ARRÊT DE LA COUR
5 mai 1998 (1)
«Agriculture Police sanitaire Mesures d'urgence contre l'encéphalopathie
spongiforme bovine Maladie dite 'de la vache folle»
Dans l'affaire C-157/96,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177
du traité CE, par la High Court of Justice, Queen's Bench Division (Royaume-Uni), et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
The Queen
et
Ministry of Agriculture, Fisheries and Food,
Commissioners of Customs & Excise,
ex parte: National Farmers' Union,
David Burnett and Sons Ltd,
R. S. and E. Wright Ltd,
Anglo Beef Processors Ltd,
United Kingdom Genetics,
Wyjac Calves Ltd,
International Traders Ferry Ltd,
MFP International Ltd,
Interstate Truck Rental Ltd,
Vian Exports Ltd,
en présence de: Anglo Dutch Meat Exports Ltd,
Beck Food Group Ltd,
First City Trading Ltd,
Weddel Swift Ltd,
Carrex August Ltd,
Meatal Supplies (Wholesale Meats) Ltd,
Meat Marketing Services (UK) Ltd,
NWL (Ireland) Ltd,
Hibernia Foods plc,
Duggins Ltd (D.T.),
Swallow Foods International Ltd,
British Association of Sheep Exporters,
une décision à titre préjudiciel sur la validité de l'article 1er de la décision
96/239/CE de la Commission, du 27 mars 1996, relative à certaines mesures
d'urgence en matière de protection contre l'encéphalopathie spongiforme bovine
(JO L 78, p. 47),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, H.
Ragnemalm, M. Wathelet et R. Schintgen, présidents de chambre, G. F. Mancini,
J. C. Moitinho de Almeida, J. L. Murray, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, G.
Hirsch, P. Jann et L. Sevón (rapporteur), juges,
avocat général: M. G. Tesauro,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
considérant les observations écrites présentées:
pour National Farmers' Union e.a., par MM. Stuart Isaacs, QC, et Clive
Lewis, barrister, mandatés par Badhams Thompson, solicitors,
pour Anglo Dutch Meat Exports Ltd e.a., par M. Nicholas Green, barrister,
mandaté par MM. Michael Parker et Conor McGuire, solicitors,
pour British Association of Sheep Exporters, par MM. David Vaughan, QC,
et Conor Quigley, barrister, mandatés par M. Anthony M. Burstow, solicitor,
pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme Lindsey Nicoll, du
Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assistée de MM. Paul
Lasok, QC, et David Anderson, barrister,
pour le Conseil de l'Union européenne, par M. Arthur Brautigam et Mme
Moyra Sims, conseillers juridiques, en qualité d'agents,
pour la Commission des Communautés européennes, par M. James
Macdonald Flett, membre du service juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de National Farmers' Union e.a., représentés
par MM. Stuart Isaacs, Clive Lewis et Mme Sarah Moore, barrister, de British
Association of Sheep Exporters, représentée par MM. David Vaughan et Conor
Quigley, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par Mme Lindsey Nicoll,
assistée de MM. Paul Lasok et David Anderson, du Conseil, représenté par M.
Arthur Brautigam et Mme Moyra Sims, et de la Commission, représentée par M.
James Macdonald Flett, à l'audience du 2 juillet 1997,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 30 septembre
1997,
rend le présent
Arrêt
- 1.
- Par ordonnance du 3 mai 1996, parvenue à la Cour le 8 mai suivant, la High Court
of Justice, Queen's Bench Division, a posé, en application de l'article 177 du traité
CE, une question en appréciation de validité de l'article 1er de la décision
96/239/CE de la Commission, du 27 mars 1996, relative à certaines mesures
d'urgence en matière de protection contre l'encéphalopathie spongiforme bovine
(JO L 78, p. 47, ci-après la «décision»).
- 2.
- Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige dans lequel la National
Farmers' Union, un syndicat professionnel qui représente la majorité des
exploitants agricoles en Angleterre et au pays de Galles, ainsi que neuf sociétés
d'exploitation agricole spécialisées dans l'élevage destiné à la vente, dans
l'alimentation, l'hébergement, le transport et l'exportation de bovins, de leur
sperme et de leurs embryons, ainsi que dans la transformation et l'exportation de
viande bovine et de produits dérivés (ci-après «NFU e.a.») contestent différents
actes adoptés, en application de l'article 1er de la décision, par le Ministry of
Agriculture, Fisheries and Food et les Commissioners of Customs & Excise. Douze
parties sont intervenues dans le litige au principal au soutien des parties
requérantes. Les onze premières parties intervenantes sont des exportateurs de
viande, membres de l'International Meat Traders Association et la douzième est
la British Association of Sheep Exporters, association regroupant des exportateurs
d'ovins, qui déclare subir un grave préjudice résultant de la décision, car, en
conséquence de celle-ci, les transports d'ovins par ferries, non rentables par eux-mêmes, ont été interrompus.
- 3.
- La décision a été adoptée par la Commission à la suite de deux communiqués des
20 et 24 mars 1996 du Spongiform Encephalopathy Advisory Committee (ci-après
le «SEAC»), organisme scientifique indépendant chargé de conseiller le
gouvernement du Royaume-Uni, relatifs à l'existence d'un lien possible entre
l'encéphalopathie spongiforme bovine (ci-après l'«ESB») et la maladie de
Creutzfeldt-Jakob.
- 4.
- Cette décision est fondée sur le traité CE, sur la directive 90/425/CEE du Conseil,
du 26 juin 1990, relative aux contrôles vétérinaires et zootechniques applicables
dans les échanges intracommunautaires de certains animaux vivants et produits
dans la perspective de la réalisation du marché intérieur (JO L 224, p. 29),
modifiée par la directive 92/118/CEE du Conseil, du 17 décembre 1992, définissant
les conditions de police sanitaire ainsi que les conditions sanitaires régissant les
échanges et les importations dans la Communauté de produits non soumis, en ce
qui concerne lesdites conditions, aux réglementations communautaires spécifiques
visées à l'annexe A, chapitre Ier, de la directive 89/662/CEE, et, en ce qui concerne
les pathogènes, de la directive 90/425/CEE (JO 1993, L 62, p. 49), et notamment
son article 10, paragraphe 4, ainsi que sur la directive 89/662/CEE du Conseil, du
11 décembre 1989, relative aux contrôles vétérinaires applicables dans les échanges
intracommunautaires dans la perspective de la réalisation du marché intérieur (JO
L 395, p. 13), modifiée par la directive 92/118 et notamment son article 9.
- 5.
- L'article 10, paragraphe 1, premier alinéa, et paragraphe 4, de la directive 90/425
dispose:
«1. Chaque État membre signale immédiatement aux autres États membres et à
la Commission, outre l'apparition sur son territoire des maladies prévues par la
directive 82/894/CEE, l'apparition de toute zoonose, maladie ou cause susceptible
de constituer un danger grave pour les animaux ou la santé humaine.
...
4. Dans tous les cas, la Commission procède au sein du comité vétérinaire
permanent, dans les meilleurs délais, à un examen de la situation. Elle arrête, selon
la procédure prévue à l'article 17, les mesures nécessaires pour les animaux et les
produits visés à l'article 1er et, si la situation l'exige, pour les produits dérivés de ces
animaux. Elle suit l'évolution de la situation et, selon la même procédure, modifie
ou abroge, en fonction de cette évolution, les décisions prises.»
- 6.
- L'article 1er de la directive 90/425 vise les animaux vivants et les produits qui sont
couverts par les directives énumérées à l'annexe A, ainsi que ceux visés à l'article
21, premier alinéa, de la directive, c'est-à-dire les animaux et les produits visés à
l'annexe B de la directive 90/425.
- 7.
- L'article 9, paragraphe 1, premier alinéa, et paragraphe 4, de la directive 89/662
prévoit:
«1. Chaque État membre signale immédiatement aux autres États membres et à
la Commission, outre l'apparition sur son territoire des maladies prévues par la
directive 82/894/CEE, l'apparition de toute zoonose, maladie ou cause susceptible
de constituer un danger grave pour les animaux ou la santé humaine.
...
4. Dans tous les cas, la Commission procède au sein du comité vétérinaire
permanent, dans les meilleurs délais, à un examen de la situation. Elle arrête, selon
la procédure prévue à l'article 17, les mesures nécessaires pour les produits visés
à l'article 1er et, si la situation l'exige, pour les produits d'origine ou les produits
dérivés de ces produits. Elle suit l'évolution de la situation et, selon la même
procédure, modifie ou abroge, en fonction de cette évolution, les décisions prises.»
- 8.
- L'article 1er de la directive 89/662 vise les produits d'origine animale qui sont
couverts par les directives énumérées à l'annexe A ou par l'article 14 de la
directive, c'est-à-dire les produits visés à l'annexe B de cette même directive.
- 9.
- Le préambule de la décision évoque la publication des nouvelles informations
scientifiques, l'annonce des mesures supplémentaires adoptées par le gouvernement
du Royaume-Uni (désossage des carcasses provenant de bovins âgés de plus de 30
mois dans des établissements agréés surveillés par le Meat Hygiene Service,
classification des déchets de parage comme abats de viande bovine spécifiés et
interdiction de l'usage de la farine de viande osseuse provenant de mammifères
dans l'alimentation de tous les animaux de ferme), les mesures d'interdiction des
importations adoptées par différents États membres et l'avis du comité scientifique
vétérinaire de l'Union européenne (ci-après le «comité scientifique vétérinaire»).
Ses cinquième, sixième et septième considérants sont libellés comme suit:
«considérant que, dans la situation actuelle, une prise de position définitive sur le
risque de la transmissibilité de l'ESB à l'homme n'est pas possible; que l'existence
du risque ne peut être exclue; que l'incertitude qui en résulte a créé de grandes
préoccupations auprès des consommateurs; que, dans ces conditions et à titre de
mesure d'urgence, il paraît approprié d'interdire de façon transitoire l'expédition
de tout bovin et de toute viande bovine ou produit obtenu à partir de celle-ci, du
territoire du Royaume-Uni vers les autres États membres; que les mêmes
interdictions doivent s'appliquer concernant les exportations vers les pays tiers, afin
d'éviter des détournements de trafic;
considérant que la Commission effectuera dans les prochaines semaines une
inspection communautaire au Royaume-Uni pour apprécier l'application des
mesures prises; qu'il convient, en outre, d'approfondir sur le plan scientifique la
portée des nouvelles informations et les mesures à prendre;
considérant que, par conséquent, la présente décision devra être revue après un
examen de l'ensemble des éléments précités».
- 10.
- L'article 1er de la décision prévoit:
«Dans l'attente d'un examen global de la situation et nonobstant les dispositions
communautaires adoptées en matière de protection contre l'encéphalopathie
spongiforme bovine, le Royaume-Uni n'expédie pas de son territoire vers les autres
États membres et les pays tiers:
de bovins vivants, de leurs spermes et embryons,
des viandes de l'espèce bovine abattus au Royaume-Uni,
des produits obtenus à partir d'animaux de l'espèce bovine abattus au
Royaume-Uni, qui sont susceptibles d'entrer dans la chaîne alimentaire
humaine ou animale, et les produits destinés à usage médical, cosmétique
ou pharmaceutique,
des farines de viande et d'os provenant de mammifères.»
- 11.
- Eu égard aux arguments soulevés par les parties, la juridiction de renvoi a éprouvé
des doutes quant à la validité de la décision, en sorte qu'elle a décidé de surseoir
à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L'article 1er de la décision 96/239/CE de la Commission, du 27 mars 1996, est-il
invalide, en tout ou partie, en particulier au motif que la Commission n'avait pas
le pouvoir de prendre une telle décision ou a commis un détournement de pouvoir,
ou qu'elle a violé le principe de proportionnalité?»
- 12.
- Il convient d'examiner successivement les différents moyens au regard desquels la
juridiction nationale demande à la Cour d'apprécier la validité de l'article 1er de la
décision.
Sur le moyen tiré de l'incompétence de la Commission
- 13.
- NFU e.a. soutiennent, en premier lieu, que la décision n'a pas été adoptée dans le
but d'assurer la protection contre un danger grave pour la santé humaine, ce qui
aurait permis de justifier, en application des directives 90/425 et 89/662, la
compétence de la Commission. En effet, le Royaume-Uni et la Commission avaient
déjà adopté, à partir de 1988, des mesures considérées comme nécessaires pour la
protection de la santé publique, et il ne ressortirait pas de la nature des nouvelles
informations publiées sur les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob au Royaume-Uni
qu'un nouveau risque existait. En revanche, la Commission n'aurait rien entrepris
à l'égard des viandes et des bovins vivants qui avaient été exportés avant la
décision.
- 14.
- Par ailleurs, les directives 90/425 et 89/662 n'autoriseraient pas la Commission à
interdire les exportations du Royaume-Uni vers les pays tiers. Le texte ne le
prévoirait pas et la Commission ne pourrait agir que dans le cadre de pouvoirs
explicitement définis. Quant à la justification par le fait d'«éviter les détournements
de trafic», elle ne justifierait pas une décision qui va au-delà de ce qui est
nécessaire pour éviter qu'un produit exporté du Royaume-Uni vers un pays tiers
soit ensuite réimporté dans la Communauté.
- 15.
- Enfin, si une certaine compétence devait être reconnue à la Commission, NFU e.a.
estiment toutefois qu'elle faisait défaut pour interdire l'exportation d'un certain
nombre de produits, en raison de l'absence de risque qu'ils présentaient: le sperme
de bovins, les embryons de bovins, les veaux vivants âgés de moins de six mois, la
viande bovine fraîche provenant d'animaux âgés de moins de deux ans et demi à
l'abattage, le suif et la gélatine.
- 16.
- Les onze premières parties intervenantes au principal, associations et sociétés
exportatrices de viande bovine, contestent plus particulièrement la légalité de la
décision en ce qu'elle interdit les exportations vers les pays tiers. Elles considèrent
qu'une telle interdiction n'est pas justifiée au regard des directives 90/425 et 89/662
puisqu'il n'existe pas de risque significatif ou appréciable de détournement de trafic
ou de réimportation dans la Communauté de viande provenant du Royaume-Uni.
En effet, le nombre de pays tiers autorisés à exporter de la viande bovine fraîche
ou des produits à base de viande bovine vers la Communauté serait limité et ces
viandes ou produits devraient respecter les conditions rigoureuses imposées par la
réglementation communautaire. Par ailleurs, les exportations vers les pays tiers
pourraient faire l'objet de restitutions à l'exportation et, dans ce cadre, les autorités
du Royaume-Uni contrôleraient le fait que le produit a été dédouané et
commercialisé dans le pays de destination. Enfin, il existerait des droits à
l'importation sur la viande bovine même si, au départ, elle est d'origine
communautaire.
- 17.
- S'agissant des arguments de la Commission relatifs aux fraudes, ces mêmes parties
estiment qu'ils ne sont pas fondés ou, à tout le moins, qu'ils ne justifiaient pas une
interdiction mondiale générale, mais plutôt des interdictions spécifiques après
consultation des autorités des pays tiers concernés et des autorités nationales des
États membres susceptibles de réimporter la viande bovine détournée. En tout état
de cause, l'interdiction aurait dû être adoptée en vertu des dispositions spécifiques
régissant les importations de viande bovine en provenance des pays tiers, et non
pas au titre des dispositions relatives au marché intérieur.
- 18.
- Ces onze parties intervenantes au principal considèrent, dès lors, que les pouvoirs
conférés à la Commission par les directives 90/425 et 89/662 ne lui permettaient
pas d'arrêter une mesure d'une portée aussi étendue qu'une interdiction mondiale.
En tout état de cause, il n'appartenait pas à la Commission, mais aux
gouvernements et aux opérateurs économiques des pays tiers de déterminer la
politique qu'ils entendaient mener à l'égard de la viande bovine provenant du
Royaume-Uni.
- 19.
- Le gouvernement du Royaume-Uni conteste le fait que la décision puisse être
justifiée par la nécessité d'un confinement, car une telle mesure n'est pas
appropriée dans le cas de l'ESB, qui n'est pas une maladie contagieuse.
- 20.
- Selon ce gouvernement, la Commission n'était pas compétente pour prendre des
mesures applicables aux échanges avec les pays tiers. En effet, les directives 90/425
et 89/662 n'auraient trait qu'aux contrôles applicables «dans les échanges
intracommunautaires dans la perspective du marché intérieur». Ces directives ne
viseraient les animaux ou les produits destinés à être exportés vers des pays tiers
que dans la mesure où il existerait un risque pour la santé humaine ou animale à
l'intérieur de la Communauté, lorsque l'animal ou le produit se trouve encore à
l'intérieur de la Communauté, par exemple lorsqu'il est en transit sur le territoire
d'un État membre [voir, notamment, articles 3, paragraphe 1, sous g), de la
directive 90/425 et 3, paragraphe 2, de la directive 89/662]. La Commission n'avait
donc pas le pouvoir d'interdire les exportations du Royaume-Uni vers des pays tiers
qui ne transitaient pas par le territoire d'un autre État membre. Les bovins ne
présentaient d'ailleurs aucun risque pour la santé humaine ou animale dès lors que
l'ESB n'est pas contagieuse. Enfin, si la viande ou les produits bovins présentaient
un risque, il appartenait aux pays tiers de l'apprécier et de prendre des mesures
fondées sur le code zoosanitaire de l'Office international des épizooties, mais non
pas à la Commission.
- 21.
- Le Conseil expose que les directives 90/425 et 89/662 font partie d'un ensemble
législatif cohérent et complet qui a été mis en place pour se substituer, par un
ensemble de règles communes, aux initiatives unilatérales prises par chaque État
membre en application de l'article 36 du traité CE. Il considère que, par les
directives 90/425 et 89/662, la Commission a reçu de lui la compétence expresse et
spécifique pour prendre toutes les mesures nécessaires en ce qui concerne tant les
animaux vivants que les produits d'origine animale. Compte tenu du large pouvoir
d'appréciation qui doit être reconnu à la Commission dans le cadre des clauses de
sauvegarde, le Conseil estime que celle-ci, en agissant de manière prudente et en
retenant la solution la plus sûre pour la santé publique, n'a ni commis une erreur
manifeste d'appréciation du risque pour la santé animale et la santé humaine ni
manifestement outrepassé les pouvoirs qui lui ont été attribués.
- 22.
- Le Conseil considère que c'est à juste titre que les mesures d'urgence ont été
appliquées aux exportations communautaires vers les pays tiers. L'article 43 du
traité CE constituerait une base juridique appropriée et suffisante pour ce qui est
des échanges de produits agricoles avec les pays tiers et aucun élément dans les
directives 90/425 et 89/662 ne permettrait de conclure que le Conseil aurait
expressément limité les pouvoirs que la Commission exerce en vertu de la clause
de sauvegarde en excluant explicitement les exportations vers les pays tiers. Par
ailleurs, les exigences en matière de santé publique seraient indivisibles et
universelles, en sorte qu'il n'était pas envisageable que deux catégories de normes
s'appliquent, selon que les produits étaient destinés à la Communauté ou aux pays
tiers. En tout état de cause, l'extension d'une interdiction des exportations aux pays
tiers aurait déjà été justifiée par le seul souci de prévenir des détournements de
trafic.
- 23.
- Examinant plus particulièrement la question de la survenance d'un nouveau danger
grave, la Commission considère que, si l'ESB existait déjà, les communiqués du
SEAC ont entraîné une nouvelle classification de cette maladie qui n'a plus été
considérée seulement comme affectant le bétail, mais comme un danger pour la
santé humaine. Ces nouvelles informations modifiaient l'évaluation du risque et
justifiaient l'intervention de la Commission au titre des directives 90/425 et 89/662.
La Commission souligne en outre que rien n'indique que les nouveaux cas de
maladie de Creutzfeldt-Jakob seraient dus à une exposition antérieure à
l'interdiction des abats de viande bovine spécifiés, mais que, au contraire, le SEAC
a recommandé l'adoption de mesures supplémentaires. Par ailleurs, les aliments
infectés ne seraient pas nécessairement le principal mode de transmission. Enfin,
l'interdiction de 1988 sur les aliments a tardé à produire ses effets, celle de 1989
relative aux abats de viande bovine spécifiés était inefficace et le système de
contrôle des bovins était inadéquat puisque, dans plus de 11 000 cas, il a été
impossible de retrouver le troupeau d'origine des animaux atteints d'ESB.
- 24.
- S'agissant des mesures qu'elle avait le pouvoir d'adopter au titre des directives
90/425 et 89/662, la Commission rappelle, en premier lieu, que, en matière de
politique agricole commune, le législateur communautaire dispose d'un large
pouvoir d'appréciation. Le Conseil peut être amené à conférer à la Commission de
larges pouvoirs d'exécution dans la mesure où elle est la seule à même de suivre
de manière constante et attentive l'évolution des marchés agricoles et d'agir avec
l'urgence que requiert la situation. Ces pouvoirs sont d'autant plus justifiés qu'ils
doivent être exercés selon une procédure qui permet au Conseil de réserver sa
propre intervention. Enfin, les articles 10, paragraphe 4, de la directive 90/425 et
9, paragraphe 4, de la directive 89/662 sont libellés en termes généraux et
autoriseraient la Commission à agir «dans tous les cas» et à «adopter les mesures
nécessaires». S'agissant d'une interdiction de circulation des animaux et produits
à l'extérieur d'une zone spécifiée de la Communauté, c'est-à-dire d'une mesure de
confinement, la décision serait appropriée.
- 25.
- Elle souligne ensuite qu'une lecture attentive des articles 10, paragraphe 4, de la
directive 90/425 et 9, paragraphe 4, de la directive 89/662 ne lui interdit pas de
prendre des mesures à l'égard de pays tiers lorsqu'elles sont nécessaires. En raison
de l'urgence de la situation et eu égard au fait que l'ESB était essentiellement un
problème sévissant au Royaume-Uni, il eût été manifestement inapproprié et
inefficace de se fonder sur la réglementation ayant trait aux animaux et aux
produits provenant de pays tiers, car cela nécessitait la modification des directives
relatives aux importations dans la Communauté ou des négociations avec les pays
tiers.
- 26.
- Afin de déterminer si, en adoptant la décision, la Commission agissait dans le cadre
des pouvoirs qui lui sont conférés par les directives 90/425 et 89/662, il y a lieu de
vérifier si les conditions d'adoption des mesures de sauvegarde au sens de ces deux
directives étaient remplies, si la Commission pouvait interdire les exportations et
si cette interdiction pouvait s'étendre aux pays tiers.
- 27.
- Les articles 10, paragraphe 1, de la directive 90/425 et 9, paragraphe 1, de la
directive 89/662 prévoient que l'«apparition de toute zoonose, maladie ou cause
susceptible de constituer un danger grave pour les animaux ou la santé humaine»
permet l'adoption de mesures de sauvegarde.
- 28.
- Il convient en l'espèce de vérifier plus particulièrement si les communiqués du
SEAC, déclarant que l'ESB était l'explication la plus probable («the most likely
explanation») de l'apparition de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ont permis l'adoption de mesures de sauvegarde alors que l'ESB existait
déjà depuis plusieurs années, que des mesures étaient adoptées tant par le
Royaume-Uni que par la Communauté et que le risque de cette maladie pour l'être
humain était déjà pris en considération.
- 29.
- A cet égard, il y a lieu de relever que, au sens des directives 90/425 et 89/662, c'est
le fait qu'une zoonose, maladie ou cause soit perçue comme étant susceptible de
constituer un danger grave qui justifie le pouvoir de la Commission d'adopter des
mesures de sauvegarde.
- 30.
- En effet, l'objectif des directives 90/425 et 89/662 est de permettre à la Commission
d'intervenir rapidement pour éviter la propagation d'une maladie parmi les
animaux ou une atteinte à la santé humaine. Il serait contraire à cet objectif de ne
pas lui reconnaître la possibilité d'adopter les mesures nécessaires à la suite de la
publication d'informations nouvelles modifiant de façon importante la connaissance
d'une maladie, notamment quant à sa transmissibilité ou à ses conséquences, au
motif que la maladie existerait depuis longtemps.
- 31.
- En l'espèce, la nouvelle information contenue dans les communiqués du SEAC
était le passage d'une hypothèse théorique à la possibilité d'un lien entre l'ESB et
la maladie de Creutzfeldt-Jakob. En effet, selon l'«explication la plus probable»
(«the most likely explanation»), les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob étaient liés
à une exposition à l'ESB avant l'instauration, en 1989, de l'interdiction de certains
abats de viande bovine spécifiés.
- 32.
- Même si l'ESB existait auparavant, les nouvelles informations communiquées par
le SEAC modifiaient de façon sensible la perception du danger que cette maladie
représentait pour la santé humaine, autorisant ainsi la Commission à adopter des
mesures de sauvegarde au sens des directives 90/425 et 89/662.
- 33.
- S'agissant des pouvoirs de la Commission, les directives 90/425 et 89/662 sont
rédigées de manière très large en ce qu'elles autorisent la Commission à adopter
les «mesures nécessaires» en ce qui concerne les animaux vivants, les produits
dérivés de ces animaux, les produits d'origine animale et les produits dérivés de ces
produits, sans que soient prévues des limites quant au champ d'application des
mesures dans le temps ou dans l'espace.
- 34.
- Il résulte des dispositions des directives 90/425 et 89/662 que seuls peuvent être
destinés aux échanges les animaux et produits d'origine animale qui répondent aux
conditions prévues par ces directives. Il incombe aux autorités des États membres
d'expédition de contrôler que ces conditions soient remplies avant de délivrer les
autorisations d'exportation (articles 3 et 4 de la directive 90/425, et articles 3 et 4
de la directive 89/662).
- 35.
- En cas de découverte, au lieu de destination d'un envoi ou en cours de transport,
de la présence d'une zoonose, d'une maladie ou de toute cause susceptible de
constituer un danger grave pour les animaux ou pour l'homme, les directives 90/425
et 89/662 prévoient que les autorités compétentes de l'État membre de destination
peuvent ordonner la mise en quarantaine de l'animal ou du lot d'animaux dans la
station de quarantaine la plus proche ou leur mise à mort et/ou leur destruction
[article 8, paragraphe 1, sous a), premier alinéa, de la directive 90/425], ou la
destruction du lot des produits d'origine animale ou toute autre utilisation prévue
par la réglementation communautaire [article 7, paragraphe 1, sous a), premier
alinéa, de la directive 89/662].
- 36.
- Ces dispositions montrent à suffisance que, en cas de zoonose, maladie ou toute
cause susceptible de constituer un danger grave pour les animaux ou pour l'homme,
l'immobilisation des animaux et des produits et leur confinement à un territoire
déterminé est une mesure appropriée, puisqu'elle peut résulter tant des décisions
des autorités de l'État membre d'exportation que de celles de l'État membre
d'importation.
- 37.
- Il y a lieu d'admettre que, le cas échéant, l'efficacité d'un tel confinement rend
nécessaire une interdiction totale de la circulation des animaux et des produits au-delà des frontières de l'État membre concerné, affectant ainsi l'exportation à
destination des pays tiers.
- 38.
- A cet égard, il y a lieu de relever que les directives 90/425 et 89/662 n'excluent pas
explicitement la compétence de la Commission pour interdire l'exportation vers les
pays tiers. De même, ainsi que l'a souligné M. l'avocat général au point 23 de ses
conclusions, une telle limitation ne peut se déduire de la circonstance que lesdites
directives font référence aux contrôles «applicables dans les échanges
intracommunautaires», puisque les pouvoirs de la Commission ne sont subordonnés
qu'à la condition que les mesures adoptées soient nécessaires aux fins de la
protection de la santé dans un marché unifié.
- 39.
- Enfin, il y a lieu de rappeler que, dès lors que la Commission dispose d'un large
pouvoir d'appréciation, notamment quant à la nature et à l'étendue des mesures
qu'elle adopte, le contrôle du juge communautaire doit se limiter à examiner si
l'exercice d'un tel pouvoir n'est pas entaché d'une erreur manifeste ou d'un
détournement de pouvoir ou encore si la Commission n'a pas manifestement
dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation (voir arrêt du 25 janvier 1979,
Racke, 98/78, Rec. p. 69, point 5).
- 40.
- En l'espèce, les nouvelles publications scientifiques avaient établi la probabilité d'un
lien entre une maladie affectant le cheptel bovin du Royaume-Uni et une maladie
mortelle affectant l'être humain et pour laquelle aucun remède n'est actuellement
connu.
- 41.
- Eu égard, d'une part, à l'incertitude quant au caractère suffisant et à l'efficacité des
mesures adoptées antérieurement par le Royaume-Uni et par la Communauté et,
d'autre part, aux risques considérés comme graves pour la santé publique (voir
ordonnance du 12 juillet 1996, Royaume-Uni/Commission, C-180/96 R, Rec.
p. I-3903, point 63), la Commission n'a pas manifestement dépassé les limites de
son pouvoir d'appréciation en s'efforçant de confiner la maladie au territoire du
Royaume-Uni par l'interdiction des exportations de bovins, viande bovine et
produits dérivés en provenance de ce territoire et à destination tant des autres
États membres que des pays tiers.
Sur le moyen tiré du détournement de pouvoir
- 42.
- Selon NFU e.a., même si la Commission devait être reconnue compétente pour
adopter la décision, il n'en demeure pas moins qu'elle a commis un détournement
de pouvoir. Il résulterait en effet de la formulation du cinquième considérant de
la décision que son but n'était pas tant d'assurer une protection de la santé
publique que de rassurer les consommateurs.
- 43.
- A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante,
constitue un détournement de pouvoir l'adoption, par une institution
communautaire, d'un acte dans le but exclusif ou, tout au moins, déterminant
d'atteindre des fins autres que celles excipées ou d'éluder une procédure
spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l'espèce (voir,
notamment, arrêt du 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil, C-84/94, Rec.
p. I-5755, point 69).
- 44.
- Ainsi que l'a souligné M. l'avocat général au point 21 de ses conclusions, il ne serait
pas correct de ne retenir de l'ensemble des considérants de la décision que la
phrase relative aux préoccupations des consommateurs pour décrire l'objectif de
la décision.
- 45.
- En effet, si l'objectif d'une décision doit être recherché dans l'analyse de ses
considérants, cette analyse doit porter sur le texte dans son ensemble et non sur un
élément isolé. En l'espèce, il résulte de l'ensemble des considérants de la décision
que la Commission a adopté les mesures provisoires par souci des risques de
transmissibilité de l'ESB à l'homme, après examen des mesures adoptées par le
Royaume-Uni et consultation du comité scientifique vétérinaire et du comité
vétérinaire permanent.
- 46.
- Aucun élément ne permet donc d'étayer la thèse selon laquelle le but exclusif ou
déterminant de la Commission aurait été de rassurer les consommateurs. Par
conséquent, le détournement de pouvoir n'est pas établi.
Sur le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité
- 47.
- NFU e.a. invoquent quatre motifs pour lesquels la décision doit être considérée
comme totalement disproportionnée ou, à titre subsidiaire, relativement à certains
produits. Ils relèvent tout d'abord que l'interdiction d'exportation n'était pas
nécessaire, compte tenu, d'une part, des mesures déjà adoptées au niveau
communautaire et par le Royaume-Uni et, d'autre part, de la circonstance que les
nouvelles informations du 20 mars 1996, selon lesquelles le SEAC indiquait qu'il
existait un lien possible entre l'ESB et la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ne
suggéraient pas que l'interdiction des produits énumérés à l'article 1er de la décision
était nécessaire ou appropriée. Ils remarquent ensuite qu'aucune preuve n'est
rapportée ni de la nécessité d'une interdiction d'exportation vers les pays tiers pour
des raisons de santé publique ou pour rassurer les consommateurs ni de l'existence
de détournements de trafic. Ils soulignent par ailleurs que les conséquences de la
décision, d'une durée indéterminée, notamment pour l'industrie bovine au
Royaume-Uni, sont disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi, même s'il
était considéré que la décision répond à des exigences relatives à la protection de
la santé publique. Enfin, NFU e.a. estiment que des mesures moins restrictives
auraient pu être adoptées. S'agissant des pays tiers, il eût été possible de prévoir
une interdiction de réimportation dans la Communauté, combinée avec un système
de certification approprié. Quant aux autres États membres, il aurait pu être
envisagé un système de certification et/ou d'étiquetage précisant que la viande
provenait de troupeaux du Royaume-Uni exempts de cas d'ESB et n'ayant pas reçu
d'aliments contenant des protéines animales.
- 48.
- La British Association of Sheep Exporters considère que, en arrêtant la décision
sans en évaluer les effets sur le commerce d'exportation des ovins vivants, la
Commission a manifestement exercé son pouvoir discrétionnaire de façon
inappropriée et, ce faisant, a violé le principe de proportionnalité combiné avec
celui de bonne administration.
- 49.
- Le gouvernement du Royaume-Uni estime que l'interdiction d'exporter vers les
pays tiers, motivée par la volonté d'éviter des détournements de trafic, viole le
principe de proportionnalité, dès lors qu'il ne s'agit pas d'un moyen approprié pour
pallier le risque, et que cette interdiction n'est ni nécessaire ni proportionnée. En
effet, elle aurait causé un grave préjudice aux opérateurs du secteur économique
concerné opérant sur les marchés des pays tiers, alors que le risque de
détournement de trafic serait en grande partie théorique, compte tenu de la
limitation du nombre de pays tiers autorisés à exporter des bovins, de la viande
bovine fraîche ou des produits à base de viande vers les États membres de la
Communauté, des conditions strictes d'exportation, des contrôles exercés en
application des dispositions relatives aux restitutions à l'exportation et de l'existence
de droits de douane à l'importation. Quant aux conditions applicables au sperme
et aux embryons de bovins, elles rendraient impossible toute importation, dans un
État membre, de produits provenant du Royaume-Uni, via un pays tiers.
- 50.
- Enfin, le gouvernement du Royaume-Uni considère qu'une mesure moins
contraignante pour éviter la réimportation dans la Communauté du boeuf non
désiré aurait consisté à appliquer les directives spécifiquement destinées à
réglementer les importations de boeuf en provenance de pays tiers, telles les
directives 90/675/CEE du Conseil, du 10 décembre 1990, fixant les principes relatifs
à l'organisation des contrôles vétérinaires pour les produits en provenance des pays
tiers introduits dans la Communauté (JO L 373, p. 1), et 91/496/CEE du Conseil,
du 15 juillet 1991, fixant les principes relatifs à l'organisation des contrôles
vétérinaires pour les animaux en provenance des pays tiers introduits dans la
Communauté et modifiant les directives 89/662, 90/425 et 90/675 (JO L 268, p. 56).
- 51.
- La Commission rappelle que sa décision est une mesure de confinement, destinée
à éradiquer la maladie, combinée à des mesures de soutien du marché et à d'autres
mesures d'appui. Elle considère que le confinement est universellement reconnu
comme une réponse légitime à un problème tel que celui en l'espèce afin d'éviter
l'extension de la maladie. La détermination du Royaume-Uni comme zone de
confinement serait due au fait que, en raison de divers facteurs, il n'aurait pas été
adéquat de créer des zones d'isolation locales et que 99,7 % des cas confirmés
d'ESB seraient survenus au Royaume-Uni. La Commission indique également que
les directives relatives à des maladies spécifiques prévoient que les zones de
confinement doivent être définies en fonction des barrières naturelles et des
contrôles administratifs.
- 52.
- La Commission considère que la décision est justifiée en ce qu'elle concerne les
animaux vivants en raison de la réévaluation de l'importance des doutes existants,
notamment quant à la présence de l'agent de l'ESB chez des animaux jeunes, aux
incertitudes du système permettant de suivre les animaux et d'identifier ceux qui
ont été exposés au risque, à l'incertitude quant à l'âge d'abattage de l'animal ou
encore au risque d'une transmission verticale ou horizontale.
- 53.
- S'agissant du sperme, l'interdiction a été levée à la suite d'un avis du comité
scientifique vétérinaire. Cela n'affecterait toutefois pas la validité de la décision qui,
en tant que mesure d'urgence, était justifiée par le risque d'une transmission
verticale, par les recherches toujours en cours relatives à la transmission par
transfert d'embryons chez des vaches inséminées avec du sperme de taureaux
malades de l'ESB, ou encore par l'absence d'avis récent du comité scientifique
vétérinaire à ce sujet.
- 54.
- Les mêmes justifications devraient être prises en considération en ce qui concerne
les embryons, de même que l'avis du comité scientifique vétérinaire selon lequel
il existe des preuves d'une transmission de la maladie de la tremblante du mouton
par le transfert d'embryons.
- 55.
- La Commission rappelle par ailleurs les doutes relatifs à la viande, notamment
quant au fonctionnement du système d'identification et de repérage des animaux
au Royaume-Uni et à l'efficacité de la mise en oeuvre des mesures de contrôle de
l'élimination des abats de viande bovine spécifiés. Elle précise également que tous
les morceaux de viande contiennent des petites quantités de tissu lymphatique et
que l'un des membres du comité scientifique vétérinaire n'avait pas exclu le risque
présenté par la viande sous forme de muscle.
- 56.
- Des considérations similaires s'appliqueraient aux produits dérivés tels le suif et la
gélatine. Quant aux farines de viande et d'os provenant de mammifères, elles
seraient la principale cause de l'épidémie d'ESB.
- 57.
- La Commission considère également que la décision était nécessaire en ce qu'elle
vise les exportations vers les pays tiers. Ces exportations ne représenteraient que
5 % environ de la production britannique de boeuf, ce qui signifierait que le prix
payé pour une efficacité absolue des mesures de confinement serait relativement
faible. Par ailleurs, il existerait un risque de réimportation des animaux, de la
viande ou des produits dérivés, éventuellement sous une autre forme et, dans
certaines circonstances, sous une autre origine. Enfin, le risque de fraude serait réel
si les données disponibles en matière de fraude aux restitutions à l'exportation
étaient prises en considération. Selon la Commission, l'efficacité des mesures
adoptées aurait été mise en péril si elles n'avaient pas inclus les exportations vers
les pays tiers et, en ce sens, l'interdiction des exportations vers les pays tiers est une
partie intégrante et nécessaire de la décision et, dès lors, conforme au principe de
proportionnalité. En outre, une inaction en ce qui concerne les exportations vers
les pays tiers n'aurait sans doute pas été compatible ni avec les obligations que le
traité impose au Conseil et à la Commission, notamment celle de tenir compte de
la position de la production agricole communautaire sur les marchés mondiaux, ni
avec les obligations internationales bilatérales et multilatérales de la Communauté.
- 58.
- Elle estime qu'il n'était pas possible d'adopter d'autre solution. Une interdiction de
certains abats de viande bovine spécifiés à l'échelle communautaire n'aurait pas
contribué à l'éradication de l'ESB et aurait eu une utilité très limitée étant donné
l'incidence négligeable de l'ESB dans les autres États membres. Par ailleurs, rendre
une telle mesure effective aurait requis beaucoup de temps, ce qui n'était pas
adéquat compte tenu de l'urgence de la situation. S'agissant de l'amélioration du
contrôle et de la certification de certains types de viandes, il se serait agi de
réponses inadéquates étant donné l'urgence et le doute quant à l'efficacité des
systèmes de contrôle britanniques.
- 59.
- La Commission souligne enfin que, pour apprécier la proportionnalité de la
décision, il convient de l'examiner au regard de l'ensemble des mesures prises, pour
un montant d'environ 2,5 milliards d'écus (notamment, modification des seuils
d'intervention, mesures de soutien exceptionnelles au Royaume-Uni et à d'autres
États membres, primes à la transformation des veaux, soutien au revenu des
producteurs de viande bovine, mesures en faveur des exportateurs, aide au stockage
privé de la viande de veau, restitutions à l'exportation, actions de promotion en
faveur de la viande bovine de qualité, aide à la recherche).
- 60.
- Il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des
principes généraux du droit communautaire, exige que les actes des institutions
communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire
à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause,
étant entendu que, lorsqu'un choix s'offre entre plusieurs mesures appropriées, il
convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne
doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts du 13 novembre
1990, Fedesa e.a., C-331/88, Rec. p. I-4023, point 13, et du 5 octobre 1994,
Crispoltoni e.a., C-133/93, C-300/93 et C-362/93, Rec. p. I-4863, point 41).
- 61.
- En ce qui concerne le contrôle judiciaire des conditions précitées, le législateur
communautaire dispose en matière de politique agricole commune d'un pouvoir
discrétionnaire qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 40 à
43 du traité lui attribuent. Par conséquent, seul le caractère manifestement
inapproprié d'une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l'objectif que
l'institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d'une telle
mesure (voir arrêts précités Fedesa e.a., point 14, et Crispoltoni e.a., point 42).
- 62.
- A l'époque de l'adoption de la décision, il existait une grande incertitude quant aux
risques présentés par les animaux vivants, la viande bovine ou les produits dérivés.
- 63.
- Or, il doit être admis que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l'existence ou
à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre
des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces
risques soient pleinement démontrées.
- 64.
- Cette approche est corroborée par l'article 130 R, paragraphe 1, du traité CE,
selon lequel la protection de la santé des personnes relève des objectifs de la
politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement. Le paragraphe
2 du même article prévoit que cette politique, visant un niveau de protection élevé,
se fonde notamment sur les principes de précaution et d'action préventive et que
les exigences en matière de protection de l'environnement doivent être intégrées
dans la définition et la mise en oeuvre des autres politiques de la Communauté.
- 65.
- La décision a été adoptée à titre de «mesure d'urgence», édictant une interdiction
d'exportation «de façon transitoire» (cinquième considérant). Par ailleurs, la
Commission y reconnaît la nécessité d'approfondir sur le plan scientifique la portée
des nouvelles informations et les mesures à prendre et, par conséquent, la nécessité
de revoir la décision après un examen de l'ensemble de la situation (septième
considérant).
- 66.
- S'agissant des animaux vivants, eu égard à l'interdiction d'exportation déjà édictée
par la décision 94/474/CE de la Commission, du 27 juillet 1994, concernant
certaines mesures de protection contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et
abrogeant les décisions 89/469/CEE et 90/200/CEE (JO L 194, p. 96), elle-même
modifiée par la décision 95/287/CE de la Commission, du 18 juillet 1995 (JO L 181,
p. 40), l'interdiction d'exportation résultant de la décision ne vise que les bovins
âgés de moins de six mois issus de vaches pour lesquelles l'ESB n'était ni suspectée
ni confirmée. Toutefois, les incertitudes scientifiques quant aux modes de
transmission de l'ESB, notamment en ce qui concerne la transmissibilité par la
mère, associées à l'absence de marquage des animaux et de contrôle de leurs
mouvements ont eu pour résultat qu'il n'est pas possible d'avoir la certitude qu'un
veau soit issu d'une vache totalement exempte d'ESB ou, même si tel était le cas,
qu'il soit lui-même totalement exempt de la maladie.
- 67.
- L'interdiction de l'exportation des bovins vivants ne saurait dès lors être considérée
comme étant une mesure manifestement inappropriée.
- 68.
- S'agissant de la viande bovine, il suffit de rappeler que, en raison de la longue
période d'incubation de la maladie, tout animal âgé de six mois ou plus devait être
traité comme potentiellement infecté par l'ESB, même s'il n'en présentait pas les
signes. Des mesures particulières avaient été adoptées au Royaume-Uni, qui étaient
relatives à l'abattage des animaux et au découpage des viandes. Toutefois, ce n'est
qu'à partir du mois de mai 1995 que des contrôles inopinés ont été effectués dans
les entreprises du Royaume-Uni afin de vérifier l'application de ces mesures
(Bovine Spongiform Encephalopathy in Great Britain, A Progress Report, novembre
1995, point 16), contrôles qui ont révélé qu'un pourcentage important des abattoirs
ne respectaient pas les prescriptions légales.
- 69.
- Par ailleurs, il ressort du rapport du 11 juillet 1994 du comité scientifique
vétérinaire que la viande comprenait toujours des résidus de tissus nerveux et
lymphatiques. De même, selon la déclaration d'un membre de ce comité, jointe à
l'avis du comité scientifique vétérinaire du 22 mars 1996, le danger de transmission
de l'infection par la viande sous forme de muscle n'était pas scientifiquement exclu.
- 70.
- Il ressort, en effet, de cet avis que le comité scientifique vétérinaire a conclu que
les données disponibles ne permettaient pas de prouver la transmissibilité de l'ESB
à l'homme. Cependant, compte tenu de l'existence d'un risque à cet égard, lequel
avait d'ailleurs toujours été pris en considération par ce comité, celui-ci a préconiséque les mesures récemment adoptées par le Royaume-Uni relatives au désossage
des carcasses de bovins âgés de plus de 30 mois dans des établissements agréés
soient mises en oeuvre pour ce qui concerne les échanges intracommunautaires et
que la Communauté adopte les mesures appropriées relatives à l'interdiction de
l'utilisation de farines de viande et d'os dans l'alimentation des animaux. Ce même
comité estimait en outre que tout contact entre la moelle épinière, d'une part, et
le gras, les os et la viande, d'autre part, devait être exclu, à défaut de quoi la
carcasse devait être traitée comme abats de viande bovine spécifiés. Enfin, il
recommandait la poursuite des recherches relatives à la question de la
transmissibilité de l'ESB à l'être humain. En annexe à cet avis figure la déclaration
de l'un des membres du comité: «sur la base de données scientifiques limitées qui
ne se fondent que sur l'évaluation réalisée à partir de matériels provenant de neuf
bovins, nous ne pouvons pas être certains que la viande bovine sous forme de
muscle ne constitue pas un danger en ce qui concerne la transmission de l'affection
de l'ESB».
- 71.
- Il s'ensuit que l'interdiction de l'exportation de la viande bovine ne saurait donc
également être considérée comme étant une mesure manifestement inappropriée.
- 72.
- En ce qui concerne le sperme et les embryons, il suffit à cet égard de rappeler que
le risque de transmission verticale n'était pas définitivement exclu au moment de
l'adoption de la décision.
- 73.
- S'agissant des autres produits tels le suif et la gélatine, il convient de considérer que
la Commission a fait preuve d'une prudence adéquate en interdisant leur
exportation jusqu'à ce qu'un réexamen global de la situation ait lieu.
- 74.
- Quant à l'interdiction d'exportation en ce qu'elle vise les pays tiers, il s'agissait
d'une mesure appropriée puisqu'elle permettait de garantir l'efficacité de la mesure
en confinant tous les éléments susceptibles d'être infectés par l'ESB au territoire
du Royaume-Uni. En effet, la limitation du nombre de pays tiers à partir desquels
les importations sont autorisées et les contrôles à l'importation ne permettent
toutefois pas d'exclure toute possibilité de réimportation de la viande sous une
autre forme ou de détournement de trafic.
- 75.
- Le Royaume-Uni a fait état de mesures alternatives qui étaient envisageables.
Toutefois, compte tenu de la gravité du danger et de l'urgence, la Commission n'a
pas réagi de façon manifestement inappropriée en adoptant, à titre transitoire et
en attendant de plus amples informations scientifiques, une interdiction globale
d'exportation des bovins, de la viande bovine et des produits dérivés.
- 76.
- Par conséquent, la Commission n'a pas violé le principe de proportionnalité.
- 77.
- De ce qui précède, il résulte que la Commission était compétente pour adopter la
décision et que, en l'adoptant, elle n'a pas commis de détournement de pouvoir ni
violé le principe de proportionnalité.
- 78.
- Il y a donc lieu de répondre que l'examen de la question préjudicielle n'a révélé
aucun élément de nature à affecter la validité de l'article 1er de la décision.
Sur les dépens
- 79.
- Les frais exposés par le gouvernement du Royaume-Uni, ainsi que par le Conseil
et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire
l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au
principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il
appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur la question à elle soumise par la High Court of Justice, Queen's Bench
Division, par ordonnance du 3 mai 1996, dit pour droit:
L'examen de la question préjudicielle n'a révélé aucun élément de nature à affecter
la validité de l'article 1er de la décision 96/239/CE de la Commission, du 27 mars
1996, relative à certaines mesures d'urgence en matière de protection contre
l'encéphalopathie spongiforme bovine .
Rodríguez Iglesias Gulmann
Ragnemalm
Wathelet Schintgen Mancini Moitinho de Almeida
Murray Edward
Puissochet
Hirsch Jann
Sevón
|
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 mai 1998.
Le greffier
Le président
R. Grass
G. C. Rodríguez Iglesias