui intervient au soutien des conclusions d’Italgas et se rallie à ses observations, rappellent que les entreprises requérantes ont fait l’objet d’une décision de récupération des aides reçues, lors de l’exécution de la décision attaquée. Dans des circonstances similaires, le juge communautaire aurait admis l’existence d’un lien individuel.

65      En premier lieu, l’ensemble des requérants et la République italienne allèguent que, contrairement aux allégations de la Commission, la décision attaquée ne présente pas de portée générale et abstraite, car les bénéficiaires effectifs d’un régime d’aide constituent un cercle fermé et sont identifiables lors de l’adoption de cette décision. Or, l’adoption d’une décision prévoyant la récupération des aides incompatibles, afin de supprimer leurs effets, impliquerait que la Commission vérifie au préalable les effets de ces aides. Les requérants précisent à cet égard qu’il suffit que les entreprises bénéficiaires puissent être identifiées par les autorités nationales compétentes, lors de la procédure de récupération. Les bénéficiaires effectifs pourraient être considérés comme les destinataires directs de la décision de la Commission. Par ailleurs, l’Hotel Cipriani et Italgas contestent que, lors de l’exécution de cette décision, les autorités nationales soient habilitées à vérifier dans chaque cas individuel si les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE sont réunies (voir points 124 et 138 ci-après).

66      En second lieu, l’Hotel Cipriani et Coopservices font également valoir qu’une décision de la Commission relative à un régime d’aide et imposant la récupération des aides versées affecte individuellement les intérêts des bénéficiaires actuels de l’aide et constitue à leur égard un acte faisant grief.

67      L’ensemble des requérants écarte l’argument de la Commission selon lequel les particuliers bénéficieraient d’une protection juridictionnelle effective devant le juge national. La procédure du renvoi préjudiciel devant la Cour leur offrirait des possibilités beaucoup moins larges de faire valoir leurs arguments. De plus, il ne serait nullement garanti que le juge national procédera à un renvoi préjudiciel.

68      La République italienne souligne que les réductions de charges sociales considérées étaient accordées aux entreprises à la seule condition qu’elles soient implantées sur le territoire insulaire de Venise ou de Chioggia. Dans ce contexte, il n’aurait existé, lors de l’adoption de la décision attaquée, aucune incertitude relative à l’identité des bénéficiaires tenus de restituer l’aide perçue.

2.     Appréciation du Tribunal

69      La Commission reconnaît à bon droit l’existence, en l’espèce, d’un lien direct au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE. Elle souligne que les autorités italiennes sont tenues, en vertu de la décision attaquée, de supprimer les aides déclarées incompatibles et de récupérer les aides incompatibles illégalement octroyées. Elle admet que ces autorités ne disposent d’aucun pouvoir d’appréciation lors de l’exécution de la décision attaquée.

70      En revanche, la Commission estime que les bénéficiaires effectifs d’un régime d’aide illégal ne sont en règle générale pas individuellement concernés par une décision constatant l’incompatibilité de ce régime et ordonnant la récupération des aides versées, car une telle décision se fonde en principe sur une analyse générale et abstraite dudit régime. Elle explique l’absence alléguée de lien individuel par le fait que le nombre de bénéficiaires ne serait pas déterminable. Lors de l’exécution de la décision ordonnant la récupération des aides reçues, l’État membre concerné serait dès lors chargé d’identifier les entreprises bénéficiaires tenues de les restituer.

71      En premier lieu, la Commission conteste ainsi que la jurisprudence consacre la qualité pour agir des bénéficiaires effectifs d’un régime d’aide contre la décision constatant l’incompatibilité de ce régime et ordonnant la récupération des aides déclarées incompatibles. Elle suggère de restreindre cette qualité pour agir aux cas dans lesquels le régime d’aide est mis en œuvre au moyen de décisions individuelles (voir point 56 ci-dessus).

72      En second lieu, la Commission propose de reconnaître aux autorités nationales, lors de l’exécution d’une décision constatant l’incompatibilité d’un régime d’aide illégal, la compétence de vérifier dans chaque cas individuel si les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE relatives à l’exercice d’une activité économique, à l’affectation des échanges intracommunautaires et à l’incidence sur la concurrence sont réunies.

73      Il convient de relever, à titre liminaire, qu’une décision de la Commission relative à un régime d’aide illégal et imposant la récupération des aides versées présente, ainsi que le fait valoir la Commission, une portée générale à l’égard des bénéficiaires effectifs de ce régime, dans la mesure où elle s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard des bénéficiaires dudit régime envisagés de manière générale et abstraite. En effet, la seule circonstance que les bénéficiaires effectifs d’un tel régime soient identifiables n’entraîne aucune obligation pour la Commission de prendre leur situation individuelle en considération. Partant, une décision relative à un régime d’aide se fonde en principe sur un contrôle général et abstrait du régime d’aide en cause, lequel constitue lui-même un acte de portée générale (voir points 83, 209, 229 et 230 ci-après). Elle revêt, dès lors, une portée distincte de celle, par exemple, d’une décision au titre de l’article 81 CE, laquelle peut être considérée comme un faisceau de décisions individuelles destinées aux entreprises concernées (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., C‑310/97 P, Rec. p. I‑5363, points 39, 49 et 63). En particulier, le fait que la décision de la Commission impose de manière générale et abstraite la récupération d’aides versées n’est pas de nature à conférer à cette décision la nature d’un faisceau de décisions individuelles (voir, par analogie, l’ordonnance de la Cour 8 avril 2008, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission, C‑503/07 P, non encore publiée au Recueil, point 72). En revanche, lorsque la Commission examine la situation individuelle de certains bénéficiaires effectifs d’un régime d’aide, sa décision présente à l’égard de ces derniers un caractère individuel.

74      En outre, il n’est pas exclu que, dans certaines circonstances, les dispositions d’un acte de portée générale puissent concerner individuellement certaines personnes physiques ou morales, lorsque celles-ci sont atteintes en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne (arrêt de la Cour du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C‑309/89, Rec. p. I‑1853, points 19 à 21, arrêt du Tribunal du 7 novembre 1996, Roquette Frères/Conseil, T‑298/94, Rec. p. II‑1531, point 37, et ordonnance du Tribunal du 11 septembre 2007, Fels-Werke e.a./Commission, T‑28/07, non encore publiée au Recueil, point 60).

75      Dans ce contexte juridique, il y a lieu d’examiner la position de la Commission, au regard tant des critères jurisprudentiels d’appréciation de l’existence d’un lien individuel, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, que du système de contrôle préalable des aides d’État tel qu’il a été institué par le traité et interprété par la jurisprudence. À cette fin, il convient d’apprécier tout d’abord la pertinence du critère relatif aux modalités d’application du régime d’aide à la lumière de la jurisprudence fondée sur les arrêts Italie et Sardegna Lines/Commission, point 52 supra, et Italie/Commission, point 53 supra, ainsi qu’au regard du système de contrôle des aides d’État. Le Tribunal examinera ensuite l’argumentation de la Commission relative à l’étendue des compétences de l’État membre concerné lors de l’exécution de la décision déclarant incompatible avec le marché commun un régime d’aide illégal et ordonnant la récupération des aides versées.

a)     Appréciation du critère relatif aux modalités d’application du régime d’aide à la lumière de la jurisprudence

76      S’agissant tout d’abord de la jurisprudence, il convient de relever au préalable que, contrairement à l’affirmation de la Commission, la Cour n’a pas exclu la qualité pour agir des bénéficiaires effectifs d’un régime d’aide illégal contre une décision déclarant ce régime incompatible et imposant la récupération des aides versées. À cet égard, l’arrêt Kwekerij van der Kooy e.a./Commission, point 50 supra, invoqué par la Commission, n’est pas pertinent. En effet, il ressort des conclusions de l’avocat général Sir Gordon Slynn sous cet arrêt (Rec. p. 240) que la Commission n’avait pas inscrit d’obligation de récupération dans la décision en cause dans cette affaire. Bien qu’elle ait réservé, dans le dernier considérant de cette décision, la possibilité d’une récupération à un stade ultérieur, elle a informé la Cour, lors de l’audience, qu’elle n’avait pas pris d’initiative en ce sens.

77      Il découle en revanche clairement des arrêts Italie et Sardegna Lines/Commission, point 52 supra, et Italie/Commission, point 53 supra, que, lorsque la Commission constate l’incompatibilité avec le marché commun d’un régime d’aide illégal et impose la restitution des aides versées, tous les bénéficiaires effectifs de ce régime sont individuellement concernés par la décision de la Commission (voir, également, arrêts du Tribunal du 29 septembre 2000, CETM/Commission, T-55/99, Rec. p. II-3207, point 25 ; du 12 septembre 2007, Italie et Brandt Italia/Commission, T-239/04 et T-329/04, non encore publié au Recueil, point 44, et du 20 septembre 2007, Salvat père & fils e.a./Commission, T‑136/05, non encore publié au Recueil, points 69 à 73).

78      En effet, contrairement aux allégations de la Commission, il ne ressortait pas de la décision examinée dans l’arrêt Italie et Sardegna Lines/Commission, point 52 supra, que la situation particulière de Sardegna Lines avait été prise en considération par la Commission. Dans cette décision, la Commission s’était limitée à indiquer, dans le cadre de l’exposé des faits, qu’elle avait « appris l’existence du régime d’aide litigieux à l’occasion d’un recours concernant un cas particulier d’application dudit régime ». En admettant même que la Commission avait connaissance de la situation de Sardegna Lines, force est de constater, d’une part, qu’elle n’a pas nommément mentionné cette entreprise dans la décision en cause et, d’autre part, qu’elle n’a fait état d’aucun élément propre à caractériser sa situation spécifique. Elle a au contraire uniquement indiqué le montant total de l’aide accordée depuis l’entrée en vigueur du régime d’aide considéré, pour octroyer les prêts et les crédits-bails en cause. La Commission a ensuite procédé sur cette base à un examen général et abstrait du régime d’aide considéré (voir en particulier point VII de la décision en cause). Dans ces circonstances, il ne saurait être déduit de l’arrêt Italie et Sardegna Lines/Commission, précité, que la Cour a considéré que la situation individuelle de Sardegna Lines avait été prise en compte par la Commission. C’est au contraire en opposant les bénéficiaires potentiels d’un régime d’aide conçu de manière abstraite aux bénéficiaires effectifs d’un tel régime illégalement exécuté que la Cour a jugé que Sardegna Lignes était individuellement concernée « en sa qualité de bénéficiaire effective d’une aide individuelle octroyée, au titre [du régime d’aide aux armateurs sardes] et dont la Commission a ordonné la restitution » (point 34 de l’arrêt). La mention, précitée, d’« une aide individuelle » vise manifestement l’aide octroyée à Sardegna Lines en exécution du régime d’aide considéré. Contrairement à l’interprétation suggérée par la Commission, elle ne saurait être comprise comme se référant à une prise en considération de la situation individuelle de Sardegna Lines par cette institution, au motif que le régime d’aide en cause n’était pas d’application automatique.

79      Cette analyse de l’arrêt Italie et Sardegna Lines/Commission, point 52 supra, est corroborée par les conclusions de l’avocat général M. Alber sous l’arrêt Italie/Commission, point 53 supra (Rec. p. I‑4092). Dans ses conclusions, l’avocat général a en effet écarté l’argument de la Commission selon lequel le régime d’aide considéré dans l’arrêt Italie et Sardegna Lines/Commission, point 52 supra, avait été mis en œuvre au moyen de décisions d’exécution discrétionnaires des autorités nationales. Il a souligné à cet égard (point 71 des conclusions) :

« La Cour […] s’est appuyée uniquement [au point 34 de son arrêt] sur le fait que le requérant Sardegna Lines était concerné en tant que bénéficiaire d’une aide dont la Commission avait ordonné la récupération. Elle n’a pas mentionné d’autres circonstances individualisant le requérant, comme la prise en compte de son cas dans la procédure administrative. »

80      Dans son arrêt Italie/Commission, point 53 supra, la Cour a clairement confirmé la solution qu’elle avait retenue dans l’arrêt Italie et Sardegna Lines/Commission, point 52 supra. Il importe de souligner que le régime d’aide sectoriel en cause dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Italie/Commission, point 53 supra, concernait un nombre important de transporteurs routiers de marchandises. À la différence de Sardegna Lines, aucun des transporteurs requérants ne se distinguait des autres bénéficiaires du régime d’aide considéré par l’importance des aides reçues ou par un rôle particulier au cours de la procédure administrative. La Cour a jugé que les entreprises requérantes se trouvaient dans une position différente de celle de demandeurs, parce qu’elles étaient concernées « en leur qualité de bénéficiaires effectives des aides individuelles octroyées au titre de ce régime et dont la Commission a[vait] ordonné la récupération » (point 39 de l’arrêt).

81      En outre, le point 39, précité, de cet arrêt Italie/Commission, point 53 supra, bien que laconique, contient également des précisions importantes en ce qui concerne la justification de la qualité pour agir des entreprises ayant bénéficié d’un régime d’aide illégal. En effet, la Cour y souligne que la décision en cause mentionnait « le nombre des demandes retenues et le montant des crédit prévus pour les aides en cause », pendant la période considérée, et en déduit que « la Commission ne pouvait donc ignorer l’existence des bénéficiaires effectives ». Elle distingue ainsi expressément la situation des bénéficiaires effectives, qui étaient identifiables et dont la situation était particulièrement affectée par l’ordre de récupération, de celle de bénéficiaires potentielles.

82      À la lumière en particulier des conclusions de l’avocat général M. Alber sous l’arrêt Italie/Commission, point 79 supra (points 74 à 85), le point 39 précité de l’arrêt Italie/Commission, point 53 supra, peut dès lors être compris comme reconnaissant que les entreprises requérantes étaient caractérisées par rapport à tout autre opérateur par le fait qu’elles constituaient un cercle fermé de personnes spécialement affectées par l’ordre de récupération. En particulier, à la différence des bénéficiaires potentiels d’un régime d’aide, les bénéficiaires effectifs du régime d’aide considéré constituaient un groupe restreint, puisque ce régime avait cessé d’être mis en œuvre avant même l’adoption de la décision attaquée, de sorte que la Commission était, en principe, en mesure de les identifier, avec l’aide des autorités nationales, lors de l’adoption de la décision attaquée. Contrairement aux allégations de la Commission, la Cour n’a pas subordonné la reconnaissance d’un lien individuel à l’identification concrète des bénéficiaires du régime d’aide considéré et à l’analyse de leur situation individuelle par la Commission.

83      Il y a lieu de souligner que, bien qu’une décision relative à un régime d’aide ait une portée générale, dans la mesure où la Commission procède à un examen général et abstrait de ce régime (voir point 73 ci-dessus), une telle décision se rapporte uniquement à un régime d’aide déterminé. Elle ne participe dès lors pas de la détermination d’une politique communautaire et ne présente pas de caractère normatif, mais s’inscrit dans le cadre de l’application des règles de droit communautaire relatives en l’occurrence aux aides d’État, à la différence d’actes de nature normative s’appliquant à la généralité des opérateurs économiques concernés (voir, par exemple, arrêts de la Cour du 14 février 1989, Lefebvre/Commission, 206/87, Rec. p. 275, arrêt Roquette Frères/Conseil, point 74 supra, point 42, et ordonnance Fels-Werke e.a./Commission, point 74 supra, points 61 et 63).

84      Dans ce contexte juridique, le fait d’appartenir au cercle fermé des bénéficiaires effectifs d’un régime d’aide, spécialement affectés par l’obligation de récupération des aides versées imposée par la Commission à l’État membre concerné, suffit à caractériser ces bénéficiaires par rapport à toute autre personne, conformément à la jurisprudence (arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223). L’individualisation résulte en l’occurrence de l’atteinte particulière portée par l’ordre de récupération aux intérêts des membres parfaitement identifiables de ce cercle fermé.

85      Si la qualité pour agir d’un bénéficiaire effectif d’un régime d’aide était subordonnée à l’examen de sa situation individuelle, cette qualité pour agir dépendrait du choix de la Commission, dans la décision attaquée, de procéder ou non à un tel examen individuel, sur la base des informations qui lui ont été transmises pendant la procédure administrative. Cette solution générerait une incertitude juridique, dans la mesure où la connaissance, par la Commission, des situations individuelles concrètes relève fréquemment de coïncidences (conclusions de l’avocat général M. Alber sous l’arrêt Italie/Commission, point 79 supra, point 83). En outre, dans l’hypothèse où un bénéficiaire contesterait devant le Tribunal l’absence d’examen individuel de sa situation par la Commission, eu égard par exemple aux informations le concernant fournies à cette institution au cours de la procédure administrative, la recevabilité de son recours serait liée à l’examen des moyens de fond. Dans ce contexte, la complexité et le caractère difficilement prévisible de l’issue de l’examen de la recevabilité augmenteraient l’insécurité juridique.

86      Enfin, il convient de rappeler que le critère du cercle fermé dont les membres sont spécialement affectés par une décision de la Commission, a également été retenu par la Cour dans son arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, Rec. p. I‑5479, points 58 à 64). S’agissant en particulier des centres de coordination dont l’agrément était en cours, la Cour a estimé, dans la lignée des arrêts Italie et Sardegna Lines/Commission, point 52 supra, et Italie/Commission, point 53 supra, que ces centres étaient individuellement concernés dans la mesure où ils étaient « parfaitement identifiables au moment de l’adoption de la décision [ayant fait l’objet d’un recours] » (arrêt Belgique et Forum 187/Commission, précité, point 61, et conclusions de l’avocat général M. Léger sous cet arrêt, Rec. p I-5485, points 196 et 197). Quant aux centres dont les demandes de renouvellement étaient pendantes lors de la notification de la décision attaquée, la Cour a jugé que ces bénéficiaires potentiels avaient qualité pour agir, dans les circonstances particulières de l’espèce, au motif qu’ils faisaient partie d’un cercle fermé dont les membres étaient spécialement affectés par la décision en cause, puisqu’ils ne pourraient plus obtenir de renouvellement d’agrément (arrêt Belgique et Forum 187/Commission, précité, points 62 et 63, et conclusions de l’avocat général M. Léger sous cet arrêt, point 211).

87      À la lumière de l’ensemble de cette jurisprudence, le critère fondé sur les modalités d’exécution du régime d’aide, proposé par la Commission, est privé de pertinence. En particulier, la lecture des arrêts Italie et Sardegna Lines/Commission, point 52 supra, et Italie/Commission, point 53 supra, ne permet de déceler aucune prise en considération par la Cour de la circonstance, déjà invoquée par la Commission dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts, que les régimes d’aide considérés avaient effectivement été appliqués au moyen de décisions administratives d’exécution impliquant un pouvoir discrétionnaire. Par ailleurs, il est à noter que l’arrêt CETM/Commission, point 77 supra, et l’arrêt de la Cour de l’AELE Fesil and Finnfjord e.a./autorité de surveillance de l’AELE, point 54 supra, concernaient des régimes d’aide bénéficiant automatiquement aux entreprises réunissant les conditions requises par ces régimes. Il ressort de l’arrêt de la Cour AELE (point 46) que, dans ses observations, la Commission avait déjà fait valoir, à l’encontre de la recevabilité du recours, que les régimes d’aide considérés dans les arrêts Italie et Sardegna Lines/Commission, point 52 supra, et Italie/Commission, point 53 supra, ne s’appliquaient pas automatiquement aux entreprises remplissant certaines conditions, mais habilitaient les autorités nationales compétentes à accorder des avantages aux bénéficiaires au moyen d’actes administratifs ultérieurs. Cette distinction n’a pas été jugée pertinente par la Cour de l’AELE, comme en atteste le fait qu’elle se soit ralliée à la motivation concise mais claire des deux arrêts de la Cour susmentionnés.

88      Quant à l’ordonnance Gruppo ormeggiatori del porto di Venezia e.a./Commission, point 26 supra, invoquée par la Commission (voir point 55 ci-dessus), les requérants relèvent à bon droit qu’elle n’est pas pertinente aux fins de l’appréciation de la qualité pour agir. En effet, dans cette ordonnance, le Tribunal n’a pas examiné la qualité pour agir des entreprises concernées, mais a déclaré irrecevables pour défaut d’intérêt à agir, des recours formés par des entreprises qui avaient entre-temps été exclues de la procédure de récupération des aides en cause mise en œuvre par les autorités nationales en exécution de la décision attaquée. À cet égard, il convient de rappeler que, pour démontrer son intérêt à agir lors de l’introduction du recours, il suffit qu’une entreprise indique de manière pertinente qu’elle a bénéficié de mesures au titre du régime d’aide considéré, susceptibles d’être couvertes par la déclaration d’incompatibilité avec le marché commun énoncée par la Commission dans la décision en cause. Il n’appartient pas au Tribunal, dans le cadre d’un recours contre une décision de la Commission relative à un régime d’aide, de statuer sur l’application concrète des critères énoncés dans cette décision, afin de déterminer si les mesures en cause en faveur d’une entreprise déterminée doivent être considérées comme des aides incompatibles avec le marché commun, en vertu de ladite décision. En effet, c’est aux autorités nationales compétentes qu’il incombe, lors de l’exécution d’une telle décision, d’appliquer dans chaque cas individuel les critères susmentionnés, sous le contrôle de la Commission.

89      Dans ce contexte, l’ordonnance Gruppo ormeggiatori del porto di Venezia e.a./Commission, point 26 supra, se limite à écarter tout intérêt à agir d’une entreprise requérante lorsque, après l’introduction du recours, il apparaît que, selon l’appréciation des autorités nationales lors de l’exécution de la décision de la Commission, les mesures dont a bénéficié cette entreprise au titre du régime d’aide en cause ne sont pas soumises à une obligation de récupération, soit parce qu’elles n’entrent pas, en vertu de cette décision, dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, soit parce qu’elles remplissent les critères de compatibilité avec le marché commun énoncés dans ladite décision. Dans cette ordonnance (point 26), le Tribunal a en particulier rejeté l’argument des entreprises considérées relatif au pouvoir de la Commission, dans le cadre du contrôle de l’exécution de sa décision par l’État membre concerné, d’imposer ultérieurement à ce dernier de procéder à la récupération des aides alléguées auprès de ces entreprises, au motif précisément qu’une telle circonstance ne présentait qu’un caractère futur et incertain. En l’espèce, il est constant que les entreprises requérantes ont fait l’objet d’une décision de récupération de la part des autorités nationales, ce qui confirme leur intérêt à agir.

90      Dans l’arrêt Atzeni e.a., point 55 supra, également invoqué par la Commission, la Cour se limite à préciser qu’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité n’est pas irrecevable lorsqu’il porte sur une décision de la Commission relative à un régime d’aide, au motif que la qualité pour agir des entreprises concernées au titre de l’article 230, quatrième alinéa, CE impliquait une analyse complexe et n’était dès lors pas manifeste. Cet arrêt s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence issue de l’arrêt de la Cour du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf (C‑188/92, Rec. p. I‑833), dont il découle qu’une fin de non-recevoir n’est opposée à l’invocation par voie d’exception de l’illégalité de la décision de la Commission, devant le juge national, que si les entreprises bénéficiaires de l’aide étaient sans aucun doute en droit d’attaquer la décision de la Commission et avaient été informées de ce droit (arrêt TWD Textilwerke Deggendorf, précité, point 24 ; arrêts de la Cour du 12 décembre 1996, Accrington Beef e.a., C‑241/95, Rec. p. I‑6699, points 15 et 16, et du 11 novembre 1997, Eurotunnel e.a., C‑408/95, Rec. p. I‑6315, point 28). En outre, il ressort de l’arrêt Italie/Commission, point 53 supra (point 31), que la Cour a déjà implicitement écarté l’argument de la Commission selon lequel, si les bénéficiaires effectifs d’un régime d’aide se voyaient reconnaître la qualité pour agir contre la décision de la Commission déclarant ce régime incompatible et imposant la récupération des aides versées, tout renvoi préjudiciel concernant la récupération de telles aides serait jugé irrecevable en application de la jurisprudence issue de l’arrêt TWD Textilwerke Deggendrof, précité (voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général M. Alber sous l’arrêt Italie/Commission, point 79 supra, points 86 à 89). Par ailleurs, il convient d’ajouter que des bénéficiaires effectifs ne sauraient en aucun cas être déclarés forclos à invoquer par voie d’exception l’illégalité de la décision de la Commission devant le juge national lorsque, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce ou à la complexité des critères énoncés dans cette décision pour définir les aides déclarées incompatibles avec le marché commun, soumises à l’obligation de récupération, la question de savoir si ces bénéficiaires seraient ou non tenus de restituer les aides considérées en exécution de la décision de la Commission avait raisonnablement pu soulever initialement certains doutes, de sorte que leur intérêt à agir n’apparaissait pas manifeste (ordonnance Gruppo ormeggiatori del porto de Venezia e.a./Commission, point 26 supra, point 31).

91      En l’espèce, il ressort de la décision attaquée (considérant 13) et il n’est pas contesté par les requérants que, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Italie/Commission, point 53 supra, la Commission connaissait le nombre précis d’entreprises bénéficiaires ainsi que le montant total, d’une part, des réductions générales de charges sociales accordées au titre de l’article 1er du décret ministériel du 5 août 1994 et, d’autre part, des exonérations de charges sociales pour les nouveaux emplois accordés au titre de l’article 2 de ce décret ministériel, pendant la période considérée.

92      Il en découle que les bénéficiaires du régime d’aide en cause étaient parfaitement identifiables lors de l’adoption de la décision attaquée. Dans ces circonstances, il ressort de ce qui précède que les entreprises requérantes doivent être considérées comme individuellement concernées par cette décision.

93      La lecture de la jurisprudence (voir points 74 à 85 ci-dessus), sur laquelle repose cette conclusion, est confirmée par l’examen du système communautaire de contrôle des aides d’État, lequel s’oppose à l’admission des critères et arguments avancés par la Commission, ainsi qu’il ressort des points suivants.

b)     Appréciation du critère fondé sur les modalités d’application du régime d’aide à la lumière du système communautaire de contrôle des aides d’État

94      L’examen du système communautaire de contrôle des aides d’État corrobore le défaut de pertinence du critère relatif aux modalités d’application du régime d’aide invoqué par la Commission.

95      Ce critère entraînerait, s’il était retenu, une incertitude juridique pour le justiciable, puisque la détermination du juge compétent serait d’abord fonction des modalités d’application du régime d’aide considéré, puis, si ce régime était automatiquement applicable, d’un éventuel examen de la situation individuelle de certains des bénéficiaires par la Commission (voir point 85 ci-dessus). Or, un tel critère est privé de toute justification au regard de la condition relative à l’existence d’un lien individuel, dans le système communautaire de contrôle des aides d’État. En effet, les modalités d’application d’un régime d’aide n’exercent d’incidence ni sur la possibilité pour la Commission d’identifier les bénéficiaires, ni sur le contrôle effectué par cette institution, ni sur la portée de l’obligation de récupération pour les bénéficiaires.

96      Premièrement, il découle de la jurisprudence que les bénéficiaires effectifs d’un régime d’aide sont individualisés par leur appartenance au cercle fermé de personnes spécialement affectées par l’ordre de récupération (voir points 77 à 84 ci-dessus). Or, dans la mesure où, dans tous les cas, ces bénéficiaires effectifs constituent précisément un cercle fermé, ils sont toujours parfaitement identifiables lors de l’adoption de la décision de la Commission, que le régime soit d’application automatique ou qu’il nécessite l’adoption de mesures individuelles d’exécution.

97      Deuxièmement, eu égard à la portée générale de tout régime d’aide, rien ne justifie a priori que la nature et l’étendue du contrôle de la Commission varie selon que ce régime prévoit que les aides sont accordées automatiquement ou au moyen de mesures d’exécution. En effet, en présence d’un régime d’aide illégal, il incombe en principe uniquement à la Commission d’examiner les caractéristiques générales et abstraites de ce régime (voir point 73 ci-dessus). En conséquence, même lorsque le régime d’aide a été exécuté au moyen de décisions individuelles impliquant un pouvoir discrétionnaire, la Commission n’est pas pour autant tenue de procéder à un examen cas par cas des décisions d’octroi, et d’apprécier notamment dans chaque cas individuel si les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE sont réunies.

98      Troisièmement, lors de la procédure nationale de récupération, la circonstance que le régime d’aide a été mis en oeuvre automatiquement ou au moyen de décisions individuelles n’a aucune incidence sur la portée de la décision de la Commission à l’égard des bénéficiaires. En effet, dans les deux hypothèses, les autorités nationales sont uniquement habilitées à exécuter cette décision générale et abstraite. Il ne leur appartient pas de vérifier si les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE sont réunies dans chaque cas individuel (voir points 98 à 100 ci-après).

99      De plus, le fait que les aides aient été accordées par des décisions individuelles d’application du régime d’aide ne réduit pas nécessairement la complexité des appréciations à effectuer par les autorités en vue de l’exécution de la décision de la Commission, dans laquelle les décisions individuelles susmentionnées ne sont en principe pas prises en considération (voir point 97 ci-dessus). En tout état de cause, comme les autorités nationales se limitent dans tous les cas à exécuter la décision de la Commission, le niveau de complexité de leurs appréciations lors de la récupération des aides ne constitue pas un critère pertinent pour établir si les bénéficiaires effectifs sont ou non individuellement concernés par cette décision. L’argument relatif à la complexité de telles appréciations, déjà invoqué par la Commission dans le cadre de son pourvoi ayant conduit à l’arrêt Italie/Commission, point 53 supra, a d’ailleurs été rejeté de manière implicite par la Cour dans cet arrêt.

c)     Sur la compétence alléguée des autorités nationales pour vérifier dans chaque cas individuel l’existence d’une aide lors de l’exécution d’un ordre de récupération

100    Toutefois, afin de démontrer que les bénéficiaires effectifs d’un régime d’aide ne sont pas individuellement concernés par une décision de la Commission constatant l’incompatibilité de ce régime et imposant la récupération des aides versées, la Commission soutient que, lors de l’exécution de cette décision, l’État membre concerné est compétent non seulement pour appliquer les critères énoncés dans la décision attaquée, mais également pour vérifier dans chaque cas individuel si les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE sont réunies, eu égard à la situation subjective de l’entreprise concernée.

101    La Commission ne fournit cependant aucune justification au soutien de cette thèse, si ce n’est que le régime d’aide considéré en l’espèce ne présentait pas de caractère sectoriel, mais s’appliquait à toutes les entreprises implantées sur le territoire insulaire de Venise ou de Chioggia, de sorte que la Commission n’était pas à même d’apprécier si les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE étaient réunies dans chacun des multiples secteurs d’activité concernés. C’est à l’État membre concerné qu’il incomberait dès lors d’effectuer ce contrôle.

102    Or, force est de constater, à titre liminaire, d’une part, que la Commission semble ainsi suggérer que, lors de l’exécution d’une décision constatant l’incompatibilité d’un régime d’aide multisectoriel et imposant la récupération des aides versées, les autorités nationales sont automatiquement habilitées à vérifier si les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE sont réunies, dans les secteurs d’activité économique dans lesquels la Commission n’a pas examiné l’incidence des mesures considérées sur les échanges intracommunautaires et la concurrence. Le champ d’application de cette compétence des autorités nationales serait dès lors fonction de l’étendue de l’examen effectué par la Commission, lui-même tributaire des informations communiquées à cette institution lors de la procédure administrative, de sorte que la délimitation de la compétence susvisée des autorités nationales serait soumise à une incertitude juridique (voir points 85 ci-dessus, et 229 à 234, ci-après).

103    D’autre part, en l’espèce, il ressort de la décision attaquée que la Commission a uniquement exclu de la qualification d’aide d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, les exonérations de charges sociales en cause qui respectent la règle de minimis (voir point 13 ci-dessus). En effet, même si le dispositif de la décision attaquée ne fait aucune référence à la règle de minimis, il est indissociable de la motivation de cette décision, et doit dès lors être interprété à la lumière et dans le contexte de l’ensemble des motifs qui ont conduit à son adoption (arrêt de la Cour du 15 mai 1997, TWD/Commission, C‑355/95 P, Rec. p. I‑2549, point 21, et arrêt Alzetta e.a./Commission, point 45 supra, point 163). En conséquence, dans la mesure où la Commission déclare, au considérant 110 de la décision attaquée, que les mesures respectant la règle de minimis n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 87 CE, ces mesures ne sont pas soumises à l’obligation de récupération imposée à l’article 5 de cette décision. Par ailleurs, la décision attaquée ne contient aucune indication permettant d’exclure d’autres exonérations de charges sociales en cause de l’obligation de récupération, au motif qu’elles ne constitueraient pas des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

104    Dans ce contexte, la thèse avancée par la Commission, selon laquelle, lors de l’exécution de la décision attaquée, les autorités nationales seraient compétentes pour vérifier dans chaque cas individuel si les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE sont réunies, ne trouve aucune confirmation dans la jurisprudence. À cet égard, la Commission invoque uniquement, dans son mémoire en défense, l’arrêt de la Cour du 7 mars 2002, Italie/Commission (C‑310/99, Rec. p. I‑2289), dont il ressort que, dans le cadre de son examen du moyen tiré de l’insuffisance de motivation, la Cour a constaté que la Commission, en examinant les caractéristiques du régime d’aide considéré et en illustrant son analyse par l’exemple d’un des secteurs d’activité concerné par ce régime, avait établi à suffisance de droit que ce régime assurait un avantage sensible aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et était de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre les États membres (points 88 à 90 de l’arrêt). Insistant sur le fait que « [l]a décision attaquée ne devait pas contenir une analyse des aides octroyées dans des cas individuels sur le fondement de ce régime », la Cour a ajouté que « [c]e n’[était] qu’au niveau de la récupération des aides qu’il ser[ait] nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée » (point 91). À défaut de toute indication en ce sens, rien ne permet d’interpréter cette dernière phrase comme se référant à un examen individuel des conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, lors de la procédure de récupération des aides. Au contraire, dans le contexte du litige, il semble plutôt que la Cour se soit limitée à mettre l’accent sur le caractère suffisant de l’analyse générale et abstraite du régime d’aide effectué dans la décision de la Commission, en soulignant qu’un examen de la situation individuelle des bénéficiaires ne sera nécessaire que pour récupérer les aides en exécution précisément de cette décision (voir points 73 ci-dessus et 209 ci-après).

105    De plus, la solution défendue en l’espèce par la Commission est en contradiction avec la jurisprudence constante qui veille à ne pas réserver aux aides illégales un traitement plus favorable qu’aux aides régulièrement notifiées. En particulier, il a été jugé que, lorsqu’une aide nouvelle a été octroyée sans être préalablement notifiée, la Commission n’est pas, pour autant, tenue d’établir l’existence d’une incidence réelle de cette aide sur les échanges et la concurrence. En effet, une telle exigence favoriserait les États membres qui versent des aides en violation de l’obligation de notification au détriment de ceux qui notifient les aides à l’état de projet (arrêt Alzetta e.a./Commission, point 45 supra, point 79).

106    Or, admettre que l’État membre concerné peut, lors de l’exécution de la décision de la Commission concernant un régime d’aide illégal, vérifier dans chaque cas individuel si les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE sont réunies reviendrait à conférer à cet État membre, en cas de violation de son obligation de notification, un pouvoir qui ne lui a jusqu’à présent pas été reconnu par la jurisprudence, lorsqu’une décision de la Commission a déclaré un régime d’aide notifié incompatible avec le marché. En conséquence, si, en l’espèce, la thèse de la Commission devait être admise, seule la reconnaissance de pouvoirs similaires de l’État concerné en présence d’une décision de la Commission déclarant un régime notifié incompatible avec le marché commun permettrait d’éviter l’écueil d’un traitement plus favorable des aides non notifiées.

107    À cet égard, il convient de relever que, mettant fin à certaines interrogations concernant le champ d’application de l’obligation de notification énoncée à l’article 88, paragraphe 3, CE, la Cour a jugé que seules les aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE sont soumises à la procédure de notification (arrêt de la Cour du 21 juillet 2005, Xunta de Galicia, C‑71/04, Rec. p. I‑7419, point 32). Selon la même logique, s’agissant des mesures accordées afin de compenser les coûts occasionnés par l’exécution d’obligations de service public, il découle de l’arrêt de la Cour du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, Rec. p. I‑7747, ci-après l’« arrêt Altmark », points 87 et 94), que de telles mesures ne tombent pas sous le coup de l’article 87, paragraphe 1, CE et ne doivent de ce fait pas être notifiées, si elles répondent aux conditions énoncées dans cet arrêt. En revanche, le juge communautaire n’a pas encore été appelé à statuer sur la question de savoir si des mesures accordées, en vertu d’un régime d’aide, soit par exemple à une entité qui ne constitue pas une entreprise au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, soit, à titre de compensation, à une entreprise chargée de l’exécution d’obligations de service public dans les conditions énoncées dans l’arrêt Altmark, précité, échapperaient à la qualification d’aide et pourraient dès lors être mises en œuvre sans autorisation de la Commission, même si cette institution avait préalablement déclaré le régime d’aide incompatible avec le marché commun.

108    Néanmoins, il importe de souligner que la compétence de l’État membre concerné, confirmée par l’arrêt Xunta de Galicia, point 107 supra, de définir une mesure au regard des conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, afin d’établir si elle est soumise à l’obligation de notification et de respect de l’effet suspensif prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE, ne lui permet pas d’échapper au pouvoir de contrôle conféré par le traité à la Commission, dès lors que cette dernière a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE. Qu’il s’agisse du contrôle préalable d’une aide notifiée ou du contrôle a posteriori d’une aide illégale, ce contrôle porte en principe tant sur la qualification de l’aide que, le cas échéant, sur sa compatibilité et est en principe réalisé par la Commission sur la base des seules caractéristiques générales du régime. La solution préconisée en l’espèce par la Commission comporterait donc non seulement un transfert de pouvoir important à l’État membre concerné, mais également une modification de la substance du contrôle des régimes d’aide, puisque l’État membre pourrait systématiquement prendre en considération, lors de l’exécution de la décision de la Commission, la situation individuelle de chaque bénéficiaire afin de qualifier la mesure dont il a bénéficié, nonobstant la constatation par cette institution d’une incidence du régime d’aide en cause sur les échanges intracommunautaires et la concurrence. Or, même en présence d’un régime multisectoriel, la reconnaissance d’une telle compétence ne se justifie pas aux fins de l’application éclairée des conditions énoncées à l’article 87, paragraphe 1, CE. En effet, lors de l’examen d’un tel régime par la Commission, l’État membre concerné a la possibilité, en attirant l’attention de cette institution sur la situation du marché dans des secteurs d’activité déterminés, de conduire la Commission à vérifier en particulier si, dans ces secteurs, le régime d’aide est susceptible d’affecter les échanges intracommunautaires et de fausser la concurrence (voir points 231 à 233 ci-après). Par ailleurs, il appartient à l’État membre concerné d’attirer le cas échéant l’attention de la Commission sur la situation individuelle particulière de certaines entreprises (voir point 209 ci-après).

109    En outre, la solution proposée par la Commission impliquerait une modification de ses moyens d’action. En effet, si la Commission estimait que l’État membre concerné a commis une erreur lors de l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE dans la procédure d’exécution de la décision imposant la récupération des aides versées, il lui appartiendrait non pas de rouvrir la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE, mais de saisir directement la Cour d’un recours en manquement au titre de l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE.

110    Par sa portée, la solution défendue en l’espèce par la Commission se distingue dès lors de la solution dégagée en matière de services publics dans l’arrêt Altmark, point 107 supra, lequel laisse aux États membres le soin d’apprécier les mesures qui, accordées en contrepartie de la prise en charge de services d’intérêt économique général, échappent, sous certaines conditions, à la qualification d’aide d’État et, en conséquence, à l’obligation de notification. De telles mesures peuvent cependant faire l’objet d’un contrôle a posteriori de la Commission dans le cadre de la procédure formelle d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE.

111    En l’état actuel des règles communautaires relatives aux aides d’État et de la jurisprudence, la reconnaissance du pouvoir de l’État membre concerné d’apprécier dans chaque cas individuel si toutes les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE sont réunies, lors de l’exécution d’une décision de la Commission déclarant un régime d’aide incompatible et imposant la récupération des aides versées, serait de nature à bouleverser la portée et l’efficacité du contrôle exercé par la Commission dans le cadre de la procédure formelle d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE, au cours de laquelle cette institution procède normalement à la qualification d’une aide, avant de la déclarer, le cas échéant, incompatible avec le marché commun.

112    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les entreprises requérantes ont qualité pour agir contre la décision attaquée.

C –  Sur l’absence alléguée de qualité pour agir du comité dans l’affaire T-277/00

113    La Commission soutient que le comité, regroupant diverses associations professionnelles, n’a pas fourni d’élément permettant de prouver qu’une ou plusieurs de ces associations étaient individuellement concernées par la décision attaquée, notamment en qualité de négociatrices lors de l’élaboration des régimes d’aide examinés dans la décision attaquée. En outre, les entreprises membres de ces associations ne seraient elles-mêmes pas individuellement concernées.

114    À cet égard, il suffit de relever que, conformément à la jurisprudence, dans la mesure où l’entreprise requérante Coopservice a qualité pour agir, il n’y a pas lieu d’examiner la qualité pour agir du comité (voir, arrêt de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, Rec. p. I‑1125, point 31). Le recours formé par Coopservice et par le comité dans l’affaire T-277/00 est dès lors recevable.

115    Au surplus, et en tout état de cause, il convient d’ajouter que le comité en sa qualité d’organisme regroupant des associations professionnelles représentatives d’entreprises établies à Venise ou à Chioggia et ayant de ce seul fait bénéficié du régime d’aide considéré est directement et individuellement concerné par la décision attaquée, dans la mesure où il agit en lieu et place de ses membres, qui auraient pu eux-mêmes introduire un recours qui aurait été déclaré recevable (voir arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T‑447/93 à T‑449/93, Rec. p. II‑1971, point 60).

116    Il s’ensuit que les présents recours sont recevables dans leur intégralité.

 Sur le fond

117    Les requérants contestent la décision attaquée en ce que, d’une part, elle qualifie les mesures en cause d’aides d’État incompatibles avec le marché commun et, d’autre part, elle impose une obligation de récupération des aides versées.

A –  Sur la qualification prétendument erronée des mesures en cause d’aides d’État incompatibles avec le marché commun

118    Les requérants avancent, premièrement, une série de moyens tirés de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE, de l’article 86, paragraphe 2, CE et du principe d’égalité de traitement, ainsi que du défaut de motivation et du caractère contradictoire de la motivation. Ils invoquent, deuxièmement, la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, troisièmement, la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE, quatrièmement, la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous e), CE et, cinquièmement, la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous b), CE et de l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE.

1.     Sur la violation alléguée de l’article 87, paragraphe 1, CE et de l’article 86, paragraphe 2, CE, ainsi que du principe d’égalité de traitement, et sur les prétendus défaut de motivation et contradiction dans la motivation

a)     Arguments des parties

 Arguments des requérants

–       Affaire T-254/00

119    La requérante, l’Hotel Cipriani, invoque la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et le défaut de motivation de la décision attaquée.

120    En premier lieu, elle fait valoir que la décision attaquée (considérants 49, 50 et 58) est entachée d’une insuffisance de motivation, résultant de l’absence de prise en considération du caractère local du marché concerné.

121    Elle allègue que la Commission est tenue d’analyser les caractéristiques, les modalités et le contenu des mesures considérées, de manière à pouvoir en apprécier les effets sur les échanges et la concurrence, sur la base d’un examen sectoriel.

122    Une atténuation de l’obligation de motivation en ce qui concerne les régimes d’aide porterait d’ailleurs atteinte au contrôle entier du juge communautaire sur la qualification d’une mesure au regard de l’article 87, paragraphe 1, CE.

123    En l’espèce, la décision attaquée ne contiendrait aucune référence, même sommaire, aux marchés des produits et des services concernés, ni aux courants d’importation ou d’exportation et à la position des entreprises concernées sur ces marchés. En particulier, il n’y serait fait aucune mention des secteurs de l’hôtellerie et de la restauration.

124     Contrairement aux allégations de la Commission, il n’appartiendrait pas aux autorités italiennes de déterminer et d’apprécier la situation de chaque bénéficiaire, dans le cadre de la procédure de récupération de l’aide. Ces autorités seraient en effet tenues de reprendre automatiquement les conclusions formulées par la Commission dans la décision attaquée. Néanmoins, en l’espèce, lors de l’exécution de la décision attaquée, les autorités italiennes auraient dû, en raison précisément de l’insuffisance de motivation de cette décision, demander à la Commission des précisions afin de pouvoir déterminer les entreprises ayant bénéficié de mesures remplissant le critère de l’affectation des échanges intracommunautaires (voir les réponses de la Commission du 29 août et du 29 octobre 2001, annexées aux réponses du gouvernement italien du 12 mars 2004 aux questions du Tribunal).

125    En deuxième lieu, la requérante soutient que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation et méconnu ainsi l’article 87, paragraphe 1, CE, en se fondant sur une présomption « générique » au lieu de tenir compte du caractère local du marché concerné.

126    Lors de l’audience, la requérante a souligné que la Commission ne pouvait pas se fonder sur une telle présomption, dès lors qu’elle était à même de savoir que les mesures considérées en faveur de certaines catégories d’entreprises n’étaient pas susceptibles d’affecter les échanges intracommunautaires et d’avoir une incidence sur la concurrence.

127    Or, le caractère local des activités de l’hôtellerie et de la restauration aurait été confirmé de manière générale notamment par l’encadrement des aides d’État aux entreprises dans les quartiers urbains défavorisés (JO 1997, C 146, p. 6). En effet, les consommateurs sélectionneraient un hôtel dans la localité ou le plus près possible de la localité de leur séjour.

128    En outre, et en tout état de cause, le marché de l’hôtellerie présenterait, à Venise, un caractère spécifique. En raison du pouvoir d’attraction de cette ville, les entreprises hôtelières de Venise ne se trouveraient pas en concurrence avec des entreprises du même secteur, établies dans d’autres villes. Le critère de choix des consommateurs ne résiderait pas dans les prix, mais dans la localisation des hôtels. Les mesures en cause ne seraient dès lors pas susceptibles d’avoir une incidence, même potentielle, sur les échanges entre les États membres et sur la concurrence.

129    En l’occurrence, la Commission aurait disposé des informations nécessaires concernant en particulier la spécificité du secteur hôtelier à Venise, notamment grâce à la participation du comité à la procédure administrative. De plus, les informations relatives aux secteurs concernés et au nombre d’entreprises bénéficiaires lui auraient été transmises par les autorités italiennes (considérants 6 et 13 de la décision attaquée). En tout état de cause, il lui aurait incombé de demander à ces autorités des informations complémentaires sur la situation des différents bénéficiaires, selon les procédures prévues par le règlement n° 659/1999, sans d’ailleurs recourir nécessairement à une injonction.

130    Dans ces conditions, la décision attaquée serait en outre incompréhensible et contradictoire, dans la mesure où la Commission a uniquement tenu compte de la dimension locale de certains services collectifs.

131    En troisième lieu, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation et méconnu ainsi l’article 87, paragraphe 1, CE, en ne tenant pas compte des surcoûts supportés par les entreprises opérant à Venise, pour apprécier si les mesures en cause étaient de nature à conférer un avantage économique effectif à leurs bénéficiaires. De plus, sur ce point également, la décision attaquée serait insuffisamment motivée.

132    Les surcoûts susmentionnés seraient compris entre 8 et 12 % du chiffre d’affaire des entreprises concernées, selon le rapport du cabinet d’experts du 8 septembre 2000 produit par la requérante. Contrairement aux affirmations de la Commission, ils auraient été évalués par rapport à des points de référence concrets et objectifs.

133    Ces surcoûts ne résulteraient pas de facteurs macroéconomiques, liés par exemple au coût du crédit, à la fiscalité ou aux conditions de change, mais du seul fait que l’activité est exercée à Venise. Ils ne seraient que partiellement compensés par les mesures en cause, ce qui expliquerait d’ailleurs que les prix pratiqués par l’Hotel Cipriani soient plus élevés que ceux appliqués normalement par les établissements situés ailleurs.

–       Affaire T-270/00

134    La requérante, Italgas, relève que les autorités italiennes avaient fourni à la Commission les données relatives aux exonérations fiscales en cause ventilées par secteur. Il aurait dès lors incombé à cette institution de procéder à un examen d’ensemble, même sommaire, de l’incidence prévisible des mesures considérées sur les échanges intracommunautaires et la concurrence, dans les secteurs d’activité concernés.

135    En outre, les lignes directrices du 12 décembre 1995 concernant les aides à l’emploi prévoiraient expressément que les mesures en faveur de l’emploi, « concernant des activités ne faisant pas l’objet d’échanges entre États membres (par exemple, les services de proximité, certaines initiatives locales d’emploi) », n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE.

136    Dans ces conditions, la requérante soutient, en premier lieu, que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation, dans la mesure où elle ne contient pas un examen suffisant des faits.

137    La requérante conteste que, dans les décisions relatives à des régimes d’aide, la Commission puisse se référer au « scénario le plus défavorable » (worst case scenario). Si une telle décision n’examinait que la pire des hypothèses, et était néanmoins assortie d’une obligation de récupération de portée générale, il faudrait préciser quelle autorité, dans quelles circonstances et sur la base de quels critères, pourrait déterminer si l’hypothèse envisagée s’est concrétisée et pour quels opérateurs ou catégories d’opérateurs.

138    Lors de l’audience, la requérante a souligné que, lorsque la Commission examine un régime d’aide, elle dispose d’une compétence exclusive pour appliquer les dispositions matérielles de l’article 87 CE. En effet, dans le système actuel de contrôle communautaire des aides d’État, la Commission n’aurait pas la possibilité de déléguer ses pouvoirs d’appréciation discrétionnaires aux autorités nationales. Sa décision devrait dès lors contenir la motivation nécessaire pour permettre au juge communautaire d’exercer son contrôle sur cette décision et aux autorités nationales d’exécuter l’ordre de récupération sous le contrôle du juge national, à qui il incomberait uniquement d’assurer le respect de la décision de la Commission.

139    En l’occurrence, la requérante fait valoir que la décision attaquée ne contenait pas les éléments nécessaires aux fins de son exécution à l’égard d’Italgas. Pour exiger la restitution de l’aide alléguée, les autorités nationales se seraient dès lors fondées sur l’appréciation contenue dans la lettre de la Commission du 29 octobre 2001, susvisée. Or, dans la mesure où une telle appréciation est postérieure à l’adoption de la décision attaquée, elle ne pourrait pas donner utilement lieu à un renvoi préjudiciel devant la Cour.

140    Dans ces conditions, admettre que la Commission puisse se fonder sur des présomptions en présence d’un régime d’aide conduirait à un affaiblissement de son obligation d’examen diligent et impartial et, en conséquence, à une diminution de la possibilité de contester la décision de la Commission.

141    En deuxième lieu, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation et violé ainsi l’article 87, paragraphe 1, CE, en refusant de tenir compte du caractère compensatoire des mesures en cause, sans même procéder à une analyse sommaire des conditions du marché.

142    En l’espèce, lors de la procédure administrative, les autorités italiennes, se fondant sur le rapport COSES, auraient invoqué les surcoûts supportés par les entreprises opérant sur les îles de la lagune. Elles auraient estimé que ces entreprises se trouvent dans une situation comparable, en ce qui concerne en particulier la volatilité du travail, à celle des entreprises du Mezzogiorno. En effet, les réductions de charges sociales considérées tendraient uniquement à compenser au moins partiellement les conditions défavorables du marché du travail dans la zone lagunaire et à freiner ainsi l’exode des entreprises vers la terre ferme. Ces mesures étant légitimement destinées à aligner les coûts supportés par les entreprises concernées sur ceux supportés par les entreprises établies sur la terre ferme, les surcoûts devraient être évalués par référence aux coûts sur la terre ferme. En tout état de cause, la décision attaquée serait privée de motivation sur ce point, dans la mesure où la Commission n’a pas démontré que les coûts supportés par les entreprises de la lagune s’inscrivaient dans la moyenne communautaire.

143    En troisième lieu, la motivation de la décision attaquée serait insuffisante, contiendrait des contradictions manifestes et présenterait un caractère discriminatoire, en ce qui concerne l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, notamment en relation avec l’article 86 CE.

144    En effet, s’agissant des entreprises municipales, la Commission aurait vérifié individuellement si les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE étaient réunies.

145    En revanche, la Commission n’aurait pas analysé la situation de l’ensemble des autres entreprises qui se seraient trouvées pour l’essentiel dans une situation analogue à celle des entreprises municipales. Cette différence de traitement ne se justifierait pas par le fait qu’une dérogation au titre de l’article 86, paragraphe 2, CE avait été invoquée en faveur des entreprises municipales.

146    L’insuffisance de motivation, la contradiction dans la motivation et la violation du principe d’égalité de traitement seraient encore plus manifestes en ce qui concerne Italgas. En effet, à l’époque considérée (1995-1996), le secteur de la distribution du gaz au niveau urbain, dans lequel opérait la société Veneziana Gas, qui a ensuite été absorbée par Italgas, n’aurait pas été libéralisé. En l’absence totale d’échanges et de concurrence, les exonérations obtenues par Veneziana Gas n’auraient dès lors pas été susceptibles d’affecter les échanges intracommunautaires et le libre jeu de la concurrence. En effet, la libéralisation du marché du gaz aurait été amorcée au niveau communautaire par la directive 98/30/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (JO L 204, p. 1). De plus, au cours de la période considérée, Veneziana Gas aurait bénéficié d’un monopole légal à base communale, sous la forme d’un régime de concession exclusive, pour la distribution et la fourniture de gaz sur le territoire communal de Venise.

147    De surcroît, la distribution du gaz au niveau communal aurait représenté un service d’intérêt économique général. La responsabilité du fonctionnement de ce service aurait été attribuée à Veneziana Gas par un acte d’autorité de l’administration communale remontant à 1970, qui indiquait clairement la nature et la durée des obligations de service public ainsi que le territoire local concerné. Cet acte aurait prévu la fixation par les autorités compétentes des tarifs applicables, selon des paramètres uniformes pour toute l’Italie.

148    Pour évaluer les surcoûts auxquels aurait dû faire face Veneziana Gas, les coûts supportés par cette société auraient, logiquement, dus être comparés avec ceux des autres entreprises auxquels s’applique le même système tarifaire, défini au niveau national

149    En l’occurrence, la situation de Veneziana Gas à l’époque considérée aurait été assimilable notamment à celle de l’entreprise municipale ASPIV. Or, dans la décision attaquée, la Commission aurait constaté que les exonérations accordées à ASPIV, chargée du service de gestion du cycle intégré de l’eau, étaient exclusivement destinées à compenser les coûts supplémentaires résultant de l’accomplissement de la mission de service public confiée à cette entreprise.

150    La République italienne, intervenant au soutien des conclusions d’Italgas, fait valoir que, eu égard au montant relativement faible des exonérations considérées, la Commission aurait dû identifier les secteurs concernés et déterminer de manière étayée ceux d’entre eux qui étaient caractérisés par une vive concurrence. En l’occurrence, la Commission n’aurait pas contesté les affirmations des autorités italiennes et des tiers intéressés, selon lesquelles les entreprises établies dans la zone lagunaire de Venise exerçaient en général soit des activités de service public locales soit des activités artisanales ou commerciales étroitement liées au territoire insulaire, de sorte qu’elles n’étaient pas en concurrence avec des entreprises établies en dehors de ce territoire.

151    En outre, le gouvernement italien invoque le caractère compensatoire des mesures considérées. Il se fonde notamment sur l’arrêt du 5 octobre 1999, France/Commission (C‑251/97, Rec. p. I‑6639, points 40 à 47), dans lequel la Cour a jugé que le fait que des allégements de cotisations sociales visent à compenser les surcoûts supportés par les entreprises de certains secteurs à la suite d’accords collectifs, ne peut pas les faire échapper à la qualification d’aide d’État. Il en découlerait a contrario que, si les causes des surcoûts ne résultent pas du libre choix effectué par l’entreprise concernée au regard d’avantages obtenus dans certains domaines en contrepartie de concessions acceptées dans d’autres domaines, les mesures de compensation de ces surcoûts « non voulus » ne sauraient être considérées comme des aides d’État. Or, en l’espèce, les surcoûts invoqués seraient nécessairement supportés par toutes les entreprises opérant dans la zone insulaire. Leur compensation partielle par les mesures considérées ne saurait dès lors être considérée comme une aide d’État.

–       Affaire T-277/00

152    Les requérants, Coopservice et le comité, invoquent la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et de l’obligation de motivation.

153    En premier lieu, les mesures en cause présenteraient un caractère compensatoire au regard de la contribution des entreprises présentes sur le territoire de la lagune à la conservation du patrimoine architectural et culturel de Venise. Selon le rapport COSES, susmentionné, elles représenteraient 2,9 % du chiffre d’affaires des entreprises bénéficiaires, tandis que les surcoûts résultant de leur localisation à Venise atteindraient 9,5 % de ce chiffre d’affaires. La nécessité de compenser les surcoûts supportés par les opérateurs dans les régions insulaires aurait d’ailleurs été admise notamment dans la déclaration n° 30 relative aux régions insulaires annexée à l’acte final du traité d’Amsterdam et à l’article 130 A du traité CE (devenu article 158 CE).

154    En l’occurrence, la Commission n’aurait pas démontré que les coûts supportés par les entreprises opérant sur la terre ferme, auxquels se sont référés les autorités italiennes pour la comparaison, reflétaient une réalité plus favorable que celle de la moyenne communautaire et que les coûts supportés par les entreprises de la lagune étaient au contraire conformes à la moyenne communautaire.

155    Par ailleurs, la Commission aurait méconnu, lorsqu’elle a vérifié si les mesures en cause constituaient des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, la prééminence des règles de la cohésion économique et sociale sur celles de la concurrence. Elle ferait prévaloir les secondes, en violation de l’article 2 UE. Or, les mesures considérées tendaient selon les requérants à permettre la réalisation des objectifs définis à l’article 2 susvisé.

156    En deuxième lieu, les requérants invoquent le faible montant des exonérations de charges sociales dont en moyenne chacun des opérateurs concernés aurait bénéficié. Ils allèguent que la plupart des entreprises ayant bénéficié des mesures considérées exerçaient leur activité à un niveau exclusivement local. À cet égard, les requérants mentionnent en particulier les entreprises opérant dans les secteurs de l’hôtellerie, du transport local ou du nettoyage. L’exclusion des entreprises opérant uniquement au niveau local du champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE aurait du reste été confirmée par la Commission non seulement, par exemple, dans les lignes directrices concernant les aides à l’emploi, précitées, et dans la communication relative à l’encadrement communautaire des aides d’État aux PME, précité, mais également dans la décision attaquée elle-même (considérants 90, 91 et 93), en ce qui concerne certaines entreprises municipales.

157    Dans ce contexte, la décision attaquée serait également entachée d’une contradiction dans la motivation et d’une violation du principe d’égalité de traitement.

158    À cet égard, les requérants, se fondant sur les documents produits par la Commission à la demande du Tribunal, ont relevé l’équivalence des informations et des demandes tendant à la non-application de l’article 87, paragraphe 1, CE, transmises à la Commission pendant la procédure administrative, en ce qui concerne, d’une part, les entreprises municipales et, d’autre part, certains secteurs d’activités locales.

159    En effet, la commune de Venise n’aurait pas identifié les entreprises à l’égard desquelles elle sollicitait une dérogation au titre de l’article 86, paragraphe 2, CE et n’aurait pas invoqué le caractère local du marché sur lequel elles opéraient. Néanmoins, la Commission aurait constaté, dans la décision attaquée, que les exonérations de charges sociales en faveur des entreprises municipales ACTV et AMAV et de l’entreprise Panfido ne constituaient pas des aides d’État, en raison du caractère local des marchés concernés. Or, dans leurs observations datées du 23 janvier 1999, les autorités italiennes auraient fourni la liste des secteurs dans lesquels les entreprises n’étaient pas susceptibles de participer aux échanges, comprenant les secteurs de la construction, du commerce, de l’hôtellerie, ainsi que des services d’intérêt économique général. En outre, les tableaux de l’INPS, susmentionnés, annexés à ces observations, auraient répertorié le nombre d’entreprises bénéficiaires et le nombre de travailleurs concernés, par secteur d’activité. De plus, dans ses observations du 17 mars 1998, le comité aurait souligné que la nature particulière, principalement locale, des activités exercées par la plupart des entreprises bénéficiaires empêchait l’implantation de ces entreprises dans un marché caractérisé par une forte concurrence, et avait pour conséquence que même une éventuelle incidence sur le volume des échanges entre les États membres aurait de toute manière été minime. Enfin, le rapport du COSES daté de mars 1998 analyserait notamment les secteurs du commerce, de l’hôtellerie, des services et des activités artisanales, comme le travail du verre de Murano, dans lesquels les marchés se limitent au centre historique ou tout au plus au territoire de la commune de Venise.

160    Dans ces conditions, la Commission aurait dû demander des informations supplémentaires aux entreprises les plus importantes, par le biais par exemple d’une injonction aux autorités italiennes, comme elle l’a fait pour les entreprises municipales.

161    En l’occurrence, les requérants estiment que la situation de Coopservice était analogue à celle d’AMAV (considérant 93 de la décision attaquée), dans la mesure où les deux entreprises exerceraient la même activité de gestion de services de nettoyage et d’entretien, à un niveau exclusivement local.

162    Par ailleurs, la décision attaquée serait privée de motivation. Elle ne comporterait aucune analyse de l’incidence des mesures considérées sur les échanges intracommunautaires et la concurrence, mais se fonderait uniquement sur des présomptions.

163    En troisième lieu, les requérants invoquent la violation de l’article 86, paragraphe 2, CE. Ils allèguent que Coopservice fournit des services de nettoyage et d’entretien à des entités publiques et privées dans la ville de Venise, en vue de satisfaire un intérêt général.

 Arguments de la Commission

164    La Commission rappelle que, lors de l’examen d’un régime d’aides, elle peut se limiter à étudier les caractéristiques générales de ce régime. Elle devrait se fonder sur le scénario le plus défavorable (worst case scenario), tant pour qualifier le régime considéré que, le cas échéant, pour apprécier sa compatibilité avec le marché commun.

165    En l’espèce, le fait que les autorités italiennes aient fourni à la Commission des données ventilées par secteur, indiquant notamment le nombre d’entreprises théoriquement concernées par le régime, ne modifierait pas le bien-fondé de cette approche. En effet, la Commission n’aurait pas pu fonder son évaluation sur ces données spécifiques recueillies par les autorités italiennes après la mise en œuvre illégale du régime d’aide considéré, sans accorder à l’État membre concerné l’avantage d’une analyse concrète ex post.

166    Au vu des informations dont elle disposait, la Commission aurait vérifié à suffisance de droit, dans la décision attaquée (considérant 49), le respect de toutes les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE.

167    Il incomberait aux autorités nationales, lors de l’exécution de la décision attaquée, de procéder à une évaluation de la situation individuelle de chaque bénéficiaire.

168    La Commission rappelle à cet égard que les autorités et les juges nationaux doivent respecter l’appréciation d’incompatibilité du régime d’aide effectuée par elle, sans préjudice de la possibilité pour les juges de soumettre à la Cour une question de validité en vertu de l’article 234 CE. En revanche, lors de la récupération des aides versées, les autorités nationales devraient s’assurer que, dans le cas individuel, la mesure constitue effectivement une aide, qu’il s’agit d’une aide nouvelle et qu’elle n’a pas été déclarée compatible en vertu d’un règlement d’exemption ou d’une autre décision de la Commission.

169    En tout état de cause, la Commission conteste que les exonérations de charges sociales considérées dont ont bénéficié les requérants n’ont eu aucune incidence sur les échanges entre les États membres. L’activité d’hébergement hôtelier à Venise pourrait entrer dans certains cas dans un flux faisant l’objet d’échanges entre les États membres. Quant au marché des fournitures de services de nettoyage à l’échelle industrielle, sur lequel opère Coopservice, il pourrait présenter un intérêt également pour les entreprises non nationales, en particulier si les missions confiées revêtent une valeur économique significative. Enfin, il ne ferait aucun doute qu’Italgas, qui exerce ses activités sur le marché de l’énergie, est en concurrence avec les opérateurs d’autres États membres.

170    Par ailleurs, la Commission estime que les mesures considérées ne présentent pas de caractère compensatoire permettant de les exclure du champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE.

b)     Appréciation du Tribunal

171    Les requérants soutiennent que les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, relatives à l’octroi d’un avantage économique, à l’affectation des échanges intracommunautaires et à l’incidence sur la concurrence, ne sont pas réunies en l’espèce. Ils allèguent que le régime d’aide considéré présentait un caractère compensatoire et, partant, ne conférait aucun avantage à ses bénéficiaires. De plus, la Commission n’aurait pas prouvé que ce régime était susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et d’avoir une incidence sur la concurrence. En outre, la décision attaquée serait entachée d’une insuffisance ou d’un défaut de motivation en ce qui concerne les conditions susmentionnées d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE.

172    De surcroît, Italgas (affaire T-270/00) et Coopservice ainsi que le comité (affaire T-277/00) font valoir que la décision attaquée est discriminatoire et contradictoire, dans la mesure où la Commission a procédé à un examen de la situation individuelle des seules entreprises municipales. Cette décision méconnaîtrait également l’article 86, paragraphe 2, CE.

173    Il convient de regrouper l’ensemble de ces moyens tirés de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE, de l’obligation de motivation et du principe d’égalité de traitement, de manière à les examiner d’abord en relation avec l’absence alléguée d’octroi d’un avantage, résultant du caractère prétendument compensatoire de la mesure considérée, puis en relation avec le défaut allégué d’affectation des échanges intracommunautaires et d’incidence sur la concurrence.

 Sur l’absence alléguée d’avantage, en raison du caractère prétendument compensatoire des mesures considérées

174    Pour constituer une aide d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, une mesure doit notamment être de nature à conférer un avantage, au bénéfice exclusif de certaines entreprises ou de certains secteurs d’activité. Cet article vise en effet les aides qui faussent ou menacent de fausser la concurrence « en favorisant certaines entreprises ou certaines productions » .

175    En l’espèce, la mesure en cause consiste dans des exonérations de charges sociales en faveur de toutes les entreprises implantées sur le territoire de Venise et de Chioggia. Les requérants ne contestent pas le caractère sélectif de ces exonérations, lequel résulte en l’occurrence de la spécificité régionale (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, Rec. p. I‑7115).

176    De plus, il est indéniable que les exonérations de charges sociales en cause allègent les coûts qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et confèrent de ce fait un avantage financier à leurs bénéficiaires par rapport aux entreprises assujetties (arrêt de la Cour du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C‑387/92, Rec. p. I‑877, points 13 et 14).

177    Toutefois, les requérants estiment que le régime d’exonérations de charges sociales considéré ne confère aucun avantage à ses bénéficiaires, dans la mesure où il présenterait un caractère compensatoire.

178    À cet égard, l’ensemble des requérants soutient que les exonérations de charges sociales en cause se limitent à compenser partiellement les désavantages structurels représentés par les surcoûts supportés par les entreprises opérant sur les îles de la lagune. En outre, Italgas (affaire T-270/00) et Coopservice ainsi que le comité (affaire T-277/00) font valoir que ces exonérations représentaient une compensation partielle de la gestion de services d’intérêt économique général dont les deux entreprises requérantes auraient été chargées.

 Sur la compensation alléguée de désavantages structurels (affaires T-254/00, T-270/00 et T-277/00)

179    Selon les requérants et la République italienne intervenant au soutien des conclusions d’Italgas, les exonérations de charges sociales considérées ne conféraient aucun avantage concurrentiel aux entreprises bénéficiaires, mais compensaient partiellement une situation concurrentielle défavorable. En effet, les entreprises implantées sur les îles de la lagune supporteraient des coûts supplémentaires liés notamment à l’acquisition et à l’entretien des bâtiments, eu égard aux loyers et aux prix d’achat élevés, aux contraintes liées à l’humidité et aux grandes marées (acqua alta) et aux obligations imposées par la nécessité de sauvegarder le patrimoine historique et paysager, ainsi que des surcoûts pour le transport et le transbordement des stocks et des marchandises. De plus, en raison du caractère touristique de Venise, les coûts des biens et des services seraient également plus élevés.

180    Une telle argumentation avait déjà été avancée par les autorités italiennes, ainsi que par la municipalité de Venise et le comité sur la base de deux études du COSES, lors de la procédure administrative (voir point 9 ci-dessus).

181    Dans la décision attaquée (considérants 52 à 54), la Commission conteste cette argumentation au motif que le caractère compensatoire d’une mesure n’exclut pas qu’elle constitue une aide d’État, mais peut dans certains cas être pris en compte aux fins de l’évaluation de la compatibilité de l’aide avec le marché commun. Elle explique en substance que le traité ne vise pas à assurer une parfaite égalité théorique entre entreprises. Celles-ci opéreraient dans un marché réel et non dans un marché parfait où les conditions auxquelles elles sont soumises seraient tout à fait identiques. De plus, les surcoûts allégués n’auraient pas été calculés par rapport aux coûts moyens des entreprises européennes, mais par rapport aux coûts que les entreprises concernées n’auraient pas eu à supporter en se délocalisant sur la terre ferme.

182    Cette analyse de la Commission est conforme à la jurisprudence. En effet, dans son arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission, point 53 supra (point 61), la Cour, confirmant l’arrêt Alzetta e.a./Commission, point 45 supra, a rappelé que la circonstance qu’un État membre cherche à rapprocher, par des mesures unilatérales, les conditions de concurrence existant dans un certain secteur économique de celles prévalant dans d’autres États membres ne saurait enlever à ces mesures le caractère d’aides. Dans cette affaire, le désavantage allégué était notamment lié à la situation géographique exposant en particulier les bénéficiaires du régime d’aide régional en cause à la concurrence d’opérateurs, établis dans des pays tiers, qui auraient bénéficié d’aides d’État et d’une fiscalité moins lourde (arrêt Alzetta e.a./Commission, point 45 supra, points 64 et 101).

183    Contrairement aux allégations de l’Hotel Cipriani, cette jurisprudence ne vise pas uniquement les mesures destinées à compenser un désavantage concurrentiel lié à des facteurs macroéconomiques tels que le coût du crédit, la fiscalité ou les conditions de change.

184    À cet égard, il convient de rappeler que, à l’instar d’ailleurs de l’ensemble du droit communautaire de la concurrence, les règles du traité relatives aux aides d’État visent à assurer non pas une concurrence parfaite mais une concurrence effective ou efficace, comme le souligne la Commission dans la décision attaquée (voir point 181 ci-dessus).

185    Dans ces conditions, la compensation de désavantages structurels permet uniquement d’écarter la qualification d’aide d’État dans certaines situations spécifiques. Premièrement, selon une jurisprudence bien établie, un avantage conféré à une entreprise, en vue de corriger une situation concurrentielle défavorable, ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, lorsqu’il est justifié par des raisons économiques et lorsqu’il n’introduit pas de discriminations entre les opérateurs économiques établis dans les différents États membres. Dans ce type de situation, le juge communautaire applique en réalité le critère de l’opérateur privé en économie de marché (arrêt Alzetta e.a./Commission, point 45 supra, point 99). Tel était par exemple le cas d’un tarif préférentiel pour le gaz naturel consenti aux horticulteurs sous serres par une société, Gasunie, contrôlée par les autorités néerlandaises, dans la mesure où ce tarif était objectivement justifié par la nécessité de pratiquer des prix compétitifs par rapport à d’autres sources d’énergie, dans le contexte du marché concerné (arrêt Kwekerij van der Kooy e.a./Commission, point 50 supra, point 30).

186    Deuxièmement, il découle également de la jurisprudence que ne constitue pas une aide d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, un avantage conféré à une entreprise et allégeant les charges pesant normalement sur son budget, lorsque cet avantage vise à remédier au fait que l’entreprise bénéficiaire est exposée à des charges supplémentaires résultant d’un régime dérogatoire, auxquelles échappent les entreprises concurrentes soumises au droit commun dans les conditions normales du marché. Dans son arrêt du 23 mars 2006, Enirisorse (C‑237/04, Rec. p. I‑2843, point 32), la Cour a ainsi jugé qu’une loi italienne limitant le droit au remboursement en cas de retrait exceptionnel exercé par les associés de la Sotacarbo SpA, et allégeant de ce fait celle-ci d’une charge qu’elle aurait dû normalement supporter, se contentait, en réalité, de neutraliser l’avantage accordé à l’associé Enirisorse SpA sous la forme d’une faculté exceptionnelle de retrait, dérogatoire au droit commun. La Cour en a déduit que cette loi n’avait nullement pour effet de créer un avantage économique au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE au profit de Sotacarbo.

187    Dans la même ligne d’idée, dans son arrêt du 16 mars 2004, Danske Busvognmænd/Commission (T‑157/01, Rec. p. II‑917, point 57), le Tribunal a jugé que, lors de la privatisation d’une entreprise de transport par autobus, Combus A/S, le versement par le Royaume de Danemark d’une rémunération unique au bénéfice de fonctionnaires qui étaient employés par cette société, en compensation de leur renonciation aux droits découlant de leur statut de fonctionnaire lors de leur passage au statut d’agent contractuel auprès de Combus, ne constituait pas une aide d’État. Le Tribunal a en effet admis à cet égard que la mesure en cause visait à remplacer le statut privilégié et coûteux des fonctionnaires employés par Combus par un statut d’agent contractuel comparable à celui des employés d’autres entreprises de transport par autobus et, partant, à libérer Combus du désavantage structurel, résultant du statut privilégié des fonctionnaires, par rapport à ses concurrents privés. En revanche, dans son arrêt France/Commission, point 149 supra (points 46 et 47), invoqué par la République italienne, la Cour a jugé que le fait que les mesures étatiques en cause visaient à compenser des surcoûts que les entreprises de certains secteurs auraient assumés à la suite de la conclusion et de la mise en œuvre d’accords collectifs de branche ne pouvait pas les faire échapper à la qualification d’aide d’État, au motif que les accords que concluent les partenaires sociaux forment un ensemble qui est le fruit d’un compromis pour lequel chaque partie fait des concessions dans certains domaines en contrepartie d’avantages dans d’autres domaines, de sorte que, dans les circonstances de l’espèce, il était impossible d’évaluer avec la précision nécessaire le coût final de tels accords pour les entreprises. Contrairement aux allégations de la République italienne, l’élément décisif dans cet arrêt ne résidait pas dans le caractère consensuel des accords collectifs considérés, mais dans l’équilibre des coûts finals respectivement supportés par les partenaires sociaux et l’impossibilité d’évaluer de manière précise le coût de ces accords pour les entreprises.

188    En l’espèce, il résulte manifestement de leur nature que les exonérations de charges sociales considérées visant à compenser partiellement les désavantages structurels liés aux coûts supplémentaires supportés par les entreprises du fait de leur implantation sur les îles de la lagune (voir point 179 ci-dessus) ne sont justifiées ni par des considérations économiques objectives ni par des exigences liées à la cohérence du régime juridique applicable et à l’équilibre des droits et des charges – au regard du droit commun auquel sont soumises les entreprises concurrentes –, telles que celles qui ont été prises en considération dans la jurisprudence examinée aux points précédents.

189    Par ailleurs, à la différence des circonstances en cause dans les arrêts Enirisorse, point 186 supra, et Danske Busvognmænd/Commission, point 187 supra, il n’existe pas en l’espèce de lien direct entre le régime d’exonération de charges sociales considéré et les objectifs allégués, tendant en l’occurrence à la compensation des surcoûts liés aux problèmes structurels spécifiques résultant de la situation lagunaire de Venise et de Chioggia. En particulier, les exonérations de charges sociales en cause, prévues en faveur de l’ensemble des entreprises implantées à Venise ou à Chioggia et visant à faciliter l’emploi en allégeant les charges des employeurs, ne ciblent pas spécifiquement la compensation des désavantages structurels allégués, tels que les surcoûts liés par exemple à l’acquisition et à l’entretien des bâtiments ou aux contraintes résultant de l’humidité et des grandes marées (voir point 179 ci-dessus). À cet égard, il n’est pas établi que les secteurs les plus touchés par les désavantages structurels allégués soient ceux générant le plus d’emplois et bénéficiant de ce fait le plus de la compensation partielle de leurs coûts supplémentaires. Sur ce point, les requérants, se fondant sur les études susmentionnées du COSES, invoquent cependant la volatilité du travail sur le territoire insulaire. L’étude du COSES du mois de février 1998 (point 1.2.4) confirme effectivement que, du fait de l’insularité, les entreprises sont souvent contraintes de prendre en charge les frais de déplacement et de restauration de leurs employés et sont exposées à leurs retards ou à leurs absences en raison du brouillard et du phénomène des grandes marées. Toutefois, en admettant cette explication, il n’en demeure pas moins qu’il doit exister un lien direct entre le montant des surcoûts supportés et celui de la compensation, même si celle-ci est uniquement partielle comme le font valoir les requérants.

190    Or, en l’occurrence, les éléments avancés par les requérants ne permettent pas de présumer l’existence d’un rapport direct entre les coûts supplémentaires effectivement supportés et le montant de l’aide reçue par les divers opérateurs, dans les principaux secteurs d’activité économique. En particulier, les requérants n’ont fourni aucun élément permettant de présumer que la plupart des secteurs d’activité sont exposés dans une mesure comparable aux désavantages économiques allégués, liés à l’insularité. À cet égard, il ressort au contraire de l’étude du COSES datée du mois de février 1998 (point 1.1.3) que les activités liées au tourisme et certains secteurs commerciaux peuvent contrebalancer les désavantages liés à l’insularité par l’image attractive (il forte richiamo di immagine) de Venise. L’étude du COSES datée du mois de mars 1998 (point 1.3) indique en particulier que, pour les hôtels, la localisation dans le centre historique de Venise ou sur les îles de la lagune peut offrir une grande liberté dans la fixation des prix et représenter un avantage concurrentiel significatif. Dans le secteur hôtelier, par exemple, les surcoûts supportés sont ainsi compensés par des prix plus élevés, comme l’a d’ailleurs relevé l’Hotel Cipriani.

191    Par conséquent, en supposant même que, plus généralement, lorsqu’une mesure vise à compenser certains désavantages structurels spécifiques, une telle compensation puisse dans certains cas être prise en considération pour établir si cette mesure confère un avantage économique à ses bénéficiaires, force est de constater que les conditions de la prise en compte d’une telle compensation ne sont pas réunies en l’espèce.

192    En outre, et en tout état de cause, force est de constater que, en l’espèce, les autorités italiennes et les tiers intéressés se sont référés aux coûts supportés par les entreprises établies sur la terre ferme, comme la Commission l’a souligné dans la décision attaquée (voir point 181 ci-dessus). Or, contrairement aux allégations des requérants, seuls des désavantages structurels spécifiques entraînant des surcoûts par rapport à une situation « type » à laquelle les opérateurs économiques sont normalement susceptibles d’être exposés sur un marché caractérisé par des conditions de concurrence effective (voir point 184 ci-dessus) peuvent être pris en considération lors de l’appréciation de l’existence d’un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, ainsi que l’a relevé la Commission dans la décision attaquée. En l’occurrence, le seul fait que les entreprises implantées à Venise ou à Chioggia soient exposées à des coûts supplémentaires par rapport à ceux qu’elles supporteraient si elles se délocalisaient sur la terre ferme ne permet pas de considérer que le régime en cause ne leur confère aucun avantage et n’introduit pas de la sorte une discrimination à l’égard de leurs concurrents en Italie ou dans d’autres États membres. Sur ce point, la Commission n’a donc pas excédé les limites de son pouvoir d’appréciation en estimant que les surcoûts allégués devaient être appréciés par rapport aux coûts moyens des entreprises communautaires.

193    De plus, c’est aux autorités nationales ou aux tiers intéressés qu’il incombait, lors de la procédure administrative, d’apporter la preuve des surcoûts prétendument supportés par rapport aux coûts moyens des entreprises communautaires, afin d’établir l’existence de désavantages structurels spécifiques justifiant la mesure de compensation en cause. En conséquence, contrairement aux allégations des requérants, il n’appartenait pas à la Commission de démontrer que les coûts supportés par les entreprises opérant sur la terre ferme, invoqués par les autorités italiennes aux fins de la comparaison, représentaient une situation plus favorable que celle correspondant aux coûts moyens des entreprises communautaires, lesquels ne lui avaient pas été communiqués au cours de la procédure administrative.

194     Il résulte de ce qui précède que les requérants n’ont pas établi que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que, malgré sa finalité tendant à la compensation partielle des désavantages structurels liés à l’insularité, le régime d’exonération de charges sociales en cause conférait un avantage concurrentiel à ses bénéficiaires.

195    Dans ce contexte, l’argument de Coopservice et du comité, selon lequel la Commission aurait dû tenir compte de la déclaration n° 30 relative aux régions insulaires annexée à l’acte final du traité d’Amsterdam et des règles de la cohésion économique et sociale pour apprécier l’existence d’un avantage concurrentiel (voir points 153 et 155 ci-dessus), doit être rejeté. Il suffit de rappeler à cet égard que l’article 87, paragraphe 1, CE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs d’une mesure d’allégement des charges pesant normalement sur une entreprise, mais définit cette mesure en fonction de ses effets (arrêts de la Cour du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, Rec. p. 709, point 27, et du 17 juin 1999, Belgique/Commission, dit « Maribel bis/ter », C‑75/97, Rec. p. I‑3671, point 25). Une mesure visant à compenser un désavantage structurel ne peut dès lors, du seul fait de sa finalité, échapper à l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, si elle confère un avantage à ses bénéficiaires au sens de cet article. Or, en l’espèce, il découle de l’examen qui précède que, même si le régime d’exonération de charges sociales en cause tendait à compenser partiellement les désavantages structurels spécifiques liés à la situation insulaire de Venise et de Chioggia, les requérants n’ont pas établi que, en raison de son caractère compensatoire, ce régime ne conférait aucun avantage concurrentiel à ses bénéficiaires et n’introduisait donc pas de discrimination entre opérateurs économiques. Par ailleurs, il est à noter que les objectifs de cohésion économique et sociale invoqués par les requérants peuvent être pris en considération aux fins d’une déclaration de compatibilité du régime d’aide avec le marché commun, si les conditions d’une telle dérogation définies par le traité et ses règles d’exécution sont réunies.

196    Pour l’ensemble de ces raisons, la Commission n’a pas méconnu les dispositions de l’article 87, paragraphe 1, CE en estimant, dans la décision attaquée, que la compensation des désavantages structurels invoqués par la République italienne et par les tiers intéressés ayant participé à la procédure n’était pas de nature à exclure que ces mesures constituent une aide d’État.

197    En outre, la décision attaquée est suffisamment motivée sur ce point (voir point 181 ci-dessus). Il en ressort en effet que la Commission a estimé que la compensation des désavantages structurels allégués au moyen de la mesure en cause n’excluait pas l’octroi d’un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE et que, en toute hypothèse, l’existence de surcoûts par rapport à une situation « type », en présence de conditions de concurrence effectives, n’avait pas été établie en l’espèce.

198    Il s’ensuit que les moyens tirés de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et du défaut de motivation, invoqués en relation avec la compensation alléguée de désavantages structurels, doivent être rejetés comme non fondés.

 Sur la compensation alléguée de la gestion de services publics (affaires T-270/00 et T-277/00)

199    Dans l’affaire T-270/00, Italgas soutient que, lors de l’octroi des aides considérées, Veneziana Gas, qui a ultérieurement été absorbée par Italgas, était chargée du service d’intérêt économique général de la distribution de gaz dans la commune de Venise. Veneziana Gas aurait dès lors dû bénéficier de la dérogation prévue par l’article 86, paragraphe 2, CE.

200    La requérante reproche essentiellement à la Commission de s’être limitée, dans la décision attaquée, à prendre en considération la situation individuelle des entreprises municipales, en faveur desquelles les autorités italiennes avaient sollicité une dérogation au titre de l’article 86, paragraphe 2, CE. En s’abstenant de procéder à un examen individuel similaire en ce qui concerne les autres entreprises se trouvant dans des situations analogues, la Commission aurait violé le principe de non-discrimination et motivé la décision attaquée de manière contradictoire. La requérante fait en particulier valoir que, de même qu’elle a admis, au considérant 92 de la décision attaquée, le caractère compensatoire des exonérations de charges sociales considérées en faveur de la société ASPIV, chargée du service d’intérêt économique général de gestion du cycle intégré de l’eau, la Commission aurait dû prendre en compte dans cette décision les coûts supplémentaires résultant pour Veneziana Gas de l’accomplissement de sa mission de service public sur le territoire de la lagune.

201    Dans l’affaire T-277/00, Coopservice et le comité soutiennent également que cette société était chargée de la prestation d’un service d’intérêt économique général.

202    La Commission objecte qu’aucune information relative à la situation individuelle des entreprises requérantes ne lui a été fournie pendant la procédure administrative.

203    À cet égard, il convient de relever à titre liminaire que l’examen de l’ensemble des observations des autorités italiennes et des tiers intéressés ayant fait valoir leur position, à savoir le comité et la municipalité de Venise, adressées à la Commission au cours de la procédure administrative et produites par cette institution à la demande du Tribunal, ainsi que celui des deux rapports du COSES, confirme que l’attention de la Commission n’a pas été attirée sur les coûts supplémentaires supportés par Veneziana Gas ou par les entreprises d’entretien et de nettoyage, comme Coopservice. S’il est vrai que, dans leurs observations du 23 janvier 1999, les autorités italiennes ont évoqué, sans plus de précision, les services d’intérêt économique général parmi les secteurs dans lesquels les entreprises n’étaient selon ces autorités pas susceptibles de participer aux échanges, elles n’ont cependant mentionné aucune de ces entreprises ni fourni la moindre indication qui aurait permis de les identifier ou de déterminer les activités de service public visées.

204    En revanche, il est constant entre les parties que la République italienne et la municipalité de Venise ont sollicité une dérogation au titre de l’article 86, paragraphe 2, CE en faveur des entreprises municipales. Contrairement aux allégations des requérants lors de l’audience, ces entreprises municipales, qui se trouvent en nombre limité, étaient clairement identifiées par leur statut même, dans les observations soumises à la Commission. Elles ont en particulier été nommément désignées dans les observations du gouvernement italien du 27 juillet 1999, qui précisait leurs secteurs d’activité respectifs et les conditions d’exercice de ces activités.

205    Hormis en ce qui concerne les entreprises municipales, les seules indications communiquées à la Commission au cours de la procédure administrative, afin d’étayer le caractère compensatoire du régime d’aide considéré, concernaient les coûts supplémentaires pesant de manière générale sur les entreprises exerçant leur activité sur les îles de la lagune. À aucun moment, la situation particulière de Veneziana Gas, ou celles des entreprises de nettoyage comme Coopservice, n’a été évoquée.

206    Néanmoins, selon Italgas, les surcoûts supportés par Veneziana Gas, par rapport aux coûts supportés par les autres entreprises de distribution de gaz auxquelles s’applique le même système tarifaire défini au niveau national, auraient dû être pris en considération pour apprécier le caractère compensatoire des exonérations de charges sociales considérées à l’égard de cette entreprise.

207    Italgas allègue à cet égard que l’application de la méthode tarifaire unique conduisait à la fixation de tarifs de fourniture de gaz différenciés selon les zones, en fonction d’un coût standard et de paramètres uniformes pour toute l’Italie, qui ne tenaient pas compte du cadre réel dans lequel s’effectuait la distribution de gaz dans la zone lagunaire et des surcoûts effectivement supportés par Veneziana Gas.

208    À cet égard, il convient de rappeler tout d’abord que, lorsque la Commission décide d’ouvrir la procédure formelle d’examen, il revient à l’État membre concerné et aux bénéficiaires de la mesure considérée de faire valoir leurs arguments tendant à démontrer que la mesure en cause ne constitue pas une aide ou qu’elle est compatible avec le marché commun, l’objet de la procédure formelle étant précisément d’éclairer la Commission sur l’ensemble des données de l’affaire (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 novembre 2004, Ferriere Nord/Commission, T‑176/01, Rec. p. II‑3931, point 93). En particulier, en vue d’obtenir l’approbation, en dérogation aux règles du traité, d’aides modifiées ou nouvelles, il appartient à l’État membre concerné, en vertu de son devoir de collaboration envers la Commission, de fournir tous les éléments de nature à permettre à cette institution de vérifier que les conditions de la dérogation sont réunies (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 avril 1993, Italie/Commission, C-364/90, Rec. p. I-2097, point 20, et arrêts du Tribunal du 15 juin 2005, Regione autonoma della Sardegna/Commission, T‑171/02, Rec. p. II‑2123, point 129, et du 6 avril 2006, Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke/Commission, T‑17/03, Rec. p. II‑1139, point 48).

209    Par ailleurs, en présence d’un régime d’aide, la Commission n’est, en principe, pas tenue d’effectuer une analyse des aides octroyées dans des cas individuels (voir point 73 ci-dessus). Elle peut se borner à étudier les caractéristiques générales du régime en cause, sans être obligée d’examiner chaque cas d’application particulier (arrêts de la Cour Italie et Sardegna Lines/Commission, point 52 supra, point 51 ; du 29 avril 2004, Grèce/Commission, C‑278/00, Rec. p. I‑3997, point 24 ; du 15 décembre 2005, Italie/Commission, C‑66/02, Rec. p. I‑10901, points 91 et 92, et Unicredito Italiano, C‑148/04, Rec. p. I‑11137, points 67 et 68).

210    Cependant, selon la jurisprudence, la Commission doit, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité relatives aux aides d’État, procéder dans le cadre de l’article 88 CE à un examen diligent et impartial de la mesure d’aide considérée (arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 62, et du Tribunal du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, Rec. p. II‑435, point 167). En particulier, dans une procédure formelle d’examen, le principe de bonne administration, qui fait partie des principes généraux de l’État de droit communs aux traditions constitutionnelles des États membres, impose à la Commission de respecter le principe d’égalité de traitement entre les intéressés (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 4 avril 2002, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, T‑198/01 R, Rec. p. II‑2153, point 85).

211    Dans ce cadre juridique, la reconnaissance éventuelle d’une obligation de la Commission d’apprécier individuellement la situation de certains bénéficiaires, lors de l’examen d’un régime d’aide, est liée, d’une part, au respect des obligations procédurales pesant respectivement sur la Commission et l’État membre concerné et, d’autre part, au contenu des informations spécifiques concernant lesdits bénéficiaires communiquées par les autorités nationales ou par des tiers intéressés à la Commission.

212    En particulier, selon la jurisprudence, la Commission est habilitée à adopter une décision sur la base des informations disponibles, si l’État membre concerné s’abstient, en violation de son devoir de coopération résultant de l’article 10 CE, de lui fournir les informations qu’elle lui a demandées pour examiner la qualification de la mesure considérée au regard des dispositions de l’article 87, paragraphe 1, CE et apprécier, le cas échéant, la compatibilité de l’aide avec le marché commun. Toutefois, avant de prendre une telle décision, la Commission doit enjoindre à l’État membre de lui fournir, dans le délai qu’elle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour lui permettre d’exercer son contrôle. Ce n’est que si l’État membre omet, malgré l’injonction de la Commission, de fournir les renseignements sollicités que celle-ci a le pouvoir de mettre fin à la procédure et de prendre le cas échéant une décision constatant l’existence d’une aide et la compatibilité ou l’incompatibilité de cette aide avec le marché commun sur la base des éléments dont elle dispose (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 19 octobre 2005, Freistaat Thüringen/Commission, T‑318/00, Rec. p. II‑4179, point 73, et du 12 septembre 2007, Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, T‑68/03, non encore publié au Recueil, point 36, et la jurisprudence citée).

213    Ces principes ont été entérinés par l’article 5, paragraphes 2 et 3, l’article 10, paragraphe 3, et l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999. En particulier, ce dernier article énonce que, au cas où un État membre omet de se conformer à une injonction de fournir des informations, la décision de la Commission de clore la procédure formelle d’examen au titre de l’article 7 de ce même règlement est prise sur la base des renseignements disponibles.

214    En l’espèce, la Commission s’est pleinement acquittée de ses obligations procédurales, tant à l’égard de l’État membre concerné que des bénéficiaires du régime d’aide considéré, en leur qualité de tiers intéressés. En effet, les tiers intéressés ont été invités à présenter leurs observations au sujet du régime d’aide considéré par une communication publiée au Journal officiel du 18 février 1998, en application de l’article 88, paragraphe 2, CE. Cette communication reprenait le texte de la lettre par laquelle la Commission a informé la République italienne de sa décision d’ouvrir la procédure formelle et dans laquelle elle l’a enjointe de lui fournir notamment tous les documents, informations et données qu’elle jugerait utiles à l’appréciation de cette affaire. Par lettre du 17 mars 1998, le comité a transmis à la Commission un rapport accompagné de l’étude du COSES datée du mois de mars 1998. La municipalité de Venise a présenté ses observations à la Commission, par lettre du 18 mai 1998. Elle indiquait dans cette lettre que les entreprises municipales étaient chargées de la prestation d’un service public et invoquait l’application de l’article 86, paragraphe 2, CE. Les entreprises requérantes n’ont pas présenté d’observations. Les observations susmentionnées du comité et de la municipalité de Venise ont été transmises au gouvernement italien, qui a adressé ses commentaires à la Commission par lettre du 23 janvier 1999 et s’est rallié à la demande de dérogation au titre de l’article 86, paragraphe 2, CE en faveur des entreprises municipales, par lettre du 10 juin 1999. Par décision du 23 juin 1999, la Commission, considérant que la République italienne ne lui avait pas fourni toutes les informations nécessaires pour évaluer les mesures en faveur des entreprises municipales, l’a enjointe de lui fournir tous les documents, informations et données nécessaires pour apprécier la compatibilité de ces mesures avec le marché commun au titre de l’article 86, paragraphe 2, CE. Les autorités italiennes ont répondu par la lettre du 27 juillet 1999, susmentionnée.

215    Dans ces conditions, et en l’absence du moindre élément d’information concernant les entreprises requérantes dans les observations et les documents communiqués à la Commission (voir points 207 et 209 ci-dessus), il ne saurait être reproché à cette institution de s’être abstenue d’examiner leur situation individuelle.

216    En particulier, à défaut de toute information sur ce point, il n’incombait pas à la Commission de vérifier si les exonérations de charges sociales en cause accordées à Veneziana Gas et à Coopservice représentaient la compensation financière d’obligations de service public et ne leur conféraient de ce fait aucun avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

217    À cet égard, il est à noter que la décision attaquée est antérieure aux arrêts de la Cour du 22 novembre 2001, Ferring (C‑53/00, Rec. p. I‑9067, point 27), et Altmark, point 107 supra, ce qui explique que la Commission ait examiné, au considérant 92 de cette décision, la compensation de la gestion d’un service public, par l’entreprise municipale ASPIV, au titre de la dérogation prévue par l’article 86, paragraphe 2, CE et non dans le cadre de l’appréciation des conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE.

218    Cependant, les critères énoncés dans l’arrêt Altmark, point 107 supra, résultant d’une interprétation de l’article 87, paragraphe 1, CE, sont pleinement applicables à la situation factuelle et juridique de la présente affaire telle qu’elle se présentait à la Commission lorsqu’elle a adopté la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission, T‑289/03, non encore publié au Recueil, point 158). Toutefois, dans la mesure où cette décision a été adoptée plusieurs années avant cet arrêt, il conviendrait, le cas échéant, d’examiner si l’approche d’ensemble de la Commission, dans la décision attaquée, est compatible avec la substance des critères énoncés dans l’arrêt Altmark, point 107 supra, plutôt que de procéder à une application littérale de ces critères (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Mme Sharpston sous l’arrêt de la Cour du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/Ufex e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, non encore publiées au Recueil, point 94).

219    En l’occurrence, Italgas invoque l’arrêt de la Cour du 27 novembre 2003, Enirisorse (C‑34/01 à C‑38/01, Rec. p. I‑14243, points 31 à 40), qui reprend les conditions énoncées par l’arrêt Altmark, point 107 supra.

220    Néanmoins, comme la Commission n’était pas tenue, au vu des informations disponibles, d’examiner la situation individuelle de Veneziana Gas et de Coopservice (voir point 215 ci-dessus), il y a lieu de constater que la décision attaquée ne méconnaît pas à cet égard l’article 87, paragraphe 1, CE et n’est entachée ni d’une violation du principe de non-discrimination ni d’une contradiction dans la motivation, en ce qu’elle se limite à examiner la situation individuelle des entreprises municipales.

221    Pour tous ces motifs, l’ensemble des moyens et arguments des requérants et de la République italienne se rapportant au caractère prétendument compensatoire de la mesure considérée doit être rejeté comme non fondé.

 Sur l’absence alléguée d’affectation des échanges entre les États membres et d’incidence sur la concurrence

222    Selon les requérants et la République italienne intervenant au soutien d’Italgas, il incombait à la Commission d’examiner si le régime d’aide considéré était susceptible d’affecter les échanges intracommunautaires et d’avoir une incidence sur la concurrence, dans les principaux secteurs d’activité concernés. Ils reprochent en particulier à la Commission d’avoir omis de prendre en considération le caractère local des marchés concernés. La décision attaquée serait dès lors insuffisamment motivée et violerait l’article 87, paragraphe 1, CE. En outre, en tenant uniquement compte du caractère local de l’activité des entreprises municipales, la Commission aurait méconnu le principe de non-discrimination et motivé la décision attaquée de manière contradictoire.

223    La décision attaquée énonce au considérant 49 :

« [L]a concurrence et les échanges entre États membres sont faussés du fait que les réductions de charges sociales sont accordées à toutes les entreprises, parmi lesquelles des entreprises qui exercent des activités économiques faisant l’objet d’échanges entre ces États. Sur la base des renseignements fournis par les autorités italiennes, on constate que les entreprises bénéficiaires opèrent notamment dans des secteurs qui font l’objet d’échanges intensifs, comme par exemple le secteur manufacturier et celui des services. »

224    Au vu de cette motivation succincte, force est de constater, ainsi que le relèvent les requérants, que, à partir des données relatives à certains secteurs qui lui ont été transmises par les autorités nationales, la Commission s’est fondée en l’espèce sur une présomption générale dans la mesure où le régime d’aide considéré englobait l’ensemble des secteurs d’activité dans une zone géographique déterminée.

225    Il convient de vérifier si une telle approche peut être considérée comme conforme aux dispositions de l’article 87, paragraphe 1, CE et à l’obligation de motivation.

226    Pour démontrer que la Commission était tenue de procéder à une analyse des marchés concernés, les requérants invoquent notamment les arrêts de la Cour du 14 octobre 1987, Allemagne/Commission (248/84, Rec. p. 4013), du 24 octobre 1996, Allemagne e.a./Commission, dit « Bremer Vulkan » (C‑329/93, C‑62/95 et C‑63/95, Rec. p. I‑5151), Maribel bis/ter, point 195 supra, Italie et Sardegna Lines/Commission, point 52 supra, du 7 mars 2002, Italie/Commission, point 101 supra, et du Tribunal Alzetta e.a./Commission, point 45 supra, et du 6 septembre 2006, Italie et Wam/Commission (T‑304/04 et T‑316/04, non publié au Recueil, sous pourvoi).

227    Il ressort de l’examen de la jurisprudence que les exigences concernant la motivation et l’analyse par la Commission de l’incidence d’une mesure d’aide sur les échanges entre les États membres et la concurrence varient très logiquement en fonction de la nature, individuelle ou générale, de cette mesure.

228    En ce qui concerne les aides individuelles, le juge communautaire vérifie si la motivation de la décision attaquée se fonde sur des éléments concrets pour établir que la mesure examinée est susceptible d’affecter les échanges intracommunautaires et d’avoir une incidence sur la concurrence, tels que, notamment, la taille de l’entreprise bénéficiaire, ses activités d’exportation, le montant de l’aide (arrêt de la Cour du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission, 730/79, Rec. p. 2671, points 10 et 11). Il exige une analyse économique concrète de la situation du marché par la Commission (arrêt Bremer Vulkan, point 226 supra, point 53 ; arrêts du Tribunal du 22 février 2006, Le Levant 001 e.a./Commission, T‑34/02, Rec. p. II‑267, points 123 et 124, et Italie et Wam/Commission, point 226 supra, point 73).

229    Lors de l’examen des régimes d’aide sectoriels, la Commission ne peut pas non plus se limiter à une analyse abstraite. Le juge communautaire vérifie également qu’elle s’est fondée sur des éléments concrets, relatifs par exemple aux caractéristiques du régime d’aide ou du marché concerné, pour apprécier l’incidence de l’aide (voir, par exemple, l’arrêt Alzetta e.a./Commission, point 45 supra, point 87, et l’arrêt Italie et Sardegna Lines/Commission, point 52 supra, point 69, dans lequel la Cour a annulé la décision attaquée pour insuffisance de motivation, au motif que la Commission avait omis de prendre en compte l’absence de libéralisation du secteur concerné du cabotage avec les îles de la Méditerranée, pendant la période concernée).

230    En revanche, s’agissant des régimes d’aide multisectoriels, il ressort de la jurisprudence que la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du programme en cause pour apprécier si, en raison des montants ou des pourcentages élevés des aides, des caractéristiques des investissements soutenus ou d’autres modalités que ce programme prévoit, celui-ci assure un avantage sensible aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres (voir, en ce sens, arrêts Allemagne/Commission, point 226 supra, point 18 ; Maribel bis/ter, point 195 supra, point 48, et du 7 mars 2002, Italie/Commission, point 104 supra, points 89 et 91).

231    Il en découle que, dans le cas d’un régime d’aide applicable, comme en l’espèce, à l’ensemble des entreprises implantées sur un territoire déterminé, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle démontre, sur la base d’un examen même sommaire de la situation des marchés, une incidence prévisible de ce régime sur les échanges intracommunautaires et la concurrence dans l’ensemble des secteurs d’activité concernés.

232    À cet égard, il convient en effet de rappeler que, en matière d’aides d’État, la répartition de la charge de la preuve est subordonnée au respect des obligations procédurales respectives pesant sur la Commission et sur l’État membre concerné, dans le cadre de l’exercice par cette institution du pouvoir dont elle dispose pour amener l’État membre à lui fournir toutes les informations nécessaires (arrêt Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, point 212 supra, point 35).

233    En particulier, il appartient à l’État membre concerné, en vertu de son devoir de collaboration avec la Commission, et aux tiers intéressés dûment invités à présenter leurs observations conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE de faire valoir leurs arguments et de fournir à la Commission toutes les informations susceptibles de l’éclairer sur l’ensemble des données de l’affaire (voir point 208 ci-dessus).

234    C’est précisément sur la base des arguments et des données qui lui ont ainsi été soumis que la Commission est tenue, dans le respect de ses obligations procédurales (voir point 212 ci-dessus), de vérifier avec diligence et impartialité notamment si la mesure considérée est susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et d’avoir une incidence sur la concurrence. En effet, il n’existe pas d’obligation pour la Commission d’examiner d’office et par supputation quels sont les éléments de fait ou de droit qui auraient pu lui être soumis pendant la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, point 210 supra, point 60, et arrêt du Tribunal du 14 janvier 2004, Fleuren Compost/Commission, T‑109/01, Rec. p. II‑127, point 49).

235    En conséquence, en présence d’un régime d’aide multisectoriel, la Commission est uniquement tenue de contrôler, sur la base d’éléments concrets, si, dans certains secteurs déterminés, la mesure considérée remplit les deux conditions susmentionnées d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, lorsque des informations pertinentes suffisantes lui ont été fournies à cette fin pendant la procédure administrative. À défaut d’informations suffisantes, la Commission peut, conformément à la jurisprudence, recourir à une présomption fondée sur l’analyse des caractéristiques du régime d’aide considéré (voir point 230 ci-dessus).

236    Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, la question de savoir si la motivation d’une décision satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte, ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Si la Commission n’est pas tenue de répondre, dans la motivation d’une décision, à tous les points de fait et de droit invoqués par l’État membre concerné ou par les intéressés au cours de la procédure administrative, elle doit néanmoins tenir compte de toutes les circonstances et de tous les éléments pertinents du cas d’espèce, afin de permettre au juge communautaire d’exercer son contrôle de légalité et de faire connaître, tant aux États membres qu’aux ressortissants intéressés, les conditions dans lesquelles elle a fait application du traité (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T‑371/94 et T‑394/94, Rec. p. II‑2405, point 94, et la jurisprudence citée).

237    Il s’ensuit que l’étendue de l’obligation de motivation pesant sur la Commission, en présence d’un régime d’aide multisectoriel, dépend, pour ce qui est en particulier de l’incidence de ce régime sur les échanges intracommunautaires et la concurrence, des données et des éléments communiqués à cette institution dans le contexte de la procédure administrative.

238    Enfin, la légalité de la décision de la Commission doit être appréciée en fonction des seuls éléments dont elle disposait au moment de son adoption, et non sur la base d’arguments factuels inconnus de cette institution et qui ne lui auraient pas été signalés au cours de la procédure administrative (arrêt Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, point 212 supra, points 72 et 73).

239    En l’espèce, c’est dès lors à la lumière des données disponibles, qui avaient été communiquées à la Commission par les autorités italiennes, par le comité et par la municipalité de Venise, au cours de la procédure administrative, et qui ont été produites par la Commission à la demande du Tribunal, qu’il y a lieu d’apprécier si cette institution a établi à suffisance de droit que les exonérations de charges sociales en cause étaient susceptibles d’affecter les échanges intracommunautaires et d’avoir une incidence sur la concurrence et si la décision attaquée est suffisamment motivée sur ce point.

240    En l’occurrence, ainsi que l’ont souligné les requérants lors de l’audience, les autorités italiennes ont fait valoir, dans leur lettre du 23 janvier 1999, que les entreprises opérant dans les secteurs de la construction, du commerce, de l’hôtellerie et des services d’intérêt économique général n’étaient pas susceptibles de participer aux échanges. Cette affirmation n’était cependant étayée par aucun argument juridique ou factuel. En particulier, les tableaux de l’INPS, annexés à cette lettre et visés dans la décision attaquée (considérant 6), contenaient uniquement des informations concernant la mise en œuvre de la mesure en cause, ventilées par secteur d’activité et par année, relatives au nombre et à la taille des entreprises bénéficiaires ainsi qu’au nombre de travailleurs concernés. Ils ne contenaient par ailleurs aucun élément ni aucune donnée permettant d’établir le caractère strictement local des marchés, notamment dans les secteurs visés par les autorités italiennes dans la lettre susmentionnée.

241    Le caractère local notamment des secteurs d’activité dans lesquels opèrent les entreprises requérantes ne ressortait pas davantage des observations du comité du 17 mars 1998 et des études du COSES, en particulier l’étude datée du mois de mars 1998, qui contenait une analyse de la situation concurrentielle notamment dans les secteurs du commerce liés au tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration, des services et de l’artisanat traditionnel tel que celui du verre de Murano. En effet, seule la concurrence avec les opérateurs implantés sur la terre ferme était examinée dans cette étude, en ce qui concerne l’ensemble des secteurs étudiés. En revanche, la question relative à l’incidence de la mesure en cause sur les échanges intracommunautaires et sur la position concurrentielle des bénéficiaires par rapport à des opérateurs implantés dans d’autres États membres ou sur d’autres territoires en Italie n’y était pas abordée. Par ailleurs, les secteurs des services d’entretien et de nettoyage, dans lequel opère Coopservice, et de distribution du gaz, où opérait Veneziana Gas, n’étaient pas analysés. S’agissant en particulier des services, l’étude susmentionnée se référait uniquement de manière générale au « secteur tertiaire » (point 1.4).

242    Il en découle que les observations et les documents communiqués à la Commission pendant la procédure administrative ne contenaient aucun élément ni aucune donnée concrète de nature à attirer l’attention de cette institution sur la situation particulière de certains secteurs et à lui permettre en particulier d’établir que, dans ces secteurs, les exonérations de charges sociales en cause n’étaient pas susceptibles d’affecter les échanges intracommunautaires et d’avoir une incidence sur la concurrence.

243    Dans ces circonstances, il n’appartenait pas à la Commission, qui s’est pleinement acquittée de ses obligations procédurales (voir point 214 ci-dessus), de recueillir des informations supplémentaires auprès des autorités nationales afin de vérifier si les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE relatives à l’affectation des échanges intracommunautaires et à l’incidence sur la concurrence étaient réunies, dans les divers secteurs d’activité concernés, et notamment dans ceux de l’hôtellerie, de la distribution de gaz, et des services d’entretien et de nettoyage, dans lesquels opèrent les entreprises requérantes.

244    À cet égard, contrairement aux allégations des entreprises requérantes lors de l’audience, leur situation et celle des autres bénéficiaires du régime d’aide considéré se distingue de celle des entreprises municipales, qui avaient été identifiées et concernant lesquelles des informations précises avaient été fournies à la Commission, pendant la procédure administrative (voir point 202 ci-dessus). Les moyens tirés de la violation du principe de non-discrimination et du caractère contradictoire de la motivation doivent dès lors être rejetés.

245    En outre, dans la mesure où il découle des documents transmis à la Commission que cette institution ne disposait d’aucune information concrète relative à la spécificité de leurs secteurs d’activité, les requérants ne sont pas recevables à invoquer cette spécificité pour démontrer qu’ils opèrent sur un marché strictement local ou, en ce qui concerne Italgas, que le secteur de la distribution du gaz n’était pas ouvert à la concurrence au cours de la période considérée.

246    Par ailleurs, les arguments des requérants relatifs au faible montant de l’aide considérée et au fait que la plupart des entreprises bénéficiaires exerceraient leur activité à un niveau exclusivement local ne sauraient être accueillis.

247    En effet, l’importance relativement faible d’une aide ou la taille relativement modeste de l’entreprise bénéficiaire n’excluent pas a priori l’éventualité que les échanges entre États membres soient affectés. En particulier, une aide d’une importance relativement faible est de nature à affecter de tels échanges lorsque le secteur dans lequel opèrent les entreprises qui en bénéficient connaît une vive concurrence. Ainsi, lorsqu’un secteur est caractérisé par un nombre élevé de petites entreprises, une aide, même relativement modeste sur le plan individuel, mais ouverte potentiellement à l’ensemble ou à une très large partie des entreprises du secteur, peut avoir des répercussions sur les échanges entre États membres (voir arrêt Xunta de Galicia, point 107 supra, points 41 à 43, et la jurisprudence citée). De surcroît, en l’espèce, la Commission a expressément exclu, dans la décision attaquée, les mesures respectant la règle de minimis du champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE (voir point 103 ci-dessus).

248    De même, à supposer que la plupart des entreprises bénéficiaires exerçaient uniquement leur activité au niveau local, ce qui n’est pas établi, cette circonstance ne serait en tout état de cause pas pertinente. Selon une jurisprudence constante, une aide peut être de nature à affecter les échanges entre les États membres et à fausser la concurrence même si les entreprises bénéficiaires se trouvant en concurrence avec des producteurs d’autres États membres exercent exclusivement leur activité au niveau local. En effet, lorsqu’un État membre octroie une aide à une entreprise, la production intérieure peut s’en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d’autres États membres d’exporter leurs produits vers le marché de cet État membre en sont diminuées (voir, en ce sens, arrêts du 7 mars 2002, Italie/Commission, point 104 supra, point 84 ; Xunta de Galicia, point 107 supra, point 40 ; du 15 décembre 2005, Italie/Commission, point 209 supra, point 117, et Alzetta e.a./Commission, point 45 supra, point 91).

249    Pour toutes ces raisons, eu égard, d’une part, aux caractéristiques du régime d’aide considéré, prévoyant des exonérations de charges sociales en faveur de l’ensemble des entreprises établies à Venise ou à Chioggia et, d’autre part, aux éléments et aux données qui ont été communiqués à la Commission au cours de la procédure administrative, cette institution n’a pas méconnu l’article 87, paragraphe 1, CE, en présumant qu’un tel régime bénéficiait à des entreprises opérant dans des secteurs faisant l’objet d’échanges intensifs, tels que le secteur manufacturier ou celui des services, sans se référer, même sommairement, à des marchés précis et sans s’appuyer sur des caractéristiques concrètes de certains de ces marchés.

250    En outre, la Commission, en motivant de la sorte la décision attaquée (voir point 223 ci-dessus) a indiqué de manière succincte mais claire les raisons pour lesquelles les exonérations de charges sociales en cause étaient susceptibles d’affecter les échanges intracommunautaires et d’avoir une incidence sur la concurrence.

251    Contrairement aux allégations des requérants, cette motivation était suffisante pour permettre aux autorités italiennes de déterminer les entreprises tenues de restituer les aides reçues, en exécution de cette décision. En effet, ainsi qu’il a déjà été jugé (voir points 100 à 111 ci-dessus), il n’appartenait pas à ces autorités, lors de l’exécution de la décision attaquée, de vérifier dans chaque cas individuel si les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE étaient réunies.

252    Il s’ensuit que la décision attaquée se suffisait à elle-même et n’a ni nécessité ni fait l’objet d’une motivation complémentaire. À cet égard, les réponses de la Commission des 29 août et 29 octobre 2001, invoquées par les requérants, à des demandes d’éclaircissement concernant les modalités d’exécution de cette décision, qui lui avaient été adressées par les autorités nationales, s’inscrivaient uniquement dans le cadre de la coopération loyale entre cette institution et les autorités nationales.

253    Pour l’ensemble de ces motifs, les moyens tirés de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et du défaut de motivation doivent être rejetés comme non fondés.

2.     Sur la violation alléguée de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE et le prétendu défaut de motivation

a)     Arguments des parties

 Arguments des requérants

–       Affaire T-254/00

254    La requérante, l’Hotel Cipriani, fait observer que l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE doit être interprété conformément aux objectifs de cohésion économique et sociale consacrés à l’article 2 CE et spécialement mis en œuvre par les articles 158 CE et suivants. En effet, la réalisation d’un marché unique et la protection de la concurrence ne constitueraient pas une fin en soi, mais tendraient à la réalisation des objectifs essentiels du traité. Les aides régionales constitueraient un instrument essentiel dans la poursuite de ces objectifs, lesquels ne seraient pas l’« apanage » des fonds structurels. Il incomberait dès lors à la Commission, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, d’appliquer les dispositions relatives aux aides régionales de manière souple, en prévoyant dans certains cas des solutions différenciées afin de tenir compte de la spécificité objective des situations considérées, de manière à garantir l’effet utile de ces dispositions et la réalisation de leurs finalités.

255    En l’espèce, les conditions d’une dérogation au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE seraient réunies. En particulier, la décision attaquée serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation et d’un défaut de motivation, en ce qu’elle exclut la totalité du territoire de Venise du bénéfice de cette dérogation.

256    En premier lieu, la requérante allègue que les mesures en cause, destinées à préserver le tissu socio-économique de la ville de Venise, concordent pleinement avec les finalités du régime communautaire des aides régionales. En effet, une partie du territoire de Venise, en particulier les îles de la lagune, dont l’île de la Giudecca où se trouve l’Hotel Cipriani, figurerait parmi les régions italiennes pouvant bénéficier des interventions au titre de l’objectif n° 2 des fonds structurels ainsi que sur la carte des régions italiennes admises à bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

257    En outre, l’ensemble du territoire de Venise relèverait du champ d’application de l’encadrement des aides d’État aux entreprises dans les quartiers urbains défavorisés, précité, car il serait compris dans l’initiative communautaire en faveur des zones urbaines dénommée initiative Urban (point 7 de l’encadrement). Il remplirait, en outre, les autres critères alternatifs d’éligibilité. Contrairement aux affirmations de la Commission (considérant 72 de la décision attaquée), cet encadrement aurait été conçu comme un instrument destiné à compléter les autres régimes communautaires qui tendent à la protection de la cohésion économique et sociale et dont la Commission aurait reconnu le caractère partiel et inapproprié (point 1 de l’encadrement). Il répondrait ainsi à la nécessité de prendre en considération d’autres indicateurs socio-économiques, propres aux réalités intra-urbaines (point 7 de l’encadrement). En l’occurrence, l’application, dans le cas de Venise, de critères spéciaux comme ceux qui sont prévus dans l’encadrement, susmentionné, serait objectivement justifiée par les surcoûts liés à l’insularité et le risque de faire de Venise une « ville-musée » privée d’un authentique tissu économique et social. Dans sa communication du 22 mai 2002 sur l’expiration de cet encadrement communautaire, la Commission aurait d’ailleurs souligné que les aides en faveur des quartiers défavorisés peuvent être considérées comme compatibles « selon le cas et en fonction des circonstances particulières entourant le projet d’aide, directement sur la base de l’article 87, paragraphe 3, [sous] c), [CE] ».

258    En conséquence, du fait de l’insularité, la situation de Venise présenterait une spécificité absolue, qui aurait justifié une approche plus souple de la part de la Commission en ce qui concerne l’application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, comme le Parlement européen l’y aurait expressément invitée dans sa résolution, sur la situation de crise à Venise, du 16 avril 1999 (JO C 219, p. 511).

259    En second lieu, la requérante fait valoir que les mesures en cause n’ont compensé que très partiellement les surcoûts dont la Commission ne contesterait pas l’existence dans la décision attaquée (considérant 78). Elles seraient donc proportionnées à l’objectif de développement régional poursuivi et n’altéreraient dès lors pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun. Cela vaudrait a fortiori pour le secteur de l’hôtellerie et de la restauration.

–       Affaire T-270/00

260    La requérante, Italgas, rappelle que la Commission, afin d’éviter de traiter des situations analogues de manière discriminatoire, est tenue d’appliquer l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE selon des critères objectifs, qu’elle définit généralement elle-même dans des communications interprétatives qui confèrent à sa pratique la continuité et la prévisibilité exigées par le principe de sécurité juridique. Ces communications ne permettraient cependant pas d’établir une liste exhaustive des interventions susceptibles de bénéficier de la dérogation régionale visée à cet article. Elles ne dispenseraient dès lors pas la Commission de vérifier si d’autres interventions, destinées à remédier à des problèmes locaux spécifiques, méritent d’être autorisées au titre de cet article. Le Tribunal aurait jugé à cet égard que des mesures ne relevant pas des encadrements communautaires relatifs à l’application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE sont néanmoins susceptibles de bénéficier de la dérogation visée par cet article, lorsque les conditions des échanges ne sont pas altérées dans une mesure contraire à l’intérêt commun (arrêt du Tribunal du 4 avril 2001, Regione autonoma Friuli-Venezia Giulia/Commission, T‑288/97, Rec. p. II‑1169, point 72).

261    Cette interprétation ressortirait également de l’encadrement communautaire des aides d’État aux entreprises dans les quartiers urbains défavorisés, susvisé, dans lequel la Commission aurait admis que certaines circonstances locales particulières, tout en ne répondant pas aux critères structurels définis dans les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale, publiées en 1998 (JO C 74, p. 9, ci-après les « lignes directrices de 1998 »), justifient cependant également l’autorisation de l’octroi d’une aide d’État en application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Dans cet encadrement (points I et III), la Commission aurait mis l’accent sur l’inadéquation des lignes directrices de 1998 pour répondre aux difficultés liées aux surcoûts supportés par les entreprises dans les quartiers urbains défavorisés.

262    En l’espèce, la Commission aurait omis de prendre en considération les mêmes critères d’appréciation pour reconnaître l’existence d’une situation exceptionnelle spécifique à Venise qui, bien qu’elle ne soit pas envisagée dans l’encadrement susmentionné, aurait justifié l’autorisation d’une intervention étatique en application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Or, les autorités italiennes et la commune de Venise auraient invoqué, au cours de la procédure administrative, la possibilité d’une telle autorisation, eu égard à la situation singulière de la zone lagunaire pour laquelle elles auraient sollicité une solution ad hoc, indépendamment des données fournies par les indicateurs structurels habituels et du régime des aides à finalité régionale, dont elles n’auraient demandé ni l’application ni la modification.

263    Néanmoins, dans la décision attaquée (considérant 74), la Commission se serait limitée à invoquer l’absence « d’éléments nouveaux » de nature à justifier la dérogation sollicitée, sans toutefois indiquer les raisons pour lesquelles elle estimait que les éléments avancés par les autorités italiennes n’étaient pas suffisants pour justifier une telle dérogation.

264    En outre, la requérante relève que les aides litigieuses ont été accordées avant la réforme introduite par les lignes directrices de 1998. Dans ce contexte, la Commission n’aurait pas indiqué les motifs juridiques et factuels de son refus d’autoriser la dérogation sollicitée. Elle n’expliquerait pas pourquoi les critères définis dans les lignes directrices alors en vigueur s’opposaient à la prise en considération de la situation particulière de Venise, au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

265    Or, selon la jurisprudence, la Commission serait obligée de prendre en considération toutes les circonstances pertinentes aux fins de l’appréciation de la compatibilité d’une aide au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE (arrêts de la Cour Philip Morris Holland/Commission, point 228 supra, point 17, et du 21 mars 1990, Belgique/Commission, dit « Tubemeuse », C‑142/87, Rec. p. I‑959, point 56 ; arrêt du Tribunal du 11 juillet 2002, HAMSA/Commission, T‑152/99, Rec. p. II‑3049, point 48). Sa décision devrait contenir un raisonnement compréhensible pour ses destinataires (arrêt de la Cour du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 40/85, Rec. p. 2321, point 21).

266    En l’espèce, la décision attaquée serait dès lors entachée d’un grave défaut de motivation, en raison de l’absence de prise en considération des observations du gouvernement italien et des parties intéressées. Ce défaut de motivation serait plus manifeste au vu de la déclaration n° 30 relative aux régions insulaires, annexée à l’acte final du traité d’Amsterdam, énonçant que la législation communautaire doit tenir compte des handicaps structurels liés à leur insularité et que des « mesures spécifiques » peuvent être prises en faveur de ces régions. Or, dans la décision attaquée (note n° 30, sous le considérant 78), la Commission se serait bornée à indiquer que les prétendues difficultés structurelles invoquées ne seraient pas liées à l’insularité des territoires de la lagune et ne constitueraient dès lors pas des inconvénients structurels visés par la déclaration n° 30, susmentionnée.

267    Par ailleurs, la requérante souligne que les exonérations litigieuses constituent des mesures d’aides à l’emploi étendant aux territoires de Venise et de Chioggia les principes guidant la politique de l’emploi dans le Mezzogiorno. La circonstance que Venise ne satisfasse pas aux critères définis au point 22 des lignes directrices concernant les aides à l’emploi ne ferait pas obstacle à l’application en sa faveur d’une dérogation régionale au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. En effet, la Commission resterait libre de modifier sa pratique de manière évolutive sous réserve de respecter les critères susvisés dans les cas expressément prévus par les lignes directrices qui les énoncent. Elle pourrait en particulier appliquer par analogie à d’autres cas les principes inspirant ces lignes directrices, indépendamment de l’adoption d’une communication visant à régler précisément le cas d’espèce.

268    Enfin, la décision attaquée serait en tout état de cause entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle dispose, à l’article 1er, second alinéa, que les aides prévues par l’article 2 du décret ministériel du 5 août 1994 constituent des aides incompatibles avec le marché commun, si elles ont été accordées à des entreprises qui ne sont pas des PME et qui ne sont pas implantées dans des zones habilitées à bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. En effet, comme ces aides tendent à la création de nouveaux emplois, elles devraient bénéficier, en application du point 20 des lignes directrices concernant les aides à l’emploi, de la dérogation visée à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, s’il s’agit d’aides destinées à « faciliter le développement de certaines activités ». Dans ce contexte, les aides destinées à la création d’emplois nouveaux devraient être déclarées compatibles même lorsqu’elles ont été accordées à des entreprises localisées en dehors des zones susceptibles de bénéficier de la dérogation régionale visée à l’article susmentionné.

269    La République italienne, intervenant au soutien des conclusions d’Italgas, relève que la Commission a elle-même admis, dans le mémoire en défense (point 191), que l’instrument de la dérogation régionale prévu par l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE pouvait répondre de manière appropriée aux exigences du type de celles qui ont été soumises par Italgas à propos de Venise, sans qu’il soit nécessaire de créer des réglementations ad hoc. Or, cette position aurait été défendue par les autorités italiennes pendant la procédure administrative. Toutefois, la Commission, sans pour autant contester les arguments de ces autorités relatifs à la dégradation irréversible du tissu économique des zones de la lagune, n’aurait pas pris en considération leur demande tendant à l’application d’une dérogation au titre de l’article susmentionné, en ce qui concerne la partie insulaire et lagunaire de Venise. La décision attaquée (considérant 74) serait dès lors entachée d’un défaut de motivation. En outre, la crainte de la Commission de provoquer un nombre important de demandes de dérogation analogues ne serait pas fondée, eu égard notamment à la spécificité de la zone insulaire et lagunaire de Venise.

–       Affaire T-277/00

270    Les requérants, Coopservice et le comité, soutiennent que la décision attaquée est entachée d’une erreur et d’un défaut de motivation, pour autant que la Commission ne tient pas compte, lorsqu’elle examine si le régime considéré est susceptible de bénéficier d’une dérogation régionale au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, du caractère insulaire du territoire de Venise et de Chioggia, lequel justifierait l’octroi des mesures en cause. En particulier, la Commission écarterait sans justification et de manière erronée la déclaration n° 30 du traité d’Amsterdam. Or, il ressortirait de cette déclaration que l’insularité justifie l’autorisation de l’aide en vertu d’une présomption relative aux inconvénients structurels affectant les régions insulaires du seul fait de leur insularité.

 Arguments de la Commission

271    La Commission soutient que, par son caractère dérogatoire, l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE doit être interprété de manière restrictive. Le caractère exceptionnel des dérogations régionales ressortirait clairement des lignes directrices de 1998 (point 1, quatrième alinéa), qui ont remplacé la communication de la Commission sur la méthode pour l’application de l’article [87], paragraphe 3, sous a) et c), [CE] aux aides régionales, du 12 août 1988 (JO C 212, p. 2, ci-après la « communication du 12 août 1988 »). Les règles énoncées dans ces lignes directrices lieraient la Commission.

272    La Commission rappelle à cet égard que les zones de chaque État membre admises à bénéficier de la dérogation régionale figurent sur la carte des aides à finalité régionale approuvée par cette institution sur la base de critères communs et d’un projet notifié par l’État membre, conformément à la procédure fixée par lesdites lignes directrices de 1998 (notamment point 3.10).

273    En l’espèce, le régime d’aide considéré serait destiné également à des entreprises établies dans des zones qui ne sont pas admises à la dérogation visée à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Comme l’avait indiqué la Commission dans la décision attaquée (considérant 68), cette circonstance aurait suffi à justifier que ce régime ne puisse pas bénéficier d’une dérogation régionale. En effet, lors de l’examen d’un régime d’aide, la Commission ne serait pas tenue d’analyser la situation individuelle de chaque entreprise bénéficiaire. En conséquence, contrairement aux allégations de l’Hotel Cipriani, la décision attaquée ne serait pas entachée d’un défaut de motivation en ce que la Commission n’a pas pris en considération le fait que cette requérante était établie dans une zone admise à bénéficier de la dérogation régionale.

274    En outre, pour ces mêmes motifs, la Commission aurait à bon droit refusé d’accueillir la demande des autorités italiennes visant à obtenir l’autorisation du régime d’aide considéré au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, en raison de la situation locale spécifique de Venise, caractérisée par la nécessité d’éviter le dépeuplement de la ville, le déclin de ses activités industrielles et sa transformation en ville musée, et par la nature prétendument compensatrice des mesures considérées (considérant 67 de la décision attaquée).

275    Par ailleurs, la Commission conteste que Venise relève du champ d’application de l’encadrement des aides d’État aux entreprises dans les quartiers urbains défavorisés.

276    En outre, elle fait observer qu’une réglementation ad hoc concernant Venise n’est en tout état de cause pas nécessaire pour répondre aux exigences invoquées par Italgas. En l’occurrence, ce serait la République italienne qui a décidé de ne pas inclure l’intégralité du territoire de Venise dans sa proposition concernant la liste des zones admissibles aux dérogations régionales prévues à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

277    De plus, la Commission relève qu’elle a exposé, dans la décision attaquée (considérants 73 et 74), les raisons pour lesquelles elle n’avait pas l’intention de modifier la méthode d’application de cet article pour l’adapter au cas de Venise, comme elle l’avait fait lors de l’élargissement de la Communauté à la Suède et à la Finlande.

278    Enfin, la Commission conteste la thèse d’Italgas, selon laquelle le régime d’aide considéré prévoirait des mesures en faveur de l’emploi analogues à celles énoncées par la réglementation relative au Mezzogiorno, lesquelles auraient été étendues aux territoires de Venise et de Chioggia.

279    Quant à l’argument relatif à la conformité des mesures considérées avec le principe de proportionnalité, avancé par l’Hotel Cipriani, il se référerait à une situation individuelle et à un secteur d’activité déterminé, lesquels ne seraient pas soumis à l’examen de la Commission lors de l’appréciation d’un régime d’aide.

b)     Appréciation du Tribunal

280    Il convient de rappeler à titre liminaire que, dans la décision attaquée (considérants 60 à 63 et article 1er, premier alinéa), la Commission, se fondant sur les points 20, 21 et 23 des lignes directrices concernant les aides à l’emploi, lesquelles visent uniquement les aides à l’emploi qui ne sont pas liées à un investissement (point 10 des lignes directrices), a déclaré compatibles avec le marché commun, au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, les exonérations de charges sociales pour création d’emplois prévues par l’article 2 du décret ministériel du 5 août 1994, lorsque ces exonérations ont été accordées à des entreprises qui sont soit des PME, soit des entreprises implantées dans une zone habilitée à bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, soit des entreprises ayant recruté des catégories de travailleurs éprouvant des difficultés particulières à s’insérer ou à se réinsérer dans le marché du travail.

281    En revanche, la Commission a estimé, à l’article 1er, second alinéa, et à l’article 2 de la décision attaquée, que les exonérations de charges sociales pour création d’emplois qui ne remplissent pas l’une des trois conditions alternatives susmentionnées, ainsi que les réductions générales de charges sociales prévues par l’article 1er du décret ministériel du 5 août 1994, lesquelles visent au maintien de l’emploi (considérants 64 et 65 de la décision attaquée), ne remplissent pas les critères énoncés par les lignes directrices concernant les aides à l’emploi (point 22), susmentionnées, pour être autorisées au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE en tant qu’aides sectorielles destinées à faciliter le développement de certaines activités sans altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun.

282    Aux considérants 67 à 78 de la décision attaquée, la Commission a vérifié si les exonérations visées au point précédent pouvaient, à défaut de pouvoir bénéficier d’une dérogation sectorielle au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, en tant qu’aides à l’emploi, bénéficier d’une dérogation régionale, au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous a) ou c), CE, en tant qu’aides à finalité régionale. Elle s’est expressément fondée à cet égard sur sa communication du 12 août 1988, laquelle était applicable pendant la période considérée comprise entre 1995 et le 1er décembre 1997, date à partir de laquelle le régime d’aide considéré a été suspendu (considérant 69 de la décision attaquée).

283    Cette méthode a été remplacée ultérieurement, avant l’adoption de la décision attaquée, le 25 novembre 1999, par les lignes directrices de 1998, qui ont été adoptées le 16 décembre 1997 au titre des « mesures utiles » visées à l’article 88, paragraphe 1, CE (arrêt de la Cour du 18 juin 2002, Allemagne/Commission, C‑242/00, Rec. p. I‑5603, point 30), et publiées au Journal officiel des Communautés européennes le 10 mars 1998.

284    Il convient dès lors de vérifier si lesdites lignes étaient applicables en l’espèce. À cet égard, il est à noter que ces lignes directrices, en leur point 6.1, énoncent que la Commission appréciera la compatibilité des aides à finalité régionale avec le marché commun sur la base desdites lignes directrices, dès leur adoption. Elles précisent cependant que les projets d’aide notifiés avant la communication aux États membres desdites lignes directrices seront appréciés sur la base des critères en vigueur au moment de la notification. Or, en l’espèce, le régime d’aide considéré avait été mis en œuvre illégalement depuis 1995. De plus, les dispositions de la loi n° 30/1997 prolongeant ce régime, pour 1997, en faveur des entreprises implantées sur le territoire de Venise et de Chioggia, ainsi que dans les régions du Mezzogiorno, ont été communiquées à la Commission par lettre du 10 juin 1997, en application de la décision 95/155, autorisant sous certaines conditions le régime de réduction de charges sociales dans le Mezzogiorno, et non pas comme une notification formelle d’un projet d’aide en faveur des entreprises de Venise et de Chioggia, conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, dans la mesure où le régime d’aide considéré était déjà mis en œuvre. Une telle communication ne saurait dès lors être qualifiée de notification permettant l’application des critères en vigueur au moment de cette notification, en vertu du point 6.1 des lignes directrices de 1998, précité. Néanmoins, en vertu des dispositions transitoires prévues par les points 6.2 et 6.3 des lignes directrices de 1998, d’une part, la Commission pouvait, sous certaines conditions, déroger aux dispositions desdites lignes directrices, en ce qui concerne l’examen de l’éligibilité des listes de régions assistées, et continuer de se fonder à cet égard sur la méthode définie dans sa communication du 12 août 1988 . D’autre part, la Commission pouvait également déroger, sous certaines conditions, aux dispositions des lignes directrices de 1998 concernant l’examen de la compatibilité des intensités d’aide et des plafonds de cumul.

285    Il s’ensuit que la Commission était habilitée à se fonder, dans la décision attaquée, sur la carte des régions admissibles à une dérogation régionale, ainsi que sur les plafonds d’intensité des aides et les plafonds de cumul, établis selon la méthode pour l’application de l’article 87, paragraphe 3, sous a) et c), CE définie dans la communication du 12 août 1988 . En ce qui concerne les autres éléments, les lignes directrices de 1998 étaient applicables.

286    Par ailleurs, ainsi que l’a rappelé le Tribunal dans son arrêt HAMSA/Commission, point 265 supra (points 201 et 202), il ressort de la communication du 12 août 1988 (point 6, premier alinéa) et il a été confirmé et explicité par les lignes directrices de 1998 (points 1, 4.1 et 4.11), susvisées, que les aides régionales, susceptibles de bénéficier d’une dérogation au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous a) et c), CE, ont pour objet soit un investissement productif soit la création d’emplois liés à la réalisation d’un investissement. En revanche, les aides au fonctionnement ne peuvent être autorisées que de manière exceptionnelle, sur la base de l’article 87, paragraphe 3, sous a) ou c), CE (point 6, second alinéa, de la communication du 12 août 1988 et points 4.15 à 4.17 des lignes directrices de 1998. Même si l’on devait considérer que les dispositions relatives aux aides à la création d’emplois liés à la réalisation d’un investissement et celles relatives aux aides au fonctionnement contenues dans les lignes directrices de 1998 ne s’appliquent pas ratione temporis, ce qui est démenti par le point 6.1, précité, énonçant que ces lignes directrices sont applicables dès leur adoption, à l’exception des dispositions transitoires prévues par les points 6.2 et 6.3, précités, il n’en demeurerait pas moins que l’importance du critère du lien avec un investissement et le caractère exceptionnel des aides au fonctionnement ressortent clairement de la communication du 12 août 1988. De plus, une telle interprétation de la communication du 12 août 1988 s’impose dans la mesure où elle est pleinement conforme à l’objectif poursuivi par les dérogations régionales au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, visant à faciliter le développement de certaines régions économiques sans altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun.

287    Dans la décision attaquée (considérants 68 et 69), la Commission rappelle dès lors à bon droit que les critères d’éligibilité d’une zone à une dérogation régionale au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, les types d’aide qui pouvaient être accordés ainsi que l’intensité des aides étaient déterminés dans la communication du 12 août 1988 . Dans ce contexte, la Commission a estimé que les mesures considérées ne pouvaient pas bénéficier d’une telle dérogation pour deux motifs. En premier lieu, elle a relevé qu’une partie seulement du territoire de la ville de Venise était comprise dans la liste des régions italiennes admises au bénéfice de la dérogation régionale prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. En second lieu, elle a fait valoir que, conformément à la communication de 1998, une aide à finalité régionale a pour objet soit des investissements productifs soit des créations d’emplois liées à l’investissement. Comme les exonérations en cause en faveur de la création d’emploi constituaient des aides au fonctionnement, elles pouvaient uniquement être octroyées en vertu des points 4.15 à 4.17 des lignes directrices de 1998, dans le respect de conditions très rigoureuses, à des entreprises opérant dans des régions bénéficiant de la dérogation prévue par l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE, dont Venise et Chioggia ne relevaient pas. La Commission a dès lors estimé qu’elles ne pouvaient pas être qualifiées de mesures à finalité régionale (considérants 68 à 70 de la décision attaquée). Enfin, s’agissant de l’objectif de développement régional allégué, la Commission a relevé que, compte tenu des caractéristiques du régime d’aide considéré, il n’y avait aucun lien entre ce régime et les difficultés structurelles invoquées (considérant 78).

288    La Commission a ensuite rejeté, dans la décision attaquée (considérants 71 à 77), les arguments qui avaient été invoqués par les autorités italiennes, le comité et la municipalité de Venise en faveur de l’application de critères plus souples que ceux énoncés dans la communication du 12 août 1988 . En particulier, elle a contesté avoir appliqué des règles faisant exception aux critères énoncés dans cette communication, en particulier dans l’encadrement des aides d’État aux entreprises dans les quartiers urbains défavorisés, en date du 14 mai 1997, dans sa communication concernant une modification de la méthode pour l’application de l’article [87], paragraphe 3, sous c), [CE] aux aides à finalité régionale dans la perspective de l’adhésion des pays nordiques, du 20 décembre 1994 (JO C 364, p. 8), et dans sa décision 94/455 (voir point 2 ci-dessus).

289    Se ralliant à l’argumentation invoquée devant la Commission lors de la procédure administrative, les requérants et la République italienne intervenant au soutien d’Italgas soutiennent que la décision attaquée méconnaît l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE et est insuffisamment motivée, en ce que la Commission n’aurait pas dûment pris en considération les difficultés spécifiques liées notamment à l’insularité caractérisant le territoire de Venise, aux fins de l’octroi d’une dérogation régionale en faveur des exonérations de charges sociales déclarées incompatibles dans la décision attaquée.

290    Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la Commission bénéficie, pour l’application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social, qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire. Le contrôle juridictionnel appliqué à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu’au contrôle de l’exactitude matérielle des faits retenus et de l’absence d’erreur de droit, d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits ou de détournement de pouvoir (arrêt de la Cour du 13 février 2003, Espagne/Commission, C‑409/00, Rec. p. I‑1487, point 93, et arrêt du Tribunal du 14 octobre 2004, Pollmeier Malchow/Commission, T‑137/02, Rec. p. II‑3541, point 52).

291    De plus, il résulte des termes mêmes de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE et de l’article 88 CE que la Commission « peut » considérer comme compatibles avec le marché commun les aides visées par la première de ces deux dispositions. Dès lors, même s’il incombe toujours à la Commission de se prononcer sur la compatibilité avec le marché des aides d’État sur lesquelles elle exerce son contrôle, alors même que celles-ci ne lui ont pas été notifiées, la Commission n’est pas tenue de déclarer de telles aides compatibles avec le marché commun (arrêts Espagne/Commission, point 290 supra, point 94, et Pollmeier Malchow/Commission, point 290 supra, point 53).

292    La Commission peut s’imposer des orientations pour l’exercice de ses pouvoirs d’appréciation par des actes tels que des encadrements, des communications ou des lignes directrices, dans la mesure où ces actes contiennent des règles indicatives sur l’orientation à suivre par cette institution et où ils ne s’écartent pas des normes du traité. Lorsque la Commission adopte de tels actes destinés à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui incombe de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est elle-même imposées. Dans ce contexte, il revient au Tribunal de vérifier si ces règles ont été respectées par la Commission (voir arrêt du Tribunal du 1er décembre 2004, Kronofrance/Commission, T-27/02, Rec. p. II‑4177, point 79, et la jurisprudence citée ; voir, également, arrêts Espagne/Commission, point 290 supra, point 95, et Pollmeier Malchow/Commission, point 290 supra, point 54).

293    Dans le cadre de son pouvoir d’appréciation dans l’application de l’article 87, paragraphe 3, CE, la Commission conserve son pouvoir d’abroger ou de modifier ses encadrements, communications ou lignes directrices si les circonstances l’imposent. De plus, ces actes concernent un secteur délimité et sont motivés par le souci de suivre une politique qu’elle a déterminée (arrêt du Tribunal du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T‑214/95, Rec. p. II‑717, point 89).

294    En particulier, il ressort de la jurisprudence que la Commission ne peut être considérée comme s’étant privée du pouvoir de reconnaître la compatibilité d’aides directement sur la base de l’article 87, paragraphe 3, CE, si elle n’a pas pris explicitement position sur la question en cause dans la communication, les lignes directrices ou l’encadrement pertinents. Tel est notamment le cas lorsque l’encadrement applicable n’interdit pas expressément ou n’a pas pour objet d’interdire le type d’aide octroyé en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 septembre 2007, Fachvereinigung Mineralfaserindustrie/Commission, T‑375/03, non publié au Recueil, points 143 et 144).

295    Il découle également de la jurisprudence que de tels encadrements, communications ou lignes directrices ne sauraient être entendus au regard de leur seul libellé. Il convient de les interpréter à la lumière de l’article 87 CE et de l’objectif visé par cette disposition, à savoir celui d’une concurrence non faussée dans le marché commun. Dans l’arrêt Kronofrance/Commission, point 292 supra (point 89), le Tribunal a relevé que l’encadrement multisectoriel des aides à finalité régionale en faveur de grands projets d’investissement pouvait être entendu dans le sens, allégué par la Commission, que, aux fins de l’évaluation du facteur relatif à l’état de la concurrence, l’examen du critère relatif à un marché en déclin n’est autorisé qu’à titre subsidiaire, lorsque les données relatives au taux d’utilisation des capacités du secteur en cause sont insuffisantes. Le Tribunal a cependant considéré que cet encadrement devait être compris en ce sens que, dans le cas où les données concernant l’utilisation des capacités du secteur concerné ne la conduisent pas à conclure que ce secteur souffre d’une surcapacité structurelle, la Commission doit examiner si le marché en cause est en déclin, car cette interprétation est la seule conforme à l’objectif d’une concurrence non faussée.

296    Dans le même ordre d’idée, le Tribunal a jugé, dans l’arrêt Pollmeier Malchow/Commission, point 290 supra, que les dispositions de la recommandation de la Commission du 3 avril 1996 concernant la définition des PME devaient être interprétées à la lumière de l’objectif du critère de l’indépendance économique. Bien que ces dispositions aient prévu en substance que des entreprises non détenues à hauteur de 25 % ou plus par une ou plusieurs entreprises ne répondant pas à la définition des PME étaient considérés comme indépendantes, le Tribunal a estimé que ces dispositions n’avaient pas modifié le pouvoir d’appréciation de la Commission pour déterminer si des entreprises faisant parties d’un groupe constituaient une unité économique aux fins de l’application du régime des aides d’État (voir notamment les points 58 à 63 de l’arrêt).

297    Par ailleurs, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 253 CE, la Commission doit motiver ses décisions, y compris celles portant refus de déclarer des aides compatibles avec le marché commun sur le fondement de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Or, la motivation exigée par l’article 253 CE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’autorité communautaire auteur de l’acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et, le cas échéant, de défendre leurs droits, ainsi qu’au juge d’exercer son contrôle (arrêt Espagne/Commission, point 290 supra, points 95 et 98).

298    En l’espèce, il y a dès lors lieu de vérifier si la motivation de la décision attaquée (voir points 287 et 288 ci-dessus) peut être considérée comme suffisante et si, eu égard à l’argumentation des parties, la Commission n’a pas excédé les limites du pouvoir d’appréciation dont elle dispose dans le cadre des communications, des lignes directrices et des encadrements pertinents, à la lumière de la jurisprudence qui vient d’être rappelée.

299    S’agissant tout d’abord de l’argument de l’Hotel Cipriani, selon lequel les dispositions relatives aux aides nationales à finalité régionale devraient être interprétées de manière souple à la lumière des objectifs de cohésion économique et sociale, la Commission souligne à bon droit que la mise en place d’une concurrence non faussée dans le marché intérieur [article 3, paragraphe 1, sous g), CE et articles 81 CE à 89 CE], d’une part, et le renforcement de la cohésion économique et sociale [article 3, paragraphe 1, sous k), CE et articles 158 CE à 162 CE], d’autre part, constituent deux politiques distinctes et autonomes de la Communauté. Les fonds structurels constituent le principal instrument de la seconde de ces politiques, tandis que les dérogations régionales prévues par l’article 87, paragraphe 3, sous a) et c), CE relèvent de la politique communautaire de la concurrence et trouvent leur limite dans la nécessité d’éviter toute distorsion indue qui serait contraire à l’intérêt commun. La complémentarité de ces deux politiques en matière d’aides régionales, qui ressortait d’ailleurs déjà de la communication du 12 août 1988 (quatrième alinéa du préambule), n’implique cependant aucune hiérarchie entre les objectifs respectivement poursuivis. La circonstance, relevée au considérant 3 du règlement (CE) n° 1628/2006 de la Commission, du 24 octobre 2006, concernant l’application des articles 87 CE et 88 CE aux aides nationales à l’investissement à finalité régionale (JO L 302, p. 29), du règlement d’exemption par catégorie invoqué par l’Hotel Cipriani, que les aides d’État à finalité régionale améliorent la cohésion économique, sociale et territoriale des États membres et de la Communauté dans son ensemble ne saurait dès lors avoir d’incidence sur l’interprétation des règles régissant les aides d’État à finalité régionale. En particulier, la Commission n’est pas tenue, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, d’appliquer ces règles de manière plus souple de manière à faire prévaloir les objectifs de la politique de cohésion économique et sociale sur ceux de la politique de la concurrence. En pratique, les lignes directrices de 1998 contiennent d’ailleurs une disposition spécifique (point 3.10.5) visant à favoriser la cohérence des aides d’État à finalité régionale avec les fonds structurels, tout en garantissant le respect de certaines conditions énoncées dans ces lignes directrices.

300    Il convient d’examiner ensuite les arguments relatifs aux encadrements, aux communications et aux lignes directrices invoqués par les requérants afin de démontrer que, en l’espèce, la Commission était tenue de déclarer les exonérations de charges sociales considérées compatibles avec le marché commun, au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

301    Premièrement, comme le relève la Commission dans la décision attaquée (considérant 72), l’encadrement des aides d’État aux entreprises dans les quartiers urbains défavorisés ne vise pas l’octroi de dérogations régionales, mais celui de dérogations sectorielles au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. En effet, s’il est vrai que, s’agissant de l’intensité des difficultés justifiant l’octroi d’une dérogation au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, le point 13 de cet encadrement énonce que les quartiers urbains défavorisés présentent, tant sur le plan socio-économique que sur le plan des handicaps et des surcoûts supportés par les entreprises qui y sont situées, des difficultés d’une intensité comparable aux régions assistées au titre de l’article susvisé, il est toutefois souligné au point 10 que les problèmes rencontrés par les entreprises dans ces quartiers urbains défavorisés sont des problèmes de nature essentiellement locale qui ne justifient pas une intervention de type régional ouverte aux grandes entreprises. De plus, selon le point 5, le caractère inadapté des règles régissant des aides régionales résulte en particulier, d’une part, des critères d’éligibilité des zones admissibles et, d’autre part, de l’impossibilité de faire bénéficier d’une aide régionale les entreprises existantes en dehors d’une opération d’investissement.

302    Par ailleurs, l’un des critères alternatifs, définis au point 7 de l’encadrement susmentionné, d’éligibilité des zones à des aides d’État aux entreprises dans les quartiers urbains défavorisés consiste en ce que les zones aient été sélectionnées au titre de l’initiative Urban, arrêtée dans le cadre des fonds structurels en application de l’article 11 du règlement (CEE) n° 2082/93 du Conseil, du 20 juillet 1993, modifiant le règlement (CEE) n° 4253/88 portant dispositions d’application du règlement (CEE) n° 2052/88 en ce qui concerne la coordination entre les interventions des différents fonds structurels, d’une part, et entre celles-ci et celles de la Banque européenne d’investissement et des autres instruments financiers existants, d’autre part (JO L 193, p. 24), et de l’article 3, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2083/93 du Conseil, du 20 juillet 1993, modifiant le règlement (CEE) n° 4254/88 portant dispositions d’application du règlement (CEE) n° 2052/88 en ce qui concerne le Fonds européen de développement régional (JO L 193, p. 34). La communication aux États membres fixant les orientations pour les programmes opérationnels que les États membres sont invités à établir dans le cadre de l’initiative Urban (JO 1994, C 180, p. 6) prévoit, au point 14, qu’une aide communautaire, sous la forme de prêts ou de subventions, peut être apportée dans le cadre de l’initiative Urban en faveur de programmes de développement intégrés pour une partie géographiquement définie et limitée d’une zone urbaine en difficulté. À cet égard, il ressort de l’encadrement des aides d’État aux entreprises dans les quartiers urbains défavorisés (point 2.1) qu’il vise notamment les aides d’État destinées à compléter les efforts des fonds structurels.

303    Il convient de relever que, aux termes du point 4 de cet encadrement, les handicaps économiques détournant les entreprises des quartiers urbains défavorisés s’expliquent concrètement par « les surcoûts directs ou indirects liés à l’implantation dans ces zones (vol, niveau des primes d’assurance, vandalisme…), ainsi que par les handicaps structurels propres à ces quartiers (difficulté de trouver de la main-d’œuvre qualifiée prête à y travailler, réduction globale de l’activité économique, manque et dégradation des infrastructures publiques, insécurité, difficultés financières des autorités locales, problèmes d’‘image de marque’) ». Cet encadrement ne vise que les aides aux petites entreprises exerçant une activité de nature locale (point 11) et mentionne, en son annexe 1, les activités éligibles, parmi lesquelles figurent notamment l’hôtellerie et la restauration. Parmi les « activités non concernées » mentionnées dans cette annexe figure notamment la distribution de gaz.

304    En l’espèce, il y a lieu de souligner que le régime d’aide considéré bénéficie en revanche à l’ensemble des entreprises établies à Venise et à Chioggia. Il ne prévoit aucune limitation de son champ d’application matériel.

305    En outre, bien que l’Hotel Cipriani affirme que le territoire de Venise relève, notamment au titre de l’initiative Urban (voir point 299 ci-dessus), du champ d’application de l’encadrement susmentionné, il ne saurait être valablement soutenu, et aucun des requérants ne le prétend d’ailleurs, que les critères spécifiques définis dans cet encadrement sont remplis par le régime d’aide considéré. Un tel encadrement est dès lors privé de toute pertinence en l’espèce. À cet égard, la Commission soutient en effet à bon droit que l’encadrement susmentionné ne constitue pas un exemple d’intervention dérogeant aux critères d’application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, qui aurait été justifiée par des conditions uniques et exceptionnelles. Il définit au contraire des critères généraux applicables à tous les quartiers urbains défavorisés, aux fins de l’octroi d’une dérogation sectorielle. Dans ces conditions, contrairement à la position des requérants, la circonstance que la Commission ait pris en considération, dans cet encadrement, les difficultés économiques spécifiques dans les quartiers urbains défavorisés ne permet pas de considérer qu’elle aurait dû tenir compte, aux fins de l’octroi d’une dérogation au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, des problèmes particuliers existant à Venise, allégués par les requérants, lesquels n’ont aucun rapport avec les difficultés des quartiers urbains défavorisés.

306    Deuxièmement, les requérants et la République italienne ne sont pas fondées à reprocher à la Commission de ne pas avoir tenu compte de la spécificité des problèmes structurels liés à l’insularité invoqués par les autorités italiennes et les parties intéressées au cours de la procédure administrative, pour accorder une dérogation régionale au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, au motif que le régime d’aide considéré concorderait avec les finalités de développement régional poursuivies par le régime des aides régionales et serait proportionné.

307    Certes, il découle de la jurisprudence (voir points 294 à 296 ci-dessus) que la Commission, ainsi que le soutiennent les requérants et la République italienne, est habilitée, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, à prendre en considération des situations spécifiques au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, sans qu’il soit nécessaire de modifier à cette fin le régime des aides régionales résultant des communications et des lignes directrices applicables ou de créer une réglementation ad hoc. Dans une telle hypothèse, il incombe à la Commission de mettre en balance les effets bénéfiques de l’aide et ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée (arrêts Philip Morris Holland/Commission, point 225 supra, points 24 et 26, et Alzetta e.a./Commission, point 45 supra, point 129).

308    Toutefois, en l’espèce, les arguments invoqués par les requérants et par la République italienne ne permettent pas d’établir que la Commission a dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation en se fondant, aux considérants 68 et 69 de la décision attaquée (voir point 287 ci-dessus), sur les critères d’appréciation définis dans la communication du 12 août 1988 et les lignes directrices de 1998.

309    En particulier, les requérants n’ont pas démontré que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la situation de Venise ne présentait pas d’éléments nouveaux et en se fondant dès lors sur la circonstance que les aides considérées n’étaient pas liées à un investissement, pour refuser de les autoriser au titre de la dérogation régionale (voir point 288 ci-dessus). De surcroît, il n’est pas contesté par les requérants et par la République italienne que seules certaines zones du territoire de Venise étaient comprises dans la liste des régions admises au bénéfice d’une dérogation régionale au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Sur ce dernier point, il convient cependant de relever que, contrairement aux affirmations de la Commission, cette circonstance n’excluait pas à elle seule l’ensemble du territoire de Venise du bénéfice d’une dérogation régionale. Toutefois, dans les zones éligibles, la nature d’aide au fonctionnement des aides considérées suffisait à justifier le refus de la Commission de les autoriser au titre des aides régionales.

310    Par ailleurs, il convient de rejeter le grief d’Italgas et de la République italienne, selon lequel la Commission, en se limitant à invoquer, dans la décision attaquée (considérant 74), l’absence d’éléments nouveaux susceptibles de justifier l’octroi de la dérogation ad hoc sollicitée, n’a pas suffisamment motivé son rejet des arguments fondés sur la situation unique de la zone lagunaire de Venise, invoqués par les autorités italiennes et les tiers intéressés au cours de la procédure administrative.

311    En effet, au considérant 74 de la décision attaquée, la Commission a exposé les raisons pour lesquelles elle n’entendait pas modifier en l’espèce la méthode d’application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, du 12 août 1988, pour l’adapter au cas concerné, comme elle l’avait fait dans la perspective de l’élargissement de la Communauté à la Suède et à la Finlande. À cette occasion, la Commission avait en effet modifié, par décision du 1er juin 1994, la méthode susmentionnée en prévoyant en substance un critère supplémentaire d’éligibilité des zones à une dérogation régionale et la possibilité d’autoriser des aides destinées à compenser en partie les surcoûts de transport, afin de tenir compte de particularités géographiques nouvelles pour la Communauté européenne, à savoir l’ultranordicité, des conditions climatiques rudes, de très longues distances internes, une faible densité de population sur certaines parties du territoire, qui n’avaient pas été prises en considération comme problèmes de base lors de l’élaboration de la méthode (voir la communication 20 décembre 1994, précitée, adressée aux États membres et autres intéressés concernant une modification apportée au titre II de la communication du 12 août 1988. En expliquant que la situation de Venise ne présentait pas d’éléments nouveaux et que le régime d’aide considéré était de nature à perturber le système d’aides en vigueur, puisqu’il s’agissait d’aides au fonctionnement accordées dans une région ne présentant pas de problèmes aigus de cohésion économique et sociale, la Commission a dès lors suffisamment motivé son refus de s’écarter, en l’espèce, des critères énoncés dans la méthode applicable.

312    Troisièmement, la thèse d’Italgas, selon laquelle la Commission aurait été habilitée à s’écarter en particulier des critères énoncés au point 22 des lignes directrices concernant les aides à l’emploi, en ce qui concerne les exonérations générales de charges sociales visant au maintien de l’emploi prévues par l’article 1er du décret ministériel du 5 août 1994, doit également être rejetée. En effet, tandis que ces lignes directrices se rapportent à des dérogations sectorielles au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, la requérante se limite à invoquer la décision 95/455, dans laquelle la Commission avait accordé une dérogation régionale à l’égard d’exonérations de charges sociales applicables dans le Mezzogiorno, dans des circonstances totalement différentes de celles en cause en l’espèce, ainsi qu’elle le relève dans la décision attaquée (considérants 75 et 76). Dans cette décision de 1995 (considérant 14), la Commission avait constaté que les aides au fonctionnement prévues par l’article 1er du décret ministériel du 5 août 1994 remplissaient, dans les régions autres que les Abbruzzes et le Molise, toutes les conditions pour bénéficier de la dérogation régionale au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE. S’agissant en revanche des Abbruzzes et du Molise, qui ne remplissaient plus ces conditions, la Commission avait tenu compte du fait que ces deux régions avaient été couvertes par la dérogation au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE jusqu’au 31 décembre 1993. Elle a dès lors estimé que, bien que l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE ne couvre pas les aides au fonctionnement, il était opportun et compatible avec le marché commun, sans que les conditions des échanges soient altérées dans une mesure contraire à l’intérêt commun, d’autoriser ces aides, qui étaient assorties d’un plan de démantèlement progressif, en tant que mesures d’accompagnement à caractère temporaire, de façon à favoriser l’adaptation des entreprises de la région au régime moins favorable prévu par l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Dans sa décision 94/455 (considérant 15), la Commission avait justifié cette dérogation aux critères énoncés par la communication du 12 août 1988 par « un principe général de prise en compte d’une particularité objective de situations non comparables avec celles des régions susceptibles d’une dérogation au titre de l’article [87], paragraphe 3, sous c), [CE] ».

313    Quatrièmement, contrairement aux allégations d’Italgas, la Commission s’est pleinement conformée aux critères qu’elle a définis dans les lignes directrices concernant les aides à l’emploi, susmentionnées, en déclarant les exonérations de charges sociales pour création d’emplois prévues par l’article 2 du décret ministériel du 5 août 1994 incompatibles avec le marché, lorsque ces exonérations n’avaient été accordées ni à des PME, ni à des entreprises implantées dans une zone éligible aux aides à finalité régionale, ni à une entreprise d’insertion. En effet, la Commission a clairement indiqué, au point 21 de ces lignes directrices, les critères selon lesquels elle apprécierait si une aide à la création d’emploi peut bénéficier d’une dérogation sectorielle au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Or, parmi ces critères figurent les trois conditions alternatives susmentionnées, dont notamment celle relative à la localisation de l’entreprise bénéficiaire dans une zone éligible aux aides à finalité régionale. Dans la mesure où Italgas n’avance aucun élément permettant de mettre en doute la cohérence de ces trois critères alternatifs avec les objectifs des dérogations sectorielles au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE visant les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt communautaire, il y a lieu de considérer que la Commission était tenue, selon une jurisprudence bien établie (voir point 292 ci-dessus), de se conformer aux critères indicatifs qu’elle s’était elle-même imposés. En tout état de cause, il ne saurait être fait grief à la Commission d’avoir appliqué ces critères dès lors qu’il n’est ni démontré ni allégué de manière étayée qu’ils ne sont pas compatibles avec l’objectif poursuivi par les dérogations sectorielles (voir, a contrario, arrêt Pollmeier Malchow/Commission, point 290 supra).

314    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, les moyens tirés de la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE et du défaut de motivation doivent être rejetés comme non fondés.

3.     Sur la violation alléguée de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE, et du principe d’égalité de traitement ainsi que sur les prétendus défaut de motivation et contradiction dans la motivation

a)     Argument des parties

 Arguments des requérants

–       Affaire T-254/00

315    La requérante, l’Hotel Cipriani, conteste les motifs du refus de la Commission d’accorder une dérogation culturelle. Elle allègue que l’étude du COSES, produite par le comité, a confirmé le caractère général des contraintes résultant, à Venise, de la réglementation italienne relative à la protection des biens culturels et de l’environnement. Cette étude aurait indiqué avec précision les coûts supplémentaires découlant à Venise de telles contraintes, par rapport aux coûts entraînés par des contraintes analogues dans des contextes environnementaux différents. La requérante invoque en particulier les contraintes imposées par la loi italienne n° 1089/39 qui avait introduit un régime de protection des biens d’intérêt historique et artistique et, s’agissant plus spécialement de Venise, le décret n° 791/73 du président de la République, introduisant des dispositions particulières concernant les interventions de restauration et d’assainissement des immeubles d’intérêt architectural, historique et artistique. Elle ajoute que le comité avait en outre proposé de fournir les informations supplémentaires que la Commission estimerait nécessaires. Dans ces conditions, s’il s’avérait que certaines entreprises n’étaient pas soumises aux contraintes supplémentaires susmentionnées, la Commission aurait uniquement été tenue d’exclure de la dérogation culturelle les entreprises non soumises à ces contraintes, en se fondant sur tous les éléments d’information nécessaires.

316    La requérante fait ensuite valoir que, par rapport à l’importance des surcoûts, le montant limité des réductions de charges sociales en cause, qui étaient en outre dégressives jusqu’à leur suppression totale, était dès lors proportionné. En l’occurrence, c’est la décision attaquée qui enfreindrait le principe de proportionnalité.

317    La Commission aurait d’ailleurs accordé une dérogation culturelle au Consorzio Venezia Nuova, sans contrôler le lien entre la finalité culturelle de cet organisme et le montant des aides accordées. Sous cet aspect, la décision attaquée serait dès lors contradictoire et contraire au principe d’égalité de traitement.

318     L’activité hôtelière de la requérante dont les immeubles seraient soumis au régime extrêmement contraignant applicable dans le centre historique, serait étroitement liée à l’identité des immeubles qu’elle exploite et dont la destination d’origine devrait être maintenue en application du décret n° 791/1973, susvisé. L’emploi à cette fin de personnel en nombre suffisant répondrait ainsi à la nécessité de préserver l’aspect et le rôle historique de ces immeubles dans la cité.

–       Affaire T-277/00

319    Les requérants, Coopservice et le comité, reprochent à la Commission d’avoir ignoré l’existence de contraintes générales concernant spécifiquement le territoire de la lagune et visant à préserver notamment le patrimoine architectural et l’environnement. En particulier, la Commission n’aurait pas tenu compte des contraintes imposées notamment par le décret n° 962/1973 du président de la République, afin d’assurer « la sauvegarde du cadre paysager, historique, archéologique et artistique de la ville de Venise et de sa lagune », selon les objectifs fixés par la loi italienne n° 171/1973, ainsi que par la loi italienne n° 431/1985 visant à la poursuite d’objectifs primaires de sauvegarde environnementale. La Commission aurait ainsi uniquement examiné les contraintes directes relatives à la protection des trésors architecturaux et immobiliers, visée par la loi n° 1089/39. En revanche, elle aurait ignoré les contraintes « indirectes » qui visent à protéger les conditions relatives à l’environnement, au cadre, à la perspective et à la lumière des immeubles soumis aux contraintes directes.

320    Les exonérations de charges sociales considérées tendraient à la promotion de la culture et à la conservation du patrimoine. En outre, elles seraient proportionnées aux surcoûts découlant des contraintes susmentionnées et n’altéreraient pas les conditions des échanges intracommunautaires et de la concurrence. Sous ces deux aspects, la motivation de la décision attaquée serait erronée et insuffisante.

 Arguments de la Commission

321    La Commission objecte qu’elle a uniquement appliqué l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE. Elle aurait ainsi constaté l’absence de rapport réel entre l’avantage accordé et les coûts supplémentaires relatifs à la sauvegarde du patrimoine que cet avantage vise à compenser.

b)     Appréciation du Tribunal

322    En premier lieu, le Tribunal relève qu’il n’est pas établi que les surcoûts liés à la conservation du patrimoine sont supportés par toutes les entreprises bénéficiant des réductions de charges sociales en cause. En particulier, la circonstance, invoquée par l’Hotel Cipriani, que l’intérêt architectural, historique et artistique peut être déterminé « pour des ensembles d’immeubles définis suivant des paramètres rapportés au tracé de rues, de places et de canaux », comme l’avait indiqué le comité, ne prouve pas que tous les immeubles exploités par des entreprises bénéficiaires des réductions de charges sociales considérées sont soumis à de tels surcoûts.

323    À cet égard, il est à noter que la Commission ne disposait pas des informations nécessaires pour établir une distinction dans la décision attaquée entre les entreprises exploitant des immeubles soumis aux contraintes liées à la protection du patrimoine et celles n’exploitant pas ce type d’immeubles.

324    Plus généralement, il ressort des observations et des documents qui lui avaient été transmis au cours de la procédure administrative que la Commission ne disposait d’aucune information pertinente pour être en mesure d’apprécier la portée des éventuelles contraintes architecturales et culturelles, invoquées par l’Hotel Cipriani, Coopservice et le comité, et d’examiner la possibilité d’accorder le cas échéant une dérogation au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE. En particulier, il ressort de la décision attaquée (considérant 79), et il n’est pas contesté par les requérants, que le gouvernement italien n’a jamais sollicité de dérogation culturelle mais a uniquement défendu le caractère d’aide régionale des exonérations de charges sociales en cause. Par ailleurs, l’étude du COSES du mois de février 1998 (point 3.3), susmentionnée, communiquée à la Commission par la municipalité de Venise, se limite à établir la liste des lois et des textes réglementaires applicables à Venise en matière d’environnement, de construction et d’urbanisme. S’il n’est pas contestable que certaines de ces lois ou de ces textes réglementaires imposent des contraintes « de caractère historique et artistique », ainsi que le soutiennent les requérants, l’importance et le champ d’application de telles contraintes ne sont pas spécifiés. De surcroît, la majeure partie de la réglementation citée se rapporte plus généralement à des contraintes d’ordre urbanistique, environnemental ou paysager, lesquelles n’ont en principe pas vocation à être prises en considération au titre de la promotion de la culture et de la conservation du patrimoine, visée à l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE. Quant à l’étude du COSES du mois de mars 1998 (points 1.2 et 1.5), communiquée à la Commission par le comité, elle ne contient aucune indication relative aux coûts supportés par les entreprises implantées à Venise ou à Chioggia, en relation directe avec la protection du patrimoine.

325    En second lieu, il est à noter que les modalités d’application des exonérations de charges sociales considérées ne permettent pas de garantir la proportionnalité de ces mesures à l’objectif poursuivi par la dérogation invoquée, comme le relève la Commission dans la décision attaquée (considérant 81). En effet, les requérants ne contestent pas que, eu égard aux modalités d’octroi de l’aide, il n’existe en règle générale pas de lien entre, d’une part, le montant des exonérations fiscales accordées à une entreprise, lié au nombre de personnes employées, et, d’autre part, le type ou la taille des immeubles exploités par cette entreprise et, en conséquence, les surcoûts supportés en relation avec la protection du patrimoine.

326    Quant à la situation de l’Hotel Cipriani, invoquée en l’espèce, il convient de constater que la requérante n’est pas recevable à invoquer des arguments factuels concernant sa situation particulière, dans la mesure où ces arguments n’avaient pas été soumis à la Commission pendant la procédure administrative.

327    En revanche, il est à noter que l’examen individuel, dans la décision attaquée, des aides accordées au Consorzio Venezia Nuova s’explique par le fait que ce dernier est l’une des entreprises municipales à l’égard desquelles les autorités italiennes avaient fourni des informations détaillées. C’est sur la base de telles informations que la Commission a estimé que les aides accordées à cette entreprise, dont l’objet statutaire était la réalisation d’interventions décidées par l’État pour assurer la sauvegarde du patrimoine historique, artistique et architectural de Venise, avaient une finalité culturelle.

328    Pour l’ensemble de ces raisons, il n’y a pas lieu de considérer que la Commission a méconnu, en l’espèce, le principe de non-discrimination et excédé les limites de son pouvoir d’appréciation, en s’abstenant de prendre en considération la situation individuelle notamment de l’Hotel Cipriani et en estimant de manière générale que les contraintes alléguées ne justifiaient pas l’octroi d’une dérogation culturelle.

329    Il s’ensuit que les moyens tirés de la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE et de l’obligation de motivation doivent dès lors être rejetés comme non fondés.

4.     Sur la violation alléguée de l’article 87, paragraphe 3, sous e), CE

a)     Arguments des parties

330    Dans l’affaire T-277/00, les requérants, Coopservice et le comité, sont d’avis que la décision attaquée (considérant 84) méconnaît l’article 87, paragraphe 3, sous e), CE et que sa motivation est insuffisante et contradictoire, dans la mesure où la Commission estime ne même pas pouvoir prévoir la possibilité d’appliquer la dérogation prévue par cet article. Ils allèguent que la poursuite des finalités d’intérêt général relatives à la conservation du patrimoine culturel vénitien justifie une telle dérogation.

331    La Commission conteste ces arguments.

b)     Appréciation du Tribunal

332    L’article 87, paragraphe 3, sous e), CE vise les « autres catégories d’aides déterminées par décision du Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission ». Il suffit dès lors de constater, ainsi que le relève la Commission, qu’il n’existait aucune décision ad hoc du Conseil, prise sur le fondement de cet article, permettant d’autoriser le régime d’aide considéré.

333    Le présent moyen doit dès lors être rejeté comme non fondé.

5.      Sur la violation alléguée de l’article 87, paragraphe 3, sous b), CE, de l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE et de l’article 253 CE, ainsi que sur l’insuffisance de motivation et la contradiction dans la motivation alléguées

a)     Arguments des parties

334    Dans l’affaire T-277/00, les requérants, Coopservice et le comité, font, en premier lieu, grief à la Commission d’avoir exclu de manière erronée et sans motivation que la sauvegarde de la ville de Venise constituait un projet important d’intérêt européen commun, au sens de l’article 87, paragraphe 3, sous b), CE. La décision attaquée serait contradictoire sur ce point, dans la mesure où la Commission aurait par ailleurs reconnu l’extrême importance de la sauvegarde de Venise et admis en conséquence la compatibilité des aides octroyées au Consorzio Venezia Nuova (considérant 96).

335    En second lieu, la Commission aurait également exclu de manière erronée et sans motivation la dérogation prévue par l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE en ce qui concerne les calamités naturelles. Or, les grandes marées représenteraient une calamité naturelle en raison, d’une part, de l’extrême gravité de leurs effets sur le tissu économique et social de la ville et de leur caractère répétitif et, d’autre part, de leurs conséquences dévastatrices lorsque ce phénomène se manifeste avec une ampleur exceptionnelle.

336    La Commission conteste cette argumentation.

b)     Appréciation du Tribunal

337    En premier lieu, il convient de considérer que la Commission soutient à bon droit que le régime d’aide en cause ne peut pas être considéré comme étant étroitement lié à un projet important d’intérêt européen. En effet, il n’a pas été institué aux fins de la sauvegarde de Venise, mais tend à alléger les charges sociales pesant normalement sur le budget des entreprises implantées sur le territoire de Venise ou de Chioggia. Ce régime vise ainsi essentiellement à améliorer la compétitivité de ces entreprises. Or, selon la jurisprudence, une mesure d’aide ne peut bénéficier de la dérogation prévue par l’article 87, paragraphe 3, sous b), CE que si elle n’avantage pas principalement les opérateurs économiques d’un État membre, mais représente un avantage pour la Communauté dans son ensemble (arrêts Unicredito Italiano, point 209 supra, points 72 à 78, et du 15 décembre 2005, Italie/Commission, point 209 supra, points 139 et 140).

338    En écartant, dans la décision attaquée (considérant 97), la qualification de « projet d’intérêt commun » au sens de l’article 87, paragraphe 3, sous b), CE, la Commission n’a dès lors pas excédé les limites de son pouvoir d’appréciation. D’ailleurs, contrairement aux allégations des requérants, la décision attaquée ne contient à cet égard aucune contradiction dans la motivation dans la mesure où les aides versées au Consorzio Venezia Nuova n’ont pas été autorisées au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous b) (voir point 327 ci-dessus).

339    En outre, la Commission a motivé la décision attaquée à suffisance de droit en indiquant que le régime d’aide en cause ne porte pas sur un projet important d’intérêt commun et n’est pas non plus destiné à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre.

340    En second lieu, il convient de relever que les réductions de charges sociales considérées sont proportionnelles à la masse salariale et ne visent pas à remédier à des dommages causés par des catastrophes naturelles ou par d’autres événements de caractère extraordinaire, comme l’exige l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE. Par ailleurs, la Commission rappelle que, selon une pratique constante, dans le domaine agricole, les dommages liés à de mauvaises conditions météorologiques ne peuvent être assimilés à des dommages causés par des catastrophes naturelles au sens de l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE que s’ils excèdent des seuils déterminés par rapport à la production normale. De tels critères ne sont pas transposables en ce qui concerne le phénomène des grandes marées à Venise.

341    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la Commission n’a pas dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation, en estimant, dans la décision attaquée (considérant 99), que le phénomène des grandes marées à Venise ne pouvait pas être considéré comme une calamité naturelle ou un événement extraordinaire au sens de l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE. De plus, la décision attaquée est suffisamment motivée sur ce point.

342    Il s’ensuit que les présents moyens doivent être rejetés comme non fondés.

B –  Sur l’irrégularité alléguée de l’obligation de récupération des aides imposée à l’article 5 de la décision attaquée

343    Les requérants développent deux séries de moyens à l’appui de leurs conclusions tendant à l’annulation de l’obligation de récupération imposée à l’article 5 de la décision attaquée. En premier lieu, ils invoquent la violation de l’article 15 du règlement n° 659/1999, ainsi que la méconnaissance des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement, en relation avec la qualification prétendument erronée des mesures en cause d’aides nouvelles. En second lieu, la décision attaquée, en ce qu’elle ordonne la récupération des aides litigieuses, violerait l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 et les principes de proportionnalité, de sécurité juridique, d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime, ainsi que les règles de droit transitoire et l’obligation de motivation.

1.      Sur la violation alléguée de l’article 15 du règlement n° 659/1999, ainsi que des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement, en relation avec la qualification prétendument erronée des mesures en cause d’aides nouvelles

a)      Arguments des parties

 Arguments des requérants

–       Affaire T-254/00

344    La requérante, l’Hotel Cipriani, rappelle que la Commission a entamé en 1997 son enquête relative aux réductions de charges sociales en cause en l’espèce. Dans ce contexte, l’article 15 du règlement n° 659/1999, visant à assurer la sécurité juridique, aurait limité le pouvoir d’enquête et de décision de la Commission aux aides instituées depuis 1987, qui seules seraient susceptibles de faire l’objet d’une récupération à l’expiration du délai de prescription fixé par cet article.

345    Or, l’Hotel Cipriani bénéficierait notamment, au moins depuis 1972, de réductions de charges sociales prévues sur tout le territoire national par des lois autres que les lois n°s 206/1995 et 30/1997 sur lesquelles se fonde la Commission. La requérante invoque à cet égard les réductions de charges sociales en faveur des entreprises artisanales et industrielles de moins de 300 salariés instituées par la loi n° 590/1971 et étendues aux entreprises hôtelières par la loi n° 463/1972. Elle ajoute qu’elle bénéficie également des réductions de certaines charges sociales prévues par la loi n° 102/1977, qui sont applicables sur tout le territoire national aux entreprises artisanales et industrielles en vertu de la loi n° 102/1977, et qui ont été étendues aux entreprises hôtelières par la loi n° 573/1977.

346    Les réductions de charges sociales en cause en l’espèce constitueraient dès lors des aides existantes, au sens de l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, et non des aides nouvelles qui auraient été instituées par les lois n°s 206/1995 et 30/1997 examinées par la Commission dans la décision attaquée.

347    En admettant même que la requérante ait bénéficié des réductions de charges sociales en cause en application de ces lois n° 206/1995 et n° 30/1997, ce qu’elle conteste, ces mesures devraient être considérées comme des aides existantes, remontant pour le moins aux années 1972 et 1978. En effet, d’une part, ces lois prévoiraient une simple extension dans le temps et l’espace d’aides existantes, instituées par la loi n° 1089/1968, prévoyant des réductions de charges sociales en faveur des entreprises du Mezzogiorno, étendues au territoire de Venise par la loi n° 171/1973 et au secteur de l’hôtellerie par la loi n° 502/1978, ainsi que par la loi n° 463/1972, susmentionnée. D’autre part, la requérante aurait bénéficié depuis 1978 des dégrèvements prévus par la réglementation relative aux zones déprimées (aree depresse).

348    Contrairement aux allégations de la Commission, il existerait une continuité juridique entre le régime d’aide considéré et les aides existantes susmentionnées, dans la mesure où celles-ci n’auraient pas fait l’objet de modifications substantielles. Bien que ces aides aient été instituées par des lois différentes, il s’agirait cependant toujours de la même réduction des charges sociales, dont l’application aux territoires de Venise et de Chioggia était prévue par la loi n° 171/1973, telle qu’interprétée par la loi n° 502/1978. Cette analyse serait confirmée par l’article 5 bis de la loi n° 206/1995, énonçant que les dispositions visées à l’article 23 de la loi n° 171/1973 et à l’article 3 de la loi n° 502/1978 doivent être interprétées en ce sens que les réductions de charges sociales qu’elles prévoient continuent d’être accordées selon les critères définis par le décret ministériel du 5 août 1994. Il en résulterait que les lois n° 206/1995 et n° 30/1997 se limitent à confirmer l’applicabilité, sur les territoires de Venise et de Chioggia, des réductions de charges déjà prévues précédemment, sans modifier les éléments essentiels du régime, à savoir les bénéficiaires, la forme de l’intervention et son degré.

349    Dans ce contexte juridique, et eu égard aux dispositions de l’article 15, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 659/1999, les bénéficiaires du régime des exonérations de charges sociales considérées auraient pu nourrir une confiance légitime dans la légalité et la compatibilité avec le marché commun de ces exonérations. En effet, le délai de prescription aurait commencé à courir en 1973, si ce n’est antérieurement. À cet égard, la requérante allègue que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999, énonçant que le délai de prescription commence le jour où l’aide illégale est accordée au bénéficiaire, doit être interprété dans le sens que, dans le cas d’un régime d’aide, l’acte accordant l’aide coïncide avec l’adoption de la loi qui a institué ce régime. Les échéances mensuelles de paiement des charges sociales considérées ne seraient pas pertinentes, car elles relèveraient simplement de l’exécution de cette loi (arrêt du Tribunal du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 et T‑207/01, Rec. p. II‑2309, point 130).

350    En outre, la Commission aurait, de manière erronée, considéré implicitement les mesures en cause comme des aides nouvelles soumises en tant que telles à une obligation de notification en application de l’article 88, paragraphe 3, CE.

351    Enfin, la décision attaquée entraînerait une violation du principe d’égalité de traitement à l’égard de la requérante, par rapport aux hôtels établis sur le reste du territoire italien, qui continueraient à bénéficier des réductions de charges sociales.

–       Affaire T-277/00

352    Les requérants, Coopservice et le comité, soutiennent également que les mesures en cause, prévues par les lois n°s 206/1995 et 30/1997, constituent des aides existantes au sens des articles 1er et 15 du règlement n° 659/1999, lesquelles ne sont pas soumises à l’obligation de notification au titre de l’article 88, paragraphe 3, CE. En vertu de l’article 15 du règlement n° 659/1999, ces aides ne seraient pas susceptibles de faire d’objet d’une récupération. Les requérants allèguent que la législation relative aux réductions de charges sociales en faveur des entreprises du Mezzogiorno trouve son origine dans la loi n° 1089/1968, instituant un simple régime de dégrèvements dont la date d’expiration était fixée initialement au 31 décembre 1972. Le champ d’application de ce régime aurait été étendu à Venise et à Chioggia par la loi n° 171/1973. Le régime d’aide institué par la loi n° 1089/1968 serait resté en vigueur jusqu’au 30 juin 1994. Il aurait été partiellement remplacé par le décret ministériel du 5 août 1994, instituant un système de dégrèvement « unique » qui absorbait les divers dégrèvements prévus par la loi n° 1089/1968, ainsi qu’un dégrèvement annuel total pour les nouveaux emplois. Cependant, la volonté du législateur, concrétisée dans la loi n° 171/1973, d’accorder aux entreprises opérant dans les centres historiques de Venise et de Chioggia certains avantages identiques à ceux accordés aux entreprises opérant dans le centre et le sud de l’Italie, n’aurait pas changé. En effet, les éléments essentiels du régime n’auraient pas été modifiés. Ce régime viserait toujours les mêmes destinataires, se justifierait pour les mêmes raisons, relatives aux conditions spécifiques aux centres historiques de Venise et de Chioggia, et se fonderait sur le même mécanisme pour déterminer l’aide, à savoir le renvoi aux législations en vigueur dans le centre et le sud de l’Italie.

353    Il y aurait dès lors une continuité dans les conditions et les modalités d’application des mesures prévues en particulier par la loi n° 171/1973 et par les lois n° 206/1995 et n° 30/1997. À défaut de modification substantielle par ces deux dernières lois des mesures prévues par la loi n° 171/1973, les réductions de charges sociales en cause en l’espèce ne constitueraient pas des aides nouvelles. Les seules modifications opérées par les lois n°s 206/1995 et 30/1997 auraient réduit l’avantage accordé précédemment aux bénéficiaires des mesures en cause, et ne sauraient dès lors être considérées comme substantielles.

354    Par ailleurs, les requérants contestent la thèse de la Commission selon laquelle la date à laquelle le régime d’aide a été institué serait sans pertinence pour déterminer le point de départ du délai de prescription prévu à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999. Ils font valoir que l’aide octroyée au titre d’un régime d’aide se concrétise à la date à laquelle l’entreprise concernée est admise au bénéfice de ce régime, et non lors de l’exécution, chaque mois, de l’obligation de verser l’aide déjà accordée.

355    En l’espèce, la Commission aurait omis d’apprécier le lien entre le régime d’aide considéré, applicable depuis le mois de juillet 1994, et le régime qui avait été institué par la loi n° 171/1973. La décision attaquée serait dès lors entachée d’une violation de l’article 15 du règlement n° 659/1999 et d’un défaut de motivation, en ce qu’elle qualifie implicitement le régime d’aide considéré d’aide nouvelle.

 Arguments de la Commission

356    La Commission conteste cette argumentation.

b)     Appréciation du Tribunal

357    Dans la mesure où les dispositions de l’article 15 du règlement n° 659/1999, prévoyant un délai de prescription, sont considérées comme étant de nature procédurale, elles étaient immédiatement applicables à toutes les procédures pendantes devant la Commission lors de l’entrée en vigueur de ce règlement, le 16 avril 1999 (arrêt du Tribunal du 10 avril 2003, Scott/Commission, T-366/00, Rec. p. II‑1763, point 51). La décision attaquée ayant été adoptée le 25 novembre 1999, il y a lieu d’examiner si, en l’espèce, ce délai de prescription avait expiré, de sorte que le régime d’aide considéré serait réputé être une aide existante en application de l’article 15, paragraphe 3, de ce règlement.

358    Il convient de rappeler au préalable que les mesures tendant à instituer ou à modifier des aides, constituent des aides nouvelles (arrêts de la Cour du 9 octobre 1984, Heineken Brouwerijen, 91/83 et 127/83, Rec. p. 3435, points 17 et 18, et du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit, C‑44/93, Rec. p. I‑3829, point 13). En particulier, lorsque la modification affecte le régime initial dans sa substance même, ce régime se trouve transformé en un régime d’aide nouveau. En revanche, lorsque la modification n’est pas substantielle, c’est seulement la modification en tant que telle qui est susceptible d’être qualifiée d’aide nouvelle (arrêt Government of Gibraltar/Commission, point 349 supra, points 109 et 111).

359    En l’espèce, force est de constater que la loi n° 206/1995, en étendant aux entreprises implantées sur le territoire de Venise et de Chioggia les exonérations de charges sociales prévues pour le Mezzogiorno par le décret ministériel du 5 août 1994, et la loi n° 30/1997, en prolongeant le régime en 1997, ont institué un régime nouveau spécifique applicable précisément sur le territoire de Venise et de Chioggia.

360    À cet égard, les arguments avancés par les requérants pour démontrer que le régime d’aide considéré ne constituait qu’une simple extension temporelle et territoriale d’aides existantes ne résistent pas à l’examen. En premier lieu, il convient de relever que la Commission affirme, sans être contredite par les requérants, que la loi n° 463/1972, invoquée par l’Hotel Cipriani, prolongeait jusqu’au 30 juin 1973 les réductions de charges sociales prévues par la loi n° 590/1971 en faveur des entreprises artisanales, des PME industrielles et des entreprises hôtelières. Ces réductions de charges ne seraient plus accordées depuis le 1er juillet 1973 et n’auraient dès lors aucun rapport avec les aides examinées dans la décision attaquée, qui ont été versées entre 1995 et 1997. Il en serait de même des réductions de charges sociales prévues par les lois n°s 502/1978, 102/1977 et 573/1977, applicables jusqu’au 31 décembre 1981.

361    En second lieu, le décret ministériel du 5 août 1994 mentionné, auquel se réfèrent les lois n°s 30/1997 et 206/1995, avait pour objet un « nouveau régime de réduction des charges sociales dans les territoires du Mezzogiorno ». Il instituait dès lors un nouveau régime d’aide pour le Mezzogiorno. La loi n° 206/1995 a étendu ce nouveau régime aux entreprises de Venise et de Chioggia et la loi n° 30/1997 a modifié les conditions d’attribution de ce nouveau régime.

362    Dans ces conditions, à supposer même que le régime d’aide considéré, prévu initialement par la loi n° 206/1995, se soit limité à étendre un régime d’aide existant à de nouveaux bénéficiaires, sans apporter par ailleurs de modification substantielle au régime existant, cette extension détachable du régime initial constitue une aide nouvelle, soumise à l’obligation de notification (voir, en ce sens, arrêt Government of Gibraltar/Commission, point 349 supra, points 109 et 110).

363    Il en résulte que la décision attaquée imposant la récupération des aides incompatibles avec le marché commun, versées en application des lois n°s 206/1995 et 30/1997, est, en toute hypothèse, intervenue avant l’expiration du délai de prescription fixé par l’article 15 du règlement n° 659/1999.

364    En outre, et en tout état de cause, contrairement aux allégations des requérants, le délai de prescription prévu par l’article 15 du règlement n° 659/1999 n’a commencé à courir qu’à la date à laquelle l’aide illégale a été versée. Dans le cas d’un régime d’aide institué plus de dix ans avant la première interruption de la prescription, les aides illégales et incompatibles octroyées sur la base de ce régime au cours des dix dernières années sont dès lors soumises à récupération (arrêt Government of Gibraltar/Commission, point 349 supra, point 130).

365    En conséquence, en l’espèce, à supposer même qu’il ait existé une continuité entre le régime d’aide considéré et des régimes antérieurs, ce qui est démenti par l’examen des faits, le délai de prescription décennal n’a en aucun cas expiré avant l’adoption de la décision attaquée, en 1999, en ce qui concerne les aides visées par cette décision, qui avaient été versées entre 1995 et 1997.

366    Enfin, il est constant que, au cours de la procédure administrative, le gouvernement italien n’a jamais soutenu que le régime considéré constituait une aide existante, ni contesté la qualification d’aide nouvelle retenue par la Commission dans sa décision d’ouvrir la procédure d’examen. Les tiers intéressés n’ont d’ailleurs pas non plus fourni à cet égard des arguments pertinents. Il ne saurait dès lors être reproché à cette institution de ne pas avoir vérifié si le régime considéré devait être qualifié d’aide existante ou d’aide nouvelle (arrêt de la Cour du 10 mai 2005, Italie/Commission, C‑400/99, Rec. p. I‑3657, point 51).

367    Pour l’ensemble de ces motifs, les présents moyens doivent être rejetés comme non fondés.

2.     Sur la violation alléguée de l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, des principes de proportionnalité, de sécurité juridique, d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime ainsi que des règles de droit transitoire et de l’obligation de motivation

a)     Arguments des parties

 Arguments des requérants

–       Affaire T-254/00

368    La requérante, l’Hotel Cipriani, soutient à titre subsidiaire que, à supposer même que le délai de prescription fixé par l’article 15 du règlement n° 659/1999 ne soit pas écoulé, ce qu’elle conteste, l’obligation de récupération des aides en cause imposée dans la décision attaquée méconnaît les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement et qu’elle est dès lors également contraire à l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/99 énonçant que la Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général de droit communautaire. En effet, l’imposition d’une obligation de récupération ne résulterait pas automatiquement de la déclaration d’incompatibilité. Il incomberait à la Commission d’examiner les circonstances exceptionnelles caractérisant le cas d’espèce, afin de vérifier si l’imposition d’une telle obligation est conforme au principe de proportionnalité.

369    En l’occurrence, la Commission aurait rejeté sans motivation suffisante les arguments avancés par les autorités italiennes à l’encontre de la récupération des aides en cause.

370    La situation examinée en l’espèce se caractériserait par un degré élevé d’incertitude juridique. En effet, il serait vraisemblable que les réductions de charges sociales accordées à des entreprises exerçant une activité économique sur un marché purement local ne sont pas de nature à affecter les échanges intracommunautaires et la concurrence. En outre, la suppression du régime d’aide considéré au 30 novembre 1997 et l’absence de participation de tiers intéressés à la procédure corroboreraient l’absence d’incidence de ce régime sur le fonctionnement du marché. L’obligation de récupération serait dès lors disproportionnée.

371    Dans la réplique, la requérante fait valoir que, dans le contexte susmentionné, elle pouvait légitimement s’attendre à ce que sa situation soit appréciée, conformément au principe général d’égalité de traitement, de manière analogue à la manière dont la situation des entreprises municipales l’a été. Cette confiance légitime s’opposerait en l’espèce à la récupération des charges sociales considérées.

372    Enfin, le taux de référence retenu dans la décision attaquée pour le calcul des intérêts sur les sommes à récupérer serait illégal en ce qu’il excède le taux d’intérêt appliqué à l’entreprise concernée sur son propre endettement, au cours de la période considérée. En effet, il serait contraire à la finalité de la récupération, qui vise à rétablir la situation dans laquelle l’entreprise se serait trouvée si elle n’avait pas bénéficié de l’aide considérée.

–       Affaire T-270/00

373    La requérante, Italgas, soutient d’abord que l’appréciation des circonstances invoquées par les autorités italiennes, à l’appui de leur demande tendant à ce qu’il ne soit pas procédé à la récupération des aides considérées, relève de la compétence des juridictions nationales.

374    Elle fait ensuite grief à la Commission d’avoir méconnu le principe de non-rétroactivité des règles de fond en se fondant, dans la décision attaquée, sur l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999. Ce règlement serait entré en vigueur le 16 avril 1999, tandis que les aides considérées n’ont été octroyées que jusqu’en 1997. Or, l’article 14, paragraphe 1, susmentionné, contiendrait une règle de fond modifiant les critères sur lesquels la Commission peut fonder une éventuelle décision de ne pas imposer à l’État membre concerné de récupérer les aides considérées. En effet, sous le régime précédent, la Commission aurait joui d’un pouvoir discrétionnaire (arrêt de la Cour du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C‑75/97, Rec. p. I‑3671, point 82). Elle aurait ainsi pu tenir compte des conséquences économiques et sociales d’un éventuel ordre de récupération. En revanche, en application de l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, la Commission ne pourrait renoncer à imposer la récupération de l’aide que si cette récupération allait à l’encontre d’un principe général de droit communautaire.

375    En conséquence, l’article 5 de la décision attaquée serait entaché d’une erreur de droit.

376    En outre, en l’absence, ratione temporis, d’obligation de la Commission d’imposer la récupération de l’aide au titre de l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, la décision attaquée serait erronée et insuffisamment motivée, en ce qu’elle ordonne de manière générale et sans distinction la récupération des aides versées, sans avoir vérifié avec une certitude suffisante, sur la base d’une analyse approfondie de toutes les circonstances pertinentes, que la mesure considérée était susceptible d’affecter les échanges intracommunautaires et la concurrence.

377    La République italienne, intervenant au soutien d’Italgas, se rallie à ses observations. Elle ajoute que la spécificité de la situation factuelle présente en l’espèce et l’incertitude juridique qui en découlait, ainsi que l’absence d’observations de la part de tiers intéressés, auraient dû inciter la Commission à vérifier concrètement si la récupération des aides considérées était nécessaire afin de rétablir la situation concurrentielle antérieure. Cette question, amplement discutée lors de la procédure administrative, ne serait pas examinée dans la décision attaquée.

–       Affaire T-277/00

378    Les requérantes, Coopservice et le comité, soutiennent que l’obligation de récupération imposée dans la décision attaquée est contraire aux principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, ainsi qu’au principe de proportionnalité.

379    S’agissant, en premier lieu, des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, la circonstance que la Commission estime, en ce qui concerne les entreprises municipales ACTV, Panfido et AMAV, que les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE ne sont pas réunies montrerait que, selon cette institution, les mesures en cause ne constituent pas en soi des aides illégales. Par ailleurs, la Commission aurait défini des critères de compatibilité à appliquer par l’État membre concerné. Le renvoi à cette procédure nationale afin d’établir, sur la base d’un examen individuel approfondi et complexe, si une aide est irrégulière implique, selon les requérants, que la constatation de l’irrégularité de l’aide produit uniquement des effets ex nunc. En conséquence, les bénéficiaires de ces mesures ne sauraient se voir refuser la protection de la confiance légitime.

380    En outre, les réductions de charges sociales en cause auraient été prévues par une réglementation nationale remontant à 1973. Dans ce contexte, il serait excessif d’imposer aux bénéficiaires de ces mesures l’obligation de s’informer sur la procédure communautaire, d’autant plus qu’ils constituent une catégorie nombreuse et indéterminée. Après trente ans d’existence, ce régime d’aide serait présumé connu dans le cadre communautaire, même s’il n’a pas fait l’objet d’une notification formelle.

381    En second lieu, l’obligation de récupération des aides en cause serait contraire au principe de proportionnalité, car ces mesures auraient exercé une incidence dérisoire sur les échanges, tandis que leur remboursement représenterait une charge extrêmement lourde pour leurs bénéficiaires.

382    Pour l’ensemble de ces raisons, la Commission aurait méconnu l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 ainsi que l’obligation de motivation, en s’abstenant de vérifier si la récupération des aides considérées n’était pas contraire à un principe général du droit communautaire.

383    Enfin, les requérants estiment que la décision attaquée est également contraire au principe de protection de la confiance légitime pour autant qu’elle prévoit que le montant des aides à rembourser doit être augmenté d’intérêts calculés sur la base du taux de référence utilisé pour le calcul de l’équivalent-subvention dans le cadre des aides à finalité régionale. De plus, le choix de la méthode de liquidation des intérêts ne serait pas motivé.

 Arguments de la Commission

384    La Commission conteste cette argumentation.

b)     Appréciation du Tribunal

385    Il convient de relever, à titre liminaire, que l’article 14, paragraphe 1, du règlement n°659/1999 consacre en règle générale l’obligation pour la Commission d’imposer la récupération des aides illégales, qui ont été déclarées incompatibles avec le marché commun. En effet, selon cette disposition, c’est uniquement si la récupération des aides va à l’encontre d’un principe général de droit communautaire que la Commission ne doit pas exiger leur récupération. Par ailleurs, il convient également de rappeler au préalable que, contrairement aux allégations d’Italgas (voir point 373 ci-dessus), les articles 87 CE et suivants, l’article 14 du règlement n° 659/1999 ainsi que les principes de protection de la confiance légitime, de sécurité juridique et de proportionnalité ne peuvent s’opposer à une mesure nationale ordonnant la restitution d’une aide en exécution d’une décision de la Commission qui a qualifié cette aide d’incompatible avec le marché commun et dont l’examen au regard de ces mêmes dispositions et principes généraux n’a pas révélé d’éléments de nature à affecter la validité (arrêt Unicredito Italiano, point 209 supra, point 125) .

386    Dans ce contexte, le grief d’Italgas selon lequel la décision attaquée violerait le principe de non-rétroactivité, dans la mesure où, pour imposer une obligation de récupération, elle se fonderait sur l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, qui prévoirait une règle de fond nouvelle, ne saurait être accueilli. À cet égard, il convient de relever que la Commission ne s’est pas exclusivement référée, dans la décision attaquée (considérants 100 à 103), à l’obligation imposée par l’article 14, paragraphe 1, de ce règlement. Elle s’est également fondée de manière expresse sur la jurisprudence antérieure, laquelle a d’ailleurs été formellement consacrée par l’article 14, paragraphe 1, susvisé, qui n’introduit à cet égard aucune règle nouvelle.

387    En effet, avant même l’entrée en vigueur du règlement n° 659/1999, la suppression d’une aide illégale par voie de récupération était, selon une jurisprudence constante, la conséquence logique de la constatation de son illégalité (arrêts de la Cour Tubemeuse, point 265 supra, point 66, et du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C-169/95, Rec. p. I-135, point 47). En particulier, la Cour a jugé que, sauf circonstances exceptionnelles, la Commission ne saurait méconnaître son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle demande à l’État membre de récupérer les aides illégales, puisque la récupération ne vise qu’au rétablissement de la situation antérieure (arrêt Maribel bis/ter, point 226 supra, point 66).

388    En conséquence, même s’il y a lieu d’admettre que, en principe, l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 n’était pas formellement applicable en l’espèce, dans la mesure où il contient une règle de fond, cette circonstance ne saurait vicier l’obligation de récupération imposée dans la décision attaquée, dans la mesure où, conformément à la jurisprudence visée au point précédent, la Commission a estimé que la récupération était nécessaire pour rétablir la situation antérieure, en supprimant les avantages dont les entreprises concernées avaient bénéficié en vertu du régime d’aide en cause.

389    En particulier, contrairement aux allégations des requérants, l’obligation de récupération des aides considérées ne saurait être considéré comme disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité en matière d’aides d’État, dans la mesure où elle est la conséquence logique de l’illégalité et vise le rétablissement de la situation antérieure.

390    À cet égard, la circonstance que la plupart des entreprises bénéficiaires auraient exercé leur activité au niveau local, ce qui n’est pas établi, n’aurait en tout état de cause pas permis d’écarter toute incidence des exonérations de charges sociales en cause sur les échanges et la concurrence, ainsi qu’il a déjà été jugé (voir point 246 à 248 ci-dessus). De même, l’absence de participation des tiers intéressés à la procédure administrative ne démontre pas que les bénéficiaires de ces exonérations n’avaient pas bénéficié d’un avantage concurrentiel sensible qui devait être supprimé pour rétablir la situation antérieure.

391    Dans ce contexte, contrairement aux allégations de l’Hotel Cipriani, la Commission a tenu compte de manière appropriée, dans la décision attaquée (considérant 103), des observations formulées par les autorités italiennes à l’appui de leur demande de ne pas procéder à la récupération des aides incompatibles.

392    S’agissant du moyen tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime, invoqué par l’Hotel Cipriani ainsi que par Coopservice et le comité, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le bénéficiaire d’une aide illégale ne saurait avoir une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de cette aide (arrêts de la Cour Unicredito Italiano, point 209 supra, points 104 et 108 à 111, et du 22 avril 2008, Commission/Salzgitter, C‑408/04 P, non encore publié au Recueil, point 104). En l’occurrence, le régime d’aide considéré n’avait pas été notifié et la récupération des aides représentait dès lors un risque prévisible. À cet égard, la circonstance, invoquée par Coopservice et par le comité, que la récupération s’effectue dans le cadre de la procédure nationale d’exécution de la décision de la Commission est privée de pertinence.

393    Par ailleurs, les requérantes n’invoquent aucune circonstance objectivement exceptionnelle permettant d’établir que l’obligation de récupération litigieuse est contraire au principe de sécurité juridique, ainsi que l’exige la jurisprudence (arrêt Commission/Salzgitter, point 392 supra, point 107). En particulier, les arguments relatifs à la continuité dans le temps des règles accordant des exonérations de charges sociales en faveur des entreprises établies à Venise ou à Chioggia ont déjà été rejetés par le Tribunal comme non fondés (voir point 362 ci-dessus). En outre, et en tout état de cause, une telle continuité n’aurait pas à elle seule représenté une circonstance exceptionnelle de nature à entacher d’illégalité une décision de la Commission imposant la récupération des aides en cause dans le respect du délai de prescription prévu par l’article 15 du règlement n° 659/1999.

394    En ce qui concerne le moyen tiré de la violation du principe d’égalité de traitement, invoqué par l’Hotel Cipriani, il convient de rappeler que la décision attaquée ne contient aucune constatation de caractère individuel, à l’exception de l’appréciation de la situation des entreprises municipales, effectuée sur la base des données qui avaient été transmises à la Commission par les autorités nationales et la municipalité de Venise. Aucune information relative à la situation individuelle de l’Hotel Cipriani n’ayant en revanche été communiquée à la Commission pendant la procédure administrative, la décision attaquée ne saurait présenter un caractère discriminatoire à l’égard de la requérante, par rapport aux entreprises municipales.

395     Quant aux arguments respectifs de l’Hotel Cipriani, ainsi que de Coopservice et du comité, visant à démontrer l’irrégularité du mode de calcul des intérêts dont sont assortis les montants à récupérer, ils doivent également être rejetés. À cet égard, il est à noter au préalable que, s’il est vrai que la disposition de l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999, énonçant que la Commission fixe un taux d’intérêt approprié, constitue une règle de fond et n’était de ce fait pas formellement applicable en l’espèce, cette disposition n’introduit toutefois aucune règle nouvelle.

396    En l’occurrence, il suffit de constater que le taux d’intérêt fixé dans la décision attaquée (article 5, second alinéa), qui renvoie au taux de référence utilisé pour le calcul de l’équivalent-subvention dans le cadre des aides à finalité régionale, est conforme à la finalité de la récupération et ne peut dès lors être considéré comme imprévisible.

397    De plus, il n’incombait pas à la Commission de motiver davantage le choix de ce taux de référence, dans la décision attaquée. En particulier, la seule circonstance que ce taux serait prétendument supérieur à celui appliqué à l’endettement de l’Hotel Cipriani ne permet pas de considérer qu’il n’est pas représentatif des taux d’intérêts pratiqués sur le marché (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, point 159). Par ailleurs, et en tout état de cause, cette requérante n’est pas recevable à invoquer sa situation individuelle, dès lors que celle-ci n’a pas été portée à la connaissance de la Commission pendant la procédure administrative, ainsi qu’il a déjà été jugé (voir notamment points 211 et 215 ci-dessus).

398    Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas établi que le taux fixé dans la décision attaquée n’était pas approprié, en ce qu’il aurait excédé ce qui était nécessaire afin de supprimer les avantages résultant pour les bénéficiaires des exonérations de charges sociales en cause.

399    Pour l’ensemble de ces raisons, les moyens tirés de la violation alléguée de l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, des principes de proportionnalité, de sécurité juridique, d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime, ainsi que des règles de droit transitoire et de l’obligation de motivation, doivent être rejetés comme non fondés.

 Sur les dépens

400    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner, conformément aux conclusions de la Commission, aux dépens, y compris, en ce qui concerne les requérants dans l’affaire T-277/00, à ceux afférents à la procédure en référé.

401    En vertu de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus à un litige supportent leurs dépens. Il s’ensuit que la République italienne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Les recours sont rejetés.

2)      L’Hotel Cipriani SpA, la Società italiana per il gas SpA (Italgas), Coopservice – Servizi di fiducia Soc. coop. rl et le Comitato « Venezia vuole vivere » supporteront, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission. Coopservice et le Comitato « Venezia vuole vivere » supporteront également l’ensemble des dépens exposés dans le cadre de la procédure en référé.

Meij

Vadapalas

Wahl

Prek

 

      Ciucă

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 novembre 2008.


Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

A –  Régime de réduction de charges sociales considéré

B –  Procédure administrative

C –  Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

Sur la recevabilité

A –  Sur la litispendance alléguée dans l’affaire T-277/00

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

B –  Sur l’absence alléguée de qualité pour agir des entreprises requérantes dans les affaires T-254/00, T-270/00 et T-277/00

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Appréciation du critère relatif aux modalités d’application du régime d’aide à la lumière de la jurisprudence

b)  Appréciation du critère fondé sur les modalités d’application du régime d’aide à la lumière du système communautaire de contrôle des aides d’État

c)  Sur la compétence alléguée des autorités nationales pour vérifier dans chaque cas individuel l’existence d’une aide lors de l’exécution d’un ordre de récupération

C –  Sur l’absence alléguée de qualité pour agir du comité dans l’affaire T-277/00

Sur le fond

A –  Sur la qualification prétendument erronée des mesures en cause d’aides d’État incompatibles avec le marché commun

1.  Sur la violation alléguée de l’article 87, paragraphe 1, CE et de l’article 86, paragraphe 2, CE, ainsi que du principe d’égalité de traitement, et sur les prétendus défaut de motivation et contradiction dans la motivation

a)  Arguments des parties

Arguments des requérants

–  Affaire T-254/00

–  Affaire T-270/00

–  Affaire T-277/00

Arguments de la Commission

b)  Appréciation du Tribunal

Sur l’absence alléguée d’avantage, en raison du caractère prétendument compensatoire des mesures considérées

Sur la compensation alléguée de désavantages structurels (affaires T-254/00, T-270/00 et T-277/00)

Sur la compensation alléguée de la gestion de services publics (affaires T-270/00 et T-277/00)

Sur l’absence alléguée d’affectation des échanges entre les États membres et d’incidence sur la concurrence

2.  Sur la violation alléguée de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE et le prétendu défaut de motivation

a)  Arguments des parties

Arguments des requérants

–  Affaire T-254/00

–  Affaire T-270/00

–  Affaire T-277/00

Arguments de la Commission

b)  Appréciation du Tribunal

3.  Sur la violation alléguée de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE, et du principe d’égalité de traitement ainsi que sur les prétendus défaut de motivation et contradiction dans la motivation

a)  Argument des parties

Arguments des requérants

–  Affaire T-254/00

–  Affaire T-277/00

Arguments de la Commission

b)  Appréciation du Tribunal

4.  Sur la violation alléguée de l’article 87, paragraphe 3, sous e), CE

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

5.  Sur la violation alléguée de l’article 87, paragraphe 3, sous b), CE, de l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE et de l’article 253 CE, ainsi que sur l’insuffisance de motivation et la contradiction dans la motivation alléguées

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

B –  Sur l’irrégularité alléguée de l’obligation de récupération des aides imposée à l’article 5 de la décision attaquée

1.  Sur la violation alléguée de l’article 15 du règlement n° 659/1999, ainsi que des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement, en relation avec la qualification prétendument erronée des mesures en cause d’aides nouvelles

a)  Arguments des parties

Arguments des requérants

–  Affaire T-254/00

–  Affaire T-277/00

Arguments de la Commission

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur la violation alléguée de l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, des principes de proportionnalité, de sécurité juridique, d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime ainsi que des règles de droit transitoire et de l’obligation de motivation

a)  Arguments des parties

Arguments des requérants

–  Affaire T-254/00

–  Affaire T-270/00

–  Affaire T-277/00

Arguments de la Commission

b)  Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



* Langue de procédure : l’italien.