Language of document : ECLI:EU:T:2016:497

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

15 septembre 2016 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inclusion du nom du requérant – Droits de la défense – Obligation de motivation – Base légale – Droit à une protection juridictionnelle effective – Détournement de pouvoir – Non‑respect des critères d’inscription sur la liste – Erreur manifeste d’appréciation – Droit de propriété »

Dans l’affaire T‑346/14,

Viktor Fedorovych Yanukovych, demeurant à Kiev (Ukraine), représenté par MM. T. Beazley, P. Saini, Mme S. Fatima, QC, MM. H. Mussa, J. Hage, Mme K. Howard, barristers, et Mme C. Kennedy, solicitor,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par Mme E. Finnegan et M. J.-P. Hix, puis par M. Hix et Mme P. Mahnič Bruni, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

et par

Commission européenne, représentée par Mmes S. Bartelt et D. Gauci, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, premièrement, de la décision 2014/119/PESC du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26), et du règlement (UE) no 208/2014 du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1), deuxièmement, de la décision (PESC) 2015/143 du Conseil, du 29 janvier 2015, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et du règlement (UE) 2015/138 du Conseil, du 29 janvier 2015, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1), et, troisièmement, de la décision (PESC) 2015/364 du Conseil, du 5 mars 2015, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et du règlement d’exécution (UE) 2015/357 du Conseil, du 5 mars 2015, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1), dans la mesure où le nom du requérant a été inscrit ou maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz, Mme I. Pelikánová, MM. A. Popescu et E. Buttigieg, juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 29 avril 2016,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Viktor Fedorovych Yanukovych, est l’ancien président de l’Ukraine.

2        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées au regard de la situation en Ukraine à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

4        Le considérant 2 de la décision 2014/119 précise :

« Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel de fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2014 ») apparaissent sur la liste, identique, figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant a été inscrit sur la liste avec les informations d’identification « ancien président de l’Ukraine » et la motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Le 6 mars 2014, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne l’avis à l’attention des personnes auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues par les actes de mars 2014 (JO 2014, C 66, p. 1). Selon cet avis, « [l]es personnes concernées peuvent adresser au Conseil […] une demande de réexamen de la décision par laquelle elles ont été inscrites sur la liste […], en y joignant des pièces justificatives ».

11      Par des échanges de lettres au cours de l’année 2014, le requérant a contesté le bien-fondé de l’inscription de son nom sur la liste et a demandé au Conseil de procéder à un réexamen. Il a également demandé à avoir accès aux informations et aux preuves étayant ladite inscription.

12      Le Conseil a répondu à la demande de réexamen du requérant. Il a maintenu que, selon lui, les mesures restrictives visant le requérant étaient toujours justifiées pour les raisons exposées dans la motivation des actes de mars 2014. S’agissant de la demande d’accès au dossier du requérant, le Conseil lui a communiqué plusieurs documents relevant de son dossier, dont des documents des autorités ukrainiennes du 3 mars 2014 (ci-après la « lettre du 3 mars 2014 »), du 8 juillet 2014 (ci-après la « lettre du 8 juillet 2014 ») et du 10 octobre 2014 (ci-après la « lettre du 10 octobre 2014 »).

13      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de janvier 2015 »).

14      La décision 2015/143 a précisé, à partir du 31 janvier 2015, les critères de désignation des personnes visées par le gel de fonds. En particulier, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 a été remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)       pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)       pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

15      Le règlement 2015/138 a modifié le règlement no 208/2014 conformément à la décision 2015/143.

16      Par lettre du 2 février 2015, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard, l’informant de la possibilité de présenter des observations. Par lettre du 17 février 2015, le requérant a invité le Conseil à revoir sa position et à lui fournir les autres éléments éventuels qui justifieraient la position du Conseil.

17      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »).

18      La décision 2015/364 a modifié l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant les mesures restrictives, en ce qui concerne le requérant, au 6 mars 2016. En conséquence, la décision 2015/364 et le règlement d’exécution 2015/357 ont remplacé la liste.

19      À la suite de ces modifications, le nom du requérant a été maintenu sur la liste avec les informations d’identification « ancien président de l’Ukraine » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

20      Par lettre du 6 mars 2015, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives à son égard.

21      La décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 ont été modifiés, en dernier lieu, respectivement, par la décision (PESC) 2016/318 du Conseil, du 4 mars 2016 (JO 2016, L 60, p. 76), et par le règlement d’exécution (UE) 2016/311 du Conseil, du 4 mars 2016, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1).

22      La décision 2016/318 a modifié l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant les mesures restrictives, en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 mars 2017.

 Procédure et conclusions des parties

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2014, le requérant a introduit le présent recours.

24      Le 22 septembre 2014, le Conseil a déposé le mémoire en défense. Il a ensuite déposé, le 26 septembre 2014, un addendum aux annexes au mémoire en défense et, le 3 octobre 2014, un document additionnel. Il a également présenté une demande motivée conformément à l’article 18, paragraphe 4, deuxième alinéa, des instructions au greffier du Tribunal, visant à obtenir que le contenu de ce document ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès. Le requérant a communiqué ses objections à la demande de traitement confidentiel.

25      Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement le 2 septembre 2014 et le 16 septembre 2014, la République de Pologne et la Commission européenne ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Conseil. Par ordonnances du 12 novembre 2014, le président de la neuvième chambre du Tribunal a admis ces interventions. Par actes déposés, respectivement, le 22 décembre 2014 et le 7 janvier 2015, la Commission et la République de Pologne ont déposé leurs mémoires en intervention. Le requérant et le Conseil ont déposé leurs observations sur ceux-ci dans les délais impartis.

26      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 septembre 2014, l’Ukraine a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Conseil. Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 24 décembre 2014, l’Ukraine a informé le Tribunal qu’elle se désistait de son intervention. Par ordonnance du 11 mars 2015, le président de la neuvième chambre du Tribunal a prononcé la radiation de l’Ukraine en tant que partie intervenante.

27      La réplique et la duplique ont été déposées, respectivement, par le requérant, le 21 novembre 2014 et, par le Conseil, le 15 janvier 2015.

28      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 avril 2015, le requérant a adapté ses conclusions, de sorte que celles-ci visent également l’annulation de la décision 2015/143, du règlement 2015/138, de la décision 2015/364 et du règlement d’exécution 2015/357, en tant que ces actes le concernent. Les autres parties ont présenté leurs observations dans les délais impartis. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 novembre 2015, le requérant a produit de nouveaux éléments de preuve.

29      Sur proposition de la neuvième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure du Tribunal, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

30      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

31      Par décision du président de la neuvième chambre élargie du Tribunal du 5 avril 2016, les parties entendues, la présente affaire et l’affaire T‑348/14, Yanukovych/Conseil, ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 68 du règlement de procédure.

32      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 29 avril 2016. À cette occasion, le requérant a précisé que ses conclusions ne visaient pas l’annulation de la décision d’exécution 2014/216/PESC du Conseil, du 14 avril 2014, mettant en œuvre la décision 2014/119 (JO 2014, L 111, p. 91), et du règlement d’exécution (UE) no 381/2014 du Conseil, du 14 avril 2014, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2014, L 111, p. 33), car ces actes ne le concernaient pas dans la présente affaire, ce dont il a été pris acte au procès-verbal de l’audience.

33      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler, premièrement, la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, deuxièmement, la décision 2015/143 et le règlement 2015/138 et, troisièmement, la décision 2015/364 et le règlement d’exécution 2015/357, en tant qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

34      Le Conseil, soutenu par la République de Pologne et la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, en cas d’annulation partielle des actes de mars 2014, ordonner le maintien des effets à l’égard du requérant de la décision 2014/119 jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement no 208/2014 et, en cas d’annulation partielle des actes de mars 2015, ordonner le maintien des effets à l’égard du requérant de la décision 2014/119, telle que modifiée, jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement d’exécution 2015/357 ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

1.     Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2014, dans leur formulation initiale, en ce qu’ils visent le requérant

35      À l’appui de son recours visant l’annulation des actes de mars 2014 dans leur formulation initiale, le requérant invoque sept moyens. Le premier est tiré d’une absence de base légale. Le deuxième est tiré d’un détournement de pouvoir. Le troisième est tiré d’un défaut de motivation. Le quatrième est tiré du non-respect des critères d’inscription sur la liste. Le cinquième est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation. Le sixième est tiré de la violation des droits de la défense et du droit à un recours effectif et le septième est tiré de la violation du droit de propriété.

36      Par son quatrième moyen, qu’il convient d’examiner en premier lieu, le requérant fait valoir, notamment, que l’inscription de son nom sur la liste du seul fait qu’il fait l’objet d’une enquête ne satisfait pas, à la lumière de la jurisprudence pertinente, aux critères prévus par les actes de mars 2014, qui mentionnent des « personnes identifiées comme étant responsables » du détournement de fonds publics, et que, en tout état de cause, le Conseil ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve.

37      En outre, dans son mémoire en adaptation, le requérant fait valoir que, pour la période allant du 31 janvier au 6 mars 2015, c’est-à-dire à partir de l’entrée en vigueur des actes de janvier 2015 et jusqu’à l’entrée en vigueur de ceux de mars 2015, les motifs initiaux de l’inscription de son nom sur la liste ne satisfont pas davantage aux critères d’inscription, tels que modifiés par la décision 2015/143.

38      Le Conseil, soutenu par la République de Pologne et la Commission, souligne, tout d’abord, que, conformément à la jurisprudence pertinente, il lui incombe de procéder lui-même à l’identification des personnes susceptibles d’être qualifiées de responsables de faits de détournement de fonds publics sur la base d’informations concordantes et qu’il convenait de conférer à l’expression « identifiées » une interprétation large pour viser notamment les personnes poursuivies pénalement pour de tels faits.

39      Il fait valoir, ensuite, que les éléments de preuve dont il disposait confirment qu’une procédure pénale avait été engagée contre le requérant et que des faits de détournement de fonds publics pour des montants importants et le transfert illégal de ces fonds hors du territoire de l’Ukraine avaient été établis. Il s’oppose, en outre, à une application généralisée de la prétendue obligation de vérifier que la réglementation de l’État concerné assure une protection des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective.

40      À cet égard, il convient de rappeler que, si le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux critères généraux à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures restrictives, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union européenne s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou à tout le moins l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour étayer cette même décision, sont étayés de façon suffisamment précise et concrète (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, points 41 et 45 et jurisprudence citée).

41      En l’espèce, le critère prévu à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 dispose que des mesures restrictives sont adoptées à l’égard des personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics. Par ailleurs, il ressort du considérant 2 de ladite décision que le Conseil a adopté ces mesures « en vue de renforcer et de soutenir l’État de droit […] en Ukraine ».

42      Le nom du requérant a été inscrit sur la liste au motif qu’il était une « [p]ersonne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine ».

43      À l’appui du motif de l’inscription du requérant sur la liste, le Conseil invoque la lettre du 3 mars 2014, qui indique que « [l]es services répressifs ukrainiens ont engagé un certain nombre de procédures pénales pour enquêter sur des actes criminels commis par d’anciens hauts fonctionnaires », parmi lesquels figure le requérant. La lettre précise ultérieurement, de manière générique, que l’enquête en question « a permis d’établir le détournement de fonds publics pour des montants importants et le transfert ultérieur illégal hors d’Ukraine ».

44      Il n’est pas contesté que c’est sur cette seule base que le requérant a été identifié « comme étant responsable de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119. En effet, la lettre du 3 mars 2014 est, parmi les éléments de preuve déposés par le Conseil au cours de la présente instance, le seul qui est antérieur aux actes de mars 2014 et, partant, la légalité desdits actes doit être appréciée au regard de ce seul élément de preuve.

45      Il y a lieu de considérer que, tout en provenant d’une haute autorité judiciaire d’un pays tiers, ladite lettre ne contient qu’une affirmation générale et vague liant le nom du requérant, parmi ceux d’autres anciens hauts fonctionnaires, à une enquête qui, en substance, aurait établi des faits de détournement de fonds publics. La lettre ne fournit aucune précision sur l’établissement des faits que l’enquête conduite par les autorités ukrainiennes était en train de vérifier et, d’autant moins, sur la responsabilité individuelle, ne fût-ce que présumée, du requérant à leur égard (voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2016, Azarov/Conseil, T‑332/14, non publié, EU:T:2016:48, point 46 ; voir également, par analogie, arrêt du 26 octobre 2015, Portnov/Conseil, T‑290/14, EU:T:2015:806, points 43 et 44).

46      Il convient encore de relever que, contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil (T‑256/11, EU:T:2014:93, points 57 à 61), confirmé sur pourvoi par arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil (C‑220/14 P, EU:C:2015:147), invoqués par le Conseil, en l’espèce, d’une part, celui-ci ne disposait pas d’informations concernant les faits ou les comportements spécifiquement reprochés au requérant par les autorités ukrainiennes et, d’autre part, la lettre du 3 mars 2014, même en l’examinant dans le contexte dans lequel elle s’insère, ne saurait constituer une base factuelle suffisamment solide au sens de la jurisprudence citée au point 40 ci-dessus pour inscrire le nom du requérant sur la liste au motif qu’il était identifié « comme étant responsable » de détournement de fonds publics (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2015, Portnov/Conseil, T‑290/14, EU:T:2015:806, points 46 à 48).

47      Indépendamment du stade auquel se trouvait la procédure dont le requérant était censé faire l’objet, le Conseil ne pouvait adopter des mesures restrictives à son égard à défaut de connaître les faits de détournement de fonds publics qui lui étaient spécifiquement reprochés par les autorités ukrainiennes. En effet, ce n’est qu’en ayant connaissance de ces faits que le Conseil aurait été à même d’établir qu’ils étaient susceptibles, d’une part, d’être qualifiés de détournement de fonds publics et, d’autre part, de remettre en cause l’État de droit en Ukraine, dont le renforcement et le soutien constituent, ainsi qu’il a été rappelé au point 41 ci-dessus, l’objectif poursuivi par l’adoption des mesures restrictives en cause (arrêts du 28 janvier 2016, Klyuyev/Conseil, T‑341/14, EU:T:2016:47, point 50, et du 28 janvier 2016, Azarov/Conseil, T‑331/14, EU:T:2016:49, point 55).

48      D’ailleurs, c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 120 et 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 65 et 66).

49      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que l’inscription du nom du requérant sur la liste ne s’appuie pas sur une base factuelle suffisante pour garantir le respect des critères de désignation des personnes visées par les mesures restrictives en cause fixés par la décision 2014/119.

50      En outre, il y a lieu de constater que cette illégalité a perduré jusqu’à l’entrée en vigueur des actes de mars 2015, qui ont remplacé la liste et modifié le motif d’inscription du requérant.

51      À la lumière de cette conclusion, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la demande du requérant visant à ce que l’inscription de son nom par les actes de mars 2014 soit déclaré comme étant illégale pour la période allant du 31 janvier au 6 mars 2015, c’est-à-dire à partir de l’entrée en vigueur des actes de janvier 2015 et jusqu’à l’entrée en vigueur de ceux de mars 2015. En effet, au vu de l’annulation des actes de mars 2014, en ce qu’ils concernent le requérant, celui-ci est censé ne pas avoir été assujetti aux mesures restrictives pendant cette période.

52      Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le quatrième moyen et d’annuler la décision 2014/119 dans sa formulation initiale, en ce qu’elle vise le requérant, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens.

53      Il y a également lieu d’annuler, en tant qu’il vise le requérant, le règlement no 208/2014, dans sa formulation initiale, qui, aux termes de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, présuppose une décision adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité UE, par voie de conséquence de l’annulation de la décision 2014/119.

2.     Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2014, tels que modifiés par les actes de janvier et de mars 2015, en ce qu’ils visent le requérant

54      Par son mémoire en adaptation des conclusions, le requérant a demandé à étendre la portée de son recours afin que celui-ci vise l’annulation des actes de janvier et de mars 2015, en ce qu’ils le concernent.

55      Dans ses observations sur le mémoire en adaptation des conclusions, le Conseil a fait valoir, d’une part, que le Tribunal n’était pas compétent, au regard de l’article 275 TFUE, pour statuer sur l’extension des conclusions à la décision 2015/143, qui a été adoptée notamment sur le fondement de l’article 29 TUE, et, d’autre part, que l’extension des conclusions au règlement 2015/138 était irrecevable en raison du défaut de qualité pour agir du requérant. Pour le reste, le Conseil conteste le bien-fondé de l’adaptation de la requête.

 Sur la compétence du Tribunal pour examiner la légalité de la décision 2015/143

56      Il convient de relever que, ainsi qu’il ressort notamment de l’examen du premier moyen ci-après, le requérant, sans soulever formellement une exception d’illégalité au titre de l’article 277 TFUE, invoque la non-conformité du critère d’inscription aux objectifs du traité UE, dans le cadre des conclusions visant l’annulation des actes de mars 2015 ayant maintenu son nom sur la liste. La décision 2015/143 constituant précisément une modification dudit critère d’inscription, il y a lieu de considérer que, lorsqu’il demande l’annulation de cette décision, le requérant entend, en réalité, se prévaloir d’une exception d’illégalité qui vient à l’appui de ses conclusions en annulation des actes de mars 2015 (voir, par analogie, arrêt du 6 septembre 2013, Post Bank Iran/Conseil, T‑13/11, EU:T:2013:402, point 37).

57      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 275, second alinéa, TFUE prévoit explicitement que, par dérogation aux dispositions du premier alinéa de cet article, le juge de l’Union est compétent pour « se prononcer sur les recours formés dans les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, [TFUE] concernant le contrôle de la légalité des décisions prévoyant des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales adoptées par le Conseil sur la base du titre V, chapitre 2, du traité [UE] ». Cette disposition vise ainsi, contrairement à ce que soutient le Conseil, l’ensemble des décisions du Conseil relatives à des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, relevant du titre V, chapitre 2, du traité UE, sans distinguer selon qu’il s’agit de décisions de portée générale ou de décisions individuelles. En particulier, elle n’exclut pas la possibilité de contester, par la voie d’une exception, la légalité d’une disposition de portée générale, à l’appui d’un recours en annulation formé contre une mesure restrictive individuelle (arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, points 92 et 93 ; voir également, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2016, Azarov/Conseil, T‑331/14, EU:T:2016:49, point 62).

58      Dès lors, contrairement à ce que prétend le Conseil, le Tribunal est compétent pour examiner la légalité de la décision 2015/143 en ce qu’elle modifie l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119.

59      Cette exception d’illégalité sera donc examinée dans le contexte du premier moyen, venant à l’appui des conclusions en annulation des actes de mars 2015, par lequel le requérant allègue la non-conformité du critère d’inscription appliqué à son égard aux objectifs du traité UE.

 Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir du requérant à l’égard du règlement 2015/138

60      S’agissant de la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir du requérant, soulevée par le Conseil à l’égard du règlement 2015/138, il convient d’observer que le règlement no 208/2014 n’a été modifié par le règlement 2015/138 que dans la mesure où les critères de désignation pour le gel des fonds visant les personnes responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien ont été précisés.

61      Le règlement 2015/138 ne désigne pas nommément le requérant et n’a pas non plus été adopté à la suite d’un réexamen complet de la liste. En effet, cet acte ne concerne que les critères généraux d’inscription s’appliquant à des situations déterminées objectivement et comportant des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes et d’entités envisagées de manière générale et abstraite, et non l’inscription du nom du requérant sur la liste. Par conséquent, il ne concerne ni directement ni individuellement le requérant et ce dernier n’est pas recevable à adapter ses conclusions pour demander son annulation (voir arrêt du 28 janvier 2016, Azarov/Conseil, T‑331/14, EU:T:2016:49, points 64 et 65 et jurisprudence citée).

62      Il convient d’accueillir le grief du Conseil et de rejeter le recours comme étant irrecevable, en ce qu’il vise l’annulation du règlement 2015/138.

 Sur le fond

63      À l’appui de sa demande d’annulation des actes de mars 2014, tels que modifiés par les actes de janvier et de mars 2015, le requérant invoque sept moyens. Le premier est tiré d’une absence de base légale. Le deuxième est tiré d’un détournement de pouvoir. Le troisième est tiré d’un défaut de motivation. Le quatrième est tiré du non-respect des critères d’inscription sur la liste. Le cinquième est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation. Le sixième est tiré de la violation des droits de la défense et du droit à un recours effectif et le septième est tiré de la violation du droit de propriété.

64      Il convient d’examiner, tout d’abord, le sixième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, ensuite, le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation, et, enfin, les autres moyens, dans l’ordre dans lequel ils ont été invoqués.

 Sur le sixième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

65      Par son sixième moyen, le requérant se plaint de ne pas avoir été consulté de manière appropriée avant le maintien de son nom sur la liste et, plus particulièrement, de ne pas avoir eu un délai et d’informations suffisantes pour contester le maintien de son nom sur la liste.

66      Le Conseil, soutenu par la République de Pologne et la Commission, conteste les arguments du requérant.

67      Au préalable, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux, à laquelle le traité UE reconnaît la même valeur juridique que les traités, comporte le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier, tandis que le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de ladite charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 98 à 100).

68      Il s’ensuit que, dans le cadre de l’adoption d’une décision maintenant l’inscription du nom d’une personne, d’une entité ou d’un organisme sur une liste de personnes, d’entités ou d’organismes faisant l’objet de mesures restrictives, le Conseil doit respecter le droit de cette personne, de cette entité ou de cet organisme d’être préalablement entendu lorsqu’il retient à son égard, dans la décision portant le maintien de l’inscription sur la liste, de nouveaux éléments, à savoir des éléments qui ne figuraient pas dans la décision initiale d’inscription sur cette liste (arrêt du 4 juin 2014, Sina Bank/Conseil, T‑67/12, non publié, EU:T:2014:348, point 68 et jurisprudence citée ; voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 62).

69      En l’espèce, il y a lieu de relever que le maintien du nom du requérant sur la liste à la suite des actes de mars 2015 se fonde uniquement sur la lettre du 10 octobre 2014.

70      À cet égard, il y a également lieu de rappeler que, avant d’adopter la décision de maintenir le nom du requérant sur la liste, le Conseil a communiqué au requérant la lettre du 10 octobre 2014 (voir point 12 ci-dessus). En outre, par lettre du 2 février 2015, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard, l’informant de la possibilité de présenter des observations (voir point 16 ci-dessus).

71      Il s’ensuit que le requérant a eu accès aux informations et aux éléments de preuve qui ont motivé le Conseil à maintenir les mesures restrictives à son égard et a pu formuler, en temps utile, des observations (voir point 16 ci-dessus).

72      Par ailleurs, le requérant n’a pas démontré que les difficultés alléguées concernant les informations reçues et le temps pour répondre aux allégations du Conseil l’ont empêché d’adapter ses conclusions en temps utile ou de développer des arguments pour sa défense.

73      Il résulte de ce qui précède que la communication des éléments de preuve pendant la procédure a été suffisante pour garantir l’exercice des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

74      Il y a donc lieu de rejeter le sixième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

75      Par son troisième moyen, le requérant fait valoir, d’une part, que le motif de l’inscription de son nom sur la liste ne fournit aucune précision sur les faits contestés et sur la procédure le concernant, permettant d’étayer l’allégation de détournement de fonds publics et de leur transfert illégal hors d’Ukraine dont il fait l’objet, et, d’autre part, que ledit motif présenterait un caractère stéréotypé.

76      Le Conseil, soutenu par la République de Pologne et la Commission, conteste les arguments du requérant.

77      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE et l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux doit être adaptée à la nature de l’acte attaqué et au contexte dans lequel celui-ci a été adopté. Elle doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 94 et jurisprudence citée).

78      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 95 et jurisprudence citée).

79      En particulier, la motivation d’une mesure de gel d’avoirs ne saurait, en principe, consister seulement en une formulation générale et stéréotypée. Sous les réserves énoncées au point 78 ci-dessus, une telle mesure doit, au contraire, indiquer les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère que la réglementation pertinente est applicable à l’intéressé (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 96 et jurisprudence citée).

80      En l’espèce, d’une part, il convient de relever que, à l’instar du motif d’inscription initial, le motif, tel que modifié par les actes de mars 2015 (voir point 19 ci-dessus), énonce les éléments qui constituent le fondement de l’inscription du requérant, à savoir la circonstance qu’il fait l’objet d’une procédure pénale engagée par les autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics.

81      En outre, le maintien des mesures à l’égard du requérant est intervenu dans un contexte connu par celui-ci, qui avait pris connaissance, lors des échanges intervenus au cours de la présente instance, de la lettre du 10 octobre 2014, sur laquelle le Conseil a fondé le maintien des mesures restrictives à son égard, par laquelle le Conseil fournissait des précisions concernant l’inscription de son nom sur la liste (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 53 et 54 et jurisprudence citée, et du 6 septembre 2013, Bank Melli Iran/Conseil, T‑35/10 et T‑7/11, EU:T:2013:397, point 88), notamment une description circonstanciée des faits qui lui étaient reprochés.

82      D’autre part, s’agissant du caractère prétendument stéréotypé du motif d’inscription, il y a lieu de relever que, si les considérations figurant dans ce motif sont les mêmes que celles sur le fondement desquelles les autres personnes physiques mentionnées dans la liste ont été soumises à des mesures restrictives, elles visent néanmoins à décrire la situation concrète du requérant, qui, au même titre que d’autres personnes, a, d’après le Conseil, fait l’objet de procédures judiciaires présentant un lien avec des investigations portant sur des détournements de fonds publics en Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 115).

83      À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que les actes de mars 2014, tels que modifiés par les actes de janvier et de mars 2015, énoncent à suffisance de droit les éléments de droit et de fait qui en constituent, d’après leur auteur, le fondement.

84      Il y a donc lieu de rejeter le troisième moyen.

 Sur le premier moyen, tiré de l’absence de base légale

85      Par son premier moyen, le requérant fait valoir que la décision 2014/119, telle que modifiée par les actes de janvier et de mars 2015, n’est pas conforme aux objectifs énoncés à l’article 29 TUE et donc manque de base légale, et que, au vu de l’invalidité de la décision 2014/119, le règlement no 208/2014, tel que modifié par les actes de janvier et de mars 2015, serait également invalide, car il n’existerait aucune décision valable en vertu du chapitre 2 du titre V du traité UE permettant d’invoquer l’article 215 TFUE.

86      Le Conseil, soutenu par la République de Pologne et la Commission, conteste les arguments du requérant.

–       Sur l’argument principal du requérant, tiré de l’absence de proportionnalité du critère d’inscription au regard des objectifs du traité UE

87      Par son argument principal, le requérant fait valoir, en substance, que la décision 2014/119 ne poursuit pas les deux objectifs qu’elle invoque, à savoir ceux de renforcer et de soutenir l’État de droit et de garantir le respect des droits de l’homme en Ukraine, ni les autres objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) énoncés à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE. Il ajoute que la modification de la motivation le concernant par les actes de mars 2015, à la suite de l’extension du critère d’inscription par les actes de janvier 2015, n’était pas justifiée, car le Conseil n’a pas prouvé qu’il avait porté atteinte à la démocratie, à l’État de droit ou aux droits de l’homme en Ukraine ni au développement économique ou social durable de l’Ukraine.

88      Il y a donc lieu d’examiner la conformité du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, aux objectifs de la PESC et, plus particulièrement, la proportionnalité dudit critère au regard des objectifs susvisés.

89      Tout d’abord, il convient de rappeler que les objectifs du traité UE concernant la PESC sont énoncés, notamment, à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, qui prévoit ce qui suit :

« L’Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin : […] de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international. »

90      Ensuite, il convient de rappeler que le considérant 2 de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

91      Sur cette base, le critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, est le suivant :

« Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)       pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement […] »

92      Enfin, il convient de rappeler que la motivation de l’inscription du nom du requérant sur la liste, à la suite des actes de mars 2015, est la suivante :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

93      À titre liminaire, force est de constater que, ainsi que le reconnaît le Conseil dans ses écritures, les mesures restrictives à l’égard du requérant ont été adoptées dans le seul but de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine. Partant, les arguments du requérant, tirés de ce que le critère d’inscription énoncé par la décision 2014/119 ne réalise pas d’autres objectifs de la PESC, sont inopérants.

94      Il convient donc de vérifier si le critère d’inscription prévu par la décision 2014/119 et tel que modifié par la décision 2015/143, visant des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, correspond à l’objectif, invoqué par la même décision, de renforcement et de soutien de l’État de droit en Ukraine.

95      À cet égard, il convient de rappeler que la jurisprudence développée à l’égard des mesures restrictives concernant la situation en Tunisie et en Égypte a établi que des objectifs tels que ceux mentionnés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et d), TUE avaient vocation à être atteints par un gel d’avoirs dont le champ d’application était, comme en l’espèce, restreint aux personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds publics ainsi qu’aux personnes, entités ou organismes qui leur sont liés, c’est-à-dire à des personnes dont les agissements sont susceptibles d’avoir obéré le bon fonctionnement des institutions publiques et des organismes leur étant liés (voir, en ce sens, arrêts du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 92 ; du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 44, et du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 68).

96      En l’espèce, il y a lieu de constater, d’une part, que le critère d’inscription s’appuie, pour ce qui concerne le requérant, sur des infractions de « détournement de fonds publics » et, d’autre part, que ledit critère s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par la décision 2014/119 et la poursuite de l’objectif pertinent du traité UE qu’elle invoque, énoncé à son considérant 2, à savoir celui de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine.

97      À cet égard, il convient de rappeler que le respect de l’État de droit est l’une des valeurs premières sur lesquelles repose l’Union, ainsi qu’il ressort de l’article 2 TUE comme des préambules du traité UE et de ceux de la charte des droits fondamentaux. Le respect de l’État de droit constitue, en outre, une condition préalable à l’adhésion à l’Union, en vertu de l’article 49 TUE. La notion d’État de droit est également consacrée, sous la formulation alternative de « prééminence du droit », dans le préambule de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

98      La jurisprudence de la Cour et de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que les travaux du Conseil de l’Europe, à travers la Commission européenne pour la démocratie par le droit, fournissent une liste non exhaustive des principes et des normes qui peuvent s’inscrire dans la notion d’État de droit. Parmi ceux-ci figurent les principes de légalité, de sécurité juridique et d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ; des juridictions indépendantes et impartiales ; un contrôle juridictionnel effectif, y compris le respect des droits fondamentaux, et l’égalité devant la loi [voir, à cet égard, la liste des critères de l’État de droit adoptée par la Commission européenne pour la démocratie par le droit lors de sa cent-sixième session plénière (Venise, 11-12 mars 2016)]. En outre, dans le contexte de l’action extérieure de l’Union, certains instruments juridiques mentionnent notamment la lutte contre la corruption en tant que principe inscrit dans la notion d’État de droit [voir, par exemple, le règlement (CE) no 1638/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 2006, arrêtant des dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat (JO 2006, L 310, p. 1)].

99      Or, s’il ne peut être exclu que certains comportements concernant des faits de détournement de fonds publics soient en mesure de porter atteinte à l’État de droit, il ne saurait être admis que tout fait de détournement de fonds publics, commis dans un pays tiers, justifie une intervention de l’Union dans le but de renforcer et de soutenir l’État de droit dans ce pays, dans le cadre de ses compétences en matière de PESC. Pour que puisse être établi qu’un détournement de fonds publics est susceptible de justifier une action de l’Union dans le cadre de la PESC, fondée sur l’objectif de consolider et de soutenir l’État de droit, il est, à tout le moins, nécessaire que les faits contestés soient susceptibles de porter atteinte aux fondements institutionnels et juridiques du pays concerné.

100    Dans ce contexte, le critère d’inscription ne peut être considéré comme étant conforme à l’ordre juridique de l’Union que dans la mesure où il est possible de lui attribuer un sens compatible avec les exigences des règles supérieures au respect desquelles il est soumis, et plus précisément avec l’objectif de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine. Par ailleurs, cette interprétation permet de respecter la large marge d’appréciation dont le Conseil bénéficie pour définir les critères généraux d’inscription, tout en garantissant un contrôle, en principe complet, de la légalité des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, point 108 et jurisprudence citée).

101    Partant, ledit critère doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas, de façon abstraite, tout fait de détournement de fonds publics, mais qu’il vise plutôt des faits de détournement de fonds ou d’avoirs publics qui, eu égard au montant ou au type de fonds ou d’avoirs détournés ou au contexte dans lequel ils se sont produits, sont, à tout le moins, susceptibles de porter atteinte aux fondements institutionnels et juridiques de l’Ukraine, notamment aux principes de légalité, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, du contrôle juridictionnel effectif et d’égalité devant la loi, et, en dernier ressort, de porter atteinte au respect de l’État de droit dans ce pays (voir point 99 ci-dessus). Ainsi interprété, le critère d’inscription est conforme et proportionné aux objectifs pertinents du traité UE.

–       Sur les autres arguments invoqués par le requérant

102    En premier lieu, le requérant fait valoir que l’objectif lié au renforcement et au soutien de l’État de droit aurait été pris en considération pour la première fois tardivement, à savoir lors des conclusions du Conseil des affaires étrangères sur l’Ukraine du 3 mars 2014.

103    Dans la mesure où, par cet argument, le requérant entend faire valoir que des considérations politiques ont motivé l’inscription de son nom sur la liste, il convient de relever que l’argument tiré du prétendu caractère tardif de la référence faite à l’objectif lié au renforcement et au soutien de 1’État de droit ne suffit pas à lui seul pour démontrer que, lors de l’adoption des actes de mars 2014, le Conseil ne s’est pas fondé sur l’objectif, déclaré et légitime, du renforcement et du soutien de l’État de droit en Ukraine et que ledit objectif n’a pas davantage motivé le maintien des mesures à l’égard du requérant par les actes de mars 2015.

104    Dans la mesure où, par cet argument, le requérant avance, en réalité, un grief tiré d’un détournement de pouvoir, il suffit de relever qu’il fait l’objet de l’examen du deuxième moyen ci-après.

105    En deuxième lieu, le requérant fait valoir que l’extension du critère d’inscription par les actes de janvier 2015 (voir point 14 ci-dessus) ne saurait être dûment interprétée comme signifiant qu’une simple enquête est suffisante pour satisfaire ledit critère. S’il en était autrement, le Conseil déléguerait aux autorités ukrainiennes le pouvoir de décider de l’imposition de mesures restrictives de l’Union sans le moindre contrôle de la part de cette dernière.

106    À cet égard, si le juge de l’Union a établi que l’identification d’une personne comme étant responsable d’une infraction n’impliquait pas forcément une condamnation pour une telle infraction (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, points 71 et 72), il n’en demeure pas moins qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 48 ci-dessus que c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs.

107    En l’espèce, le critère d’inscription énoncé par les actes de mars 2014, tel que modifié par les actes de janvier 2015, permet au Conseil, conformément à l’arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil (T‑256/11, EU:T:2014:93), de tenir compte d’une enquête pour des faits de détournement de fonds publics comme élément pouvant justifier, le cas échéant, l’adoption des mesures restrictives, sans préjudice de la circonstance selon laquelle, à la lumière de la jurisprudence citée au point 106 ci-dessus et de l’interprétation du critère d’inscription aux points 88 à 101 ci-dessus, le simple fait de faire l’objet d’une enquête portant sur des infractions de détournement de fonds ne saurait, à lui seul, justifier l’action du Conseil au titre des articles 21 et 29 TUE. Ainsi, le critère d’inscription ne saurait être interprété comme étant une délégation aux autorités ukrainiennes du pouvoir de décider de l’imposition de mesures.

108    En troisième lieu, le requérant fait valoir que l’extension du critère par les actes de janvier 2015, visant à inclure les « personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes […] pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus », ne correspondrait pas aux objectifs de la PESC.

109    Or, il suffit de constater que cette extension du critère d’inscription n’est pas pertinente en l’espèce, le nom du requérant ayant été inscrit sur la liste pour le seul motif qu’il faisait l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et non pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique.

110    En quatrième lieu, le requérant vise à remettre en cause la légitimité de sa destitution par le Parlement ukrainien et la régularité du changement de régime en Ukraine, à la suite des événements de février 2014. Il fait valoir qu’il existe de nombreux éléments de preuve qui démontrent que le régime actuel en Ukraine porte lui-même atteinte à la démocratie et à l’État de droit, viole et est prêt à violer systématiquement les droits de l’homme et souligne qu’il ne bénéficiera pas d’un traitement équitable, indépendant ou impartial de la part des autorités répressives ou judiciaires ukrainiennes. Il se réfère, d’une part, à l’absence de droits de la défense et du droit à un procès équitable en Ukraine et, d’autre part, à la déplorable situation des droits de l’homme dans ce pays.

111    À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’Ukraine est un État membre du Conseil de l’Europe depuis 1995 et a ratifié la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et que le nouveau régime ukrainien a été reconnu comme étant légitime par l’Union ainsi que par la communauté internationale. Le Conseil n’a donc pas commis d’erreur en se fondant sur des éléments de preuve qui lui étaient fournis par une haute autorité judiciaire de ce pays quant à l’existence d’une procédure pénale relative à des allégations de détournement de fonds ou d’avoirs publics à l’encontre du requérant, sans mettre en cause la légalité et la légitimité du régime et du système judiciaire ukrainiens.

112    Certes, il ne saurait être exclu que, lorsque le requérant apporte des éléments de nature à démontrer que les faits qui lui sont reprochés sont manifestement faux ou détournés, il incombe au Conseil de vérifier les informations qui lui ont été fournies et d’exiger, le cas échéant, un complément d’information ou de preuve.

113    Toutefois, en l’espèce, le requérant évoque, premièrement, l’existence d’une persécution politique à son égard, qui serait démontrée par la quantité de chefs d’accusation le concernant, certains chefs d’inculpation étant faux et motivés par des considérations politiques, deuxièmement, de nombreuses déclarations publiques de membres du régime actuel présentant le requérant comme coupable de diverses infractions et, troisièmement, des violations procédurales dans le cadre des procédures judiciaires qui le concernent. De façon plus générale, il émet des doutes sur la légitimité du nouveau régime ukrainien et sur l’impartialité du système judiciaire ukrainien ainsi que sur la situation des droits de l’homme en Ukraine.

114    Or, ces éléments n’étaient ni en mesure de remettre en cause la vraisemblance des accusations portées à l’encontre du requérant concernant des faits bien précis de détournement de fonds publics, ce qui fait l’objet de l’examen effectué dans le cadre du quatrième moyen ci-après, ni suffisants pour démontrer que la situation particulière du requérant aurait été affectée par les problèmes qu’il invoque relatifs au système judiciaire ukrainien, au cours des procédures qui le concernent et qui ont fondé l’adoption de mesures restrictives à son égard. Partant, dans les circonstances de l’espèce, le Conseil n’était pas tenu de procéder à une vérification supplémentaire des éléments de preuve qui lui avaient été fournis par les autorités ukrainiennes.

115    Du reste, dans la mesure où l’examen de l’argumentation du requérant impliquerait que le Tribunal se prononce sur la régularité de la transition du régime ukrainien et examine le bien-fondé des appréciations portées par diverses instances internationales à cet égard, y compris les appréciations politiques du Conseil, force est de constater qu’un tel examen ne relève pas de la portée du contrôle exercé par le Tribunal sur les actes qui font l’objet de la présente affaire (voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2013, Gbagbo/Conseil, T‑119/11, EU:T:2013:216, point 75).

–       Conclusion sur le premier moyen

116    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que le critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, est conforme aux objectifs de la PESC, tels qu’énoncés à l’article 21 TUE, dans la mesure où il vise les personnes identifiées comme étant responsables d’un détournement de fonds publics ukrainiens qui est susceptible de porter atteinte à l’État de droit en Ukraine.

117    La même conclusion s’impose en ce qui concerne les conclusions visant l’annulation du règlement no 208/2014. Celui-ci impose une mesure de gel de fonds prévue par une décision adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité UE et est donc conforme à l’article 215 TFUE, dans la mesure où il existe une décision valide au sens dudit article.

118    Il y a donc lieu de rejeter le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

119    Par son deuxième moyen, le requérant fait valoir que le véritable objectif poursuivi par le Conseil par les mesures restrictives en question était celui de s’attirer les bonnes grâces du prétendu régime de transition de l’Ukraine dans le but de générer un gouvernement ukrainien favorable à l’Union, ce qui est une finalité politique de l’Union, et non celui de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine. Cela serait confirmé par le fait que le Conseil n’a établi l’existence d’aucune procédure pénale à l’encontre du requérant concernant un détournement de fonds publics et leur transfert illégal hors d’Ukraine.

120    S’agissant, plus particulièrement, des actes de janvier et de mars 2015, le détournement de pouvoir serait d’autant plus évident que, d’une part, le Conseil a élargi les critères d’inscription au lieu de retirer le nom du requérant de la liste et, d’autre part, en élargissant lesdits critères, il a, en substance, délégué au gouvernement ukrainien un contrôle complet sur ces critères.

121    Le Conseil, soutenu par la République de Pologne et la Commission, conteste les arguments du requérant.

122    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 50 et jurisprudence citée).

123    En l’espèce, il y a lieu de rappeler que les actes de mars 2014, dans leur formulation initiale et tels que modifiés par les actes de janvier et de mars 2015, prévoient des mesures restrictives à l’encontre de personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien en vue de soutenir l’État de droit en Ukraine.

124    Conformément aux conclusions formulées dans le cadre du premier moyen, il convient de constater, d’une part, que l’objectif poursuivi par la décision 2014/119 correspond à l’un des objectifs énoncés à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE et, d’autre part, qu’un tel objectif a vocation à être atteint par les mesures litigieuses.

125    Partant, le requérant n’a pas démontré que, en adoptant les actes de mars 2014 ou en les modifiant par les actes de janvier et de mars 2015, le Conseil poursuivait principalement un but autre que celui de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine.

126    Cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance, évoquée par le requérant, que les mesures restrictives en question aient également favorisé, de facto ou de façon intentionnelle, un rapprochement entre l’Ukraine et l’Union.

127    Par ailleurs, il convient encore de relever que la prétendue absence de toute procédure pénale ou l’existence d’une simple investigation préliminaire en Ukraine sont des circonstances qui ne suffisent pas à étayer l’existence d’un détournement de pouvoir de la part du Conseil, dans la mesure où celui-ci, s’appuyant sur une base factuelle solide, ainsi qu’il ressort de l’examen du quatrième moyen (voir points 130 à 153 ci-après), avait connaissance des faits reprochés au requérant et que ces faits pouvaient justifier une intervention aux fins de consolider et de soutenir l’État de droit en Ukraine.

128    De même, contrairement aux allégations du requérant, il y a lieu de relever, d’une part, que, par les actes de janvier 2015, le Conseil n’a pas élargi les critères d’inscription, mais s’est limité à préciser la notion de « détournement de fonds », et que, en tout état de cause, la précision du critère d’inscription n’est pas pertinente en ce qui concerne l’appréciation de la légalité de l’inscription initiale du nom du requérant sur la liste par les actes de mars 2014 (voir points 49 à 51 ci-dessus) et n’impliquait donc pas le retrait du nom de celui-ci de la liste. D’autre part, ainsi qu’il a été relevé au point 107 ci-dessus, le critère d’inscription ne saurait être interprété comme étant une délégation aux autorités ukrainiennes du pouvoir de décider de l’imposition des mesures restrictives en question.

129    Il y a donc lieu de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré du non-respect des critères d’inscription sur la liste

130    Par son quatrième moyen, le requérant fait valoir que l’inscription de son nom sur la liste ne respectait pas les critères d’inscription énoncés par la décision 2014/119, tels que modifiés par la décision 2015/143.

131    Le Conseil, soutenu par la République de Pologne et la Commission, conteste les arguments du requérant.

–       Sur l’argument principal du requérant

132    Par son argument principal, le requérant fait valoir, en substance, que les motifs de l’inscription de son nom sur la liste, tels que modifiés par les actes de mars 2015, ne satisfont pas aux critères d’inscription, tels que modifiés par les actes de janvier 2015.

133    À titre liminaire, il y a lieu de relever que, à partir du 7 mars 2015, le requérant fait l’objet de nouvelles mesures restrictives introduites par les actes de mars 2015 sur la base du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 tel que « précisé » par les actes de janvier 2015. En effet, la décision 2015/364 n’est pas un simple acte confirmatif, mais constitue une décision autonome, adoptée par le Conseil au terme d’un réexamen périodique prévu à l’article 5, troisième alinéa, de la décision 2014/119.

134    Il y a donc lieu d’examiner la légalité de l’inscription du nom du requérant sur la liste, par les actes de mars 2015, compte tenu, tout d’abord, du critère d’inscription, tel que précisé par les actes de janvier 2015, ensuite, du motif d’inscription et, enfin, des éléments de preuve sur lesquels est fondée ladite inscription.

135    S’agissant, tout d’abord, du critère d’inscription, il y a lieu de rappeler que ce critère, tel que modifié par les actes de janvier 2015, prévoit que les mesures restrictives en question s’appliquent, notamment, aux personnes « identifiées comme étant responsables » de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, ce qui inclut les personnes « faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes » pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens (voir point 14 ci-dessus). En outre, ainsi qu’il a été précisé dans le cadre du premier moyen, ledit critère doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas de façon abstraite tout fait de détournement de fonds publics, mais plutôt des faits de détournement de fonds ou d’avoirs publics susceptibles de porter atteinte au respect de l’État de droit en Ukraine (voir point 101 ci‑dessus).

136    S’agissant, ensuite, du motif de l’inscription du nom du requérant sur la liste, il y a lieu de rappeler que, à partir du 7 mars 2015, le requérant est inscrit sur la liste au motif qu’il fait l’objet d’une « procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics » (voir point 19 ci‑dessus).

137    S’agissant, enfin, des éléments de preuve sur lesquels est fondée l’inscription du nom du requérant sur la liste, il y a lieu de relever, ainsi que le reconnaît le Conseil, que la légalité du motif d’inscription du nom du requérant, tel que modifié, doit être appréciée principalement au regard de la lettre du 10 octobre 2014, qui fait état des évolutions intervenues lors des diverses enquêtes concernant le requérant.

138    Cette lettre fait état, notamment, de trois enquêtes préliminaires dans le cadre des procédures pénales ouvertes à l’encontre du requérant et concernant des faits de détournement de fonds publics. Pour l’essentiel, ces trois enquêtes concernaient, la première, un détournement de biens en complicité avec d’autres personnes dans le contexte du financement illégal de la construction d’un réseau de télécommunications, la deuxième, un détournement de bâtiments, d’installations et d’une parcelle de terrain ainsi que d’autres propriétés publiques et la légalisation de gains obtenus illégalement et, la troisième, un détournement d’une parcelle de terrain.

139    Dans ces circonstances, en premier lieu, il y a lieu de relever que cette lettre, qui constitue l’élément de preuve sur lequel le Conseil s’est fondé pour l’adoption des actes de mars 2015, fournit une preuve suffisante du fait que, à la date de l’adoption des actes de mars 2015, le requérant faisait l’objet de procédures pénales portant sur un détournement de fonds ou d’avoirs publics.

140    En second lieu, il y a donc lieu de vérifier si le maintien du nom du requérant sur la liste à la suite des actes de mars 2015 en raison du fait que celui-ci faisait l’objet d’une procédure pénale pour de telles infractions satisfait au critère d’inscription, tel que précisé par les actes de janvier 2015 et tel qu’interprété dans le cadre du premier moyen (voir point 135 ci‑dessus).

141    Compte tenu des infractions reprochées au requérant, dont la lettre du 10 octobre 2014 fait état, d’une part, il convient de rappeler que la poursuite des crimes économiques, tels que le détournement de fonds publics, est un moyen important pour lutter contre la corruption et que la lutte contre la corruption constitue, dans le contexte de l’action extérieure de l’Union, un principe inscrit dans la notion d’État de droit (voir point 98 ci‑dessus).

142    D’autre part, il convient de relever que les infractions reprochées au requérant s’insèrent dans un contexte plus large où une partie non négligeable de l’ancienne classe dirigeante ukrainienne est soupçonnée avoir commis de graves infractions dans la gestion des ressources publiques, menaçant ainsi sérieusement les fondements institutionnels et juridiques du pays et portant notamment atteinte aux principes de légalité, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, du contrôle juridictionnel effectif et d’égalité devant la loi (voir points 99 à 101 ci-dessus). Cela est d’autant plus évident en l’espèce, dans la mesure où il s’agit de faits prétendument commis par l’ancien président de l’Ukraine.

143    Il s’ensuit que, dans leur ensemble et compte tenu des fonctions exercées par le requérant au sein de l’ancienne classe dirigeante ukrainienne, les mesures restrictives en question contribuent, de manière efficace, à faciliter la poursuite des crimes de détournement de fonds publics commis au détriment des institutions ukrainiennes et permettent qu’il soit plus aisé, pour les autorités ukrainiennes, d’obtenir la restitution du fruit de tels détournements. Cela permet de faciliter, dans l’hypothèse où les poursuites judiciaires s’avéreront fondées, la répression, par des moyens judiciaires, des actes allégués de corruption commis par des membres de l’ancien régime, contribuant ainsi au soutien de l’État de droit dans ce pays (voir, en ce sens, la jurisprudence évoquée au point 95 ci‑dessus).

144    Il y a donc lieu de conclure que l’inscription du nom du requérant sur la liste, par les actes de mars 2015, sur la base des éléments de preuve fournis dans la lettre du 10 octobre 2014, est conforme au critère d’inscription, tel que modifié par les actes de janvier 2015 et interprété à la lumière de l’objectif sur lequel il est fondé, à savoir celui de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine.

–       Sur les autres arguments soulevés par le requérant

145    En premier lieu, le requérant fait valoir que la lettre du 10 octobre 2014 précède de quelques mois l’adoption de la nouvelle motivation, a été transmise par des individus qui n’exercent plus les fonctions qui leur étaient attribuées et présente certaines incohérences avec celle du 8 juillet 2014.

146    Il convient de relever que ces circonstances, à les supposer fondées, ne sont pas, à elles seules, en mesure de prouver que le requérant, à la date de l’adoption des nouvelles mesures, ne faisait plus l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics, ce que le requérant ne conteste d’ailleurs pas. S’agissant plus précisément des incohérences entre les deux lettres, bien qu’il soit regrettable que le Conseil n’ait pas obtenu des informations plus précises en ce qui concerne les détails de chaque enquête, il y a néanmoins lieu de constater que la lettre du 10 octobre 2014 décrit ponctuellement les faits visés par les différentes enquêtes ouvertes à l’égard du requérant. La connaissance de ces faits, dont l’existence n’a pas été sérieusement mise en cause, a donc pu fournir au Conseil une base adéquate pour décider de maintenir le nom du requérant sur la liste.

147    En deuxième lieu, le requérant avance que les accusations le concernant ont été formulées dans le but de justifier l’adoption des mesures restrictives en question. Il se réfère, en particulier, aux circonstances suivantes : premièrement, ainsi qu’il ressortirait d’un communiqué de presse, le procureur général aurait promis de faire « tout son possible pour empêcher la levée des sanctions de l’Union européenne » ; deuxièmement, dans l’affaire concernant le fils du requérant, des allégations permettant le maintien des mesures restrictives auraient été avancées à la dernière minute ; troisièmement, la lettre du 8 juillet 2014 inclurait « presque exclusivement » des références à des actions violentes ; quatrièmement, les accusations concernant des faits de détournement de fonds publics n’auraient été formulées que lorsqu’il est apparu que les allégations fondées sur des faits de violence n’étaient pas suffisantes aux fins de maintenir les mesures restrictives à son égard.

148    Il convient de relever, à nouveau, qu’aucune de ces circonstances ne démontre que, lorsque le Conseil a décidé le maintien du nom du requérant sur la liste, celui-ci ne faisait pas l’objet d’une procédure pénale concernant des faits de détournement de fonds. En particulier, le fait que, avant d’adopter les actes de mars 2014, le Conseil ait vérifié la possibilité d’adopter des mesures restrictives axées sur d’autres allégations que le détournement de fonds, à le supposer établi, ne démontre pas que les accusations de détournement de fonds aient été formulées artificiellement pour justifier l’adoption, puis le maintien, des mesures restrictives.

149    En troisième lieu, le requérant fait valoir que le Conseil est déjà convenu que les arguments relatifs aux instructions alléguées aux services répressifs de faire usage d’une force excessive lors de la dispersion de manifestations pacifiques n’avaient aucun fondement juridique ou factuel.

150    Cet argument, à le supposer établi, est inopérant, le requérant n’ayant pas fait l’objet des mesures restrictives en question sur la base desdites circonstances.

151    En quatrième lieu, le requérant fait valoir que le Conseil aurait dû entreprendre un contrôle particulièrement rigoureux de la base factuelle pour l’adoption des mesures restrictives en l’espèce, en considération de la situation spécifique de l’Ukraine. Il s’appuie, en particulier, sur les circonstances suivantes : premièrement, le fait que l’Ukraine n’est pas un État membre de l’Union, deuxièmement, l’imprégnation politique des allégations à son endroit, troisièmement, l’absence d’évolution dans le dossier pénal en question, quatrièmement, l’absence de toute procédure équilibrée ou équitable en Ukraine en ce qui concerne l’adoption des décisions à un stade antérieur à l’accusation, cinquièmement, le fait que des juridictions ukrainiennes auraient établi que certaines informations adressées par les autorités ukrainiennes étaient fausses et, sixièmement, le fait que le Conseil a disposé d’un certain délai pour produire ou vérifier les éléments de preuve et les informations justifiant sa nouvelle désignation.

152    Ces arguments ont déjà été écartés dans le contexte de l’examen du premier moyen (voir points 110 à 114 ci-dessus). Pour autant qu’ils visent à établir que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation à cet égard, ils sont traités dans le cadre du cinquième moyen ci-après.

153    Il y a donc lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

154    Par son cinquième moyen, le requérant fait valoir que le Conseil ne saurait valablement se fonder uniquement sur des allégations qui lui sont présentées par un État membre ou par un pays tiers et qu’il est tenu d’examiner lui‑même l’exactitude des allégations qui lui sont fournies. Le Conseil aurait donc commis une erreur manifeste d’appréciation en se fondant sur des allégations non étayées pour inscrire et maintenir le nom du requérant sur la liste.

155    Le Conseil, soutenu par la République de Pologne et la Commission, conteste les arguments du requérant.

156    Il y a lieu de constater que, à la lumière de la jurisprudence évoquée au point 40 ci-dessus, le Conseil a satisfait à la charge de la preuve qui lui incombait. En effet, lors de l’adoption des actes de mars 2015, le Conseil disposait d’informations plus étayées concernant les faits de détournement de fonds publics qui justifiaient, selon les autorités ukrainiennes, l’ouverture d’enquêtes à l’égard du requérant. Le Conseil avait pris connaissance de ces faits, notamment, par la lettre du 10 octobre 2014, qui avait été communiquée au requérant avant l’adoption desdits actes.

157    En outre, l’inscription du requérant étant fondée sur un acte de l’administration judiciaire ukrainienne décrit dans la lettre du 10 octobre 2014, à savoir l’ouverture d’une enquête portant sur des infractions de détournement de fonds publics, il ne saurait être reproché au Conseil de ne pas avoir vérifié que des informations provenant d’une des plus hautes autorités judiciaires du pays et confirmant l’existence de telles enquêtes étaient correctes et étayées (voir points 110 à 115 ci‑dessus).

158    D’ailleurs, il appartenait au Conseil non pas de vérifier le bien-fondé des enquêtes dont le requérant faisait l’objet, mais uniquement de vérifier le bien-fondé de la décision de gel des fonds au regard de ces enquêtes (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, point 77), ce qu’il a fait lorsqu’il a adopté les actes de mars 2015, sur la base d’éléments de preuve qui confirmaient l’existence de procédures pénales pour des faits, bien précisés, de détournement de fonds publics.

159    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen.

 Sur le septième moyen, tiré d’une violation du droit de propriété

160    Par son septième moyen, le requérant fait valoir, premièrement, que les mesures restrictives auraient été imposées à son égard sans respecter les garanties adéquates qui lui auraient permis de se défendre devant le Conseil. Deuxièmement, ces mesures auraient été adoptées en violation du critère d’inscription. Troisièmement, le motif d’inscription ne prévoirait plus l’infraction de transfert illégal de fonds publics ukrainiens hors d’Ukraine. Quatrièmement, le Conseil n’aurait pas démontré que le gel total des avoirs, à la différence d’un gel partiel, était proportionné en l’espèce, compte tenu du fait, d’une part, qu’il ne ressortirait pas des accusations portées à l’encontre du requérant que les biens immobiliers prétendument détournés aient été vendus ou ne puissent plus être autrement récupérés et, d’autre part, qu’un gel de fonds ne se justifierait pas au-delà de la valeur des biens prétendument détournés, telle qu’elle résulte de la lettre du 10 octobre 2014.

161    Le Conseil, soutenu par la République de Pologne et la Commission, conteste les arguments du requérant.

162    Il convient de constater, à titre liminaire, que les premier et deuxième arguments ont été traités et écartés, respectivement, dans le cadre des sixième et quatrième moyens.

163    Il convient également de rejeter le troisième argument du requérant, selon lequel le motif d’inscription ne prévoit plus l’infraction de transfert illégal de fonds publics ukrainiens hors d’Ukraine. En effet, bien que le transfert illégal de fonds publics hors d’Ukraine n’est plus prévu par le motif d’inscription, tel que modifié par les actes de mars 2015, il n’en reste pas moins que la référence au détournement de fonds publics, dans le cas où elle est fondée, suffit, à elle seule, à justifier les mesures restrictives à l’égard du requérant.

164    En ce qui concerne le quatrième argument, tiré, en substance, d’un défaut de proportionnalité des mesures restrictives, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 205 et jurisprudence citée).

165    En l’espèce, il est vrai que le droit de propriété du requérant est restreint, dès lors qu’il ne peut, notamment, pas disposer de ses fonds situés sur le territoire de l’Union, sauf en vertu d’autorisations particulières, et qu’aucun fonds ni aucune ressource économique ne peut être mis, directement ou indirectement, à sa disposition.

166    À cet égard, tout d’abord, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été établi dans le cadre des premier et quatrième moyens, que, d’une part, le critère d’inscription, énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, est conforme aux objectifs de la PESC et, d’autre part, que l’inscription du nom du requérant sur la liste est conforme au critère d’inscription (voir points 88 à 116 et 133 à 144 ci‑dessus).

167    Ensuite, il convient également de rejeter l’argument du requérant selon lequel, d’une part, il n’est pas allégué que les biens immobiliers prétendument détournés aient été vendus ou ne puissent plus être autrement récupérés et, d’autre part, un gel de fonds ne se justifierait pas au-delà de la valeur des biens prétendument détournés, telle qu’elle résulte de la lettre du 10 octobre 2014.

168    En effet, il y a lieu de constater, ainsi que le souligne le Conseil, d’une part, que les chiffres mentionnés dans cette lettre ne donnent qu’une indication de la valeur des avoirs qui auraient été détournés et, d’autre part, que toute tentative visant à délimiter le montant des fonds gelés serait extrêmement difficile, sinon impossible, à mettre en œuvre en pratique.

169    D’ailleurs, les inconvénients générés par les mesures restrictives ne sont pas démesurés par rapport aux objectifs poursuivis, compte tenu, d’une part, du fait que ces mesures présentent, par leur nature, un caractère temporaire et réversible et ne portent, dès lors, pas atteinte au « contenu essentiel » du droit de propriété, et, d’autre part, qu’il peut y être dérogé afin de couvrir les besoins fondamentaux, les frais de justice ou bien encore les dépenses extraordinaires des personnes visées (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 209).

170    Il y a donc lieu de rejeter le septième moyen et, par voie de conséquence, le recours dans son entièreté, en ce qu’il vise l’annulation du maintien du nom du requérant sur la liste par les actes de mars 2015.

 Sur le maintien des effets de la décision 2014/119

171    À titre subsidiaire, le Conseil demande que, en cas d’annulation partielle des actes de mars 2014, pour des raisons de sécurité juridique, le Tribunal déclare que les effets de la décision 2014/119 soient maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement no 208/2014. Il demande également que, en cas d’annulation partielle des actes de mars 2015, les effets de la décision 2014/119, telle que modifiée, soient maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement d’exécution 2015/357.

172    Le requérant s’oppose à la demande du Conseil.

173    Il convient de rappeler que le Tribunal, d’une part, a annulé la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, dans leur version initiale, en tant qu’ils visent le requérant, et, d’autre part, a rejeté le recours en ce qu’il est dirigé contre le règlement 2015/138 et les actes de mars 2015, en ce qu’ils concernent le requérant.

174    À cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il a été rappelé au point 133 ci-dessus, la décision 2015/364 n’est pas un simple acte confirmatif, mais constitue une décision autonome, adoptée par le Conseil au terme d’un réexamen périodique, tel que prévu à l’article 5, troisième alinéa, de la décision 2014/119. Dans ces circonstances, si l’annulation des actes de mars 2014, en ce qu’ils visent le requérant, comporte l’annulation de l’inscription du nom du requérant sur la liste pour la période antérieure à l’entrée en vigueur des actes de mars 2015, elle n’est pas, en revanche, susceptible de mettre en cause la légalité de cette même inscription pour la période postérieure à ladite entrée en vigueur.

175    Par conséquent, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la demande du Conseil visant le maintien des effets de la décision 2014/119.

 Sur les dépens

176    Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du règlement de procédure, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

177    En l’espèce, le Conseil ayant succombé en ce qui concerne la demande d’annulation formulée dans la requête, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à cette demande, conformément aux conclusions du requérant. Le requérant ayant succombé en ce qui concerne la demande d’annulation formulée dans le mémoire en adaptation des conclusions, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à cette demande, conformément aux conclusions du Conseil.

178    Par ailleurs, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République de Pologne et la Commission supporteront donc leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision 2014/119/PESC du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement (UE) no 208/2014 du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, dans leurs versions initiales, sont annulés, dans la mesure où le nom de M. Viktor Fedorovych Yanukovych a été inscrit sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives, et ce jusqu’à l’entrée en vigueur de la décision (PESC) 2015/364 du Conseil, du 5 mars 2015, modifiant la décision 2014/119, et du règlement d’exécution (UE) 2015/357 du Conseil, du 5 mars 2015, mettant en œuvre le règlement no 208/2014.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par M. Yanukovych, en ce qui concerne la demande en annulation formulée dans la requête.

4)      M. Yanukovych est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil, en ce qui concerne la demande en annulation formulée dans le mémoire en adaptation des conclusions.

5)      La République de Pologne et la Commission européenne supporteront leurs propres dépens.

Berardis

Czúcz

Pelikánová

Popescu

 

      Buttigieg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 septembre 2016.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

1.  Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2014, dans leur formulation initiale, en ce qu’ils visent le requérant

2.  Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2014, tels que modifiés par les actes de janvier et de mars 2015, en ce qu’ils visent le requérant

Sur la compétence du Tribunal pour examiner la légalité de la décision 2015/143

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir du requérant à l’égard du règlement 2015/138

Sur le fond

Sur le sixième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

Sur le premier moyen, tiré de l’absence de base légale

–  Sur l’argument principal du requérant, tiré de l’absence de proportionnalité du critère d’inscription au regard des objectifs du traité UE

–  Sur les autres arguments invoqués par le requérant

–  Conclusion sur le premier moyen

Sur le deuxième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

Sur le quatrième moyen, tiré du non-respect des critères d’inscription sur la liste

–  Sur l’argument principal du requérant

–  Sur les autres arguments soulevés par le requérant

Sur le cinquième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

Sur le septième moyen, tiré d’une violation du droit de propriété

Sur le maintien des effets de la décision 2014/119

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.