Language of document : ECLI:EU:C:2020:570

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

16 juillet 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) n° 1259/2010 – Coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps – Règles uniformes – Article 10 – Application de la loi du for »

Dans l’affaire C‑249/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie), par décision du 11 février 2019, parvenue à la Cour le 25 mars 2019, dans la procédure

JE

contre

KF,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice‑présidente de la Cour, M. L. Bay Larsen, Mme C. Toader et M. N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement roumain, initialement par M. C.-R. Canţăr ainsi que par Mmes E. Gane, O.-C. Ichim et L. Liţu, puis par Mmes E. Gane, O.-C. Ichim et L. Liţu, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, M. Hellmann et E. Lankenau, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes ainsi que par Mmes P. Barros da Costa, L. Medeiros et S. Duarte Afonso, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. M. Wilderspin et A. Biolan, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 mars 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 10 du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil, du 20 décembre 2010, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps (JO 2010, L 343, p. 10).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant JE à KF au sujet de la détermination de la loi applicable à leur divorce.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement (CE) n° 2201/2003

3        Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1) :

« Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, les juridictions de l’État membre :

[...]

b)      de la nationalité des deux époux ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, du “domicile” commun. »

 Le règlement n° 1259/2010

4        Les considérants 9, 21, 24, 26 et 29 du règlement n° 1259/2010 énoncent :

« (9)      Le présent règlement devrait créer un cadre juridique clair et complet dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps dans les États membres participants, garantir aux citoyens des solutions appropriées en termes de sécurité juridique, de prévisibilité et de souplesse, et empêcher une situation dans laquelle l’un des époux demande le divorce avant l’autre pour faire en sorte que la procédure soit soumise à une loi donnée qu’il estime plus favorable à ses propres intérêts.

[...]

(21)      À défaut de choix de la loi applicable, le présent règlement devrait instaurer des règles de conflit de lois harmonisées sur la base d’une échelle de critères de rattachement successifs fondés sur l’existence d’un lien étroit entre les époux et la loi concernée, en vue de garantir la sécurité juridique et la prévisibilité et d’empêcher une situation dans laquelle l’un des époux demande le divorce avant l’autre pour faire en sorte que la procédure soit soumise à une loi donnée qu’il estime plus favorable à ses propres intérêts. Ces critères de rattachement devraient être choisis de façon que la procédure de divorce ou de séparation de corps soit régie par une loi avec laquelle les époux ont des liens étroits.

[...]

(24)      Dans certaines situations, la loi de la juridiction saisie devrait toutefois s’appliquer, comme lorsque la loi applicable ne prévoit pas le divorce ou lorsqu’elle n’accorde pas à l’un des époux, en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe, une égalité d’accès au divorce ou à la séparation de corps. Cela ne devrait cependant pas porter atteinte à l’ordre public.

[...]

(26)      Lorsque le présent règlement se réfère au fait que la loi de l’État membre participant dont une juridiction est saisie ne prévoit pas le divorce, il conviendrait de l’interpréter comme le fait que la loi de cet État membre ne connaît pas l’institution du divorce. En pareil cas, la juridiction compétente ne devrait pas être tenue de prononcer un divorce en vertu du présent règlement.

[...]

[...]

(29)      [...] les objectifs du présent règlement [sont] le renforcement de la sécurité juridique, la prévisibilité et la souplesse dans les procédures matrimoniales internationales et dès lors la facilitation de la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Union [...] »

5        L’article 5 de ce règlement, intitulé « Choix de la loi applicable par les parties », dispose :

« 1.      Les époux peuvent convenir de désigner la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, pour autant qu’il s’agisse de l’une des lois suivantes :

a)      la loi de l’État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou

b)      la loi de l’État de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l’un d’eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention ; ou

c)      la loi de l’État de la nationalité de l’un des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou

d)      la loi du for.

2.      Sans préjudice du paragraphe 3, une convention désignant la loi applicable peut être conclue et modifiée à tout moment, mais au plus tard au moment de la saisine de la juridiction.

3.      Si la loi du for le prévoit, les époux peuvent également désigner la loi applicable devant la juridiction au cours de la procédure. Dans ce cas, la juridiction prend acte de la désignation conformément à la loi du for. »

6        L’article 8 dudit règlement, intitulé « Loi applicable à défaut de choix par les parties », prévoit :

« À défaut de choix conformément à l’article 5, le divorce et la séparation de corps sont soumis à la loi de l’État :

a)      de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,

b)      de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux réside encore dans cet État au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,

c)      de la nationalité des deux époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,

d)      dont la juridiction est saisie. »

7        L’article 10 du même règlement, intitulé « Application de la loi du for », est libellé comme suit :

« Lorsque la loi applicable en vertu des articles 5 ou 8 ne prévoit pas le divorce ou n’accorde pas à l’un des époux, en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe, une égalité d’accès au divorce ou à la séparation de corps, la loi du for s’applique. »

8        L’article 12 du règlement n° 1259/2010, intitulé « Ordre public », énonce :

« L’application d’une disposition de la loi désignée en vertu du présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for. »

9        Aux termes de l’article 13 de ce règlement, intitulé « Différences dans le droit national » :

« Aucune disposition du présent règlement n’oblige les juridictions d’un État membre participant dont la loi ne prévoit pas le divorce ou ne considère pas le mariage en question comme valable aux fins de la procédure de divorce à prononcer un divorce en application du présent règlement. »

 Le droit roumain

10      Aux termes de l’article 2600, paragraphes 2 et 3, du Codul civil (code civil) :

« 2.      Lorsque la loi étrangère ainsi déterminée ne permet pas le divorce ou admet celui-ci dans des conditions très restrictives, la loi roumaine s’applique si l’un des époux a, à la date de la demande en divorce, la nationalité roumaine ou sa résidence habituelle en Roumanie.

3.      Les dispositions du paragraphe 2 sont également applicables lorsque le divorce est régi par la loi choisie par les conjoints. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

11      JE et KF, ressortissants roumains, se sont mariés à Iași (Roumanie), le 2 septembre 2001.

12      Le 13 octobre 2016, JE a saisi la Judecătoria Iași (tribunal de première instance de Iași, Roumanie) d’une demande de divorce.

13      Par un jugement du 31 mai 2017, cette juridiction a décliné sa compétence pour connaître de cette requête en faveur de la Judecătoria Sectorului 5 București (tribunal de première instance du cinquième arrondissement de Bucarest, Roumanie).

14      Par un jugement du 20 février 2018, cette dernière juridiction a, sur le fondement de la nationalité des deux époux visée à l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2201/2003, établi la compétence générale des juridictions roumaines pour connaître de la demande de divorce introduite par JE. Par ailleurs, elle a, sur le fondement de l’article 8, sous a), du règlement n° 1259/2010, désigné la loi italienne comme étant la loi applicable au litige dont elle était saisie, au motif que, à la date d’introduction de cette demande de divorce, la résidence habituelle des époux était située en Italie.

15      À cet égard, ladite juridiction a considéré que, selon le droit italien, une demande de divorce présentée dans des circonstances telles que celles de l’action au principal ne pourrait être introduite que si une séparation de corps des époux avait été préalablement constatée ou décidée par une juridiction et si au moins trois années s’étaient écoulées entre la date de cette séparation et celle à laquelle la juridiction avait été saisie de la demande de divorce.

16      Étant donné que l’existence d’une décision de justice constatant ou prononçant une telle séparation n’avait pas été prouvée et que le droit roumain ne prévoit pas de procédure de séparation de corps, ladite juridiction a jugé que cette procédure devait être menée devant les juridictions italiennes et que, par conséquent, toute demande en ce sens introduite devant les juridictions roumaines était irrecevable.

17      JE a fait appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi en faisant notamment valoir que la juridiction de première instance aurait dû appliquer l’article 2600, paragraphe 2, du code civil, qui constitue une transposition dans le droit roumain des dispositions de l’article 10 du règlement n° 1259/2010.

18      À cet égard, JE considère que, dans la mesure où la loi italienne est restrictive en ce qui concerne les conditions requises pour divorcer, il convenait d’appliquer la loi roumaine à sa demande de divorce.

19      Selon JE, cette solution résulte également du fait que l’application de la loi italienne est manifestement incompatible avec l’ordre public du for et que, par conséquent, cette application doit, conformément à l’article 12 de ce règlement, être écartée.

20      C’est dans ces conditions que le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’expression “la loi applicable en vertu des articles 5 ou 8 ne prévoit pas le divorce”[, figurant à l’article 10 du règlement n° 1259/2010, doit-elle] être interprétée de manière restrictive et littérale, comme visant uniquement les situations dans lesquelles la loi étrangère applicable ne prévoit le divorce sous aucune forme, ou [doit-elle] être interprétée de manière extensive, comme incluant également les situations dans lesquelles la loi étrangère applicable admet le divorce, mais le soumet à des conditions très restrictives, impliquant une procédure de séparation de corps obligatoire préalable au divorce, procédure pour laquelle la loi du for ne contient pas de dispositions procédurales équivalentes ? »

 Sur la question préjudicielle

21      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 10 du règlement n° 1259/2010 doit être interprété en ce sens que les termes « [l]orsque la loi applicable en vertu des articles 5 ou 8 ne prévoit pas le divorce » visent uniquement les situations dans lesquelles la loi étrangère applicable ne prévoit le divorce sous aucune forme ou s’ils incluent également les situations dans lesquelles cette loi admet le divorce, mais le soumet à des conditions considérées, par la juridiction saisie, comme étant plus restrictives que celles prévues par la loi du for.

22      Il ressort de la décision de renvoi que la loi applicable au litige au principal est, conformément à l’article 8, sous a), de ce règlement, la loi italienne et que, en vertu de cette loi, un divorce ne peut être demandé qu’à la condition, notamment, qu’une séparation de corps ait été préalablement constatée ou décidée par une juridiction, tandis que la loi du for, à savoir la loi roumaine, ne prévoit pas cette condition ni ne comporte de dispositions procédurales relatives à la séparation de corps.

23      À titre liminaire, il convient de relever que l’article 10 du règlement n° 1259/2010 constitue une exception aux articles 5 et 8 de ce règlement et doit, en tant que disposition dérogatoire, faire l’objet d’une interprétation stricte.

24      Conformément à cet article 10, la loi du for s’applique dans deux hypothèses, à savoir, d’une part, celle où la loi applicable en vertu des articles 5 ou 8 dudit règlement ne prévoit pas le divorce et, d’autre part, celle où cette loi applicable n’accorde pas à l’un des époux, en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe, une égalité d’accès au divorce ou à la séparation de corps.

25      S’agissant de la première hypothèse visée à audit article 10, dont l’interprétation est demandée par la juridiction de renvoi, il résulte clairement du libellé de cette disposition que la loi du for ne s’applique que lorsque la loi applicable « ne prévoit pas le divorce ».

26      Il ne ressort nullement de l’interprétation textuelle de cette disposition que l’application de la loi du for serait également possible lorsque la loi étrangère applicable prévoit le divorce, mais qu’elle le subordonne au respect de conditions considérées comme étant plus restrictives que celles prévues par la loi du for. De même, le considérant 24 du règlement n° 1259/2010, qui se rapporte au même article 10, ne comporte aucune indication en ce sens.

27      Cette lecture de l’article 10 du règlement n° 1259/2010 est confortée par une interprétation contextuelle et systématique de cette disposition.

28      À cet égard, il convient de relever que les termes « ne prévoit pas le divorce » sont aussi utilisés à l’article 13 de ce règlement, auquel correspond le considérant 26 de ce dernier, selon lequel, lorsque ledit règlement se réfère au fait que la loi de l’État membre participant dont une juridiction est saisie ne prévoit pas le divorce, il conviendrait de l’interpréter comme le fait que la loi de cet État membre « ne connaît pas l’institution du divorce ». Bien que ce considérant 26 fasse référence à la loi de l’État membre dont une juridiction est saisie, il n’en demeure pas moins que, dans la mesure où celui-ci concerne la signification des termes « ne prévoit pas le divorce », les indications qu’il fournit à cet égard sont également pertinentes s’agissant de l’article 10 du règlement n° 1259/2010.

29      Il y a lieu de relever également que la séparation de corps, qui est d’ailleurs expressément visée à cet article 10, relève, au même titre que le divorce, du champ d’application de ce règlement et fait partie intégrante du système et de l’économie générale de ce dernier.

30      Par ailleurs, d’un point de vue téléologique, il ressort des considérants 9, 21 et 29 du règlement n° 1259/2010 que celui-ci vise à créer un cadre juridique clair et complet dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps dans les États membres participants, à garantir la sécurité juridique, la prévisibilité et la souplesse dans les procédures matrimoniales internationales et, dès lors, à faciliter la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Union européenne, ainsi qu’à empêcher une situation dans laquelle l’un des époux demande le divorce avant l’autre pour faire en sorte que la procédure soit soumise à une loi qu’il estime plus favorable à ses propres intérêts.

31      Or, outre le fait qu’elle serait contraire au libellé de l’article 10 du règlement n° 1259/2010 et incompatible avec le contexte et le système dans lesquels s’inscrit cette disposition, une interprétation de cette dernière selon laquelle la loi du for s’applique lorsque la loi étrangère applicable soumet le divorce au respect de conditions considérées comme étant plus restrictives que celles prévues par la loi du for ne serait pas davantage conforme aux objectifs poursuivis par ce règlement.

32      En effet, ainsi que le soutient le gouvernement roumain, cette interprétation nécessiterait un examen au cas par cas des conditions dans lesquelles un divorce peut être prononcé conformément à la loi applicable, en vertu des dispositions dudit règlement, ainsi qu’une appréciation subjective de la mesure dans laquelle ces conditions peuvent être regardées comme étant plus restrictives que celles prévues par la loi du for, ce qui irait à l’encontre ou, à tout le moins, compromettrait, en pratique, la réalisation des objectifs de sécurité juridique et de prévisibilité, poursuivis par le même règlement.

33      De même, comme le gouvernement portugais l’a relevé, ladite interprétation ferait échec à l’autonomie de la volonté des époux, prévue à l’article 5 du règlement n° 1259/2010, et, à défaut de choix, par ceux-ci, de la loi applicable à leur divorce et à leur séparation de corps, à l’application, conformément au considérant 21 et à l’article 8 de ce règlement, de la loi avec laquelle les époux ont des liens étroits.

34      Enfin, une telle interprétation pourrait inciter un époux demandant le divorce à introduire sa demande devant la juridiction d’un État membre, compétente en vertu des dispositions du règlement n° 2201/2003, dont la loi soumet le divorce à des conditions moins restrictives.

35      S’agissant du litige au principal, il ressort de la décision de renvoi que la loi applicable en vertu de l’article 8, sous a), du règlement n° 1259/2010, à savoir la loi italienne, connaît l’institution du divorce.

36      Par conséquent, l’article 10 de ce règlement n’est pas applicable à ce litige et la circonstance que cette loi soumet le divorce au respect de conditions considérées comme étant plus restrictives que celles prévues par la loi du for, telle qu’une séparation de corps préalable, est sans incidence à cet égard.

37      Selon une jurisprudence constante, il appartient à la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération avec les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi (arrêts du 23 mars 2006, FCE Bank, C‑210/04, EU:C:2006:196, point 21 ; du 8 décembre 2011, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑157/10, EU:C:2011:813, point 18, et du 25 juillet 2018, Dyson, C‑632/16, EU:C:2018:599, point 47).

38      En l’occurrence, il y a lieu, ainsi que le gouvernement allemand et la Commission européenne l’ont fait valoir, de fournir à la juridiction de renvoi des indications relatives aux conséquences pratiques de l’interprétation de l’article 10 du règlement n° 1259/2010 donnée aux points 25 et 26 du présent arrêt, dès lors que cette juridiction a relevé que, en l’absence de dispositions prévoyant une procédure de séparation de corps dans le droit roumain, les juridictions roumaines n’examinent pas au fond les demandes de séparation de corps et les demandes de divorce qui n’ont pas été précédées d’une séparation de corps constatée ou décidée conformément à la loi italienne.

39      En effet, la juridiction de renvoi indique que, selon la jurisprudence nationale, dans des circonstances de fait telles que celles en cause au principal, ces demandes sont rejetées comme étant, respectivement, irrecevables, au motif que le droit roumain ne prévoit pas de procédure de séparation de corps, et prématurées, au motif que le divorce est demandé devant les juridictions roumaines sans qu’une séparation de corps ait été préalablement constatée ou décidée par les juridictions italiennes, ou encore infondées, pour ces deux motifs combinés.

40      Dans la mesure où une telle pratique jurisprudentielle a pour effet d’empêcher un examen au fond desdites demandes, elle prive les règles uniformes sur la loi applicable au divorce et à la séparation de corps prévues par le règlement n° 1259/2010 d’une grande partie de leur substance et porte ainsi atteinte à leur effet utile.

41      Or, il convient de rappeler que, en l’occurrence, la compétence générale des juridictions roumaines pour connaître de la demande de divorce de JE a été établie sur le fondement de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2201/2003.

42      Dès lors, même si, contrairement au droit italien, le droit roumain ne comporte pas de dispositions procédurales relatives à la séparation de corps, les juridictions roumaines compétentes sont tenues de se prononcer sur cette demande.

43      Ainsi, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle la juridiction compétente considère que la loi étrangère applicable en vertu des dispositions du règlement n° 1259/2010 ne permet de demander un divorce qu’à la condition qu’il ait été précédé d’une séparation de corps d’une durée de trois années, tandis que la loi du for ne prévoit pas de règles de procédure en matière de séparation de corps, cette juridiction doit toutefois, à défaut de pouvoir prononcer elle-même une telle séparation, vérifier que les conditions de fond prévues par la loi étrangère applicable sont remplies et le constater dans le cadre de la procédure de divorce dont elle est saisie.

44      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 10 du règlement n° 1259/2010 doit être interprété en ce sens que les termes « [l]orsque la loi applicable en vertu des articles 5 ou 8 ne prévoit pas le divorce » visent uniquement les situations dans lesquelles la loi étrangère applicable ne prévoit le divorce sous aucune forme.

 Sur les dépens

45      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 10 du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil, du 20 décembre 2010, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, doit être interprété en ce sens que les termes « [l]orsque la loi applicable en vertu des articles 5 ou 8 ne prévoit pas le divorce » visent uniquement les situations dans lesquelles la loi étrangère applicable ne prévoit le divorce sous aucune forme.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.