Language of document : ECLI:EU:C:2020:822

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 14 octobre 2020 (1)

Affaire C469/19

All in One Star Ltd

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Société à responsabilité limitée souhaitant établir une succursale dans un autre État membre – Inscription au registre du commerce – Réglementation de l’État membre d’accueil exigeant l’indication du montant du capital social ou d’une valeur comparable ainsi que certaines déclarations du gérant »






I.      Introduction

1.        Les deux questions préjudicielles posées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) s’inscrivent dans la jurisprudence de la Cour relative à l’établissement d’une succursale dans un État membre par une société d’un autre État membre et la marge de manœuvre dont dispose l’État membre d’accueil en ce qui concerne un tel établissement. Ces questions font ainsi suite, notamment, aux arrêts Centros (2) et Inspire Art (3).

2.        Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions se limiteront à l’analyse de la seconde question préjudicielle. Celle-ci concerne les obligations faites, en vertu du droit allemand, au gérant d’une société d’autre État membre de fournir l’assurance qu’il n’existe, en ce qui le concerne, aucun obstacle à sa nomination et qu’il a été informé, notamment par un notaire, de son obligation sans réserve de fournir à cet égard tout renseignement au tribunal tenant le registre. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si ces obligations sont conformes au droit de l’Union.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

3.        L’article 29 de la directive (UE) 2017/1132 (4), intitulé « Publicité des actes et indications relatifs à une succursale », qui figure au titre I, chapitre III, section 2, intitulé « Règles de publicité applicables aux succursales des sociétés d’autres États membres », de cette directive, dispose, en son paragraphe 1 :

« Les actes et indications concernant les succursales créées dans un État membre par une société ayant l’une des formes figurant à l’annexe II qui relève du droit d’un autre État membre sont publiés selon le droit de l’État membre dans lequel la succursale est située, conformément à l’article 16. »

4.        Selon l’annexe II de la directive 2017/1132, en ce qui concerne le Royaume-Uni, une « compan[y] incorporated with limited liability » constitue l’une des formes de sociétés visées, notamment, à l’article 29, paragraphe 1, de cette directive.

5.        L’article 30 de la directive 2017/1132, intitulé « Actes et indications soumis à publicité », énonce :

« 1.      L’obligation de publicité visée à l’article 29 ne porte que sur les actes et indications suivants :

a)      l’adresse de la succursale ;

b)      les activités de la succursale ;

c)      le registre auprès duquel le dossier visé à l’article 16 est ouvert pour la société et le numéro d’immatriculation de celle-ci dans ce registre ;

d)      la dénomination et la forme de la société, ainsi que la dénomination de la succursale si elle ne correspond pas à celle de la société ;

e)      la nomination, la cessation des fonctions, ainsi que l’identité des personnes qui ont le pouvoir d’engager la société à l’égard des tiers et de la représenter en justice :

–        [...]

f)      –      la dissolution de la société, la nomination, l’identité et les pouvoirs des liquidateurs, ainsi que la clôture de liquidation, en conformité avec la publicité faite par la société selon l’article 14, points h), j) et k),

–        une procédure de faillite, de concordat ou d’une autre procédure analogue dont la société fait l’objet ;

g)      les documents comptables, dans les conditions indiquées à l’article 31 ;

h)      la fermeture de la succursale.

2.      L’État membre dans lequel la succursale a été créée peut prévoir la publicité, telle que visée à l’article 29 :

[...]

b)      de l’acte constitutif, et des statuts si ces derniers font l’objet d’un acte séparé, conformément à l’article 14, points a), b) et c), ainsi que des modifications de ces documents ;

[...] »

B.      Le droit allemand

1.      Le Code de commerce

6.        L’article 13e du Handelsgesetzbuch (Code du commerce, ci-après le « HGB »), intitulé « Succursales de sociétés de capitaux ayant leur siège à l’étranger », prévoit :

« (1)      Les dispositions suivantes s’appliquent, à titre complémentaire, [...] aux succursales de [...] sociétés à responsabilité limitée de sociétés de capitaux ayant leur siège à l’étranger.

[...]

(3)      [...] En ce qui concerne les représentants légaux de la société, les dispositions [...] de l’article 6, paragraphe 2, deuxième et troisième phrase, de la loi sur les sociétés à responsabilité limitée s’appliquent par analogie à la succursale.

[...] »

7.        L’article 13g, paragraphes 1 à 3, du HGB, intitulé « Succursales de sociétés à responsabilité limitée ayant leur siège à l’étranger », énonce :

« (1)      Les dispositions suivantes s’appliquent, à titre complémentaire, aux succursales de sociétés à responsabilité limitée ayant leur siège à l’étranger.

(2)      Sont jointes à la déclaration d’inscription, une copie certifiée conforme du contrat de constitution de la société et, lorsque ce contrat n’est pas rédigé en allemand, une traduction certifiée en langue allemande. Il convient d’appliquer les dispositions de l’article 8, paragraphe 1, point 2, et paragraphes 3 et 4, de la loi sur les sociétés à responsabilité limitée. [...]

(3)      L’inscription de la constitution de la succursale comporte également les indications visées à l’article 10 de la loi sur les sociétés à responsabilité limitée [...] »

2.      La loi sur les sociétés à responsabilité limitée

8.        Aux termes de l’article 6, paragraphe 2, du Gesetz betreffend die Gesellschaften mit beschränkter Haftung (loi sur les sociétés à responsabilité limitée (RGBl. 1898, p. 846, dans sa version applicable dans la procédure au principal, ci-après le « GmbHG ») :

« Seule une personne physique ayant la pleine capacité d’accomplir des actes juridiques peut être gérant. Ne peut pas être gérant, celui [...] ;

2.      à qui une décision de justice ou une décision exécutoire d’une autorité administrative interdit toute activité dans un métier, un secteur de métier, une activité artisanale ou un secteur d’activité artisanale, lorsque l’objet social correspond en partie ou en totalité à l’objet de cette interdiction ;

3.      qui a été condamné pour avoir intentionnellement commis une ou plusieurs des infractions [décrites à l’article 6, paragraphe 2, deuxième phrase, point 3, sous a) à e), du GmbHG].

La deuxième phrase, point 3, s’applique par analogie en cas de condamnation à l’étranger pour une infraction comparable à celles visées au point 3 de la deuxième phrase. »

9.        L’article 8 du GmbHG, intitulé « Contenu de la déclaration », prévoit, en son paragraphe 3 :

« Dans la déclaration, les gérants sont tenus de fournir l’assurance qu’il n’existe aucun obstacle à leur nomination au sens de l’article 6, paragraphe 2, deuxième phrase, points 2 et 3, et troisième phrase, et qu’ils ont été informés de leur obligation sans réserve de fournir tout renseignement au tribunal. L’information au sens de l’article 53, paragraphe 2, du Bundeszentralregistergesetz (loi sur le registre central) peut être donnée par écrit ; elle peut également être donnée par un notaire, par un notaire nommé à l’étranger, par un membre d’une profession juridique comparable ou par un agent consulaire. »

10.      Aux termes de l’article 82, paragraphe 1, sous 5, du GmbHG, est puni d’une peine privative de liberté allant jusqu’à trois ans ou à une amende pour l’auteur de déclarations fausses faites « en qualité de gérant d’une société à responsabilité limitée ou en qualité de gérant d’une personne morale étrangère, dans l’assurance à fournir conformément à l’article 8, paragraphe 3, première phrase. »

3.      La loi sur le registre central

11.      L’article 53 du Bundeszentralregistergesetz (loi sur le registre central), du 21 septembre 1984 (BGBl. 1985 I, p. 195 et 1229), intitulé « Obligation de révélation en cas de condamnation », dans sa version applicable depuis le 29 juillet 2017 (ci-après le « BZRG »), dispose :

« (1)      Les condamnés peuvent se dire non condamnés et ne sont pas tenus de révéler les faits à l’origine de leur condamnation, lorsque la condamnation

1.      n’a pas à figurer dans un certificat de bonnes mœurs ou ne doit figurer que dans le certificat visé à l’article 32, paragraphes 3 et 4 ; ou

2.      doit être effacée.

(2)      Lorsque les juridictions ou autorités ont un droit illimité à demander des renseignements, les condamnés qui en ont été avisés ne peuvent opposer à celles‑ci aucun droit tiré du paragraphe 1, point 1. »

III. Les faits, la procédure devant la Cour et les questions préjudicielles

12.      All in One Star Ltd est une société à responsabilité limitée par actions (private company limited by shares) qui a été enregistrée en 2013 au registre du commerce du Companies House à Cardiff (Royaume-Uni) et qui a son siège statutaire à Great Bookham (Royaume‑Uni).

13.      En 2014, All in One Star a demandé à l’Amtsgericht Frankfurt am Main (tribunal de district de Francfort-sur-le-Main, Allemagne), en tant que tribunal tenant le registre, d’inscrire une succursale au registre du commerce.

14.      Par décision interlocutoire, le tribunal tenant le registre lui a signifié que la demande d’inscription ne pouvait être acceptée aux motifs, notamment, premièrement, que le montant du capital social n’avait pas été indiqué et, deuxièmement, que si le gérant et associé unique de la société avait certes assuré dans sa demande qu’il n’existait en son chef aucun obstacle à sa nomination au sens de l’article 6, paragraphe 2, deuxième phrase, points 2 et 3, et troisième phrase, du GmbHG, il n’avait en revanche pas assuré avoir été informé par un notaire, un membre d’une profession juridique comparable ou un agent consulaire, de son obligation sans réserve de fournir à cet égard tout renseignement au tribunal. Cette décision a fait l’objet d’un recours d’All in One Star.

15.      Par ordonnance du 8 août 2017, l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main (tribunal régional supérieur de Francfort-sur-le-Main, Allemagne) a rejeté le recours d’All in One Star contre ces constatations du tribunal tenant le registre.

16.      All in One Star a alors saisi le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) d’un pourvoi. Cette juridiction considère que l’issue du litige porté devant elle dépend de l’interprétation à donner à l’article 30 de la directive 2017/1132 et aux articles 49 et 54 TFUE.

17.      Selon la juridiction de renvoi, l’inscription au registre allemand du commerce d’une succursale d’une société étrangère est régie par les articles 13d et suivants du HGB. En tant que société à responsabilité limitée par actions (private company limited by shares), All in One Star pourrait être assimilée à une société à responsabilité limitée allemande  (Gesellschaft mit beschränkter Haftung), de sorte que les dispositions applicables à ce type de société s’appliquent par analogie à l’inscription de la succursale allemande d’All in One Star.

18.      Dans ce cadre, l’inscription d’une telle succursale suppose, en vertu de l’article 13g, paragraphe 3, du HGB, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 3, du GmbHG, que le gérant de la société fournisse, lors de sa demande d’inscription, l’assurance qu’il n’existe en son chef aucun des obstacles à sa nomination visés à l’article 6, paragraphe 2, deuxième phrase, points 2 et 3, et troisième phrase, du GmbHG. Par ailleurs, aux termes de l’article 13g, paragraphe 2, deuxième phrase, du HGB, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 3, du GmbHG, le gérant doit également fournir l’assurance qu’un notaire, un membre d’une profession juridique comparable ou un agent consulaire l’a informé de son obligation sans réserve de fournir des renseignements au tribunal.

19.      La juridiction de renvoi explique que l’obligation de fournir une telle assurance a pour finalité d’alléger la procédure d’inscription et de contrôle menée par le tribunal tenant le registre. Elle ajoute que le tribunal tenant le registre peut, en principe, demander tout renseignement, sans réserve. L’article 53, paragraphe 2, du BZRG ajoute la condition préalable que l’intéressé ait été informé de son obligation sans réserve de fournir tout renseignement au tribunal. Faute d’en avoir été informé, dans certains cas de figure, l’intéressé aurait le droit de se déclarer exempt de toute sanction pénale. Les obligations découlant du droit allemand n’affectent en revanche en rien la position organique elle‑même que le gérant occupe en vertu du droit étranger des sociétés, qui lui est applicable, mais empêchent le gérant de demander, en tant qu’organe de cette société, l’inscription d’une succursale en Allemagne.

20.      En outre, la mandataire ad litem d’All in One Star a déclaré, au cours de la procédure de recours, que, conformément à l’article 8, paragraphe 3, du GmbHG, elle avait informé le gérant d’All in One Star, avant que celui-ci ait présenté la demande d’inscription de la succursale, de son obligation de fournir tout renseignement au tribunal tenant le registre. Or, la juridiction de renvoi indique que la déclaration doit provenir personnellement du gérant dûment informé et être consignée dans un document certifié authentique.

21.      Dans ce cadre, la juridiction de renvoi considère que si l’obligation de fournir une assurance conformément à l’article 13g, paragraphe 2, deuxième phrase, du HGB, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 3, du GmbHG, relevait du champ d’application de la directive 2017/1132, elle serait contraire à cette directive. Or, cette juridiction note que, lors de l’adoption de ces dispositions du droit national, le législateur allemand a considéré que celles-ci n’étaient pas concernées par le champ d’application de la directive 89/666/CEE (5), qui était en vigueur.

22.      Si cette obligation de fournir une assurance ne relevait pas de la directive 2017/1132, se poserait la question de sa compatibilité avec le droit primaire et, plus particulièrement, avec la liberté d’établissement garantie par les articles 49 et 54 TFUE. À cet égard, la juridiction de renvoi se demande surtout si ladite obligation ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif qu’elle poursuit. D’une part, dans la mesure où la même obligation s’étend aussi aux sociétés étrangères, dont les dirigeants sont étrangers, on ne saurait s’attendre à ce que de telles sociétés aient une connaissance approfondie des dispositions du droit allemand relatives aux obstacles à la nomination de gérants de sociétés. Il serait donc très difficile pour ces gérants étrangers de fournir une assurance correspondant à la vérité. D’autre part, en l’absence d’indications concrètes tendant à récuser l’aptitude d’une personne à être gérant, l’obligation en cause servirait uniquement à prévenir la commission d’éventuels abus de la liberté d’établissement et de fraudes par des représentants de la société qui sont inaptes au regard du droit interne.

23.      C’est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 30 de la directive 2017/1132 s’oppose-t-il à une réglementation nationale en vertu de laquelle l’inscription au registre du commerce d’une succursale d’une société à responsabilité limitée ayant son siège dans un autre État membre est conditionnée à l’indication du montant du capital social ou d’un montant de capital comparable ?

2)      a)      L’article 30 de la directive 2017/1132 s’oppose-t-il à une réglementation nationale en vertu de laquelle, lors de la demande d’inscription au registre du commerce d’une succursale d’une société à responsabilité limitée ayant son siège dans un autre État membre, le gérant de la société doit fournir l’assurance qu’il n’existe en ce qui le concerne aucun obstacle à sa nomination résultant du droit national – prenant la forme d’une interdiction judiciaire ou administrative d’exercer un métier ou une activité correspondant en partie ou totalement à l’objet social, ou la forme d’une condamnation définitive pour certaines infractions – et qu’un notaire, un membre d’une profession juridique comparable ou un agent consulaire l’a informé de son obligation sans réserve de fournir à cet égard tout renseignement au tribunal ?

b)      En cas de réponse négative à la seconde question, sous a) :

Les articles 49 et 54 TFUE s’opposent-t-il à une réglementation nationale en vertu de laquelle, lors de la demande d’inscription au registre du commerce d’une succursale d’une société à responsabilité limitée ayant son siège dans un autre État membre, le gérant de la société doit fournir l’assurance précitée ? »

24.      Des observations écrites ont été déposées par All in One Star, le gouvernement allemand ainsi que par la Commission européenne. Les mêmes parties ont également répondu par écrit aux questions posées par la Cour, celle-ci ayant décidé de statuer sans tenir d’audience.

IV.    Analyse de la seconde question préjudicielle

25.      Par sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si l’article 30 de la directive 2017/1132 ou les articles 49 et 54 TFUE s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle, lors de la demande d’inscription au registre du commerce d’une succursale d’une société à responsabilité limitée ayant son siège dans un autre État membre, la personne qui souhaite être inscrite en tant que gérant de cette succursale doit fournir l’assurance, d’une part, qu’il n’existe, en ce qui le concerne, aucun obstacle résultant du droit national à sa nomination en tant que gérant et, d’autre part, qu’un notaire, un membre d’une profession juridique comparable ou un agent consulaire l’a informé de son obligation sans réserve de fournir à cet égard tout renseignement au tribunal tenant le registre.

26.      Il convient de relever que cette question préjudicielle s’articule en deux parties : la première concerne l’appréciation des obligations imposées par le droit allemand au regard de la directive 2017/1132 et, la seconde, l’appréciation de ces obligations au regard des articles 49 et 54 TFUE.

27.      Dans ce contexte, la formulation de la demande de décision préjudicielle peut donner à penser que la seconde partie de la seconde question ne se pose que si la première partie de cette question appelle une réponse négative. Or, il ressort des motifs de cette demande que la seconde partie est posée pour le cas où ces obligations ne relèveraient pas de la directive 2017/1132. En effet, les dispositions nationales qui régissent des questions relevant du champ d’application d’une directive doivent être examinées au regard de celle-ci, tandis que celles régissant des questions qui n’en relèvent pas doivent être examinées au regard du droit primaire (6).

28.      Compte tenu de ce qui précède, après avoir examiné au préalable la recevabilité de la seconde question préjudicielle (section A), j’examinerai les deux parties de cette question dans l’ordre établi par la juridiction de renvoi (sections B et C).

A.      Sur la recevabilité

29.      Bien que la recevabilité des questions préjudicielles n’ait pas été remise en cause par les parties, il me semble opportun d’examiner cet aspect en ce qui concerne la seconde question préjudicielle.

30.      On peut déduire de sa formulation que cette seconde question concerne deux obligations – et deux assurances à fournir en vue de l’exécution de ces obligations – applicables lorsqu’une société d’un État membre cherche à établir une succursale dans un autre État membre. La première obligation consiste à fournir l’assurance qu’il n’existe, en ce qui concerne le gérant de cette société, aucun obstacle à sa nomination résultant du droit allemand et, la seconde, l’assurance qu’un notaire, un membre d’une profession juridique comparable ou un agent consulaire l’a informé de son obligation sans réserve de fournir tout renseignement concernant de tels obstacles au tribunal tenant le registre.

31.      Il ressort des motifs de la demande de décision préjudicielle que, dans la demande d’inscription de la succursale, le gérant d’All in One Star a assuré ne pas tomber sous le coup d’un des obstacles légaux à sa nomination. En revanche, il n’a pas fourni l’assurance qu’il avait été informé de son obligation sans réserve de fournir tout renseignement au tribunal tenant le registre.

32.      La recevabilité de la seconde question peut dès lors susciter des doutes dans la mesure où elle porte sur la première obligation. Cela étant, sans interpréter le droit national, il n’est pas possible de déterminer si, en l’absence de l’assurance relative à la seconde obligation, on peut considérer que la première obligation a été correctement remplie dans la procédure au principal.

33.      En tout état de cause, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (7). Je propose donc de considérer que la seconde question est recevable.

B.      La réglementation nationale au regard de la directive 2017/1132

34.      Par la première partie de la seconde question, la juridiction de renvoi cherche à déterminer si la directive 2017/1132 s’oppose aux deux obligations applicables lorsqu’une société d’un État membre cherche à établir une succursale en Allemagne. Comme je l’ai expliqué au point 27 des présentes conclusions, pour évaluer ces obligations au regard de la directive 2017/1132, il y a lieu de déterminer au préalable si celles-ci relèvent de cette directive. Dans ce contexte, avant même de procéder à l’examen du champ d’application ratione materiae de la directive 2017/1132, il convient d’établir si cette directive s’applique ratione temporis à la procédure au principal.

1.      Sur le champ d’application ratione temporis

35.      La juridiction de renvoi indique que la requérante a été enregistrée en 2013 au Royaume-Uni et a demandé l’inscription d’une succursale au registre du commerce allemand en 2014. Elle note que la procédure de recours a été introduite avant l’entrée en vigueur de la directive 2017/1132, le 20 juillet 2017 (8). Cette juridiction indique être cependant tenue d’appliquer, dans la procédure de pourvoi, le droit en vigueur à la date du prononcé de son arrêt et, en particulier, les dispositions transposant la directive 2017/1132.

36.      Dans cet ordre d’idées, en réponse à la question de la Cour, la requérante et le gouvernement allemand indiquent, à l’instar de la juridiction de renvoi, que, selon la jurisprudence allemande, dans le cadre d’une procédure telle que celle au principal, il convient d’appliquer le régime en vigueur au jour du prononcé de l’arrêt statuant sur le pourvoi.

37.      Certes, la Cour a considéré, dans l’arrêt I.G.I. (9), que, les faits au principal étant tous antérieurs à la date d’entrée en vigueur de la directive 2017/1132, c’était la directive précédente qui s’appliquait en l’espèce. Elle a émis une considération analogue dans l’arrêt Miravitlles Ciurana e.a. (10). Ces considérations peuvent donner à penser que la directive 2017/1132 ne s’applique pas non plus dans la procédure au principal.

38.      Toutefois, il convient de noter, en premier lieu, que, dans les deux arrêts précités, il s’agissait du régime applicable aux événements intervenus antérieurement à l’introduction du recours (11). Or, dans la présente affaire, il s’agit du régime applicable à l’immatriculation d’une succursale et ce sont toujours les conditions appliquées lors de cette immatriculation qui, en substance, font l’objet de la procédure au principal. Dans ces circonstances, compte tenu des clarifications concordantes de la juridiction de renvoi et des parties en ce qui concerne le régime applicable, en droit allemand, dans la procédure de pourvoi, j’examinerai la seconde question sous l’angle de la directive 2017/1132.

39.      En deuxième lieu, ainsi que l’énonce son considérant 1, la directive 2017/1132 est une codification des directives en matière de droit des sociétés. Cette codification a eu pour effet, notamment, de remplacer l’article 2 de la directive 89/666 par l’article 30 de la directive 2017/1132, sans modifier sa substance. L’article 166 de la directive 2017/1132 précise que l’abrogation de la directive 89/666 est sans préjudice des obligations des États membres en matière de transposition des directives en matière de droits des sociétés. Cette disposition indique en outre que les références faites aux directives abrogées s’entendent comme faites à la directive 2017/1132.

40.      Enfin, en troisième lieu, la considération relative à l’application de la directive 2017/1132 ratione temporis à la procédure au principal n’est pas remise en cause par le fait que cette directive a fait dans l’intervalle l’objet de plusieurs modifications introduites par la directive 2019/1151, auxquelles les parties font référence pour déterminer le contenu du régime applicable sous l’empire de la directive 2017/1132. Le gouvernement allemand explique, dans ce contexte, que, en droit allemand, l’application à la procédure au principal des modifications apportées à la directive 2017/1132 par la directive (UE) 2019/1151 (12) ne saurait être envisagée car les délais de transposition pertinents visés à l’article 2 de cette dernière directive ne sont pas encore expirés. Par ailleurs, il me faut observer que, à la différence de la directive 2017/1132 qui demeurait sans préjudice des obligations des États membres en matière de transposition des directives antérieures, la directive 2019/1151 fixe des dates de transposition pour les modifications qu’elle introduit.

41.      Il convient donc à présent de déterminer si la directive 2017/1132 s’applique ratione materiae à la procédure au principal.

2.      Sur le champ d’application ratione materiae

42.      La directive 2017/1132 dispose, en son article 1er, qu’elle établit des mesures concernant, notamment, la publicité des succursales créées dans un État membre par certaines formes de société relevant du droit d’un autre État membre (13). Les dispositions relatives à ces mesures figurent au titre I, chapitre III, section 2, de cette directive, intitulé « Règles de publicité applicables aux succursales des sociétés d’autres États membres ».

43.      Dans ce cadre, conformément à l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2017/1132, les actes et les indications concernant les succursales créées dans un État membre par une société ayant l’une des formes figurant à l’annexe II qui relève du droit d’un autre État membre sont publiés selon le droit de l’État membre dans lequel la succursale est située. La juridiction de renvoi indique que, en tant que private company limited by shares, la requérante figure parmi les sociétés du Royaume‑Uni visées à l’annexe II de la directive 2017/1132 (companies incorporated with limited liability). En conséquence, comme le considère la juridiction de renvoi en l’occurrence, les actes et les indications relatifs à une succursale de la requérante sont soumis aux règles de publicité de la section 2 de cette directive, y compris celles prévues à son article 30.

44.      Se pose toutefois la question de savoir si les assurances relatives aux obligations prévues en droit allemand constituent des actes ou des indications visés par l’obligation de publicité inscrite à l’article 29 et suivants de la directive 2017/1132.

a)      Positions des parties

45.      La requérante fait valoir que, selon l’article 30, paragraphe 1, sous e), de la directive 2017/1132, la nomination, la cessation des fonctions, ainsi que l’identité des personnes qui ont le pouvoir d’engager la société doivent être publiées lors de l’inscription d’une succursale au registre du commerce. Elle déduit de cette disposition que la directive 2017/1132 règle de manière exhaustive les informations personnelles relatives aux gérants. Cette interprétation serait confirmée par le considérant 8 de cette directive, aux termes duquel la publicité devrait permettre aux tiers de connaître, notamment, l’identité des personnes qui ont le pouvoir d’engager la société.

46.      En revanche, selon le gouvernement allemand, il résulte de l’article 30, paragraphe 1, sous e), de la directive 2017/1132, interprété a contrario, que cette directive concerne uniquement la nomination, la cessation des fonctions, ainsi que l’identité du représentant de la société. En outre, selon ce gouvernement, l’obligation de fournir l’assurance que le gérant a été dûment informé de son obligation sans réserve de fournir tout renseignement au tribunal tenant le registre porte sur la partie de la procédure du registre des sociétés relative à l’immatriculation d’une succursale. Cette obligation est prévue par une règle de procédure.

47.      Dans cet ordre d’idées, la Commission fait valoir que l’assurance devant être fournie en ce qui concerne l’aptitude personnelle du gérant constitue non pas une publicité des caractéristiques déterminantes d’une succursale, mais une condition d’ordre administratif et procédural imposée par le droit des sociétés allemand.

b)      Appréciation

48.      Afin de répondre utilement à la première partie de la seconde question préjudicielle, il convient de déterminer si les obligations imposées en droit allemand constituent des obligations de publicité au sens de l’article 30 de la directive 2017/1132 ou – comme le font valoir, en substance, le gouvernement allemand et la Commission – des conditions de la constitution ou de l’immatriculation d’une société ou d’une succursale de celle-ci.

49.      Dans ce contexte, des enseignements utiles peuvent être tirés de l’arrêt Inspire Art (14).

50.      Il ressort de cet arrêt, d’une part, qu’une disposition nationale imposant d’indiquer au registre du commerce de l’État d’accueil le domicile de l’associé unique relève de l’article 2 de la directive 89/666 et relèverait, par conséquent, de l’article 30 de la directive 2017/1132. En effet, la Cour a considéré, dans cet arrêt, que l’article 2 de la directive 89/666 s’oppose à une disposition qui prévoit à la charge de la succursale d’une société constituée en conformité avec la législation d’un autre État membre une telle obligation, celle-ci n’étant pas prévue par la directive 89/666 (15). Or, pour que la directive 89/666 puisse s’opposer à une telle obligation, celle-ci doit relever du champ d’application ratione materiae de cette directive.

51.      En effet, l’article 2, paragraphe 1, sous e), de la directive 89/666 prévoyait – ainsi que le prévoit actuellement l’article 30, paragraphe 1, sous e), de la directive 2017/1132 – que l’obligation de publicité visait les actes et les indications relatifs à la nomination, la cessation des fonctions, ainsi qu’à l’identité des personnes qui ont le pouvoir d’engager la société à l’égard des tiers et de la représenter en justice. Dans ce contexte, selon les considérants 8 et 16 de la directive 2017/1132, l’obligation de publicité sert à protéger des tiers qui, par l’intermédiaire d’une succursale, se mettent en rapport avec la société. La connaissance du domicile du représentant de la société n’est pas, en principe, utile à la protection de ces tiers. Dans ces circonstances, la publicité relative au domicile d’un représentant, bien qu’elle concerne le représentant et, en tant qu’obligation de publicité, relève des directives 89/666 et 2017/1132, ne permet pas, en tant que telle, d’identifier ce représentant. Cette publicité ne saurait, en conséquence, être assimilée à la publicité de l’« identité » au sens de ces directives.

52.      D’autre part, il résulte de l’arrêt Inspire Art (16) que la directive 89/666 ne s’appliquait pas, en revanche, aux dispositions nationales qui soumettent la création d’une succursale dans un État membre d’accueil à certaines règles prévues dans cet État membre pour la constitution d’une société. Il doit en être de même en ce qui concerne la directive 2017/1132.

53.      Si l’on transpose les enseignements de l’arrêt Inspire Art (17) au présent cas d’espèce, on en vient à douter qu’une obligation de fournir une assurance pour les circonstances susceptibles d’entraîner une révocation d’un représentant d’une société puisse être assimilée à une obligation de publicité. En effet, il ressort de l’article 6, paragraphe 2, du GmbHG que cette assurance porte sur des circonstances qui, en particulier lors de la création d’une société en Allemagne, déterminent avant tout la capacité personnelle d’être inscrit comme son gérant. En outre, en ce qui concerne l’assurance qu’un notaire, un membre d’une profession juridique comparable ou un agent consulaire a informé le gérant de son obligation sans réserve de fournir des renseignements au tribunal, la juridiction de renvoi indique que, à défaut de cette assurance, « aucune inscription au registre du commerce [ne saurait être] faite ». Dans certaines circonstances, la fourniture de cette dernière assurance conditionne également la possibilité d’infliger des sanctions pénales à un gérant. En conséquence, le fait d’obliger un gérant à fournir ces deux assurances est donc comparable non pas au fait de soumettre la création d’une succursale dans un État membre d’accueil aux obligations de publicité mais au fait de la soumettre à certaines règles prévues dans cet État membre pour la constitution d’une société.

54.      Par ailleurs, la circonstance que les assurances relatives aux circonstances liées à la capacité personnelle échappent d’emblée à l’objet de la directive 2017/1132 est également corroborée par la directive 2019/1151.

55.      Comme l’indique le gouvernement allemand, la directive 2019/1151 a introduit, dans la directive 2017/1132, des dispositions relatives aux « administrateurs révoqués ». La Commission, quant à elle, se réfère en particulier à l’article 13 decies, paragraphe 2, de la directive 2017/1132, telle que modifiée par la directive 2019/1151, qui prévoit que « [l]es États membres peuvent exiger que les personnes se portant candidates à la fonction d’administrateur déclarent si elles ont connaissance de circonstances susceptibles d’entraîner une révocation dans l’État membre concerné » et que « [l]es États membres peuvent refuser la nomination d’une personne à la fonction d’administrateur d’une société si cette personne est actuellement déchue du droit d’exercer cette fonction dans un autre État membre ».

56.      Dans ce contexte, la seule modification apportée à l’article 1er de la directive 2017/1132, qui définit l’objet de celle-ci (18), par la directive 2019/1151 est l’introduction de la phrase selon laquelle la directive établit également des mesures qui concernent « les règles relatives à la constitution en ligne de sociétés, à l’immatriculation en ligne des succursales et au dépôt en ligne des actes et informations par les sociétés et les succursales ». On peut ainsi en déduire que des dispositions nationales relatives aux déclarations des candidats à la fonction d’administrateur en ce qui concerne des obstacles à la nomination de gérants de sociétés, visées à l’article 13 decies de la directive 2017/1132, telle que modifiée par la directive 2019/1151, constituent, pour le législateur de l’Union, des règles relatives à la constitution des sociétés ou à l’immatriculation des succursales. Pour ce législateur, de telles dispositions ne concernent pas, en revanche, pour reprendre les termes de l’article 1er de la directive 2017/1132 dans leur formulation originale, « la publicité des succursales créées dans un État membre par certaines formes de société relevant du droit d’un autre État ».

57.      Il convient donc de considérer que les obligations visées par la seconde question préjudicielle ne relèvent pas du champ d’application ratione materiae de la directive 2017/1132. Compte tenu des considérations exposées au point 27 des présentes conclusions, il convient à présent d’examiner si ces obligations sont conformes aux articles 49 et 54 TFUE.

C.      La réglementation nationale au regard de la liberté d’établissement

58.      La juridiction de renvoi elle-même considère que les obligations imposées, en vertu du droit allemand, au gérant d’une société d’un autre État membre qui cherche à établir une succursale dans un autre État membre constituent une restriction à la liberté d’établissement.

59.      À cet égard, ainsi que l’observe la juridiction de renvoi, les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le droit primaire doivent remplir quatre conditions pour être conformes à celui-ci. Ces mesures doivent, en premier lieu, s’appliquer de manière non discriminatoire, en deuxième lieu, se justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général, en troisième lieu, être propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et, en quatrième lieu, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (19).

60.      La juridiction de renvoi explique que, selon le législateur allemand, les obligations relatives aux assurances visées par la seconde question préjudicielle se justifient par la nécessité impérieuse de protéger le commerce contre des représentants d’une société qui seraient inaptes. L’objectif est d’empêcher que des personnes qui seraient inaptes en droit allemand ne fassent inscrire une succursale en Allemagne, en tant que représentants d’une société étrangère, et contournent ainsi les obstacles à la nomination de gérants de sociétés en vigueur dans cet État membre. La juridiction de renvoi indique que, selon elle, ces obligations répondent à des raisons impérieuses d’intérêt général, à savoir la protection des créanciers et de la loyauté des transactions contre des représentants inaptes d’une société.

61.      Toutefois, la juridiction de renvoi estime que les obligations en cause vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés, dans la mesure où les gérants de la société étrangère sont soumis à une obligation de déclaration qui est assortie de sanctions pénales. Or, il ne saurait être exigé des gérants étrangers qu’ils aient des connaissances poussées du droit interne applicable aux obstacles à leur nomination.

62.      En outre, poser de telles exigences ne viserait qu’à garantir préventivement que des obstacles à la nomination découlant du droit allemand ne soient pas contournés en établissant une succursale. Il s’agirait ainsi de prévenir des abus de la liberté d’établissement et des fraudes que commettraient des représentants de la société inaptes au regard de ce droit. Or, à la lumière de l’arrêt Centros (20), cela ne saurait justifier un refus d’inscrire la succursale.

1.      Positions des parties

63.      Toutes les parties admettent que les obligations visées par la seconde question préjudicielle constituent, au regard des articles 49 et 54 TFUE, une restriction à la liberté d’établissement, y compris la requérante dans l’hypothèse où ces obligations ne relèveraient pas de la directive 2017/1132.

64.      La requérante se rallie à la position de la juridiction de renvoi et considère qu’il s’agit en l’espèce d’une restriction à la liberté d’établissement qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ses objectifs. Dans cette veine, la Commission fait valoir que les assurances en cause sont exigées alors que le gérant a déjà été nommé gérant d’une société de manière conforme dans un autre État membre. Ce gérant devrait donc fournir une seconde fois des attestations relatives à son aptitude à être gérant. Cela enfreindrait le principe de proportionnalité, qui entend notamment éviter le dédoublement de formalités, c’est-à-dire le nouvel accomplissement de formalités déjà réalisées dans un autre État membre.

65.      En revanche, le gouvernement allemand fait valoir que les articles 49 et 54 TFUE ne s’opposent pas à l’obligation en cause, qui serait justifiée par un motif impérieux d’intérêt général, à savoir celui de protéger la loyauté du commerce. En effet, l’obligation en cause ne serait pas discriminatoire, elle permettrait adéquatement d’atteindre l’objectif poursuivi et serait proportionnée. Des recherches propres quant à l’existence d’éventuels motifs d’incapacités menées par le tribunal allemand tenant le registre ne garantiraient pas aussi adéquatement la réalisation de cet objectif. De telles recherches ne seraient possibles qu’en présence d’un système préexistant d’échange automatique d’informations entre les registres des États membres, système qui n’aurait été prévu pour la première fois que par l’article 13 decies de la directive 2017/1132, introduit par la directive 2019/1151. L’obligation de fournir l’assurance visée à l’article 8 du GmbHG serait par ailleurs adéquate, étant donné qu’elle vise à garantir préventivement que les motifs nationaux d’incapacité ne soient pas contournés par l’établissement de succursales de sociétés établies dans un autre État membre.

2.      Appréciation

a)      L’application aux succursales des sociétés établies dans d’autres États membres des obstacles à la nomination de gérants de sociétés

66.      Il convient de relever, au préalable, que les obligations visées par la seconde question préjudicielle sont appliquées, de manière préventive et générale, aux sociétés déjà établies conformément au droit d’un autre État membre et aux gérants de telles sociétés, même si ceux-ci sont inscrits comme gérants de ces sociétés dans leur État membre d’établissement. L’application de ces obligations aux gérants des sociétés établies dans d’autres États membres repose donc sur la prémisse que les obstacles à la nomination de gérants de sociétés, prévus en droit allemand, sont applicables à ces gérants (21).

67.      Compte tenu des considérations présentées au point 56 des présentes conclusions, pour le législateur de l’Union, de tels obstacles se rattachent aux conditions relatives à la constitution des sociétés ou, éventuellement, à l’immatriculation de leurs succursales.

68.      Les sociétés visées à l’article 54 TFUE ont le droit d’exercer leur activité dans un autre État membre, notamment, par l’intermédiaire d’une succursale et, pour ces sociétés, la localisation de leur siège statutaire, de leur administration centrale ou de leur principal établissement sert à déterminer leur rattachement à l’ordre juridique d’un État membre (22). La liberté d’établissement pour ces sociétés comporte, notamment, la constitution et la gestion desdites sociétés dans les conditions définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres sociétés. Il y a lieu de noter, à cet égard, que l’application des obstacles à la nomination de gérants de sociétés prévus en droit allemand ne semble pas reposer sur la considération selon laquelle la localisation d’une succursale en Allemagne implique qu’une société est entièrement rattachée à l’ordre juridique de cet État membre (23).

69.      Dans ces conditions, il est certes vrai que le fait de soumettre l’immatriculation d’une succursale à des conditions supplémentaires dressant ces obstacles dans le droit d’un État membre autre que celui de l’État membre d’établissement de la société, auquel cette société est rattachée, n’équivaut pas à la négation même de cette liberté d’établissement (24). Toutefois, ce fait rend une immatriculation à tout le moins plus difficile et constitue donc une restriction à la liberté d’établissement (25).

70.      Il est également vrai que les conditions en cause sont relatives non pas à une société elle-même mais directement à l’aptitude personnelle du gérant d’une société. Toutefois, le non-respect desdites conditions conduit à ce que l’inscription d’une succursale de cette société soit refusée. Il convient donc de considérer que les obstacles à la nomination de gérants de sociétés du droit allemand ne sont pas appliqués dans le cadre de l’activité proprement dite des sociétés mais concernent, en revanche, la constitution d’une société ou son établissement ultérieur dans un autre État membre (26).

71.      Par ailleurs, dans l’arrêt Segers (27), la Cour a considéré qu’une discrimination relative a' la protection sociale d’un directeur en fonction de la localisation du siège social de la société qu’il dirige restreint indirectement la liberté des sociétés d’un autre État membre de s’établir, au moyen d’une agence, succursale ou filiale, dans l’État membre concerné. A fortiori, l’application des conditions supplémentaires dressant des obstacles à la nomination de gérants de sociétés restreint également cette liberté.

72.      Dans ce contexte, un État membre dans lequel l’immatriculation d’une succursale est demandée peut prendre des mesures pour empêcher que, en recourant aux possibilités offertes par le traité, certains de ses ressortissants ne tentent de se soustraire abusivement à l’emprise de leur législation nationale (28). Il y a donc lieu de déterminer si l’application, en ce qui concerne les succursales de sociétés établies dans d’autres États membres, des obstacles à la nomination de gérants de sociétés en vigueur dans un tel État membre peut être justifiée au regard de cet objectif.

b)      Sur la lutte contre lusage abusif de la liberté détablissement

73.      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la notion d’« abus de droit » constitue une notion autonome du droit de l’Union selon laquelle « la constatation qu’il s’agit d’une pratique abusive nécessite, d’une part, un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation [de l’Union], l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint. Elle requiert, d’autre part, un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation [de l’Union] en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention » (29).

74.      Dans le contexte de la prise en considération des objectifs poursuivis par les dispositions du droit de l’Union dont un justiciable ne saurait abusivement ou frauduleusement se prévaloir, la Cour a semblé opérer, dans l’arrêt Centros (30), une distinction, dans les dispositions nationales dont les intéressés cherchaient à éviter l’application, entre d’une part, des règles régissant la constitution de sociétés et, d’autre part, des règles relatives à l’exercice de certaines activités professionnelles. La Cour a considéré, à cet égard, que les dispositions nationales en cause relevaient parfaitement de cette première catégorie et, dans les circonstances de l’espèce, que leur application n’était pas justifiable au titre de la lutte contre l’usage abusif de la liberté d’établissement. La doctrine en a déduit qu’il peut être plus facile d’invoquer l’abus dans les cas où l’intention est d’éviter l’application des règles relatives à l’exercice de certaines activités professionnelles (31).

75.      Toutefois, les obstacles à la nomination de gérants de sociétés prévus en droit allemand s’appliquent à l’égard de toute activité professionnelle menée par l’intermédiaire d’une succursale et se rattachent, à la lumière des développements introduits par la directive 2019/1151, aux conditions relatives à la constitution des sociétés ou à l’immatriculation des succursales (32).

76.      Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence que l’existence d’un abus ou d’une fraude ne saurait être présumée de manière systématique et généralisée. En effet, le refus du bénéfice de la liberté d’établissement en raison d’un comportement abusif ou frauduleux doit intervenir au cas par cas (33).

77.      Dans ce contexte, aucun élément, objectif ou subjectif, ne permet de considérer que le fait de solliciter l’inscription d’une succursale au registre du commerce dans la procédure au principal constitue un comportement abusif ou frauduleux. En outre, la juridiction de renvoi indique qu’il n’est pas certain qu’il existe en l’espèce dans le chef du gérant un obstacle à sa nomination au regard du droit allemand et rien n’indique qu’une telle interdiction existe. L’application préventive et générale des obstacles à la nomination de gérants de sociétés prévus en vertu du droit allemand ainsi que des obligations visées par la seconde question préjudicielle au titre de la lutte contre l’usage abusif de la liberté d’établissement semble donc reposer sur la prémisse selon laquelle toute immatriculation d’une succursale en Allemagne est entreprise pour se soustraire à de tels obstacles. Or, à la lumière des considérations présentées au point précédent, ni l’application de ces conditions ni l’application de ces obligations ne peuvent être considérées comme étant conformes aux articles 49 et 54 TFUE à ce titre.

78.      À titre surabondant, le gouvernement allemand fait valoir que les développements apportés par la directive 2019/1151 pour les administrateurs révoqués (34) montrent que les États membres restent habilités, sous l’empire de cette directive, à définir eux‑mêmes l’aptitude personnelle requise du représentant d’une société. Selon ce gouvernement, il n’y a pas de raison pour que les États membres ne puissent pas avoir recours à l’instrument que constitue le contrôle préventif des abus.

79.      Ces développements – qui ne s’appliquent pas dans la procédure au principal – ne remettent cependant pas en question les considérations émises aux points précédents des présentes conclusions.

80.      Certes, le considérant 3 de la directive 2019/1151 déclare que celle-ci vise à prévoir les mesures de protection nécessaires contre les abus et les fraudes. Dans ce cadre, le considérant 23 de cette directive permet aux États membres de refuser la nomination d’une personne à un poste d’administrateur d’une société en tenant compte non seulement de la conduite antérieure de cette personne sur leur propre territoire, mais également, lorsque le droit national le prévoit, des informations fournies par d’autres États membres. Dans le même sens, le considérant 24 indique que, pour assurer la protection de toutes les personnes qui interagissent avec les sociétés ou les succursales et pour empêcher les comportements frauduleux ou abusifs, les autorités compétentes dans les États membres doivent être en mesure de vérifier si la personne proposée pour un poste d’administrateur n’est pas sous le coup d’une interdiction d’exercer les fonctions d’administrateur.

81.      Selon l’exposé des motifs du projet de la directive 2019/1151 (35), l’article 13 decies de la directive 2017/1132, telle que modifiée par cette première directive, établit un cadre juridique permettant aux États membres de demander aux autres États membres des informations concernant les administrateurs révoqués. Selon cette disposition, les États membres peuvent vérifier auprès des autres États membres si une personne à inscrire en tant qu’administrateur d’une société est déchue du droit d’exercer cette fonction dans un autre État membre en vertu du droit national de cet autre État membre.

82.      Or, la directive 2019/1151 repose sur la prémisse selon laquelle, dans ce cadre juridique, la prévention systématique et généralisée du comportement abusif ou frauduleux consistant en la création d’une société dans un autre État membre en vue d’échapper à une interdiction d’exercer les fonctions d’administrateur peut être réalisée dans l’État membre d’établissement de la société. C’est dans ce contexte qu’un État membre peut, conformément à l’article 13 decies, paragraphe 2, seconde phrase, de la directive 2017/1132, telle que modifiée par la directive 2019/1151, refuser la nomination d’une personne à la fonction d’administrateur d’une société si cette personne est déchue du droit d’exercer cette fonction dans un autre État membre.

83.      Cette considération est corroborée par l’analyse d’autres dispositions introduites par la directive 2019/1151.

84.      Comme le fait valoir la Commission, conformément à l’article 13 octies, paragraphe 3, sous f), de la directive 2017/1132, telle que modifiée par la directive 2019/1151, les modalités de constitution en ligne des sociétés que doivent fixer les États membres comprennent notamment des règles sur les « procédures visant à vérifier la nomination des administrateurs ». L’article 28 bis de cette directive contient des dispositions similaires relatives à l’immatriculation en ligne de succursales. Cependant, l’énumération à l’article 28 bis, paragraphe 3, de ladite directive des domaines dans lesquels les États membres doivent fixer les modalités prévues, tout en étant très analogue à celle qui figure à l’article 13 octies, ne fait pas référence aux procédures de vérification des administrateurs.

85.      Il convient encore de vérifier si une restriction à la liberté d’établissement qui découle de l’application des obstacles prévus en droit allemand à la nomination de gérants de sociétés est susceptible d’être justifiée par d’autres raisons invoquées tant par la juridiction de renvoi que par le gouvernement allemand, à savoir la protection des créanciers et de la loyauté du commerce.

c)      Sur la protection des créanciers et de la loyauté du commerce

86.      Bien que la protection des créanciers et de la loyauté du commerce constitue une raison impérieuse d’intérêt général (36), les mesures justifiées par cette raison doivent également remplir les critères de non-discrimination, d’efficacité et de proportionnalité, rappelés au point 59 des présentes conclusions.

87.      Tout d’abord, dans la mesure où des obstacles du droit allemand à la nomination de gérants de sociétés sont également appliqués à l’égard des sociétés établies en Allemagne, rien n’indique que ces conditions sont appliquées de manière discriminatoire.

88.      Ensuite, en ce qui concerne la protection des créanciers et de la loyauté du commerce, il est certes vrai que le fait qu’une personne légalement nommée comme gérante d’une société établie dans un autre État membre se heurte aux obstacles à sa nomination visés à l’article 6, paragraphe 2, deuxième phrase, points 2 et 3, et troisième phrase, du GmbHG n’implique pas nécessairement que, par l’intermédiaire d’une succursale, cette personne ne dispose pas du pouvoir d’engager la société à l’égard des tiers.

89.      Toutefois, en droit allemand, les obstacles à la nomination de gérants de sociétés prennent la forme, d’une part, d’une interdiction judiciaire ou administrative d’exercer un métier ou une activité correspondant à l’activité de la succursale. Une telle interdiction est imposée précisément pour protéger le commerce. D’autre part, figurent également parmi des obstacles à la nomination de gérants de sociétés ceux prenant la forme de condamnations pour certaines infractions intentionnelles, à savoir celles liées à l’insolvabilité, celles consistant en la présentation fausse ou inexacte des informations relatives à la vie des affaires et celles consistant en une fraude. Seules ces condamnations peuvent effectivement relever de la volonté de protéger la loyauté des transactions commerciales.

90.      Enfin, en ce qui concerne leur proportionnalité, j’estime que l’application des obstacles du droit allemand à la nomination de gérants de sociétés ne semble pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif que l’application de ces obstacles poursuit. Bien que ces obstacles s’appliquent également aux personnes déjà légalement inscrites comme gérantes des sociétés dans d’autres États membres, en l’absence d’harmonisation de tels obstacles au niveau de l’Union, rien ne permet de présumer que tout État membre prévoie des obstacles similaires, de sorte que l’application des obstacles du droit allemand à la nomination de gérants de sociétés conduirait au redoublement des obstacles ou des formalités. D’ailleurs, au moment de la création d’une société, il n’est pas possible d’anticiper toutes les décisions qu’elle prendra en ce qui concerne l’immatriculation de ses succursales. Il n’est donc pas exclu que l’État membre d’établissement d’une société ne soit pas en mesure d’assurer pleinement le respect des obligations de nomination en vigueur dans l’État membre d’accueil des succursales de cette société. En outre, l’application de ces obstacles permet d’assurer l’efficacité des interdictions judiciaires et administratives d’exercer un métier ou une activité dans l’espace de l’Union.

91.      En résumé, le fait de soumettre l’immatriculation d’une succursale aux conditions supplémentaires prévues par le droit d’un État membre autre que celui de l’État membre d’établissement, dressant des obstacles à la nomination de gérants de sociétés, comme le fait le droit allemand, constitue donc une restriction à la liberté d’établissement. Or, cette restriction peut être justifiée au titre de la protection des créanciers et de la loyauté de commerce.

92.      Il convient à présent de déterminer s’il en va de même des obligations visées par la seconde question préjudicielle. La compatibilité de l’application des obstacles à la nomination de gérants de sociétés, qui découlent de la législation nationale, avec le droit de l’Union, n’implique pas qu’il en aille nécessairement de même de toute mesure permettant de vérifier, selon cette législation, l’absence de ces obstacles.

d)      Sur la justification des obligations en cause au titre de la protection des créanciers et de la loyauté de commerce

93.      Dans la mesure ou les obligations visées par la seconde question préjudicielle s’appliquent dans les mêmes conditions que les obstacles à la nomination de gérants de sociétés prévus en droit allemand, rien ne permet de considérer que ces obligations sont appliquées de manière discriminatoire.

94.      En ce qui concerne l’efficacité de l’obligation de fournir l’assurance de la non-existence de tels obstacles, l’efficacité de cette obligation au titre de la protection des créanciers et de la loyauté de commerce est reconnue par la directive 2019/1151. L’article 13 decies, paragraphe 2, de la directive 2017/1132, introduit par la directive 2019/1151, lu à lumière des considérants 23 et 24 de cette dernière directive, prévoit que, afin d’assurer la protection de toutes les personnes qui interagissent avec les sociétés, les États membres peuvent exiger que « les personnes se portant candidates à la fonction d’administrateur déclarent si elles ont connaissance de circonstances susceptibles d’entraîner une révocation dans l’État membre concerné ».

95.      En l’absence d’un système d’échange automatique d’informations sur les obstacles à la nomination de gérants de sociétés, cette obligation ne semble pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de protéger les créanciers et la loyauté de commerce, sans imposer une charge déraisonnable aux personnes concernées. En outre, la connaissance des lois de police de l’État membre d’immatriculation d’une succursale dressant les obstacles liés à la fiabilité dans la vie des affaires, tels que ceux prévus en droit allemand, ne semble pas requérir une étude exceptionnellement poussée de ce droit.

96.      Si l’obligation de fournir l’assurance de la non-existence d’obstacles à la nomination de gérants de sociétés est justifiée, il en va autrement de l’obligation de fournir l’assurance qu’un notaire, un membre d’une profession juridique comparable ou un agent consulaire a informé le gérant de son obligation sans réserve de fournir à cet égard tout renseignement au tribunal.

97.      En effet, rien ne justifie que cette assurance doive être fournie nécessairement par un gérant et ne puisse pas l’être par la personne l’ayant informé de l’obligation de fournir tout renseignement au tribunal tenant le registre. Par ailleurs, l’obligation de fournir ladite assurance résulte plutôt des règles du droit national en matière de responsabilité pénale. En l’absence de cette assurance, l’intéressé aurait le droit de ne pas déclarer certaines condamnations et les sanctions prévues pour fausses déclarations à l’égard de ces condamnations ne s’appliqueraient pas dans son cas. Or, l’intérêt d’un État membre d’élargir la portée de la responsabilité pénale des gérants à des déclarations touchant à l’existence des obstacles à leur nomination ne saurait être nécessairement assimilé à l’intérêt de protéger les créanciers. Il suffirait que les gérants ne soient pas, par principe, dispensés de déclarer ces condamnations.

98.      Par souci d’exhaustivité, les considérations qui précèdent ne préjugent pas de la conformité au droit de l’Union des sanctions pénales dont sont assorties les obligations visées par la seconde question préjudicielle.

V.      Conclusion

99.      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la seconde question du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) de la manière suivante :

1)      La directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés doit être interprétée en ce sens que ne constituent pas une « obligation de publicité », au sens de l’article 30 de cette directive, les obligations imposant, lors de la demande d’inscription au registre du commerce d’une succursale d’une société à responsabilité limitée ayant son siège dans un autre État membre, que le gérant de la société donne l’assurance qu’il n’existe, en ce qui le concerne, aucun obstacle à sa nomination résultant du droit national – sous la forme d’une interdiction judiciaire ou administrative d’exercer un métier ou une activité correspondant en partie ou totalement à l’objet social, ou sous la forme d’une condamnation définitive pour certaines infractions – et qu’un notaire, un membre d’une profession juridique comparable ou un agent consulaire l’ait informé de son obligation sans réserve de fournir à cet égard tout renseignement au tribunal.

2)      Les articles 49 et 54 TFUE ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, lors de la demande d’inscription au registre du commerce d’une succursale d’une société à responsabilité limitée ayant son siège dans un autre État membre, le gérant de la société doit donner l’assurance de la non-existence de tels obstacles à sa nomination.

3)      Les articles 49 et 54 TFUE s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le gérant de cette société doit donner l’assurance qu’un notaire, un membre d’une profession juridique comparable ou un agent consulaire l’a informé de son obligation sans réserve de fournir à cet égard tout renseignement au tribunal.


1      Langue originale : le français.


2      Arrêt du 9 mars 1999 (C‑212/97, EU:C:1999:126).


3      Arrêt du 30 septembre 2003 (C‑167/01, EU:C:2003:512).


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés (JO 2017, L 169, p. 46).


5      Onzième directive du Conseil du 21 décembre 1989 concernant la publicité des succursales créées dans un État membre par certaines formes de société relevant du droit d’un autre État (JO 1989, L 395, p. 36).


6      Voir arrêt du 30 septembre 2003, Inspire Art (C‑167/01, EU:C:2003:512, point 73).


7      Arrêt du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Societé Générale (C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 46 et jurisprudence citée).


8      Voir article 167 de la directive 2017/1132.


9      Voir arrêt du 30 janvier 2020 (C‑394/18, EU:C:2020:56, point 38).


10      Voir arrêt du 14 décembre 2017 (C‑243/16, EU:C:2017:969, points 3 et 9).


11      En effet, l’arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I. (C‑394/18, EU:C:2020:56, point 38), portait sur une action paulienne dirigée contre un acte de scission, tandis que l’arrêt du 14 décembre 2017, Miravitlles Ciurana e.a. (C‑243/16, EU:C:2017:969, points 3 et 9), portait sur une action en responsabilité fondée sur une créance salariale.


12      Directive du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 modifiant la directive (UE) 2017/1132 en ce qui concerne l’utilisation d’outils et de processus numériques en droit des sociétés (JO 2019, L 186, p. 80).


13      Il convient d’observer que, à tout le moins jusqu’à la fin de la période de transition fixée dans l’accord de retrait, le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union n’affecte pas l’applicabilité de la directive 2017/1132 en ce qui concerne la procédure au principal. Aux fins de l’application de cette directive, la requérante doit toujours être considérée comme une société d’un autre État membre.


14      Arrêt du 30 septembre 2003 (C‑167/01, EU:C:2003:512).


15      Arrêt du 30 septembre 2003, Inspire Art (C‑167/01, EU:C:2003:512, points 65 et 73).


16      Arrêt du 30 septembre 2003 (C‑167/01, EU:C:2003:512, points 65, 73, 101 et 105).


17      Arrêt du 30 septembre 2003 (C‑167/01, EU:C:2003:512).


18      Voir point 42 des présentes conclusions.


19      Arrêt du 30 septembre 2003, Inspire Art (C‑167/01, EU:C:2003:512, point 133).


20      Arrêt du 9 mars 1999, Centros (C‑212/97, EU:C:1999:126, point 38).


21      Dans cet ordre d’idées, en réponse à la question de la Cour, la Commission a indiqué que les obligations visées par la seconde question préjudicielle ont pour effet de rendre le droit allemand en matière de révocation des administrateurs applicable aux administrateurs de sociétés immatriculées dans d’autres États membres désireuses d’ouvrir une succursale en Allemagne. En outre, en se référant aux documents produits au cours de la procédure législative, le gouvernement allemand indique que « l’unique objectif est ici d’empêcher que des personnes qui seraient inaptes en droit allemand – par exemple, qui ne pourraient pas devenir gérants d’une société à responsabilité limitée – ne fassent inscrire, en tant que représentants d’une société étrangère, une succursale en Allemagne ».


22      Voir arrêt du 30 septembre 2003, Inspire Art (C‑167/01, EU:C:2003:512, point 97 et jurisprudence citée).


23      La juridiction de renvoi indique que les obligations visées par la seconde question préjudicielle s’appliquent également aux « sociétés étrangères qui sont pourvues de dirigeants étrangers, constituées à l’étranger et qui y ont réellement leur principal établissement ». Sur cette problématique, voir Avout, L., « L’entreprise et les conflits internationaux de lois », Recueil des cours de l’Académie de La Haye, 2019, vol. 397, p. 264.


24      Voir, a contrario, en ce qui concerne le droit d’un État membre, lorsqu’une société constituée conformément à la législation d’un autre État membre sur le territoire duquel elle a son siège statutaire est réputée avoir transféré son siège effectif dans ce premier État, à dénier à cette société la capacité juridique, arrêt du 5 novembre 2002, Überseering (C‑208/00, EU:C:2002:632, point 93). Voir, également, par analogie, mes conclusions dans l’affaire McCarthy e.a. (C‑202/13, EU:C:2014:345, points 138 et 139).


25      Voir, en ce sens, en ce qui concerne l’application des obstacles à la nomination à l’égard des succursales des sociétés établies dans un autre État membre, Ebke, W.F., « The “Real Seat” Doctrine in the Conflict of Corporate Laws », The International Lawyer, 2002, vol. 36, p. 1031, note en bas de page 112 ; Gerner-Beuerle, C., Mucciarelli, F., Schuster, E., Siems, M., « Study on the Law Applicable to Companies. Final Report », Publications Office in the European Union, 2016, Luxembourg, p. 139 ; Sørensen, K. E., « Branches of Companies in the EU : Balancing the Eleventh Company Law Directive, National Company Law and the Right of Establishment », European Company and Financial Law Review, 2014, vol. 11(1), p. 83 ; ainsi que Tridimas, T., « Abuse of Rights in the EU Law : Some Reflections with Particular Reference to Financial Law», dans de la Feria, R., Vogenauer, S. (eds.), Prohibition of Abuse of Law : A New General Principle of EU Law ? Hart Publishing, Oxford – Portland, 2011, p. 178.


26      Voir, a contrario, arrêt du 10 décembre 2015, Kornhaas (C‑594/14, EU:C:2015:806, point 28). Dans cet arrêt, la Cour a considéré que l'application d'une disposition nationale qui ne concernait aucunement la constitution d’une société dans un État membre donné ni son établissement ultérieur dans un autre État membre et qui, en revanche, s'appliquait dans le cadre de l'activité de cette société ne pouvait pas affecter la liberté d'établissement.


27      Arrêt du 10 juillet 1986 (79/85, EU:C:1986:308, point 15).


28      Voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2017, Polbud – Wykonawstwo (C‑106/16, EU:C:2017:804, point 39).


29      Voir arrêt du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke (C‑110/99, EU:C:2000:695, points 52 et 53).


30      Voir arrêt du 9 mars 1999, Centros (C‑212/97, EU:C:1999:126, point 25 et jurisprudence citée).


31      Voir, en ce sens, Sørensen, K. E., « The fight against letterbox companies in the internal market », Common Market Law Review, 2015, vol. 25(1), p. 92, et Munari, F., Terrile, P., « The Centros case and the rise of an EC market for corporate law », dans Ferrarini, G., Hopt, K. J., Wymeersch, E. (eds.), Capital Markets in the Age of the Euro : Cross-Border Transactions, Listed Companies and Regulation, Kluwer Law International, La Haye, Londres, New York, 2002, p. 47.


32      Voir point 56 des présentes conclusions.


33      Voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 1999, Centros (C‑212/97, EU:C:1999:126, point 25). Voir, également, Tridimas, T., « Abuse of Rights in the EU Law : Some Reflections with Particular Reference to Financial Law », dans de la Feria, R., Vogenauer, S. (eds.), Prohibition of Abuse of Law : A New General Principle of EU Law ?, Hart Publishing, Oxford – Portland, 2011, p. 178.


34      Selon l’article 13 decies de la directive 2017/1132, telle que modifié par la directive 2019/1151, par « administrateurs » on entend à tout le moins les personnes visées à l’article 14, point d) i), de cette première directive, à savoir les personnes qui, en tant qu’organe légalement prévu, ou membres de tel organe, ont le pouvoir d’engager la société à l’égard des tiers et de la représenter en justice. À cet égard, il ressort de la présente demande de décision préjudicielle que, selon la terminologie utilisée par la juridiction de renvoi, un « gérant de la société » est en fait le représentant légal de cette société. Il peut donc être considéré comme un « administrateur » au sens des dispositions précitées.


35      Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive (UE) 2017/1132 en ce qui concerne l’utilisation d’outils et de processus numériques en droit des sociétés, COM(2018) 239 final, p. 15.


36      Voir arrêt du 12 juillet 2012, VALE (C‑378/10, EU:C:2012:440, point 39 et jurisprudence citée). Voir, également, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Inspire Art (C‑167/01, EU:C:2003:512, point 140).