Language of document : ECLI:EU:C:2020:538

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 juillet 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Transport aérien – Convention de Montréal – Article 17, paragraphe 2 – Responsabilité des transporteurs aériens en matière de bagages enregistrés – Perte avérée d’un bagage enregistré – Droit à indemnisation – Article 22, paragraphe 2 – Limites de responsabilité en cas de destruction, de perte, d’avarie ou de retard de bagages – Absence d’informations concernant le bagage perdu – Charge de la preuve – Autonomie procédurale des États membres – Principes d’équivalence et d’effectivité »

Dans l’affaire C‑86/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Mercantil no 9 de Barcelona (tribunal de commerce no 9 de Barcelone, Espagne), par décision du 3 décembre 2018, parvenue à la Cour le 6 février 2019, dans la procédure

SL

contre

Vueling Airlines SA,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, MM. S. Rodin, D. Šváby, Mme K. Jürimäe et M. N. Piçarra (rapporteur), juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 janvier 2020,

considérant les observations présentées :

–        pour SL, par Mes A. Azcárraga Gonzalo, A. Velázquez Cobos et J. C. Siqueira Viana, abogados,

–        pour Vueling Airlines SA, par Me J. Fillat Boneta, abogado,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, M. Hellmann et U. Bartl ainsi que par Mme A. Berg, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M.A.M. de Ree, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. J. Rius ainsi que par Mme N. Yerrell, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 mars 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 2, et de l’article 22, paragraphe 2, de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999, signée par la Communauté européenne le 9 décembre 1999, et approuvée au nom de celle-ci par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (JO 2001, L 194, p. 38) (ci-après la « convention de Montréal »), qui est entrée en vigueur, en ce qui concerne l’Union européenne, le 28 juin 2004.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SL à Vueling Airlines SA, un transporteur aérien, au sujet d’une demande d’indemnisation des préjudices matériel et moral résultant de la perte du bagage enregistré par SL au cours d’un vol effectué par ce transporteur.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        Au troisième alinéa du préambule de la convention de Montréal, les États parties « reconnaiss[e]nt l’importance d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation ».

4        Le cinquième alinéa de ce préambule énonce que « l’adoption de mesures collectives par les États en vue d’harmoniser davantage et de codifier certaines règles régissant le transport aérien international est le meilleur moyen de réaliser un équilibre équitable des intérêts ».

5        L’article 3, paragraphe 3, de la convention de Montréal prévoit :

« Le transporteur délivrera au passager une fiche d’identification pour chaque article de bagage enregistré. »

6        L’article 17 de cette convention, intitulé « Mort ou lésion subie par le passager – Dommage causé aux bagages », stipule :

« [...]

2.      Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de bagages enregistrés, par cela seul que le fait qui a causé la destruction, la perte ou l’avarie s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toute période durant laquelle le transporteur avait la garde des bagages enregistrés. [...] 

3.      Si le transporteur admet la perte des bagages enregistrés ou si les bagages enregistrés ne sont pas arrivés à destination dans les vingt et un jours qui suivent la date à laquelle ils auraient dû arriver, le passager est autorisé à faire valoir contre le transporteur les droits qui découlent du contrat de transport.

4.      Sous réserve de dispositions contraires, dans la présente convention le terme “bagages” désigne les bagages enregistrés aussi bien que les bagages non enregistrés. »

7        L’article 22 de ladite convention, intitulé « Limites de responsabilité relatives aux retards, aux bagages et aux marchandises », dispose, à son paragraphe 2 :

« Dans le transport de bagages, la responsabilité du transporteur en cas de destruction, perte, avarie ou retard est limitée à la somme de 1 000 droits de tirage spéciaux par passager, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par le passager au moment de la remise des bagages enregistrés au transporteur et moyennant le paiement éventuel d’une somme supplémentaire. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel du passager à la livraison. »

8        Conformément à la procédure prévue à l’article 24 de la convention de Montréal, la limite de responsabilité prévue à l’article 22, paragraphe 2, de celle-ci a été portée à 1 131 droits de tirage spéciaux (ci-après les « DTS ») par passager pour les dommages causés aux bagages à compter du 30 décembre 2009. Ce montant a été porté à 1 288 DTS à compter du 28 décembre 2019.

 Le droit de l’Union

9        À la suite de la signature de la convention de Montréal, le règlement (CE) no 2027/97 du Conseil, du 9 octobre 1997, relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en ce qui concerne le transport aérien de passagers et de leurs bagages (JO 1997, L 285, p. 1), a été modifié par le règlement (CE) no 889/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 13 mai 2002 (JO 2002, L 140, p. 2) (ci-après le « règlement no 2027/97 »).

10      Les considérants 12 et 18 du règlement no 889/2002 énoncent :

« (12)      Des limites uniformes de responsabilité en cas de perte, détérioration ou destruction des bagages et pour les dommages occasionnés par des retards, s’appliquant à toutes les opérations réalisées par les transporteurs [de l’Union], constitueront des règles simples et claires tant pour les passagers que pour les compagnies aériennes et permettront aux passagers de déterminer si une assurance supplémentaire est nécessaire.

[...]

(18)      Il incombe aux États membres de prévoir les dispositions supplémentaires éventuellement nécessaires pour mettre en œuvre la convention de Montréal sur des points qui ne sont pas couverts par le règlement (CE) no 2027/97 ».

11      Aux termes de l’article 1er du règlement no 2027/97 :

« Le présent règlement met en œuvre les dispositions pertinentes de la convention de Montréal relatives au transport aérien de passagers et de leurs bagages, et fixe certaines dispositions supplémentaires. Il étend également l’application de ces dispositions aux transports aériens effectués sur le territoire d’un seul État membre. »

12      L’article 3, paragraphe 1, de ce règlement dispose :

« La responsabilité d’un transporteur aérien [de l’Union] envers les passagers et leurs bagages est régie par toutes les dispositions de la convention de Montréal relatives à cette responsabilité. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

13      Le 18 septembre 2017, SL a voyagé d’Ibiza (Espagne) à Fuerteventura (Espagne), en faisant escale à Barcelone (Espagne), par un vol opéré par Vueling Airlines. Elle a enregistré son bagage auprès de ce transporteur aérien.

14      En arrivant, après un vol qui s’est déroulé normalement, SL a constaté que son bagage n’était pas arrivé à destination. De ce fait, elle a déposé une réclamation auprès dudit transporteur aérien.

15      Le 11 décembre 2017, SL a introduit devant la juridiction de renvoi, le Juzgado de lo Mercantil no 9 de Barcelona (tribunal de commerce no 9 de Barcelone, Espagne), un recours contre Vueling Airlines tendant à obtenir le paiement d’une indemnisation correspondant à la limite maximale de 1 131 DTS, prévue à l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal pour réparation des préjudices matériel et moral que la perte de son bagage lui a causés. Au soutien de sa demande, SL fait valoir que la perte est le cas le plus grave de dommage causé aux bagages prévu à cette disposition.

16      Vueling Airlines reconnaît que ce bagage n’a pas été retrouvé. Elle s’oppose, néanmoins, au paiement de la limite maximale d’indemnisation prévue à l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal et offre uniquement la somme de 250 euros en réparation des préjudices matériel et moral causés par la perte dudit bagage. Elle fait valoir que SL n’a ni indiqué le contenu du même bagage, sa valeur et son poids ni fourni les justificatifs des achats effectués pour remplacer les objets qui se trouvaient dans celui-ci. Or, Vueling Airlines estime que ces éléments sont nécessaires pour qu’un passager puisse prouver qu’une indemnisation correspondant à la limite maximale prévue à l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal devrait lui être accordée.

17      La juridiction de renvoi fait état de divergences jurisprudentielles au niveau national concernant l’interprétation de l’article 17, paragraphe 2, et de l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal. Lorsque la perte d’un bagage est avérée, certaines juridictions accorderaient la limite maximale d’indemnisation prévue à cette dernière disposition, dès lors qu’il s’agirait du cas le plus grave de dommage causé aux bagages parmi ceux prévus à l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal, sans exiger du passager qu’il allègue ou apporte des éléments de preuve supplémentaires. En revanche, d’autres juridictions jugeraient que le montant d’indemnisation à octroyer au passager en cas de perte de bagage doit être déterminé par le juge en fonction des éléments de preuve présentés, la personne lésée étant tenue de démontrer, par toute voie de droit, le ou les préjudices subis.

18      Dans ces conditions, le Juzgado de lo Mercantil no 9 de Barcelona (tribunal de commerce no 9 de Barcelone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Lorsque la perte de la valise est avérée, la compagnie aérienne doit‑elle, dans tous les cas de figure, indemniser le passager à hauteur de la limite maximale d’indemnisation de 1 131 DTS, puisqu’il s’agit du cas le plus grave parmi ceux prévus à l’article 17, paragraphe 2, et à l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal, ou s’agit-il d’une limite maximale d’indemnisation qui peut être modérée par le juge, y compris en cas de perte de la valise, en fonction des circonstances dans lesquelles la perte s’est produite, de telle sorte que les 1 131 DTS ne seront accordés que si le passager démontre, par toute voie de droit, que la valeur des objets et des biens personnels qui se trouvaient à l’intérieur du bagage enregistré ainsi que de ceux qu’il a dû acquérir pour les remplacer atteignait cette limite, ou, à défaut de ces éléments, le juge peut-il également prendre en considération d’autres paramètres, comme le nombre de kilos que pesait la valise ou, aux fins d’évaluer le préjudice moral du passager résultant des inconvénients causés par l’égarement de son bagage, le fait que la perte du bagage a eu lieu lors du voyage aller ou retour ? »

 Sur la question préjudicielle

 Sur la recevabilité

19      Vueling Airlines soutient que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, dès lors que la réponse à la question relative à l’interprétation de l’article 17, paragraphe 2, et de l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal peut être clairement déduite de la jurisprudence de la Cour, notamment de l’arrêt du 6 mai 2010, Walz (C‑63/09, EU:C:2010:251), et ne suscite ainsi aucun doute raisonnable.

20      Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire au principal, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, dont la convention de Montréal fait partie intégrante (voir, en ce sens, arrêts du 6 mai 2010, Walz, C‑63/09, EU:C:2010:251, points 19 et 20, ainsi que du 12 avril 2018, Finnair, C‑258/16, EU:C:2018:252, points 19 et 20), la Cour est, en principe, tenue de statuer [voir, notamment, arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 97, ainsi que du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 55 et jurisprudence citée].

21      Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, en ce sens, arrêts du 7 mars 2018, flightright e.a., C‑274/16, C‑447/16 et C‑448/16, EU:C:2018:160, point 46, ainsi que du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17, EU:C:2018:853, point 16 et jurisprudence citée).

22      Or, il n’est nullement interdit à une juridiction nationale de poser à la Cour une question préjudicielle dont, selon l’opinion d’une des parties au principal, la réponse ne laisse place à aucun doute raisonnable. Ainsi, même à supposer que tel soit le cas, cette question ne devient pas pour autant irrecevable (arrêt du 1er décembre 2011, Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, points 64 et 65).

23      Il s’ensuit que l’argumentation de Vueling Airlines tendant à démontrer l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle doit être écartée et qu’il y a lieu de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi.

 Sur le fond

 Observations liminaires

24      À titre liminaire, il convient de relever que la question posée par la juridiction de renvoi comporte, en substance, deux questions. La première concerne le caractère forfaitaire ou non de l’indemnisation due, au titre de l’article 17, paragraphe 2, de la convention de Montréal, lu en combinaison avec l’article 22, paragraphe 2, de celle-ci, à un passager dont un bagage enregistré n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison a été perdu au cours de toute période durant laquelle un transporteur aérien en avait la garde. La seconde question porte sur les modalités de détermination du montant de cette indemnisation, dans l’hypothèse où le montant visé à l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal ne constituerait pas un montant dû de plein droit et forfaitairement.

25      Par conséquent, il y a lieu d’examiner successivement chacune de ces deux questions.

26      À cette fin, il convient de rappeler que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2027/97, la responsabilité des transporteurs aériens de l’Union à l’égard des passagers et de leurs bagages est régie par toutes les dispositions de la convention de Montréal relatives à cette responsabilité (arrêts du 6 mai 2010, Walz, C‑63/09, EU:C:2010:251, point 18, ainsi que du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt, C‑532/18, EU:C:2019:1127, point 29).

27      De même, il est de jurisprudence constante que les dispositions d’un traité international, tel que la convention de Montréal, doivent être interprétées de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but, conformément au droit international général, qui s’impose à l’Union, tel que codifié par l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969  (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331) (voir, en ce sens, arrêts du 6 mai 2010, Walz, C‑63/09, EU:C:2010:251, point 23 ; du 22 novembre 2012, Espada Sánchez e.a., C‑410/11, EU:C:2012:747, points 20 à 22, ainsi que du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt, C‑532/18, EU:C:2019:1127, point 31).

 Sur la première question

28      Par la première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17, paragraphe 2, de la convention de Montréal, lu en combinaison avec l’article 22, paragraphe 2, de celle-ci, doit être interprété en ce sens que la somme qui est prévue par cette dernière disposition à titre de limite de responsabilité du transporteur aérien, en cas de destruction, de perte, d’avarie ou de retard de bagages enregistrés n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison, constitue un plafond d’indemnisation ou, au contraire, une somme forfaitaire due de plein droit au passager.

29      En application de l’article 17, paragraphe 2, de la convention de Montréal, le transporteur aérien est responsable du dommage survenu en cas de destruction, de perte ou d’avarie de bagages enregistrés, « par cela seul que le fait qui a causé la destruction, la perte ou l’avarie s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toute période durant laquelle le transporteur avait la garde des bagages » (voir, en ce sens, arrêts du 6 mai 2010, Walz, C‑63/09, EU:C:2010:251, point 32, ainsi que du 22 novembre 2012, Espada Sánchez e.a., C‑410/11, EU:C:2012:747, points 25 et 26). Cette disposition se borne, par conséquent, à établir les conditions dans lesquelles le droit à indemnisation est reconnu aux passagers aériens en cas de destruction, de perte ou d’avarie de bagages enregistrés.

30      Concernant l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal, la Cour a jugé non seulement que, dans le transport de bagages, la responsabilité du transporteur aérien en cas de destruction, de perte, d’avarie ou de retard « est limitée », à compter du 30 décembre 2009 et jusqu’au 28 décembre 2019, à la somme de 1 131 DTS par passager, mais aussi que la limite prévue à cette disposition constitue un plafond d’indemnisation qui ne saurait être acquis de plein droit et forfaitairement à tout passager, même en cas de perte de ses bagages (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2012, Espada Sánchez e.a., C‑410/11, EU:C:2012:747, point 34).

31      La Cour a également dit pour droit que la limitation de l’indemnisation fixée à l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal doit s’appliquer à l’intégralité du préjudice causé, indépendamment de la nature matérielle ou morale de celui-ci. À cet égard, elle a précisé que la possibilité pour le passager de faire une déclaration spéciale d’intérêt au moment de la remise des bagages enregistrés au transporteur, au titre de la seconde partie de cette disposition, confirme que la limite de responsabilité du transporteur aérien pour le préjudice résultant de la perte de bagages est, en l’absence de toute déclaration spéciale d’intérêt à la livraison, une limite absolue qui couvre tant le dommage moral que le dommage matériel (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2010, Walz, C‑63/09, EU:C:2010:251, points 37 et 38).

32      Par ailleurs, il ressort des travaux préparatoires relatifs à la convention de Montréal que les montants figurant à la disposition du projet de texte qui est, par la suite, devenue l’article 22 de cette convention étaient conçus comme des montants maximaux et non pas comme des montants d’indemnisation forfaitaires à octroyer automatiquement aux personnes lésées. Bien que cette interprétation pût être reflétée avec plus de précision en utilisant une expression telle que « ne peut pas dépasser », il a été décidé de retenir l’expression « est limitée », dans la mesure où cette expression est utilisée couramment dans la jurisprudence développée en ce qui concerne la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Varsovie le 12 octobre 1929 (Société des Nations – Recueil des traités, vol. CXXXVII, p. 12), laquelle a été remplacée par la convention de Montréal (procès-verbal de la 12e réunion de la commission plénière du 25 mai 1999, Conférence internationale de droit aérien, Montréal, 10 au 28 mai 1999,  vol. I, procès-verbaux).

33      Dans ce contexte, il convient également de préciser qu’il ne ressort ni de l’article 17, paragraphe 2, ni de l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal que la perte de bagages doit être considérée comme le cas le plus grave de dommage causé aux bagages, de telle sorte qu’une indemnisation correspondant à la somme prévue à la seconde disposition serait due de plein droit au passager lésé du seul fait qu’une telle perte est avérée. En effet, ces dispositions se bornent à énumérer les différents cas susceptibles d’engager la responsabilité du transporteur aérien pour les dommages survenus dans le transport de bagages, dans la limite prévue à la seconde disposition, sans pour autant établir une hiérarchie parmi ces cas en fonction de leur gravité.

34      Il en découle que le montant de l’indemnisation due par un transporteur aérien à un passager, dont le bagage enregistré n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison a subi une destruction, une perte, une avarie ou un retard, doit être déterminé, dans la limite fixée à l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal, au regard des circonstances de l’espèce.

35      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 17, paragraphe 2, de la convention de Montréal, lu en combinaison avec l’article 22, paragraphe 2, de cette convention, doit être interprété en ce sens que la somme qui est prévue par cette dernière disposition à titre de limite de responsabilité du transporteur aérien, en cas de destruction, de perte, d’avarie ou de retard des bagages enregistrés n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison, constitue un plafond d’indemnisation dont le passager concerné ne bénéficie pas de plein droit et forfaitairement. En conséquence, il appartient au juge national de déterminer, dans cette limite, le montant de l’indemnisation due à celui-ci au regard des circonstances de l’espèce.

 Sur la seconde question

36      Par la seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17, paragraphe 2, de la convention de Montréal, lu en combinaison avec l’article 22, paragraphe 2, de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il détermine les modalités de fixation du montant de l’indemnisation due par un transporteur aérien à un passager dont un bagage enregistré n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison a subi une destruction, une perte, une avarie ou un retard.

37      Il y a lieu de rappeler que la Cour a dit pour droit que, aux fins de l’indemnisation prévue à l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal, il appartient aux passagers concernés, sous le contrôle du juge national, d’établir à suffisance de droit le contenu des bagages égarés (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2012, Espada Sánchez e.a., C‑410/11, EU:C:2012:747, point 35).

38      Toutefois, dans la mesure où, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 32 de ses conclusions, ni la convention de Montréal ni le règlement no 2027/97, qui met en œuvre les dispositions pertinentes de celle-ci relatives au transport aérien de passagers et de leurs bagages, ne prévoient des dispositions spécifiques concernant la preuve des dommages visés par cette convention, il y a lieu, conformément au principe d’autonomie procédurale, de faire application des règles pertinentes du droit national, ainsi qu’en témoigne d’ailleurs le considérant 18 du règlement nº 889/2002, aux termes duquel il incombe aux États membres de prévoir les dispositions supplémentaires éventuellement nécessaires pour mettre en œuvre la convention de Montréal sur des points qui ne sont pas couverts par le règlement no 2027/97.

39      En effet, il est de jurisprudence constante que, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Ces modalités ne doivent, toutefois, pas être moins favorables que celles concernant les recours similaires de droit interne (principe d’équivalence) ni aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir en ce sens, notamment, arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral, 33/76, EU:C:1976:188, point 5 ; du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, EU:C:2007:163, points 38, 39 et 43, ainsi que du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 30).

40      Le respect de ces deux principes doit être examiné en tenant compte de la place des règles concernées dans l’ensemble de la procédure, du déroulement de celle-ci et des particularités de ces règles devant les diverses instances nationales (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 31 et jurisprudence citée).

41      Il découle des considérations qui précèdent que, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé aux points 35 et 36 de ses conclusions, dans le cadre des recours introduits sur le fondement de l’article 17, paragraphe 2, et de l’article 22, paragraphe 2, de la convention de Montréal, il appartient aux passagers concernés d’établir à suffisance de droit, notamment par des preuves documentaires des dépenses encourues afin de remplacer le contenu de leurs bagages, le ou les préjudices subis en cas de destruction, de perte, d’avarie ou de retard de ces bagages, ainsi qu’aux juridictions nationales compétentes de vérifier, en vertu de la jurisprudence mentionnée aux points 39 et 40 du présent arrêt, que les règles de droit national applicables, notamment en matière de preuve, ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à réparation que les passagers tirent de ces dispositions.

42      En particulier, dans une situation caractérisée par l’absence de tout élément de preuve apporté par le passager lésé concernant le ou les préjudices causés par la destruction, la perte, l’avarie ou le retard avérés des bagages, les éléments mentionnés par la juridiction de renvoi, tels que le poids des bagages égarés ainsi que la circonstance que la perte ait eu lieu lors d’un voyage aller ou d’un voyage retour, sont susceptibles d’être pris en considération par le juge national, afin d’évaluer le ou les préjudices subis et de fixer le montant de l’indemnisation à verser au passager lésé. Cependant, ces éléments ne doivent pas être pris en considération de façon isolée, mais doivent être appréciés dans leur ensemble.

43      S’agissant, en particulier, du poids des bagages égarés, dans la mesure où, en principe, seul le transporteur est à même de fournir une telle preuve, à la suite de l’enregistrement de ces bagages, il importe de rappeler que, en vue d’assurer le respect du principe d’effectivité, le juge national, s’il constate que le fait de faire supporter à une partie la charge d’une preuve est susceptible de rendre impossible ou excessivement difficile l’administration d’une telle preuve, du fait notamment que celle-ci porte sur des éléments dont cette partie ne peut disposer, est tenu de recourir à tous les moyens procéduraux mis à sa disposition par le droit national, au nombre desquels figure celui d’ordonner les mesures d’instruction nécessaires, y compris la production par l’une des parties ou par un tiers d’un acte ou d’une pièce (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2006, Laboratoires Boiron, C‑526/04, EU:C:2006:528, point 55).

44      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 17, paragraphe 2, de la convention de Montréal, lu en combinaison avec l’article 22, paragraphe 2, de celle-ci, doit être interprété en ce sens que le montant de l’indemnisation due à un passager, dont un bagage enregistré n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison a subi une destruction, une perte, une avarie ou un retard, doit être déterminé par le juge national conformément aux règles de droit national applicables, notamment en matière de preuve. Ces règles ne doivent, toutefois, pas être moins favorables que celles concernant les recours similaires de droit interne ni aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la convention de Montréal.

 Sur les dépens

45      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 17, paragraphe 2, de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999, signée par la Communauté européenne le 9 décembre 1999, et approuvée au nom de celle-ci par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001, lu en combinaison avec l’article 22, paragraphe 2, de cette convention, doit être interprété en ce sens que la somme qui est prévue par cette dernière disposition à titre de limite de responsabilité du transporteur aérien, en cas de destruction, de perte, d’avarie ou de retard des bagages enregistrés n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison, constitue un plafond d’indemnisation dont le passager concerné ne bénéficie pas de plein droit et forfaitairement. En conséquence, il appartient au juge national de déterminer, dans cette limite, le montant de l’indemnisation due à celui-ci au regard des circonstances de l’espèce.

2)      L’article 17, paragraphe 2, de la convention de Montréal, lu en combinaison avec l’article 22, paragraphe 2, de celle-ci, doit être interprété en ce sens que le montant de l’indemnisation due à un passager, dont un bagage enregistré n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison a subi une destruction, une perte, une avarie ou un retard, doit être déterminé par le juge national conformément aux règles de droit national applicables, notamment en matière de preuve. Ces règles ne doivent, toutefois, pas être moins favorables que celles concernant les recours similaires de droit interne ni aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la convention de Montréal.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.