Language of document : ECLI:EU:C:2011:288

ORDONNANCE DE LA COUR (cinquième chambre)

11 mai 2011 (*)

«Article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure – Directive 90/314/CEE – Voyages, vacances et circuits à forfait – Faits antérieurs à l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union européenne – Incompétence manifeste de la Cour pour répondre aux questions préjudicielles»

Dans l’affaire C‑32/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Varhoven kasatsionen sad (Bulgarie), par décision du 30 décembre 2009, parvenue à la Cour le 20 janvier 2010, dans la procédure

Tony Georgiev Semerdzhiev

contre

Del-Pi-Krasimira Mancheva,

en présence de:

ZAD Bulstrad VIG,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J.-J. Kasel, président de chambre, MM. E. Levits et M. Safjan (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, point 1, sous c), 4, paragraphe 1, sous b), iv), et 5, paragraphe 2, de la directive 90/314/CEE du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait (JO L 158, p. 59).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Semerdzhiev à l’entreprise Del-Pi-Krasimira Mancheva au sujet de la réparation du préjudice subi par celui-ci en conséquence du défaut de remise par cette dernière de l’original de la police d’assurance couvrant les frais médicaux du voyageur en cas de maladie ou d’accident.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 2 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203, ci-après l’«acte d’adhésion»), prévoit:

«Dès l’adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions et la Banque centrale européenne lient la Bulgarie et la Roumanie et sont applicables dans ces États dans les conditions prévues par ces traités et par le présent acte.»

4        L’article 52 de l’acte d’adhésion, figurant sous le titre II de la cinquième partie de cet acte, intitulé «Applicabilité des actes des institutions», dispose:

«Dès l’adhésion, la Bulgarie et la Roumanie sont considérées comme étant destinataires des directives et des décisions, au sens de l’article 249 du traité CE [...], pour autant que ces directives [...] aient été adressées à tous les États membres actuels. Sauf en ce qui concerne les directives et les décisions qui sont entrées en vigueur en vertu de l’article 254, paragraphes 1 et 2, du traité CE, la Bulgarie et la Roumanie sont réputées avoir reçu notification de ces directives et décisions dès l’adhésion.»

5        L’article 53, paragraphe 1, de l’acte d’adhésion, figurant sous le même titre, prévoit:

«La Bulgarie et la Roumanie mettent en vigueur les mesures qui leur sont nécessaires pour se conformer, à partir de la date d’adhésion, aux dispositions des directives [...] au sens de l’article 249 du traité CE [...], à moins qu’un autre délai ne soit prévu dans le présent acte. [...]»

6        L’article 2 de la directive 90/314 énonce:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

1)      forfait: la combinaison préalable d’au moins deux des éléments suivants, lorsqu’elle est vendue ou offerte à la vente à un prix tout compris et lorsque cette prestation dépasse vingt-quatre heures ou inclut une nuitée:

a)      transport;

b)      logement;

c)      autres services touristiques non accessoires au transport ou au logement représentant une part significative dans le forfait.

[...]

5)      contrat: l’accord qui lie le consommateur à l’organisateur et/ou au détaillant.»

7        L’article 4 de cette directive dispose:

«1.      [...]

b)      L’organisateur et/ou le détaillant doivent fournir au consommateur, par écrit ou sous toute autre forme appropriée, en temps voulu avant le début du voyage, les informations suivantes:

[...]

iv)      une information sur la souscription facultative d’un contrat d’assurance couvrant les frais d’annulation par le consommateur ou d’un contrat d’assistance couvrant les frais de rapatriement en cas d’accident ou de maladie.

2.      Les États membres veillent à ce que le contrat respecte les principes suivants:

a)      selon le forfait considéré, le contrat comprend au moins les clauses figurant à l’annexe;

b)      toutes les clauses du contrat sont consignées par écrit ou sous toute autre forme compréhensible et accessible au consommateur et doivent lui être communiquées préalablement à la conclusion du contrat; le consommateur en reçoit une copie;

[...]»

8        L’article 5 de ladite directive prévoit:

«1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que l’organisateur et/ou le détaillant partie au contrat soient responsables à l’égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant de ce contrat, que ces obligations soient à exécuter par eux-mêmes ou par d’autres prestataires de services et ceci sans préjudice du droit de l’organisateur et/ou du détaillant d’agir contre ces autres prestataires de services.

2.      En ce qui concerne les dommages qui résultent pour le consommateur de l’inexécution ou de la mauvaise exécution du contrat, les États membres prennent les mesures nécessaires pour que l’organisateur et/ou le détaillant soient responsables, à moins que cette inexécution ou mauvaise exécution ne soit imputable ni à leur faute ni à celle d’un autre prestataire de services parce que:

–        les manquements constatés dans l’exécution du contrat sont imputables au consommateur,

–        ces manquements sont imputables à un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, revêtant un caractère imprévisible ou insurmontable,

–        ces manquements sont dus à un cas de force majeure, telle que définie à l’article 4 paragraphe 6 deuxième alinéa sous ii) ou à un événement que l’organisateur et/ou le détaillant ou le prestataire, avec toute la diligence nécessaire, ne pouvaient pas prévoir ou surmonter.

Dans les cas visés au premier alinéa deuxième et troisième tirets, l’organisateur et/ou le détaillant partie au contrat sont tenus de faire diligence pour venir en aide au consommateur en difficulté.

En ce qui concerne les dommages résultant de l’inexécution ou de la mauvaise exécution des prestations faisant l’objet du forfait, les États membres peuvent admettre que le dédommagement soit limité conformément aux conventions internationales qui régissent ces prestations.

En ce qui concerne les dommages autres que corporels résultant de l’inexécution ou de la mauvaise exécution des prestations faisant l’objet du forfait, les États membres peuvent admettre que le dédommagement soit limité en vertu du contrat. Cette limitation ne doit pas être déraisonnable.

3.      Sans préjudice du paragraphe 2 quatrième alinéa, il ne peut être dérogé par clause contractuelle aux paragraphes 1 et 2.

4.      Toute défaillance dans l’exécution du contrat constatée sur place par le consommateur doit être signalée le plus tôt possible, par écrit ou sous toute autre forme appropriée, par le consommateur au prestataire concerné ainsi qu’à l’organisateur et/ou au détaillant.

Cette obligation doit faire l’objet d’une mention claire et précise dans le contrat.»

9        L’article 7 de la directive 90/314 dispose:

«L’organisateur et/ou le détaillant partie au contrat justifient des garanties suffisantes propres à assurer, en cas d’insolvabilité ou de faillite, le remboursement des fonds déposés et le rapatriement du consommateur.»

10      L’annexe de cette directive est libellée comme suit:

«Éléments à inclure dans le contrat lorsqu’ils s’appliquent au forfait considéré:

[...]

g)      le nom et l’adresse de l’organisateur, du détaillant et, s’il y a lieu, de l’assureur;

[...]»

 La réglementation nationale

11      L’article 30, paragraphe 7, de la loi relative au tourisme (Zakon za turizma) prévoit que, avant le début du voyage, le voyagiste fournit au consommateur, directement ou par l’intermédiaire de l’agence de voyage, l’original de la police d’assurance relative aux frais médicaux du voyageur en cas de maladie ou d’accident.

12      La juridiction de renvoi souligne que, en vertu de sa jurisprudence constante, la responsabilité civile en cas de manquement à des obligations contractuelles couvre seulement la réparation du préjudice matériel. Le préjudice moral ne peut être réparé que dans le cadre de la responsabilité délictuelle, laquelle est exclue lorsque, comme dans l’affaire au principal, la responsabilité contractuelle est engagée.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      Le 7 septembre 2005, M. Semerdzhiev a conclu avec Del-Pi-Krasimira Mancheva un contrat portant sur un voyage organisé du 22 au 26 septembre 2005, avec pour itinéraire Varna (Bulgarie) – Istanbul (Turquie) – Varna, qualifié par la juridiction de renvoi de «forfait», au sens de l’article 2 de la directive 90/314.

14      Del-Pi-Krasimira Mancheva a par ailleurs conclu avec la société d’assurances et de réassurance ZAD Bulstrad VIG un contrat d’assurance de groupe «assurance voyage» couvrant notamment le requérant au principal en ce qui concerne les frais médicaux du voyageur en cas de maladie ou d’accident. L’original de cette police n’a pas été remis au requérant au principal avant son voyage.

15      Le 22 septembre 2005, lors de son séjour à Istanbul, M. Semerdzhiev a été victime d’une agression ayant entraîné une blessure. Il a donc dû être transporté à l’hôpital le plus proche où il a reçu uniquement les premiers soins. Par la suite, M. Semerdzhiev a été transféré successivement dans deux autres hôpitaux où, en l’absence de présentation de l’original de la police d’assurance couvrant les frais médicaux, les soins lui ont été refusés.

16      M. Semerdzhiev a formé devant le Rayonen sad Varna un recours en réparation du préjudice matériel et moral résultant pour lui de la non-remise, par Del-Pi-Krasimira Mancheva, de l’original de ladite police d’assurance. Par jugement du 13 juillet 2007, le Rayonen sad Varna a condamné Del-Pi-Krasimira Mancheva à la réparation du préjudice moral subi par M. Semerdzhiev.

17      Les deux parties ont interjeté appel devant l’Okrazhen sad Varna, qui, par arrêt du 11 novembre 2008, a considérablement réduit le montant auquel avait été estimé ledit préjudice moral en raison de l’absence de lien de causalité direct, pour la plupart des éléments dudit préjudice, entre le défaut de présenter l’original de la police d’assurance et le préjudice invoqué par M. Semerdzhiev.

18      M. Semerdzhiev a formé un recours contre ce dernier arrêt devant le Varhoven kasatsionen sad.

19      Estimant que la solution du litige dont il est saisi dépend de l’interprétation des dispositions de la directive 90/314, le Varhoven kasatsionen sad a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les dispositions de la directive 90/314 sont-elles applicables au cas d’espèce?

2)      Comment faut-il interpréter la notion d’‘autres services touristiques’ au sens de l’article 2, point 1, sous c), de la directive 90/314 et cette notion inclut-elle l’obligation de l’organisateur d’assurer le consommateur?

–        Quels risques doit couvrir le contrat d’assurance conclu entre l’organisateur et la compagnie d’assurances au profit du consommateur?

–        De quel type d’assurance doit-il s’agir, d’une assurance de groupe pour tous les consommateurs du forfait ou bien d’une assurance individuelle pour chacun d’entre eux?

3)      Convient-il d’interpréter l’obligation de l’organisateur de fournir au consommateur avant le début du voyage une information sur la souscription facultative d’un contrat d’assistance couvrant les frais de rapatriement en cas d’accident, prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous b), iv), de la directive 90/314, en ce sens que l’organisateur a l’obligation de conclure avec le consommateur un contrat d’assistance individuel couvrant les frais de rapatriement en cas d’accident?

4)      L’organisateur est-il obligé, en vertu des dispositions de la directive 90/314, de remettre l’original de la police d’assurance au consommateur avant le début du voyage?

5)      Comment faut-il interpréter la notion de ‘dommages’ qui résultent pour le consommateur de l’inexécution ou de la mauvaise exécution du contrat, au sens de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 90/314?

6)      La notion de ‘dommages’ qui résultent pour le consommateur de l’inexécution ou de la mauvaise exécution du contrat, au sens de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 90/314, inclut-elle également la responsabilité pour les préjudices moraux subis par le consommateur?

7)      Comment faut-il interpréter l’article 5, paragraphe 2, troisième et quatrième alinéas, de la directive 90/314 en cas de demandes de réparation de préjudices moraux résultant d’un dommage corporel à cause de l’inexécution ou de la mauvaise exécution des services compris dans le forfait, notamment en cas de non-remise au consommateur de l’original de la police d’assurance, lorsque celui-ci ne prévoit pas de limitation de la réparation?»

 La procédure devant la Cour

20      Par lettre du 29 octobre 2010, la Cour, en application de l’article 104, paragraphe 5, de son règlement de procédure, a demandé à la juridiction de renvoi certains éclaircissements sur les questions préjudicielles qui lui étaient soumises en ce qui concerne, notamment, d’éventuelles obligations à la charge de l’organisateur nées postérieurement à la conclusion du contrat portant sur le voyage organisé en cause au principal ainsi que les conséquences possibles du fait générateur du préjudice moral subi par le requérant au principal qui seraient postérieures à l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union le 1er janvier 2007.

21      Dans sa réponse, parvenue à la Cour le 22 novembre 2010, la juridiction de renvoi a indiqué notamment que, conformément au droit bulgare et à la jurisprudence constante du Varhoven kasatsionen sad, il est impossible qu’une obligation de l’organisateur de réparer des préjudices moraux naisse postérieurement à la conclusion d’un contrat portant sur un voyage organisé. S’agissant de l’affaire au principal, la juridiction de renvoi a estimé que les conséquences du fait générateur du préjudice, dont dépend le droit à réparation des préjudices moraux subis par le requérant au principal, sont postérieures à l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union le 1er janvier 2007.

 Sur la compétence de la Cour

22      En vertu des articles 92, paragraphe 1, et 103, paragraphe 1, de son règlement de procédure, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d’un renvoi préjudiciel, elle peut, l’avocat général entendu, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

23      Il ressort de la décision de renvoi que le Varhoven kasatsionen sad sollicite, en substance, l’interprétation de la directive 90/314 afin d’apprécier la compatibilité avec le droit de l’Union d’une règle de droit national qui exclut la réparation du préjudice moral résultant d’un manquement à des obligations contractuelles telles que celles en cause au principal.

24      Toutefois, le contrat en cause au principal a été conclu au cours de l’année 2005, donc avant l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union le 1er janvier 2007. Le voyage de M. Semerdzhiev et l’accident dont a été victime ce dernier ont également eu lieu avant cette date.

25      À cet égard, il convient de relever que, en vertu d’une jurisprudence constante, la Cour est compétente pour interpréter les directives uniquement pour ce qui concerne l’application de celles-ci dans un État membre à partir de la date d’adhésion de ce dernier à l’Union (voir arrêts du 10 janvier 2006, Ynos, C‑302/04, Rec. p. I‑371, point 36; du 14 juin 2007, Telefónica O2 Czech Republic, C‑64/06, Rec. p. I‑4887, points 22 et 23, ainsi que du 15 avril 2010, CIBA, C‑96/08, non encore publié au Recueil, point 14).

26      Il importe d’ajouter que la seule existence d’un quelconque élément postérieur à la date de l’adhésion de l’État membre concerné à l’Union, qui se rattache aux circonstances précédant cette date et qui en est une conséquence, ne suffit pas pour donner compétence à la Cour pour répondre aux questions préjudicielles portant sur l’interprétation d’une directive (voir, en ce sens, ordonnance du 6 mars 2007, Ceramika Paradyż, C‑168/06, points 23 et 24).

27      Conformément à la jurisprudence de la Cour, il s’ensuit que la référence, par la juridiction de renvoi, aux conséquences non précisées du fait générateur du préjudice postérieures au 1er janvier 2007 n’aboutit pas à la reconnaissance de la compétence de la Cour dès lors que ces conséquences n’ont pas de caractère autonome par rapport audit fait générateur (voir arrêts précités Telefónica O2 Czech Republic, points 19 à 24, ainsi que CIBA, points 9 et 15).

28      Or, dans la présente affaire, la juridiction de renvoi se borne à mentionner, dans sa réponse à la demande d’éclaircissements présentée par la Cour, l’existence de conséquences du fait générateur du préjudice en cause au principal postérieures à l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union le 1er janvier 2007, sans indiquer quelles sont ces conséquences. En outre, il ressort du dossier soumis à la Cour que tous les événements qui déterminent la responsabilité de Del-Pi-Krasimira Mancheva à l’égard de M. Semerdzhiev se sont déroulés durant une période précédant cette date.

29      Dans ces conditions, eu égard au fait que toutes les circonstances constitutives des droits et des obligations des parties au principal précèdent la date d’adhésion de l’État membre en cause à l’Union et à défaut de l’indication, par la juridiction de renvoi, d’éléments autonomes du cadre factuel qui seraient postérieurs à cette date, il y a lieu de constater que la Cour est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par le Varhoven kasatsionen sad.

 Sur les dépens

30      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) ordonne:

La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par le Varhoven kasatsionen sad (Bulgarie).

Signatures


* Langue de procédure: le bulgare.