Language of document : ECLI:EU:T:2018:367

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

20 juin 2018 (*)

« Concurrence – Procédure administrative – Décision ordonnant une inspection – Inspection ordonnée sur le fondement d’informations provenant d’une autre inspection – Proportionnalité – Obligation de motivation – Droit au respect de la vie privée – Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑621/16,

České dráhy, a.s., établie à Prague (République tchèque), représentée par Mes K. Muzikář, J. Kindl et V. Kuča, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. P. Rossi, A. Biolan, G. Meessen, Mmes P. Němečková et M. Šimerdová, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2016) 3993 final de la Commission, du 22 juin 2016, relative à une procédure d’application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003, adressée à České dráhy ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, leur ordonnant de se soumettre à une inspection (affaire AT.40401 – Twins),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. A. M. Collins, président, R. Barents et J. Passer (rapporteur), juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 26 octobre 2017,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, České dráhy, a.s., est une société anonyme. Cette société est le transporteur ferroviaire national tchèque et est détenue à 100 % par l’État tchèque. Elle est l’entreprise ferroviaire historique de la République tchèque, qui opère notamment dans le domaine de la fourniture de services nationaux et internationaux de transport de marchandises et de personnes ainsi que dans le domaine de la fourniture de services de gestion de l’infrastructure ferroviaire.

 Inspection Falcon

2        Le 18 avril 2016, la Commission européenne a adopté la décision C(2016) 2417 final, relative à une procédure d’application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003, adressée à České dráhy ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, leur ordonnant de se soumettre à une inspection (affaire AT.40156 – Falcon).

3        Selon les considérants 3 et 4 de ladite décision, la Commission disposait, à la date d’adoption de cette décision, d’informations suggérant que la requérante pouvait pratiquer des prix inférieurs aux coûts de revient sur certaines liaisons ferroviaires, notamment, mais sans s’y limiter, sur la liaison intérieure Prague-Ostrava. Cette infraction aurait été commise au moins depuis 2011.

4        L’article 1er de ladite décision a enjoint à la requérante, conjointement avec toutes les sociétés qu’elle contrôlait directement ou indirectement, de se soumettre à une inspection relative à son éventuelle participation à une infraction à l’article 102 TFUE dans le domaine de la fourniture de services de transport ferroviaire de personnes en République tchèque, notamment la pratique de prix en dessous du prix de revient, susceptibles de limiter l’accès des tiers au marché ou leur développement sur le marché des services de transport ferroviaire de personnes ainsi que toute stratégie ayant le même effet.

5        L’inspection s’est déroulée du 26 au 29 avril 2016.

6        Le 24 juin 2016, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision ordonnant cette inspection (affaire T‑325/16, České dráhy/Commission).

 Inspection Twins

7        Le 22 juin 2016, la Commission a adopté la décision C(2016) 3993 final, relative à une procédure d’application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003, adressée à la requérante ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, leur ordonnant de se soumettre à une inspection (affaire AT.40401 – Twins) (ci-après la « décision attaquée »).

8        Les considérants 2 à 10 de la décision attaquée sont rédigés de la manière suivante :

« 2)      La Commission européenne (ci-après “la Commission”) dispose d’informations indiquant que la requérante et d’autres entreprises ferroviaires historiques ont conclu des accords anticoncurrentiels ou ont participé à des pratiques concertées visant à restreindre la vente de matériel roulant ferroviaire usagé aux concurrents.

3)      La Commission soupçonne que de tels accords ou pratiques concertées concernent, directement ou indirectement, la République tchèque, la République slovaque ou la République d’Autriche et portent sur la vente de matériel roulant ferroviaire destiné à la fourniture de services de transport ferroviaire de personnes.

4)      De tels accords ou pratiques concertées peuvent faire partie d’une stratégie des entreprises ferroviaires historiques contraire aux règles de concurrence aux fins de protéger leur situation sur le marché de la fourniture de services de transport ferroviaire de personnes en République tchèque, en République slovaque ou en République d’Autriche, de restreindre le développement de la concurrence ou d’exclure de nouveaux opérateurs sur ces marchés en restreignant l’accès des concurrents au matériel roulant ferroviaire.

5)      La Commission a obtenu des informations suggérant que de tels accords ou pratiques concertées ont dû être conclus au moins depuis 2011, lorsque des transporteurs concurrents ont commencé à proposer des services de transport ferroviaire de personnes en République tchèque, en République slovaque et en République d’Autriche.

6)      Le comportement précité, si son existence est établie, constituerait une ou plusieurs infractions à l’article 101 TFUE.

7)      Ces infractions alléguées seraient commises dans le plus grand secret. La documentation existante relative aux infractions alléguées serait limitée à son minimum et serait détenue dans des endroits et sous une forme qui faciliterait sa dissimulation, sa conservation ou sa destruction en cas de demande de renseignements ou de contrôles annoncés.

8)      Aux fins de permettre à la Commission d’établir toutes les circonstances pertinentes relatives à d’éventuelles infractions ainsi que le contexte dans lequel elles se produisent, il convient de procéder à une inspection dans les locaux de [la requérante] en application de l’article 20 du règlement no 1/2003.

9)      Afin de garantir l’efficacité de cette inspection, il est nécessaire qu’elle soit menée sans avertir préalablement l’entreprise soupçonnée de l’infraction.

10)      C’est pourquoi il y a lieu d’adopter une décision en application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, par laquelle [la requérante] est invitée à se soumettre à l’inspection, et de communiquer cette décision directement avant l’inspection. »

9        L’article 1er de la décision attaquée indique en son premier alinéa :

« La présente décision enjoint à [la requérante], ainsi qu’à toutes les sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement, de se soumettre à une inspection relative à son éventuelle participation à des accords anticoncurrentiels ou à des pratiques concertées, contraires à l’article 101 TFUE, dans le domaine de la fourniture de services de transport ferroviaire de personnes en République tchèque, en République slovaque ou en République d’Autriche. L’infraction alléguée porte sur la restriction de la vente de matériel roulant ferroviaire usagé aux concurrents et sur toute stratégie visant à restreindre l’accès des concurrents au matériel roulant ferroviaire. »

10      Selon l’article 2 de la décision attaquée, « [l’]inspection [devait] débuter[…] le 28 juin 2016, ou peu après cette date ».

11      L’article 3 de la décision attaquée précise que « [l]a destinataire de la présente décision est [la requérante] ensemble avec toutes les sociétés que celle-ci contrôle directement ou indirectement [ ; la] décision est communiquée à [la requérante], qui en est la destinataire, directement avant l’inspection, en application de l’article 297, paragraphe 2, TFUE ».

12      L’inspection s’est déroulée du 28 juin au 1er juillet 2016.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 août 2016, la requérante a introduit le présent recours.

14      Conformément à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier a invité la Commission à produire certains documents. La Commission a déféré à cette invitation dans le délai imparti.

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

16      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

17      À l’appui de son recours, la requérante soulève cinq moyens, tirés :

–        du fait que la décision attaquée aurait été adoptée sur le fondement d’informations obtenues sur la base d’une décision illégale de la Commission dans le cadre de l’inspection Falcon (premier moyen) ;

–        du fait que, en tout état de cause, les documents sur la base desquels la décision attaquée a été adoptée auraient été obtenus de manière illégale par la Commission, en dehors de l’objet de l’inspection Falcon (deuxième moyen) ;

–        d’une violation du principe de proportionnalité (troisième moyen) ;

–        d’une violation de l’obligation de motivation (quatrième moyen) ;

–        d’une violation des droits garantis par les articles 7 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et par les articles 6 et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») (cinquième moyen).

18      À titre liminaire, il convient de relever que, si l’acte attaqué par le présent recours est bien la décision ordonnant l’inspection en cause et si tous les moyens soulevés par la requérante visent exclusivement l’annulation de cette décision, toutefois certaines remarques et certains arguments qu’elle a formulés dans le cadre de la procédure écrite se rapportent au déroulement de l’inspection à laquelle la Commission a procédé en exécution de la décision attaquée. En témoigne d’ailleurs la manière dont la requérante a formulé ses moyens d’annulation, notamment le quatrième.

19      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la façon dont une décision ordonnant une inspection a été appliquée est sans incidence sur la légalité de cette décision (voir arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 49 et jurisprudence citée) et qu’une entreprise ne saurait donc se prévaloir de l’illégalité dont serait entaché le déroulement de procédures de vérification au soutien de conclusions en annulation dirigées contre l’acte sur le fondement duquel la Commission a procédé à cette vérification (voir arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287, point 55 et jurisprudence citée).

20      Cela étant, dans la réplique, la requérante a précisé, en réponse à une argumentation de la Commission qui reposait sur la jurisprudence susmentionnée, qu’elle ne prétendait pas que le déroulement de l’inspection lui-même constituait la raison pour laquelle sa sphère privée avait été violée de manière illicite. Elle n’aurait attiré l’attention sur le déroulement de l’inspection qu’afin d’« illustrer » l’ampleur de l’ingérence dans sa sphère d’activité privée.

21      C’est donc sous cet angle qu’il convient d’apprécier les remarques et arguments en cause lors de l’examen des moyens d’annulation de la décision attaquée.

 Sur les premier et deuxième moyens, tirés du fondement illégal de la décision attaquée

22      Par les premier et deuxième moyens, la requérante fait valoir, en substance, que la décision attaquée a été adoptée sur le fondement de documents obtenus illégalement par la Commission.

23      En premier lieu, la requérante soutient que la décision attaquée doit être annulée, dès lors qu’elle a été adoptée sur le fondement de documents saisis par la Commission à l’occasion de l’inspection Falcon. Or, la décision ordonnant l’inspection Falcon, attaquée par la requérante dans l’affaire T‑325/16, České dráhy/Commission, serait illégale.

24      En second lieu, la requérante prétend que, en tout état de cause, la décision attaquée doit être annulée, étant donné qu’elle est fondée sur des documents saisis à l’occasion de l’inspection Falcon et hors du cadre de celle-ci.

25      Elle relève à cet égard que l’inspection Falcon concernait une violation potentielle de l’article 102 TFUE, tandis que l’inspection en cause (Twins) visait l’article 101 TFUE. Par conséquent, les documents en cause auraient été incontestablement saisis au-delà du cadre de l’inspection Falcon.

26      Par ailleurs, la requérante est convaincue que ce n’est pas incidemment que la Commission a eu connaissance, au cours de l’inspection Falcon, des informations relatives à l’infraction potentielle à l’article 101 TFUE, mais qu’elle les a recherchées de manière ciblée. Cela serait démontré par un nombre de documents saisis lors de l’inspection Falcon, qui n’auraient aucun rapport avec l’objet de cette inspection et concerneraient notamment le projet Railjet et d’autres coopérations avec des transporteurs des pays voisins pour le transport transfrontalier de personnes, ainsi que d’autre sujets. En outre, la Commission enquêterait sur de potentielles pratiques anticoncurrentielles du transporteur autrichien ÖBB depuis décembre 2015.

27      La Commission conclut au rejet des deux moyens.

28      Elle admet que la décision attaquée a été adoptée exclusivement sur le fondement d’informations contenues dans les documents saisis par elle à l’occasion de l’inspection Falcon. Cependant, elle maintient que la décision ordonnant l’inspection Falcon n’est pas illégale. De surcroît, elle aurait pris connaissance desdites informations incidemment au cours de l’inspection Falcon. En effet, ces informations auraient été contenues dans les documents qui concernaient en premier lieu le recours potentiel à des prix prédateurs et, partant, auraient relevé du champ d’application de la décision ordonnant l’inspection Falcon.

29      À cet égard, la Commission fait valoir que la requérante interprète très strictement l’objet de l’inspection Falcon. Elle estime qu’elle avait le droit de saisir des documents qui portaient, par exemple, sur la question des coûts sur d’autres liaisons ferroviaires et, partant, constituaient un étalon pour la répartition habituelle des coûts entre les différentes liaisons ou qui concernaient la politique des prix et la stratégie de l’entreprise inspectée à l’égard d’autres liaisons, afin de pouvoir apprécier correctement ces éléments dans le cas de la liaison Prague-Ostrava.

30      En ce qui concerne l’enquête sur de potentielles pratiques anticoncurrentielles du transporteur autrichien ÖBB, menée depuis 2015, la Commission souligne que cette enquête portait sur un autre sujet et n’avait aucun rapport avec une forme d’accord ou de coopération entre ÖBB et des entreprises d’autres États membres.

31      En réponse aux mesures d’organisation de la procédure mentionnées au point 14 ci-dessus, la Commission a produit trois documents, qui auraient servis de base pour adopter la décision attaquée :

–        un courriel du 9 mai 2012, accompagné d’une annexe intitulée « confidentiel » ;

–        un courriel du 21 septembre 2014, intitulé « confidentiel » ;

–        des courriels des 2 et 3 juin 2015, intitulés « confidentiel ».

32      Selon la Commission, tous ces documents contiennent des indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence, visée par la décision attaquée.

33      De même, avant tout, ces trois documents relèveraient de l’inspection Falcon, en ce que :

–        le premier document mentionne, parmi des conséquences, pour les transporteurs nationaux, de la libéralisation du marché, « confidentiel » et indique que, contrairement aux transporteurs nationaux, dont la requérante, les nouveaux concurrents « confidentiel », « confidentiel » et « confidentiel » ; ces éléments auraient contribué à l’établissement d’une comparaison entre les recettes et les coûts dans le cadre de l’enquête portant sur le recours potentiel à des prix prédateurs ;

–        le deuxième document indique confidentiel ; cet élément aurait servi à l’analyse des coûts dans le cadre de l’enquête portant sur le recours potentiel à des prix prédateurs ;

–        le troisième document mentionne « confidentiel » (« confidentiel ») ; cet élément aurait contribué à l’évaluation des recettes de la requérante dans le cadre de l’enquête portant sur le recours potentiel à des prix prédateurs.

34      Dans ses observations sur la réponse de la Commission aux mesures d’organisation de la procédure mentionnées au point 14 ci-dessus, la requérante n’a pas contesté la présence, dans les trois documents, d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter l’infraction visée par la décision attaquée. Cependant, elle a maintenu sa position selon laquelle aucun de ces trois documents ne relevait de l’objet de l’inspection Falcon.

 Remarques liminaires

35      À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 28, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), les informations recueillies au cours des vérifications ne doivent pas être utilisées dans des buts autres que ceux indiqués dans le mandat de vérification ou la décision de vérification (voir arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 57 et jurisprudence citée).

36      À cet égard, la Cour a précisé qu’une telle exigence vise à préserver, outre le secret professionnel, expressément mentionné à l’article 28 du règlement no 1/2003, les droits de la défense des entreprises que l’article 20, paragraphe 4, du même règlement a pour objet de garantir. Ces droits seraient, en effet, gravement compromis si la Commission pouvait invoquer, à l’égard des entreprises, des preuves qui, obtenues au cours d’une vérification, seraient étrangères à l’objet et au but de celle-ci (voir arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 58 et jurisprudence citée).

37      En revanche, il ne saurait en être conclu qu’il est interdit à la Commission d’ouvrir une procédure d’enquête afin de vérifier l’exactitude ou de compléter des informations dont elle aurait eu incidemment connaissance au cours d’une vérification antérieure au cas où ces informations indiqueraient l’existence de comportements contraires aux règles de concurrence du traité. En effet, une telle interdiction irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver le secret professionnel et les droits de la défense et constituerait donc une entrave injustifiée à l’accomplissement, par la Commission, de la mission de veiller au respect des règles de concurrence dans le marché commun et de déceler les infractions aux articles 101 et 102 TFUE (voir arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 59 et jurisprudence citée).

38      En outre, il convient de rappeler qu’une éventuelle annulation d’un acte juridique de l’Union européenne opère ex tunc et a donc pour effet d’éliminer rétroactivement l’acte annulé de l’ordre juridique (arrêt du 10 octobre 2001, Corus UK/Commission, T‑171/99, EU:T:2001:249, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêts du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, EU:C:1988:199, point 30, et du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T‑481/93 et T‑484/93, EU:T:1995:209, point 46).

39      Dès lors, c’est à juste titre que la requérante prétend que, dans la mesure où la Commission confirme que la décision attaquée a été adoptée exclusivement sur le fondement de documents saisis à l’occasion de l’inspection Falcon, une éventuelle annulation de la décision ordonnant ladite inspection entraînerait, inévitablement, une annulation de la décision attaquée.

40      En effet, dans un tel cas, il y aurait eu lieu de considérer que les documents saisis au cours de l’inspection Falcon ont tous été obtenus, ab initio, illégalement par la Commission et, par conséquent, ne pouvaient pas être utilisés pour ordonner l’inspection Twins. Il conviendrait donc d’annuler également la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les trois documents sur le fondement desquels cette décision a été adoptée (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 49 et jurisprudence citée ; voir également, par analogie, arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, points 56 à 67 et 71).

41      Toutefois, par l’arrêt de ce jour, České dráhy/Commission (T‑325/16), le Tribunal n’a annulé que partiellement la décision ordonnant l’inspection Falcon, à savoir « pour autant qu’elle concerne des liaisons autres que la liaison Prague-Ostrava et un comportement autre que la prétendue pratique de prix inférieurs aux coûts de revient ».

42      Cette annulation partielle n’a pas pour conséquence l’irrégularité de la saisie, au cours de l’inspection Falcon, de tout document et ne saurait donc entraîner, de manière automatique, l’annulation de la décision attaquée.

43      Par conséquent, il convient en l’espèce d’examiner les trois documents invoqués par la Commission afin de déterminer s’ils relèvent bien de l’objet de l’inspection Falcon, et ce compte tenu de l’arrêt de ce jour, České dráhy/Commission (T‑325/16).

44      À cet égard, premièrement, il convient d’écarter l’argument de la requérante selon lequel les documents invoqués par la Commission ne sauraient en tout état de cause relever de l’inspection Falcon, dès lors que cette dernière concernait une infraction suspectée à l’article 102 TFUE, alors que l’inspection Twins visait une possible infraction à l’article 101 TFUE.

45      En effet, il est parfaitement possible et même courant, sur le plan général, qu’un document contienne des informations relatives à plusieurs sujets. Le premier des trois documents invoqués par la Commission dans la présente affaire en est d’ailleurs un exemple frappant.

46      Il est donc tout à fait possible qu’un document comporte, à la fois, des éléments pertinents pour une enquête relative à une éventuelle infraction à l’article 102 TFUE et des éléments pertinents pour une enquête relative à une éventuelle infraction à l’article 101 TFUE.

47      Par conséquent, il ne saurait être exclu que, dans les documents qui relèvent de l’inspection Falcon visant une infraction à l’article 102 TFUE et qui pouvaient dès lors être recherchés par la Commission sur le fondement de la décision ordonnant ladite inspection de manière ciblée, cette dernière ait découvert, incidemment, des indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une autre infraction, en l’occurrence une possible infraction à l’article 101 TFUE.

48      En ce qui concerne les autres documents saisis par la Commission au cours de l’inspection Falcon, il suffit de constater qu’ils ne sont pas invoqués par cette dernière en l’espèce.

49      Deuxièmement, si, sur le plan concret, la requérante relève un certain nombre de documents qui auraient été saisis, selon elle, en dehors de l’objet de l’inspection Falcon, elle ne prétend pas qu’ils contiennent eux-aussi, comme les trois documents invoqués par la Commission, des éléments relevant de l’objet de l’inspection Twins.

50      Il s’ensuit que ces autres documents, invoqués par la requérante, ne sont pas susceptibles d’établir, ni même de permettre de soupçonner, qu’une situation analogue à celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission (C‑583/13 P, EU:C:2015:404), se serait également produite dans la présente affaire, à savoir que les agents de la Commission avaient pour instruction de rechercher systématiquement, lors de l’inspection Falcon, non seulement des documents relevant de cette enquête, mais aussi des documents pertinents pour l’enquête Twins.

51      Troisièmement, en ce qui concerne l’enquête sur de potentielles pratiques anticoncurrentielles du transporteur autrichien ÖBB, menée par la Commission depuis 2015, donc avant la date d’adoption de la décision ordonnant l’inspection Falcon, force est de constater que, ni dans ses observations sur la réponse de la Commission aux mesures d’organisation de la procédure mentionnées au point 14 ci-dessus, ni à l’audience, la requérante n’a contesté les explications présentées à cet égard par la Commission dans la duplique, selon lesquelles cette enquête portait sur un autre sujet et n’avait aucun rapport avec une forme d’accord ou de coopération entre ÖBB et des entreprises d’autres États membres.

52      Partant, il y a lieu de ne tenir compte que des trois documents invoqués par la Commission aux fins de l’analyse des premier et deuxième moyens du recours.

 Sur les documents invoqués par la Commission

53      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’analyse des coûts encourus par une entreprise dominante est au cœur de l’appréciation du comportement d’une telle entreprise lorsqu’elle est suspectée d’abuser de sa position dominante en recourant à la pratique des prix prédateurs.

54      En effet, ce sont des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables, c’est-à-dire de ceux qui varient en fonction des quantités produites, par lesquels une entreprise dominante cherche à éliminer un concurrent qui doivent être considérés comme abusifs (arrêts du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, EU:C:1991:286, point 71 ; du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C‑333/94 P, EU:C:1996:436, point 41, et du 2 avril 2009, France Télécom/Commission, C‑202/07 P, EU:C:2009:214, point 109).

55      Par ailleurs, doivent également être considérés comme abusifs des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, lorsqu’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent (arrêts du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, EU:C:1991:286, point 72 ; du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C‑333/94 P, EU:C:1996:436, point 41, et du 2 avril 2009, France Télécom/Commission, C‑202/07 P, EU:C:2009:214, point 109).

56      En outre, dans la mesure où l’entreprise occupant une position dominante fixe ses prix à un niveau qui couvre l’essentiel des coûts imputables à la commercialisation du produit ou à la fourniture de la prestation de services en question, un concurrent aussi efficace que cette entreprise aura, en principe, la possibilité de concurrencer ces prix sans encourir de pertes insupportables à long terme. Dès lors, de tels prix ne tombent pas sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE, à moins que l’existence d’effets anticoncurrentiels dus au comportement de l’entreprise dominante ne soit constatée et que cette entreprise ne soit pas en mesure de justifier ses agissements (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, points 38 et 40).

57      De surcroît, il ressort de la jurisprudence que, afin d’apprécier la licéité de la politique de prix appliquée par une entreprise dominante, il convient, en principe, de se référer à des critères de prix fondés non seulement sur les coûts encourus par l’entreprise dominante elle-même, mais aussi sur la stratégie de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C‑52/09, EU:C:2011:83, point 41 et jurisprudence citée).

58      En l’espèce, il convient de relever d’emblée que tous les éléments contenus dans les documents invoqués par la Commission, tels qu’identifiés dans ces documents par cette dernière, concernent bien les coûts de la requérante ou peuvent être pertinents pour apprécier la stratégie de celle-ci.

59      Toutefois, aucun de ces éléments ne comporte d’informations précises ou concrètes sur les coûts de la requérante ni ne permet, en soi, d’établir un plan de la requérante ayant pour but d’éliminer des concurrents.

60      En effet, d’une part, le premier document, un courriel du 9 mai 2012, comporte une constatation laconique selon laquelle une des conséquences de l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché serait, pour la requérante, « confidentiel ».

61      D’autre part, ce document indique de manière générale que, contrairement à de nouveaux concurrents, les transporteurs nationaux confidentiel.

62      Le deuxième document, un courriel du 21 septembre 2014, indique un prix pour confidentiel. Toutefois, il ne s’agit pas du prix effectivement payé pour ce matériel, mais d’une simple estimation de ce prix dans le contexte d’une proposition d’un éventuel futur rachat de ce matériel par la requérante. Par ailleurs, le prix estimé est indiqué non comme un seul montant, mais comme une fourchette entre deux montants, la différence entre ces derniers étant de confidentiel.

63      Enfin, le troisième document, des courriels des 2 et 3 juin 2015, ne mentionne qu’ « confidentiel » du côté de la requérante.

64      En outre, aucun des éléments en cause ne présente de lien direct avec la liaison Prague-Ostrava.

65      Ces éléments ne présentent pas davantage de lien direct avec une autre liaison en République tchèque. Est donc inopérant l’argument de la Commission selon lequel elle aurait eu le droit de saisir des documents qui portaient sur la question des coûts sur d’autres liaisons ferroviaires et qui, partant, constituaient un étalon pour la répartition habituelle des coûts entre les différentes liaisons, ou qui concernaient la politique des prix et la stratégie de l’entreprise inspectée à l’égard d’autres liaisons, afin qu’elle puisse apprécier correctement ces éléments dans le cas de la liaison Prague-Ostrava.

66      En dépit de ces caractéristiques, les documents invoqués par la Commission relèvent bien de l’objet de l’inspection Falcon, et ce pour les motifs suivants.

67      Premièrement, il est vrai que les éléments en cause, contenus dans ces documents qu’ils soient pris isolément ou dans leur ensemble, ne donnent que peu d’indications sur les coûts de la requérante ou sur sa stratégie et ne permettent pas, en tout état de cause, de déterminer de manière concluante le niveau global de ces coûts et, encore moins, le niveau des coûts imputables à la fourniture, par la requérante, de services de transport ferroviaire de personnes sur la liaison Prague-Ostrava ou d’établir un plan de cette dernière ayant pour but d’éliminer des concurrents. Toutefois, ces éléments doivent être regardés dans le contexte de l’enquête menée par la Commission.

68      En effet, si, pris isolément, ces éléments ne permettent pas de tirer une conclusion concrète et précise sur les coûts de la requérante, pris conjointement avec d’autres éléments contenus dans d’autres documents saisis à l’occasion de l’inspection Falcon, ils peuvent contribuer à établir une image plus ou moins détaillée et fidèle des coûts de la requérante ou même dévoiler, éventuellement, une stratégie anticoncurrentielle.

69      Ainsi, le premier document contient des éléments qui fournissent des renseignements sur la structure et la nature des coûts de la requérante, et ce en contraste avec les coûts de nouveaux concurrents, des renseignements qui peuvent s’avérer utiles lors de l’analyse d’autres documents portant sur des différents coûts encourus par la requérante.

70      Le deuxième document donne, lui, une certaine vision des prix du matériel utilisé également, par la requérante, aux fins de la prestation des services en cause, laquelle vision peut se voir précisée davantage par des données éventuellement contenues dans d’autres documents.

71      Enfin, le premier document comporte une information sur le développement des recettes de la requérante (« confidentiel »), qui est ensuite corroborée et quantifiée dans le troisième document (« confidentiel»). Or, ces données fournissent des renseignements sur l’évolution des recettes de la requérante, qui peuvent être pertinents pour apprécier la licéité de la politique de prix appliquée par cette dernière, notamment s’il devait s’avérer que les coûts de la requérante étaient restés, au cours de la même période, relativement stables. Par ailleurs, l’élément contenu dans le troisième document (« confidentiel ») figure dans une phrase qui pose une question manifestement rhétorique (« confidentiel »), qui peut certes sous-entendre beaucoup de choses, mais pourrait également indiquer que la stratégie de la requérante n’était pas nécessairement dénuée de visées anticoncurrentielles à l’époque.

72      Deuxièmement, le fait qu’aucun de ces éléments ne présente de lien direct avec la liaison Prague-Ostrava ne diminue pas non plus leur éventuelle pertinence.

73      En effet, il est évident que, dans le cas d’une entreprise comme la requérante qui offre des services de transport ferroviaire de personnes sur un réseau qui couvre l’ensemble du territoire d’un État membre, les coûts attribuables à la prestation de ces services sur une liaison spécifique, en l’occurrence sur la liaison Prague-Ostrava, sont susceptibles de se composer de « coûts directs », attribuables exclusivement à la prestation desdits services sur la liaison en cause, et de « coûts indirects », également supportés par la requérante à l’égard d’une liaison spécifique sans qu’ils soient toutefois imputables exclusivement à la prestation de services de transport ferroviaire de personnes sur une autre liaison.

74      Par ailleurs, la Cour a déjà reconnu qu’il peut s’avérer nécessaire, lors d’une analyse de coûts d’une entreprise dominante, de prendre en compte non seulement les coûts fixes et variables exclusivement attribuables à l’activité en question, mais également des « coûts communs » (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, points 33 et 34).

75      Troisièmement, la Commission a invoqué à l’audience le communiqué de presse de l’autorité de concurrence tchèque du 4 septembre 2013 dans lequel cette dernière aurait émis des doutes au sujet de la comptabilité des dépenses et des recettes de la requérante et aurait invité le ministère des Transports tchèque à imposer à cette dernière une comptabilité plus détaillée, et donc plus transparente.

76      Les mêmes doutes auraient d’ailleurs été exprimés dans l’expertise de l’Univerzita Pardubice (université de Pardubice, République tchèque), commandée par l’autorité de concurrence tchèque aux fins de son enquête sur la pratique de prix prétendument abusive de la requérante sur la liaison Prague-Ostrava.

77      Or, au vu de ces éléments, qui n’ont pas été contestés par la requérante, il ne saurait non plus être reproché à la Commission de s’efforcer d’analyser les coûts de la requérante en détail, en examinant même des éléments sans rapport immédiat avec la liaison en cause, au lieu de tout simplement abandonner l’enquête avant même de l’entamer.

78      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que les documents invoqués par la Commission dans la présente affaire ont été obtenus légalement par cette dernière à l’occasion de l’inspection Falcon et que la décision attaquée pouvait être adoptée sur le fondement de ces documents.

79      Dès lors, les premier et deuxième moyens doivent être rejetés.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

80      Par le quatrième moyen, qu’il convient d’examiner avant le troisième, la requérante prétend que, dans la décision attaquée, la Commission a délimité l’objet et la finalité de l’inspection de manière imprécise et que, en outre, elle a insuffisamment motivé cette décision. En effet, la décision attaquée spécifierait d’une manière trop large la période sur laquelle doit porter l’inspection et la Commission n’aurait fait état, dans la motivation de la décision attaquée, d’aucun indice qui justifierait son soupçon.

81      La Commission conclut au rejet de ce moyen.

82      Il ressort d’une jurisprudence constante que la Commission n’est pas tenue d’indiquer, dans une décision ordonnant une inspection, la période au cours de laquelle des infractions présumées auraient été commises (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 80 et jurisprudence citée).

83      Par conséquent, il ne saurait être reproché à la Commission, quand elle choisit, en dépit de cette jurisprudence, d’indiquer la période au cours de laquelle des infractions présumées auraient été commises, de l’avoir fait de manière trop large.

84      Le premier grief de la requérante n’est donc pas fondé.

85      Par ailleurs, si, afin d’établir le caractère justifié de l’inspection, la Commission est tenue de faire apparaître de manière circonstanciée dans la décision ordonnant une inspection qu’elle dispose d’éléments et d’indices matériels sérieux l’amenant à suspecter l’infraction dont l’entreprise visée par l’inspection est soupçonnée (voir arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 172 et jurisprudence citée), il ne saurait lui être imposé d’indiquer, au stade de la phase d’instruction préliminaire, outre les présomptions d’infraction qu’elle entend vérifier, les indices, c’est-à-dire les éléments la conduisant à envisager l’hypothèse d’une violation de l’article 101 TFUE. En effet, une telle obligation remettrait en cause l’équilibre que la jurisprudence établit entre la préservation de l’efficacité de l’enquête et la préservation des droits de la défense de l’entreprise concernée (arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 81).

86      En effet, d’une part, la phase d’instruction préliminaire a pour point de départ la date à laquelle la Commission, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par les articles 18 et 20 du règlement no 1/2003, prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et entraînant des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées. D’autre part, ce n’est qu’au début de la phase contradictoire administrative que l’entreprise concernée est informée, moyennant la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure et que cette entreprise dispose d’un droit d’accès au dossier afin de garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense. Par conséquent, c’est seulement après l’envoi de la communication des griefs que l’entreprise concernée peut pleinement se prévaloir de ses droits de la défense. Si ces droits étaient étendus à la phase précédant l’envoi de la communication des griefs, l’efficacité de l’enquête de la Commission serait compromise, puisque l’entreprise concernée serait, déjà lors de la phase d’instruction préliminaire, en mesure d’identifier les informations qui sont connues de la Commission et, partant, celles qui peuvent encore lui être cachées (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 78 et jurisprudence citée).

87      Dès lors, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir simplement constaté, dans la décision attaquée, qu’elle disposait d’informations indiquant que « la requérante et d’autres entreprises ferroviaires historiques [avaient] conclu des accords anticoncurrentiels ou [avaient] participé à des pratiques concertées visant à restreindre la vente de matériel roulant ferroviaire usagé aux concurrents » et que « de tels accords ou pratiques concertées [avaient] dû être conclus au moins depuis 2011, lorsque des transporteurs concurrents [avaient] commencé à proposer des services de transport ferroviaire de personnes en République tchèque, en République slovaque et en République d’Autriche ».

88      Par conséquent, il convient de rejeter également le second grief de la requérante et, partant, le quatrième moyen dans son intégralité.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

89      La requérante prétend que la décision attaquée constitue une ingérence disproportionnée dans sa sphère d’activité privée. Premièrement, l’adoption de la décision attaquée ne reposerait sur aucun motif juridiquement recevable, la Commission ne possédant aucun document obtenu légalement. Deuxièmement, l’objet de l’inspection aurait été formulé de manière trop large dans la décision attaquée ; à cet égard, la requérante renvoie à son quatrième moyen.

90      La Commission conclut au rejet de ce moyen.

91      Il convient de relever qu’il est constant entre les parties que ce moyen, tel que formulé par la requérante, est pleinement subordonné aux premier, deuxième et quatrième moyens.

92      En effet, c’est également par ses premier et deuxième moyens que la requérante prétend que la décision attaquée n’est fondée sur aucun document obtenu légalement. De même, c’est également par son quatrième moyen que la requérante fait valoir une délimitation trop large de l’objet de l’inspection dans la décision attaquée.

93      Dès lors, les premier, deuxième et quatrième moyens ayant été rejetés, il convient de rejeter également le troisième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation du droit de la requérante au respect de sa vie privée et de ses droits de la défense

94      Selon la requérante, la décision attaquée a porté atteinte de manière inadmissible à ses droits garantis par l’article 7 de la Charte et par l’article 8 de la CEDH. Eu égard aux moyens susmentionnés, la décision attaquée ne serait pas prévue par la loi, ne poursuivrait un but légitime qu’en apparence, de manière formelle, mais pas de manière matérielle, et ne serait pas nécessaire dans une société démocratique.

95      La décision attaquée aurait porté également atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable de la requérante, tels que garantis par l’article 48 de la Charte et par l’article 6 de la CEDH. À cet égard, la requérante met en exergue, en particulier, son droit d’être informée d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elle. En effet, la décision attaquée ne contiendrait pas de renvoi concret aux preuves ayant conduit à son adoption. En outre, la décision attaquée porterait de facto sur une période de temps non définie.

96      La Commission conclut au rejet de ce moyen.

 Sur la première branche du cinquième moyen, tirée d’une violation de l’article 7 de la Charte et de l’article 8 de la CEDH

97      Selon l’article 7 de la Charte, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.

98      À cet égard, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte prévoit que toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. En outre, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

99      En ce qui concerne l’article 8 de la CEDH, l’article 52, paragraphe 3, de la Charte énonce que, « [d]ans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la [CEDH], leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention ».

100    De même, les explications relatives à la Charte (JO 2007, C 303, p. 17) précisent, en ce qui concerne l’article 7 de la Charte, ce qui suit :

« Conformément à l’article 52, paragraphe 3 de la Charte, ce droit a le même sens et la même portée que ceux de l’article correspondant de la CEDH. Il en résulte que les limitations susceptibles de leur être légitimement apportées sont les mêmes que celles tolérées dans le cadre de l’article 8 en question : “(…) 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui”. »

101    Dès lors, dans la mesure où il ressort de la jurisprudence que l’exercice des pouvoirs d’inspection conférés à la Commission par l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 auprès d’une entreprise constitue une ingérence évidente dans le droit de cette dernière au respect de sa vie privée, de son domicile et de sa correspondance (arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 65), il convient d’examiner si la décision attaquée remplit les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte et à l’article 8, paragraphe 2, de la CEDH.

102    Selon ces conditions, la limitation doit tout d’abord être prévue par la loi. La mesure en cause doit donc avoir une base légale (voir, par analogie, arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 79 et jurisprudence citée).

103    En l’espèce, il découle des visas de la décision attaquée qu’elle a été adoptée sur le fondement de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, disposition qui prévoit en effet la compétence de la Commission pour ordonner, par voie de décision, des inspections auxquelles les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre.

104    La condition selon laquelle toute ingérence au droit au respect de la vie privée doit être « prévue par la loi » est donc remplie.

105    En ce qui concerne ensuite la condition selon laquelle, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui, il ressort de la jurisprudence que les pouvoirs conférés à la Commission par l’article 20 du règlement no 1/2003 ont pour but de permettre à celle-ci d’accomplir la mission, qui lui est confiée par les traités, de veiller au respect des règles de concurrence dans le marché intérieur. Ces règles ont pour fonction d’éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l’intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs. L’exercice des pouvoirs conférés à la Commission par le règlement no 1/2003 concourt au maintien du régime concurrentiel voulu par les traités, dont le respect s’impose impérativement aux entreprises. Dans ces conditions, il n’apparaît donc pas que le règlement no 1/2003, en conférant à la Commission les pouvoirs de procéder à des vérifications sans communication préalable, comporte une atteinte au droit prévu par l’article 7 de la Charte et par l’article 8 de la CEDH (voir, en ce sens, arrêt du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136/79, EU:C:1980:169, point 20).

106    Dans ces conditions, et compte tenu de l’analyse des autres moyens du présent recours, auxquels la requérante renvoie dans ce contexte, la décision attaquée, qui a été adoptée sur le fondement du règlement no 1/2003, répond, elle aussi, à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union.

107    Enfin, s’agissant de la question de savoir si la décision attaquée excède ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif mentionné au point 107 ci-dessus, les troisième et quatrième moyens ayant été rejetés, force est de constater que tel n’est pas le cas en l’espèce.

108    Dans ces conditions, la première branche du cinquième moyen, tirée d’une violation de l’article 7 de la Charte et de l’article 8 de la CEDH, doit être rejetée.

 Sur la seconde branche du cinquième moyen, tirée d’une violation de l’article 48 de la Charte et de l’article 6 de la CEDH

109    Selon l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, « [l]e respect des droits de la défense est garanti à tout accusé ».

110    En ce qui concerne l’article 6 de la CEDH, les explications relatives à la Charte précisent ce qui suit :

« L’article 48 est le même que l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la CEDH (…) Conformément à l’article 52, paragraphe 3, ce droit a le même sens et la même portée que le droit garanti par la CEDH. »

111    À cet égard, il convient de rappeler que la procédure administrative au titre du règlement no 1/2003, qui se déroule devant la Commission, se subdivise en deux phases distinctes et successives dont chacune répond à une logique interne propre, à savoir une phase d’instruction préliminaire, d’une part, et une phase contradictoire, d’autre part. La phase d’instruction préliminaire, durant laquelle la Commission fait usage des pouvoirs d’instruction prévus par le règlement no 1/2003 et qui s’étend jusqu’à la communication des griefs, est destinée à permettre à la Commission de rassembler tous les éléments pertinents confirmant ou non l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et de prendre une première position sur l’orientation ainsi que sur la suite à réserver à la procédure. En revanche, la phase contradictoire, qui s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale, doit permettre à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée (voir arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 47 et jurisprudence citée).

112    D’une part, s’agissant de la phase d’instruction préliminaire, la Cour a précisé que cette phase avait pour point de départ la date à laquelle la Commission, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés notamment par les articles 18 et 20 du règlement no 1/2003, prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et entraînant des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées. D’autre part, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ce n’est qu’au début de la phase contradictoire administrative que l’entreprise concernée est informée, moyennant la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure et que cette entreprise dispose d’un droit d’accès au dossier afin de garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense. Par conséquent, c’est seulement après l’envoi de la communication des griefs que l’entreprise concernée peut pleinement se prévaloir de ses droits de la défense. En effet, si ces droits étaient étendus à la phase précédant l’envoi de la communication des griefs, l’efficacité de l’enquête de la Commission serait compromise, puisque l’entreprise concernée serait, déjà lors de la phase d’instruction préliminaire, en mesure d’identifier les informations qui sont connues de la Commission et, partant, celles qui peuvent encore lui être cachées (voir arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 48 et jurisprudence citée).

113    Certes, les mesures d’instruction prises par la Commission au cours de la phase d’instruction préliminaire, notamment les mesures de vérification et les demandes de renseignements au titre des articles 18 et 20 du règlement no 1/2003, impliquent par nature le reproche d’une infraction et sont susceptibles d’avoir des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées (arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 50). En effet, même si, d’un point de vue formel, l’entreprise concernée n’a pas le statut d’« accusé » au cours de la phase d’instruction préliminaire, l’ouverture de l’enquête à son égard, notamment par l’adoption d’une mesure d’instruction la concernant, ne saurait, en règle générale, être dissociée, d’un point de vue matériel, de l’existence d’un soupçon et, partant, d’un reproche implicite qui justifie l’adoption de cette mesure (arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 52). Partant, il importe d’éviter que les droits de la défense puissent être irrémédiablement compromis au cours de cette phase de la procédure administrative dès lors que les mesures d’instruction prises peuvent avoir un caractère déterminant pour l’établissement de preuves du caractère illégal de comportements d’entreprises de nature à engager leur responsabilité (voir arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 51 et jurisprudence citée). Il en résulte que la Commission est tenue d’informer l’entreprise concernée, au stade de la première mesure prise à son égard, de l’objet et du but de l’instruction en cours. À cet égard, la motivation doit notamment permettre à cette entreprise de comprendre le but ainsi que l’objet de cette instruction, ce qui implique de préciser les présomptions d’infraction et, dans ce contexte, le fait qu’elle est susceptible de s’exposer à des reproches liés à cette éventuelle infraction, pour qu’elle puisse prendre les mesures qu’elle estime utiles à sa décharge et préparer ainsi sa défense au stade de la phase contradictoire de la procédure administrative (arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 56).

114    Or, dans la mesure où le Tribunal a considéré, notamment dans le cadre du quatrième moyen, que la motivation de la décision attaquée répondait aux exigences qui découlent, à cet égard, du règlement no 1/2003 et de la jurisprudence, les exigences prévues par la jurisprudence mentionnée au point 113 ci-dessus peuvent également être considérée comme remplies.

115    Dans ces conditions, la décision attaquée, qui s’inscrit dans le cadre de la phase d’instruction préliminaire de la procédure administrative prévue par le règlement no 1/2003, doit être considérée comme adoptée dans le respect des droits de la défense de la requérante.

116    La seconde branche du cinquième moyen, tirée d’une violation de l’article 48 de la Charte et de l’article 6 de la CEDH, doit donc elle aussi être rejetée.

117    Dès lors, il convient de rejeter le cinquième moyen et, partant, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

118    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

119    La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      České dráhy, a.s. est condamnée aux dépens.

Collins

Barents

Passer

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 juin 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : le tchèque.