Language of document : ECLI:EU:T:2009:474

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

30 novembre 2009 (*)

« Aides d’État – Régime d’imposition de France Télécom à la taxe professionnelle au titre des années 1994 à 2002 – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché commun et ordonnant sa récupération – Avantage – Prescription – Confiance légitime – Sécurité juridique – Violation des formes substantielles – Collégialité – Droits de la défense et droits procéduraux des tiers intéressés »

Dans les affaires jointes T‑427/04 et T‑17/05,

République française, représentée initialement par MM. G. de Bergues, R. Abraham et Mme S. Ramet, puis par M. de Bergues, Mmes Ramet et E. Belliard, et enfin par M. de Bergues, Mme Belliard et Mlle A.-L. Vendrolini, en qualité d’agents,

partie requérante dans l’affaire T‑427/04,

France Télécom SA, établie à Paris (France), représentée initialement par Mes A. Gosset-Grainville et L. Godfroid, puis par Mes Godfroid, S. Hautbourg et M. van der Woude, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑17/05,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. Buendía Sierra et C. Giolito, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2005/709/CE de la Commission, du 2 août 2004, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France en faveur de France Télécom (JO 2005, L 269, p. 30),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de M. J. Azizi, président, Mme E. Cremona et M. S. Frimodt Nielsen (rapporteur), juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 novembre 2008,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1.     Règles applicables aux aides d’État

1        Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, CE, sauf dérogations prévues par le traité CE, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

2        L’article 88, paragraphe 2, CE dispose que, si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission des Communautés européennes constate qu’une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d’État n’est pas compatible avec le marché commun aux termes de l’article 87 CE, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l’État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine.

3        L’article 88, paragraphe 3, CE énonce :

« La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu’un projet n’est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l’article 87 [CE], elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L’État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. »

4        Sur le fondement des dispositions de l’article 94 du traité CE (devenu article 89 CE), le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 659/1999, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1).

5        L’article 1er du règlement n° 659/1999 pose les définitions suivantes :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)      ‘aide’ : toute mesure remplissant tous les critères fixés à l’article [87], paragraphe 1, [CE] ;

b)      ‘aide existante’ :

[...]

iv)      toute aide réputée existante conformément à l’article 15 ;

[...]

c)      ‘aide nouvelle’ : toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante [...]

d)      ‘régime d’aides’ : toute disposition sur la base de laquelle, sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises, définies d’une manière générale et abstraite dans ladite disposition et toute disposition sur la base de laquelle une aide non liée à un projet spécifique peut être octroyée à une ou plusieurs entreprises pour une période indéterminée et/ou pour un montant indéterminé ;

e)      ‘aide individuelle’ : une aide qui n’est pas accordée sur la base d’un régime d’aides, ou qui est accordée sur la base d’un régime d’aides, mais qui doit être notifiée ;

f)      ‘aide illégale’ : une aide nouvelle mise à exécution en violation de l’article [88], paragraphe 3, [CE] ;

[...]

h)      ‘parties intéressées’ : tout État membre et toute personne, entreprise ou association d’entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide, en particulier le bénéficiaire de celle-ci, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles. »

6        Il résulte de l’article 7, paragraphe 5, du règlement n° 659/1999, applicable, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, du même règlement, aux aides illégales, qu’une « décision négative » constate l’incompatibilité d’une telle aide avec le marché commun et fait obstacle à la mise à exécution de celle-ci.

7        L’article 14 du règlement n° 659/1999, relatif à la récupération des aides illégales, dispose ce qui suit :

« 1.      En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée ‘décision de récupération’). La Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général de droit communautaire.

2.      L’aide à récupérer en vertu d’une décision de récupération comprend des intérêts qui sont calculés sur la base d’un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu’à celle de sa récupération.

3.      Sans préjudice d’une ordonnance de la Cour de justice des Communautés européennes prise en application de l’article [242 CE], la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire. »

8        La nécessité d’établir un délai de prescription au terme duquel les aides illégales ne puissent plus donner lieu à récupération est visée au considérant 14 du règlement n° 659/1999, lequel énonce : « considérant que, pour des raisons de sécurité juridique, il convient d’instaurer, en ce qui concerne les aides illégales, un délai de prescription d’une durée de dix ans à l’issue duquel la récupération de l’aide ne peut plus être ordonnée ».

9        Les règles relatives au délai de prescription et aux conséquences de l’expiration de ce délai sont fixées à l’article 15 du règlement n° 659/1999 :

« 1.      Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans.

2.      Le délai de prescription commence le jour où l’aide illégale est accordée au bénéficiaire, à titre d’aide individuelle ou dans le cadre d’un régime d’aide. Toute mesure prise par la Commission ou un État membre, agissant à la demande de la Commission, à l’égard de l’aide illégale interrompt le délai de prescription. Chaque interruption fait courir de nouveau le délai. Le délai de prescription est suspendu aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure devant la Cour de justice des Communautés européennes.

3.      Toute aide à l’égard de laquelle le délai de prescription a expiré est réputée être une aide existante. »

2.     Règles relatives à l’adoption des décisions de la Commission

10      L’article 219 CE fixe les règles relatives à l’adoption des décisions par la Commission. Il dispose ce qui suit :

« Les délibérations de la Commission sont acquises à la majorité du nombre des membres prévu à l’article 213 [CE].

La Commission ne peut siéger valablement que si le nombre de membres fixé dans son règlement intérieur est présent. »

11      L’article 1er du règlement intérieur de la Commission (JO 2000, L 308, p. 26), applicable en l’espèce, est ainsi rédigé :

« La Commission agit en collège conformément aux dispositions du présent règlement et dans le respect des orientations politiques définies par son président. »

12      L’article 4 du règlement intérieur de la Commission précise ce qui suit :

« Les décisions de la Commission sont acquises :

a)      en réunion

ou [...]

c)      par procédure d’habilitation suivant les dispositions de l’article 13 [...] »

13      L’article 13, deuxième alinéa, du règlement intérieur de la Commission dispose :

« La Commission peut [...] charger un ou plusieurs de ses membres, en accord avec le président, d’adopter le texte définitif d’un acte ou d’une proposition à soumettre aux autres institutions, dont elle a défini la substance lors de ses délibérations. »

 Faits à l’origine du litige

1.     Création de France Télécom

14      La requérante, France Télécom SA, est une société anonyme de droit français ayant notamment pour objet statutaire d’assurer tous services de communications électroniques dans les relations intérieures et internationales, d’assurer les missions relevant du service public et, en particulier, de fournir, le cas échéant, le service public universel des télécommunications et les services obligatoires, d’établir, de développer et d’exploiter tous réseaux ouverts au public de communications électroniques, ainsi que d’établir et d’exploiter tous réseaux distribuant des services de radiodiffusion sonore, de télévision ou multimédia.

15      Jusqu’en 1990, les activités exercées par France Télécom relevaient d’une direction du ministère des Postes et Télécommunications (PTT) français. France Télécom a été créée, sous la forme d’une personne morale de droit public sui generis, à compter du 1er janvier 1991, par la loi 90‑568, du 2 juillet 1990, relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications (JORF du 8 juillet 1990, p. 8069). En vertu de la loi 96‑660, du 26 juillet 1996, relative à l’entreprise nationale France Télécom (JORF du 27 juillet 1996, p. 11398), à compter du 31 décembre 1998, France Télécom a été transformée en entreprise nationale, dont l’État, à la date des faits à l’origine du présent litige, détenait, directement ou indirectement, plus de la moitié du capital social. France Télécom était ainsi régie par la loi 90‑568 et, par ailleurs, soumise, dans la mesure où elle n’était pas contraire à ladite loi, à la réglementation applicable aux sociétés anonymes.

2.     Assujettissement de France Télécom à la taxe professionnelle

 Régime général de la taxe professionnelle

16      La taxe professionnelle est un impôt local dont les règles sont fixées par la loi et codifiées au code général des impôts.

17      Aux termes de l’article 1447‑I et de l’article 1478‑I du code général des impôts, la taxe professionnelle est due chaque année par les personnes physiques ou morales qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée au 1er janvier.

18      En vertu de l’article 1448 du même code, la taxe professionnelle est établie suivant la capacité contributive des redevables, appréciée d’après des critères économiques en fonction de l’importance des activités exercées par eux sur le territoire de la collectivité bénéficiaire.

19      Il s’ensuit que la taxe professionnelle est un impôt dont les bases ne sont pas constituées par le bénéfice dégagé par l’activité de l’entreprise, mais, à la date des faits à l’origine du présent litige, par une fraction de la valeur des facteurs de production – capital et travail – utilisés par le redevable dans chaque commune où l’imposition est établie.

20      Ainsi, selon l’article 1467, paragraphe 1, du même code, dans sa rédaction en vigueur pour les impositions établies au titre des années 1994 à 2002, dans le cas des personnes morales assujetties à l’impôt sur les sociétés, l’assiette de la taxe professionnelle comprenait, d’une part, la valeur locative des immobilisations corporelles dont le redevable avait disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence et, d’autre part, une fraction des salaires versés durant la période de référence.

21      Conformément à l’article 1467 A du code général des impôts, la période de référence mentionnée au point 20 ci-dessus est l’avant-dernière année précédant celle de l’imposition, lorsque l’exercice coïncide avec l’année civile, ou, lorsque tel n’est pas le cas, l’exercice clos au cours de l’avant-dernière année précédant celle de l’imposition.

22      L’article 1473 du code général des impôts précise que la taxe professionnelle est établie dans chaque commune où le redevable dispose de locaux ou de terrains, en raison de la valeur locative des biens qui y sont situés ou rattachés et des salaires versés au personnel.

23      Les bases d’imposition doivent être déclarées par le contribuable en vertu de l’article 1477 du code général des impôts.

24      Les taux appliqués aux bases d’imposition sont votés chaque année par les assemblées délibérantes des collectivités bénéficiaires de l’impôt – à savoir, principalement, les conseils municipaux, les conseils généraux et les conseils régionaux – dans les conditions prévues aux articles 1636 B sexies et suivants du code général des impôts.

 Règles applicables à France Télécom

 Principe de l’assujettissement aux impôts de droit commun

25      La loi 90-568, dont résulte la création de France Télécom (voir point 15 ci-dessus) et celle de La Poste, prévoit, en son chapitre IV, des dispositions particulières en matière de fiscalité.

26      L’article 18 de ladite loi dispose que, sous réserve des exceptions prévues aux articles 19 et 21, France Télécom est assujettie aux impôts et taxes dans les conditions prévues à l’article 1654 du code général des impôts. Cette disposition a pour effet d’assujettir France Télécom en principe, dans les conditions du droit commun, aux impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties des entreprises privées effectuant les mêmes opérations.

 Prélèvement forfaitaire

27      L’article 19 pose une première dérogation, temporaire, à ce principe. En vertu de cette disposition, en effet, jusqu’au 1er janvier 1994, France Télécom devait n’être soumise qu’aux impôts et taxes effectivement supportés par l’État. En conséquence, France Télécom n’était redevable, notamment, ni de l’impôt sur les sociétés ni des impôts locaux, dont la taxe professionnelle. En contrepartie, pour les années 1991 à 1993, France Télécom devait acquitter une contribution fixée annuellement par la loi de finances, dans la limite d’un montant dont la base, avant actualisation, était égale au solde dégagé par le budget annexe des télécommunications pour l’année 1989 (ci-après le « prélèvement forfaitaire »).

 Régime particulier d’imposition

28      L’article 21 de la loi 90-568 était relatif au régime applicable à France Télécom et à La Poste en matière d’impôts locaux, à compter de l’année 1994.

29      Il résultait des dispositions de l’article 21, point I, de la loi 90‑568 que, à partir de l’année 1994, par dérogation à l’article 1473 du code général des impôts (voir point 22 ci-dessus), France Télécom était assujettie au lieu de son principal établissement.

30      L’impôt, dont l’assiette suivait, pour le calcul des bases d’imposition, les règles générales prévues au code général des impôts (article 21, point I 2), était établi par application d’un taux moyen pondéré national résultant des taux votés l’année précédente par l’ensemble des collectivités locales (article 21, point I 4).

31      France Télécom se voyait, en outre, appliquer un taux de 1,9 % au lieu de 8 % au titre des frais de gestion, à savoir un montant additionnel prélevé par l’État pour compenser les charges occasionnées aux services fiscaux par les activités d’établissement des rôles et de recouvrement de la taxe professionnelle au profit des collectivités locales.

32      Le produit de l’impôt devait être versé à l’État, ou, pour la fraction excédant la cotisation acquittée au titre de l’année 1994, ajustée chaque année de la variation de l’indice des prix à la consommation, au Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle (article 21, point I 6).

33      Ces modalités particulières d’imposition à la taxe professionnelle (ci-après le « régime particulier d’imposition ») étaient codifiées à l’article 1635 sexies du code général des impôts. Le régime particulier d’imposition ne prévoyait pas de terme à son application.

34      Néanmoins, pour ce qui concerne France Télécom, l’article 29 de la loi 2002‑1575, du 30 décembre 2002, portant loi de finances pour 2003, a mis fin au régime particulier d’imposition à compter des impositions établies au titre de l’année 2003.

3.     Procédure administrative

35      Le 13 mars 2001, l’Association des collectivités territoriales pour le retour de la taxe professionnelle de France Télécom et de La Poste dans le droit commun a saisi la Commission d’une plainte, selon laquelle le régime particulier d’imposition constituait une aide d’État incompatible avec le marché commun. La plaignante faisait état, notamment, de la perte de recettes qu’entraînait, pour certaines communes, l’application d’un taux moyen pondéré national.

36      À la suite de cette plainte, le 28 juin 2001, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure d’examen préliminaire du régime particulier d’imposition et a adressé à la République française une demande de renseignements à ce sujet.

37      Par lettre du 26 septembre 2001, la République française a répondu à cette demande d’informations, en indiquant que le régime particulier d’imposition ne constituait pas une aide d’État, car il ne procurait aucun avantage à France Télécom et n’entraînait aucune perte de ressources pour l’État.

38      Le 30 janvier 2003, la Commission a adopté une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE à l’égard, notamment, de l’exonération de taxe professionnelle dont France Télécom avait bénéficié de 1991 à 1993 et du régime particulier d’imposition (ci-après la « décision d’ouverture »). La décision d’ouverture a été notifiée à la République française par lettre du 31 janvier 2003. À la demande des autorités françaises, la Commission a procédé, le 7 mars 2003, à la notification d’une version corrigée de cette décision. Dans la décision d’ouverture, la Commission évaluait l’avantage procuré à France Télécom à 1 milliard de francs français (FRF) par an environ depuis l’année 1994 (paragraphes 73 et 74). La décision d’ouverture a été publiée le 12 mars 2003 (JO C 57, p. 5).

39      Le 4 avril 2003, puis le 15 mai 2003, la République française a présenté des observations sur la décision d’ouverture. Les autorités françaises contestaient notamment l’évaluation du montant de l’aide et faisaient valoir que le régime fiscal particulier à France Télécom devait être considéré dans sa globalité et, partant, que l’analyse de la Commission devait tenir compte du montant du prélèvement forfaitaire mis à la charge de France Télécom au titre des années 1991 à 1993. La République française estimait, en outre, que, dans sa globalité, le régime d’imposition de France Télécom ne constituait pas une exonération fiscale, mais une imposition organisée selon des modalités spécifiques, étrangères à la problématique des aides d’État. Dans ce courrier, les autorités françaises présentaient également une première simulation (ci-après l’« estimation du 15 mai 2003 »), fondées sur des approximations statistiques, faisant apparaître que France Télécom avait fait l’objet d’une surimposition d’au moins 1,4 milliard d’euros, hors actualisation, sur la période 1991-2002.

40      À la suite de la décision d’ouverture, entre le 21 mars et le 30 avril 2003, la Commission a reçu des observations de la part de onze tiers intéressés. France Télécom, en revanche, n’a pas présenté d’observations écrites à ce stade. Ces observations ont été communiquées à la République française par lettre du 16 mai 2003. Les autorités françaises ont présenté leurs commentaires sur celles-ci par lettres des 30 juin et 29 juillet 2003.

41      La Commission a, par la suite, reçu de nouvelles informations de la part de plusieurs tiers intéressés. Elle a demandé des éclaircissements supplémentaires à la République française par lettre du 11 septembre 2003. Les autorités françaises ont répondu à cette demande par lettre du 20 octobre 2003. Une nouvelle demande de renseignements a été adressée à la République française par lettre du 11 novembre 2003, à laquelle il a été répondu par lettre du 4 décembre 2003. La Commission a présenté une nouvelle demande de renseignements par lettre du 12 janvier 2004.

42      Une réunion entre les représentants de la Commission, ceux de la République française et ceux de France Télécom a été organisée le 22 janvier 2004.

43      Par lettre du 26 janvier 2004, la République française a communiqué à la Commission le montant réel de la cotisation de taxe professionnelle à laquelle France Télécom avait été assujettie au titre de l’année 2003. Ce montant s’avérait inférieur aux évaluations sur le fondement desquelles avait été calculée l’estimation du 15 mai 2003.

44      Par lettre du 2 février 2004, la Commission a adressé une nouvelle demande de renseignements à la République française, qui y a répondu par lettre du 16 février 2004.

45      Des tiers intéressés ont présenté de nouvelles observations entre le 19 mars et le 26 mai 2004. Celles-ci ont été communiquées à la République française les 3 mai et 14 juin 2004.

46      Le 1er juin 2004, la Commission a adressé à la République française une demande de renseignements portant sur les impôts éventuels, autres que la taxe professionnelle et l’impôt sur les sociétés, dont France Télécom aurait été exonérée au titre des années 1991 à 1993.

47      Le 16 juin 2004, lors d’une réunion avec les représentants de la Commission et avec ceux de France Télécom, les représentants de la République française ont présenté des éléments de réponse préliminaires à la question posée dans la lettre du 1er juin 2004.

48      France Télécom a présenté des observations le 22 juin 2004.

49      Une réunion entre les représentants de la Commission, ceux de la République française et ceux de France Télécom a été organisée le 23 juin 2004.

50      France Télécom a présenté de nouvelles observations écrites les 30 juin et 2 juillet 2004.

51      Par télécopie du 5 juillet 2004, la République française, tout en insistant sur le caractère approximatif de ses évaluations, a soumis une nouvelle simulation des conséquences financières de l’application du régime d’imposition de France Télécom à la taxe professionnelle de 1991 à 2002 (ci-après l’« estimation du 5 juillet 2004 »). Cette nouvelle évaluation, calculée sur la base de la cotisation de taxe professionnelle à laquelle France Télécom avait été effectivement assujettie au titre de l’année 2003, faisait apparaître que France Télécom avait, au cours de cette période, fait l’objet d’une surimposition supérieure à 1,7 milliard d’euros hors actualisation.

52      Les 13, 15, 16 et 19 juillet 2004, la République française a transmis deux notes explicatives et des renseignements complémentaires portant notamment sur la méthode utilisée pour établir l’estimation du 5 juillet 2004.

4.     Décision attaquée

53      Les 19 et 20 juillet 2004, lors de sa 1667e réunion, le collège des membres de la Commission a approuvé un projet de décision constatant que France Télécom avait bénéficié d’une aide d’État en raison du régime particulier d’imposition, durant la période 1994-2002 (ci-après l’« aide en cause »), et a habilité le membre chargé de la concurrence à adopter, en accord avec le président, la version définitive de la décision en français, langue faisant foi, après « révision juridico-linguistique ».

54      Le 2 août 2004, la Commission a adopté la décision C (2004) 3061 final, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France en faveur de France Télécom (ci-après la « décision attaquée »). Celle-ci a été notifiée à la République française le 3 août 2004. La version de la décision attaquée notifiée à la République française présentait, par rapport à la version approuvée par le collège des membres de la Commission le 20 juillet précédent, certaines divergences.

55      Le 8 septembre 2004, France Télécom a demandé à la Commission de lui adresser le projet de décision attaquée approuvé par le collège des membres de la Commission et la version de la décision attaquée transmise à la République française.

56      Par courrier du 14 septembre 2004, les services du secrétariat général de la Commission ont accusé réception de cette demande et informé France Télécom qu’une réponse lui serait communiquée dans les quinze jours ouvrables, conformément au règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43).

57      Le 28 octobre 2004, en l’absence de réponse de la part de la Commission, France Télécom a présenté une demande confirmative sur le fondement de l’article 7, paragraphe 4, du règlement n° 1049/2001.

58      Les documents demandés ont été communiqués à France Télécom le 11 novembre 2004.

59      Le 19 janvier 2005, la Commission a notifié à la République française un corrigendum par lequel elle a rétabli le texte approuvé les 19 et 20 juillet 2004.

60      La version corrigée de la décision attaquée a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 14 octobre 2005 sous la référence 2005/709/CE (JO 2005, L 269, p. 30).

61      Dans la décision attaquée, la Commission a d’abord considéré que le prélèvement forfaitaire, prévu à l’article 19 de la loi 90‑568 pour la période allant de l’année 1991 à l’année 1993, pouvait être considéré comme se substituant à la taxe professionnelle normalement due au titre des mêmes années. Dès lors, l’exonération de taxe professionnelle durant cette période ne constituerait pas une aide d’État (considérants 22 à 33 et 53).

62      En revanche, la Commission a estimé que le régime particulier d’imposition applicable de 1994 à 2002 instituait une aide d’État représentée par la différence entre l’imposition que France Télécom aurait dû supporter dans les conditions de droit commun et le montant des cotisations de taxe professionnelle effectivement mises à la charge de celle-ci (ci-après l’« écart d’imposition »). Cette aide nouvelle, illégalement mise à exécution en violation de l’article 88, paragraphe 3, CE, serait, en outre, incompatible avec le marché commun. Dès lors, elle devrait faire l’objet d’une récupération (considérants 34 à 53 de la décision attaquée).

63      Pour qualifier le régime particulier d’imposition d’aide d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, la Commission a raisonné de la manière suivante.

64      Premièrement, la Commission a énoncé les raisons pour lesquelles elle était d’avis que l’argument des autorités françaises selon lequel l’avantage constaté durant la période 1994-2002 était plus que compensé par le montant du prélèvement forfaitaire auquel France Télécom avait été soumise durant la période 1991-1993 devait être écarté (considérants 35 à 41 de la décision attaquée).

65      Tout d’abord, la Commission a fait valoir que la loi 90‑568 avait institué deux régimes d’imposition successifs et distincts : un régime d’exonération, applicable de 1991 à 1993, avec substitution d’un prélèvement forfaitaire aux impôts de droit commun, dont la taxe professionnelle, d’une part ; un régime spécial et dérogatoire, aboutissant à une insuffisance d’imposition en matière de taxe professionnelle, applicable, à l’origine, à compter de 1994 et auquel il a été mis fin pour l’imposition établie au titre de l’année 2003, d’autre part (considérants 36 et 38 de la décision attaquée).

66      Ensuite, au considérant 37 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, selon la jurisprudence, une aide donnée à une entreprise ne pouvait être compensée par une charge spécifique pesant sur la même entreprise (arrêt de la Cour du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, Rec. p. 709).

67      En conséquence, la Commission a estimé qu’elle ne pouvait admettre la compensation entre l’écart d’imposition dont France Télécom avait bénéficié de 1994 à 2002 et le prélèvement forfaitaire acquitté de 1991 à 1993, lequel n’était lié à la taxe professionnelle ni de manière spécifique par la loi 90‑568 ni par ses modalités de calcul (considérant 38 de la décision attaquée).

68      De plus, la Commission a considéré que le prélèvement forfaitaire en cause s’apparentait davantage au versement d’une participation aux résultats au propriétaire du capital qu’à une imposition. Dans ces conditions, ce n’aurait été qu’à titre exceptionnel que la Commission pouvait admettre que ce prélèvement compensait l’exonération totale de taxe professionnelle dont France Télécom avait bénéficié de 1991 à 1993. Une application normale du droit aurait pu, au contraire, conduire à estimer que cette exonération constituait une aide d’État, dont le montant aurait dû être ajouté à celui de l’écart d’imposition dont France Télécom a bénéficié à partir de l’année 1994 en vertu du régime particulier d’imposition (considérants 38 et 39 de la décision attaquée).

69      Enfin, la Commission a estimé que le raisonnement selon lequel il y avait lieu d’opérer une compensation entre les versements opérés par France Télécom au profit de l’État de 1991 à 1993 et la moindre taxation dont France Télécom avait bénéficié à partir de 1994 supposerait de requalifier en crédit d’impôt l’excédent, par rapport au droit commun, de l’imposition mise à la charge de France Télécom de 1991 à 1993, ce qui ne résulte pas de la loi 90‑568. Cette justification théorique a posteriori ne correspondrait pas non plus à l’application normale du droit fiscal français, mais aurait pour seul but d’éviter la récupération de l’aide d’État octroyée à France Télécom (considérant 40 de la décision attaquée).

70      Deuxièmement, la Commission a estimé que l’écart d’imposition représentait un avantage pour France Télécom, octroyé au moyen de ressources qui auraient dû intégrer le budget de l’État, et constituait, dès lors, une aide d’État (considérant 42 de la décision attaquée).

71      Troisièmement, aux considérants 43 et 44 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’elle ne pouvait, au stade de la décision constatant l’existence d’une aide d’État, prendre en considération l’argument de la République française selon lequel il y aurait lieu de tenir compte de la diminution des bases de l’impôt sur les sociétés qu’aurait entraînée le paiement de sommes plus élevées au titre de la taxe professionnelle pour déterminer l’avantage net dont a bénéficié France Télécom (arrêt du Tribunal du 8 juin 1995, Siemens/Commission, T‑459/93, Rec. p. II‑1675).

72      Quatrièmement, la Commission, écartant les arguments présentés par la République française selon lesquels l’aide en cause ne pouvait être récupérée en raison de l’application des règles de prescription prévues par l’article 15 du règlement n° 659/1999, a considéré que l’aide en cause constituait une aide nouvelle et non une aide existante (considérant 45).

73      En premier lieu, la Commission a indiqué que l’expiration du délai de prescription prévu à l’article 15 du règlement n° 659/1999 n’avait pas pour effet de transformer une aide nouvelle en une aide existante, mais seulement d’empêcher que la Commission ordonne la récupération des aides accordées plus de dix ans avant la date à laquelle la prescription était acquise (considérants 46 à 48 de la décision attaquée).

74      En deuxième lieu, la Commission a fait valoir que la loi 90‑568 avait instauré un régime d’aide et que la prescription éventuelle ne saurait concerner que les aides accordées dans le cadre de ce régime et non le régime en lui-même. Le point de départ du délai serait donc le jour où chaque aide a été effectivement accordée à France Télécom, c’est-à-dire, chaque année, à la date à laquelle la taxe professionnelle était due (considérant 49 de la décision attaquée).

75      En troisième lieu, la Commission a ajouté que le délai de prescription avait été interrompu par la demande de renseignements adressée à la République française le 28 juin 2001 (considérant 50 de la décision attaquée).

76      En conséquence, la Commission a conclu que, la première aide identifiée ayant été accordée au titre de l’année 1994, soit moins de dix ans avant le 28 juin 2001, l’aide en cause devait être récupérée dans son intégralité (considérant 51 de la décision attaquée).

77      Cinquièmement, la Commission a relevé que les autorités françaises n’avaient fait valoir aucun argument précis pour établir la compatibilité de l’aide en cause avec le marché commun et qu’elle ne voyait aucune base juridique sur le fondement de laquelle celle-ci pourrait être déclarée compatible avec le marché commun (considérant 52).

78      Partant, au considérant 53 de la décision attaquée, la Commission a conclu que, premièrement, le régime de taxe professionnelle applicable à France Télécom pendant la période 1991-1993 ne constituait pas une aide d’État et que, deuxièmement, l’écart d’imposition dont avait bénéficié France Télécom, durant la période 1994-2002, en conséquence du régime particulier d’imposition, constituait une aide d’État incompatible avec le marché commun et illégalement mise en œuvre, laquelle devait, dès lors, être récupérée.

79      Toutefois, le montant exact devant être récupéré n’aurait pu être déterminé en raison d’informations divergentes soumises par les autorités françaises dans le cadre de la procédure administrative. La Commission estimait que l’aide devant être récupérée représentait une somme – hors intérêts – comprise entre 798 millions et 1,14 milliard d’euros (considérants 54 à 59).

80      Au considérant 54 de la décision attaquée, la Commission a fait référence à un rapport remis au Parlement français par la direction générale des impôts en novembre 2001, selon lequel « la normalisation immédiate des conditions d’imposition de France Télécom au regard de la taxe professionnelle entraînerait, à taux inchangé, un surcoût d’imposition de près de 198 millions d’euros pour l’entreprise ».

81      Par ailleurs, la Commission s’est appuyée sur l’estimation du 15 mai 2003, dont les résultats sont présentés sous forme d’un tableau au considérant 54 de la décision attaquée. Selon les chiffres communiqués par la République française, l’imposition théorique cumulée de France Télécom selon le droit commun, au titre des années 1994 à 2002, aurait été de 8,362 milliards d’euros. L’imposition effective cumulée mise à la charge de l’entreprise au titre de ces mêmes années conformément au régime particulier d’imposition serait de 7,222 milliards d’euros. L’écart d’imposition dont aurait bénéficié France Télécom durant la période 1994-2002 serait donc de 1,14 milliard d’euros.

82      La Commission a relevé, en outre, que, par lettre du 29 janvier 2004, les autorités françaises avaient porté à sa connaissance le montant de l’imposition mise à la charge de France Télécom, selon le droit commun, au titre de l’année 2003 (773 millions d’euros) et confirmé le bien-fondé de l’estimation du 15 mai 2003 (considérant 55 de la décision attaquée). Ce ne serait que lors des réunions qui se sont tenues les 16 et 23 juin 2003 que les autorités françaises auraient contesté la fiabilité de ces chiffres (considérants 56 et 57 de la décision attaquée).

83      Le 5 juillet 2004, les autorités françaises auraient présenté une nouvelle estimation. Celle-ci aboutirait à des résultats différents, reproduits sous la forme d’un tableau au considérant 58 de la décision attaquée. L’imposition théorique cumulée de France Télécom selon le droit commun, au titre des années 1994 à 2002, aurait été ramenée à 8,02 milliards d’euros. L’écart d’imposition dont aurait bénéficié France Télécom durant la période 1994-2002 serait donc de 798 millions d’euros.

84      En raison des indications contradictoires communiquées par la République française durant la procédure administrative, la Commission a conclu qu’il ne lui était pas possible de déterminer le montant à récupérer, celui-ci étant compris entre 798 millions et 1,14 milliard d’euros, augmenté des intérêts. Selon la Commission, le montant exact à récupérer devait être défini par les autorités françaises, conformément à leur devoir de coopération loyale, dans la phase d’exécution de la décision attaquée (considérants 59 et 60 de la décision attaquée).

85      En conséquence de tout ce qui précède, le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :

« Article premier

L’aide d’État, accordée illégalement par la [République française], en contradiction avec l’article 88, paragraphe 3, [...] CE, en faveur de France Télécom par le régime de la taxe professionnelle applicable à cette entreprise pendant la période du 1er janvier 1994 au 31 décembre 2002 [...] est incompatible avec le marché commun.

Article 2

1.      La [République française] prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de France Télécom l’aide définie à l’article 1er.

2.      La récupération a lieu sans délai conformément aux procédures du droit national, pour autant qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de la présente décision.

3.      Les aides à récupérer incluent les intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition du bénéficiaire, jusqu’à la date de leur récupération.

[...]

Article 3

La [République française] informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification de la présente décision, des mesures qu’elle envisage de prendre et qu’elle a déjà prises pour s’y conformer. Pour ce faire, la [République française] utilisera le questionnaire en annexe à la présente décision.

Article 4

La République française est destinataire de la présente décision. »

86      Le 25 octobre 2006, la Commission a introduit un recours en manquement visant à faire constater à la Cour que, en n’ayant pas exécuté, dans le délai imparti, la décision attaquée, la République française avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu des articles 2 et 3 de cette décision, de l’article 249, quatrième alinéa, CE ainsi que de l’article 10 CE.

87      Par arrêt du 18 octobre 2007, Commission/France (C‑441/06, Rec. p. I‑8887), la Cour a jugé fondé le recours de la Commission.

 Procédure et conclusions des parties

88      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 octobre 2004, la République française a introduit un recours, enregistré sous la référence T‑427/04.

89      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 janvier 2005, France Télécom a introduit un recours, enregistré sous la référence T‑17/05.

90      Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 23 mai 2008, France Télécom a demandé la jonction des affaires T‑427/04 et T‑17/05, aux fins de la procédure orale et de l’arrêt, en application de l’article 50, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

91      La Commission et la République française ont présenté leurs observations sur cette demande, respectivement les 16 et 19 juin 2008.

92      Par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 19 septembre 2008, les affaires T‑427/04 et T‑17/05 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

93      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a adressé aux parties des questions écrites relatives à l’incidence, dans les présentes affaires jointes, de l’arrêt Commission/France, point 88 supra, ainsi qu’aux suites données par les parties à cet arrêt et a décidé d’ouvrir la procédure orale.

94      Les parties ont répondu aux questions écrites du Tribunal dans les délais qui leur avaient été impartis. La République française, notamment, a indiqué qu’elle renonçait au cinquième moyen de son recours.

95      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 18 novembre 2008.

96      Par ordonnance du 24 mars 2009, le Tribunal (troisième chambre) a rouvert la procédure orale afin de poser des questions à la Commission et de permettre aux requérantes de présenter des observations sur les réponses de celle-ci. La Commission et France Télécom ont déposé leur réponse et leurs observations dans les délais qui leur avaient été impartis.

97      La République française et France Télécom concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

98      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours comme non fondés ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

1.     Résumé des moyens d’annulation

99      La République française invoque, à l’appui de son recours, quatre moyens. Le premier est tiré de ce que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation et une erreur de droit en estimant que le régime particulier d’imposition, en vigueur de 1994 à 2002, avait conféré un avantage à France Télécom. Par son deuxième moyen, la République française allègue la violation des droits de la défense à son égard. Par son troisième moyen, la République française soutient que la décision attaquée a violé l’article 15 du règlement n° 659/1999 en ordonnant la récupération de l’aide en cause. Le quatrième moyen, présenté à titre subsidiaire, est tiré de ce que la décision attaquée, en ce qu’elle ordonne la récupération de l’aide en cause, méconnaît le principe de protection de la confiance légitime.

100    France Télécom présente, à l’appui de son recours, cinq moyens. Le premier moyen est tiré de la violation des droits de la défense à son égard. Par son deuxième moyen, lequel se divise en quatre branches, France Télécom soutient que la Commission a entaché la décision attaquée de trois erreurs manifestes d’appréciation et d’une erreur de droit en estimant qu’elle avait bénéficié d’un avantage. Le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 15 du règlement n° 659/1999. Le quatrième moyen, pris de la violation de l’article 14 du même règlement, se divise en deux branches. La première branche est tirée de la violation du principe de protection de la confiance légitime, en ce que la mesure dont la récupération est ordonnée ne constituait pas une aide d’État, et la seconde est tirée de la violation du principe de sécurité juridique, dès lors que le montant de l’aide à récupérer ne peut être calculé. Par son cinquième moyen, France Télécom fait valoir que les modifications autres qu’orthographiques ou grammaticales apportées par le membre de la Commission chargé des questions de concurrence à la décision attaquée après l’adoption de celle-ci par le collège des membres de la Commission constituent une violation des règles relatives à l’adoption des décisions de la Commission.

101    Le Tribunal estime opportun d’examiner en premier lieu le cinquième moyen avancé par France Télécom, tiré de la violation des règles relatives à l’adoption des décisions de la Commission.

2.     En ce qui concerne le respect des règles relatives à l’adoption des décisions de la Commission

 Arguments des parties

102    Par son cinquième moyen, France Télécom considère que, en habilitant le membre chargé des questions de concurrence à procéder à une « révision juridico-linguistique » du texte final de la décision attaquée et en ne vérifiant pas l’usage fait de cette habilitation, la Commission a violé le principe de collégialité.

103    Selon France Télécom, le principe de collégialité, qui découle de l’article 219 CE, repose sur l’égalité des membres de la Commission dans la participation à la prise de décision. Dès lors, seules des adaptations purement orthographiques ou grammaticales pourraient encore être apportées au texte d’une décision après son adoption formelle par le collège des membres de la Commission, toute autre modification étant du ressort exclusif de ce dernier (arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, Rec. p. I‑2555, point 68).

104    France Télécom fait valoir que ces règles n’ont pas été respectées en l’espèce, la comparaison entre la version approuvée par le collège des membres de la Commission lors de sa 1667e réunion, le 20 juillet 2004, et la version notifiée à la République française le 3 août 2004 faisant apparaître deux modifications importantes, lesquelles iraient bien au-delà de simples adaptations orthographiques et grammaticales.

105    En premier lieu, le considérant 55 de la version notifiée de la décision attaquée comporterait la phrase suivante, laquelle n’aurait pas figuré dans la version approuvée par le collège :

« La Commission note que la lettre du 29 janvier 2004 confirme le bien-fondé de la méthode d’estimation développée dans le courrier du 15 mai 2003. »

106    En second lieu, au considérant 59 de la version notifiée de la décision attaquée, le terme « indicatif », se rapportant à la fourchette dans laquelle se situe le montant de l’aide en cause, aurait été supprimé.

107    Or, ces modifications porteraient sur des aspects juridiques fondamentaux de la décision attaquée, à savoir la fiabilité de la méthode d’évaluation retenue par la Commission, alors même que le collège des membres n’avait pas cru pouvoir fixer un montant, ni même une fourchette, de manière définitive. En réponse à des questions écrites du Tribunal posées à la suite de la réouverture de la procédure orale, France Télécom a fait observer que le terme « indicatif » avait été expressément ajouté lors de la délibération du collège. En revanche, la phrase ajoutée au considérant 55 dans la version adoptée de la décision attaquée, laquelle laisserait entendre que la République française avait reconnu le bien-fondé des méthodes d’évaluation de l’avantage dont France Télécom aurait bénéficié, constituerait un élément matériellement inexact, lequel ne figurait pas dans le texte approuvé par le collège. Ce faisant, les modifications apportées à la décision en modifieraient le sens, en violation du « principe de collégialité ».

108    Dans sa réplique, France Télécom fait valoir que, en vertu de la jurisprudence du Tribunal, après le dépôt de l’acte introductif d’instance, la Commission ne pouvait faire disparaître, par une simple mesure de régularisation rétroactive, un vice substantiel dont la décision attaquée était entachée.

109    La Commission soutient que les différences constatées entre le texte approuvé par le collège et la version notifiée de la décision attaquée sont sans portée, dès lors qu’elles n’ont pas d’incidence sur le sens de celle-ci. En tout état de cause, un corrigendum aurait été adopté le 19 janvier 2005 et notifié le même jour à la République française, lequel alignerait le texte de la version notifiée de la décision attaquée sur le projet de décision approuvé par le collège des membres de la Commission lors de sa 1667e réunion.

110    Lors de l’audience, la Commission a expliqué les divergences entre le projet de décision approuvé par le collège des membres de la Commission et la version notifiée à la République française par le fait que la « révision juridico-linguistique », postérieure à l’approbation du projet par les membres, avait porté, par erreur, sur un autre texte que celui qui avait été soumis au collège.

111    En réponse à des questions écrites du Tribunal posées à la suite de la réouverture de la procédure orale, la Commission a fait valoir, tout d’abord, que le collège de ses membres avait approuvé, les 19 et 20 juillet 2004, un texte de principe et habilité le membre chargé des questions de concurrence à arrêter, en accord avec le président, la version finale de la décision attaquée et à adopter celle-ci.

112    Elle a soutenu, ensuite, que, dès lors que les divergences formelles entre le projet de décision approuvé lors de la réunion des 19 et 20 juillet 2004 et la version de la décision attaquée adoptée le 2 août 2004 n’affectaient ni les éléments factuels ni le raisonnement juridique sur lesquels la décision attaquée était fondée, le membre chargé des questions de concurrence n’avait pas excédé la portée de l’habilitation dont l’avait investi le collège.

113    Elle a indiqué, enfin, que, puisque la décision attaquée, dans sa rédaction du 2 août 2004, avait été adoptée légalement, aucune rectification n’était juridiquement nécessaire. Selon la Commission, il lui était cependant loisible de rétablir le texte du projet approuvé par le collège le 20 juillet 2004, ainsi qu’elle estime l’avoir fait par le corrigendum du 19 juillet 2005, lequel aurait fait l’objet d’une approbation spécifique par le collège.

 Appréciation du Tribunal

114    Il est constant que, lors de sa réunion des 19 et 20 juillet 2004, le collège des membres de la Commission a approuvé un projet de décision motivé, constatant l’illégalité et l’incompatibilité avec le marché commun de l’aide en cause et ordonnant la récupération de celle-ci. Le collège a, de plus, autorisé le membre chargé de la concurrence à adopter, en accord avec le président, la version définitive de la décision en français, langue faisant foi, après « révision juridico-linguistique ». Puis, la décision attaquée a été adoptée le 2 août 2004 et notifiée à la République française le 3 août 2004.

115    Les parties s’accordent pour reconnaître, et il ressort des pièces du dossier, que la version de la décision attaquée notifiée à la République française le 3 août 2004 présentait, par rapport au texte approuvé par le collège des membres de la Commission lors de la réunion des 19 et 20 juillet précédents, certaines divergences. Il est aussi constant que ces divergences ont été rectifiées par un corrigendum, adopté le 19 janvier 2005. Le même jour, soit postérieurement à l’introduction des présents recours, la Commission a notifié à la République française une version consolidée de la décision attaquée, intégrant ces rectifications.

116    En vertu de l’article 219 CE, les délibérations de la Commission sont acquises à la majorité du nombre de ses membres. Le principe de collégialité ainsi établi repose sur l’égalité des membres de la Commission dans la participation à la prise de décision et implique notamment, d’une part, que les décisions soient délibérées en commun et, d’autre part, que tous les membres du collège soient collectivement responsables, sur le plan politique, des décisions arrêtées (arrêt de la Cour du 23 septembre 1986, AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, 5/85, Rec. p. 2585, point 30).

117    Bien que la Commission puisse, sans pour autant méconnaître le principe de collégialité, habiliter l’un de ses membres à adopter des catégories déterminées d’actes d’administration et de gestion (arrêt AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, point 117 supra, point 37), les décisions par lesquelles la Commission se prononce sur l’existence d’une aide d’État, sur la compatibilité de celle-ci avec le marché commun et sur la nécessité d’en ordonner la récupération supposent un examen de questions factuelles et juridiques complexes et ne peuvent, en principe, être qualifiées d’actes d’administration et de gestion (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 avril 1995, ASPEC e.a./Commission, T‑435/93, Rec. p. II‑1281, points 103 à 114). Il s’ensuit que, le dispositif et les motifs de décisions de ce genre, lesquelles doivent être motivées en vertu de l’article 253 CE, constituant un tout indivisible, c’est uniquement au collège qu’il appartient, en vertu du principe de collégialité, d’adopter à la fois l’un et l’autre (voir, par analogie, arrêt Commission/BASF e.a., point 104 supra, points 66 et 67).

118    Il appartient donc, en principe, au collège des membres de la Commission d’adopter la version définitive des décisions statuant sur l’existence d’aides d’État et sur la compatibilité de celles-ci avec le marché commun. À la suite de cette adoption, seules des adaptations purement orthographiques ou grammaticales peuvent encore être apportées au texte de cette décision, toute autre modification étant du ressort exclusif de ce dernier (voir, par analogie, arrêt Commission/BASF e.a., point 104 supra, point 68).

119    Il ne saurait être exclu, toutefois, que, ainsi que le prévoit, d’ailleurs, l’article 13, deuxième alinéa, du règlement intérieur de la Commission, dans sa rédaction applicable à la date d’adoption de la décision attaquée (JO 2000, L 308, p. 26), le collège des membres de la Commission charge l’un ou plusieurs de ses membres d’adopter le texte définitif d’une décision dont il a défini la substance lors de ses délibérations. Lorsque le collège fait usage d’une telle faculté, il appartient au juge communautaire, saisi de la question de la régularité de l’exercice de cette habilitation, de vérifier si le collège peut être considéré comme ayant arrêté la décision en cause dans tous ses éléments de fait et de droit (voir, en ce sens, arrêt ASPEC e.a./Commission, point 118 supra, point 122).

120    En l’espèce, il résulte du procès-verbal de la 1667e réunion du collège des membres de la Commission, laquelle s’est tenue les 19 et 20 juillet 2004, que le collège a approuvé la décision relative à l’aide en cause « telle que reprise au document C (2004) 2651/12 » et a « habilité [le membre chargé des questions de concurrence], en accord avec [le président], à adopter la version définitive, dans la langue française faisant foi, [de la décision] en cause, après révision juridico-linguistique ». Or, la version de la décision attaquée qui a été adoptée le 2 août 2004 et notifiée à la République française le lendemain divergeait en au moins deux points du projet approuvé par le collège des membres de la Commission. Il convient donc de vérifier si, ainsi que le soutient France Télécom, ces divergences présentent un caractère substantiel, si bien que le collège des membres de la Commission ne peut être considéré comme ayant arrêté la décision attaquée dans tous ses éléments de fait et de droit.

121    D’une part, la décision attaquée telle qu’adoptée le 2 août 2004 comportait, à la fin du considérant 55, la phrase suivante, laquelle ne figurait pas dans le texte approuvé par le collège des membres de la Commission :

« La Commission note que la lettre du 29 janvier 2004 confirme le bien‑fondé de la méthode d’estimation développée dans le courrier du 15 mai 2003. »

122    D’autre part, au considérant 59, le terme « indicatif », figurant dans le membre de phrase « la Commission [...] considère que [France Télécom] a bénéficié d’une aide d’État dont le montant indicatif se situe entre 798 […] et 1 140 millions [d’euros] en capital » dans le texte approuvé par le collège des membres de la Commission, a été omis dans la version de la décision attaquée adoptée le 2 août 2004.

123    Il convient, tout d’abord, de constater que les divergences existant entre la version de la décision attaquée adoptée le 2 août 2004 et le projet approuvé par le collège des membres de la Commission le 26 juillet 2004 résultent, selon les déclarations de la Commission à l’audience, corroborées par les documents qu’elle a produits en annexe à ses réponses aux questions qui lui ont été posées à la suite de l’audience (voir point 111 ci-dessus), de ce que la « révision juridico-linguistique » intervenue après la délibération du collège a porté, par erreur, sur un autre texte que celui qui avait été approuvé par le collège. Cependant, il résulte des termes mêmes du procès-verbal de la 1667e réunion du collège des membres de la Commission que celui-ci n’a pas entendu arrêter le texte définitif de la décision attaquée, mais qu’il a confié la finalisation de ce texte au membre chargé des questions de concurrence agissant en accord avec le président de la Commission.

124    Il convient d’observer à cet égard que, prise dans son contexte, la phrase introduite à la fin du considérant 55 de la version de la décision attaquée adoptée le 2 août 2004 constitue un simple commentaire développant l’idée venant d’être énoncée dans la phrase précédente selon laquelle les autorités françaises avaient « souligné que la rétropolation de ce chiffre sur les années antérieures confirmait et renforçait leur position, puisqu’elle montrerait la surimposition de [France Télécom] par rapport au droit commun ». L’ajout de la phrase en cause, par suite, n’a modifié substantiellement les motifs de la décision attaquée ni en fait ni en droit.

125    De même, l’omission du terme « indicatif » au considérant 59 de la version de la décision attaquée adoptée le 2 août 2004 est en soi dépourvue de portée. En effet, en dépit de la présence du mot « indicatif » au considérant 59 de la version rectifiée de la décision attaquée, la Cour a jugé que le montant minimal retenu dans cet article devait être considéré comme constituant le montant minimal de l’aide à récupérer. Par suite, la Cour a écarté l’argument selon lequel les montants énoncés au point 59 des motifs de la décision attaquée ne revêtaient qu’un caractère indicatif, dépourvu de force juridique contraignante (arrêt Commission/France, point 88 supra, points 31, 33 et 35).

126    Par ailleurs, c’est à tort que France Télécom a fait valoir, dans ses observations sur les réponses de la Commission, que le collège avait « introduit » le terme « indicatif » dans le texte qu’il avait approuvé. Ce terme, en effet, figurait déjà dans la version du texte soumis au collège, ainsi que l’attestent les documents transmis par la Commission à la suite des questions du Tribunal.

127    Dans ces conditions, l’omission du terme « indicatif » au considérant 59 de la version adoptée de la décision attaquée ne contredit pas la volonté expresse du collège des membres de la Commission et n’a aucunement modifié la portée des motifs de la décision attaquée.

128    Ainsi, dès lors que les divergences formelles entre la version de la décision attaquée adoptée le 2 août 2004 et le texte qui avait été approuvé par le collège des membres de la Commission les 19 et 20 juillet 2004 sont demeurées sans incidence sur la portée de la décision attaquée, le collège peut être considéré comme ayant arrêté celle-ci dans tous ses éléments de fait et de droit (voir, en ce sens, arrêt ASPEC e.a./Commission, point 118 supra, point 122). Il s’ensuit que France Télécom n’est pas fondée à soutenir que le membre chargé des questions de concurrence, agissant en accord avec le président, a excédé les limites de l’habilitation qui lui avait été consentie par le collège et que la décision attaquée a été, de ce fait, adoptée en violation du principe de collégialité.

129    Dans ces conditions, et bien qu’elle n’y ait pas été tenue, la Commission pouvait, ainsi qu’elle l’a fait, rétablir, par un corrigendum adopté par le collège de ses membres, le texte de principe approuvé lors de la réunion du collège des 19 et 20 juillet 2004 et procéder à la notification d’une version consolidée de la décision attaquée intégrant ces rectifications, et ce même après l’introduction des recours présentés par les requérantes.

130    Par suite, le cinquième moyen invoqué par France Télécom doit être écarté.

3.     En ce qui concerne le respect des droits de la défense à l’égard de la République française

 Arguments des parties

131    La République française soutient, par son deuxième moyen, que la Commission a adopté la décision attaquée en méconnaissant le principe du contradictoire et en violation, à son égard, des droits de la défense.

132    Elle rappelle que, selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief constitue un principe fondamental du droit communautaire, dont le respect s’impose même en l’absence d’une réglementation spécifique. En vertu de ce principe, la personne contre laquelle la Commission a entamé une procédure administrative doit avoir été mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués et sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation quant à l’existence d’une violation du droit communautaire (arrêt de la Cour du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 40/85, Rec. p. 2321, point 28).

133    La République française fait valoir que la Commission, après avoir qualifié le régime mis en place par les articles 18 à 21 de la loi 90‑568 de « régime fiscal dérogatoire » dans la décision d’ouverture, s’est fondée sur le caractère en partie non fiscal du prélèvement forfaitaire pour refuser la compensation entre la période allant de l’année 1991 à l’année 1993, d’une part, et la période allant de l’année 1994 à l’année 2002, d’autre part. Or, l’argument selon lequel le prélèvement forfaitaire constituait pour partie une participation aux résultats n’aurait pas été évoqué dans le cadre de la procédure administrative et elle n’aurait pu faire aucune observation à ce sujet. Cet argument constituant le fondement de la décision attaquée, celle-ci devrait être annulée.

134    Selon la République française, la circonstance qu’elle a pu discuter, durant la procédure administrative, la position provisoire de la Commission selon laquelle le prélèvement forfaitaire pouvait être entièrement qualifié de participation au résultat ne permet pas d’écarter le moyen tiré des droits de la défense, dès lors, d’une part, que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas qualifié le prélèvement en cause de participation – mais a considéré qu’il s’agissait en partie d’un impôt et en partie d’une participation – et, d’autre part, que cette qualification mixte, qu’elle n’a pas pu discuter avant l’adoption de la décision attaquée, a eu une incidence déterminante sur le résultat de la procédure.

135    La Commission conteste ces allégations.

 Appréciation du Tribunal

136    Il est de jurisprudence constante que le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental de droit communautaire. Ce principe exige que la personne contre laquelle la Commission a entamé une procédure administrative ait été mise en mesure, au cours de cette procédure, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués et sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation quant à l’existence d’une violation du droit communautaire (arrêt Belgique/Commission, point 133 supra, point 28 ; arrêts du Tribunal du 30 mars 2000, Kish Glass/Commission, T‑65/96, Rec. p. II‑1885, point 32, et du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, Rec. p. II‑435, point 121).

137    Or, il y a lieu de rappeler que la Commission doit ouvrir une procédure formelle d’examen lorsque, au terme d’un examen préliminaire, elle possède des doutes sérieux sur la compatibilité de la mesure en cause avec le marché commun. Il en résulte que la Commission ne peut pas être tenue de présenter une analyse aboutie à l’égard de la mesure en cause dans sa communication relative à l’ouverture de cette procédure. En revanche, il est nécessaire que la Commission définisse suffisamment le cadre de son examen afin de permettre à l’État membre à l’encontre duquel est ouverte la procédure de se prononcer sur l’ensemble des éléments de droit et de fait constituant les motifs de la décision finale par laquelle la Commission statue sur la compatibilité de la mesure en cause avec le marché commun [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du Tribunal du 31 mai 2006, Kuwait Petroleum (Nederland)/Commission, T‑354/99, Rec. p. II‑1475, point 85].

138    Dès lors, la seule circonstance que, dans la décision attaquée, la Commission a changé d’analyse quant à la nature du prélèvement forfaitaire ne serait de nature à entraîner, à l’égard de la République française, la violation des droits de la défense que si les indications contenues dans la décision d’ouverture ou, par la suite, fournies à l’occasion du débat contradictoire durant la procédure administrative, n’avaient pas permis aux autorités françaises de discuter utilement l’ensemble des éléments de fait et de droit retenus dans la décision attaquée. En revanche, les divergences entre la décision attaquée et la décision d’ouverture résultant de la reprise à son compte par la Commission, en totalité ou en partie, des arguments avancés par la République française ne sauraient entraîner la violation des droits de la défense à l’égard de cet État membre.

139    Force est de constater que, en indiquant, au considérant 63 de la décision d’ouverture, que le prélèvement forfaitaire « semblerait être un prélèvement sur les résultats de gestion de [France Télécom], plutôt qu’une façon particulière d’imposer la taxe professionnelle à [France Télécom] », la Commission a mis en mesure la République française de discuter, au cours de la procédure administrative, la nature dudit prélèvement. Il ressort, d’ailleurs, des déclarations du gouvernement français lors de l’audience que, durant la procédure, la question de la possibilité d’opérer une compensation entre le surplus d’imposition allégué en raison de ce prélèvement par l’État membre, d’une part, et l’exonération de taxe professionnelle dont France Télécom a bénéficié de 1991 à 1993 ainsi que les écarts d’imposition dont elle a bénéficié de 1994 à 2002, d’autre part, a été abordée. Or, dans la décision d’ouverture, la Commission avait précisément fait dépendre l’impossibilité d’admettre la compensation entre le prélèvement forfaitaire et la taxe professionnelle due par France Télécom au titre des années 1991 à 1993 de la nature non fiscale du premier. Les indications contenues dans la décision d’ouverture ont ainsi permis à la République française de contester la qualification que la Commission entendait alors donner au prélèvement forfaitaire.

140    Dans ces conditions, le fait que, alors que, dans la décision d’ouverture, elle envisageait de contester tout caractère fiscal au prélèvement forfaitaire, la Commission a modifié son analyse dans la décision attaquée, dans laquelle elle a estimé que ce prélèvement avait une nature mixte, partiellement fiscale et partiellement non fiscale, ne saurait révéler que la Commission a manqué à son obligation de définir suffisamment le cadre de son examen afin de permettre à la République française de se prononcer sur l’ensemble des éléments de droit et de fait constituant les motifs de la décision attaquée.

141    De plus, comme il vient d’être dit, parce qu’elle contestait, dans la décision d’ouverture, que le prélèvement forfaitaire puisse être considéré comme une imposition, la Commission estimait, initialement, que la substitution de ce prélèvement à la taxe professionnelle due au titre des années 1991 à 1993 ne pouvait, à première vue, être admise et que, en conséquence, l’exonération totale de taxe professionnelle dont France Télécom avait bénéficié au titre de ces mêmes années était susceptible d’être qualifiée d’aide d’État. En revanche, la qualification « mixte », finalement retenue dans la décision attaquée, a conduit la Commission à admettre que le prélèvement forfaitaire s’était substitué à la taxe professionnelle due par France Télécom au titre des années 1991 à 1993. Les différences entre la décision attaquée et la décision d’ouverture résultent ainsi de l’acceptation pour partie des arguments présentés par la République française au cours de la procédure administrative, ce qui ne saurait constituer une violation des droits de la défense à l’égard de cet État membre.

142    Il s’ensuit que la République française n’est pas fondée à soutenir que les droits de la défense ont été méconnus à son égard et que, par suite, son deuxième moyen doit être écarté.

4.     En ce qui concerne le respect des droits procéduraux de France Télécom

 Arguments des parties

143    France Télécom, bien qu’elle reconnaisse que les parties intéressées par une procédure ouverte en matière d’aide d’État par la Commission n’ont pas les mêmes droits que l’État membre destinataire de la décision, estime que les droits de la défense – dont le respect dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental du droit communautaire et doit être assuré même en l’absence de réglementation – ont été violés à son égard.

144    Par son premier moyen, elle soutient ne pas avoir été en mesure de faire valoir utilement ses observations sur la nature « mixte » du prélèvement forfaitaire, sur laquelle s’est fondée la Commission dans la décision attaquée pour établir l’existence de l’aide en cause (considérants 31 à 33 de la décision attaquée). Auparavant, ni dans la décision d’ouverture, ni dans ses écrits ultérieurs, ni lors des réunions qui ont eu lieu dans le cadre de la procédure, la Commission n’aurait jamais laissé entendre qu’elle était susceptible de considérer ce prélèvement comme ayant partiellement un caractère fiscal et partiellement celui d’un transfert au profit du propriétaire. Au contraire, ce prélèvement aurait été qualifié de fiscal dans la décision d’ouverture et la Commission aurait alors considéré que la loi 90‑568 avait mis en place un régime d’imposition unique pour la période 1991-2002 (paragraphe 33 de la décision d’ouverture). La décision attaquée serait donc fondée sur des faits et des appréciations sur lesquels France Télécom n’aurait pu présenter son point de vue. Dès lors, la Commission ne saurait lui reprocher de n’avoir pas présenté d’observations écrites à la suite de la décision d’ouverture et les réunions de juin 2004 auraient été consacrées non à la question de la compensation mais au calcul de la prétendue aide d’État.

145    La Commission conteste ces allégations.

 Appréciation du Tribunal

146    Selon une jurisprudence bien établie, la procédure administrative en matière d’aides d’État est seulement ouverte à l’encontre de l’État membre concerné. Les entreprises bénéficiaires des aides sont uniquement considérées comme étant des « intéressées » dans cette procédure [voir, en ce sens, arrêts Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, point 137 supra, point 122, et Kuwait Petroleum (Nederland)/Commission, point 138 supra, point 80].

147    Cette jurisprudence impartit essentiellement aux intéressés le rôle de sources d’information pour la Commission dans le cadre de la procédure administrative engagée au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE. Il s’ensuit que les intéressés, loin de pouvoir se prévaloir des droits de la défense reconnus aux personnes à l’encontre desquelles une procédure est ouverte (voir point 137 ci-dessus), disposent du seul droit d’être associés à la procédure administrative dans une mesure adéquate tenant compte des circonstances du cas d’espèce (arrêts du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T‑371/94 et T‑394/94, Rec. p. II‑2405, points 59 et 60, et Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, point 137 supra, point 125).

148    Il a été jugé, en outre, que, si la Commission ne peut être tenue de présenter une analyse aboutie à l’égard de l’aide en cause dans sa communication relative à l’ouverture de cette procédure, il est nécessaire, en revanche, qu’elle définisse suffisamment le cadre de son examen afin de ne pas vider de son sens le droit des intéressés de présenter leurs observations [arrêt Kuwait Petroleum (Nederland)/Commission, point 138 supra, point 85].

149    Pour autant, le droit à l’information des intéressés n’excède pas celui d’être entendu par la Commission. En particulier, il ne saurait s’étendre au droit général de s’exprimer sur tous les points potentiellement capitaux soulevés lors de la procédure formelle d’examen (voir ordonnance du président du Tribunal du 4 avril 2002, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, T‑198/01 R, Rec. p. II‑2153, point 84, et la jurisprudence citée).

150    Compte tenu de ces principes, il convient de constater que la décision d’ouverture, laquelle identifiait précisément l’aide en cause, a été publiée au Journal officiel (voir point 38 ci-dessus). Par conséquent, France Télécom a été suffisamment avertie de l’existence d’une procédure d’examen et mise en mesure de présenter toutes observations qu’elle estimait utiles.

151    De plus, en indiquant dans la décision d’ouverture qu’elle envisageait de considérer le prélèvement forfaitaire comme une participation aux résultats de gestion, la Commission a mis France Télécom en mesure de discuter utilement de la nature dudit prélèvement (voir point 140 ci-dessus).

152    Quant à l’argument tiré d’une prétendue contradiction entre les paragraphes 29 et 33 de la décision d’ouverture, d’une part, et le paragraphe 63 de la même décision, d’autre part, il ne saurait davantage prospérer. Bien que, au paragraphe 29 de la décision d’ouverture, certes, la Commission ait employé l’expression « régime de fiscalité exorbitante du droit commun », l’intention de la Commission d’exclure, au stade de l’ouverture de la procédure formelle d’examen, la possibilité d’une compensation entre le prélèvement forfaitaire et la taxe professionnelle due par France Télécom au titre des années 1991 à 1993 ressortait clairement de l’ensemble de la décision. France Télécom a ainsi été mise en mesure de présenter toutes observations tendant à faire admettre cette compensation.

153    Partant, le premier moyen de France Télécom ne peut qu’être écarté.

5.     En ce qui concerne l’existence d’une aide d’État

 Arguments des parties

 Sur l’existence de justifications tenant à l’économie générale du système fiscal

154    France Télécom, par la première branche de son deuxième moyen, fait valoir que le régime particulier d’imposition était justifié par des considérations tenant à l’économie générale du système fiscal et que, en conséquence, la condition de sélectivité de la mesure en cause n’est pas remplie (arrêt du Tribunal du 23 octobre 2002, Diputación Foral de Álava/Commission, T‑346/99 à T‑348/99, Rec. p. II‑4259, point 58). Dans la communication sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises qu’elle a publiée en 1998 (JO C 384, p. 3), la Commission aurait d’ailleurs reconnu que les mesures « dont la rationalité économique les rend nécessaires ou fonctionnelles par rapport à l’efficacité du système fiscal » ne devaient pas nécessairement être considérées comme des aides d’État.

155    Or, le régime particulier d’imposition aurait eu pour seul objectif de préserver le niveau des ressources que l’administration des PTT procurait à l’État avant sa transformation en personne publique et d’éviter que ces ressources ne soient transférées de l’État aux collectivités locales, tout en tenant compte de la difficulté de mettre en place dès 1991 une imposition par commune. Ces mesures auraient donc été justifiées par l’économie du système fiscal et ne constitueraient pas des aides d’État.

156    La Commission fait valoir que la question de savoir si une mesure instituant un avantage sélectif, tel le régime particulier d’imposition, peut être justifiée par des considérations tenant à la nature ou à l’économie du système nécessiterait une analyse objective du système fiscal français en général et du système de la taxe professionnelle en particulier. Sur ce point, la charge de la preuve incomberait à l’État membre. Elle se prévaut à cet égard des conclusions de l’avocat général M. Ruiz-Jarabo Colomer sous l’arrêt de la Cour du 19 mai 1999, Italie/Commission (C‑6/97, Rec. p. I‑2981, I‑2983).

157    Or, la République française n’aurait jamais soutenu, ni durant la procédure administrative ni dans son recours devant le Tribunal, qu’une justification telle que celle avancée par France Télécom dans le cadre de la première branche de son deuxième moyen pouvait exister en l’espèce. La Commission, quant à elle, ne verrait aucune raison permettant d’affirmer que le traitement avantageux accordé à France Télécom découlait d’une quelconque exigence du système de la taxe professionnelle en France.

 Sur la nature du prélèvement forfaitaire

158    La République française soutient, en premier lieu, et France Télécom fait également valoir, par la deuxième branche de son deuxième moyen, que le prélèvement auquel France Télécom a été soumise, au titre des années 1991 à 1993, en vertu des articles 18 et 19 de la loi 90‑568, est de nature purement fiscale.

159    La République française et France Télécom allèguent, tout d’abord, que les dispositions de la loi 90‑568 relatives au prélèvement au profit du budget général de l’État auquel France Télécom a été soumise au titre de la période 1991-1993, à savoir les articles 18 et 19 de la loi 90‑568, sont incluses dans le chapitre IV, intitulé « Fiscalité », et n’avaient d’autre but que de dégager des recettes fiscales comparables aux ressources que procuraient au budget de l’État les excédents dégagés par l’administration des PTT avant la création de France Télécom.

160    Elles renvoient au rapport n° 1229 de M. Fourré, rapporteur au nom de la commission de la production et des échanges de l’Assemblée nationale, du 11 avril 1990, relatif au projet de loi ayant abouti à la loi 90‑568. Selon celui-ci, la dérogation au régime de droit commun prévue à l’article 19 de la loi 90‑568 était justifiée par le souci de procurer, par le biais d’un impôt spécial, des ressources comparables, au profit du budget de l’État, au prélèvement acquitté jusqu’à la création de France Télécom par l’administration des PTT. Ce régime spécial d’imposition, au surplus, devait être limité au temps nécessaire, compte tenu de l’expansion attendue du chiffre d’affaires, pour que l’établissement des impositions de France Télécom selon le droit commun dégage des recettes d’un montant comparable à celui du prélèvement spécial.

161    Le prélèvement forfaitaire, prévu à l’article 19 de la loi 90‑568, aurait donc une nature fiscale, en raison de sa place dans le texte de la loi précitée et de son objet. Il se substituerait, en effet, à tous les impôts de droit commun que France Télécom, à défaut de ce régime spécial d’imposition, aurait dû acquitter. Aux considérants 28, 29 et 36 de la décision attaquée, la Commission aurait d’ailleurs admis que le prélèvement spécial « présentait des éléments typiques d’une imposition ».

162    La République française et France Télécom critiquent, ensuite, la qualification de « participation aux résultats de gestion » à laquelle la Commission a procédé au considérant 27 de la décision attaquée.

163    D’une part, la République française conteste la pertinence du rapprochement opéré, au considérant 24 de la décision attaquée, entre le « bénéfice que les PTT versaient à l’État en 1989 et 1990 » et le prélèvement forfaitaire.

164    En effet, la contribution des bénéfices dégagés par l’administration des PTT au budget de l’État aurait résulté des règles budgétaires nationales, selon lesquelles le solde des budgets annexes, tel celui des PTT, s’impute sur le budget général, sans qu’aucune décision de gestion, telle le versement d’un dividende, ou d’imposition soit nécessaire. La situation de France Télécom, personne publique dotée de l’autonomie juridique, en revanche, ne pourrait être comparée avec la situation antérieure, dans laquelle les PTT étaient un service public administratif de l’État.

165    D’autre part, par sa nature, le prélèvement forfaitaire serait de nature purement fiscale, cette qualification excluant qu’il puisse s’agir, même en partie, d’une participation aux résultats de gestion.

166    Premièrement, la décision à l’origine de ce prélèvement serait de nature législative, le principe de l’imposition étant fixé à l’article 19 de la loi 90‑568 et le montant annuel du prélèvement étant défini chaque année par une loi de finances. Au contraire, une simple distribution de dividendes n’aurait pas nécessité l’intervention d’une loi.

167    Deuxièmement, le montant d’un dividende ou d’une participation au titre des résultats de gestion n’aurait pu être déterminé avant que soit connu le résultat de l’exercice. Or, le montant maximal du prélèvement forfaitaire aurait été fixé dès l’entrée en vigueur de la loi 90‑568 et le montant effectivement mis à la charge de France Télécom par les lois de finances pour les années 1991 à 1993 aurait été, chaque année, égal au maximum fixé à l’article 19 de la loi 90‑568. Au contraire, le montant d’un dividende dépendrait du résultat effectivement réalisé au cours de l’exercice.

168    Troisièmement, le prélèvement forfaitaire aurait été inscrit dans les comptes de charges de France Télécom, ce qui serait compatible avec la nature fiscale de ce prélèvement. Au contraire, le versement d’une participation serait resté sans incidence sur le résultat d’exploitation, mais aurait diminué les fonds propres.

169    Quatrièmement, durant la période 1994-1996, durant laquelle a eu lieu la transformation de France Télécom en société anonyme, les résultats de l’entreprise (21,2 milliards de FRF) auraient doublé par rapport à la période 1991-1993 (10,1 milliards de FRF). Or, durant cette même période, France Télécom n’aurait jamais eu à verser de participation aux résultats.

170    Cinquièmement, la Commission n’apporterait aucun commencement de démonstration de l’allégation, figurant au considérant 31 de la décision attaquée, selon laquelle le prélèvement spécial avait une nature mixte, partiellement fiscale et partiellement de rémunération de la participation de l’État.

171    Selon la Commission, la question de savoir si le prélèvement forfaitaire était de nature fiscale serait dépourvue de pertinence, dès lors que, à supposer même que ce soit le cas, la compensation entre ce prélèvement et l’écart d’imposition constaté chaque année de 1994 à 2002 ne pourrait être opérée. Les prélèvements mis à la charge de France Télécom au titre des années 1991 à 1993, en effet, d’une part, se substitueraient à l’ensemble des impositions normalement à la charge de France Télécom et, d’autre part, ne pourraient être considérés comme des acomptes sur les cotisations de taxe professionnelle auxquelles France Télécom devait être assujettie à compter de l’année 1994.

172    Quant à la nature du prélèvement forfaitaire, la Commission estime que, en tout état de cause, celui-ci n’avait tout au plus qu’en partie un caractère fiscal et elle conteste l’ensemble des arguments des requérantes sur ce point.

 Sur le caractère indivisible du régime fiscal applicable à France Télécom durant la période 1991-2002

173    La République française fait valoir, en deuxième lieu, et France Télécom soutient, dans la troisième branche de son deuxième moyen, que le régime fiscal spécifique à France Télécom institué par la loi 90‑568 présentait un caractère global, recouvrant l’ensemble de la période 1991-2002, et ne traduisait pas la volonté des pouvoirs publics d’octroyer à France Télécom le moindre avantage.

174    La loi 90‑568, en effet, aurait fixé dès l’origine un régime fiscal global unique, divisé en deux périodes. Durant la première étape, de 1991 à 1993, la fixation d’une contribution se substituant à l’ensemble des impôts directs de droit commun, en particulier la taxe professionnelle, aurait eu pour seul objet d’éviter une perte de recettes pour le budget de l’État. Durant la seconde étape, de 1994 à 2002, ainsi que les autorités françaises l’auraient affirmé dans leur réponse du 26 septembre 2001 à la première demande d’information émanant de la Commission (voir point 37 ci-dessus), l’assujettissement de France Télécom à la taxe professionnelle au lieu de son principal établissement aurait eu pour seul objet d’éviter un transfert de recettes du budget de l’État vers celui des collectivités locales dans lesquelles France Télécom possédait un établissement, et nullement de conférer un avantage à France Télécom. L’existence d’un écart d’imposition durant la période 1994-2002 n’aurait d’ailleurs été constatée qu’a posteriori.

175    Dès lors que la loi 90‑568 a institué un régime fiscal unique, les modalités successives d’imposition de France Télécom à la taxe professionnelle présenteraient un caractère indissociable et devraient, de ce fait, être analysées l’une par rapport à l’autre. C’est d’ailleurs ainsi que la Commission aurait procédé, en indiquant, dans la décision d’ouverture, que, lorsqu’elle se référait au « régime » ou au « régime dérogatoire », elle entendait par là « le régime transitoire et le régime définitif ». En l’absence d’une modification du régime initial dans sa substance, les circonstances de l’espèce différeraient du contexte dans lequel est intervenu l’arrêt du Tribunal du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission (T‑195/01 et T‑207/01, Rec. p. II‑2309, point 111).

176    La Commission estime que la question de savoir si France Télécom a été soumise à un régime unique d’imposition divisé en deux périodes ou à deux régimes successifs et distincts est dépourvue d’intérêt, dès lors qu’il n’est pas contestable que les règles applicables de l’année 1991 à l’année 1993 étaient différentes de celles applicables de l’année 1994 à l’année 2002 et que, dans tous les cas, en supposant même qu’il s’agisse d’un seul régime, la compensation préconisée par la République française ne pouvait être envisagée.

 Sur la nécessité d’opérer une compensation

177    La République française estime, en troisième lieu, et France Télécom soutient, dans la quatrième branche de son deuxième moyen, que la Commission aurait dû opérer une compensation entre l’excédent d’imposition auquel France Télécom a été soumise de l’année 1991 à l’année 1993 et l’écart d’imposition dont cette dernière a bénéficié de l’année 1994 à l’année 2002.

178    Premièrement, la République française et France Télécom contestent le raisonnement exposé par la Commission aux considérants 38 et 41 de la décision attaquée pour refuser de procéder à une compensation entre la surimposition à laquelle France Télécom a été soumise de l’année 1991 à l’année 1993 et l’écart d’imposition dont elle a bénéficié de l’année 1994 à l’année 2002. Elle fait valoir que la référence faite par la Commission à l’arrêt du 19 mai 1999, Italie/Commission, point 157 supra, ainsi qu’à sa décision 2002/581/CE, du 11 décembre 2001, relative au régime d’aides d’État mis en œuvre par l’Italie en faveur des banques (JO 2002, L 184, p. 27), est dépourvue de pertinence, dès lors que, en l’espèce, le prélèvement forfaitaire était de même nature que la taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie de 1994 à 2002 et que l’ensemble de ces mesures a été institué par une même loi.

179    D’ailleurs, aux paragraphes 28, 33 et 116 de la décision d’ouverture, la Commission aurait elle-même admis que la loi 90‑568 avait institué un régime « dérogatoire » unique, par lequel la Commission aurait elle-même précisé qu’elle entendait à la fois le régime « transitoire » – à savoir les modalités relatives au prélèvement forfaitaire – et le régime « définitif » – c’est-à-dire le régime particulier d’imposition.

180    Deuxièmement, les autorités françaises et France Télécom soutiennent que la Commission était tenue de procéder à une analyse globale de l’impact d’une mesure susceptible d’être qualifiée d’aide d’État.

181    À titre liminaire, la République française et France Télécom font observer que la Commission a déjà procédé à une compensation pluriannuelle, prenant en considération l’ensemble des produits et des charges relatif au mécanisme du Livret bleu, dans sa décision 2003/216/CE, du 15 janvier 2002, concernant l’aide d’État mise à exécution par la République française en faveur du Crédit mutuel (JO 2003, L 88, p. 39).

182    De même, dans la décision 2000/735/CE, du 21 avril 1999, concernant le traitement de l’« accord technolease » entre Philips et Rabobank par l’administration fiscale néerlandaise (JO 2000, L 297, p. 13), la Commission aurait considéré l’ensemble des effets dans le temps du régime fiscal qu’elle examinait, sans recourir à la notion de crédit d’impôt.

183    Bien plus, la Commission aurait elle-même procédé à la compensation entre des charges de nature différente dans la décision 1999/676/CE, du 20 juillet 1999, concernant des aides présumées que la France aurait accordées à la société Sécuripost (JO L 274, p. 37), et, même, dans la décision attaquée, en acceptant la compensation entre le prélèvement forfaitaire, qu’elle considérait comme étant de nature mixte, fiscale et non fiscale, d’une part, et les cotisations de taxe professionnelle dues par France Télécom au titre des années 1991 à 1993, d’autre part.

184    Plus généralement, la République française estime qu’incombe à la Commission l’obligation de procéder à un examen global des mesures susceptibles d’être qualifiées d’aide d’État au regard des critères définis à l’article 87, paragraphe 1, CE. Une telle obligation résulterait de la finalité de cette disposition. Un examen global serait en particulier nécessaire pour apprécier si la mesure en cause est susceptible de fausser la concurrence et si elle constitue un avantage. L’obligation de procéder à l’examen global du dispositif institué par la loi 90‑568 pour l’ensemble de la période allant de l’année 1991 à l’année 2002 résulterait en outre de la jurisprudence du Tribunal (arrêt du Tribunal du 27 janvier 1998, Ladbroke Racing/Commission, T‑67/94, Rec. p. II‑1, point 76).

185    Troisièmement, la République française et France Télécom font valoir que, en l’espèce, la compensation entre les deux phases du régime fiscal fait apparaître une surimposition par rapport au droit commun sur l’ensemble de la période allant de 1991 à 2002 et que, en conséquence, France Télécom n’a bénéficié d’aucun avantage.

186    Après avoir relevé que la Commission avait reconnu que France Télécom avait fait l’objet d’une surimposition sur la totalité de la période 1991-2002, la République française en évalue le montant à au moins 1,4 milliard d’euros et, probablement, à plus de 1,7 milliard d’euros. En considérant que France Télécom avait bénéficié d’un avantage constitutif d’une aide d’État, la Commission aurait donc commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation justifiant que le Tribunal annule la décision attaquée.

187    S’agissant de la compensation entre les périodes, France Télécom précise toutefois que « le montant prétendu de la sous-imposition durant la période 1994-2002 ne résulte que d’une simple simulation et ne permet en rien d’établir de manière certaine le montant de l’aide dont elle aurait prétendument bénéficié sur la période 1994-2002 ».

188    La Commission estime que la compensation demandée par la République française et France Télécom aboutirait à abolir la distinction nécessaire entre les obligations que l’État doit assumer en tant qu’actionnaire et les obligations qui peuvent lui incomber en tant que personne publique.

189    Admettre la possibilité d’une telle compensation, selon la Commission, rendrait en pratique impossible le contrôle des aides versées aux entreprises publiques. La compensation demandée en l’espèce par la République française et par France Télécom irait bien au-delà de la compensation entre les charges et les produits liés à une mission de service public, c’est-à-dire de ce qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu à la décision 2003/216. La théorie de la République française reviendrait à admettre la compensation d’une moindre charge par une charge plus élevée, mais d’une nature différente. Or, une telle compensation serait exclue par la jurisprudence (arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission, point 66 supra, point 34).

190    Dans la duplique, la Commission conteste l’interprétation de la République française selon laquelle elle a déjà procédé, dans l’affaire ayant donné lieu à la décision 2000/735, à la compensation entre les effets à court terme et les effets à long terme d’une mesure fiscale. Dans cette affaire, la Commission fait valoir qu’elle a exclu que la mesure en cause puisse être considérée comme une aide d’État après avoir relevé que le dispositif en cause consistait en l’application pure et simple des règles fiscales de droit commun. En conséquence, dans cette affaire, la condition de sélectivité n’aurait pas été remplie.

 Appréciation du Tribunal

 Sur l’existence d’un avantage

191    En l’espèce, les parties s’opposent sur la question de savoir si France Télécom a bénéficié d’un avantage en vertu du régime particulier d’imposition.

192    Au considérant 42 de la décision attaquée, la Commission a défini l’avantage dont elle estime que France Télécom a bénéficié comme étant constitué par « la différence entre la taxe professionnelle effectivement payée par France Télécom et celle qui aurait été due en vertu du droit commun du 1er janvier 1994 au 1er janvier 2003 ».

193    Dans leurs écritures, les requérantes ne contestent pas expressément l’existence d’un écart d’imposition au profit de France Télécom durant la période 1994-2002, mais reprochent à la Commission d’avoir abusivement dissocié cette période de celle au cours de laquelle France Télécom avait été soumise au prélèvement forfaitaire (1991-1993) et d’avoir, en conséquence, refusé à tort de procéder à une compensation entre les flux d’imposition relatifs à ces deux périodes. À l’audience, en revanche, France Télécom a fait valoir l’inexactitude des calculs sur lesquels la Commission s’est fondée pour estimer que, durant la période 1994-2002, l’entreprise avait bénéficié d’un écart d’imposition.

194    Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, CE, sauf dérogations prévues par le traité CE, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. En vertu d’une jurisprudence constante, la qualification d’aide d’État suppose que les conditions énumérées à l’article 87, paragraphe 1, CE soient remplies de manière cumulative (voir arrêt de la Cour du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, Rec. p. I‑7747, points 74 et 75, et la jurisprudence citée).

195    Quant à la notion d’avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, celle-ci s’étend à toute mesure exemptant une entreprise d’une charge qu’elle aurait à supporter autrement. Selon une jurisprudence constante, en effet, la notion d’aide est plus générale que celle de subvention, parce qu’elle comprend non seulement des prestations positives, telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir arrêt de la Cour du 15 décembre 2005, Italie/Commission, C‑66/02, Rec. p. I‑10901, point 77, et la jurisprudence citée).

196    Ainsi, une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises une exonération fiscale qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que les autres contribuables constitue une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (voir arrêts du 19 mai 1999, Italie/Commission, point 157 supra, point 16, et du 15 décembre 2005, Italie/Commission, point 196 supra, point 78, et la jurisprudence citée).

197    De plus, la nature des objectifs poursuivis par des mesures étatiques et leur justification sont dépourvues de toute incidence sur leur qualification d’aide. Selon une jurisprudence constante, en effet, l’article 87 CE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets (voir arrêt de la Cour du 13 février 2003, Espagne/Commission, C‑409/00, Rec. p. I‑1487, point 46, et la jurisprudence citée).

198    Aux fins d’apprécier en l’espèce le bien-fondé de la conclusion de la Commission relative à l’existence d’un avantage au profit de France Télécom représenté par l’écart d’imposition dont celle-ci a bénéficié de 1994 à 2002, en premier lieu, il convient donc d’examiner la question de savoir si la Commission pouvait examiner le régime particulier d’imposition indépendamment du prélèvement forfaitaire. En second lieu, il y a lieu de vérifier si la Commission était fondée à refuser de procéder à une compensation entre l’écart d’imposition dont a bénéficié France Télécom au titre des années 1994 à 2002 et les surplus d’imposition mis, selon les requérantes, à la charge de l’entreprise au titre des années 1991 à 1993. En troisième lieu, il conviendra d’apprécier le bien-fondé de l’existence d’un écart d’imposition au titre de la période 1994-2002.

–       En ce qui concerne la possibilité d’examiner le régime particulier d’imposition indépendamment du prélèvement forfaitaire

199    Selon la jurisprudence, la Commission a l’obligation d’envisager globalement les mesures complexes pour déterminer si celles-ci confèrent à l’entreprise bénéficiaire un avantage économique que celle-ci n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (arrêt de la Cour du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C‑39/94, Rec. p. I‑3547, point 60 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, BP Chemicals/Commission, T‑11/95, Rec. p. II‑3235, points 169 et 170).

200    Il est constant que la loi 90‑568 a institué un régime fiscal dérogatoire, applicable notamment à France Télécom, caractérisé par un découpage en deux phases. Au cours de la première phase, de 1991 à 1993, France Télécom n’était assujettie à aucun impôt ou prélèvement autre que le prélèvement forfaitaire. Au cours de la seconde phase, laquelle a débuté en 1994 et n’avait, initialement, pas de terme précis, France Télécom était assujettie à tous les impôts de droit commun, mais l’était, pour les impôts locaux, dont la taxe professionnelle, selon des modalités dérogeant au droit commun, constituant le régime particulier d’imposition. C’est ainsi à juste titre que les requérantes font valoir que l’ensemble des dispositions relatives aux modalités d’assujettissement de France Télécom au titre des années 1991 à 2002 figure dans le même chapitre de la loi précitée et a été institué par un seul acte juridique.

201    Toutefois, il ressort de la décision attaquée que la Commission n’a pas considéré que l’aide en cause était constituée par les dispositions fiscales particulières applicables à France Télécom, mais par l’écart d’imposition représentant la différence entre le montant des cotisations de taxe professionnelle que l’entreprise aurait dû acquitter si elle avait été soumise à l’impôt de droit commun et celui qui a été effectivement mis à sa charge en vertu des dispositions fiscales particulières auxquelles elle était assujettie (voir considérant 42 de la décision attaquée).

202    Il suit de là que, en raison de l’annualité de la taxe professionnelle prévue à l’article 1447, point I, et à l’article 1478, point I, du code général des impôts (voir point 17 ci-dessus), un avantage tel que celui qui a été défini au considérant 42 de la décision attaquée ne pouvait être constaté une fois pour toutes à un moment précis, mais devait l’être chaque année au titre de laquelle la taxe professionnelle était due par France Télécom. Dès lors, la Commission ne pouvait envisager de procéder à une analyse globale et a priori de l’ensemble des dispositions pertinentes de la loi 90‑568 en vigueur de 1991 à 2002 et c’est au contraire à juste titre qu’elle a raisonné année par année (voir considérants 54 et 58 de la décision attaquée).

203    C’est également à juste titre que la Commission a relevé, au considérant 36 de la décision attaquée, que les règles applicables à France Télécom durant la période 1991-1993 (prélèvement forfaitaire) différaient de celles qui ont été en vigueur durant la période 1994-2002 (régime particulier d’imposition). Ainsi, la Commission a estimé que, durant la première période, le prélèvement forfaitaire s’était entièrement substitué à la cotisation de taxe professionnelle qui aurait été due annuellement par France Télécom selon le droit commun (considérant 33 de la décision attaquée). En revanche, selon la Commission, l’assujettissement de France Télécom au régime particulier d’imposition a entraîné chaque année, durant la seconde période, un écart d’imposition au bénéfice de l’entreprise.

204    Dans ces conditions, la Commission pouvait, sans méconnaître son obligation de procéder à un examen global des mesures susceptibles d’instituer des aides d’État, distinguer, dans son analyse, le régime particulier d’imposition de celui du prélèvement forfaitaire.

–       En ce qui concerne la possibilité d’une compensation

205    Les requérantes font valoir que l’avantage constitué par l’écart d’imposition favorable à France Télécom de 1994 à 2002 est plus que compensé par le montant des prélèvements forfaitaires auxquels l’entreprise a été soumise de 1991 à 1993. Pour justifier qu’il soit procédé à cette compensation, la République française et France Télécom soutiennent que la loi 90‑568 a institué un régime unique d’imposition et que le prélèvement forfaitaire était de nature exclusivement fiscale.

206    En vertu de la jurisprudence, la Commission, lorsqu’elle examine une mesure susceptible de constituer une aide d’État, est tenue de prendre en considération l’ensemble des effets de celle-ci pour le bénéficiaire potentiel et, notamment, de déduire, le cas échéant, les charges spécifiques qui grèvent un avantage (arrêt de la Cour du 25 juin 1970, France/Commission, 47/69, Rec. p. 487, point 7).

207    En revanche, la seule circonstance qu’une mesure déterminée d’exonération soit compensée, du point de vue du bénéficiaire, par l’aggravation d’une charge spécifique distincte et sans rapport avec la première ne fait pas échapper la première à la qualification d’aide d’État (arrêt du 15 décembre 2005, Italie/Commission, point 196 supra, point 34).

208    Le bien-fondé de l’argument des requérantes selon lequel l’excédent d’imposition acquitté par France Télécom de 1991 à 1993, en raison du prélèvement forfaitaire, compense l’écart d’imposition dont celle-ci aurait bénéficié de 1994 à 2002 dépend donc de l’analyse des caractéristiques objectives du prélèvement forfaitaire et de la question de savoir si celui-ci peut être considéré comme une charge inhérente à l’avantage résultant pour France Télécom, le cas échéant, de son assujettissement au régime particulier d’imposition.

209    À cet égard, il convient de rappeler que la loi 90‑568 a institué un régime fiscal dérogatoire, applicable notamment à France Télécom, caractérisé par un découpage en deux phases. Au cours de la première phase, de 1991 à 1993, France Télécom n’était assujettie à aucun impôt ou prélèvement autre que le prélèvement forfaitaire. Au cours de la seconde phase, laquelle, initialement, devait débuter en 1994 et ne comportait pas de limitation de durée, France Télécom était assujettie à tous les impôts de droit commun, mais, pour les impôts locaux, dont la taxe professionnelle, selon des modalités dérogeant au droit commun, constituant le régime particulier d’imposition.

210    Par ailleurs, il résulte de l’argumentation de la République française, qui se réfère au rapport sur le projet de loi ayant donné lieu à la loi 90‑568, présenté à l’Assemblée nationale française le 11 avril 1990, que la dérogation au régime de droit commun prévue à l’article 19 de ladite loi – c’est-à-dire le prélèvement forfaitaire – était justifiée par le souci de procurer, par le biais d’un impôt spécial, des ressources comparables, au profit du budget de l’État, au prélèvement acquitté jusqu’à la création de France Télécom par l’administration des PTT, durant le temps nécessaire, compte tenu de l’expansion attendue du chiffre d’affaires, pour que l’établissement des impositions de France Télécom selon le droit commun dégage des recettes d’un montant comparable (voir point 161 ci-dessus). Le prélèvement forfaitaire a d’ailleurs été fixé chaque année au montant des ressources dégagées annuellement par le budget annexe des PTT jusqu’à la création de France Télécom.

211    Il résulte donc de la nature, des objectifs et du caractère temporaire du prélèvement forfaitaire que celui-ci s’est substitué, chaque année au titre de laquelle il a été mis à la charge de France Télécom, à l’ensemble des prélèvements normalement dus par France Télécom au titre de l’année en cause. Or, l’ensemble de ces prélèvements incluait tous les impôts directs auxquels sont normalement assujetties les entreprises – à savoir, notamment, non seulement la taxe professionnelle, mais encore l’impôt sur les sociétés et les taxes foncières.

212    En revanche, le prélèvement forfaitaire, en raison de son annualité et de son caractère temporaire, n’a pas eu pour effet de se substituer aux impositions éludées, le cas échéant, durant les années postérieures. La disparition du prélèvement forfaitaire, à compter de l’année 1994, en effet, résulte de ce que, selon les prévisions entérinées par le législateur, l’assujettissement de France Télécom aux impôts de droit commun et au régime particulier d’imposition, pour ce qui concerne la taxe professionnelle, devait procurer à l’État des ressources comparables à celles dégagées jusqu’en 1990 par le budget annexe des PTT, ressources que le prélèvement forfaitaire avait pour objet de garantir de 1991 à 1993.

213    Partant, le prélèvement forfaitaire ne peut être considéré comme une charge inhérente à la mise en place du régime particulier d’imposition, mais plutôt comme une modalité d’imposition particulière de France Télécom mise en place pour les années antérieures à 1994. Dès lors, la Commission ne pouvait prendre en considération la compensation demandée par les requérantes et c’est à bon droit qu’elle a procédé à une analyse annuelle des conséquences de l’assujettissement de France Télécom à une fiscalité particulière.

214    En effet, à supposer même que, ainsi que le soutient la République française, le prélèvement forfaitaire ait eu, en droit français, une nature exclusivement fiscale, il convient de rappeler que celui-ci s’est substitué, de 1991 à 1993, à tout versement au profit de l’État à la charge de France Télécom et non à la taxe professionnelle uniquement. Or, un allégement de charges tel que le régime particulier d’imposition – lequel a assujetti France Télécom, de 1994 à 2002, à des cotisations de taxe professionnelle inférieures à celles qui auraient été réclamées à l’entreprise selon le droit commun – ne saurait être compensé par l’imposition d’une charge spécifique différente – à savoir, en l’espèce, un versement se substituant à d’autres impôts que la taxe professionnelle ainsi que, le cas échéant, au versement de dividendes (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2005, Italie/Commission, point 196 supra, point 34).

215    De plus, la seule circonstance que le prélèvement forfaitaire et le régime particulier d’imposition ont été chacun institués par la loi 90‑568 ne permet pas d’établir que l’assujettissement de France Télécom au prélèvement forfaitaire était inhérent à l’instauration du régime particulier d’imposition. En effet, le fait que le prélèvement forfaitaire et le régime particulier d’imposition ont été institués par le même acte législatif, ainsi qu’il a été rappelé au point 201 ci-dessus, ne suffit pas à démontrer que l’instauration du régime particulier d’imposition à compter de 1994 ait rendu nécessaire celle du prélèvement forfaitaire de 1991 à 1993, ou que la mise en place du prélèvement forfaitaire durant les années 1991 à 1993 ait impliqué celle du régime particulier d’imposition pour les années postérieures à 1994.

216    En outre, compte tenu des modalités de détermination du montant du prélèvement forfaitaire, égal chaque année aux ressources jusque là dégagées annuellement par le budget annexe des PTT, la République française n’est pas davantage parvenue à démontrer que les modalités d’imposition propres à la période 1991-1993 ont été instituées en prévision d’une moindre imposition durant la période postérieure. Au contraire, le fait que, à l’origine, aucune limite de durée n’ait été prévue à l’application du régime particulier d’imposition laisse supposer que l’État membre estimait suffisant le niveau des ressources fiscales dégagées par le régime particulier d’imposition et est en soi contradictoire avec la logique selon laquelle le prélèvement forfaitaire aurait eu vocation à se substituer à une imposition insuffisante à compter de 1994.

217    Un tel argument, par ailleurs, est également en contradiction avec celui, avancé par les requérantes, selon lequel le régime particulier d’imposition n’avait pas pour objet de soumettre France Télécom à une fiscalité moins lourde que le droit commun. En tout état de cause, il convient de rappeler, à cet égard, que les aides d’État ne sont pas caractérisées par leurs causes ou leurs objectifs, mais qu’elles sont définies en raison de leurs effets (voir arrêt Espagne/Commission, point 198 supra, point 46, et la jurisprudence citée).

218    Il s’ensuit que c’est à juste titre que la Commission a refusé d’opérer une compensation entre les montants du prélèvement forfaitaire acquitté par France Télécom de 1991 à 1993, d’une part, et les écarts d’imposition résultant, le cas échéant, du régime particulier d’imposition, pour les années 1994 à 2002, d’autre part.

–       En ce qui concerne l’existence d’un écart d’imposition

219    Il ressort des considérants 54 à 59 de la décision attaquée que, pour établir que France Télécom avait supporté une moindre imposition que celle à laquelle elle aurait été soumise si elle avait été assujettie à la taxe professionnelle selon le droit commun, la Commission s’est fondée sur des éléments chiffrés qui lui ont été communiqués par la République française, au cours de la procédure administrative.

220    Il est constant, en effet, que, au moins à trois reprises durant la procédure administrative (voir points 39, 43 et 51 ci-dessus), la République française a communiqué à la Commission des données faisant apparaître que, chaque année, de 1994 à 2002, France Télécom avait bénéficié d’un écart d’imposition. Le montant précis de l’aide en cause n’a pu être déterminé par la Commission, en raison du caractère divergent des données fournies par l’État membre, mais, au considérant 59 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que ce montant devait être compris dans une fourchette dont les montants minimal et maximal constituent la simple reprise des éléments communiqués par les autorités françaises (voir également, en ce sens, arrêt Commission/France, point 88 supra, points 31 à 35).

221    Il est vrai que, durant la procédure administrative, les autorités françaises ont insisté sur le caractère approximatif de l’estimation du 15 mai 2003 et de celle du 5 juillet 2004. Néanmoins, tant durant la procédure administrative que dans leurs écritures devant le Tribunal, elles se sont appuyées sur ces chiffres pour tenter de démontrer que France Télécom avait été soumise à une fiscalité plus lourde que celle qui aurait résulté de l’application du droit commun durant la période 1991-2002, prise dans son ensemble.

222    Ainsi, les autorités françaises, en réponse à la décision d’ouverture, ont indiqué ce qui suit dans leur courrier du 15 mai 2003 (voir point 39 ci-dessus) :

« Cette analyse définitive, sous réserve de l’examen des dossiers de la Commission et des observations des tiers, confirme que France Télécom n’a pas bénéficié, au titre du régime fiscal qui lui a été appliqué entre 1991 et 2002, d’[un] avantage susceptible de constituer une aide d’État.

En effet, loin d’avoir bénéficié d’une aide d’État au titre du régime spécifique d’imposition auquel elle a été soumise, France Télécom a au contraire acquitté une surimposition significative, supérieure à 1,4 milliard d’euros hors actualisation. »

223    Force est donc de constater que, au cours de la procédure administrative, les informations communiquées à la Commission ont été présentées comme approximatives, mais non comme douteuses en ce qui concerne l’existence d’un écart d’imposition bénéficiant à France Télécom de 1994 à 2002.

224    Dans ces conditions, c’est en vain que France Télécom a fait valoir lors de l’audience que les données retenues par la Commission dans la décision attaquée procédaient d’extrapolations et étaient dépourvues de rapport avec la réalité. En effet, la légalité d’une décision en matière d’aide d’État s’apprécie en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle a arrêté celle-ci (voir arrêt de la Cour du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, Rec. p. I‑2577, point 54, et la jurisprudence citée).

225    Par suite, la Commission était fondée à constater que, de 1994 à 2002, France Télécom avait bénéficié chaque année d’un avantage sélectif, constitué par l’existence, à son profit, d’un écart d’imposition.

 Sur la justification par la cohérence du système fiscal

226    France Télécom soutient que l’écart d’imposition dont elle a bénéficié se justifie par l’économie générale du système fiscal et ne constitue pas, par suite, une aide d’État.

227    L’article 87, paragraphe 1, CE interdit les aides d’État favorisant certaines entreprises ou certaines productions, c’est-à-dire les aides sélectives (arrêt du 15 décembre 2005, Italie/Commission, point 196 supra, point 94 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, C‑143/99, Rec. p. I‑8365, point 34).

228    Aux fins de l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, il convient de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, une mesure étatique est de nature à favoriser certaines entreprises ou certaines productions par rapport à d’autres entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par la mesure concernée (voir arrêt Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, point 228 supra, point 41, et la jurisprudence citée).

229    Toutefois, il est de jurisprudence constante que la notion d’aide d’État ne vise pas les mesures étatiques introduisant une différenciation entre entreprises et, partant, a priori sélectives, lorsque cette différenciation résulte de la nature ou de l’économie du système de charges dans lequel elles s’inscrivent (arrêt de la Cour du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, Rec. p. I‑7115, point 52 ; voir également, en ce sens, arrêts de la Cour du 2 juillet 1974, Italie/Commission, point 66 supra, point 33, et du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano, C‑148/04, Rec. p. I‑11137, point 51).

230    La justification fondée sur la nature ou l’économie générale du système fiscal renvoie, quant à elle, à la cohérence d’une mesure fiscale avec la logique interne du système fiscal dans lequel elle s’inscrit (voir arrêt Diputación Foral de Álava/Commission, point 155 supra, point 59, et la jurisprudence citée).

231    En l’espèce, le caractère a priori sélectif de l’aide en cause ne fait guère de doute, puisqu’il résulte de la loi 90‑568 que le régime particulier d’imposition était applicable à France Télécom et à une seule autre entreprise. Il est en effet constant que le régime particulier d’imposition constitue un régime fiscal dérogatoire par rapport aux règles applicables en matière de taxe professionnelle à l’ensemble des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable à celle de France Télécom, au regard des objectifs poursuivis par cet impôt, établie suivant la capacité contributive des redevables, appréciée d’après des critères économiques en fonction de l’importance des activités exercées par eux sur le territoire des collectivités locales où elles possèdent des établissements (voir points 16 à 24 ci-dessus).

232    Quant à la question de savoir si le régime particulier d’imposition trouve sa justification dans la nature et l’économie du système fiscal, il convient d’observer, à titre liminaire, qu’un tel argument n’a été avancé par la République française ni durant la procédure administrative ni dans le cadre du présent recours. Or, ainsi que l’a fait remarquer à juste titre la Commission, la charge de la preuve de l’existence de telles justifications incombe en principe à l’État membre. Il s’ensuit que France Télécom ne saurait, dans le cadre du présent recours, se prévaloir, à l’appui de son argumentation, d’éléments de fait dont la Commission n’avait pas connaissance lorsqu’elle a adopté la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt Nuova Agricast, point 225 supra, point 54, et la jurisprudence citée).

233    Pour soutenir que le régime particulier d’imposition est justifié par la logique interne du système fiscal applicable aux entreprises exerçant leurs activités en France, France Télécom allègue deux justifications.

234    D’une part, le régime particulier d’imposition aurait eu pour objectif d’éviter que le produit de la taxe professionnelle due par France Télécom soit « transféré » de l’État aux collectivités locales.

235    À cet égard, France Télécom n’a nullement établi qu’il était impossible à l’État de prévoir que, à compter de 1994, la taxe professionnelle mise à la charge de l’entreprise serait liquidée dans les conditions du droit commun, puis affectée au budget de l’État plutôt qu’à celui de chaque collectivité locale où l’entreprise disposait d’un établissement.

236    Dès lors, à supposer même que l’objectif d’affecter à l’État la taxe professionnelle due par France Télécom puisse justifier les mesures dérogatoires dont cette entreprise a fait l’objet et alors même, pourtant, que la taxe professionnelle constitue un impôt dont le produit est affecté aux collectivités locales, force est de constater que la requérante n’a pas démontré que le même objectif n’aurait pu être atteint par des mesures ne lui conférant aucun avantage.

237    Par suite, France Télécom n’est pas fondée à soutenir, en tout état de cause, que l’avantage sélectif dont elle a bénéficié est la conséquence nécessaire de l’affectation au budget de l’État du produit de la taxe professionnelle mise à sa charge par le régime particulier d’imposition.

238    D’autre part, selon France Télécom, ce régime dérogatoire aurait été rendu nécessaire par la difficulté de mettre en place dès 1991 une imposition par commune, en raison, principalement, de l’absence de comptabilité adaptée à la répartition des bases de la taxe professionnelle.

239    Il y a lieu, cependant, d’observer que le régime particulier d’imposition est entré en vigueur en 1994, soit durant la quatrième année suivant la transformation de l’administration des PTT en entreprise. Or, si France Télécom a indiqué que, en 1990, les données de comptabilité patrimoniale nécessaires à l’établissement de la taxe professionnelle par établissement n’étaient pas immédiatement disponibles, elle n’a en revanche fourni aucune justification de nature à démontrer que la répartition par commune des bases de la taxe professionnelle, à laquelle elle a finalement procédé en vue de l’imposition établie au titre de l’année 2003, ne pouvait être entreprise dès le début des années 90. Les données pertinentes pour l’imposition établie au titre de 1994, en effet, étaient celles relatives à l’année 1992, laquelle constituait la période de référence pour cette imposition (voir point 21 ci-dessus).

240    Partant, aucun des arguments avancés par France Télécom n’est de nature à démontrer que le régime fiscal dérogatoire qui a été appliqué et a conféré un avantage à cette entreprise était justifié par la nature et l’économie du système fiscal.

241    Il résulte de ce qui précède qu’aucun des arguments invoqués par les requérantes n’est susceptible d’aboutir et que le premier moyen de la République française ainsi que le deuxième moyen de France Télécom doivent être écartés.

6.     En ce qui concerne l’application du principe de protection de la confiance légitime

 Arguments des parties

242    La République française, par son quatrième moyen, présenté à titre subsidiaire, et France Télécom, par la première branche de son quatrième moyen, rappellent que, aux termes de l’article 14 du règlement n° 659/1999, la Commission ne peut exiger la récupération d’une aide si, ce faisant, elle va à l’encontre d’un principe général de droit communautaire et que le principe de protection de la confiance légitime ainsi que le principe de sécurité juridique font partie des principes généraux du droit communautaire. Dans son rapport C (2004) 434, du 9 février 2004, sur l’application des règles en matière d’aide d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises, la Commission aurait d’ailleurs admis que le principe de protection de la confiance légitime pouvait faire obstacle à une décision de récupération dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu’un régime analogue avait été considéré comme étant en dehors du champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, ou avait été déclaré compatible avec le marché commun dans le passé.

243    Quant à la portée de ce principe, France Télécom soutient qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal que la possibilité de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime est ouverte à tout opérateur économique à l’égard duquel une institution a fait naître des espérances fondées [arrêt de la Cour du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products (Lopik)/CEE, 265/85, Rec. p. 1155, point 44].

244    France Télécom reconnaît que, en principe, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par l’article 88 CE et qu’un opérateur diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que cette procédure a été respectée. Toutefois, la jurisprudence n’exclurait pas la possibilité pour le bénéficiaire de se prévaloir de circonstances exceptionnelles susceptibles de faire naître chez lui une confiance légitime dans le caractère régulier de l’aide (arrêt de la Cour du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne, C‑5/89, Rec. p. I‑3437, point 16) et la Commission reconnaîtrait cette possibilité dans ses décisions [considérant 80 de la décision 2004/76/CE de la Commission, du 13 mai 2003, concernant le régime d’aide d’État mis à exécution par la France en faveur des quartiers généraux et centres de logistique (JO 2004, L 23, p. 1)].

245    En l’espèce, France Télécom est d’avis qu’il existe des circonstances exceptionnelles de nature à faire naître chez elle une confiance légitime en ce que le régime particulier d’imposition ne constituait pas un avantage susceptible d’être qualifié d’aide d’État.

246    La République française et France Télécom rappellent que le régime fiscal examiné par la Commission en l’espèce est celui institué par les articles 18 à 21 de la loi 90‑568, ainsi qu’il ressort en particulier des paragraphes 28, 32 et 61 de la décision d’ouverture et des considérants 17 et 21 de la décision attaquée.

247    Or, l’article 21 de la loi 90‑568 aurait déjà fait l’objet d’un examen par les services de la Commission, à la suite d’une plainte, déposée le 4 mai 1990 et relative aux règles particulières d’assujettissement de La Poste à la taxe professionnelle. Par décision du 8 février 1995 (JO 1995, C 262, p. 11, ci-après la « décision relative à La Poste »), la Commission aurait admis que l’avantage fiscal institué, au bénéfice de La Poste, par l’article 21 de la loi 90‑568, ne constituait pas une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Cette décision aurait été confirmée par le Tribunal dans l’arrêt du 27 février 1997, FFSA e.a./Commission (T‑106/95, Rec. p. II‑229). À l’occasion de l’examen de cette disposition, la Commission aurait nécessairement pris connaissance des règles relatives au régime de taxe professionnelle applicable à France Télécom. Or, si elle avait éprouvé un doute sur la question de savoir si ce dernier constituait une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, elle aurait dû, en vertu de son devoir de diligence, ouvrir une procédure d’examen en application de l’article 88, paragraphe 3, CE. À défaut de l’engagement d’une telle procédure, et dans les circonstances exceptionnelles de l’espèce, France Télécom et les autorités françaises auraient été fondées à nourrir une confiance légitime dans la compatibilité du régime de la taxe professionnelle découlant de la loi 90‑568 avec l’article 87, paragraphe 1, CE.

248    La République française et France Télécom invoquent quatre arguments supplémentaires à l’appui de leur thèse selon laquelle le principe de protection de la confiance légitime s’oppose en l’espèce à la récupération de l’aide d’État identifiée par la Commission.

249    Premièrement, les circonstances de l’espèce seraient proches de celles qui prévalaient dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 1er juillet 2004, Salzgitter/Commission (T‑308/00, Rec. p. II‑1933).

250    Deuxièmement, la conviction des autorités françaises et de France Télécom aurait été d’autant plus forte que l’objectif visé par le régime particulier d’imposition n’était pas d’accorder le moindre avantage à France Télécom, mais uniquement d’assurer que la soumission progressive de France Télécom aux règles fiscales de droit commun ait un effet neutre sur le budget de l’État. À la différence des aides fiscales, qui sont habituellement constituées par des mesures d’exonération ou d’allégement des taux d’imposition, il n’y aurait rien de tel en l’espèce. Au contraire, jusqu’en 1999, France Télécom et les autorités françaises auraient été persuadées que le régime particulier d’imposition entraînait une surimposition par rapport au droit commun. Ainsi, France Télécom n’aurait pu soupçonner que le régime particulier d’imposition pouvait constituer une aide d’État.

251    Troisièmement, dans la décision 2006/621/CE, du 2 août 2004, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France en faveur de France Télécom (JO 2006, L 257, p. 11), la Commission aurait considéré que, « du fait que France Télécom a[vait] pu légitimement avoir confiance quant au fait que les comportements de la [République française] ne constituaient pas une aide d’État », « ordonner la récupération de l’aide serait contraire aux principes généraux du droit communautaire » (considérant 264). Or, en l’espèce, France Télécom n’aurait pas eu conscience du fait qu’elle bénéficiait d’un avantage avant que ne soient établies les premières simulations par les autorités françaises. Jusque là, c’est-à-dire au moins jusqu’en 2000, France Télécom aurait plutôt estimé que les modalités particulières de son assujettissement à la taxe professionnelle constituaient pour elle un désavantage concurrentiel dans ses relations avec les collectivités locales. Elle aurait d’ailleurs demandé l’alignement de son régime particulier d’imposition sur le droit commun.

252    Quatrièmement, la Commission n’aurait pas eu, à la date de la décision attaquée, une pratique décisionnelle suffisamment établie et aucun régime d’imposition comparable aux mesures en cause en l’espèce n’aurait été considéré comme une aide d’État.

253    Dans sa réplique, la République française conteste l’argument de la Commission selon lequel il ne lui est pas possible de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime à défaut d’avoir notifié le régime en cause. Auraient ainsi la possibilité d’invoquer ce principe tant le bénéficiaire d’une aide que l’État membre qui a octroyé cette aide. La portée de la jurisprudence invoquée par la Commission serait limitée au recours en manquement et cette jurisprudence ne s’opposerait pas à ce qu’un État membre se prévale du respect de ce principe en ce qui concerne le bénéficiaire de l’aide dans le cadre d’un recours en annulation.

254    La Commission fait valoir, en premier lieu, qu’un État membre ne peut invoquer le principe de protection de la confiance légitime ni à son égard ni à l’égard du bénéficiaire de l’aide au cas où il s’abstient de procéder à la notification à la Commission d’une aide nouvelle. Par conséquent, en l’absence de notification des mesures litigieuses par la République française, le principe de protection de la confiance légitime ne pourrait s’opposer à l’obligation de récupérer une aide illégalement accordée (arrêts de la Cour Commission/Allemagne, point 245 supra, points 14 et 17, et du 11 novembre 2004, Demesa et Territorio Histórico de Álava/Commission, C‑183/02 P et C‑187/02 P, Rec. p. I‑10609, point 44 ; arrêts du Tribunal du 15 septembre 1998, BFM et EFIM/Commission, T‑126/96 et T‑127/96, Rec. p. II‑3437, point 69, et du 10 avril 2003, Scott/Commission, T‑366/00, Rec. p. II‑1763, point 61).

255    La Commission fait valoir, en deuxième lieu, que, dans la décision relative à La Poste, elle n’a ni examiné ni pris position sur les dispositions de la loi 90‑568 relatives au régime de taxe professionnelle applicable à France Télécom. Or, ces dispositions n’ayant pas été notifiées, le silence de la Commission ne pourrait être interprété comme une approbation (arrêts Demesa et Territorio Histórico de Álava/Commission, point 255 supra, point 52).

256    En tout état de cause, la Commission estime que, dès lors que le Tribunal, dans l’arrêt FFSA e.a./Commission, point 248 supra, a jugé que les dispositions de la loi 90‑568 concernant La Poste constituaient des aides compatibles avec le marché commun, la République française ne pouvait légitimement fonder sa confiance en ce que les dispositions applicables à France Télécom ne constituaient pas des aides. Les autorités françaises auraient dû, dans ces conditions, notifier les dispositions en cause (arrêt Demesa et Territorio Histórico de Álava/Commission, point 255 supra, points 48 à 50).

257    La Commission soutient, en troisième lieu, que la référence à la décision 2006/621 est inopérante, les circonstances de la présente affaire et celles de l’affaire dans laquelle est intervenue cette décision étant différentes.

258    La Commission fait valoir, en quatrième lieu, que, en adoptant la décision attaquée, elle n’a pas opéré un changement de politique à l’égard des aides de nature fiscale, mais a fait application à la situation de l’espèce des règles objectives posées par l’article 87, paragraphe 1, CE.

 Appréciation du Tribunal

259    En vertu d’une jurisprudence constante, même en l’absence de texte, la possibilité de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime est ouverte à tout particulier à l’égard duquel une institution, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître des espérances fondées [voir arrêt Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products (Lopik)/CEE, point 244 supra, point 44, et arrêt du Tribunal du 21 juillet 1998, Mellett/Cour de justice, T‑66/96 et T‑221/97, RecFP p. I‑A‑449 et II‑1305, point 104, et la jurisprudence citée].

260    Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants et émanant de sources autorisées et fiables. En revanche, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises qui lui auraient été fournies par l’administration (voir arrêt du Tribunal du 14 février 2006, TEA-CEGOS e.a./Commission, T‑376/05 et T‑383/05, Rec. p. II‑205, point 88, et la jurisprudence citée).

261    Il découle de ce principe, spécialement applicable en matière de contrôle des aides d’État en vertu de l’article 14 du règlement n° 659/1999, que la protection de la confiance légitime du bénéficiaire de l’aide peut être invoquée (arrêt Commission/Allemagne, point 245 supra, point 16), à condition que celui-ci dispose d’assurances suffisamment précises, découlant d’une action positive de la Commission, lui permettant d’estimer qu’une mesure ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. En l’absence de prise de position expresse de la Commission sur une mesure lui ayant été notifiée, en revanche, le silence gardé par l’institution ne saurait, sur le fondement du principe de protection de la confiance légitime de l’entreprise bénéficiaire d’une aide d’État, s’opposer à la récupération de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt Demesa et Territorio Histórico de Álava/Commission, point 255 supra, point 44).

262    Pour autant, compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides d’État opéré par la Commission au titre de l’article 88 CE, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité d’une aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par ledit article. En effet, un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que cette procédure a été respectée. Par suite, également, un État membre dont les autorités ont octroyé une aide en violation des règles de procédure prévues à l’article 88 CE ne saurait invoquer la confiance légitime des bénéficiaires pour se soustraire à l’obligation de prendre les mesures nécessaires en vue de l’exécution d’une décision de la Commission lui ordonnant de récupérer l’aide (voir arrêts de la Cour Commission/Allemagne, point 245 supra, points 14 et 17, et du 19 juin 2008, Commission/Allemagne, C‑39/06, non publié au Recueil, point 24, et la jurisprudence citée).

263    Certes, la possibilité, pour le bénéficiaire d’une aide illégale, d’invoquer des circonstances exceptionnelles, qui ont légitimement pu fonder sa confiance dans le caractère régulier de cette aide, et de s’opposer, par conséquent, à son remboursement ne saurait être exclue [voir, en ce sens, arrêts du Tribunal BFM et EFIM/Commission, point 255 supra, point 70, et du 5 août 2003, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, T‑116/01 et T‑118/01, Rec. p. II‑2957, points 201 et 204].

264    En l’espèce, il est constant que l’aide en cause n’a pas été notifiée, puisqu’elle a été examinée par la Commission à la suite d’une plainte intervenue après que le premier élément de l’aide – à savoir l’écart d’imposition ayant bénéficié à France Télécom au titre de l’année 1994 – eut été accordé. Force est donc de conclure que, en principe, ni la République française ni France Télécom ne peuvent se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime du bénéficiaire de l’aide en cause pour faire échec à la décision de récupération, à moins de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles qui ont pu fonder la confiance légitime de France Télécom dans le caractère régulier de l’aide en cause.

265    La circonstance exceptionnelle invoquée en ce sens par la République française et par France Télécom consiste en l’examen de l’article 21 de la loi 90‑568 par la Commission, au terme de laquelle celle-ci a conclu, dans la décision relative à La Poste, que la réduction des bases d’imposition à hauteur de 85 % de leur valeur, applicable à La Poste – mais non à France Télécom – en vertu de l’article 21, point I 3, ne constituait pas une aide d’État. Les requérantes font observer que le régime particulier d’imposition a été institué par le même article et qu’il était également applicable à La Poste. Or, la Commission, à l’occasion de son examen, n’a pas estimé que ce régime constituait une aide d’État.

266    Premièrement, il convient de relever, à cet égard, que, de l’aveu même des requérantes, la Commission n’a nullement pris position sur le régime particulier d’imposition. Or, la possibilité de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime suppose que le bénéficiaire puisse faire état d’assurances précises émanant de l’administration (voir point 261 ci-dessus).

267    Deuxièmement, il ressort des termes mêmes de la décision relative à La Poste que les autres dispositions de l’article 21 de la loi 90‑568, notamment celles relatives à la taxe professionnelle et au régime particulier d’imposition, n’ont pas été examinées. Le silence gardé par la Commission sur le régime particulier d’imposition dans la décision relative à La Poste ne pouvait donc suffire à fonder la confiance légitime de La Poste, ni a fortiori de France Télécom, en ce que ce régime fiscal ne constituait pas une aide d’État (voir, en ce sens, arrêt Demesa et Territorio Histórico de Álava/Commission, point 255 supra, point 44).

268    Troisièmement, ainsi que le fait valoir la Commission en défense, l’appréciation figurant dans la décision relative à La Poste selon laquelle la réduction des bases en cause dans cette affaire ne constituait pas une aide d’État, a été infirmée par le Tribunal dans l’arrêt FFSA e.a./Commission, point 248 supra. Aux points 167 et 168 de cet arrêt, en effet, le Tribunal a jugé que les dispositions en cause de l’article 21 de la loi 90‑568 instituaient une aide d’État relevant du champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, bien que celle-ci soit compatible avec le marché commun en raison de la dérogation prévue à l’article 86, paragraphe 2, CE en faveur des entreprises publiques. Le pourvoi dont cet arrêt a fait l’objet a été rejeté par la Cour (ordonnance du 25 mars 1998, FFSA e.a./Commission, C‑174/97 P, Rec. p. I‑1303). Ainsi, à supposer même que la décision relative à La Poste ait pu conduire la République française et France Télécom à espérer que les mesures prévues à l’article 21 de la loi 90‑568 ne constituent pas des aides d’État, de telles espérances se sont avérées mal fondées et n’étaient donc pas au nombre de celles dont le principe de protection de la confiance légitime permet de garantir le respect.

269    Quatrièmement, en tout état de cause, à la date à laquelle la notification de l’aide en cause aurait dû intervenir – soit avant la date à laquelle la cotisation de taxe professionnelle mise à la charge de France Télécom au titre de l’année 1994 est devenue exigible –, il convient d’observer que la Commission n’avait pas encore adopté la décision relative à La Poste.

270    En conséquence, il convient de constater que la République française et France Télécom n’ont pas démontré l’existence de circonstances exceptionnelles leur permettant de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime.

271    Aucun des autres arguments des requérantes n’est de nature à remettre en cause cette appréciation.

272    En premier lieu, en effet, la République française renvoie au rapport C (2004) 434, du 9 février 2004, sur l’application des règles en matière d’aide d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises. À supposer que la requérante entende soutenir que ce rapport lie la Commission, il suffit de relever que celui-ci indique, en particulier, que « le fait d’autoriser une partie d’un régime ne préjuge en rien de la conformité aux règles du traité des autres aspects de ce même régime ». Ainsi, les termes mêmes de ce rapport excluent qu’il puisse être tiré argument de l’approbation de la mesure instituée à l’article 21, point I 3, de la loi 90‑568 pour conclure à l’autorisation des mesures instituées par l’ensemble des autres dispositions du même article.

273    En deuxième lieu, l’argument de la République française selon lequel les circonstances des présentes affaires sont proches de celles qui prévalaient dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Salzgitter/Commission, point 250 supra, ne saurait davantage être accueilli. Dans l’affaire en cause, en effet, le Tribunal a jugé que la circonstance que le bénéficiaire d’une aide ne puisse se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime, l’aide n’ayant pas été notifiée, ne privait pas celui-ci de la possibilité de se prévaloir de la violation du principe de sécurité juridique.

274    Or, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Salzgitter/Commission, point 250 supra, était caractérisée par des circonstances particulières, dont l’intervention d’une décision de ne pas soulever d’objections à l’encontre de la disposition sur la base de laquelle l’aide en question avait été accordée, le retrait partiel et implicite de cette décision, un changement d’analyse de la part de la Commission, une incertitude quant à la question de savoir si de nouvelles applications de la disposition en cause devaient faire l’objet de notifications et une inaction prolongée de la Commission alors que l’existence des aides en cause lui étaient parfaitement connues.

275    Par comparaison, dans les présentes affaires, les dispositions de la loi 90‑568 sur lesquelles se fondait le régime particulier d’imposition n’ont pas été notifiées à la Commission et n’ont, dès lors, pu faire l’objet d’une décision de ne pas soulever d’objections.

276    À cet égard, et en troisième lieu, l’argument des requérantes selon lequel la République française pouvait s’abstenir de notifier le régime particulier d’imposition, dès lors qu’il n’était pas évident que le législateur français avait l’intention d’accorder une aide d’État à France Télécom, ne peut être admis. En effet, d’une part, l’intention de l’État membre est sans incidence sur l’existence d’une aide d’État (voir point 198 ci-dessus). D’autre part, la notification d’une mesure susceptible de procurer un avantage à une entreprise est le moyen, prévu par le traité, qui permet aux États membres de s’assurer qu’ils n’octroient pas une aide d’État illégale et aux entreprises qu’elles ne bénéficient pas d’une telle aide. Or, dès lors que le régime particulier d’imposition constituait une modalité d’assujettissement à la taxe professionnelle dérogatoire au droit commun et relative à deux entreprises, il ne pouvait être exclu a priori qu’il s’agisse d’une aide d’État. Il est pourtant constant que le régime particulier d’imposition n’a pas été notifié à la Commission. À cet égard, il convient de rappeler que, en l’absence de circonstances exceptionnelles, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de sorte qu’elle est illégale en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt Demesa et Territorio Histórico de Álava/Commission, point 255 supra, point 45).

277    En quatrième lieu, ainsi que le fait valoir la Commission, les conditions auxquelles peut se voir reconnue la protection de la confiance légitime sont propres à chaque affaire. Ainsi, la circonstance que la Commission a reconnu que France Télécom pouvait se prévaloir de ce principe dans l’affaire ayant donné lieu à la décision 2006/621 est, à elle seule, dépourvue de pertinence par rapport à la question de savoir si l’entreprise peut bénéficier de cette protection en l’espèce.

278    En cinquième lieu, enfin, l’argument de la République française selon lequel la Commission n’avait pas de pratique décisionnelle établie en la matière est également voué au rejet. En effet, une telle absence de pratique, à la supposer établie, ne serait pas susceptible d’appuyer la thèse selon laquelle les requérantes pouvaient légitimement s’attendre à ce que le régime particulier d’imposition n’institue pas une aide d’État.

279    Il résulte de ce qui précède que les arguments des requérantes ne peuvent être accueillis et qu’il convient, en conséquence, d’écarter le quatrième moyen présenté par la République française ainsi que la première branche du quatrième moyen présenté par France Télécom.

7.     En ce qui concerne la possibilité d’ordonner la récupération d’une aide d’un montant indéterminé et le respect du principe de sécurité juridique

 Arguments des parties

280    France Télécom, dans la seconde branche de son quatrième moyen, soutient que la possibilité de déterminer exactement le montant d’une aide incompatible avec le marché commun est une condition de sa récupération et estime que le caractère hypothétique du montant à récupérer va à l’encontre du principe de sécurité juridique.

281    France Télécom indique que le principe de sécurité juridique ne saurait être limité aux conditions requises pour la naissance d’une confiance légitime chez le bénéficiaire de l’aide (arrêt Salzgitter/Commission, point 250 supra) et que ce principe exige que tout acte de l’administration produisant des effets juridiques soit clair et précis, afin que l’intéressé puisse connaître sans ambiguïté ses droits et obligations et prendre ses dispositions en conséquence (arrêt de la Cour du 1er octobre 1998, Langnese-Iglo/Commission, C‑279/95 P, Rec. p. I‑5609, point 78). Dès lors, conformément à ce principe, la Commission aurait été tenue de fournir à la République française des informations permettant de déterminer sans difficulté excessive le montant de l’aide à récupérer et, notamment, de fixer le paramètre permettant de mesurer l’ampleur des avantages anticoncurrentiels dont a bénéficié France Télécom (arrêts de la Cour du 12 juillet 1973, Commission/Allemagne, 70/72, Rec. p. 813 ; du 13 juillet 1988, France/Commission, 102/87, Rec. p. 4067, point 33, et du 12 octobre 2000, Espagne/Commission, C‑480/98, Rec. p. I‑8717, point 25).

282    Or, la Commission se serait bornée à définir une fourchette à caractère indicatif sans préciser les paramètres nécessaires pour le calcul du montant de l’aide à récupérer. Dès lors, la décision attaquée ne pourrait être considérée comme entraînant des effets juridiques clairs et précis, et ce en violation du principe de sécurité juridique.

283    De fait, il s’avérerait impossible de calculer exactement le montant de la différence entre les cotisations de taxe professionnelle mises à la charge de France Télécom au titre des années antérieures à 2003 et le montant des impositions que France Télécom aurait dû acquitter si elle avait été imposée dans les conditions du droit commun.

284    France Télécom, en effet, ne disposerait pas d’une comptabilité analytique permettant de répartir les bases d’imposition par commune, les premières données disponibles concernant l’année 2001, laquelle constitue, conformément à l’article 1467 A du code général des impôts, la période de référence pour l’établissement de l’imposition due au titre de l’année 2003 (voir point 21 ci-dessus). France Télécom disposerait d’environ 19 000 implantations, ayant connu des variations significatives entre 1991 et 2000, ce qui rendrait impossible toute répartition réelle des bases d’imposition pour les années antérieures à 2001.

285    De plus, l’impossibilité de répartir les bases d’imposition pour calculer le montant de l’impôt que France Télécom aurait normalement dû payer aurait pour conséquence qu’il est également impossible de déterminer les taux locaux réels applicables, lesquels ne seraient, en outre, plus disponibles. Ainsi, les montants communiqués à la Commission en mai 2003 auraient été obtenus, pour les années 1994 à 1999, à partir d’un taux moyen national d’imposition de France Télécom calculé par extrapolation linéaire à partir du taux moyen pondéré national.

286    Les données transmises en juillet 2004 présenteraient un caractère plus fiable, car elles seraient établies à partir du montant effectivement mis à la charge de France Télécom conformément au droit commun pour l’année 2003, mais elles reposeraient également, pour les années antérieures, sur une reconstitution fictive par extrapolation.

287    Dans ces conditions, les données transmises par la République française durant la procédure administrative ne pouvaient présenter qu’un caractère indicatif et fortement approximatif, ce dont la Commission aurait été dûment avertie. L’administration en aurait d’ailleurs tenu compte, ainsi qu’en témoigne le procès‑verbal de la réunion du collège des membres de la Commission au cours de laquelle la décision attaquée a été adoptée. Ainsi, il serait impossible de calculer le montant exact de l’avantage dont France Télécom est censée avoir bénéficié à partir des paramètres définis dans la décision attaquée. Or, dans les décisions 2003/216 et 2006/621, la Commission aurait déduit de l’impossibilité de calculer le montant des aides qu’elle avait identifiées qu’il n’était pas possible d’en ordonner la récupération.

288    La Commission soutient, à titre liminaire, qu’elle peut, en vertu d’une jurisprudence constante, se limiter à constater l’obligation de restitution des aides et laisser aux autorités nationales le soin de calculer le montant précis des aides à restituer.

289    La Commission fait valoir, ensuite, que l’absence de données comptables certaines ne fait pas obstacle à la récupération d’une aide, lorsque celle-ci peut être précisément identifiée. Or, dans la décision attaquée, l’aide en cause aurait été précisément définie comme l’écart d’imposition correspondant à la différence entre l’imposition à la taxe professionnelle qui aurait pesé sur France Télécom si elle avait été soumise au droit commun et l’imposition effectivement subie par cette entreprise, de 1994 à 2002. La quantification exacte de l’aide en cause serait sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, mais relèverait de la phase d’exécution de celle-ci, laquelle reposerait sur l’obligation de coopération loyale entre la Commission et les États membres prévue à l’article 10 CE.

290    À cet égard, en premier lieu, l’utilisation d’une méthode d’extrapolation à partir des données disponibles serait admissible. Cette méthode aurait d’ailleurs été utilisée par la République française durant la procédure administrative et elle aurait abouti aux deux séries de résultats retenues dans la décision attaquée pour fixer la fourchette indicative dans laquelle se situe le montant à récupérer.

291    Le caractère indicatif de ces montants aurait été dûment pris en considération par le collège des membres de la Commission [PV (2004) 1667 final, des 19 et 20 juillet 2004, point 20.1, p. 34] et, en conséquence, le terme « indicatif » aurait été ajouté au considérant 59 de la décision attaquée par un corrigendum adopté le 19 janvier 2005 [C (2005) 75 fin] et notifié le même jour à la République française.

292    En second lieu, l’impossibilité de la reconstitution des montants de l’imposition que France Télécom aurait dû supporter si elle avait été soumise au droit commun ne saurait sérieusement être alléguée.

293    Premièrement, les autorités françaises se seraient successivement fondées sur deux séries de données, soumises le 15 mai 2003 et le 29 janvier 2004, qu’elles présentaient comme suffisamment crédibles, pour tenter d’établir l’absence d’avantage pour France Télécom durant la période 1991-2002. Or, ce serait seulement lorsqu’elles auraient compris que la Commission s’apprêtait à refuser d’admettre l’argument tiré de la compensation entre le prélèvement forfaitaire mis à la charge de France Télécom au titre de la période allant de l’année 1991 à l’année 1993 et l’écart d’imposition résultant du régime particulier d’imposition pour les années 1994 à 2002 que la République française aurait, pour la première fois, soutenu que ses estimations n’étaient pas fiables.

294    Deuxièmement, seraient dépourvues de tout fondement les allégations selon lesquelles les informations nécessaires à la détermination du montant des cotisations de taxe professionnelle qui auraient normalement dû être mises à la charge de France Télécom au titre des années 1994 à 2002 ne seraient pas disponibles.

295    En effet, il serait invraisemblable que France Télécom ne puisse connaître avec une précision suffisante l’implantation géographique de ses actifs sur une période peu lointaine. Quant aux taux d’imposition votés les années en cause par les collectivités territoriales sur le territoire desquelles France Télécom possédait des établissements, il s’agirait de données publiques dont la disparition serait tout à fait inexplicable.

 Appréciation du Tribunal

296    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, en réponse aux questions qui lui ont été posées par le Tribunal, la République française a indiqué que, à la suite de l’arrêt Commission/France, point 94 supra, elle retirait le cinquième moyen de son recours, par lequel elle soutenait que l’impossibilité de calculer le montant exact de l’aide en cause s’opposait à l’exécution de l’obligation de récupération de celle-ci et qu’elle avait procédé à l’exécution provisoire de l’article 2 de la décision attaquée. Dans ces conditions, seuls les arguments présentés par France Télécom seront pris en considération.

297    En vertu d’une jurisprudence constante, la Commission n’est pas tenue d’indiquer, dans la décision ordonnant la récupération d’une aide illégale, le montant précis de l’aide à restituer. En effet, les exigences du droit communautaire en la matière se limitent à ce que, d’une part, la récupération des aides illégalement octroyées aboutisse au rétablissement de la situation antérieure et, d’autre part, cette restitution soit effectuée selon les modalités prévues par le droit national, sans que l’application des dispositions de ce dernier puisse porter atteinte à la portée et à l’efficacité du droit communautaire (voir arrêt Ladbroke Racing/Commission, point 185 supra, point 187, et la jurisprudence citée).

298    Il suffit donc que le calcul du montant de l’aide à récupérer puisse être effectué, au vu des indications figurant dans la décision, sans difficulté excessive (arrêt du 13 juillet 1988, France/Commission, point 282 supra, point 33).

299    La Commission peut ainsi se limiter à constater l’obligation de restitution de l’aide en question et laisser aux autorités nationales le soin de calculer le montant précis de l’aide à restituer, en particulier lorsque ce calcul nécessite la prise en considération de régimes d’imposition ou de sécurité sociale dont les modalités sont fixées par la législation nationale applicable (arrêts du 12 octobre 2000, Espagne/Commission, point 282 supra, point 26, et Ladbroke Racing/Commission, point 185 supra, point 188).

300    Néanmoins, la liberté reconnue à la Commission de s’abstenir d’indiquer le montant précis de l’aide à récupérer ne saurait permettre à l’institution de s’affranchir du respect du principe de sécurité juridique, lequel exige que tout acte de l’administration produisant des effets juridiques soit clair et précis, afin que les intéressés puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt Langnese-Iglo/Commission, point 282 supra, point 78).

301    En l’espèce, il convient de rappeler que la Commission a indiqué, au considérant 59 de la décision attaquée, que le montant de l’aide en cause devait se situer entre 798 millions et 1,14 milliard d’euros. Il s’ensuit que le montant de 798 millions d’euros doit être considéré comme constituant le montant minimal de l’aide à récupérer, conformément à l’article 2 de la décision attaquée. Le dispositif d’une décision en matière d’aides d’État est en effet indissociable de la motivation de celle-ci, de sorte qu’elle doit être interprétée, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption. Les montants constituant la fourchette dans laquelle le montant de l’aide en cause est compris ne revêtant pas un caractère indicatif, la décision attaquée comporte les indications appropriées permettant à la République française de déterminer elle-même, sans difficulté excessive, le montant définitif de l’aide à récupérer (voir, en ce sens, arrêt Commission/France, point 88 supra, points 31 à 40, et la jurisprudence citée).

302    En effet, d’une part, au considérant 42 de la décision attaquée, l’aide en cause a été précisément identifiée comme étant « la différence entre la taxe professionnelle effectivement payée par France Télécom et celle qui aurait été due en vertu du droit commun du 1er janvier 1994 au 1er janvier 2003 ».

303    D’autre part, aux considérants 54 à 60 de la décision attaquée, la Commission a présenté les estimations qui lui avaient été communiquées par la République française durant la procédure administrative et s’est fondée sur ces données pour établir le montant de l’aide en cause. Ce faisant, la Commission a, à bon droit, indiqué que des méthodes d’approximation du montant de l’aide en cause telles que celles utilisées en l’espèce étaient susceptibles d’être admises, à défaut pour l’État membre et pour l’entreprise de pouvoir procéder à un calcul exact de l’avantage dont France Télécom a bénéficié.

304    Ainsi, dès lors que le calcul du montant de l’aide à récupérer pouvait être effectué, au vu des indications figurant dans la décision attaquée, sans difficulté excessive, il était loisible à la Commission d’indiquer, aux considérants 59 et 60 de ladite décision, que le montant exact de l’aide à récupérer serait défini par les autorités françaises durant la phase d’exécution de cette même décision.

305    Il s’ensuit que France Télécom n’est pas fondée à soutenir que, en raison de l’impossibilité de calculer le montant de l’aide en cause, l’obligation de récupérer celle-ci méconnaît le principe de sécurité juridique. En conséquence, la seconde branche du quatrième moyen de France Télécom doit être écartée.

8.     En ce qui concerne l’application des règles de prescription

 Arguments des parties

306    Par leur troisième moyen, la République française et France Télécom rappellent que, aux termes de l’article 15 du règlement n° 659/1999, les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans et que le délai de prescription commence le jour où l’aide est accordée au bénéficiaire, à titre d’aide individuelle ou dans le cadre d’un régime d’aide.

307    Tant la République française que France Télécom contestent l’analyse de la Commission selon laquelle les aides en cause ont été accordées dans le cadre d’un régime d’aides et selon laquelle le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle la première aide a été effectivement versée à France Télécom, soit le 1er janvier 1994.

308    Elles estiment, au contraire, que, conformément au principe de sécurité juridique, le point de départ du délai est la date à laquelle un engagement juridique contraignant a institué la mesure en cause, à savoir le 2 juillet 1990, date à laquelle la loi 90‑568, dont l’article 21 a fixé de manière claire et précise les modalités particulières d’imposition applicables à France Télécom à partir de 1994, a été promulguée et est entrée en vigueur. En faveur de cette thèse, elles avancent six arguments.

309    Premièrement, la Commission estimerait que les États membres contreviennent à leur obligation de notification des aides nouvelles résultant de l’article 88, paragraphe 3, CE quand, indépendamment de tout versement, ils souscrivent un engagement juridique contraignant à l’égard d’une aide.

310    Deuxièmement, s’agissant également de la notification des aides nouvelles, la jurisprudence confirmerait la pratique de la Commission (arrêt du Tribunal du 14 janvier 2004, Fleuren Compost/Commission, T‑109/01, Rec. p. II‑127, point 74).

311    Troisièmement, le fait que la prétendue aide ait été accordée chaque année serait sans effet sur le calcul du délai de prescription, le règlement n° 659/1999 ne contenant aucune règle comparable à celle applicable aux infractions continues en matière de concurrence.

312    Quatrièmement, les dispositions fiscales de la loi 90‑568 ne constitueraient pas un régime d’aides au sens de la réglementation des aides d’État, dès lors que le dispositif ne concernait qu’une seule entreprise, qu’il a été mis en place par une seule mesure étatique qui n’a elle-même fait l’objet d’aucune modification avant son abrogation, qu’il n’a nécessité aucune mesure d’application ultérieure et qu’il n’avait pas pour but d’octroyer un avantage à l’entreprise.

313    Cinquièmement, l’article 15 du règlement n° 659/1999 fixerait le point de départ du délai de prescription à la date à laquelle l’aide a été « accordée » et non à celle à laquelle elle a été « versée », et ce quelle que soit la version linguistique (par exemple « concedido » en espagnol, « granted » en anglais, « gewährt » en allemand, « vienne concesso » en italien). Les termes de l’article 15, de plus, se distingueraient de ceux de l’article 14 du même règlement, lesquels font partir le calcul des intérêts à compter de la « mise à disposition » de l’aide. La prise en considération de la date à laquelle l’aide est accordée dans son principe serait, enfin, conforme à la pratique décisionnelle de la Commission [décision 2002/14/CE, du 12 juillet 2000, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France en faveur de Scott Paper SA/Kimberly-Clark (JO 2002, L 12, p. 1)], confirmée par la jurisprudence du Tribunal (arrêt Scott/Commission, point 255 supra).

314    Sixièmement, la thèse de la Commission selon laquelle l’aide doit être considérée comme accordée à la date à partir de laquelle elle peut être calculée serait source d’insécurité juridique, aucune date certaine ne pouvant être identifiée sur le fondement de cette théorie.

315    Or, les autorités françaises et France Télécom soutiennent que la première demande de renseignements émanant de la Commission est datée du 28 juin 2001, soit plus de dix ans après le 2 juillet 1990. La récupération de l’aide en cause étant prescrite, la décision attaquée devrait, pour ce motif, être annulée.

316    Dans sa réplique, la République française conteste la pertinence de la jurisprudence citée par la Commission dans le mémoire en défense ainsi que la pertinence de la question de savoir si l’aide en cause constituait une aide existante indépendamment de l’application de l’article 15 du règlement n° 659/1999. Les autorités françaises ajoutent que la théorie de la Commission selon laquelle il y a lieu de distinguer, dans le cas d’un régime d’aides, la date à laquelle est pris l’engagement juridique relatif à l’aide, d’une part, de la date à laquelle chaque aide peut être calculée, d’autre part, n’est pas étayée et ne ressort pas de l’article 15 du règlement n° 659/1999.

317    La Commission conteste ces allégations.

 Appréciation du Tribunal

318    Aux termes de l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans.

319    L’article 15, paragraphe 2, du même règlement dispose :

« Le délai de prescription commence le jour où l’aide illégale est accordée au bénéficiaire, à titre d’aide individuelle ou dans le cadre d’un régime d’aide. Toute mesure prise par la Commission ou un État membre, agissant à la demande de la Commission, à l’égard de l’aide illégale interrompt le délai de prescription. Chaque interruption fait courir de nouveau le délai. Le délai de prescription est suspendu aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure devant la Cour de justice des Communautés européennes. »

320    Il découle des dispositions précitées de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 que le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle l’aide dont la récupération est ordonnée par la Commission peut être considérée comme ayant été octroyée, c’est-à-dire, lorsque l’octroi de l’aide dépend de l’adoption d’actes juridiques contraignants, la date d’adoption de ces actes (arrêt Fleuren Compost/Commission, point 311 supra, point 74 ; voir également, en ce sens, arrêt Scott/Commission, point 255 supra, points 3 et 57).

321    En l’espèce, la République française et France Télécom estiment que l’acte juridique contraignant ayant accordé l’aide en cause est la loi 90‑568, laquelle porte la date du 2 juillet 1990. Le délai de prescription aurait donc expiré le 1er juillet 2000 et aucune mesure prise par la Commission ne serait venue interrompre ce délai, puisque la première demande d’information adressée à la République française date du 28 juin 2001.

322    Cependant, au considérant 42 de la décision attaquée, la Commission a défini l’avantage constitutif d’une aide d’État comme représentant « la différence entre la taxe professionnelle effectivement payée par France Télécom et celle qui aurait été due en vertu du droit commun du 1er janvier 1994 au 1er janvier 2003 ». La Commission n’a donc pas considéré que l’aide en cause était constituée par les dispositions fiscales particulières applicables à France Télécom, mais par l’écart d’imposition représentant la différence entre le montant des cotisations de taxe professionnelle que l’entreprise aurait dû acquitter si elle avait été soumise à l’impôt de droit commun et celui qui a été effectivement mis à sa charge en vertu des dispositions fiscales particulières auxquelles elle était assujettie (voir point 202 ci-dessus).

323    Or, il résulte de l’annualité de la taxe professionnelle (voir point 203 ci-dessus) que l’existence d’un avantage en faveur de France Télécom dépendait chaque année de la question de savoir si le régime particulier d’imposition aboutissait à mettre à la charge de France Télécom une cotisation de taxe professionnelle inférieure à celle à laquelle elle aurait été assujettie au titre du droit commun. Il convient de constater que cette question dépendait elle-même de circonstances extérieures au régime particulier d’imposition et, notamment, du niveau des taux d’imposition votés annuellement par les collectivités territoriales sur le territoire desquelles France Télécom possédait des établissements.

324    Pour cette raison, l’aide en cause ne peut pas être considérée comme ayant été accordée, au sens de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999, avant l’année 1994, puisque c’est alors qu’ont été adoptés les actes juridiques contraignants permettant, pour la première fois, de constater l’existence d’un écart d’imposition. À cet égard, la thèse des requérantes ne saurait être admise, puisqu’elle impliquerait, dans les cas dans lesquels un acte juridique instaure un régime particulier applicable dans le futur, que le délai de prescription commence à courir à une date à laquelle il est impossible de déterminer avec certitude si ce régime particulier institue un avantage susceptible de constituer une aide d’État.

325    Dès lors, le délai de prescription prévu à l’article 15 du règlement n° 659/1999 n’avait pas expiré à la date du 28 juin 2001, à laquelle une demande d’information a été adressée à la République française. Partant, le délai de prescription a recommencé à courir à cette même date et n’avait pas expiré le 2 août 2004, date d’adoption de la décision attaquée.

326    Il s’ensuit que le troisième moyen présenté par la République française et par France Télécom doit être écarté.

327    Il résulte de tout ce qui précède qu’aucun des moyens des requérantes ne peut être accueilli et que, par suite, leurs conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée doivent être rejetées.

 Sur les dépens

328    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République française et France Télécom ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les recours sont rejetés.

2)      La République française et France Télécom SA sont condamnées aux dépens.

Azizi

Cremona

Frimodt Nielsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 novembre 2009.

Table des matières


Cadre juridique

1.  Règles applicables aux aides d’État

2.  Règles relatives à l’adoption des décisions de la Commission

Faits à l’origine du litige

1.  Création de France Télécom

2.  Assujettissement de France Télécom à la taxe professionnelle

Régime général de la taxe professionnelle

Règles applicables à France Télécom

Principe de l’assujettissement aux impôts de droit commun

Prélèvement forfaitaire

Régime particulier d’imposition

3.  Procédure administrative

4.  Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

1.  Résumé des moyens d’annulation

2.  En ce qui concerne le respect des règles relatives à l’adoption des décisions de la Commission

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

3.  En ce qui concerne le respect des droits de la défense à l’égard de la République française

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

4.  En ce qui concerne le respect des droits procéduraux de France Télécom

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

5.  En ce qui concerne l’existence d’une aide d’État

Arguments des parties

Sur l’existence de justifications tenant à l’économie générale du système fiscal

Sur la nature du prélèvement forfaitaire

Sur le caractère indivisible du régime fiscal applicable à France Télécom durant la période 1991-2002

Sur la nécessité d’opérer une compensation

Appréciation du Tribunal

Sur l’existence d’un avantage

–  En ce qui concerne la possibilité d’examiner le régime particulier d’imposition indépendamment du prélèvement forfaitaire

–  En ce qui concerne la possibilité d’une compensation

–  En ce qui concerne l’existence d’un écart d’imposition

Sur la justification par la cohérence du système fiscal

6.  En ce qui concerne l’application du principe de protection de la confiance légitime

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

7.  En ce qui concerne la possibilité d’ordonner la récupération d’une aide d’un montant indéterminé et le respect du principe de sécurité juridique

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

8.  En ce qui concerne l’application des règles de prescription

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


** Langue de procédure : le français.