Language of document : ECLI:EU:C:2016:886

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 17 novembre 2016 (1)

Affaire C68/15

X

[demande de décision préjudicielle formée par le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle, Belgique)]

« Législation fiscale – Liberté d’établissement – Article 4, paragraphe 3, et article 5 de la directive 2011/96/UE – Directive mère-filiale – Imposition des sociétés à l’occasion de la distribution de dividendes – Notion de retenue à la source – “Fairness tax” »






I –    Introduction

1.        Dans le cadre de la présente procédure préjudicielle, il est demandé à la Cour de se prononcer sur la compatibilité avec la liberté d’établissement et la directive 2011/96/UE (2) (ci-après la « directive mère-filiale ») d’un impôt prélevé dans le Royaume de Belgique, dont les sociétés doivent s’acquitter dans certaines circonstances à l’occasion de la distribution de dividendes.

2.        Le droit fiscal belge permet aux entreprises de reporter les pertes de façon illimitée sur les périodes d’imposition ultérieures ainsi que de procéder à une déduction dite pour capital à risque (3). Selon les indications du gouvernement belge, ces mesures ont cependant eu pour conséquences que certaines entreprises ne payaient quasiment plus d’impôt alors qu’elles distribuaient des dividendes. Étant donné qu’une telle situation ne serait pas équitable vis-à-vis des autres contribuables, les effets engendrés par ces possibilités de déduction devaient être limités par la perception d’un impôt distinct dénommé fairness tax (4).

3.        L’impôt en question s’applique en substance lorsqu’une société qui distribue des dividendes a, au cours de la même période imposable, réduit effectivement son revenu imposable en procédant aux déductions précitées. Pour l’exprimer simplement, le montant imposable repose sur le montant des dividendes distribués qui dépassent le résultat imposable. Ce montant est multiplié, avant application du taux d’imposition, par un facteur dit de proportionnalité qui permet de déterminer dans quelle mesure le résultat a été réduit par l’application de la déduction des pertes et de la déduction pour capital à risques.

4.        La compatibilité de la fairness tax avec la liberté d’établissement a été mise en doute parce qu’elle frappe également les sociétés étrangères dont l’activité est exercée en Belgique au moyen d’un établissement stable plutôt qu’au moyen d’une filiale. Dès lors que l’impôt en cause présente les caractéristiques tant d’un impôt sur les sociétés que d’une retenue à la source sur les dividendes, la question se pose également de savoir s’il va à l’encontre de la directive mère-filiale (5).

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

5.        Le cadre juridique de la présente affaire est constitué de la liberté d’établissement, consacrée aux articles 49 à 55 TFUE, et de la directive mère-filiale.

6.        La directive mère-filiale s’applique, conformément à son article 1er, paragraphe 1

« a)      aux distributions de bénéfices reçus par des sociétés de cet État membre et provenant de leurs filiales d’autres États membres;

b)      aux distributions de bénéfices effectuées par des sociétés de cet État membre à des sociétés d’autres États membres dont elles sont les filiales;

[…] »

7.        L’article 4 de la même directive prévoit:

« 1.      Lorsqu’une société mère ou son établissement stable perçoit, au titre de l’association entre la société mère et sa filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de cette dernière, l’État membre de la société mère et l’État membre de son établissement stable:

a)      soit s’abstiennent d’imposer ces bénéfices dans la mesure où ces derniers ne sont pas déductibles par la filiale, et les imposent dans la mesure où ils sont déductibles par la filiale;

b)      soit les imposent tout en autorisant la société mère et l’établissement stable à déduire du montant de leur impôt la fraction de l’impôt sur les sociétés afférente à ces bénéfices et acquittée par la filiale et toute sous-filiale, à condition qu’à chaque niveau la société et sa sous-filiale relèvent des définitions de l’article 2 et respectent les exigences prévues à l’article 3, dans la limite du montant dû de l’impôt correspondant.

[…]

3.      Tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère.

Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale.

[…] »

8.        L’article 5, toujours de la directive mère-filiale, dispose:

« Les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source. »

B –    Le droit national

9.        La fairness tax a été instaurée par la loi du 30 juillet 2013 (6) dont les articles 43 à 50 ont apporté des modifications au Wetboek van de inkomstenbelastingen 1992 (Code des impôts sur les revenus de 1992, ci-après le « CIR 92 »). Conformément au paragraphe 1 de l’article 219 ter du CIR 92, introduit par cette loi, les sociétés belges sont soumises, à partir de l’exercice d’imposition 2014, à une cotisation distincte instaurée dans le cadre de l’impôt des sociétés (7).

10.      La base du calcul de cette cotisation est, conformément à l’article 219 ter, paragraphe 2, du CIR 92, constituée de la différence positive entre, d’une part, les dividendes bruts distribués pour la période imposable, et, d’autre part, le résultat imposable final qui est en fait soumis au taux d’impôt sur les sociétés. Ce montant est, conformément à l’article 219 ter, paragraphe 3, du CIR 92, réduit de la partie des dividendes distribués qui est prélevée de réserves taxées antérieurement, et au plus tard au cours de l’exercice d’imposition 2014.

11.      Le solde ainsi obtenu est multiplié, conformément à l’article 219 ter, paragraphe 4, par un coefficient (dit facteur de proportionnalité) qui consiste en une fraction exprimant le rapport entre:

–        d’une part, au numérateur, la déduction des pertes reportées effectivement opérée pour la période imposable et la déduction pour capital à risque effectivement opérée pour la même période imposable, et,

–        d’autre part, au dénominateur, le résultat fiscal de la période imposable à l’exclusion des réductions de valeur, provisions et plus-values exonérées.

12.      L’article 219 ter, paragraphe 5, du CIR 92 prévoit que la base imposable ne pourra être limitée ou réduite d’aucune autre manière.

13.      Conformément à l’article 219 ter, paragraphe 6, du CIR 92, lu conjointement avec l’article 463 bis, paragraphe 1, point 1, du même code, le taux de la cotisation est de 5,15 %.

14.      En vertu de l’article 233, troisième alinéa, du CIR 92, les entreprises étrangères qui disposent d’un établissement stable en Belgique sont également soumises à la fairness tax en cas de distribution de dividendes. Pour le calcul de la base imposable, il n’est cependant tenu compte que de la partie des dividendes bruts distribués par la société qui correspond à la partie positive du résultat comptable de l’établissement belge dans le résultat comptable global de la société.

III – Le litige au principal et la procédure devant la Cour

15.      L’objet du litige au principal est un recours formé par X NV devant la Cour constitutionnelle belge tendant à l’annulation des articles de la loi du 30 juillet 2013 par lesquels la fairness tax a été instaurée.

16.      La Cour constitutionnelle ayant des doutes sur la compatibilité de la fairness tax avec la liberté d’établissement et avec la directive mère-filiale, elle a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes le 28 janvier 2015, conformément à l’article 267 TFUE:

1.      L’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime national dans lequel:

a)      les sociétés établies dans un autre État membre et disposant d’un établissement stable en Belgique sont soumises à un impôt lorsqu’elles décident de distribuer des bénéfices qu’on ne retrouve pas dans le résultat imposable final de la société (que des bénéfices de l’établissement stable en Belgique aient afflué ou non vers la maison mère), alors que les sociétés établies dans un autre État membre et disposant d’une filiale en Belgique ne sont pas soumises à un tel impôt lorsqu’elles décident de distribuer des bénéfices qu’on ne retrouve pas dans le résultat imposable final (que la filiale ait distribué un dividende ou non);

b)      les sociétés établies dans un autre État membre et disposant d’un établissement stable en Belgique sont soumises à un impôt en cas de mise en réserve complète des bénéfices belges, lorsqu’elles décident de distribuer des bénéfices qu’on ne retrouve pas dans le résultat imposable final de la société, alors que les sociétés belges ne sont pas soumises à un tel impôt en cas de mise en réserve complète des bénéfices?

2.      L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents doit-il être interprété en ce sens qu’il y a retenue à la source lorsqu’une disposition de droit national prévoit que les distributions de bénéfices d’une filiale à sa société mère sont soumises à un impôt, étant donné que des dividendes sont distribués au cours de la même période imposable et que le résultat fiscal est diminué en tout ou en partie de la déduction pour capital à risque et/ou pertes fiscales reportées, alors que les bénéfices ne seraient pas imposables en vertu de la législation interne s’ils restaient au niveau de la filiale et n’étaient pas distribués à la société mère?

3.      L’article 4, paragraphe 3, de la directive 2011/96/UE doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime national prélevant un impôt sur la distribution de dividendes, si ce régime a pour conséquence que lorsqu’un dividende perçu est distribué par une société au cours d’une année ultérieure à celle au cours de laquelle elle l’a elle-même perçu, elle est taxée sur une partie du dividende qui dépasse le seuil prévu à l’article 4, paragraphe 3, précité, de la directive, alors que tel n’est pas le cas lorsque cette société distribue à nouveau un dividende au cours de l’année où elle le perçoit?

17.      Dans la procédure devant la Cour, des observations écrites ont été déposées par la requérante au principal, le Royaume de Belgique, la République française et la Commission européenne, qui ont également participé à l’audience du 22 juin 2016.

IV – En droit

A –    Sur la première question préjudicielle

18.      La première question du juge de renvoi porte sur la compatibilité de la fairness tax avec la liberté d’établissement, et ce sous deux aspects distincts. La première partie de la question vise les conséquences fiscales différentes qu’entraine pour une société étrangère le choix d’une forme juridique donnée pour exercer son activité en Belgique, alors que la deuxième partie de la question concerne la situation d’inégalité de traitement entre les sociétés résidentes et les sociétés étrangères qui résulte de la mise en réserve des bénéfices réalisés.

1.      L’inégalité de traitement supposée résultant du choix de la forme juridique

19.      La première partie de la question vise en substance à déterminer si la liberté d’établissement s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle les sociétés étrangères qui exploitent un établissement stable en Belgique sont soumises à un impôt à l’occasion d’une distribution de dividendes alors qu’elles n’y sont pas soumises si elles exploitent leur activité en Belgique au moyen d’une filiale.

20.      La requérante au principal considère que les modalités de prélèvement de la fairness tax entravent le libre choix par les sociétés de la forme juridique par laquelle elles exerceront leur activité en Belgique. Si une société étrangère exerce son activité par l’intermédiaire d’une filiale, elle ne sera soumise à l’impôt que de façon indirecte et dans la mesure où la filiale lui distribue des dividendes. Si par contre elle exerce son activité en Belgique au moyen d’un établissement stable, elle sera soumise à la fairness tax dès lors qu’elle procède elle-même à une distribution de dividendes. Il s’ensuit qu’une société étrangère qui dispose d’un établissement stable en Belgique sera traitée de façon moins favorable que si elle y exploite une filiale.

21.      Il convient donc d’examiner si une restriction à la liberté d’établissement résulte d’une situation dans laquelle la perception d’un impôt par un État membre entraîne un traitement différent d’une société étrangère selon qu’elle exerce son activité dans cet État membre au moyen d’un établissement stable ou au moyen d’une filiale.

22.      La liberté d’établissement est garantie aux sociétés par les articles 49 et 54 TFUE. Conformément à ces articles, les sociétés ayant leur siège dans un État membre de l’Union ont le droit d’exercer leur activité dans un autre État membre de l’Union par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (8). Les succursales correspondent du point de vue fiscal aux établissements stables (9).

23.      En outre, étant donné que l’article 49, premier alinéa, deuxième phrase, TFUE laisse expressément aux opérateurs économiques la possibilité de choisir librement la forme juridique appropriée pour l’exercice de leurs activités dans un autre État membre, ce libre choix ne doit pas être limité par des dispositions fiscales discriminatoires (10). La liberté de choix de la forme juridique appropriée pour l’exercice des activités dans un autre État membre a ainsi, notamment, pour objet de permettre aux sociétés ayant leur siège dans un État membre d’ouvrir une succursale dans un autre État membre pour y exercer leurs activités dans les mêmes conditions que celles qui s’appliquent aux filiales (11). L’État membre d’accueil ne peut invoquer le fait que la société étrangère aurait pu éviter l’inégalité de traitement en choisissant une autre forme juridique pour l’exercice de son activité dans cet État membre, comme une filiale plutôt qu’une succursale (12).

24.      Contrairement à ce que fait valoir la requérante au principal, le libre choix de la forme juridique ne doit cependant pas être compris comme une exigence autonome. C’est à bon droit que la Cour y voit simplement le reflet de l’obligation de respecter l’égalité de traitement avec les nationaux sans qu’il faille y attacher un niveau de protection qui aille au-delà(13). En effet, dès lors que les libertés fondamentales doivent être utilisées pour réaliser le marché intérieur en écartant toute entrave justement au commerce transfrontalier, il n’y a plus de place pour une obligation autonome d’adopter des dispositions fiscales neutres par rapport à la forme juridique.

25.      En conséquence, la différence de traitement fiscal qui résulte pour les sociétés étrangères de l’exercice de leur activité dans l’État membre d’accueil selon qu’elles opèrent par l’intermédiaire d’un établissement stable ou d’une filiale ne peut en soit suffire pour conclure à une restriction de la liberté d’établissement. À cet effet, il faut encore que la situation transfrontalière fasse l’objet d’un traitement défavorable par rapport à une configuration de faits comparable purement interne.

26.      Dans la présente affaire, la constatation d’une restriction de la liberté d’établissement suppose donc que la société étrangère qui exerce son activité en Belgique par l’intermédiaire d’un établissement stable soit, dans le cadre du prélèvement de la fairness tax belge, traitée de façon défavorable par rapport à une société résidente – qui peut par ailleurs être la filiale d’une société étrangère.

27.      On ne voit cependant pas en quoi il y aurait pareil traitement désavantageux.

28.      Les sociétés résidentes comme les sociétés étrangères sont soumises au même taux d’imposition dans le cadre du prélèvement de la fairness tax. Le fait générateur de la taxe est également le même dans les deux cas. Il s’agit de la distribution de dividendes dans la mesure où, dans la même période imposable, il a été procédé à des déductions de pertes reportées ou à des déductions pour capital à risque. En outre, dès lors que pour le calcul de la base imposable dans le chef de la société étrangère, il est tenu compte de la proportion que représente le résultat de l’établissement stable belge dans le résultat global de la société mère, cette façon de procéder reflète la soumission limitée de la société étrangère à l’impôt belge.

29.      Certes, la partie des dividendes distribués d’une société étrangère qui sert de base de calcul pour la fairness tax ne représente pas nécessairement exactement le bénéfice réalisé précisément par l’établissement stable belge de cette société dans le cadre de la souveraineté fiscale de la Belgique. Il en va toutefois de même pour les dividendes d’une société résidente qui exploite pour sa part des établissements stables à l’étranger. Les bénéfices de ces établissements stables ne sont en règle générale soumis à aucune imposition sur les revenus en Belgique, mais ils n’en sont pas moins contenus dans les dividendes pris en compte dans le calcul de la fairness tax de la société résidente. Sous cet angle, les modalités de calcul de l’impôt semblent plutôt même tendanciellement favoriser la société étrangère, ce qui permet d’exclure un traitement désavantageux pertinent du point de vue de la liberté d’établissement.

30.      Il en découle qu’il convient de répondre à la première partie de la première question en ce sens que la liberté d’établissement ne s’oppose pas à un régime national en vertu duquel des sociétés étrangères qui exploitent un établissement stable en Belgique sont soumises à un impôt comme la fairness tax belge à l’occasion d’une distribution de dividendes alors qu’elles n’y sont pas soumises si elles exploitent leur activité en Belgique au moyen d’une filiale.

2.      L’inégalité de traitement supposée dans la constitution de réserves

31.      Par la deuxième partie de sa première question, le juge de renvoi voudrait déterminer si la liberté d’établissement s’oppose au prélèvement de la fairness tax si la société étrangère qui exerce son activité en Belgique par l’intermédiaire d’un établissement stable y est soumise à l’occasion d’une distribution de dividendes, bien que le bénéfice de l’établissement stable ait été alloué aux réserves, tandis que les sociétés résidentes n’y sont pas soumises lorsque le bénéfice est entièrement alloué aux réserves.

32.      Dans la configuration de faits ainsi décrite, la société étrangère est traitée de façon désavantageuse par rapport à la société résidente dans la mesure où seule la première est soumise à la fairness tax. Il est toutefois évident que les deux situations ne sont pas objectivement comparables du point de vue du prélèvement de l’impôt.

33.      En effet, alors que la société résidente qui se trouve dans la situation envisagée par la question préjudicielle alloue la totalité du bénéfice aux réserves, la société étrangère procède à une distribution de dividendes. Il est évident qu’un impôt comme la fairness tax, qui n’est prélevé que lorsqu’il y a distribution de dividendes, ne peut d’emblée affecter que les sociétés qui distribuent un dividende. Dans ces circonstances, il y lieu de conclure à l’absence de restriction de la liberté d’établissement.

34.      Il convient donc de répondre à la deuxième partie de la première question préjudicielle en ce sens que la liberté d’établissement ne fait pas obstacle au prélèvement d’un impôt comme la fairness tax belge même si une société étrangère qui exerce son activité en Belgique par l’intermédiaire d’un établissement stable y est soumise à l’occasion d’une distribution de dividendes, alors que le bénéfice de l’établissement stable a été alloué aux réserves, tandis qu’une société résidentes n’y est pas soumise lorsque le bénéfice est entièrement alloué aux réserves.

B –    Sur la deuxième question préjudicielle

35.      La deuxième question du juge de renvoi vise à déterminer si le prélèvement de la fairness tax doit être considéré comme une retenue à la source au sens de l’article 5 de la directive mère-filiale.

36.      Si cette question appelle une réponse positive, l’impôt en cause est en contradiction avec cet article 5 de la directive mère-filiale, car conformément à cette disposition, les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source.

37.      La directive mère-filiale ne définit pas la notion de retenue à la source au sens de l’article 5. Selon une jurisprudence constante de la Cour, cette disposition doit cependant être interprétée en ce sens que toute imposition sur les revenus perçus dans l’État dans lequel les dividendes sont distribués et dont le fait générateur est le versement de dividendes ou de tout autre rendement des titres, est une retenue à la source sur les dividendes distribués lorsque l’assiette de cet impôt est le rendement desdits titres et que l’assujetti est le détenteur des mêmes titres (14).

38.      Il s’ensuit que trois conditions doivent être remplies pour qu’il puisse être question d’une retenue à la source au sens de l’article 5 de la directive mère-filiale. L’imposition doit être déclenchée par la distribution de dividendes, la base de l’imposition doit être liée au montant de la distribution et l’assujetti doit être le bénéficiaire de la distribution.

39.      Il n’est pas contesté entre les parties au litige au principal que la fairness tax remplit les deux premières conditions. Premièrement, l’impôt est lié à la distribution de dividendes et ne sera pas prélevé en l’absence d’une telle distribution. Deuxièmement, il est tenu compte du montant distribué dans le calcul de la base imposable. Est au reste dépourvu de pertinence à cet égard le fait que la base d’imposition de la fairness tax ait encore été modifiée par la suite. Il suffit en effet, selon la jurisprudence, que les dividendes soient compris dans cette base d’imposition (15).

40.      La troisième condition n’est par contre pas remplie, en ce que l’assujetti à la fairness tax est la société qui distribue le dividende et non le bénéficiaire de celui-ci.

41.      Certes, la Cour, dans son arrêt Athinaïki Zythopoiia (16), a, une seule fois, considéré comme une retenue à la source au sens de l’article 5 de la directive mère-filiale une imposition dans le chef de la filiale, et s’est ainsi orientée vers une approche économique fondée sur l’effet de l’imposition de la filiale sur la société mère (17). Dans les autres cas cependant, la jurisprudence relative à cette disposition fait constamment référence à la condition de l’assujettissement de la société qui distribue le dividende (18). C’est donc à bon droit que la Cour, dans son arrêt Burda (19), a précisé expressément que l’existence d’une retenue à la source au sens de l’article 5 continue à supposer que l’assujetti soit le détenteur des titres représentatifs de la participation dans la société qui distribue le dividende (20).

42.      En effet, la première imposition des revenus d’une filiale n’est pas couverte par la directive mère-filiale (21). L’interdiction d’une retenue à la source prévue à l’article 5 ne s’étend pas au paiement par la filiale de l’impôt grevant les revenus générés par son activité économique, même si cet impôt n’est prélevé qu’à l’occasion de la distribution des bénéfices (22). C’est ce que confirme l’article 7, paragraphe 1, de la directive, qui prévoit expressément que la notion de retenue à la source ne comprend pas le paiement anticipé de l’impôt sur les sociétés de la filiale. Il doit en aller de même s’agissant de la fairness tax, qui a pour effet, dans certaines conditions, que le revenu d’une société est soumis à une imposition supplémentaire.

43.      On ne peut donc pas non plus suivre la requérante au principal lorsqu’elle fait valoir que l’assujetti, du point de vue de la fairness tax, n’est que formellement la société qui distribue les dividendes, et que c’est le titulaire de la participation qui l’est en réalité, en ce que du fait de l’impôt à acquitter, le dividende distribué est réduit. En fait, toute imposition des revenus d’une société implique nécessairement que le montant des dividendes qui pourra être distribué au titulaire de la participation sera réduit à due concurrence.

44.      Il convient donc de répondre à la deuxième question préjudicielle en ce sens que le prélèvement d’un impôt comme la fairness tax belge ne peut être considéré comme une retenue à la source au sens de l’article 5 de la directive mère-filiale.

C –    Sur la troisième question préjudicielle

45.      Le juge de renvoi voudrait enfin déterminer, par sa troisième question, si l’article 4, paragraphe 3, de la directive mères-filiales s’oppose au prélèvement de la fairness tax, si celui-ci a pour conséquence que lorsqu’un dividende perçu est distribué par une société au cours d’une année ultérieure à celle au cours de laquelle elle l’a elle-même perçu, elle est taxée sur une partie du dividende qui dépasse le seuil prévu par cette disposition.

46.      La question préjudicielle vise une configuration de faits dans laquelle une société établie en Belgique reçoit elle-même des dividendes, comme maillon intermédiaire d’une chaîne de distribution de dividendes, et les (re)distribuent ensuite à son tour. La question repose en outre sur la prémisse que ces dividendes, dans la mesure où ils sont (re)distribués plus tard que dans l’année au cours de laquelle ils ont été perçus, seront soumis à une charge fiscale plus élevée que celle qu’autorise l’article 4, paragraphe 3, de la directive mère-filiale.

47.      L’article 4, paragraphe 3, de la directive mère-filiale autorise les États membres à prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale.

48.      Selon les indications du juge de renvoi, le législateur belge, en transposant l’article 4, paragraphe 3, de la directive mère-filiale, a adopté un régime selon lequel la déduction des dividendes sur le bénéfice de la société mère est permise à concurrence de 95 %, lorsqu’il est satisfait aux conditions prévues par la loi. Les 5 % restant sont donc soumis à l’impôt sur les revenus des sociétés.

49.      Les parties ne sont pas d’accord entre elles sur la question de savoir dans quelles circonstances les dividendes perçus peuvent effectivement faire l’objet d’une imposition supplémentaire en cas de redistribution de ces dividendes. Il se déduit toutefois même des observations du gouvernement belge qu’il se peut qu’une telle imposition supplémentaire intervienne. La cause de cette imposition supplémentaire peut être décelée dans le fait que le point de départ du calcul de la base d’imposition de la fairness tax est le dividende brut distribué dans une période d’imposition donnée. Il n’est fait aucune distinction selon que ladite base imposable couvre ou non des dividendes que la société qui les distribue a elle-même perçus.

50.      Pour le gouvernement belge, les exigences de l’article 4, paragraphe 3, de la directive mère-filiale n’en sont pas moins respectées. L’article 4, paragraphe 1, de la directive prévoit une exonération ou une déduction pour les dividendes perçus, mais il se déduit du libellé de cette disposition que cette obligation ne concerne que ces dividendes-là. Elle ne s’impose donc plus en cas de redistribution ultérieure. Il en va de même de l’article 4, paragraphe 3.

51.      Cette argumentation ne peut être suivie. Une telle interprétation irait à l’encontre de l’économie et de la finalité de la directive mère-filiale et porterait atteinte à son effet utile.

52.      Par ses articles 4 et 5, la directive mère-filiale consacre un choix fondamental quant à l’attribution de la compétence d’imposition. Le principe veut que ce soit l’État membre de la filiale qui dispose du droit d’imposer ses bénéfices. Ce choix assure la neutralité fiscale des distributions de dividendes qui rentrent dans le champ d’application de la directive mère-filiale (23). Il doit en aller de même pour les chaînes de participations, puisqu’il convient aussi d’éviter la double ou multiple imposition lorsqu’il y a distribution de dividendes à la société mère au travers d’une chaînes de sociétés filiales (24).

53.      Il en découle que n’est pas compatible avec la directive mère-filiale une situation dans laquelle les bénéfices d’une société sont soumis, dans le chef d’une société qui se trouve à un niveau plus élevé dans la chaîne des participations, à une imposition d’un montant plus élevé que celui qu’autorise l’article 4 de la directive. Est par ailleurs dépourvue de pertinence la question de savoir si l’impôt est prélevé à l’occasion de la perception des dividendes ou à l’occasion de la redistribution. Toute autre interprétation aurait pour effet qu’un État membre pourrait contourner ses obligations au titre de la directive en modifiant la technique de perception de l’imposition. Sans préjudice de ces considérations, les autres conditions pour que la directive soit applicable conformément à ses articles 1er à 3 doivent, pour chaque distribution de dividendes, être remplies.

54.      L’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation (25), qu’on fait valoir la Belgique et la France, ne change rien à cette conclusion. Cet arrêt concerne le cas spécifique d’un système de paiement anticipé de l’impôt des sociétés dont les sociétés résidentes devaient s’acquitter lorsqu’elles distribuaient à leur tour des dividendes provenant d’une filiale étrangère. À cet égard, la Cour a considéré que l’article 4, paragraphe 1, de la directive mère-filiale ne comporte pas l’obligation pour un État membre de garantir que le montant devant être payé par anticipation soit, en toutes circonstances, déterminé en fonction de l’impôt sur les sociétés acquitté par la filiale dans son État de résidence (26). On ne peut cependant tirer de cet arrêt la conclusion selon laquelle la directive ne trouverait pas à s’appliquer en cas de redistribution des dividendes perçus.

55.      Il convient donc de répondre à la troisième question préjudicielle en ce sens que l’article 4, paragraphe 3, de la directive mère filiale s’oppose au prélèvement d’un impôt si ce prélèvement a pour conséquence qu’une société est soumise à une charge fiscale qui dépasse le seuil prévu à l’article 4, paragraphe 3, de la directive lorsqu’elle procède, dans le champ d’application de la même directive, à une distribution de dividendes que la société a elle-même perçus et qu’elle redistribue.

V –    Conclusion

56.      En conclusion, nous proposons donc à la Cour de répondre de la façon suivante aux questions posées par le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle, Belgique):

1.      L’article 49 TFUE lu en combinaison avec l’article 54 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à un régime d’un État membre dans lequel:

a)      les sociétés étrangères qui disposent d’un établissement stable qui réalise des bénéfices dans cet État membre sont soumises dans certaines conditions à un impôt à l’occasion de la distribution de dividendes, alors que les sociétés étrangères qui dispose d’une filiale dans cet État membre ne sont pas soumises à un tel impôt;

b)      les sociétés étrangères qui disposent d’un établissement stable qui réalise des bénéfices dans cet État membre sont soumises dans certaines conditions à un impôt à l’occasion de la distribution de dividendes, en cas de mise en réserve complète des bénéfices réalisés dans ce même État membre, alors que les sociétés résidentes ne sont pas soumises à un tel impôt en cas de mise en réserve complète des bénéfices.

2)      Un régime national en vertu duquel les sociétés sont soumises à un impôt sur les revenus supplémentaire à l’occasion de la distribution de dividendes n’instaure pas une retenue à la source au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2011/96/UE.

3)      L’article 4, paragraphe 3, de la directive 2011/96/UE s’oppose à un régime national qui a pour conséquence qu’une société est soumise à une charge fiscale qui dépasse le seuil prévu à l’article 4, paragraphe 3, de la directive lorsqu’elle procède , dans le champ d’application de la même directive, à une distribution de dividendes que la société a elle-même perçus et qu’elle redistribue.


1      Langue originale: l’allemand.


2      Directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO 2011, L 345, p. 8) dans la version modifiée par la directive (UE) 2015/121 du Conseil du 27 janvier 2015 (JO 2015, L 21, p. 1).


3      Ladite déduction permet à une entreprise de déduire de l’assiette de l’impôt sur les revenus de l’entreprise des intérêts fictifs représentant la rémunération des capitaux propres de l’entreprise. La Cour a déjà examiné cette déduction dans son arrêt Argenta Spaarbank (C‑350/11, EU:C:2013:447).


4      Voir l’exposé du ministre compétent repris dans le rapport de la Commission des affaires sociales de la Chambre des représentants (Doc. Parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-2891/007, p. 38).


5      Une affaire concernant un impôt prélevé en France, qui présente structurellement des similitudes avec la fairness tax belge, est par ailleurs pendante devant la Cour; voir Association française des entreprises privées e.a. (C‑365/16).


6      Loi du 30 juillet 2013 portant des dispositions diverses (Wet van 30 juli 2013 houdende diverse bepalingen), publiée au Moniteur belge du 1er août 2013.


7      On entend par impôt des sociétés, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, point 2, du CIR 92, l’impôt sur le revenu global des sociétés établies en Belgique.


8      Voir notamment les arrêts Commission/France (270/83, EU:C:1986:37, point 18) Saint-Gobain ZN (C‑307/97, EU:C:1999:438, point 35), X Holding (C‑337/08, EU:C:2010:89, point 17) et Philips Electronics UK (C‑18/11, EU:C:2012:532, point 12)


9      Voir l’article 5, point 1, sous b), de la proposition de la Commission européenne de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) du 3 octobre 2011 [COM(2011) 121 final].


10      Voir notamment les arrêts Commission/France (270/83, EU:C:1986:37, point 22), CLT-UFA (C‑253/03, EU:C:2006:129, point 14), Oy AA (C‑231/05, EU:C:2007:439, point 40) et Philips Electronics UK (C‑18/11, EU:C:2012:532, point 13), ainsi que l’ordonnance KBC Bank et Beleggen, Risicokapitaal, Beheer (C‑439/07 et C‑499/07, EU:C:2009:339, point 77).


11      Voir notamment les arrêts CLT-UFA (C‑253/03, EU:C:2006:129, point 15) et Philips Electronics UK (C‑18/11, EU:C:2012:532, point 14).


12      Voir arrêt Oy AA (C‑231/05, EU:C:2007:439, point 40).


13      Voir les arrêts Commission/France (270/83, EU:C:1986:37, point 15) et Saint-Gobain ZN (C‑307/97, EU:C:1999:438, point 44), dans lesquels la Cour a admis à cet égard une seule et même violation de la liberté d’établissement. Voir également l’arrêt Philips Electronics UK (C‑18/11, EU:C:2012:532, points 13 à 15). Certes, la Cour, dans son arrêt CLT-UFA (C‑253/03, EU:C:2006:129), s’est bornée à examiner l’aspect de la restriction de la liberté de choix de la forme juridique, mais cela ne change toutefois rien au fait que cette affaire concernait en substance également le traitement défavorable d’une situation factuelle transfrontalière par comparaison avec une situation factuelle interne.


14      Voir les arrêts Epson Europe (C‑375/98, EU:C:2000:302, point 23), Océ van der Grinten (C‑58/01, EU:C:2003:495, point 47), Test Claimants in the FII Group Litigation (C‑446/04, EU:C:2006:774, point 108), Burda (C‑284/06, EU:C:2008:365, point 52), et P. Ferrero e C. et General Beverage Europe (C‑338/08 et C‑339/08, EU:C:2010:364, point 26).


15      Arrêt Océ van der Grinten (C‑58/01, EU:C:2003:495, point 52).


16      C‑294/99, EU:C:2001:505.


17      Arrêt Athinaïki Zythopoiïa (C‑294/99, EU:C:2001:505, point 29) et point 32 des conclusions de l’avocat général Alber dans la même affaire (EU:C:2001:263).


18      Voir les arrêts Epson Europe (C‑375/98, EU:C:2000:302, point 23), Océ van der Grinten (C‑58/01, EU:C:2003:495, point 47), Test Claimants in the FII Group Litigation (C‑446/04, EU:C:2006:774, point 108), Burda (C‑284/06, EU:C:2008:365, point 52) et P. Ferrero et General Beverage Europe (C‑338/08 et C‑339/08, EU:C:2010:364, point 26).


19      C‑284/06, EU:C:2008:365.


20      Arrêt Burda (C‑284/06, EU:C:2008:365, points 61 et s.).


21      Arrêts Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (C‑374/04, EU:C:2006:773, points 60) et Oy AA (C‑231/05, EU:C:2007:439, point 27).


22      Conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Burda (C‑284/06, EU:C:2008:60, point 55).


23      Voir les arrêts Banque Fédérative du Crédit Mutuel (C‑27/07, EU:C:2008:195, point 24) et arrêt Cobelfret (C‑138/07, EU:C:2009:82, point 29), ainsi que le point 8 des considérants de la directive mère-filiale.


24      Voir le onzième considérant de la directive mère-filiale.


25      C‑446/04, EU:C:2006:774.


26      Voir arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation (C‑446/04, EU:C:2006:774, point 105).