Language of document : ECLI:EU:C:2014:1758

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

12 juin 2014 (*)

«Liberté d’établissement – Impôt sur les sociétés – Entité fiscale unique entre les sociétés d’un même groupe – Demande – Motifs de refus – Situation du siège d’une ou de plusieurs sociétés intermédiaires, ou de la société mère dans un autre État membre – Absence d’établissement stable dans l’État d’imposition»

Dans les affaires jointes C‑39/13, C‑40/13 et C‑41/13,

ayant pour objet des demandes de décisions préjudicielles au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Gerechtshof Amsterdam (Pays‑Bas), par décisions du 17 janvier 2013, parvenues à la Cour le 25 janvier 2013, dans les procédures

Inspecteur van de Belastingdienst/Noord/kantoor Groningen

contre

SCA Group Holding BV (C‑39/13),

X AG,

X1 Holding GmbH,

X2 Holding GmbH,

X3 Holding GmbH,

D1 BV,

D2 BV,

D3 BV

contre

Inspecteur van de Belastingdienst Amsterdam (C‑40/13),

et

Inspecteur van de Belastingdienst Holland-Noord/kantoor Zaandam

contre

MSA International Holdings BV,

MSA Nederland BV (C‑41/13),

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis, J.‑C. Bonichot (rapporteur) et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 janvier 2014,

considérant les observations présentées:

–        pour SCA Group Holding BV, par Mme J. T. Schouten, MM. S. C. W. Douma et G. F. Boulogne, en qualité de conseils,

–        pour X AG, par MM. J. M. van der Vegt et P. J. te Boekhorst, en qualité de conseils,

–        pour MSA International Holdings BV, par MM. H. T. P. M. van den Hurk, J. J. van den Broek, J. J. A. M. Korving, D. van Seggelen, J. van der Zande, et T. Arts, en qualité de conseils,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par M. J.‑S. Pilczer, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman, M. Noort et B. Koopman, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. W. Roels, W. Mölls et P. Van Nuffel, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 février 2014,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur les articles 49 TFUE et 54 TFUE.

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de trois litiges opposant, premièrement, l’Inspecteur van de Belastingdienst/Noord/kantoor Groningen à SCA Group Holding BV (ci-après «SCA»), deuxièmement, X AG (ci-après «X»), X1 Holding GmbH, X2 Holding GmbH, X3 Holding GmbH (ci-après «X3»), D1 BV (ci-après «D1»), D2 BV (ci‑après «D2»), D3 BV à l’Inspecteur van de Belastingdienst Amsterdam et, troisièmement, l’Inspecteur van de Belastingdienst Holland-Noord/kantoor Zaandam à MSA International Holdings BV (ci-après «MSA») et à MSA Nederland BV, au sujet de la constitution d’entités fiscales.

 Le cadre juridique néerlandais

3        Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, de la loi de 1969 relative à l’impôt sur les sociétés (Wet op de vennootschapsbelasting 1969):

«Pour la détermination du bénéfice, ne sont pas pris en compte les avantages au titre d’une participation, de même que les frais encourus à l’occasion de l’acquisition ou de la cession de cette participation (exonération de participation).»

4        L’article 15 de cette loi dispose:

«1.       Lorsqu’un assujetti (la société mère) est économiquement et juridiquement propriétaire d’au moins 95 % du capital nominal libéré d’un autre assujetti (la filiale), les deux assujettis sont imposés à leur demande comme s’ils formaient une seule entité, c’est-à-dire comme si les activités et le patrimoine de la filiale faisaient partie intégrante des activités et du patrimoine de la société mère. L’impôt est prélevé dans le chef de la société mère. Les assujettis sont alors considérés ensemble comme une entité fiscale. Plusieurs filiales peuvent faire partie d’une même entité fiscale. [...]

3.       Le paragraphe 1 s’applique uniquement:

[...]

b.       si les mêmes dispositions s’appliquent pour le calcul du bénéfice des deux assujettis;

c.       si les deux assujettis sont établis aux Pays-Bas et, dans le cas où la loi instituant le régime fiscal du Royaume [(Belastingregeling voor het Koninkrijk)] ou une convention préventive de la double imposition est d’application pour un assujetti, si celui-ci est également considéré comme établi aux Pays-Bas en application de cette loi ou de cette convention [...];

[...]

4.      Des règles peuvent être instaurées par mesure générale d’administration permettant aux assujettis à l’égard desquels les mêmes dispositions ne sont pas d’application pour la détermination du bénéfice de former néanmoins une entité fiscale, par dérogation au paragraphe 3, sous b). En outre, par dérogation au paragraphe 3, sous c), un assujetti qui, en vertu de sa législation nationale ou sur la base de la loi instituant le régime fiscal du Royaume, ou encore d’une convention préventive de la double imposition, n’est pas établi aux Pays-Bas, mais exploite une entreprise au travers d’un établissement stable aux Pays-Bas peut, aux conditions qui sont définies par mesure générale d’administration, faire partie d’une entité fiscale pour autant que le pouvoir d’imposer le bénéfice provenant de cette entreprise ait été attribué aux Pays-Bas en vertu de la loi instituant le régime fiscal du Royaume ou d’une convention préventive de la double imposition, et:

a.      si le lieu de la direction effective de cet assujetti est situé aux Antilles néerlandaises, à Aruba, dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État avec lequel une convention préventive de la double imposition conclue avec les Pays-Bas est applicable, qui prévoit l’interdiction de discrimination des établissements stables;

b.      si l’assujetti visé sous a) est une société anonyme ou une société à responsabilité limitée, ou un organisme comparable par sa nature et son mode de constitution, et

c.      lorsque l’assujetti visé sous a) fait partie de l’entité fiscale en tant que société mère, la participation dans la filiale visée au paragraphe 1 relève du patrimoine de l’établissement stable aux Pays-Bas de cette société mère.

[...]»

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 Les affaires C‑39/13 et C‑41/13

5        SCA et MSA sont des sociétés ayant leur siège aux Pays-Bas.

6        Elles détiennent des sociétés ayant leur siège en Allemagne soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire d’autres sociétés également établies en Allemagne.

7        Ces dernières sociétés détiennent elles-mêmes des sociétés ayant leur siège aux Pays-Bas.

8        SCA et MSA ainsi que leurs filiales respectives établies aux Pays-Bas ont demandé à être considérées comme deux entités fiscales uniques au sens de l’article 15 de la loi de 1969 relative à l’impôt sur les sociétés.

9        L’Inspecteur van de Belastingdienst/Noord/kantoor Groningen et l’Inspecteur van de Belastingdienst Holland-Noord/kantoor Zaandam ont rejeté ces demandes au motif que les sociétés intermédiaires n’étaient pas établies aux Pays-Bas ou n’y disposaient pas d’un établissement stable.

10      Saisi par SCA et MSA, le Rechtbank Haarlem a jugé que ce refus était contraire à la liberté d’établissement.

11      L’Inspecteur van de Belastingdienst/Noord/kantoor Groningen et l’Inspecteur van de Belastingdienst Holland-Noord/kantoor Zaandam ont interjeté appel de ce jugement devant le Gerechtshof Amsterdam.

12      Dans ces conditions, le Gerechtshof Amsterdam a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

Dans l’affaire C‑39/13

«1)       Le fait de refuser à l’intéressée le bénéfice du régime néerlandais de l’entité fiscale pour les activités et le patrimoine des sociétés Alphabet Holding, HP Holding et Alpha Holding, qui sont ses (sous-)sous‑filiales établies aux Pays-Bas, comporte-t-il une entrave à la liberté d’établissement au sens de l’article 43 CE lu en combinaison avec l’article 48 CE?

Eu égard aux objectifs que poursuit le régime néerlandais de l’entité fiscale [...], la situation des (sous-)sous-filiales Alphabet Holding, HP Holding et Alpha Holding est-elle objectivement comparable [...] a) à la situation de sociétés établies aux Pays-Bas qui sont les (sous-)filiales d’une société intermédiaire établie aux Pays-Bas qui n’a pas choisi d’être intégrée dans une entité fiscale avec sa société mère établie aux Pays-Bas et qui, en tant que sociétés sous-filiales, n’ont donc pas davantage qu’Alphabet Holding, HP Holding et Alpha Holding accès au régime d’une entité fiscale où elles seraient intégrées avec leur société (grand-)mère (uniquement), ou bien [...] b) à la situation de sous-filiales établies aux Pays-Bas qui ont choisi avec leur société mère établie aux Pays-Bas et leur société intermédiaire de constituer une entité fiscale avec leur société (grand-)mère et dont les activités et le patrimoine sont dès lors consolidés alors que ceux d’Alphabet Holding, d’HP Holding et d’Alpha Holding ne le sont pas?

2)       Le fait que les sociétés néerlandaises concernées soient détenues par une seule société intermédiaire (située à un niveau plus élevé de la structure du groupe et) établie dans l’autre État membre ou qu’elles le soient, comme Alphabet Holding, HP Holding et Alpha Holding en l’espèce, par deux (ou plusieurs) sociétés intermédiaires, certes établies dans l’autre État membre, (qui se situent à un ou plusieurs niveaux plus élevés de la structure du groupe) a-t-il une incidence sur la réponse à donner à la première question?

3)       En cas de réponse affirmative à la première question, première phrase, l’entrave à la liberté d’établissement peut-elle être justifiée par des motifs impérieux d’intérêt général, et plus particulièrement par la nécessité de maintenir la cohérence fiscale, y compris la nécessité de prévenir les doubles prises en considération, unilatérales et bilatérales, des pertes [...]? Le fait que le risque d’une double prise en considération des pertes ne se présente pas en l’espèce [...] a-t-il une incidence à cet égard?

4)      En cas de réponse affirmative à la troisième question, la restriction à la liberté d’établissement doit-elle être considérée comme proportionnée [...]?»

Dans l’affaire C‑41/13

«1)       Le fait de refuser aux intéressées le bénéfice du régime néerlandais de l’entité fiscale pour les activités et le patrimoine de la sous‑filiale (la seconde intéressée) établie aux Pays-Bas comporte-t-il une entrave à la liberté d’établissement au sens de l’article 43 CE lu en combinaison avec l’article 48 CE?

Eu égard aux objectifs que poursuit le régime néerlandais de l’entité fiscale [...], la situation de la sous-filiale (la seconde intéressée) est-elle objectivement comparable [...] a) à la situation d’une société établie aux Pays-Bas qui est la filiale d’une société intermédiaire établie aux Pays-Bas qui n’a pas choisi d’être intégrée dans une entité fiscale avec sa société mère établie aux Pays-Bas et qui, en tant que sous-filiale, n’a donc pas davantage que la seconde intéressée accès au régime d’une entité fiscale où elle serait intégrée avec sa société grand-mère (uniquement) ou bien [...] b) à la situation d’une sous-filiale établie aux Pays-Bas qui a choisi avec sa société mère établie aux Pays‑Bas et sa société intermédiaire de constituer une entité fiscale avec sa société grand-mère et dont les activités et le patrimoine sont dès lors consolidés alors que ceux de la seconde intéressée ne le sont pas?

2)       Le point de savoir si, dans l’hypothèse où elle n’opérerait pas aux Pays‑Bas par le truchement d’une filiale, mais par le truchement d’un établissement stable, la société intermédiaire étrangère aurait pu, en ce qui concerne le patrimoine et les activités de l’établissement stable néerlandais, choisir de constituer une entité fiscale avec sa société mère établie aux Pays-Bas est-il susceptible d’avoir une incidence sur la réponse à apporter à la première question, première phrase [...]?

3)       En cas de réponse affirmative à la première question, première phrase, l’entrave à la liberté d’établissement peut-elle être justifiée par des motifs impérieux d’intérêt général, et plus particulièrement par la nécessité de maintenir la cohérence fiscale, y compris la nécessité de prévenir les doubles prises en considération, unilatérales et bilatérales, des pertes [...]?

4)       En cas de réponse affirmative à la troisième question, la restriction à la liberté d’établissement doit-elle être considérée comme proportionnée [...]?»

 L’affaire C‑40/13

13      X est une société ayant son siège en Allemagne. Elle détient directement ou indirectement les sociétés X3, D1 et D2, qui ont leur siège aux Pays-Bas.

14      Par une demande conjointe, X3, D1 et D2 ont demandé à être réunies en une entité fiscale unique.

15      L’Inspecteur van de Belastingdienst Amsterdam a rejeté leur demande au motif que leur société mère commune, X, n’était pas établie aux Pays-Bas ou n’y disposait pas d’un établissement stable.

16      Le Rechtbank Haarlem a rejeté leur recours contre cette décision.

17      Lesdites sociétés ont interjeté appel de ce jugement devant le Gerechtshof Amsterdam.

18      Dans ces conditions, le Gerechtshof Amsterdam a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)       Le fait de refuser aux intéressées le bénéfice du régime néerlandais de l’entité fiscale pour les activités et le patrimoine des sociétés sœurs [X3], [D1] et [D2] établies aux Pays‑Bas comporte-t-il une entrave à la liberté d’établissement au sens de l’article 43 CE lu en combinaison avec l’article 48 CE?

Eu égard aux objectifs que poursuit le régime néerlandais de l’entité fiscale [...], la situation des sociétés [X3], [D1] et [D2] est‑elle objectivement comparable [...] a) à la situation de sociétés sœurs établies aux Pays-Bas qui n’ont pas choisi d’être intégrées dans une entité fiscale avec leur(s) société(s) mère(s) commune(s) établie(s) aux Pays-Bas et qui, en tant que sociétés sœurs communes, n’ont donc pas davantage que les intéressées accès au régime d’une entité fiscale ou bien [...] b) à la situation de sociétés sœurs établies aux Pays‑Bas qui ont choisi avec leur(s) société(s) mère(s) commune(s) établie(s) aux Pays-Bas de constituer une entité fiscale avec leur(s) société(s) mère(s) et dont les activités et le patrimoine sont dès lors consolidés alors que ceux des intéressées ne le sont pas?

2)       Le fait a) que, à l’instar de [D1] et de [D2] en l’espèce, les sociétés concernées aient une société mère (directe) commune dans l’autre État membre ou b) que, à l’instar d’[X3], d’une part, et de [D1] et de [D2], d’autre part, en l’espèce, les sociétés concernées aient des sociétés mères (directes) différentes dans l’autre État membre, de sorte qu’il n’existe une société mère (indirecte) commune de ces différentes sociétés qu’à un niveau supérieur de la structure du groupe, niveau certes situé à l’intérieur de l’autre État membre, a-t-il une incidence sur la réponse à donner à la première question, première phrase [...]?

3)       En cas de réponse affirmative à la première question, première phrase, l’entrave à la liberté d’établissement peut-elle être justifiée par des motifs impérieux d’intérêt général, et plus particulièrement par la nécessité de maintenir la cohérence fiscale, y compris la nécessité de prévenir les doubles prises en considération, unilatérales et bilatérales, des pertes [...]?

4)       En cas de réponse affirmative à la troisième question, la restriction à la liberté d’établissement doit-elle être considérée comme proportionnée [...]?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les questions dans les affaires C‑39/13 et C‑41/13

19      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 TFUE et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre en vertu de laquelle une société mère résidente peut former une entité fiscale unique avec une sous-filiale résidente lorsqu’elle la détient par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs sociétés résidentes, mais ne le peut pas lorsqu’elle la détient par l’intermédiaire de sociétés non-résidentes ne disposant pas d’un établissement stable dans cet État membre.

 Sur l’existence d’une restriction

20      La liberté d’établissement, que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants de l’Union, comporte pour ces derniers l’accès aux activités non salariées et l’exercice de celles-ci ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres ressortissants. Elle comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans l’État membre concerné par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (arrêt Felixstowe Dock and Railway Company e.a., C‑80/12, EU:C:2014:200, point 17 ainsi que jurisprudence citée).

21      À cet égard, la possibilité ouverte par le droit néerlandais aux sociétés mères résidentes et à leurs filiales résidentes d’être imposées comme si elles formaient une seule et même entité fiscale, c’est-à-dire d’être soumises à un régime d’intégration fiscale, est constitutive d’un avantage de trésorerie pour les sociétés concernées. Ce régime permet, notamment, de consolider au niveau de la société mère les bénéfices et les pertes des sociétés intégrées dans l’entité fiscale et de conserver aux transactions effectuées au sein du groupe un caractère fiscalement neutre (voir arrêt X Holding, C‑337/08, EU:C:2010:89, point 18).

22      Le droit néerlandais étend le bénéfice du régime de l’entité fiscale et des avantages qui en découlent aux sociétés mères résidentes souhaitant être imposées conjointement avec leurs sous-filiales, à la condition toutefois que les filiales intermédiaires soient elles-mêmes résidentes ou disposent d’un établissement stable aux Pays-Bas.

23      Une telle condition revient à traiter différemment, d’une part, les sociétés mères résidentes détenant des sous-filiales résidentes par l’intermédiaire de filiales intermédiaires résidentes et, d’autre part, les sociétés mères résidentes détenant des sous-filiales résidentes par l’intermédiaire de filiales non-résidentes.

24      La législation en cause au principal crée ainsi une différence de traitement au regard de la faculté d’opter pour le régime de l’entité fiscale, selon que la société mère détient ses participations indirectes par l’intermédiaire d’une filiale établie aux Pays-Bas ou dans un autre État membre (voir, par analogie, arrêt Papillon, C‑418/07, EU:C:2008:659, point 22).

25      Contrairement à ce que soutiennent certaines parties, est, à cet égard, sans incidence le fait que, même dans une situation purement interne, aucune société mère ne peut constituer une entité fiscale avec des sous‑filiales sans y intégrer également la filiale intermédiaire. En effet, si une société mère néerlandaise détenant des sous-filiales néerlandaises au moyen d’une filiale non-résidente ne peut, en aucun cas, former une entité fiscale avec ces sous-filiales, en revanche, une société mère néerlandaise détenant des sous-filiales néerlandaises par l’intermédiaire d’une filiale résidente en a toujours la faculté.

26      Une différence de traitement analogue existe dans la situation où, comme c’est le cas dans l’affaire C‑39/13, sont en cause non pas des sous-filiales résidentes, mais des sous-sous-filiales résidentes dont l’intégration dans l’entité fiscale avec une société mère résidente n’est pas possible en raison du fait que tant la filiale intermédiaire que la sous-filiale intermédiaire sont établies dans un autre État membre.

27      En tant qu’elles défavorisent, sur le plan fiscal, les situations transfrontalières par rapport aux situations internes, les dispositions de la loi de 1969 relative à l’impôt sur les sociétés en cause au principal constituent donc une restriction en principe interdite par les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement (arrêt Papillon, EU:C:2008:659, point 32).

 Sur la justification de la restriction

28      Pour qu’une telle différence de traitement soit compatible avec les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement, il faut soit qu’elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables, la comparabilité d’une situation transfrontalière avec une situation interne devant alors être examinée en tenant compte de l’objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause, soit qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt Felixstowe Dock and Railway Company e.a., EU:C:2014:200, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

29      S’agissant de la comparabilité, il convient de relever que les dispositions de la loi de 1969 relative à l’impôt sur les sociétés en cause au principal visent à assimiler le plus possible à une entreprise ayant plusieurs établissements le groupe constitué par une société mère avec ses filiales et ses sous-filiales, en permettant de consolider fiscalement les résultats de toutes ces sociétés.

30      Or, cet objectif peut être atteint tant dans la situation d’une société mère résidente dans un État membre qui détient des sous-filiales également résidentes de celui-ci par l’intermédiaire d’une filiale elle-même résidente que dans la situation d’une société mère résidente dans le même État membre qui détient des sous-filiales également résidentes de ce dernier, mais par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs filiales établies dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt Papillon, EU:C:2008:659, point 29).

31      Aussi ces deux situations sont-elles objectivement comparables pour autant que le bénéfice des avantages du régime de l’entité fiscale soit recherché dans les deux cas de figure pour l’ensemble formé par la société mère et les sous-filiales.

32      La juridiction de renvoi demande si la restriction pourrait être justifiée par la raison impérieuse d’intérêt général tirée de la cohérence du système fiscal néerlandais, en lien avec la prévention du double emploi des pertes.

33      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, s’il résulte de la jurisprudence de la Cour que la nécessité de sauvegarder la cohérence d’un système fiscal peut justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité, il est toutefois nécessaire, pour qu’une telle justification puisse être admise, que soit établie l’existence d’un lien direct entre, d’une part, l’octroi de l’avantage fiscal concerné et, d’autre part, la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé (voir, notamment, arrêt Welte, C‑181/12, EU:C:2013:662, point 59 et jurisprudence citée).

34      La Cour a, certes, admis, dans l’arrêt Papillon (EU:C:2008:659), que, en principe, un tel lien direct existe entre, d’une part, la possibilité de transférer les pertes entre les sociétés d’un groupe et, d’autre part, la neutralisation de certaines opérations entre ces sociétés, telles que les provisions pour créances douteuses ou pour risques, les abandons de créances, les subventions, les provisions pour dépréciation de participations et les cessions d’immobilisations. Dans cet arrêt, la Cour s’est fondée sur le fait que la neutralisation de ces opérations intragroupe avait pour objet, dans le système fiscal de l’État membre alors en cause, d’éviter un double emploi des pertes au niveau des sociétés résidentes relevant du régime de l’intégration fiscale, et ainsi préserver la cohérence de ce système fiscal (arrêt Papillon, EU:C:2008:659, points 6 et 43 à 50).

35      En effet, si la législation de l’État membre en cause dans l’arrêt Papillon (EU:C:2008:659) avait accordé le bénéfice de l’intégration fiscale dans une configuration où la société intermédiaire n’était pas résidente, il aurait été possible qu’une perte subie par une sous-filiale résidente fût prise en compte, une première fois dans le chef de la société mère résidente, du fait de l’intégration fiscale, et une seconde fois dans celui de la filiale intermédiaire non-résidente, du fait de la réduction de valeur découlant des mêmes pertes sur ses participations dans la sous-filiale ou ses créances sur elle. Cette réduction de valeur n’aurait pas été neutralisée dès lors que les opérations de neutralisation ne pouvaient pas s’appliquer à la société intermédiaire non-résidente.

36      Toutefois, un élément distingue nettement le cadre juridique de ce précédent de celui de la présente affaire au principal.

37      En effet, l’article 13 de la loi de 1969 relative à l’impôt sur les sociétés établit une règle générale dite de l’«exonération de participation», qui s’applique aux participations supérieures à 5 % du capital. Cette règle s’étend à toutes les entités fiscales, dès lors qu’une détention d’au moins 95 % du capital y est requise.

38      En raison de l’exonération de participation, ne sont pas pris en compte, lors de la détermination du bénéfice imposable d’une entité fiscale, les gains ou les pertes résultant de la détention, de l’acquisition ou de la cession d’une participation. C’est donc au moyen de cette règle générale d’exonération – et non de dispositions particulières de neutralisation de certaines opérations, comme dans le système en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Papillon que le système fiscal néerlandais cherche à prévenir les doubles prises en compte de pertes au sein d’une entité fiscale.

39      Ainsi, et comme en a convenu le gouvernement néerlandais lors de l’audience, le mécanisme d’exonération des participations est conçu de telle manière qu’une société mère résidente ne peut jamais prendre en compte une perte liée à une participation dans une de ses filiales, et ce même si cette filiale a son siège dans un autre État membre.

40      Aucun lien direct ne peut donc être établi entre l’octroi de l’avantage fiscal lié à la constitution d’une entité fiscale et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé.

41      Par suite, la restriction à la liberté d’établissement résultant de la législation nationale ne peut être regardée comme étant justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tirée de la préservation de la cohérence du système fiscal.

42      Par ailleurs, si le gouvernement néerlandais a cherché à justifier la restriction en cause au principal par un risque d’évasion fiscale, il est de jurisprudence constante que ce motif ne constitue pas, à lui seul, une justification autonome à une restriction fiscale à la liberté d’établissement s’il n’est pas invoqué en lien avec un objectif spécifique de lutte contre des montages purement artificiels dépourvus de réalité économique dont le but est d’éluder l’impôt normalement dû (voir, en ce sens, notamment arrêts ICI, C‑264/96, EU:C:1998:370, point 26, ainsi que Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C‑196/04, EU:C:2006:544, point 55). Or, tel n’est, à l’évidence, pas l’objectif de cette restriction prévue par le régime de l’entité fiscale.

43      Il résulte de ce qui précède que les articles 49 TFUE et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre en vertu de laquelle une société mère résidente peut former une entité fiscale unique avec une sous-filiale résidente lorsqu’elle la détient par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs sociétés résidentes, mais ne le peut pas lorsque qu’elle la détient par l’intermédiaire de sociétés non-résidentes ne disposant pas d’un établissement stable dans cet État membre.

 Sur les questions dans l’affaire C‑40/13

44      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 49 TFUE et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre en vertu de laquelle un régime d’entité fiscale unique est accordé à une société mère résidente qui détient des filiales résidentes, mais est exclu pour des sociétés sœurs résidentes dont la société mère commune n’a pas son siège dans cet État membre et n’y dispose pas d’un établissement stable.

 Sur l’existence d’une restriction

45      Il convient de rappeler que, s’agissant de sociétés, leur siège au sens de l’article 54 TFUE sert à déterminer, à l’instar de la nationalité des personnes physiques, leur rattachement à l’ordre juridique d’un État membre. Toutefois, admettre que l’État membre de résidence puisse librement appliquer un traitement différent en raison du seul fait que le siège d’une société est situé dans un autre État membre viderait l’article 49 TFUE de son contenu. La liberté d’établissement vise en effet à garantir le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, en interdisant toute discrimination fondée sur le siège des sociétés (voir arrêts Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, C‑374/04, EU:C:2006:773, point 43; Denkavit Internationaal et Denkavit France, C‑170/05, EU:C:2006:783, point 22, ainsi que Burda, C‑284/06, EU:C:2008:365, point 77).

46      Un régime d’entité fiscale tel que celui en cause au principal constitue un avantage fiscal pour les sociétés concernées. En accélérant l’apurement des pertes de sociétés déficitaires au moyen de leur imputation immédiate sur des bénéfices d’autres sociétés du groupe, ledit régime confère à ce groupe un avantage de trésorerie (arrêt Marks & Spencer, EU:C:2005:763, point 32).

47      La législation en cause au principal crée donc une différence de traitement entre, d’une part, les sociétés mères ayant leur siège aux Pays-Bas, qui, grâce au régime de l’entité fiscale unique, peuvent notamment, aux fins de l’établissement de leur bénéfice imposable, imputer immédiatement les pertes de leurs filiales déficitaires sur les bénéfices de leurs filiales bénéficiaires et, d’autre part, les sociétés mères détenant également des filiales aux Pays-Bas mais ayant leur siège dans un autre État membre et ne disposant pas d’établissement stable aux Pays-Bas, qui sont exclues du bénéfice de l’entité fiscale et, partant, de l’avantage de trésorerie auquel elle ouvre droit.

48      En tant qu’elles défavorisent, sur le plan fiscal, les situations communautaires par rapport aux situations purement internes, les dispositions de la loi de 1969 relative à l’impôt sur les sociétés en cause au principal constituent donc une restriction en principe interdite par les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement (arrêt Papillon, EU:C:2008:659, point 32).

49      L’existence de cette restriction n’est pas remise en cause par la circonstance que la société mère commune des filiales à consolider se trouve à un niveau plus élevé de la chaîne de participations du groupe, dès lors que les sociétés intermédiaires, dont le siège n’est pas aux Pays‑Bas et qui n’y disposent pas d’un établissement stable, ne peuvent pas elles-mêmes faire partie d’une entité fiscale comme cela ressort du point 4 du présent arrêt.

 Sur la justification de la restriction

50      S’agissant de la comparabilité, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 28 du présent arrêt, le gouvernement allemand fait valoir que c’est dans le chef de la société mère faîtière que le régime néerlandais de l’entité fiscale vise à consolider l’ensemble des résultats d’un groupe, si bien que la situation d’un groupe dont la société mère a son siège aux Pays-Bas ne serait pas comparable à celle d’un groupe dont la société mère a son siège dans un autre État membre.

51      Toutefois, l’objectif du régime de l’entité fiscale en cause au principal, qui est de permettre aux sociétés d’un même groupe d’être considérées fiscalement comme si elles ne formaient qu’un seul et même contribuable, peut être atteint aussi bien par des groupes dont la société mère est résidente que par ceux dont la société mère ne l’est pas, à tout le moins pour ce qui concerne l’imposition des seules sociétés sœurs assujetties aux Pays-Bas. Or, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 86 de ses conclusions, la loi de 1969 relative à l’impôt sur les sociétés permet, dans le cas d’un groupe dont la société mère est résidente, la consolidation des filiales.

52      La différence de traitement, s’agissant de la possibilité d’intégrer fiscalement des sociétés sœurs, n’est donc pas justifiée par une différence de situation objective.

53      Elle ne l’est pas davantage par la raison impérieuse d’intérêt général tirée de la cohérence du système fiscal en lien avec la prévention du double emploi des pertes, évoquée par la juridiction de renvoi.

54      En effet, il ne ressort ni de la décision de renvoi, ni des observations présentées devant la Cour, ni de l’audience que l’octroi du bénéfice de l’entité fiscale à des sociétés sœurs romprait un quelconque lien direct entre cet avantage fiscal et un prélèvement fiscal déterminé au sens de la jurisprudence mentionnée aux points 34 et 35 du présent arrêt.

55      Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a rappelé au point 42 du présent arrêt, la raison impérieuse d’intérêt général tirée de la prévention du risque d’évasion fiscale ne saurait être invoquée de façon autonome.

56      Il résulte de ce qui précède que les articles 49 TFUE et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre en vertu de laquelle un régime d’entité fiscale unique est accordé à une société mère résidente qui détient des filiales résidentes, mais est exclu pour des sociétés sœurs résidentes dont la société mère commune n’a pas son siège dans cet État membre et n’y dispose pas d’un établissement stable.

 Sur les dépens

57      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      Dans les affaires C‑39/13 et C‑41/13, les articles 49 TFUE et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre en vertu de laquelle une société mère résidente peut former une entité fiscale unique avec une sous-filiale résidente lorsqu’elle la détient par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs sociétés résidentes, mais ne le peut pas lorsque qu’elle la détient par l’intermédiaire de sociétés non-résidentes ne disposant pas d’un établissement stable dans cet État membre.

2)      Dans l’affaire C‑40/13, les articles 49 TFUE et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre en vertu de laquelle un régime d’entité fiscale unique est accordé à une société mère résidente qui détient des filiales résidentes, mais est exclu pour des sociétés sœurs résidentes dont la société mère commune n’a pas son siège dans cet État membre et n’y dispose pas d’un établissement stable.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.