Language of document : ECLI:EU:C:2017:963

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 13 décembre 2017 (1)

Affaire C240/17

E

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein hallinto‑oikeus (Cour administrative suprême, Finlande)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Espace Schengen – Décision de retour et interdiction d’entrée contre un ressortissant d’un pays tiers – Signalement aux fins de non-admission dans le système d’information Schengen – Ressortissant d’un pays tiers s’étant rendu coupable d’une infraction pénale – Ressortissant d’un pays tiers titulaire d’un titre de séjour en cours de validité dans un autre État membre de l’espace Schengen – Obligation de consultation – Incidence de consultations en cours sur l’exécution de la décision de retour et la prise d’effet de l’interdiction d’entrée – Article 25, paragraphe 2, de la convention d’application de l’accord de Schengen (CAAS) – Directive 2008/115/CE »






I.      Introduction

1.        Le nom de la commune luxembourgeoise de Schengen évoque depuis 1985 la vision d’une Europe dans laquelle les personnes peuvent se déplacer librement, sans contrôles aux frontières intérieures. Cette vision est entre-temps devenue réalité pour la très grande majorité des États membres de l’Union européenne, ainsi que pour un certain nombre d’États tiers riverains, qui, ensemble, forment l’espace Schengen. L’espace Schengen est aujourd’hui un élément essentiel de l’espace européen de liberté, de sécurité et de justice (2).

2.        Pour assurer toutefois que ce système fonctionne sur le long terme tout en continuant d’être accepté le plus largement possible, il est indispensable d’avoir des règles communes qui garantissent de manière efficace et cohérente que le gain de liberté dans cet espace sans frontières intérieures ne se fasse pas au détriment de la sécurité. Cela implique que les États qui participent à ce système conservent le contrôle sur l’entrée et le séjour des ressortissants de pays tiers, sans pour autant perdre de vue les exigences du droit de l’Union ainsi que les droits et intérêts individuels des personnes concernées.

3.        La demande de décision préjudicielle dont la Cour est en l’espèce saisie pose la question de la conciliation de ces différentes exigences. Il convient de clarifier la procédure à suivre lorsqu’un ressortissant d’un pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité dans un État membre de l’espace Schengen est frappé d’une interdiction d’entrée par un autre État membre de l’espace Schengen. En raison de l’absence de contrôles aux frontières intérieures, une telle interdiction d’entrée revêt fondamentalement une dimension européenne et a vocation à s’appliquer dans l’ensemble de l’espace Schengen et même au‑delà, dans tous les États membres de l’Union.

4.        Il s’agit concrètement de E, un ressortissant nigérian qui s’est rendu coupable d’infractions pénales en Finlande. Les autorités finlandaises veulent l’éloigner vers son pays d’origine, le Nigéria, et ont pris à son encontre une interdiction d’entrée sur l’ensemble du territoire de l’espace Schengen, bien qu’il ait encore le droit de séjourner en Espagne.

5.        Les règles du droit de l’Union régissant le système Schengen prévoient, dans de tels cas de figure, une consultation entre les États membres, afin de permettre à toutes les autorités parties prenantes d’agir de manière cohérente et non contradictoire. L’État membre qui prend l’interdiction d’entrée doit interroger l’autre État membre, qui a délivré le titre de séjour, sur le point de savoir si celui‑ci envisage de retirer ce titre de séjour. Qu’en est-il toutefois lorsque l’État membre consulté – le Royaume d’Espagne en l’occurrence – garde le silence pendant une durée relativement longue, alors que l’État membre consultant – la République de Finlande en l’occurrence – considère que la personne en cause représente un danger pour l’ordre public et la sécurité publique et souhaite par conséquent l’éloigner immédiatement vers son pays d’origine ?

6.        Cette question importante en pratique est à ce jour encore irrésolue. En y répondant, la Cour peut apporter une contribution au développement des règles communes applicables dans l’espace Schengen et, ce faisant, veiller au juste équilibre entre les intérêts de sécurité des États membres et les droits et intérêts individuels des ressortissants de pays tiers (3).

II.    Le cadre juridique

7.        Le cadre juridique dans lequel s’inscrit la présente affaire en droit de l’Union est déterminé, d’une part, par la convention d’application de l’accord de Schengen (ci-après la « CAAS ») (4) ainsi que, d’autre part, par la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (5). En outre, le code frontières Schengen, tel que résultant du règlement (UE) 2016/399 (6), est également pertinent (7).

A.      La CAAS

8.        La CAAS a été signée le 19 juin 1990 à Schengen (Luxembourg) par cinq États membres (8) et est entrée en vigueur le 26 mars 1995. Conformément au protocole no 19 annexé aux traités UE et FUE (9), elle fait aujourd’hui partie de l’acquis de Schengen qui est intégré dans le cadre de l’Union et s’applique à l’espace Schengen, c’est‑à‑dire à presque tous les États membres de l’Union, République de Finlande et Royaume d’Espagne compris. En outre, l’espace Schengen inclut également une poignée d’États tiers, parmi lesquels notamment la Confédération suisse (10).

9.        Sous le titre II de la CAAS (« Suppression des contrôles aux frontières intérieures et circulation des personnes ») se trouve au chapitre 5 (« Titres de séjour et signalement aux fins de non‑admission ») la disposition de l’article 25 de la CAAS, dont le paragraphe 2 est libellé dans les termes suivants :

« Lorsqu’il apparaît qu’un étranger titulaire d’un titre de séjour en cours de validité délivré par l’une des parties contractantes est signalé aux fins de non‑admission, la partie contractante signalante consulte la partie qui a délivré le titre de séjour afin de déterminer s’il y a des motifs suffisants pour retirer le titre de séjour.

Si le titre de séjour n’est pas retiré, la partie contractante signalante procède au retrait du signalement, mais peut cependant inscrire cet étranger sur sa liste nationale de signalement. »

10.      Sous ce même titre II de la CAAS figure également un article 19, qui relève du chapitre 4 (« Conditions de circulation des étrangers ») et dont le paragraphe 1 prévoit pour les étrangers un droit de se déplacer à l’intérieur de l’espace Schengen :

« Les étrangers titulaires d’un visa uniforme qui sont entrés régulièrement sur le territoire de l’une des parties contractantes peuvent circuler librement sur le territoire de l’ensemble des parties contractantes pendant la durée de validité du visa, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’entrée visées à l’article 5, paragraphe 1, points a), c), d) et e). »

11.      Le terme « étranger » s’entend dans ce contexte, conformément aux définitions de l’article 1er de la CAAS, de toute personne autre que les ressortissants des États membres de l’Union. Ainsi, cette notion est synonyme de celle de « ressortissant d’un pays tiers », qui est également fréquemment utilisée dans le droit de l’Union. Un « étranger signalé aux fins de non-admission » est, en vertu de cette même disposition, « tout étranger signalé aux fins de non-admission dans le système d’information Schengen ». Par « titre de séjour », ce texte vise « toute autorisation de quelque nature que ce soit délivrée par une partie contractante donnant droit au séjour sur son territoire ».

B.      Le code frontières Schengen

12.      À titre complémentaire, il convient d’attirer l’attention sur le code frontières Schengen, tel que résultant du règlement 2016/399, dont l’article 6 prévoit, à propos des conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers, les dispositions suivantes :

« 1.       Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d’une durée n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, ce qui implique d’examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes :

[…]

d)      ne pas être signalé aux fins de non-admission dans le [système d’information Schengen] ;

[…]

5.       Par dérogation au paragraphe 1 :

a)      les ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas toutes les conditions prévues au paragraphe 1, mais qui sont titulaires d’un titre de séjour ou d’un visa de long séjour, sont autorisés à entrer aux fins de transit sur le territoire des autres États membres afin de pouvoir atteindre le territoire de l’État membre qui a délivré le titre de séjour ou le visa de long séjour, sauf s’ils figurent sur la liste nationale de signalements de l’État membre aux frontières extérieures duquel ils se présentent et si ce signalement est assorti d’instructions quant à l’interdiction d’entrée ou de transit ;

[…] »

13.      En outre, l’article 14, paragraphe 1, du code frontières Schengen énonce, sous l’intitulé « Refus d’entrée » :

« L’entrée sur le territoire des États membres est refusée au ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas l’ensemble des conditions d’entrée énoncées à l’article 6, paragraphe 1, et qui n’appartient pas à l’une des catégories de personnes visées à l’article 6, paragraphe 5. Cette disposition est sans préjudice de l’application des dispositions particulières relatives au droit d’asile et à la protection internationale ou à la délivrance de visas de long séjour. »

C.      La directive 2008/115

14.      Il convient enfin d’évoquer la directive 2008/115, dont le chapitre I (« Dispositions générales ») prévoit, à l’article 3, points 3), 4), 6) et 8), les définitions suivantes :

« […]

3)      “retour” : le fait, pour le ressortissant d’un pays tiers, de rentrer – que ce soit par obtempération volontaire à une obligation de retour ou en y étant forcé – dans :

–        son pays d’origine, ou

–        un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, ou

–        un autre pays tiers dans lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis ;

4)      “décision de retour” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ;

[…]

6)      “interdiction d’entrée” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire interdisant l’entrée et le séjour sur le territoire des États membres pendant une durée déterminée, qui accompagne une décision de retour ;

[…]

8)      “départ volontaire” : l’obtempération à l’obligation de retour dans le délai imparti à cette fin dans la décision de retour ;

[…] »

15.      Le chapitre II de la directive 2008/115 (« Fin du séjour irrégulier ») inclut, notamment, les articles 6, 7 et 11.

16.      L’article 6 de la directive est intitulé « Décision de retour ». Ses deux premiers paragraphes sont libellés dans les termes suivants :

« 1.      Les État membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5.

2.      Les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre et titulaires d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre. En cas de non‑respect de cette obligation par le ressortissant concerné d’un pays tiers ou lorsque le départ immédiat du ressortissant d’un pays tiers est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité nationale, le paragraphe 1 s’applique. »

17.      Les deux premiers paragraphes de l’article 7 de la directive 2008/115 disposent ce qui suit à propos du « Départ volontaire » :

« 1.      La décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 et 4. Les États membres peuvent prévoir dans leur législation nationale que ce délai n’est accordé qu’à la suite d’une demande du ressortissant concerné d’un pays tiers. Dans ce cas, les États membres informent les ressortissants concernés de pays tiers de la possibilité de présenter une telle demande.

Le délai prévu au premier alinéa n’exclut pas la possibilité, pour les ressortissants concernés de pays tiers, de partir plus tôt.

2.      Si nécessaire, les États membres prolongent le délai de départ volontaire d’une durée appropriée, en tenant compte des circonstances propres à chaque cas, telles que la durée de séjour, l’existence d’enfants scolarisés et d’autres liens familiaux et sociaux. »

18.      Les passages pertinents de l’article 8 de la directive 2008/115, qui est consacré à l’« Éloignement » énoncent :

« 1.      Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour si aucun délai n’a été accordé pour un départ volontaire conformément à l’article 7, paragraphe 4, ou si l’obligation de retour n’a pas été respectée dans le délai accordé pour le départ volontaire conformément à l’article 7.

2.      Si un État membre a accordé un délai de départ volontaire conformément à l’article 7, la décision de retour ne peut être exécutée qu’après expiration de ce délai, à moins que, au cours de celui-ci, un risque visé à l’article 7, paragraphe 4, n’apparaisse.

3.      Les États membres peuvent adopter une décision ou un acte distinct de nature administrative ou judiciaire ordonnant l’éloignement.

[…] »

19.      L’article 9, paragraphe 2, de la directive 2008/115, qui traite du « Report de l’éloignement », indique :

« Les États membres peuvent reporter l’éloignement pour une période appropriée en tenant compte des circonstances propres à chaque cas […] »

20.      L’article 11 de la directive 2008/115 énonce en outre, sous l’intitulé « Interdiction d’entrée » :

« 1.      Les décisions de retour sont assorties d’une interdiction d’entrée :

a)      si aucun délai n’a été accordé pour le départ volontaire, ou

b)      si l’obligation de retour n’a pas été respectée.

Dans les autres cas, les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée.

2.      La durée de l’interdiction d’entrée est fixée en tenant dûment compte de toutes les circonstances propres à chaque cas et ne dépasse pas cinq ans en principe.

[…] »

21.      Des éclaircissements sur ces dispositions sont par ailleurs fournis par les considérants 4, 6 et 14 de la directive 2008/115 :

« (4)      Il est nécessaire de fixer des règles claires, transparentes et équitables afin de définir une politique de retour efficace, constituant un élément indispensable d’une politique migratoire bien gérée.

[…]

(6)      Les États membres devraient veiller à ce que, en mettant fin au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers, ils respectent une procédure équitable et transparente. […]

[…]

(14)      Il y a lieu de conférer une dimension européenne aux effets des mesures nationales de retour par l’instauration d’une interdiction d’entrée excluant toute entrée et tout séjour sur le territoire de l’ensemble des États membres. […] »

III. Les faits et la procédure au principal

22.      E est un ressortissant nigérian. Le 24 janvier 2014, il a été condamné à une peine unique de cinq années d’emprisonnement par une juridiction pénale finlandaise en raison de plusieurs infractions graves en matière de stupéfiants commises au cours de l’année 2013 (11). Le jugement pénal est définitif. E a purgé en Finlande une partie de la peine d’emprisonnement qui lui a été infligée.

23.      E est titulaire d’un titre de séjour valable jusqu’au 11 février 2018 délivré par l’Espagne, pays dans lequel il avait auparavant habité quatorze ans et où se trouve sa famille. E a par conséquent demandé aux autorités finlandaises de l’éloigner vers l’Espagne.

24.      Le Maahanmuuttovirasto (Office finlandais de l’immigration) a toutefois ordonné, le 21 janvier 2015, l’éloignement de E dans son pays d’origine, le Nigéria, et il a motivé sa décision en indiquant qu’en raison des infractions graves que ledit E avait commises en Finlande, celui-ci représentait un danger pour l’ordre public et la sécurité publique. La décision ordonnant l’éloignement de E a été assortie d’une interdiction d’entrée sur l’ensemble du territoire de l’espace Schengen jusqu’à nouvel ordre. E ne s’est vu accorder aucun délai pour un départ volontaire.

25.      Le 26 janvier 2015, l’Office de l’immigration a engagé une consultation avec le Royaume d’Espagne en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS et a demandé aux autorités de cet État membre de faire connaître leur position sur un éventuel retrait du titre de séjour dont E dispose là-bas. En l’absence de réponse des autorités espagnoles, l’Office de l’immigration a renouvelé sa demande le 20 juin 2016 et a par ailleurs, le 21 juin 2016, communiqué le dispositif du jugement pénal rendu contre E, ainsi que le lui demandait le Royaume d’Espagne. Le 28 juin et le 9 novembre 2016, l’Office de l’immigration a renouvelé sa demande auprès des autorités espagnoles. D’après les indications figurant dans la décision de renvoi, les autorités espagnoles n’ont toujours pas fait savoir quelle était leur position sur le fond.

26.      E a été débouté en première instance du recours contre la décision ordonnant son éloignement, introduit auprès du Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif d’Helsinki, Finlande) (12). À la suite du pourvoi formé par E contre cette décision, le litige est désormais pendant en seconde instance devant le Korkein hallinto‑oikeus (Cour administrative suprême, Finlande), la juridiction de renvoi.

27.      Les juridictions nationales saisies au principal considèrent que E représente un danger pour l’ordre public et la sécurité publique. Le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) a toutefois, par une décision du 27 octobre 2016, ordonné jusqu’à nouvel ordre le sursis à l’exécution de l’éloignement de E.

IV.    Demande de décision préjudicielle et procédure devant la Cour

28.      Par une décision avant dire droit du 2 mai 2017, parvenue au greffe de la Cour le 10 mai 2017, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes au titre de l’article 267 TFUE :

« 1)      L’obligation de consultation entre les États contractants prévue à l’article 25, paragraphe 2, de la [CAAS] a-t-elle un effet juridique dont le ressortissant d’un pays tiers peut se prévaloir dans le cas où un État contractant prend à son encontre une interdiction d’entrée sur l’ensemble du territoire de l’espace Schengen et une décision de retour vers son pays d’origine au motif qu’il représente un danger pour l’ordre public et la sécurité publique ?

2)      Si l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS est applicable lors de l’adoption de la décision d’interdiction d’entrée, faut-il engager les consultations avant l’adoption de la décision d’interdiction d’entrée, ou ces consultations peuvent-elles être menées après seulement que la décision de retour et l’interdiction d’entrée ont été prises ?

3)      Si ces consultations peuvent être menées après seulement que la décision de retour et l’interdiction d’entrée ont été prises, le fait que les consultations sont en cours entre les États contractants et que l’autre État contractant n’a pas déclaré s’il avait l’intention de retirer le titre de séjour du ressortissant d’un pays tiers fait-il obstacle au retour du ressortissant d’un pays tiers dans son pays d’origine et à l’entrée en vigueur de l’interdiction d’entrée sur l’ensemble du territoire de l’espace Schengen ?

4)      Comment un État contractant doit-il procéder dans le cas où l’État contractant ayant délivré un titre de séjour, malgré des demandes réitérées, n’a pas pris position sur le retrait d’un titre de séjour qu’il a délivré au ressortissant d’un pays tiers ? »

29.      La juridiction de renvoi a assorti sa demande de décision préjudicielle d’une demande d’application de la procédure préjudicielle d’urgence, conformément à l’article 107 du règlement de procédure. En réponse à une demande d’éclaircissements de la Cour en application de l’article 101 du règlement de procédure, la juridiction de renvoi a toutefois indiqué le 2 juin 2017 que E bénéficie depuis le 24 janvier 2016 d’une mesure de liberté conditionnelle et n’est pas actuellement détenu. Dans ces conditions, la chambre de la Cour désignée pour les procédures d’urgence a décidé, en vertu de l’article 108 du règlement de procédure, de ne pas soumettre l’affaire à la procédure préjudicielle d’urgence. Toutefois, le 12 juin 2017, le président de la Cour a décidé, en application de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure, de faire juger l’affaire par priorité.

30.      Les gouvernements finlandais, belge, allemand, polonais et suisse (13), ainsi que la Commission européenne, ont présenté des observations écrites lors de la procédure préjudicielle devant la Cour. E, l’Office de l’immigration, les gouvernements finlandais et espagnol, ainsi que la Commission étaient représentés lors de l’audience du 9 novembre 2017. Il convient de souligner que c’est à l’invitation expresse de la Cour que le gouvernement espagnol a participé à l’audience et qu’il a, dans ce cadre, fait connaître sa position sur les questions préjudicielles ainsi que sur certaines questions posées par la Cour.

V.      Recevabilité de la demande de décision préjudicielle

31.      Ainsi qu’il est apparu lors de l’audience devant la Cour, les autorités espagnoles ont, le 2 novembre 2017, demandé à l’Office de l’immigration de leur communiquer la décision d’éloignement prise en Finlande contre E, dans l’objectif d’engager en Espagne la procédure aux fins du retrait du titre de séjour de E. Le 6 novembre 2017, l’Office de l’immigration a accédé à cette demande et transmis à l’Espagne une copie de la décision d’éloignement.

32.      Même en faisant abstraction du fait que ces développements récents dans l’affaire au principal n’ont pas été officiellement communiqués à la Cour par la juridiction de renvoi, mais seulement par les parties à la procédure (14), il est, au premier abord, permis de se demander si la demande de décision préjudicielle n’est pas devenue sans objet (15), car les questions préjudicielles, à l’origine recevables, pourraient être devenues purement hypothétiques du fait des événements du mois de novembre 2017.

33.      Il convient toutefois de rappeler que les autorités espagnoles n’ont à ce jour encore pris aucune décision définitive sur le retrait du titre de séjour de E, mais envisagent seulement d’engager la procédure qui peut conduire au retrait de ce titre. Ainsi que le gouvernement espagnol l’a précisé à la demande expresse de la Cour, personne ne peut dire avec certitude quand et avec quel résultat cette procédure nationale, le cas échéant, sera clôturée. Par ailleurs, dans l’hypothèse d’un retrait de son titre de séjour, E disposerait des voies de recours habituelles devant les juridictions espagnoles.

34.      Tant qu’aucune décision définitive des autorités espagnoles n’est intervenue sur le retrait du titre de séjour de E, on ne saurait considérer qu’il y a des motifs suffisants pour retirer le titre de séjour au sens de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, et encore moins que ce titre de séjour a déjà été retiré.

35.      Dans ces conditions, il convient de considérer que les questions préjudicielles n’ont rien perdu de leur pertinence pour le règlement du litige au principal et que la Cour reste tenue de leur apporter une réponse.

VI.    Appréciation sur le fond des questions préjudicielles

36.      La disposition qui est au cœur du débat dans la présente affaire est l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, que la juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter.

37.      Cette disposition, qui fait partie de l’acquis de Schengen, prévoit une obligation de consultation entre les États membres de l’espace Schengen lorsque l’un de ces États frappe un ressortissant d’un pays tiers d’une interdiction d’entrée sur l’ensemble du territoire Schengen, alors même qu’un autre État membre a délivré à ce même ressortissant d’un pays tiers un titre de séjour encore en cours de validité. Ce mécanisme est censé favoriser, dans l’espace Schengen, une action des autorités nationales qui soit efficace, cohérente et exempte de contradictions.

38.      Par ses questions, au nombre de quatre au total, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) souhaite dans ce contexte savoir quelles sont les incidences concrètes qu’un processus de consultation en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, qui n’est pas encore clos mais dure déjà depuis un certain temps, a sur l’exécution des décisions de retour et d’interdiction d’entrée prises contre le ressortissant d’un pays tiers (deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles), et si le ressortissant d’un pays tiers lui-même peut se prévaloir directement de cette disposition devant les juridictions nationales (première question préjudicielle).

39.      Il convient de répondre à ces questions relatives à l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS en veillant à une application harmonieuse de l’ensemble des dispositions pertinentes du droit de l’Union relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Pour cette raison, tant les dispositions de la directive 2008/115 que celles du code frontières Schengen doivent trouver place dans les considérations relatives à la présente affaire.

40.      Il nous semble judicieux de commencer par examiner la deuxième, la troisième et la quatrième question, relatives à l’interprétation sur le fond de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, avant de nous pencher ensuite sur la première question, relative à l’effet direct de cette disposition.

41.      Compte tenu de la répartition des tâches entre la Cour et la juridiction de renvoi, nous tenons pour acquis, dans le cadre de l’ensemble des considérations ci-dessous, que E représente réellement un danger pour l’ordre public et la sécurité publique, comme cela est expressément constaté dans la décision de renvoi, sans que cela soit remis en cause par aucune des parties (16).

42.      Seule d’ailleurs l’existence d’un tel danger pour l’ordre public et la sécurité publique, émanant de E, autorise en l’espèce les autorités finlandaises à éloigner celui-ci directement vers le Nigéria, son pays d’origine, sans lui donner préalablement la possibilité de partir pour l’Espagne, où il est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité (voir les dispositions combinées de l’article 6, paragraphe 2, seconde phrase, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115).

A.      Le bon moment pour commencer des consultations en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS (deuxième question)

43.      La deuxième question sert à déterminer le moment auquel il convient de commencer les consultations visées à l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS. Concrètement, la juridiction de renvoi cherche à savoir si de telles consultations doivent déjà être engagées avant l’éventuelle adoption, contre un ressortissant d’un pays tiers, d’une décision de retour et d’une interdiction d’entrée, ou si le droit de l’Union ne fait naître une obligation de consultation qu’après que les décisions administratives relatives au retour et à l’interdiction d’entrée ont été prises.

44.      Il ressort déjà du libellé de la plupart des versions linguistiques de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, et notamment des versions en langue allemande, française et anglaise, que cette disposition concerne des cas dans lesquels un ressortissant d’un pays tiers est signalé aux fins de non-admission (voir le premier alinéa de cette disposition), et que les consultations entre les États membres concernés conduisent le cas échéant au retrait de ce signalement (voir le second alinéa de cette même disposition). Autrement dit, l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS ne prévoit donc une obligation impérative de consultation qu’après que le ressortissant d’un pays tiers a été signalé aux fins de non-admission. En revanche, pour l’instant, cette disposition ne contient pas d’obligation de consultation préalable, à la différence de ce que prévoit l’actuelle proposition de réforme de la Commission dans ce domaine du droit (17).

45.      Cette analyse est confirmée par une lecture conjointe de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS et de la directive 2008/115, qui prévoit des normes et procédures communes applicables au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. En effet, à l’heure actuelle, cette directive n’impose elle non plus aux autorités d’un État membre qui s’apprêtent à adopter une décision de retour assortie d’une interdiction d’entrée aucune obligation de consulter préalablement d’autres États membres (dispositions combinées de l’article 6 et de l’article 11 de la directive 2008/115).

46.      Pour atteindre l’objectif d’une politique de retour efficace, tel que se l’est fixé l’Union (18), il est par ailleurs décisif que les autorités des États membres puissent en cas de besoin agir rapidement, surtout lorsque le ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier – comme dans le cas présent – représente un danger pour l’ordre public et la sécurité publique. Une obligation juridique de consultation préalable systématique d’autres États membres éventuellement concernés pourrait aller à l’encontre de cet objectif.

47.      L’absence d’une obligation de consultation d’autres États membres avant l’adoption de décisions relatives au retour et à l’interdiction d’entrée ne signifie toutefois en aucun cas que l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS s’oppose à la mise en œuvre d’une telle consultation préalable (19). Ainsi que le soulignent à juste titre le gouvernement allemand et la Commission, il est même souhaitable que les autorités de l’État membre qui envisagent de prendre à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier une décision de retour assortie d’une interdiction d’entrée se mettent le plus rapidement possible en relation avec tous les autres États membres concernés. D’une part, les autres États membres obtiennent ainsi le plus tôt possible les informations nécessaires leur permettant à eux aussi de prendre d’éventuelles mesures pour la protection de l’ordre public et de la sécurité publique. D’autre part, cela permet d’atteindre le plus haut degré de convergence possible dans l’action des États membres de l’espace Schengen, l’objectif étant d’éviter des décisions contradictoires.

1.      Conclusion intermédiaire

48.      On retiendra par conséquent, en réponse à la deuxième question préjudicielle, qu’il convient d’interpréter l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS en ce sens que, en l’état actuel du droit de l’Union, les consultations imposées par cette disposition devraient être mises en œuvre le plus tôt possible, mais ne doivent pas impérativement être engagées avant une décision relative au retour et à l’interdiction d’entrée.

B.      L’incidence de consultations en cours, en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, sur l’exécution des décisions de retour et d’interdiction d’entrée (troisième et quatrième questions)

49.      Par sa troisième et sa quatrième question préjudicielle, que nous examinerons conjointement étant donné qu’elles sont étroitement liées sur le fond, la juridiction de renvoi souhaite en substance savoir si une décision de retour (20) peut être exécutée, et si une interdiction d’entrée sur l’ensemble du territoire Schengen peut entrer en vigueur avant que les consultations menées en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS soient achevées.

50.      À la différence de la deuxième question préjudicielle, précédemment examinée (21), qui portait uniquement sur l’émission d’une décision de retour et d’une interdiction d’entrée, la troisième et la quatrième question portent sur le point de savoir si de telles décisions peuvent être exécutées ou mises en vigueur tant que durent les consultations visées à l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS.

1.      Remarque liminaire relative à la portée de la troisième et de la quatrième question

51.      Le gouvernement polonais insiste fortement sur le fait que les consultations visées à l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS n’ont pas des décisions de retour pour objet, ce qui implique selon lui que, par définition, le résultat de telles consultations ne peut pas avoir d’effet sur l’exécution de ces décisions de retour.

52.      Il s’agit selon nous d’une analyse quelque peu réductrice. Certes, il se peut que, par son libellé, l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS ne vise que les interdictions d’entrée, et même, pour être tout à fait exact, un aspect pratique particulier de ces interdictions d’entrée, à savoir le signalement dans le système d’information Schengen. Il convient toutefois de garder à l’esprit qu’une interdiction d’entrée, dans un cas comme en l’espèce, accompagne une décision de retour (voir l’article 3, point 6, in fine, et article 11, paragraphe 1, de la directive 2008/115) et ne prend effet que lorsque le ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier a effectivement quitté le territoire des États membres, c’est‑à‑dire lorsqu’il a effectivement quitté le territoire de l’Union (22).

53.      Par conséquent, il est en pratique essentiel, pour la prise d’effet d’une interdiction d’entrée, de savoir quand la décision de retour adressée au ressortissant d’un pays tiers peut de son côté être exécutée, et dans quelle mesure des consultations en cours en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS affectent cette exécution.

54.      Il est par conséquent logique que la juridiction de renvoi, dès lors qu’elle attend de la Cour une réponse utile, pose la question de l’incidence des consultations en cours en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS non seulement par rapport à l’interdiction d’entrée, mais aussi par rapport à la décision de retour sous-jacente à l’interdiction d’entrée.

2.      Les problèmes pratiques posés par le mécanisme de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS

55.      Lorsque, comme dans le cas présent, un ressortissant d’un pays tiers titulaire d’un titre de séjour en cours de validité délivré par un État membre de l’espace Schengen fait l’objet d’une décision de retour de la part d’un autre État membre de l’espace Schengen, ainsi que d’une interdiction d’entrée sur l’ensemble de l’espace Schengen avec signalement aux fins de non-admission, ce second État membre doit, en vertu de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, consulter le premier sur la question de savoir s’il y a des motifs suffisants pour retirer le titre de séjour.

56.      La coexistence d’une décision de retour et d’une interdiction d’entrée, d’un côté, et d’un titre de séjour en cours de validité, de l’autre côté, conduit à une situation d’incohérence de l’action des autorités dans l’espace Schengen, qu’il convient de résoudre par le biais des consultations prévues à l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS.

57.      Si l’État membre consulté retire le titre de séjour qu’il a délivré, ou si ce titre de séjour perd sa validité pour d’autres raisons – notamment en raison de l’expiration de la durée de séjour pour laquelle il avait été délivré, l’interdiction d’entrée sur l’ensemble de l’espace Schengen peut être maintenue.

58.      En revanche, s’il s’avère à l’issue des consultations que le titre de séjour n’est pas retiré mais reste en vigueur, l’État membre qui a pris l’interdiction d’entrée sur l’ensemble de l’espace Schengen doit transformer celle-ci en interdiction d’entrée purement nationale, ne concernant que son propre territoire, et peut alors tout au plus inscrire le ressortissant d’un pays tiers sur sa liste nationale de signalement aux fins de non-admission (article 25, paragraphe 2, second alinéa, de la CAAS).

59.      En l’état actuel du droit de l’Union, le ressortissant d’un pays tiers se trouve dans une sorte de zone grise lorsque la décision de retour est exécutée et que, partant, l’interdiction d’entrée prend effet, alors que les consultations entre États membres prévues à l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS sont toujours en cours. Pendant cette période, le ressortissant d’un pays tiers est soumis à une interdiction d’entrée sur l’ensemble de l’espace Schengen et reste signalé aux fins de non‑admission dans le système d’information Schengen pour l’ensemble de l’espace Schengen. Toutefois, en vertu des règles communes applicables dans le système Schengen, l’État membre qui a délivré le titre de séjour en cours de validité doit continuer de laisser le ressortissant d’un pays tiers entrer sur son propre territoire et chaque autre État membre de l’espace Schengen doit l’autoriser à entrer sur son territoire aux fins de transit vers ce premier État, sauf s’il figure sur la liste nationale de signalements de l’État membre en question [voir à ce sujet les dispositions combinées de l’article 21 de la CAAS et de l’article 6, paragraphe 5, sous a), ainsi que de l’article 14, paragraphe 1, du code frontières Schengen].

60.      En définitive, la présente demande de décision préjudicielle confronte donc la Cour à la question, extrêmement pertinente en pratique, de savoir comment cette zone grise peut être réduite au maximum, sans mettre en péril l’efficacité de la politique de retour de l’Union ni la protection de la sécurité publique et de l’ordre public dans l’ensemble de l’espace Schengen.

3.      L’obligation de prendre en considération l’existence de consultations en cours en vertu de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS lors de l’exécution de décisions de retour assorties d’une interdiction d’entrée

61.      En soi, ni le libellé de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS ni celui de la directive 2008/115 ne suggèrent que l’existence de consultations en cours entre les États membres pourrait impliquer de quelconques restrictions pour l’exécution d’une décision de retour contre un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier et la prise d’effet d’une interdiction d’entrée qui y est liée. Au contraire, la disposition relative à l’éloignement de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/115 oblige les États membres à prendre toutes les mesures nécessaires pour exécuter les décisions de retour.

62.      Il convient toutefois de considérer l’objectif de la procédure de consultation prévue à l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS. Celui-ci consiste à faire en sorte que les autorités de tous les États membres concernés dans l’espace Schengen, dans toute la mesure du possible, agissent d’une manière cohérente et exempte de contradictions, et à garantir qu’un titre de séjour en cours de validité et une interdiction d’entrée sur l’ensemble de l’espace Schengen ne puissent coexister durablement. Comme cela a déjà été mentionné (23), cela implique notamment de transformer une interdiction d’entrée sur l’ensemble de l’espace Schengen en une interdiction d’entrée nationale, conformément à l’article 25, paragraphe 2, second alinéa, de la CAAS, dans le cas où l’État membre qui a délivré au ressortissant concerné d’un pays tiers un titre de séjour en cours de validité ne retire pas ledit titre de séjour.

63.      En même temps, il convient de traiter le ressortissant d’un pays tiers de manière équitable (24) et de lui permettre de partir pour l’État membre qui lui a délivré le titre de séjour afin d’y faire usage de son droit de séjour, au lieu de l’obliger à retourner dans le pays tiers dont il est originaire (sur ce point, voir l’article 6, paragraphe 2, première phrase, de la directive 2008/115 et l’article 25, paragraphe 2, second alinéa, de la CAAS).

64.      Les deux objectifs de la procédure de consultation prévue à l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS – le comportement cohérent et exempt de contradictions des autorités, d’une part, et la possibilité, d’autre part, de faire usage d’un titre de séjour en cours de validité – risqueraient d’être réalisés de manière beaucoup moins satisfaisante s’il était loisible à l’État membre consultant d’exécuter en tout état de cause la décision de retour avant l’achèvement des consultations, ce qui aurait pour conséquence que le ressortissant concerné d’un pays tiers devrait quitter le territoire de l’Union et serait alors soumis à une interdiction d’entrée efficace.

65.      Il ressort par conséquent de l’objectif de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS que l’existence de consultations en cours en application de cette disposition fait en principe obstacle à l’exécution d’une décision de retour et à la prise d’effet d’une interdiction d’entrée. Selon nous, l’existence d’une telle procédure de consultation en cours doit en outre être considérée comme une circonstance propre au cas d’espèce en raison de laquelle les États membres sont tenus en règle générale, en application de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2008/115, de reporter l’éloignement du ressortissant d’un pays tiers vers son pays d’origine.

C.      La possibilité de l’exécution de décisions de retour avant l’achèvement des consultations en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS

66.       Indépendamment de ce qui précède, il peut évidemment y avoir des situations dans lesquelles il ne serait pas justifié, compte tenu des circonstances concrètes du cas d’espèce, d’attendre l’achèvement des consultations en cours en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, mais dans lesquelles il convient au contraire d’éloigner immédiatement le ressortissant d’un pays tiers en application de l’article 8 de la directive 2008/115.

67.      La recherche d’une articulation la plus harmonieuse possible entre la mise en œuvre concrète de la procédure de consultation et les autres dispositions pertinentes en matière d’espace de liberté, de sécurité et de justice, ainsi qu’une lecture conjointe de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS et des dispositions de la directive 2008/115, permettent de faire émerger deux cas de figure dans lesquels l’exécution de la décision de retour et la prise d’effet de l’interdiction d’entrée semblent exceptionnellement s’imposer dès avant l’achèvement de consultations en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS :

–        d’une part, lorsque l’État membre consulté ne fait pas connaître sa position, bien qu’un délai de réponse approprié se soit écoulé (premier cas de figure) ;

–        d’autre part, lorsque le ressortissant concerné d’un pays tiers constitue un danger pour l’ordre public et la sécurité publique (second cas de figure).

Dans les deux cas de figure, il est conforme à l’objectif fondamental d’une politique de retour efficace (25) que d’exécuter rapidement la décision de retour à l’encontre du ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier et, partant, de mettre effectivement en vigueur l’interdiction d’entrée le concernant.

1.      Premier cas de figure : dépassement d’un délai de réponse approprié

68.      En ce qui concerne le premier cas de figure, il y a lieu de constater que la CAAS, en tant que telle, n’impose aucun délai de réponse concret à l’État membre consulté en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS. Il ressort toutefois du principe de coopération loyale (article 4, paragraphe 3, TUE) (26) que l’État membre consulté doit prendre position dans un délai approprié en utilisant le formulaire prévu à cet effet (27).

69.      Il semble en outre permis de s’inspirer de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2008/115 (28) pour concrétiser ce qui peut être considéré comme un délai de réponse approprié : normalement, l’État membre consulté devrait se voir accorder un délai allant de sept à trente jours pour communiquer sa position, c’est‑à-dire, en définitive, un délai comparable à celui qui peut être imparti au ressortissant concerné d’un pays tiers pour un départ volontaire.

70.      Un tel délai de réponse, de sept à trente jours, pour des consultations en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, peut certes sembler relativement bref, d’autant plus qu’il peut s’avérer nécessaire, dans l’État membre consulté, de faire intervenir des autorités régionales ou locales ainsi que d’examiner la situation personnelle du ressortissant concerné d’un pays tiers (29). Les délais de réponse brefs sont toutefois loin d’être rares dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice (30). Dans le présent contexte, cette brièveté s’explique par l’objectif fondamental, évoqué précédemment, de conférer de l’efficacité à la politique de retour de l’Union, ce qui exige de toutes les autorités nationales concernées des efforts substantiels et une très grande rapidité d’action (31). Un délai court contribue par ailleurs également à la cohérence de l’action de toutes les autorités dans l’espace Schengen.

71.      De plus, un délai de réponse bref, d’une part, respecte l’intérêt du ressortissant concerné d’un pays tiers à la sécurité juridique et – dans le cas où il est placé en détention – à une privation de liberté la plus courte possible. D’autre part, un délai bref sert les intérêts de l’État membre consultant, qui n’a pas vocation à supporter outre mesure la charge et les éventuels coûts liés au séjour irrégulier du ressortissant d’un pays tiers.

72.      Au cas où l’État membre consulté aurait néanmoins besoin de davantage de temps pour faire connaître sa position en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, le principe de coopération loyale (article 4, paragraphe 3, TUE), exige qu’il se mette en relation avec l’État membre consultant et donne à celui-ci des raisons suffisantes pour une prolongation du délai de réponse. Face à ces justifications avancées par l’État membre consulté, l’État membre consultant est quant à lui tenu d’adopter une approche constructive, toujours dans l’esprit d’une coopération loyale. L’idéal serait alors que les deux États se mettent d’accord sur une prolongation appropriée du délai, en s’inspirant de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/115. L’État membre consultant devrait en règle générale accorder à l’État membre consulté une prolongation du délai de réponse d’au moins trente jours supplémentaires.

73.      Certes, l’expiration sans résultat de ce délai prolongé ne saurait, faute de disposition expresse en la matière, valoir réponse de l’État membre consulté, ni positive ni négative (32). Toutefois, il est alors loisible à l’État membre consultant de considérer que le cadre temporel d’un délai de réponse approprié a été dépassé.

74.      L’État membre consultant peut alors exécuter sa décision de retour indépendamment de l’absence de résultat des consultations à ce stade et ainsi mettre en vigueur l’interdiction d’entrée. Cette interdiction d’entrée est valable dans l’ensemble de l’espace Schengen (ainsi d’ailleurs que pour tous les États membres de l’Union qui ne font pas partie de l’espace Schengen (33)), sous réserve toutefois – comme nous l’avons déjà précédemment indiqué (34) – de l’obligation de permettre au ressortissant concerné d’un pays tiers l’entrée dans l’État membre consulté dans lequel il dispose (encore) d’un titre de séjour en cours de validité, ou le transit vers cet État [voir à cet égard les dispositions combinées de l’article 21 de la CAAS et de l’article 6, paragraphe 5, sous a), ainsi que de l’article 14, paragraphe 1, du code frontières Schengen].

2.      Second cas de figure : danger pour l’ordre public et la sécurité publique

75.      En ce qui concerne le second cas de figure, dans lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers représente un danger pour l’ordre public et la sécurité publique, il va de soi que la décision de renvoi peut être exécutée et, partant, l’interdiction d’entrée mise en vigueur sans qu’il faille attendre l’issue des consultations en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS.

76.      En effet, en raison de l’absence de contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen, il n’est pas improbable que le danger pour l’ordre public et la sécurité publique que représente le ressortissant concerné d’un pays tiers dans un État membre de l’espace Schengen puisse se manifester rapidement dans tous les autres États membres de l’espace Schengen. Par conséquent, l’État membre qui émet une décision de retour et une interdiction d’entrée agit pour la protection de la sécurité non seulement sur son propre territoire, mais dans l’ensemble de l’espace Schengen.

77.      Les intérêts de sécurité de tous les États membres de l’espace Schengen et de la population vivant sur leur territoire priment, dans un tel cas de figure, la recherche de concordance et de cohérence entre les décisions administratives rendues dans l’espace Schengen, ainsi que l’intérêt du ressortissant concerné d’un pays tiers à faire usage du titre de séjour en cours de validité dont il dispose dans l’État membre consulté (35).

78.      Cette analyse est confortée par la lecture de l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2008/115, en vertu duquel les personnes qui constituent un danger pour l’ordre public et la sécurité publique n’ont pas à se voir accorder de délai pour un départ volontaire, ou seulement un délai très court. Sur le modèle de cette disposition, on ne saurait exiger de l’État membre consultant qu’il attende de connaître la position de l’État membre consulté pour exécuter la décision de retour qu’il a émise et mettre en vigueur l’interdiction d’entrée qui l’accompagne.

3.      Conséquences pour la procédure au principal

79.      Un cas tel que celui de E relève, d’après toutes les informations dont la Cour dispose, des deux cas de figure exposés précédemment : d’une part, le Royaume d’Espagne a très largement dépassé le délai de réponse approprié dans le cadre de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS (36), sans – pour autant que nous le sachions – demander une quelconque prolongation du délai ni, a fortiori, indiquer des raisons suffisantes justifiant une telle prolongation de délai (premier cas de figure). D’autre part, d’après les constatations des autorités et juridictions nationales, E représente un danger pour l’ordre public et la sécurité publique (second cas de figure). Pour chacune de ces deux raisons, dont l’une ou l’autre serait déjà à elle seule suffisante, la circonstance que les consultations en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS ne sont pas encore terminées ne fait pas obstacle à l’exécution de la décision de retour et à la prise d’effet de l’interdiction d’entrée dans le cas présent.

D.      Conclusion intermédiaire

80.      En résumé, on peut donc, en réponse à la troisième et la quatrième question préjudicielle, retenir ce qui suit en ce qui concerne l’interprétation de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS :

La décision de retour peut être exécutée et l’interdiction d’entrée peut être mise en vigueur seulement à partir du moment où l’État consulté en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS a fait connaître sa position, ou si les consultations sont restées infructueuses malgré l’écoulement d’un délai approprié. Avant l’expiration de ce délai, ces deux décisions peuvent être exécutées dans la mesure où le ressortissant d’un pays tiers représente un danger pour l’ordre public et la sécurité publique.

E.      L’effet direct de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS (première question)

81.      Pour finir, il reste à examiner dans le cadre de la première question préjudicielle si le ressortissant concerné d’un pays tiers peut invoquer directement l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS devant les juridictions nationales.

82.      À l’origine, l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS n’était pas un acte juridique de l’Union, mais une disposition qui était incluse dans un accord interétatique en dehors du cadre de l’Union européenne. Avec le traité d’Amsterdam, qui a procédé à l’intégration de l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne (37), cet accord est toutefois devenu partie intégrante du droit de l’Union qui doit être appliqué par les États membres participant à l’espace Schengen.

83.      À la différence de ce qui est le cas pour les décisions-cadres (38), l’effet direct d’accords conclus entre les États membres en rapport avec l’espace de liberté, de sécurité et de justice n’est pas exclu. La CAAS elle-même n’exclut d’ailleurs nullement l’application directe de ses dispositions (39).

84.      L’effet direct de dispositions de la CAAS doit donc être apprécié d’après les mêmes critères généraux que ceux qui s’appliquent aux accords internationaux qui lient l’Union (40), ainsi qu’aux autres dispositions du droit dérivé de l’Union.

85.      La condition de l’application directe d’une disposition du droit de l’Union est que celle-ci apparaisse, du point de vue de son contenu, inconditionnelle et suffisamment précise. Une telle condition est remplie lorsque la disposition invoquée comporte une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur (41).

86.      L’article 25, paragraphe 2, de la CAAS oblige un État membre de l’espace Schengen qui signale un ressortissant d’un pays tiers aux fins de non-admission dans le système d’information Schengen à consulter tout autre État membre de l’espace Schengen ayant délivré au ressortissant d’un pays tiers un titre de séjour en cours de validité afin de savoir si cet État membre envisage de retirer ce titre de séjour.

87.      L’article 25, paragraphe 2, de la CAAS contient donc à cet égard une obligation claire et précise qui n’est pas non plus subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’un acte ultérieur. Même si les conséquences précises d’une absence de consultation, ou d’une consultation irrégulière, ne sont pas expressément prévues dans l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, l’exigence d’une consultation ainsi que l’objet de cette consultation sont prévus de manière tellement claire dans cette disposition que celle-ci est susceptible d’être appliquée sans difficulté par toute juridiction (42). Par conséquent, les conditions d’une application directe sont réunies en ce qui concerne l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS.

88.      On ne saurait au demeurant utilement contester l’application directe de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS en faisant valoir qu’il s’agit d’une règle purement procédurale, ne régissant de surcroît que les rapports entre États membres. En effet, il est d’une part reconnu en droit de l’Union que même des dispositions qui, par leur libellé, s’adressent aux seuls États membres, peuvent produire un effet direct (43). Et, d’autre part, ainsi que la Cour l’a récemment constaté à propos d’un autre aspect de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, des dispositions à caractère purement procédural peuvent également être invoquées par des particuliers devant les juridictions nationales (44).

89.      Dans le cas où l’application ou la non-application d’une disposition de procédure qui s’adresse aux États membres et régit les rapports entre ceux-ci peut avoir des incidences très concrètes sur les droits et intérêts des particuliers, lesdits particuliers doivent en tout état de cause pouvoir invoquer directement la disposition de procédure en cause devant les juridictions nationales pour protéger leurs droits et intérêts, toujours à la condition que cette disposition soit, du point de vue de son contenu, inconditionnelle et suffisamment précise.

90.      La disposition ici en cause de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS l’illustre de manière particulièrement tangible : en effet, si l’État membre consulté fait savoir qu’il n’y a selon lui pas de raisons suffisantes pour retirer le titre de séjour du ressortissant concerné d’un pays tiers, l’État membre consultant est obligé, en vertu de l’article 25, paragraphe 2, second alinéa, de la CAAS, de transformer l’interdiction d’entrée sur l’ensemble du territoire Schengen qu’il a émise en une interdiction d’entrée purement nationale, limitée à son propre territoire, et ne peut inscrire le ressortissant d’un pays tiers que sur sa liste nationale de signalement aux fins de non-admission.

91.      La procédure de consultation en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS n’entraîne donc pas forcément une détérioration de la situation juridique du ressortissant concerné d’un pays tiers se traduisant par un retrait de son titre de séjour en cours de validité, malgré ce qu’ont pu soutenir certaines parties à la procédure. La procédure de consultation peut en effet tout aussi bien conduire à une amélioration significative de cette situation juridique, dans le cas où l’État membre consulté maintient le titre de séjour qu’il a délivré et, de cette façon, contraint l’État membre consultant à n’émettre qu’une interdiction d’entrée nationale, au lieu d’une interdiction d’entrée sur l’ensemble du territoire Schengen.

92.      Comme nous l’avons en outre indiqué dans le cadre de la troisième et de la quatrième question préjudicielle (45), l’État membre consultant – abstraction faite des cas de danger pour l’ordre public et la sécurité publique – ne peut exécuter une décision de retour et mettre en vigueur une interdiction d’entrée sur l’ensemble du territoire Schengen qu’après avoir recueilli la position de l’État membre consulté en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, ou en tout cas après avoir octroyé à celui-ci, pour faire connaître sa position, un délai approprié qui s’est écoulé sans résultat.

93.      Tout bien considéré, le ressortissant concerné d’un pays tiers peut donc tirer de l’application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS des avantages concrets pour sa position juridique et ses intérêts, et risque, en cas de non‑application ou d’application irrégulière de cette procédure, de subir des inconvénients concrets. Par conséquent, ce ressortissant d’un pays tiers doit pouvoir invoquer l’obligation de consultation prévue à l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS pour contester la légalité ou l’exécution d’une décision de retour le concernant ou d’une interdiction d’entrée dont il a été frappé en application de la directive 2008/115. Les gouvernements finlandais, espagnol et suisse, notamment, ainsi que la Commission, se sont à juste titre exprimés en faveur d’une telle analyse (46).

1.      Conclusion intermédiaire

94.      En résumé, la première question préjudicielle appelle donc la réponse suivante :

Un ressortissant d’un pays tiers peut se prévaloir directement de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS pour contester la légalité et l’exécution d’une décision de retour rendue à son encontre ou d’une interdiction d’entrée dont il a été frappé en application de la directive 2008/115.

VII. Conclusion

95.      Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante à la demande de décision préjudicielle du Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande) :

1)      Un ressortissant d’un pays tiers peut se prévaloir directement de l’article 25, paragraphe 2, de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, pour contester la légalité et l’exécution d’une décision de retour rendue à son encontre ou d’une interdiction d’entrée dont il a été frappé en application de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

2)      Il convient d’interpréter l’article 25, paragraphe 2, de la convention d’application de l’accord de Schengen en ce sens que, en l’état actuel du droit de l’Union, les consultations imposées par cette disposition devraient être mises en œuvre le plus tôt possible, mais ne doivent pas impérativement être engagées avant une décision relative au retour et à l’interdiction d’entrée.

3)      La décision de retour peut être exécutée et l’interdiction d’entrée peut être mise en vigueur seulement à partir du moment où l’État consulté en application de l’article 25, paragraphe 2, de la convention d’application de l’accord de Schengen a fait connaître sa position, ou si les consultations sont restées infructueuses malgré l’écoulement d’un délai approprié. Avant l’expiration de ce délai, ces deux décisions peuvent être exécutées dans la mesure où le ressortissant d’un pays tiers représente un danger pour l’ordre public et la sécurité publique.


1      Langue originale : l’allemand.


2      Voir à ce sujet article 3, paragraphe 2, TUE et article 67, paragraphe 2, TFUE, ainsi que le protocole no 19 annexé aux TUE et TFUE (protocole sur l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’Union européenne, JO 2008, C 115, p. 290 ; ce protocole provient du traité d’Amsterdam).


3      Sur ce dernier point notamment, voir arrêts du 5 juin 2014, Mahdi (C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 46), du 5 novembre 2014, Mukarubega (C‑166/13, EU:C:2014:2336, point 39), et du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 38).


4      Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19).


5      JO 2008, L 348, p. 98.


6      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (JO 2016, L 77, p. 1).


7      Le règlement (UE) 2016/399 a abrogé et remplacé la version antérieurement applicable du code frontières Schengen, résultant du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1). Les dispositions pertinentes dans la présente affaire n’ont toutefois pas été modifiées sur le fond, si bien que nous ferons ci-dessous référence uniquement à la version actuellement en vigueur du code frontières Schengen.


8      Il s’agissait du Royaume de Belgique, de la République fédérale d’Allemagne, de la République française, du Grand-Duché de Luxembourg et du Royaume des Pays-Bas.


9      En outre, par la décision 1999/436/CE du Conseil, du 20 mai 1999 (JO 1999, L 176, p. 17), les différentes dispositions qui, ensemble, constituent l’acquis de Schengen, ont été rattachées à leur base juridique respective dans les traités constitutifs de l’Union européenne ; conformément à l’annexe A de cette décision, l’article 25 de la CAAS relève du champ d’application de l’article 62, point 3, et de l’article 63, point 3, CE (aujourd’hui articles 77 et 79 TFUE).


10      Voir à ce sujet l’accord entre l’Union européenne, la Communauté européenne et la Confédération suisse sur l’association de la Confédération suisse à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen, signé à Luxembourg le 26 octobre 2004 et entré en vigueur le 1er mars 2008 (JO 2008, L 53, p. 52), ci-après l’« accord d’association de la Suisse à Schengen ».


11      Le requérant au principal avait notamment détenu et vendu au moins 850 comprimés d’ecstasy, avait importé en Finlande au total 438 grammes de cocaïne à des fins de revente ou de cession et essayé de se procurer au moins 30 grammes de cocaïne à des fins de revente.


12      Le jugement de première instance a été rendu le 5 avril 2016.


13      Sur le droit de la Suisse à participer à la procédure préjudicielle, voir les dispositions combinées de l’article 8, paragraphe 2, de l’accord d’association de la Suisse à Schengen et de l’article 23, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.


14      L’Office de l’immigration et le représentant du gouvernement espagnol ont fait sur ce point des déclarations concordantes devant la Cour.


15      Voir en ce sens arrêt du 20 janvier 2005, García Blanco (C‑225/02, EU:C:2005:34), ainsi qu’ordonnances du 3 mars 2016, Euro Bank (C‑537/15, EU:C:2016:143), et du 23 mars 2016, Overseas Financial et Oaktree Finance (C‑319/15, EU:C:2016:268).


16      Nous supposons ce faisant que l’existence de ce danger pour l’ordre public et la sécurité publique a été établie conformément aux règles minimales qui s’appliquent en droit de l’Union et, en particulier, selon une évaluation rigoureuse du cas d’espèce, dans le cadre de laquelle il a été tenu compte non seulement des infractions pénales commises par le passé par la personne concernée, mais aussi, de manière déterminante, des dangers réels et actuels que celle-ci présente, et qui ont fait pencher la balance en définitive ; voir à ce sujet arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, notamment points 50 à 52 et 54).


17      Article 26, paragraphe 2 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen (SIS) dans le domaine des vérifications aux frontières, modifiant le règlement (UE) n o 515/2014 et abrogeant le règlement (CE) n o 1987/2006, présentée par la Commission le 21 décembre 2016, COM(2016) 882 final.


18      Voir à ce sujet le considérant 4 de la directive 2008/115, ainsi que les arrêts du 5 novembre 2014, Mukarubega (C‑166/13, EU:C:2014:2336, point 39), du 23 avril 2015, Zaizoune (C‑38/14, EU:C:2015:260, point 34), et du 26 juillet 2017, Ouhrami (C‑225/16, EU:C:2017:590, point 51).


19      Comme le montre l’article 26, paragraphe 2, seconde phrase, de la proposition COM(2016) 882 final (précitée à la note 17), il est tout à fait concevable de procéder à une consultation préalable dans le système Schengen.


20      La juridiction de renvoi parle à ce propos également de « renvoi », reprenant sans doute le terme utilisé par les dispositions pertinentes du droit national. En l’absence d’indication contraire, nous partons toutefois du principe qu’il ne s’agit pas d’autre chose que d’une décision de retour au sens de la directive 2008/115, et utiliserons par conséquent la terminologie qui provient de cette directive.


21      Voir les points 43 à 48 des présentes conclusions.


22      Arrêt du 26 juillet 2017, Ouhrami (C‑225/16, EU:C:2017:590, points 45 à 53, en particulier points 45 et 53).


23      Voir, à cet égard, point 58 des présentes conclusions.


24      Sur le droit du ressortissant d’un pays tiers à une procédure équitable et transparente, voir le considérant 6 de la directive 2008/115 ainsi que les arrêts du 5 juin 2014, Mahdi (C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 40), et du 5 novembre 2014, Mukarubega (C‑166/13, EU:C:2014:2336, point 61).


25      Voir à ce sujet, de nouveau, le considérant 4 de la directive 2008/115, ainsi que les arrêts du 5 novembre 2014, Mukarubega (C‑166/13, EU:C:2014:2336, point 39), du 23 avril 2015, Zaizoune (C‑38/14, EU:C:2015:260, point 34), et du 26 juillet 2017, Ouhrami (C‑225/16, EU:C:2017:590, point 51).


26      De manière générale, sur le principe de coopération loyale entre les États membres, voir arrêts du 22 mars 1983, Commission/France (42/82, EU:C:1983:88, point 36), du 27 septembre 1988, Matteucci (235/87, EU:C:1988:460, point 19), et du 11 juin 1991, Athanasopoulos e.a. (C‑251/89, EU:C:1991:242, point 57). Récemment, la Cour a souligné l’importance du principe de la coopération loyale entre États membres également dans le contexte de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, et ce, d’une part, par rapport au système Schengen (arrêt du 31 janvier 2006, Commission/Espagne, C‑503/03, EU:C:2006:74, point 56), ainsi que, d’autre part, au regard du traitement des demandes de protection internationale (arrêt du 26 juillet 2017, Jafari, C‑646/16, EU:C:2017:586, point 88 in fine).


27      Voir point 4.5.1 du manuel Sirene, reproduit en annexe à la décision d’exécution 2013/115/UE de la Commission du 26 février 2013 (JO 2013, L 71, p. 1).


28      Il semble d’autant plus indiqué de s’inspirer des délais prévus dans la directive 2008/115 que cette directive, d’après son article 21, remplace certaines dispositions de la CAAS.


29      Voir notamment, sur ce dernier aspect, l’article 12 de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44).


30      Ainsi, par exemple, certains délais de réponse applicables dans le cadre du système « Dublin‑III », qui jouent un rôle dans l’affaire X, pendante devant la Cour (affaires jointes C‑47/17 et C‑48/17) ; voir à ce sujet l’article 22, paragraphes 1 et 6, ainsi que l’article 25 du règlement (UE) n o 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31).


31      La Commission adopte une approche encore plus rigoureuse à l’article 26, paragraphe 2, deuxième phrase, de sa proposition COM(2016) 882 final (citée à la note 17), où elle considère le délai extrêmement bref de sept jours comme étant approprié.


32      En ce qui concerne différents domaines du droit dans lesquels le législateur de l’Union a expressément donné un contenu au silence d’une autorité, voir nos conclusions dans l’affaire Housieaux (C‑186/04, EU:C:2005:70, point 35).


33      Voir à cet égard l’article 3, point 6, de la directive 2008/115, en vertu duquel une interdiction d’entrée, au sens de cette directive, interdit l’entrée sur le territoire des États membres ; voir en outre le considérant 14 de cette directive, soulignant qu’il y a lieu de conférer une dimension européenne aux effets des mesures nationales de retour par l’instauration d’une interdiction d’entrée excluant toute entrée et tout séjour sur le territoire de l’ensemble des États membres.


34      Voir, à cet égard, point 59 des présentes conclusions.


35      Conformément à cela, l’article 6, paragraphe 2, seconde phrase, de la directive 2008/115 ne prévoit pas non plus l’obligation, dans un tel cas, de permettre au ressortissant concerné d’un pays tiers de partir pour l’État membre qui lui a délivré le titre de séjour, mais renvoie simplement à l’application de la règle du retour du ressortissant d’un pays tiers dans son pays d’origine, prévue à l’article 6, paragraphe 1, de cette même directive.


36      À la date du dépôt de la demande de décision préjudicielle auprès de la Cour, les consultations en application de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS duraient déjà depuis plus de deux ans, sans que le Royaume d’Espagne ait définitivement pris position.


37      Voir à cet égard, aujourd’hui, le protocole no 19, annexé au traité UE et au traité FUE.


38      Voir à ce sujet l’article 34, paragraphe 2, sous b), troisième phrase, UE, dans sa version résultant du traité d’Amsterdam.


39      Bien au contraire, il est reconnu que les dispositions de la CAAS peuvent, devant les juridictions nationales, conduire à écarter des dispositions juridiques ou pratiques nationales divergentes (voir arrêt de principe du 11 février 2003, Gözütok et Brügge, C‑187/01 et C‑385/01, EU:C:2003:87, notamment le point 33 in fine, se rapportant à l’article 54 de la CAAS).


40      Étant précisé qu’il peut d’ailleurs également s’agir, en vertu d’une jurisprudence constante, d’accords auxquels l’Union ne participe pas elle-même en qualité de partie contractante ; voir à ce sujet notamment arrêts du 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a. (21/72 à 24/72, EU:C:1972:115, point 18), et arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864, point 62).


41      Arrêts du 30 septembre 1987, Demirel (12/86, EU:C:1987:400, point 14), et du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864, points 54 et 55) ; en outre, l’arrêt du 5 février 1963, van Gend & Loos (26/62, EU:C:1963:1), revêt une portée de principe dans ce cadre (voir p. 24 et suivante).


42      Arrêt du 22 mai 1980, Santillo (131/79, EU:C:1980:131, point 13) ; dans le même sens, arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, EU:C:1986:84, point 55), et du 2 août 1993, Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335, point 37), ainsi que conclusions de l’avocat général Van Gerven dans l’affaire Banks (C‑128/92, EU:C:1993:860, point 27, dernier alinéa).


43      Arrêts du 5 février 1963, van Gend & Loos (26/62, EU:C:1963:1, p. 24 et suivante), et du 8 avril 1976, Defrenne (43/75, EU:C:1976:56, points 30 à 37).


44      Arrêt du 26 juillet 2017, Mengesteab (C‑670/16, EU:C:2017:587, en particulier point 56) ; dans le même sens, arrêt du 25 octobre 2017, Shiri (C‑201/16, EU:C:2017:805, en particulier points 39 et 44).


45      Voir à cet égard, en particulier points 61 à 80 des présentes conclusions.


46      Le gouvernement belge se prononce lui aussi en faveur de la reconnaissance de l’effet direct de l’article 25, paragraphe 2, de la CAAS, pour autant que cette procédure peut permettre au ressortissant concerné d’un pays tiers de faire radier du système d’information Schengen un signalement aux fins de non-admission le concernant.