Language of document : ECLI:EU:C:2018:52

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 31 janvier 2018 (1)

Affaire C‑527/16

Salzburger Gebietskrankenkasse,

Bundesminister für Arbeit, Soziales und Konsumentenschutz

en présence de

Alpenrind GmbH,

Martin-Meat Szolgáltató és Kereskedelmi Kft,

Martimpex-Meat Kft,

Pensionsversicherungsanstalt,

Allgemeine Unfallversicherungsanstalt

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Travailleurs migrants – Sécurité sociale – Travailleurs détachés dans un État membre autre que celui de l’établissement de l’employeur – Règlement (CE) nº 987/2009 – Article 5, paragraphe 1, et article 19, paragraphe 2 – Document portable A1 – Effet contraignant – Décision rendue par la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale portant sur le retrait du document portable A1 – Effet rétroactif du document portable A1 – Délivrance du document portable A1 après l’assujettissement du travailleur au régime de sécurité sociale de l’État membre d’accueil – Règlement (CE) n° 883/2004 – Article 12, paragraphe 1 – Condition de non-remplacement des personnes détachées »






I.      Introduction

1.        La demande de décision préjudicielle présentée par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 883/2004 (2) ainsi que de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 19, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 987/2009 (3).

2.        Cette demande a été introduite dans le cadre d’un litige opposant la Salzburger Gebietskrankenkasse (caisse régionale de maladie du Land de Salzburg, Autriche, ci-après la « caisse de maladie de Salzbourg ») et le Bundesminister für Arbeit, Soziales und Konsumentenschutz (ministre fédéral du travail, des affaires sociales et de la protection des consommateurs, Autriche), d’une part, à une entreprise autrichienne, et d’autre part, à deux entreprises hongroises, au sujet de la détermination de la législation applicable en matière de sécurité sociale à l’égard des travailleurs détachés en Autriche.

3.        Les première et deuxième questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi invitent la Cour à préciser les effets attachés à un document portable A1 (4), délivré conformément à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 987/2009, pour attester la législation applicable à une personne en vertu d’une disposition du titre II du règlement n° 883/2004. À cet égard, la juridiction de renvoi demande, par sa première question, si le document portable A1 s’impose à une juridiction, au sens de l’article 267 TFUE, de l’État membre d’accueil. Dans l’affirmative, la juridiction de renvoi demande, par sa deuxième question, en substance, si le document portable A1 s’impose également lorsque la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après la « commission administrative ») (5) a rendu une décision portant sur le retrait de ce document, mais l’institution émettrice n’a pas procédé au retrait dudit document. La juridiction de renvoi s’interroge, en outre, sur l’effet contraignant du document portable A1, dans l’hypothèse où ce document a été délivré après l’assujettissement du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de l’État membre d’accueil et, le cas échéant, sur les éventuels effets rétroactifs dudit document.

4.        Par sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 en vertu duquel la personne qui est détachée par son employeur pour effectuer un travail dans un autre État membre demeure soumise, sous certaines conditions, à la législation en matière de sécurité sociale de l’État membre d’origine. À cet égard, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la condition énoncée à cette disposition exigeant que la personne détachée « ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée » (ci-après la « condition de non-remplacement ») est méconnue lorsque le remplacement se fait sous la forme d’un détachement effectué non pas par le même employeur mais par un autre employeur et s’il importe de savoir, dans ce contexte, si les deux employeurs ont leur siège dans le même État membre ou s’il existe, entre eux, des liens personnels et/ou organisationnels.

II.    Le droit de l’Union

A.      Le règlement n° 883/2004

5.        Figurant dans le titre II du règlement n° 883/2004, intitulé « Détermination de la législation applicable », l’article 11, intitulé « Règles générales », dispose à son paragraphe 1 et à son paragraphe 3, sous a) :

« 1. Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre.

[...]

3. Sous réserve des articles 12 à 16 :

a) la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ;

[...] »

6.        L’article 12, figurant dans le même titre du règlement n° 883/2004 et intitulé « Règles particulières », disposait, dans sa version initiale, à son paragraphe 1 :

« La personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne. »

7.        Au cours de la période litigieuse dans l’affaire au principal, à savoir la période du 1er février 2012 au 13 décembre 2013, l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 a été modifié par le règlement n° 465/2012 avec effet au 28 juin 2012 (6). En particulier, les termes « que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne », figurant dans la dernière partie de la disposition, ont été substitués par les termes « que cette personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée » (7).

8.        L’article 76, intitulé « Coopération », figurant au titre V du règlement n° 883/2004, intitulé « Dispositions diverses », dispose à son paragraphe 6 :

« En cas de difficultés d’interprétation ou d’application du présent règlement, susceptibles de mettre en cause les droits d’une personne couverte par celui-ci, l’institution de l’État membre compétent ou de l’État membre de résidence de l’intéressé contacte la ou les institutions du ou des États membres concernés. À défaut d’une solution dans un délai raisonnable, les autorités concernées peuvent saisir la commission administrative. »

B.      Le règlement n° 987/2009

9.        Figurant dans le titre I du règlement n° 987/2009, intitulé « Dispositions générales », l’article 5, intitulé « Valeur juridique des documents et pièces justificatives établis dans un autre État membre », dispose :

« 1. Les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application du règlement de base et du règlement d’application, ainsi que les pièces justificatives y afférentes, s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre où ils ont été établis.

2. En cas de doute sur la validité du document ou l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution de l’État membre qui reçoit le document demande à l’institution émettrice les éclaircissements nécessaires et, le cas échéant, le retrait dudit document. L’institution émettrice réexamine ce qui l’a amenée à établir le document et, au besoin, le retire.

3. En application du paragraphe 2, en cas de doute sur les informations fournies par les intéressés, sur le bien-fondé d’un document ou d’une pièce justificative, ou encore sur l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution du lieu de séjour ou de résidence procède, pour autant que cela soit possible, à la demande de l’institution compétente, à la vérification nécessaire desdites informations ou dudit document.

4. À défaut d’un accord entre les institutions concernées, les autorités compétentes peuvent saisir la commission administrative au plus tôt un mois après la date à laquelle l’institution qui a reçu le document a présenté sa demande. La commission administrative s’efforce de concilier les points de vue dans les six mois suivant sa saisine. »

10.      Figurant dans le titre II du règlement n° 987/2009, intitulé « Détermination de la législation applicable », l’article 19, intitulé « Information des personnes concernées et des employeurs », dispose à son paragraphe 2 :

« À la demande de la personne concernée ou de l’employeur, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en vertu d’une disposition du titre II du règlement de base atteste que cette législation est applicable et indique, le cas échéant, jusqu’à quelle date et à quelles conditions. »

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

11.      Alpenrind GmbH, établie en Autriche, est une société active dans le secteur du commerce du bétail et de la viande. Elle exploite depuis 1997 à Salzbourg un abattoir qu’elle loue.

12.      En 2007, Alpenrind (ou la société S GmbH à laquelle elle a succédé) a conclu avec la société Martin-Meat Szolgáltató és Kereskedelmi Kft (ci-après « Martin-Meat »), établie en Hongrie, un contrat aux termes duquel cette dernière s’engageait à réaliser des travaux de découpe de viande et d’emballage. Ces travaux étaient réalisés dans les locaux d’Alpenrind par des travailleurs détachés en Autriche (8). Martin-Meat a effectué ces travaux jusqu’au 31 janvier 2012.

13.      Le 24 janvier 2012, Alpenrind a conclu un contrat avec la société Martimpex-Meat Kft, établie en Hongrie, aux termes duquel cette dernière s’engageait à réaliser, entre le 1er février 2012 et le 31 janvier 2014, des travaux de découpe de viande et d’emballage. Ces travaux étaient réalisés dans les locaux d’Alpenrind par des travailleurs détachés en Autriche.

14.      À partir du 1er février 2014, Alpenrind a de nouveau chargé Martin-Meat de réaliser lesdits travaux de découpe de viande dans les locaux susmentionnés avec son personnel.

15.      Pour les plus de 250 travailleurs occupés par Martimpex-Meat durant la période litigieuse, à savoir du 1er février 2012 au 13 décembre 2013, l’institution hongroise compétente a délivré des documents portables A1 attestant l’application du régime hongrois de sécurité sociale à ces travailleurs, conformément aux articles 11 à 16 du règlement n° 883/2004 et à l’article 19 du règlement n° 987/2009. La juridiction de renvoi indique que ces documents ont été délivrés « pour partie à titre rétroactif et pour partie dans des cas où l’institution autrichienne de sécurité sociale avait déjà établi par une décision (non définitive) l’assujettissement du travailleur concerné à l’assurance obligatoire au titre de la législation autrichienne » (9). Chacun de ces documents indiquait Alpenrind comme employeur au lieu où une activité professionnelle était exercée.

16.      Par décision du 13 décembre 2013, la caisse de maladie de Salzbourg a établi l’assujettissement des travailleurs susmentionnés à l’assurance obligatoire en Autriche durant la période litigieuse conformément à la législation autrichienne en matière de sécurité sociale.

17.      Par jugement du 7 mars 2016, le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche) a annulé la décision de la caisse de maladie de Salzbourg, au motif que cette dernière n’était pas compétente. La juridiction de renvoi indique que ce jugement a été motivé notamment par le fait que « l’institution hongroise de sécurité sociale compétente a délivré, pour chacune des personnes assujetties à l’assurance obligatoire en Autriche, un document [portable] A1 établissant que cette personne est, à partir d’une date déterminée, occupée en Hongrie par [Martimpex-Meat] comme salarié assujetti à l’assurance obligatoire et est vraisemblablement détachée en Autriche auprès d’[Alpenrind] pour la durée de la période indiquée dans chaque formulaire, comprenant la période litigieuse. »

18.      La caisse de maladie de Salzbourg et le ministre fédéral du travail, des affaires sociales et de la protection des consommateurs ont formé un pourvoi en « Revision » contre ce jugement devant le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), en récusant un effet obligatoire absolu des documents portables A1. Selon ces parties, cet effet obligatoire repose sur le respect du principe de coopération loyale entre les États membres, consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE. Or, l’institution hongroise compétente aurait méconnu ce principe dans le cas d’espèce. À cet égard, le ministre fédéral du travail, des affaires sociales et de la protection des consommateurs a produit, dans la procédure en Révision, des documents dont il ressort que la commission administrative a conclu, les 20 et 21 juin 2016, que la Hongrie s’était déclarée à tort compétente pour les travailleurs concernés et que, partant, les documents portables A1 devaient être retirés.

19.      Par ses conclusions des 20 et 21 juin 2016, la commission administrative a approuvé, à l’unanimité des délégations qui n’étaient pas impliquées dans le différend, l’avis du comité de conciliation de la commission administrative (ci-après le « comité de conciliation ») du 9 mai 2016 sur un différend entre la République d’Autriche et la Hongrie (10). Il ressort dudit avis que la procédure devant la commission administrative avait pour origine un différend datant de plusieurs années entre la République d’Autriche et la Hongrie sur la détermination de la législation applicable aux travailleurs ayant été détachés en Autriche par Martin-Meat et par Martimpex-Meat dans le cadre des accords conclus par ces entreprises avec Alpenrind. Ce différend s’inscrit dans le contexte d’un débat plus général au sein de la commission administrative relative à l’interprétation de la condition de non-remplacement énoncée à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 (11).

20.      Par son avis du 9 mai 2016, le comité de conciliation a conclu en faveur de la position retenue par la République d’Autriche, en estimant, en substance, que la circonstance selon laquelle la personne est détachée par un employeur autre que celui du travailleur antérieurement détaché ne saurait exclure que la situation puisse être qualifiée de « remplacement » au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 (12). Sur cette base, le comité de conciliation a considéré que, dans le cas en question, les documents portables A1 délivrés à l’égard des travailleurs remplaçants avaient été émis à tort et devaient être retirés, en principe, à partir de la date à laquelle l’institution hongroise compétente avait été informée et avait reçu les preuves relatives à la situation dans l’État membre d’accueil. Reconnaissant toutefois que le retrait rétroactif des documents portables A1 causerait des difficultés administratives substantielles et aurait des effets défavorables pour les travailleurs concernés, le comité de conciliation a invoqué la possibilité que la République d’Autriche et la Hongrie négocient un accord sur ce sujet (13).

21.      Il est constant que les documents portables A1 délivrés à l’égard des travailleurs concernés n’ont pas été retirés ou annulés par l’institution hongroise compétente à la suite de la procédure devant la commission administrative. À cet égard, il ressort des observations présentées par les gouvernements hongrois et autrichien qu’il y a eu un dialogue entre les autorités des deux États membres concernant les modalités du retrait desdits documents, mais que ce dialogue est actuellement suspendu dans l’attente que la Cour statue sur la présente demande de décision préjudicielle.

22.      Par décision du 14 septembre 2016, parvenue à la Cour le 14 octobre 2016, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)       L’effet obligatoire des documents prévus à l’article 19, paragraphe 2, du [règlement n° 987/2009], défini par l’article 5 du même règlement, joue-t-il également dans une procédure devant une juridiction visée à l’article 267 TFUE ?

2)      Si la première question appelle une réponse affirmative :

a)      cet effet obligatoire joue-t-il également lorsqu’une procédure antérieure devant la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale n’a pas débouché sur un accord ni sur un retrait des documents litigieux ?

b)      cet effet obligatoire joue-t-il également lorsqu’un document “A1” n’a été délivré qu’après que l’État membre d’accueil a officiellement établi l’assujettissement à l’assurance obligatoire au titre de sa législation ? Dans ce cas, l’effet obligatoire joue-t-il également rétroactivement ?

3)      Si, dans certaines conditions, l’effet obligatoire de documents prévus à l’article 19, paragraphe 2, du [règlement n° 987/2009] est limité :

L’interdiction de remplacement énoncée à l’article 12, paragraphe 1, du [règlement n° 883/2004] est-elle méconnue lorsque le remplacement se fait sous la forme d’un détachement effectué non pas par le même employeur mais par un autre employeur ? Importe-t-il à cet égard de savoir :

a)      si cet employeur a son siège dans le même État membre que le premier employeur, ou

b)      si, entre le premier et le second employeur effectuant le détachement, il existe des liens personnels et/ou organisationnels ? »

23.      Des observations écrites ont été déposées par la caisse de maladie de Salzbourg, Alpenrind, Martin-Meat et Martimpex-Meat (14), par les gouvernements autrichien, belge, tchèque, allemand, irlandais, hongrois et polonais, ainsi que par la Commission européenne. Lors de l’audience qui s’est tenue le 28 septembre 2017, la caisse de maladie de Salzbourg, Alpenrind, Martin-Meat et Martimpex-Meat, les gouvernements autrichien, tchèque, irlandais, français, hongrois et polonais, ainsi que la Commission ont présenté des observations orales.

IV.    Analyse

A.      Sur la première question préjudicielle

24.      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009 doit être interprété en ce sens qu’un document portable A1 délivré par l’institution compétente d’un État membre, conformément à l’article 19, paragraphe 2, dudit règlement, attestant de l’affiliation du travailleur au régime de sécurité sociale de cet État membre, au titre d’une disposition du titre II du règlement n° 883/2004, s’impose à une juridiction, au sens de l’article 267 TFUE, d’un autre État membre (15).

25.      À l’instar de toutes les parties intéressées ayant soumis des observations à la Cour à ce sujet, à l’exception de la caisse de maladie de Salzbourg (16), je considère, pour les raisons suivantes, que cette question mérite une réponse positive (17).

26.      Il convient de constater, tout d’abord, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide, le certificat E 101 (le prédécesseur du document portable A1 (18)) s’impose dans l’ordre juridique interne de l’État membre dans lequel le travailleur salarié se rend pour effectuer un travail et, partant, lie les institutions de cet État membre. Il en découle qu’une juridiction de l’État membre d’accueil n’est pas habilitée à vérifier la validité d’un certificat E 101 au regard des éléments sur la base desquels il a été délivré (19).

27.      Ainsi que la Cour l’a constaté, le règlement n° 987/2009, actuellement en vigueur, a codifié la jurisprudence de la Cour, en consacrant, notamment, le caractère contraignant du certificat E 101 et la compétente exclusive de l’institution émettrice quant à l’appréciation de la validité dudit certificat (20). L’article 5, paragraphe 1, dudit règlement prévoit, en effet, que les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application des règlements nos 883/2004 et 987/2009, ainsi que les pièces justificatives y afférentes, s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre où ils ont été établis (21).

28.      Aucun élément ne permet, selon moi, de supposer qu’en procédant à cette codification, le législateur de l’Union a eu l’intention de limiter l’effet contraignant des documents visés à l’article 5 du règlement n° 987/2009 aux seules institutions de sécurité sociale des États membres et, partant, de s’écarter de la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle le certificat E 101 s’impose également aux juridictions nationales des autres États membres (22).

29.      Certes, l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009 ne fait pas mention des juridictions des autres États membres. Il convient toutefois de constater que ladite disposition est rédigée en des termes correspondant, dans une large mesure, à ceux utilisés par la Cour dans sa jurisprudence relative au certificat E 101. La Cour a ainsi constaté que le certificat E 101 s’impose à l’institution compétente de l’État membre dans lequel ce travailleur effectue un travailet qu’aussi longtemps que ledit certificat n’est pas retiré ou déclaré invalide, ladite institution doit tenir compte du fait que ce dernier est déjà soumis à la législation de sécurité sociale de l’État membre où est établie l’entreprise qui l’emploie et cette institution ne saurait, par conséquent, soumettre le travailleur en question à son propre régime de sécurité sociale (23). En outre, l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009 prévoit expressément que les documents visés par cette disposition s’imposent, aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre où ils ont été établis, ce qui corrobore la conclusion que cette disposition ne permet pas à un autre État membre de remettre en cause, par l’intermédiaire de ses juridictions, la validité desdits documents.

30.      Les travaux préparatoires afférents au règlement n° 987/2009 ne contiennent pas non plus d’indications d’une volonté de la part du législateur de l’Union de s’écarter de la jurisprudence de la Cour relative à l’effet contraignant du certificat E 101 à l’égard des juridictions nationales. Au contraire, il ressort de la proposition ayant conduit à l’adoption dudit règlement que celle-ci ne visait qu’à simplifier et à moderniser les dispositions du règlement n° 574/72 (24).

31.      De surcroît, il convient de constater qu’il ressort du considérant 12 du règlement n° 987/2009 que les mesures et procédures prévues par celui-ci « découlent de la jurisprudence de la [Cour], des décisions de la commission administrative ainsi que d’une expérience de plus de trente ans dans la coordination des régimes de sécurité sociale dans le cadre des libertés fondamentales consacrées par le traité » (25). Ce constat laisse à penser que, si le législateur de l’Union avait eu l’intention de s’écarter de la jurisprudence de la Cour relative à l’effet contraignant du certificat E 101, il l’aurait indiqué expressément.

32.      Enfin, s’agissant de l’article 6 du règlement n° 987/2009, auquel fait référence la juridiction de renvoi, il convient de constater que cette disposition prévoit l’application provisoire d’une législation en matière de sécurité sociale, lorsque les institutions ou les autorités de deux États membres ou plus ont des avis différents quant à la détermination de la législation applicable (26). Or, rien ne permet de considérer, selon moi, que le législateur de l’Union avait entendu limiter, au moyen de cette disposition, l’effet contraignant des documents visés à l’article 5 dudit règlement. À cet égard, il convient de constater qu’en vertu de son paragraphe 1, ledit article 6 s’applique « [s]auf disposition contraire du règlement [n° 987/2009] » (27).

33.      Sur la base de ce qui précède, il convient de considérer, selon moi, qu’en adoptant le règlement n° 987/2009 et, notamment, son article 5, paragraphe 1, le législateur de l’Union a simplement voulu codifier la jurisprudence de la Cour relative à l’effet contraignant du certificat E 101. Pour cette raison, j’estime que ladite jurisprudence est applicable, mutatis mutandis, aux documents portables A1.

34.      J’ajoute, en outre, qu’une interprétation de l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009 qui limiterait l’effet contraignant du document portable A1 aux seules institutions de sécurité sociale des États membres risquerait de priver d’effet utile cette disposition. Ainsi que la Cour l’a constaté à l’égard du certificat E 101, s’il était admis que l’institution nationale compétente puisse, en saisissant une juridiction de l’État membre d’accueil du travailleur concerné dont elle relève, faire déclarer invalide ledit certificat, le système fondé sur la coopération loyale entre les institutions compétentes des États membres risquerait d’être compromis (28).

35.      À cet égard, il convient de constater que, si l’ancien cadre réglementaire régi par les règlements nos 1408/71 et 574/72 ne comprenait pas une disposition correspondant à l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009, la Cour a cependant fondé sa jurisprudence relative à l’effet contraignant du certificat E 101, notamment, sur le respect du principe d’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale, énoncé à l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 (correspondant à l’actuel article 11, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 (29)) et du principe de sécurité juridique des personnes qui se déplacent à l’intérieur de l’Union, ainsi que sur les obligations découlant du principe de coopération loyale entre les États membres, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE (30). Ces considérations restent, à mon avis, entièrement valables dans le cadre des règlements nos 883/2004 et 987/2009.

36.      Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle que l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009 doit être interprété en ce sens qu’aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide, le document portable A1 délivré par l’institution compétente d’un État membre, conformément à l’article 19, paragraphe 2, dudit règlement, attestant de l’affiliation du travailleur au régime de sécurité sociale de cet État membre, au titre d’une disposition du titre II du règlement n° 883/2004, s’impose à une juridiction, au sens de l’article 267 TFUE, d’un autre État membre (31).

B.      Sur la deuxième question préjudicielle

37.      La deuxième question préjudicielle, qui n’est posée qu’en cas de réponse affirmative à la première question, se décline en deux branches visant deux hypothèses bien spécifiques. Par la première branche, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’effet contraignant du document portable A1 dans l’hypothèse où une procédure a été engagée devant la commission administrative [deuxième question préjudicielle, sous a)]. Par la seconde branche, cette juridiction demande si le document portable A1 revêt un effet contraignant dans l’hypothèse où il a été délivré après l’assujettissement du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de l’État membre d’accueil et, dans l’affirmative, si le document a, dans ce cas, un effet rétroactif [deuxième question préjudicielle, sous b)]. J’aborderai successivement ces deux hypothèses.

1.      Première hypothèse : la procédure engagée devant la commission administrative [deuxième question préjudicielle, sous a)]

38.      Par sa deuxième question préjudicielle, sous a), la juridiction de renvoi s’interroge sur l’effet contraignant du document portable A1, dans l’hypothèse où une procédure antérieure devant la commission administrative n’a pas débouché sur un accord ni sur un retrait des documents litigieux.

39.      Dans sa motivation, la juridiction de renvoi indique que cette question vise à déterminer si, « à tout le moins après une procédure devant la commission administrative qui n’a pas abouti à un accord (dans lequel les institutions des deux États membres considèrent désormais que le certificat est valide et exact) ni débouché sur le retrait du document litigieux (soit parce qu’elle n’a pas abouti à une recommandation à cette fin, soit parce que l’institution qui a émis le certificat n’a pas donné suite à cette recommandation), l’effet obligatoire du document n’est pas caduc et si l’on peut envisager une procédure pour établir l’assujettissement à l’assurance obligatoire ».

40.      Il ressort de la décision de renvoi et des observations soumises à la Cour que, dans le cas d’espèce, les États membres concernés ont saisi la commission administrative qui a rendu une décision portant sur le retrait des documents portables A1 en question. Il en ressort, en outre, que lesdits documents n’ont toutefois pas été retirés par l’institution compétente hongroise suivant la procédure devant cette commission (32).

41.      Dans ces conditions, je considère que la deuxième question préjudicielle, sous a), doit être comprise comme tendant à déterminer, en substance, si le document portable A1 s’impose également dans une situation telle que celle en cause au principal, où la commission administrative a rendu une décision portant sur le retrait de ce document, mais l’institution émettrice n’a pas procédé au retrait dudit document (33).

42.      La caisse de maladie de Salzbourg et les gouvernements autrichien, belge, tchèque (34) et français proposent, en substance, de répondre à cette question par la négative. À cet égard, ces parties et intéressés invoquent, notamment, la violation du principe de coopération loyale entre les États membres, consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, lorsque l’institution émettrice ne procède pas à l’annulation ou au retrait du document portable A1, conformément à une décision de la commission administrative. Les autres parties et intéressés ayant soumis des observations à la Cour soutiennent, en revanche, que la procédure devant la commission administrative ne saurait avoir d’incidence sur l’effet contraignant du document portable A1. Telle est également ma conviction, pour les raisons suivantes.

43.      Il convient de constater, tout d’abord, que la présente affaire se distingue de celle ayant donné lieu à l’arrêt A-Rosa Flussschiff (35), en ce que, en l’occurrence, les États membres concernés ont engagé la procédure devant la commission administrative qui a rendu une décision portant sur le retrait des documents portables A1 en question (36). À mon sens, cette différence ne saurait cependant affecter la conclusion qui ressort dudit arrêt, se fondant sur une jurisprudence constante de la Cour (37), selon laquelle le certificat E 101 (devenu le document portable A1) lie tant les institutions de sécurité sociale de l’État membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet État membre.

44.      En effet, je considère que l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009 selon laquelle le document portable A1 perd son effet contraignant dans une situation telle que celle en cause au principal, reviendrait, en réalité, à accorder aux décisions rendues par la commission administrative un caractère contraignant. À mon sens, un tel résultat est incompatible avec le cadre réglementaire actuel.

45.      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans l’arrêt Romano(38), la Cour a observé qu’il résultait, tant du droit primaire en matière de compétences conférées par le Conseil de l’Union européenne à la Commission pour l’exécution de règles que ce premier établit que du système juridictionnel mis en place par le traité [CEE] qu’un organe tel que la commission administrative ne peut être habilité par le Conseil à arrêter des « actes revêtant un caractère normatif ». Selon la Cour, une décision d’un tel organe, tout en étant susceptible de fournir une aide aux institutions chargées d’appliquer le droit de l’Union, n’est pas de nature à obliger ces dernières à suivre certaines méthodes ou à adopter certaines interprétations lorsqu’elles procèdent à l’application des règles de l’Union. La Cour en a conclu que la décision litigieuse adoptée par cette commission administrative « ne liait pas » la juridiction de renvoi (39).

46.      S’il est certes permis de se demander, à la suite des changements apportés au droit primaire, notamment par le traité de Lisbonne, si cette jurisprudence continue à s’appliquer, notamment en ce qui concerne la possibilité de conférer à un organe tel que la commission administrative la compétence d’arrêter des actes destinés à produire des effets juridiques (40), aucun élément ne permet de supposer que le législateur de l’Union ait effectivement eu l’intention d’accorder à la commission administrative une telle compétence.

47.      En effet, l’article 72 du règlement n° 883/2004, lequel énumère les tâches de la commission administrative, prévoit, à son point a), que ladite commission est chargée « de traiter toute question administrative ou d’interprétation découlant des dispositions [du règlement n° 883/2004] ou de celles du règlement [n° 987/2009] ou de tout accord ou arrangement conclu dans le cadre de ceux-ci, sans préjudice du droit des autorités, institutions et personnes intéressées de recourir aux procédures et aux juridictions prévues par les législations des États membres, par [le règlement n° 883/2004] et par le traité » (41).La Cour a jugé, concernant la disposition quasiment identique prévue à l’article 43 de l’ancien règlement n° 3 (42), que « l’autorité des décisions de [la commission administrative] est définie par le texte même dudit article 43 » et que « ce texte laisse intacts les pouvoirs des juridictions compétentes d’apprécier la validité et le contenu des dispositions [dudit règlement n° 3], à l’égard desquelles les décisions de [cette commission] ont seulement valeur d’avis » (43).

48.      En outre, s’agissant de l’introduction de la procédure devant la commission administrative, l’article 76, paragraphe 6, du règlement n° 883/2004 dispose qu’à défaut d’une solution dans un délai raisonnable, les autorités concernées peuvent saisir cette commission. L’article 5, paragraphe 4, du règlement n° 987/2009 précise encore que la commission administrative s’efforce de concilier les points de vue dans les six mois suivant sa saisine (44). Les termes « s’efforce de concilier », qui sont également utilisés à l’article 6, paragraphe 3, du règlement n° 987/2009 ainsi que dans la décision A1 de la commission administrative (45), indiquent clairement, à mes yeux, la nature non contraignante de la procédure devant cette commission (46).

49.      La jurisprudence de la Cour relative au certificat E 101 me semble également fondée sur la prémisse selon laquelle les décisions de la commission administrative sont dépourvues d’effet contraignant. Par cette jurisprudence, la Cour a identifié les options disponibles pour un État membre en cas de désaccord avec un ou plusieurs États membres quant à la législation applicable en matière de sécurité sociale dans un cas précis (47). Selon la Cour, il convient, dans un premier temps, de poursuivre la voie du dialogue avec l’institution émettrice du document concerné. Dans l’hypothèse où les institutions concernées ne parviendraient pas à se mettre d’accord, il leur est loisible, dans un deuxième temps, d’en appeler à la commission administrative. Enfin, si cette dernière ne parvient pas à concilier les points de vue des institutions compétentes, reste la possibilité pour l’État membre d’accueil, sans préjudice des éventuelles voies de recours de nature juridictionnelle existant dans l’État membre dont relève l’institution émettrice, d’engager une procédure en manquement devant la Cour, conformément à l’article 259 TFUE (48). En revanche, la Cour n’invoque pas, dans ce contexte, la possibilité d’introduire un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE à l’encontre de la décision de la commission administrative, ce qui aurait pourtant été logique, à mes yeux, si la Cour avait considéré que les décisions de cette commission revêtaient un effet contraignant (49).

50.      Sur la base de ce qui précède, je conclus qu’en l’état actuel du régime mis en place par les règlements nos 883/2004 et 987/2009, les décisions rendues par la commission administrative relatives à un différend entre deux ou plusieurs États membres en ce qui concerne la législation applicable dans un cas précis ne revêtent pas un effet contraignant. Il en découle, à mon sens, que la procédure devant la commission administrative n’est pas susceptible d’avoir une incidence sur l’effet contraignant du document portable A1.

51.      Je considère, en d’autres termes, que, même dans une situation telle que celle en cause au principal, où les États membres concernés ont saisi la commission administrative, conformément à l’article 76, paragraphe 6, du règlement n° 883/2004 et à l’article 5, paragraphe 4, du règlement n° 987/2009 (50), et où cette commission a rendu une décision portant sur le retrait du document portable A1, ce document s’impose aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide par l’institution émettrice.

52.      Selon moi, cela vaut indépendamment de la méconnaissance éventuelle des obligations découlant du principe de coopération loyale consacré par l’article 4, paragraphe 3, TUE par l’État membre dont relève l’institution émettrice, dans le cadre de la procédure devant la commission administrative. Si l’État membre d’accueil estime que le premier État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union, il lui est loisible de former un recours en manquement au titre de l’article 259 TFUE ou de solliciter de la Commission qu’elle agisse elle‑même contre l’État membre en cause (51).

53.      Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question préjudicielle, sous a), en ce sens que le document portable A1 s’impose également dans une situation telle que celle en cause au principal, où la commission administrative a rendu une décision portant sur le retrait de ce document, mais où l’institution émettrice n’a pas procédé au retrait dudit document.

2.      Seconde hypothèse : l’effet rétroactif du document portable A1 [deuxième question préjudicielle, sous b)]

54.      Par sa deuxième question préjudicielle, sous b), la juridiction de renvoi demande, en substance, si le document portable A1 s’impose également dans l’hypothèse où ce document a été délivré après l’assujettissement du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de l’État membre d’accueil et si, dans l’affirmative, ledit document revêt un effet rétroactif.

55.      Je constate, tout d’abord, que cette question n’a pas un caractère hypothétique, comme le suggère le gouvernement hongrois. Ce gouvernement fait valoir, notamment, qu’il n’a pas été démontré, dans le cas d’espèce, que l’institution compétente hongroise a émis des documents portables A1 rétroactivement, après que les autorités autrichiennes avaient établi l’assujettissement des travailleurs concernés au régime de sécurité sociale autrichien.

56.      Il convient de rappeler que, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale. La Cour n’est donc pas compétente pour trancher les faits au principal, cette tâche relevant de la compétence exclusive de la juridiction nationale (52). Or, dans sa décision de renvoi, la juridiction de renvoi indique que les documents portables A1 en question ont été délivrés pour partie à titre rétroactif et pour partie après l’assujettissement des travailleurs concernés au régime de sécurité sociale autrichien (53). Il s’ensuit qu’il y a lieu de répondre à la deuxième question préjudicielle, sous b).

57.      À l’instar d’Alpenrind, Martin-Meat et Martimpex-Meat, des gouvernements tchèque, irlandais, hongrois, polonais ainsi que de la Commission, et contrairement à la caisse de maladie de Salzbourg et aux gouvernements autrichien, belge, allemand (54) j’estime qu’il convient de répondre à cette question par l’affirmative. En effet, je considère, pour les motifs exposés ci-après, que le document portable A1 s’impose également dans l’hypothèse où ce document a été délivré après l’assujettissement du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de l’État membre d’accueil et que, dans un tel cas, ledit document peut revêtir un effet rétroactif.

58.      Ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le certificat E 101 peut produire des effets rétroactifs. La Cour a ainsi constaté qu’en délivrant un tel certificat, l’institution compétente se borne à déclarer que le travailleur concerné demeure soumis à la législation de l’État membre dont relève cette institution tout au long d’une période donnée au cours de laquelle il effectue un travail sur le territoire d’un autre État membre. Or, toujours selon la Cour, une telle déclaration, s’il est préférable qu’elle intervienne avant le début de la période concernée, peut aussi être effectuée au cours de cette période, voire après son expiration. Rien ne s’oppose, dans ces conditions, à ce que le certificat E 101 produise, le cas échéant, des effets rétroactifs (55).

59.      Cette jurisprudence est, à mon sens, applicable, mutatis mutandis, au nouveau cadre réglementaire (56). Il convient, dans ce contexte, de constater que l’article 15 du règlement n° 987/2009, lequel vise la procédure pour l’application, notamment, de l’article 12 du règlement n° 883/2004, dispose expressément, à son paragraphe 1, que, « lorsqu’une personne exerce son activité dans un État membre autre que l’État membre compétent conformément au titre II du [règlement n° 883/2004], l’employeur ou, si la personne n’exerce pas une activité salariée, la personne concernée en informe, préalablement lorsque c’est possible, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable. Cette institution remet à la personne concernée l’attestation visée à l’article 19, paragraphe 2, du [règlement n° 987/2009] et met sans délai à la disposition de l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre où l’activité est exercée des informations sur la législation applicable à ladite personne, conformément à [...] l’article 12 du [règlement n° 883/2004] » (57).

60.      La juridiction de renvoi soulève cependant la question de savoir si le document portable A1 a un effet contraignant également dans l’hypothèse où ce document n’est délivré qu’après l’établissement de l’assujettissement du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de l’État membre d’accueil. En effet, selon cette juridiction, on pourrait considérer que les actes qui établissent un tel assujettissement constituent également des « documents » visés à l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009, ce qui impliquerait que ces actes produisent également des effets contraignants à l’égard des autorités des autres États membres.

61.      Un tel raisonnement n’emporte pas ma conviction.

62.      Premièrement, je considère qu’une telle interprétation n’est pas conforme au texte du règlement n° 987/2009. Pour rappel, l’article 5, paragraphe 1, dudit règlement vise les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application des règlements nos 883/2004 et 987/2009, ainsi que les pièces justificatives (58). Or, une décision portant sur l’assujettissement d’une personne au régime de sécurité sociale d’un État membre n’« atteste » pas de la situation de cette personne au sens de l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009, mais vise, à mon sens, plutôt à établir la situation juridique de cette personne. En outre, aux termes de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 987/2009, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en vertu d’une disposition du titre II du règlement n° 883/2004 atteste que cette législation est applicable, à la demande de la personne concernée ou de l’employeur (59). Une décision établissant l’assujettissement d’une personne au régime de sécurité sociale d’un État membre n’est cependant pas délivrée « à la demande de la personne concernée ou de l’employeur », au sens de cette dernière disposition, mais plutôt à l’initiative des autorités concernées.

63.      Deuxièmement, comme je l’ai déjà exposé dans les présentes conclusions, il convient de considérer qu’en adoptant l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009, le législateur de l’Union a eu l’intention de codifier la jurisprudence de la Cour relative à l’effet contraignant du certificat E 101 (60). Or, cette jurisprudence vise uniquement le certificat E 101 (devenu le document portable A1), et non pas d’autres types de documents (61). En outre, il me semble, dans ce contexte, que l’arrêt Banks e.a.portait sur une situation correspondant à celle en cause au principal, dans laquelle les certificats E 101 concernés avaient été délivrés, au moins pour partie, après l’assujettissement des travailleurs concernés au régime de sécurité sociale de l’État membre d’accueil (62). Cette circonstance n’a cependant pas affecté l’appréciation de la Cour selon laquelle lesdits certificats avaient un effet contraignant.

64.       Troisièmement, j’estime que l’interprétation selon laquelle une décision établissant l’assujettissement d’une personne au régime de sécurité sociale d’un État membre peut être qualifiée de « document » visé à l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009 serait susceptible de produire des résultats inappropriés, voire arbitraires. En effet, ainsi que l’affirme le gouvernement polonais, une telle approche pourrait susciter une course contre la montre entre les autorités des États membres par laquelle chacune viserait à émettre en premier lieu une décision d’assujettissement à son propre régime de sécurité sociale, ce qui risquerait de compromettre la sécurité juridique des personnes concernées (63). En effet, chaque État membre aurait, dans un tel scénario, un intérêt financier à être le premier.

65.      Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question préjudicielle, sous b), en ce sens que le document portable A1 s’impose également dans l’hypothèse où ce document a été délivré après l’assujettissement du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de l’État membre d’accueil et que, dans un tel cas, ledit document peut revêtir un effet rétroactif.

66.      J’ajoute, à cet égard, que la question de savoir si, par la délivrance du document portable A1 après l’assujettissement du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de l’État membre d’accueil, l’institution émettrice a éventuellement méconnu son devoir de coopération loyale, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE, ou si les autorités concernées auraient dû, dans une telle situation, recourir à l’article 6 du règlement n° 987/2009, est sans incidence sur l’effet contraignant que produit ledit document (64). Pour rappel, si un État membre estime qu’un autre État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union, il lui est loisible de former un recours en manquement au titre de l’article 259 TFUE (65).

C.      Sur la troisième question préjudicielle

1.      Sur l’objet de la question et les interprétations proposées

67.      La troisième question préjudicielle porte sur l’interprétation de la condition de non-remplacement, énoncée à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 (66). La juridiction de renvoi indique que cette question n’est posée que dans l’hypothèse où, dans certaines conditions, le document portable A1 n’aurait qu’un effet contraignant limité. Eu égard à la réponse que je propose d’apporter aux première et deuxième questions préjudicielles, il n’est donc pas nécessaire, en principe, de fournir une réponse à la troisième question préjudicielle.

68.      Néanmoins, à toutes fins utiles, et eu égard au fait que la troisième question préjudicielle se trouve au cœur du différend entre la République d’Autriche et la Hongrie qui constitue la toile de fond du litige au principal (67), j’exposerai ci-après des observations sur cette question.

69.      En vertu de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, « [l]a personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne » (68). Au cours de la période litigieuse dans l’affaire en question, les termes « que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne » ont été substitués par les termes « que cette personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée » (69).

70.      La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la portée de cette condition de non-remplacement et, notamment, sur la question de savoir si celle-ci est méconnue dans une situation, telle que celle en cause au principal, où le remplacement se fait sous la forme d’un détachement effectué non pas par le même employeur mais par un autre employeur. À cet égard, cette juridiction indique qu’alors que les personnes détachées par Martimpex-Meat pendant la période litigieuse ne remplaçaient effectivement aucun travailleur de ladite société, elles ont probablement remplacé des travailleurs de Martin-Meat (70). La juridiction de renvoi demande, en outre, s’il importe de savoir, à cet égard, si les deux employeurs ont leur siège dans le même État membre [troisième question préjudicielle, sous a)] ou s’il existe, entre lesdits employeurs, des liens personnels et/ou organisationnels [troisième question préjudicielle, sous b)].

71.      Deux thèses sont défendues devant la Cour quant à l’interprétation de la condition de non-remplacement énoncée à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004.

72.      Selon une première approche, correspondant à la position défendue par la caisse de maladie de Salzbourg, les gouvernements autrichien, belge, tchèque, allemand et français, ainsi que par la Commission, la condition de non-remplacement s’oppose à tout remplacement des travailleurs détachés, sans qu’il importe de savoir si les détachements sont effectués par le même employeur ou par des employeurs différents. Il en découlerait que cette condition n’est pas remplie lorsque l’employeur B procède au détachement d’un travailleur dans un autre État membre en vue d’effectuer un travail qui était effectué auparavant par un travailleur détaché par l’employeur A, et ce sans qu’il importe de savoir si les deux employeurs ont leur siège dans le même État membre ou s’il existe, entre eux, des liens personnels et/ou organisationnels. Cette interprétation large de la condition de non-remplacement correspond, mutatis mutandis, à celle exposée dans le guide pratique de la commission administrative (71).

73.      Selon une seconde approche, correspondant à la position défendue par Alpenrind et par les gouvernements hongrois et polonais, il convient de retenir une interprétation plus étroite de la condition de non-remplacement. En effet, cette condition ne serait pas méconnue lorsqu’il est question de détachements effectués par des employeurs différents, sans qu’il importe de savoir, à cet égard, si les employeurs concernés ont leur siège dans le même État membre (72).

74.      Les deux approches se fondent sur des perspectives bien différentes. Selon la première approche, la condition de non-remplacement doit être considérée non seulement du point de vue de l’État membre d’origine, mais également de celui de l’État membre d’accueil. Cette condition s’opposerait donc à ce que certaines tâches ou fonctions dans l’État membre d’accueil soient effectuées, de manière continue, par des travailleurs détachés qui ne sont pas soumis au régime de sécurité sociale de cet État membre.

75.      Cette approche implique en pratique, d’une part, que l’employeur B est empêché de se prévaloir du régime prévu à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, en détachant ses travailleurs dans un autre État membre en vue de fournir un service, si l’employeur A faisait auparavant usage de ce régime en vue de fournir le même service dans cet État membre. D’autre part, le destinataire du service dans l’État membre d’accueil (à savoir, en l’espèce, Alpenrind) est empêché, selon cette approche, d’avoir recours à des contrats successifs et distincts avec différentes entreprises portant sur la réalisation des mêmes travaux par des travailleurs détachés qui ne sont pas soumis au régime de sécurité sociale de l’État membre d’accueil.

76.      La seconde approche se fonde, en revanche, sur la perspective de l’État membre d’origine et de l’employeur détachant les travailleurs. Selon cette approche, il importe uniquement de savoir si, du point de vue dudit employeur, il y a ou non un remplacement des travailleurs détachés.

77.      Il convient de constater, tout d’abord, que la juridiction de renvoi n’a fourni aucune indication en ce sens que les faits dont elle est saisie dans le litige au principal pourraient constituer une fraude ou un abus de droit (73). Je pars donc de la prémisse selon laquelle la troisième question préjudicielle ne vise pas les cas particuliers de fraude ou d’abus.

78.      Ensuite, il convient de constater que la décision de renvoi ne contient aucune indication en ce sens qu’il existerait, dans le cas d’espèce, des liens personnels et/ou organisationnels entre les employeurs concernés, à savoir Martin-Meat et Martimpex-Meat, ni, le cas échéant, sur la nature de tels liens(74). Par la troisième question préjudicielle, sous b), la juridiction de renvoi s’interroge néanmoins sur l’importance de l’existence de tels liens entre les employeurs concernés, pour l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 (75).

79.      Dans l’analyse qui suit, j’examinerai, en premier lieu, la question de savoir si, dans l’hypothèse où il n’existe pas de liens personnels et/ou organisationnels entre les employeurs concernés, la condition de non-remplacement, énoncée à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, s’oppose à ce qu’un employeur procède au détachement d’un travailleur dans un autre État membre en vue d’effectuer un travail qui était auparavant réalisé par un travailleur détaché par un autre employeur (section 2).

80.      J’indique, dès à présent, qu’à mes yeux cette question appelle une réponse négative. En effet, je considère, pour les motifs exposés ci-après, que l’interprétation large de la condition de non-remplacement est infondée et que rien n’empêche l’employeur B de procéder à un détachement, conformément à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, lorsque l’employeur A avait auparavant procédé à un tel détachement.

81.      En second lieu, j’examinerai les branches a) et b) de la troisième question préjudicielle, par lesquelles la juridiction de renvoi demande, en substance, si les circonstances selon lesquelles, d’une part, les employeurs ont leur siège dans le même État membre et, d’autre part, il existe entre eux des liens personnels et/ou organisationnels, sont susceptibles de modifier la réponse qu’il convient d’apporter à la troisième question préjudicielle. À cet égard, j’expliquerai, premièrement, les raisons pour lesquelles je considère que le lieu du siège de chacun des employeurs concernés n’a pas de pertinence aux fins de la condition de non-remplacement (section 3). Secondement, je traiterai brièvement le cas dans lequel il existe, entre les employeurs concernés, des liens personnels et/ou organisationnels (section 4).

2.      Sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004

a)      Sur le régime prévu à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004

82.      Les dispositions du titre II du règlement n° 883/2004, dont fait partie l’article 12, paragraphe 1, constituent un système complet et uniforme de règles de conflit des loisdont le but est de soumettre les travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de l’Union au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités (76).

83.      L’article 11, paragraphe 3, sous a), du règlement n° 883/2004 énonce la règle générale de rattachement selon laquelle la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre (lex loci laboris) (77). En vertu de l’article 12, paragraphe 1, dudit règlement, une personne détachée par son employeur dans un autre État membre demeure, toutefois, soumise à la législation de l’État membre d’origine. En d’autres termes, l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 prévoit la possibilité pour l’employeur, sous certaines conditions, de procéder au détachement de ses travailleurs dans un autre État membre sans devoir soumettre ces travailleurs au régime de sécurité sociale de ce dernier État membre.

84.      Ledit article 12, paragraphe 1,a notamment pour objet de promouvoir la libre prestation des services au bénéfice des entreprises qui en font usage en envoyant des travailleurs dans d’autres États membres que celui dans lequel elles sont établies. En effet, il vise à surmonter les obstacles susceptibles d’entraver la libre circulation des travailleurs et également à favoriser l’interpénétration économique en évitant les complications administratives, en particulier pour les travailleurs et les entreprises (78).

85.      Il convient de préciser que, contrairement à ce que suggèrent la caisse de maladie de Salzbourg, les gouvernements autrichien, belge, tchèque, allemand et français, ainsi que la Commission, l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 ne saurait être qualifié d’« exception ». En effet, ainsi qu’il ressort expressément de son intitulé, il constitue une règle particulière qui vise une situation spécifique justifiant un autre critère de rattachement (79). Dans ce contexte, la Cour a constaté, quant à l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 (le prédécesseur de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004), que, « dans certaines situations particulières, l’application pure et simple de la règle générale visée à l’article 13, paragraphe 2, sous a) [actuel article 11, paragraphe 3, sous a), du règlement n° 883/2004], [du règlement no 1408/71] risquerait non pas d’éviter mais, au contraire, de créer, tant pour le travailleur que pour l’employeur et les organismes de sécurité sociale, des complications administratives dont l’effet pourrait être d’entraver l’exercice de la libre circulation des personnes couvertes par ledit règlement [...]. Des règles spécifiques à de telles situations sont prévues, notamment, à l’article 14 du règlement no 1408/71 [actuel article 12 du règlement n° 883/2004] » (80).

86.      Dans ces conditions, je considère qu’il n’existe aucune raison d’apporter à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, une interprétation particulièrement restrictive.

b)      Sur la condition de non-remplacement énoncée à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004

87.      En vertu de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, la personne détachée demeure soumise au régime de sécurité sociale de l’État membre d’origine, à condition, notamment, qu’elle « ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée ».

88.      Cette condition de non-remplacement ne figurait pas dans la version initiale de l’article 13, alinéa a), du règlement n° 3 (le prédécesseur de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004), mais a été insérée dans le texte de ladite disposition par le règlement n° 24/64/CEE (81). Il ressort du premier considérant de ce dernier règlement que « l’application de l’article 13, alinéa a) du [règlement n° 3] a donné lieu à certains abus et qu’il convient de réviser cette disposition pour enrayer ces abus tout en maintenant la possibilité pour les travailleurs détachés de rester soumis à la législation du pays d’emploi habituel ».

89.      Selon la lecture que je fais de la genèse de la condition de non-remplacement, le législateur de l’Union visait, par cette condition, à combler une lacune manifeste identifiée dans le règlement n° 3, consistant dans le fait que certains employeurs contournaient la condition relative à la durée du détachement (82), en faisant les rotations nécessaires de leur personnel détaché pour que ce personnel puisse rester assujetti à la législation de l’État membre d’origine où les charges sociales étaient moins élevées que dans l’État membre d’accueil (83). La condition de non-remplacement a subséquemment été maintenue, sans modifications substantielles, dans l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 et, ensuite, dans l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 (84).

90.      La question qui se pose dans la présente affaire est celle de savoir si, par l’introduction de la condition de non-remplacement, le législateur de l’Union a également cherché à prévenir d’autres situations que celle dans laquelle un même employeur procède à des rotations de son personnel détaché en vue de contourner la condition relative à la durée du détachement, et, notamment, s’il a voulu interdire des détachements successifs effectués par des employeurs différents.

91.      À mon avis, tel n’est pas le cas.

92.      Premièrement, je ne vois aucun élément ni dans le texte des règlements nos 3, 1408/71 et 883/2004 ni dans les travaux préparatoires y afférents, témoignant d’une telle volonté de la part du législateur.

93.      Si le libellé de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, en vertu duquel la personne détachée ne saurait être « envoyée en remplacement d’une autre personne détachée », n’est pas concluant, je considère néanmoins qu’il milite en faveur de l’interprétation selon laquelle la condition de non-remplacement n’a pas pour objet d’éviter des détachements successifs effectués par des employeurs différents. En effet, dans leur sens littéral, les termes « envoyée en remplacement » qui figurent dans l’ensemble des versions linguistiques de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, à l’exception de la version en langue allemande, impliquent, à mon sens, que le travailleur est détaché par l’employeur en vue de remplacer un autre travailleur détaché (85).

94.      Or, sauf en cas d’abus, le détachement effectué par l’employeur B n’a pas pour objet le remplacement d’un travailleur détaché par l’employeur A. Il vise plutôt la fourniture d’un service dans l’État membre d’accueil. J’ajoute, à cet égard, qu’il n’est même pas certain que l’employeur B ait connaissance du détachement précédent effectué par l’employeur A (86).

95.      En outre, les termes « envoyée en remplacement » corroborent, à mon sens, la thèse selon laquelle la condition de non-remplacement doit être considérée uniquement du point de vue de l’employeur détachant le travailleur. Pour rappel, l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 prévoit les conditions dans lesquelles cet employeur peut procéder à un détachement de ses travailleurs sans devoir les soumettre au régime de sécurité sociale de cet État membre (87). À cet égard, cette disposition énonce la condition selon laquelle la personne détachée ne saurait être envoyée (par ledit employeur) en remplacement d’une autre personne détachée. Du point de vue rédactionnel, la condition de non-remplacement part ainsi de la perspective de l’employeur détachant le travailleur.

96.      Je considère donc qu’il n’y a pas de « remplacement » au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, lorsque l’employeur B procède au détachement d’un travailleur en vue d’effectuer un travail qui était auparavant réalisé par un travailleur détaché par l’employeur A. En d’autres termes, j’estime que rien n’empêche l’employeur B de procéder à un tel détachement. Il en résulte également que le destinataire du service dans l’État membre d’accueil n’est pas empêché d’avoir recours à des contrats successifs et distincts avec différentes entreprises portant sur la réalisation des mêmes travaux par des travailleurs détachés qui ne sont pas soumis au régime de sécurité sociale de l’État membre d’accueil.

97.      J’ajoute, à cet égard, que l’interprétation contraire aurait pour conséquence que l’employeur B serait placé dans une situation moins favorable que celle de l’employeur A, du seul fait que ce dernier a été le premier à faire usage de la possibilité que prévoit l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 (principe du « premier arrivé, premier servi »). Or, rien ne permet de supposer, selon moi, que le législateur de l’Union ait voulu un tel résultat. Une telle interprétation aboutirait donc, à mes yeux, à introduire dans ladite disposition une nouvelle condition qui ne ressort pas de son libellé, ce qui serait, à mon sens, contraire au principe de sécurité juridique des intéressés (88).

98.      Dans ce contexte, il convient de considérer qu’en adoptant le règlement n° 883/2004, le législateur de l’Union connaissait parfaitement la problématique relative au remplacement des travailleurs détachés et qu’il était également conscient des avantages économiques potentiels que comporte l’article 12, paragraphe 1, dudit règlement pour l’employeur et, accessoirement, pour son cocontractant dans l’État membre d’accueil. S’il avait voulu prévenir des détachements successifs effectués par des employeurs différents, il l’aurait sans doute fait en des termes beaucoup plus clairs.

99.      Deuxièmement, s’agissant de l’objectif visant à éviter des abus, je considère que rien ne permet de supposer, de manière générale, qu’il est question d’un abus lorsque l’employeur B procède à un détachement de ses travailleurs, conformément à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, en vue d’effectuer des travaux qui étaient auparavant réalisés par des travailleurs détachés par l’employeur A. Je rappelle d’ailleurs que, dans un tel cas, l’employeur B n’a pas nécessairement connaissance du détachement précédent effectué par l’employeur A (89).

100. Troisièmement, je considère que l’interprétation large de la condition de non-remplacement selon laquelle celle-ci couvrirait également les détachements successifs effectués par des employeurs différents, est susceptible de compromettre les objectifs que poursuit l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004. Pour rappel, cette disposition vise, notamment, à promouvoir la libre prestation des services et la libre circulation des travailleurs ainsi qu’à favoriser l’interpénétration économique, en évitant les complications administratives, en particulier pour les travailleurs et les entreprises (90).

101. L’interprétation large de la condition de non-remplacement impliquerait, en pratique, que l’employeur serait potentiellement dans l’incertitude, au moment du détachement, quant à la question de savoir si la situation du travailleur détaché relève ou non de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 et, partant, si ledit travailleur est soumis, lors de son détachement, au régime de sécurité sociale de l’État membre d’origine ou de celui de l’État membre d’accueil. En effet, l’employeur B peut légitimement considérer que les conditions prévues à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 sont remplies. Or, s’il s’avère par la suite qu’un travailleur détaché par l’employeur A effectuait auparavant le travail concerné dans l’État membre d’accueil, l’employeur B doit, selon ladite interprétation, accepter que le travailleur qu’il détache soit soumis au régime de l’État membre d’accueil. Il en irait ainsi nonobstant l’éventuelle délivrance d’un document portable A1 par l’institution compétente de l’État membre d’origine, attestant de l’affiliation dudit travailleur au régime de sécurité sociale de cet État membre (91).

102. Un tel développement serait susceptible de modifier considérablement les conditions économiques dans lesquelles l’employeur B fournit ses services dans l’État membre d’accueil (92) et entraînerait, en outre, des complications administratives pour l’employeur B et le travailleur concerné relatives, notamment, à l’assujettissement dudit travailleur au régime de l’État membre d’accueil, à la réclamation des cotisations déjà acquittées dans l’État membre d’origine et au retrait du document portable A1 par l’institution émettrice. Je considère que l’existence d’une telle incertitude pour l’employeur B n’est pas conforme au principe de sécurité juridique et qu’elle est susceptible d’entraver la libre prestation de services et la libre circulation des travailleurs dans l’Union, contrairement à l’objectif que poursuit l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004.

103. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la troisième question préjudicielle en ce sens que la condition de non-remplacement, énoncée à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, ne s’oppose pas à ce qu’un employeur procède au détachement d’un travailleur en vue d’effectuer un travail qui était auparavant réalisé par un travailleur détaché par un autre employeur.

104. Pour être complet, je tiens à souligner que l’interprétation que je préconise, quant à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, diffère de celle retenue par la commission administrative (93). À cet égard, il suffit de constater que le législateur de l’Union demeure libre de procéder à une modification dudit règlement, s’il souhaite étendre la condition de non-remplacement, prévue à cette disposition, à des détachements successifs effectués par des employeurs différents. Dans le cadre juridique existant, je ne vois cependant aucun fondement pour opter pour un tel résultat.

3.      Sur l’hypothèse selon laquelle les employeurs ont leur siège dans le même État membre [troisième question préjudicielle sous a)]

105. Par la troisième question préjudicielle, sous a), la juridiction de renvoi demande, en substance, si la circonstance selon laquelle les employeurs concernés ont leur siège dans le même État membre est susceptible de modifier la réponse qu’il convient d’apporter à la troisième question préjudicielle.

106. Il ne fait pas de doute, pour moi, que cette question mérite une réponse négative.

107. En effet, l’analyse qui précède n’a révélé aucun élément justifiant d’opérer une distinction en fonction du lieu du siège de chacun des employeurs concernés. Je considère donc que la condition de non-remplacement, énoncée à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, ne s’oppose pas à ce que l’employeur procède au détachement d’un travailleur en vue d’effectuer un travail qui était auparavant réalisé par un travailleur détaché par un autre employeur, que lesdits employeurs aient ou non leur siège dans le même État membre.

108. Je propose donc à la Cour de répondre à la troisième question, sous a), en ce sens qu’aux fins de la troisième question préjudicielle, il n’importe pas de savoir si les employeurs concernés ont leur siège dans le même État membre.

4.      Sur l’hypothèse selon laquelle il existe des liens personnels et/ou organisationnels entre les employeurs [troisième question préjudicielle, sous b)]

109. Par sa troisième question préjudicielle, sous b), la juridiction de renvoi demande, en substance, si la circonstance selon laquelle il existe, entre les employeurs concernés, des liens personnels et/ou organisationnels est susceptible de modifier la réponse qu’il convient d’apporter à la troisième question préjudicielle.

110. Il convient de rappeler que l’analyse que je viens d’exposer quant à l’interprétation de la condition de non-remplacement énoncée à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 concerne l’hypothèse selon laquelle il n’existe pas de liens personnels et/ou organisationnels entre les employeurs concernés (94). Je rappelle, en outre, que la juridiction de renvoi n’a fourni aucune indication qu’il existe, dans le cas d’espèce, des liens personnels et/ou organisationnels entre les employeurs concernés ni, le cas échéant, sur la nature de tels liens (95).

111. Dans ces conditions, je me limite à constater que, dans le cas où il existe des liens personnels et/ou organisationnels entre les employeurs concernés, il y a lieu, selon moi, d’examiner si les détachements effectués par lesdits employeurs visent à contourner la condition de non-remplacement prévue à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004. Pour rappel, selon une jurisprudence constante de la Cour, les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union et l’application de la réglementation de l’Union ne saurait être étendue jusqu’à couvrir les pratiques abusives d’opérateurs économiques (96).

112. La juridiction de renvoi n’a cependant fourni aucune indication que les faits dont elle est saisie dans le litige au principal puissent constituer une fraude ou un abus de droit (97). Dans ces conditions, je considère qu’il n’y a pas lieu pour la Cour de se prononcer davantage sur ce sujet.

113. Sur la base de ce qui précède, je propose à la Cour de répondre à la troisième question préjudicielle, sous b), en ce sens que, dans le cas où il existe des liens personnels et/ou organisationnels entre les employeurs concernés, il y a lieu d’examiner si les détachements effectués par lesdits employeurs visent à contourner la condition de non-remplacement prévue à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004.

V.      Conclusion

114. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) :

1)      L’article 5, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (UE) n° 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, doit être interprété en ce sens qu’aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide, le document portable A1 délivré par l’institution compétente d’un État membre, conformément à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 987/2009, tel que modifié par le règlement n° 465/2012, attestant de l’affiliation du travailleur au régime de sécurité sociale de cet État membre, au titre d’une disposition du titre II du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement n° 465/2012, s’impose à une juridiction, au sens de l’article 267 TFUE, d’un autre État membre.

2)      Le document portable A1 s’impose également dans une situation telle que celle en cause au principal, où la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale a rendu une décision portant sur le retrait de ce document, mais l’institution émettrice n’a pas procédé au retrait dudit document.

Il en va de même dans l’hypothèse où ce document a été délivré après l’assujettissement du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de l’État membre d’accueil. Dans un tel cas, ledit document peut revêtir un effet rétroactif.

3)       L’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, tel que modifié par le règlement n° 465/2012, doit être interprété en ce sens que la condition de non-remplacement, énoncée par cette disposition, ne s’oppose pas à ce que l’employeur procède au détachement d’un travailleur dans un autre État membre en vue d’effectuer un travail qui était auparavant réalisé par un travailleur détaché par un autre employeur, et ce indépendamment de la question de savoir si les employeurs concernés ont leur siège dans le même État membre.

Toutefois, dans le cas où il existe des liens personnels et/ou organisationnels entre les employeurs concernés, il y a lieu d’examiner si les détachements effectués par lesdits employeurs visent à contourner la condition de non-remplacement énoncée à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1), tel que rectifié (JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) n° 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4) (ci-après le « règlement n° 883/2004 »). S’agissant de la version du règlement n° 883/2004 applicable aux faits du litige au principal, voir points 6 et 7 des présentes conclusions.


3      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004 (JO 2009, L 284, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) n° 465/2012 (ci-après le « règlement n° 987/2009 »).


4      Le document portable A1 est le successeur du certificat E 101 qui constituait le formulaire-type pour l’attestation de la législation applicable en matière de sécurité sociale sous l’empire des anciens règlements (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO 1971, L 149, p. 2) et (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement (CEE) n° 1408/71 (JO 1972, L 74, p. 1).


5      S’agissant de la commission administrative, voir, notamment, articles 71 et 72 du règlement n° 883/2004.


6      Voir article 3 du règlement n° 465/2012. S’agissant de la période litigieuse dans l’affaire au principal, voir point 15 des présentes conclusions.


7      Souligné par mes soins. S’agissant de l’objectif de cette modification dudit article 12, paragraphe 1, voir note en bas de page 69 des présentes conclusions.


8      S’agissant de la qualification de la relation contractuelle entre Martin-Meat et Alpenrind au regard de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1), voir arrêt du 18 juin 2015, Martin-Meat (C‑586/13, EU:C:2015:405).


9      Le gouvernement hongrois remet en question l’indication de la juridiction de renvoi selon laquelle les documents portables A1 concernés ont été délivrés postérieurement à l’assujettissement des travailleurs concernés au régime de sécurité sociale autrichienne. Voir, à cet égard, points 55 et 56 des présentes conclusions.


10      Voir point IV des principales conclusions de la 347e réunion de la commission administrative, tenue à Amsterdam, les 20 et 21 juin 2016 (C.A. 827/16) et avis du comité de conciliation, du 9 mai 2016, Opinion of the conciliation board in case CB4/15 concerning Austria and Hungary, Subject : Replacement of posted workers (AC 336/16). S’agissant de l’historique procédural du différend, voir point 1 dudit avis.


11      Ce débat s’est reflété dans le guide pratique de la commission administrative sur la législation applicable dans l’Union européenne (UE), dans l’Espace économique européen (EEE) et en Suisse. Voir note en bas de page 71 des présentes conclusions. L’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 est cité aux points 6 et 7 des présentes conclusions.


12      Voir point 4 de l’avis du comité de conciliation du 9 mai 2016, susmentionné.


13      Voir point 5 de l’avis du comité de conciliation du 9 mai 2016, susmentionné. À cet égard, le comité de conciliation indique que le remboursement des cotisations déjà acquittées et le recouvrement de toute prestation déjà octroyée aux travailleurs concernés pourrait aboutir à un « cauchemar administratif ».


14      Martin Meat et Martimpex-Meat ont été représentées conjointement devant la Cour.


15      Je tiens à signaler les travaux législatifs en cours visant à modifier les règlements nos 883/2004 et 987/2009 qui concernent, notamment, les articles 5 et 19 du règlement n° 987/2009. Voir proposition de la Commission du 13 décembre 2016 de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) n° 987/2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004 [COM(2016) 815 final] (article 2, points 7 et 11 de ladite proposition et explications y afférentes dans l’exposé des motifs).


16      Le gouvernement français n’a pas fourni de réponse à cette question.


17      Il convient de signaler que, dans la décision de renvoi, la juridiction de renvoi n’a fourni aucune indication en ce sens que les faits dont elle est saisie dans le litige au principal sont révélateurs d’une fraude ou d’un abus de droit. Je pars donc de la prémisse selon laquelle la première question préjudicielle ne vise pas les cas particuliers de fraude ou d’abus, mais qu’elle concerne la question plus générale de savoir si le document portable A1 s’impose aux juridictions des États membres. Voir, également, point 77 des présentes conclusions. S’agissant de l’hypothèse où il est constaté par une juridiction de l’État membre d’accueil que le certificat E 101 a été obtenu ou invoqué de manière frauduleuse, voir mes conclusions dans l’affaire Altun e.a. (C‑359/16, EU:C:2017:850).


18      Voir note en bas de page 4 des présentes conclusions.


19      Voir, récemment, arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff (C‑620/15, EU:C:2017:309, points 48 et 49, et jurisprudence citée). Sur la jurisprudence de la Cour relative au caractère contraignant du certificat E 101, voir mes conclusions dans l’affaire Altun e.a. (C‑359/16, EU:C:2017:850, points 32 à 34). Par la limitation du contrôle juridictionnel de sa validité, le certificat E 101 se distingue d’autres types d’attestations. Voir, à cet égard, arrêt du 12 février 2015, Bouman (C‑114/13, EU:C:2015:81, points 26 et 27). Voir, également, note en bas de page 61 des présentes conclusions.


20      Arrêt du 27 avril 2017, ARosa FlussschiffARosa Flussschiff (C‑620/15, EU:C:2017:309, point 59). Voir, également, mes conclusions dans l’affaire ARosa FlussschiffARosa Flussschiff (C‑620/15, EU:C:2017:12, point 56) et dans l’affaire Altun e.a. (C‑359/16, EU:C:2017:850, point 20).


21      Ledit article 5 est cité au point 9 des présentes conclusions. S’agissant de la définition du terme « institution », voir article 1er, sous p), du règlement n° 883/2004.


22      Voir point 26 et note en bas de page 19 des présentes conclusions.


23      Voir, récemment, arrêt du 27 avril 2017, ARosa FlussschiffARosa Flussschiff (C‑620/15, EU:C:2017:309, points 41 et 43 ainsi que jurisprudence citée).


24      Voir, notamment, points 1 et 3 de l’exposé des motifs de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004, présentée par la Commission le 31 janvier 2006 [COM(2006)16 final].


25      Souligné par mes soins.


26      À cet égard, ledit article 6 prévoit, à son paragraphe 1, un ordre de priorité visant, en premier lieu, la législation de l’État membre où la personne exerce effectivement une activité salariée ou une activité non salariée, si elle n’exerce son ou ses activités que dans un seul État membre.


27      S’agissant de l’article 6 du règlement n° 987/2009, voir également point 66 des présentes conclusions.


28      Voir arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff (C‑620/15, EU:C:2017:309, point 47 et jurisprudence citée).


29      L’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 est cité au point 5 des présentes conclusions.


30      Voir mes conclusions dans l’affaire A-Rosa Flussschiff (C‑620/15, EU:C:2017:12, points 45 à 57) et dans l’affaire Altun e.a. (C‑359/16, EU:C:2017:850, points 35 à 37).


31      S’agissant de la référence faite par la juridiction de renvoi à l’article 267 TFUE, j’ai déjà exposé, dans mes conclusions dans l’affaire Altun e.a. (C‑359/16, EU:C:2017:850, points 22 à 26), les raisons pour lesquelles j’estime que la procédure préjudicielle n’est pas adaptée pour régler la question de savoir si le certificat E 101 (devenu le document portable A1) a été correctement émis, dans un cas précis.


32      Voir points 18 à 21 des présentes conclusions.


33      Il convient de relever que, contrairement à ce que suggèrent les gouvernements irlandais et hongrois, la deuxième question préjudicielle, sous a), n’a pas un caractère hypothétique. En effet, si, dans le cas d’espèce, le gouvernement hongrois a vraisemblablement accepté la décision de la commission administrative selon laquelle les documents portables A1 en question devaient être retirés, les autorités hongroises n’ont pas, à l’heure actuelle, procédé à ce retrait. En outre, s’il est vrai, comme le souligne le gouvernement irlandais, que le comité de conciliation a invoqué, dans son avis du 9 mai 2016, la possibilité que la République d’Autriche et la Hongrie négocient un accord sur les modalités précises de la mise en œuvre du retrait des documents portables A1 en question et sur les corrections à effectuer à l’égard des travailleurs concernés, force est de constater que, jusqu’à présent, un tel accord n’a pas été conclu entre lesdits États membres. Voir points 18 à 21 des présentes conclusions.


34      Le gouvernement tchèque fait valoir, plus particulièrement, que, dans l’hypothèse visée par la deuxième question préjudicielle, sous a), le document portable A1 perdrait provisoirement son effet contraignant et qu’il conviendrait, dans une telle hypothèse, d’avoir recours à l’article 6 du règlement n° 987/2009 relatif à l’application provisoire d’une législation en matière de sécurité sociale. S’agissant dudit article, voir point 32 des présentes conclusions.


35      Arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff (C‑620/15, EU:C:2017:309).


36      Au point 56 de l’arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff (C‑620/15, EU:C:2017:309), la Cour a constaté que « les autorités françaises n’ont ni épuisé la voie de dialogue avec la caisse d’assurance sociale suisse ni même tenté de saisir la commission administrative, de sorte que les faits ayant donné lieu à ce litige ne sauraient être de nature à mettre en avant de prétendues déficiences de la procédure déterminée par la jurisprudence de la Cour ou à démontrer l’impossibilité de résoudre des situations éventuelles de concurrence déloyale ou de dumping social ».


37      Sur la jurisprudence de la Cour relative au caractère contraignant du certificat E101, voir point 26 et note en bas de page 19 des présentes conclusions.


38      Arrêt du 14 mai 1981, Romano (98/80, EU:C:1981:104, point 20).


39      Voir arrêt du 22 janvier 2014, Royaume-Uni/Parlement et Conseil (C‑270/12, EU:C:2014:18, point 63 et jurisprudence citée). Voir, également, en ce sens, arrêts du 5 décembre 1967, van der Vecht (19/67, EU:C:1967:49, p. 457 et 459) ; du 5 juillet 1988, Borowitz (21/87, EU:C:1988:362, point 19) ; du 1er octobre 1992, Grisvard et Kreitz (C‑201/91, EU:C:1992:368, point 25), ainsi que du 10 février 2000, FTS (C‑202/97, EU:C:2000:75, point 32 et jurisprudence citée).


40      Voir, notamment, conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Royaume-Uni/Parlement et Conseil (C‑270/12, EU:C:2013:562, points 60 à 88) et arrêt du 22 janvier 2014, Royaume-Uni/Parlement et Conseil (C‑270/12, EU:C:2014:18, points 63 à 65). Voir, à cet égard, l’article 263, premier alinéa, TFUE, en vertu duquel la Cour contrôle, notamment, « la légalité des actes des organes ou organismesde l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers » (souligné par mes soins). En outre, en vertu de l’article 267, premier alinéa, sous b), TFUE, la Cour est compétente pour statuer sur « la validité et l’interprétation des actes pris les institutions, organes ou organismes de l’Union » (souligné par mes soins).


41      Souligné par mes soins. Voir, également, point 3 de la décision A1 de la commission administrative du 12 juin 2009 concernant l’établissement d’une procédure de dialogue et de conciliation relative à la validité des documents, à la détermination de la législation applicable et au service des prestations au titre du règlement n° 883/2004 (JO 2010, C 106, p. 1).


42      Règlement du Conseil concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants (JO 1958, p. 561).


43      Arrêt du 5 décembre 1967, van der Vecht (19/67, EU:C:1967:49, p. 457) ; souligné par mes soins. Aux termes dudit article 43, sous a), il sera créé une commission administrative chargée « de régler toute question administrative ou d’interprétation découlant des dispositions du présent règlement et des règlements ultérieurs ou de tout accord ou arrangement à intervenir dans le cadre de ceux‑ci, sans préjudice du droit des autorités, institutions et personnes intéressées, de recourir aux procédures et aux juridictions prévues dans les législations des États membres, dans le présent règlement et dans le traité ».


44      L’article 76, paragraphe 6, du règlement n° 883/2004 et l’article 5, paragraphe 4, du règlement n° 987/2009 sont cités, respectivement, aux points 8 et 9 des présentes conclusions.


45      Voir point 18 de la décision A1 de la commission administrative, susmentionnée.


46      Cette analyse n’est pas susceptible d’être remise en question par le fait que l’article 89, paragraphe 3, du règlement n° 987/2009 impose, de manière générale, aux autorités compétentes de veiller « à ce que leurs institutions connaissent et appliquent l’ensemble des dispositions communautaires, législatives ou autres, y compris les décisions de la commission administrative ». Cette disposition ne saurait être interprétée, selon moi, comme visant à accorder à la commission administrative la compétence pour arrêter des actes destinés à produire des effets juridiques.


47      Cette jurisprudence a été codifiée, pour partie, à l’article 5, paragraphes 2 à 4, du règlement n° 987/2009 lesquels sont cités au point 9 des présentes conclusions.


48      Voir, récemment, en ce sens, arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff (C‑620/15, EU:C:2017:309, points 44 à 46 et jurisprudence citée).


49      Pour rappel, en vertu de l’article 263, premier alinéa, TFUE, la Cour contrôle, notamment, la légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers.


50      L’article 76, paragraphe 6, du règlement n° 883/2004 et l’article 5, paragraphe 4, du règlement n° 987/2009 sont cités, respectivement, aux points 8 et 9 des présentes conclusions.


51      Voir, en ce sens, arrêt du 29 mai 1997, Denuit (C‑14/96, EU:C:1997:260, point 34 et jurisprudence citée). Je considère qu’il n’est pas utile que la Cour se prononce, dans le cadre de la présente affaire, sur la question de savoir si le fait pour un État membre de ne pas se conformer à une décision de la commission administrative aboutit à une violation du principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE.


52      Voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2008, CEPSA (C‑279/06, EU:C:2008:485, point 28 et jurisprudence citée).


53      Voir point 15 des présentes conclusions. Lors de l’audience, la caisse de maladie de Salzbourg a également indiqué que les documents portables A1 en question ont été délivrés tant avant qu’après l’assujettissement par les autorités autrichiennes des travailleurs concernés au régime de sécurité sociale autrichien.


54      Le gouvernement allemand considère, plus particulièrement, que l’effet contraignant du document portable A1 ne joue pas lorsque ce document n’a été établi qu’après que l’État membre d’accueil a officiellement admis l’assujettissement à l’assurance obligatoire au titre de sa législation et que l’État membre d’origine en est informé.


55      Voir arrêt du 30 mars 2000, Banks e.a. (C‑178/97, EU:C:2000:169, points 53 et 54). Voir, également, arrêt du 4 octobre 2012, Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe (C‑115/11, EU:C:2012:606, point 43), d’où il ressort que le certificat E 101 a vocation à être délivré, en règle générale, avant ou au début de la période qu’il vise. Voir, également, point 6 de la décision n° 181 de la commission administrative, du 13 décembre 2000, concernant l’interprétation des articles 14, paragraphe 1, 14 bis, paragraphe 1, et 14 ter, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1408/71 (JO 2001, L 329, p. 73).


56      Voir point 33 des présentes conclusions.


57      Souligné par mes soins.


58      Ledit article 5, paragraphe 1, est cité au point 9 des présentes conclusions.


59      Ledit article 19, paragraphe 2, est cité au point 10 des présentes conclusions. Voir, également, article 15, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009, aux termes duquel l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable remet à la personne concernée lattestation visée à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 987/2009.


60      Voir points 27 à 33 des présentes conclusions.


61      S’agissant de la distinction entre les effets que produit le certificat E 101 et ceux que produisent d’autres types de documents, voir arrêts du 12 février 2015, Bouman (C‑114/13, EU:C:2015:81, points 26 et 27), et du 9 septembre 2015, X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:564, points 47 à 50).


62      Arrêt du 30 mars 2000, Banks e.a. (C‑178/97, EU:C:2000:169). Voir, notamment, points 5 à 7 dudit arrêt.


63      Pour rappel, la jurisprudence de la Cour relative à l’effet contraignant du certificat E 101 se fonde, notamment, sur des considérations relatives à la sécurité juridique des personnes qui se déplacent à l’intérieur de l’Union. Voir point 35 des présentes conclusions. Je tiens à mentionner, dans ce contexte, qu’il ressort de la décision de renvoi que, dans la procédure devant la juridiction de renvoi, la caisse de maladie de Salzbourg a relevé qu’« [à] ses yeux, la seule manière de provoquer une décision au fond [était] d’établir par une décision l’assujettissement à l’assurance obligatoire, malgré la présentation des documents [portables] A1 de l’institution hongroise ».


64      S’agissant de la relation entre les articles 5 et 6 du règlement n° 987/2009, voir point 32 des présentes conclusions.


65      Voir, également, point 52 des présentes conclusions.


66      Je tiens à signaler que la proposition de la Commission du 13 décembre 2016, susmentionnée, vise à modifier l’article 12 du règlement n° 883/2004. Voir article 1er, point 13, de ladite proposition et explications y afférentes dans l’exposé des motifs.


67      Voir points 18 à 21 des présentes conclusions.


68      Souligné par mes soins. Il ressort de la décision de renvoi qu’il n’est pas contesté, dans le cas d’espèce, que la durée prévisible du travail n’a pas dépassé vingt-quatre mois, comme le requiert l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004.


69      Souligné par mes soins. Il ressort des travaux préparatoires afférents au règlement n° 465/2012 que cette modification visait à apporter la précision qu’une personne détachée ne peut être remplacée par une autre personne détachée après l’expiration de la période de détachement de la première personne, l’omission du terme « détachée » dans la version initiale du règlement n° 883/2004 ayant été accidentelle. Voir point 5 de l’exposé des motifs de la proposition de la Commission du 20 décembre 2010 de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement n° 883/2004 [COM(2010) 794 final]. Voir, également, point 6 et 7 des présentes conclusions.


70      Voir points 12 et 13 des présentes conclusions.


71      Voir, première partie, point 7, du guide pratique de la commission administrative sur la législation applicable dans l’Union européenne (UE), dans l’Espace économique européen (EEE) et en Suisse, du mois de décembre 2013, d’où il ressort que « [l]e travailleur détaché dans l’État membre d’accueil A ne peut, en effet, y être remplacé immédiatement ni par un travailleur détaché par la même entreprise de l’État membre d’envoi B ni par un travailleur détaché par une autre entreprise établie dans l’État membre B ou un travailleur détaché par une entreprise implantée dans un État membre C [... ] [L]orsqu’une activité dans l’État membre d’accueil A était préalablement exercée par un travailleur détaché de l’État membre d’envoi B, ce travailleur ne peut être remplacé immédiatement par un autre travailleur nouvellement détaché, de quelque État membre que ce soit. Peu importe l’entreprise ou l’État membre dont provient le travailleur nouvellement détaché – le remplacement immédiat d’un travailleur détaché par un autre travailleur n’est pas autorisé. » Je tiens à signaler que cette version du guide pratique n’a été publiée qu’après la période litigieuse faisant l’objet de la procédure au principal. La version précédente du guide pratique de la commission administrative, du mois de janvier 2011, ne comportait pas cette explication.


72      Ni Martin-Meat et Martimpex-Meat, ni le gouvernement irlandais n’ont fourni de réponse à la troisième question préjudicielle.


73      Voir, également, note en bas de page 17 des présentes conclusions.


74      Martin-Meat et Martimpex-Meat soutiennent qu’il n’existe entre les deux sociétés aucun lien de propriété, d’organisation ou de gestion. Le gouvernement hongrois affirme, de manière similaire, qu’il s’agit, dans la présente affaire, de personnes morales différentes l’une de l’autre. En revanche, le gouvernement autrichien fait valoir qu’il existe une forte identité s’agissant des noms et de la structure organisationnelle des deux employeurs et, partiellement aussi, des travailleurs détachés.


75      Je tiens à préciser qu’à mes yeux, la troisième question préjudicielle, sous b), n’a pas un caractère hypothétique de nature à entraîner son irrecevabilité, conformément à la jurisprudence de la Cour. Sur la base de la décision de renvoi, il me semble, en effet, que la juridiction de renvoi n’a pas, à ce stade, tranché la question de savoir s’il existe ou non, dans le cas d’espèce, des liens personnels et/ou organisationnels entre les employeurs concernés, dans la mesure où cette question ne se poserait que si la Cour devait rejeter l’interprétation large de la condition de non-remplacement.


76      Voir, dans un sens analogue à propos de l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 (le prédécesseur de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004), arrêt du 9 novembre 2000, Plum (C‑404/98, EU:C:2000:607, point 18 et jurisprudence citée). S’agissant du principe d’unicité de la législation applicable, voir article 11, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, cité au point 5 des présentes conclusions.


77      Voir point 5 des présentes conclusions. Voir, également, considérant 17 du règlement n° 883/2004.


78      Voir, dans un sens analogue à propos de l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 (le prédécesseur de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004), arrêt du 9 novembre 2000, Plum (C‑404/98, EU:C:2000:607, point 19 et jurisprudence citée). Voir, également, considérants 1 et 2 de la décision A2 de la commission administrative du 12 juin 2009 concernant l’interprétation de l’article 12 du règlement n° 883/2004 (JO 2010, C 106, p. 5).


79      L’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 est cité aux points 6 et 7 des présentes conclusions. Voir, également, considérant 18 du règlement n° 883/2004 en vertu duquel « [i]l convient de déroger à cette règle générale dans des situations spécifiques justifiant un autre critère de rattachement ».


80      Souligné par mes soins. Voir arrêt du 4 octobre 2012, Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe (C‑115/11, EU:C:2012:606, point 31).


81      Règlement du Conseil du 10 mars 1964 portant modification de l’article 13 du règlement n° 3 et de l’article 11 du règlement n° 4 (législation applicable aux travailleurs détachés et aux travailleurs exerçant normalement leur activité dans plusieurs pays) (JO 1964, n° 47, p. 746).


82      L’ancien article 13, alinéa a), du règlement n° 3 prévoyait une « durée probable » n’excédant pas douze mois, susceptible d’être prolongée à vingt-quatre mois. Pour rappel, l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 prévoit une « durée prévisible » n’excédant pas vingt-quatre mois. Voir point 6 des présentes conclusions.


83      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Dutheillet de Lamothe dans l’affaire Manpower (35/70, non publiées, EU:C:1970:104, p. 1265), qui relève que « [l’article 13, alinéa a), du règlement n° 3] avait donné lieu à des abus. Certaines entreprises ouvraient des chantiers hors de leur pays d’origine et faisaient effectuer par le personnel détaché les rotations nécessaires pour que ce personnel puisse rester assujetti à la législation du pays d’origine où les charges sociales étaient moins élevées que dans le pays où il était employé. Ces pratiques furent notamment constatées en France, dans l’industrie du bâtiment et du bois. D’autre part, il avait été constaté, notamment dans les relations entre les Pays‑Bas et l’Allemagne, que des “recruteurs” ou “sous-entrepreneurs” n’ayant pas eux‑mêmes la qualité d’employeurs dans le premier pays mettaient à la disposition des entrepreneurs du second pays des travailleurs qui restaient assujettis à la législation de sécurité sociale du premier pays ». Les observations de l’avocat général portent, en particulier, sur l’introduction, en parallèle, de la notion de « détachement », dans le texte de l’article 13, alinéa a), du règlement n° 3. Voir, également, cinquième rapport annuel de la commission administrative sur la mise en œuvre des règlements concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants, janvier‑décembre 1963, p. 12 et 56. Voir, également, conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire FTS (C‑202/97, EU:C:1999:33, point 26) qui fait également référence à l’introduction de la condition de non-remplacement.


84      L’article 13, alinéa a), du règlement n° 3, tel que modifié par le règlement n° 24/64, prévoyait que le travailleur détaché « ne soit pas envoyé en remplacement d’un autre travailleur arrivé au terme de la période de son détachement ». L’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 prévoyait que le travailleur détaché « ne soit pas envoyé en remplacement d’un autre travailleur parvenu au terme de la période de son détachement ». L’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 est cité aux points 6 et 7 des présentes conclusions.


85      Certaines versions linguistiques disposent même que la personne ne saurait être envoyée « pour » remplacer une autre personne détachée. Voir, notamment, la version en langue danoise (« ikke udsendes for at afløse en anden person »), en langue anglaise (« not sent to replace another person »), et en langue suédoise (« inte sänds ut för att ersätta någon annan person »). La version en langue allemande prévoit, en revanche, que la personne ne remplace pas une autre personne (« nicht eine andere [entsandte] Person ablöst »). Les modifications de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 apportées par le règlement n° 465/2012 n’affectent en rien cette analyse des différentes versions linguistiques. Voir points 6 et 7 des présentes conclusions.


86      Pour rappel, l’analyse exposée dans la présente section concerne l’hypothèse où il n’existe pas de liens personnels et/ou organisationnels entre les employeurs concernés. Voir points 78 et 79 des présentes conclusions.


87      Voir, également, point 83 des présentes conclusions.


88      Selon la jurisprudence de la Cour, le principe de sécurité juridique exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus des conséquences défavorables. Voir, notamment, arrêt du 18 décembre 2008, Altun (C‑337/07, EU:C:2008:744, point 60).


89      Pour rappel, la juridiction de renvoi n’a fourni aucune indication que les faits dont elle est saisie dans le litige au principal pourraient constituer une fraude ou un abus de droit. Voir point 77 des présentes conclusions.


90      Voir point 84 des présentes conclusions.


91      Voir, à cet égard, première partie, point 7, du guide pratique de la commission administrative, du mois de décembre 2013, susmentionné, d’où il ressort que, « [d]u point de vue de l’institution compétente de l’État membre d’envoi, les conditions de détachement peuvent sembler effectivement remplies au moment de l’appréciation des conditions de détachement ».


92      En l’espèce, Martin-Meat et Martimpex-Meat indiquent que les autorités de sécurité sociale autrichiennes ont adressé à Martimpex-Meat, le 21 mars 2016, un avis de paiement des cotisations pour lesdits travailleurs d’un montant de plus de 4 millions d’euros, majorés d’intérêts de retard, soit 5 millions d’euros environ au total.


93      Voir point 72 et note en bas de page 71 des présentes conclusions.


94      Voir point 79 des présentes conclusions.


95      Voir point 78 des présentes conclusions.


96      Voir, arrêt du 22 novembre 2017, Cussens e.a. (C‑251/16, EU:C:2017:881, point 27 et jurisprudence citée).


97      Voir point 77 des présentes conclusions.