Language of document : ECLI:EU:C:2017:507

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 29 juin 2017 (1)

Affaire C303/16

Solar Electric Martinique SARL

contre

Ministre des Finances et des Comptes publics

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

« Renvoi préjudiciel – Compétence de la Cour – Dispositions du droit de l’Union rendues applicables de manière directe et inconditionnelle par le droit national – TVA – Départements d’outre-mer – Travaux immobiliers – Notion – Opérations de vente et d’installation sur des immeubles – Panneaux photovoltaïques – Chauffe-eau solaires – Qualification d’“opération unique” »






I.      Introduction

1.        La présente demande de décision préjudicielle, déférée par le Conseil d’État (France), porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 5, et de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (2), telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (3) (ci-après la « sixième directive »), ainsi que de l’article 14, paragraphe 3, et de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (4) (ci-après la « directive TVA »), qui a remplacé, à compter du 1er janvier 2007, la sixième directive.

2.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Solar Electric Martinique SARL au ministre des Finances et des Comptes publics (France) au sujet des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) auxquels cette société a été assujettie au titre de la période allant du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007.

3.        Du point de vue du fond, la présente affaire porte, en substance, sur la question de savoir si la livraison et l’installation de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau solaires sur la toiture d’un bâtiment ou en vue d’alimenter ce dernier en électricité ou en eau chaude s’analysent en une opération complexe unique ou en plusieurs opérations dissociables aux fins de la TVA. Cette question trouve son origine dans le régime de TVA différent de la livraison, d’une part, et de l’installation, d’autre part, des équipements en question. Tandis que la livraison de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau solaires dans les départements d’outre-mer français bénéficie d’un régime spécial d’exonération, l’installation de ces équipements pourrait relever, selon le droit français, de l’expression « travaux immobiliers », visée à l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive et reprise à l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA, travaux qui sont considérés comme des prestations de services et soumis à un taux de TVA de 8,5 %.

4.        La résolution de cette problématique implique toutefois que soit tranchée au préalable la question de la compétence de la Cour pour répondre à la demande adressée par la juridiction de renvoi. En effet, le litige au principal se déroule en Martinique, à savoir dans l’un des départements d’outre-mer de la République française, départements qui, en vertu de l’article 3, paragraphe 3, de la sixième directive et de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, sont explicitement exclus du champ d’application respectif desdites directives.

5.        Or, pour les raisons qui seront explicitées ultérieurement, j’estime que la Cour devrait se déclarer incompétente pour répondre à la question déférée par le Conseil d’État.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

6.        Selon l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive, sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.

7.        L’article 3 de la sixième directive, intitulé « Territorialité », prévoit, à son paragraphe 3, que les départements d’outre-mer de la République française sont exclus de l’intérieur de cet État membre et sont donc exclus du champ d’application de cette directive.

8.        L’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive définit la livraison d’un bien comme étant le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

9.        L’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive prévoit que les États membres peuvent considérer comme une livraison, au sens du paragraphe 1, la délivrance de certains travaux immobiliers.

10.      Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive, est considérée comme une prestation de services toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien au sens de l’article 5.

11.      L’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive TVA dispose que, à chaque opération, la TVA, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.

12.      Conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), la directive TVA ne s’applique pas aux départements français d’outre-mer.

13.      L’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA est formulé de la même manière que l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive. Conformément à l’article 24, paragraphe 1, de la directive TVA, est considérée comme « prestation de services » toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens.

B.      Le droit français

14.      En vertu de l’article 256, point IV, paragraphe 1, du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en cause dans le litige au principal (ci-après le « CGI »), « les travaux immobiliers […] sont considérés comme des prestations de services » soumises a' la TVA.

15.      Aux termes de l’article 266, paragraphe 1, sous f), du même code, la base d’imposition est constituée, pour les travaux immobiliers, par le montant des marchés, mémoires ou factures.

16.      L’article 268 bis du CGI prévoit que, lorsqu’une personne effectue concurremment des opérations se rapportant a' plusieurs des catégories prévues aux articles du présent chapitre, son chiffre d’affaires est déterminé en appliquant a' chacun des groupes d’opérations les règles fixées par ces articles.

17.      L’article 295 du CGI énonce :

« 1.      Sont exonérés de la [TVA] :

[...]

5°Dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion :

a)      Les importations de [...] produits dont la liste est fixée par arrêtés conjoints du ministre de l’[É]conomie et des [F]inances et du ministre chargé des départements d’outre-mer ;

b)      Les ventes [...] des produits de fabrication locale analogues a' ceux dont l’importation dans les départements susvisés est exemptée en vertu des dispositions qui précèdent ; [...] »

18.      L’article 50 duodecies, point I, de l’annexe IV du CGI mentionne, parmi les produits dont l’importation dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion peut avoir lieu en franchise de TVA, les « dispositifs photosensibles a' semi-conducteur, y compris les cellules photovoltaïques même assemblées en modules ou constituées en panneaux ».

III. Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

19.      Solar Electric Martinique a, notamment, pour activité la vente et l’installation d’équipements liés a' l’énergie solaire dans le département de la Martinique. Du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007, cette société a soumis a' la TVA, au taux de 8,5 %, les opérations d’installation sur le toit d’immeubles d’habitation de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau solaires qu’a' concurrence du coût des prestations d’installation. Elle a, en effet, considéré que la livraison de ces équipements bénéficiait de l’exonération prévue à l’article 295 du CGI et de l’article 50 duodecies, point I, de l’annexe IV de ce code.

20.      À la suite d’une vérification, l’administration fiscale a considéré que les opérations d’installation de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau solaires avaient le caractère de travaux immobiliers et devaient, par conséquent, inclure le coût de la livraison de ces équipements. Cette administration a donc rectifié l’assiette imposable de ces opérations sur la base de l’article 266 du CGI.

21.      Le 21 septembre 2010, Solar Electric Martinique a introduit devant le tribunal administratif de Fort-de-France (France) un recours tendant à la décharge des rappels de TVA émis par l’administration fiscale.

22.      Ce recours, ainsi que l’appel qui s’ensuivit, ayant été tous deux rejetés, Solar Electric Martinique s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État. Cette société fait valoir, notamment, que les juges du fond ont commis une erreur de droit en considérant que les travaux d’installation de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau solaires qu’elle avait réalisés constituaient une opération unique ayant le caractère de travaux immobiliers, alors que ces équipements peuvent être posés sans occasionner de graves dommages a' l’immeuble concerné, et qu’ils n’accompagnent normalement pas l’édification de bâtiments.

23.      La juridiction de renvoi expose que les opérations de vente et d’installation d’équipements mentionnées a' l’article 295 du CGI et à l’article 50 duodecies, point I, de l’annexe IV de ce code ne sont imposées a' la TVA qu’a' concurrence du coût des opérations d’installation, a' l’exclusion du coût d’acquisition des équipements, sauf a' considérer que ces opérations d’installation ont le caractère de prestations de travaux immobiliers, auquel cas ces opérations sont soumises a' la TVA a' concurrence de l’ensemble du prix facturé au preneur.

24.      Cette juridiction précise que, si l’article 295 du CGI ne s’applique que dans les départements d’outre-mer, soit en dehors du champ d’application territorial de la sixième directive, les dispositions de l’article 256 de ce code relatives aux travaux immobiliers s’appliquent également en France métropolitaine et assurent la transposition en droit français de l’article 5, paragraphe 5, et de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive, dont les dispositions ont été reprises à l’article 14, paragraphe 3, et à l’article 24, paragraphe 1, de la directive TVA.

25.      Selon la juridiction de renvoi, il y a lieu de rechercher une application uniforme des dispositions de ces directives au sein de l’Union européenne. Dès lors, bien que le litige qu’elle doit trancher concerne des opérations réalisées en dehors du champ d’application territorial de ces directives, se pose la question de savoir si la vente et l’installation de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau solaires sur des immeubles ou en vue d’alimenter des immeubles en électricité ou en eau chaude constituent une opération unique ayant le caractère de travaux immobiliers, au sens desdites directives.

26.      C’est dans ces conditions que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« [L]a vente et l’installation de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau solaires sur des immeubles ou en vue d’alimenter des immeubles en électricité ou en eau chaude constituent[-elles] une opération unique ayant le caractère de travaux immobiliers au sens de l’article 5, paragraphe 5, et de l’article 6, paragraphe l , de la [sixième directive], devenus l’article 14, paragraphe 3, et l’article 24, paragraphe 1, de la directive [TVA] ? »

27.      Cette question a fait l’objet d’observations écrites de la part du gouvernement français et de la Commission européenne. Ces parties intéressées ainsi que Solar Electric Martinique ont été entendues en leurs plaidoiries lors de l’audience du 9 février 2017.

IV.    Analyse

28.      Comme je vais le développer dans les présentes conclusions, je considère, à titre principal, que la Cour est incompétente pour répondre à la question qui lui a été déférée. Ce n’est donc qu’à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour ne devrait pas faire sienne cette proposition, que j’analyserai, sur le fond, la question posée par la juridiction de renvoi.

A.      À titre principal, sur l’incompétence de la Cour pour répondre à la question déférée

29.      Ainsi que l’admet la juridiction de renvoi et comme je l’ai mis en exergue dans mes propos introductifs, les faits à l’origine de la présente affaire se déroulent exclusivement en Martinique, à savoir dans l’un des départements d’outre-mer de la République française, départements qui sont expressément exclus du champ d’application territorial de la sixième directive et de la directive TVA. Le litige au principal se situe donc en dehors du champ d’application des dispositions pertinentes du droit de l’Union.

30.      Il est vrai que la Cour s’est régulièrement déclarée compétente pour statuer sur les demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application du droit de l’Union, mais dans lesquelles lesdites dispositions de ce droit avaient été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci (5).

31.      Dans ce contexte, la Cour a précisé, dans sa jurisprudence récente, qu’une interprétation, par elle, des dispositions du droit de l’Union dans des situations ne relevant pas du champ d’application de celui-ci se justifie lorsque ces dispositions ont été rendues applicables à de telles situations par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique à ces situations et à celles qui relèvent du champ d’application du droit de l’Union (6).

32.      Pour déterminer si elle est compétente pour répondre à la question soulevée devant elle, la Cour est donc amenée à vérifier s’il existe des indications suffisamment précises lui permettant de constater que le droit national a effectué un tel renvoi direct et inconditionnel au droit de l’Union (7).

33.      Certes, la jurisprudence actuelle de la Cour se révèle particulièrement fluctuante quant à l’origine des indications suffisamment précises qui doivent lui être apportées. En effet, la Cour se montre tantôt intransigeante, en exigeant de la seule juridiction de renvoi de telles indications, à défaut de quoi elle déclare qu’il n’y a pas lieu de répondre à la question qui lui a été déférée (8), tantôt plus conciliante, en accueillant pour se déclarer compétente malgré les lacunes de la demande de décision préjudicielle, les explications fournies par les parties intéressées, en particulier celles des gouvernements intervenants, dans le cadre de la procédure devant la Cour, y compris lorsqu’elles ont lieu uniquement lors de l’audience devant cette dernière (9).

34.      Il n’en demeure pas moins que la Cour exige d’être en possession d’éléments suffisamment précis établissant le renvoi direct et inconditionnel par le droit national aux dispositions ou aux principes du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée (10), particulièrement dans le cas de situations qui sont explicitement exclues du champ d’application du droit de l’Union par le législateur de l’Union (11).

35.      Dans la présente affaire, malgré le constat selon lequel les opérations en cause dans le litige au principal se situent en dehors du champ d’application de la sixième directive et de la directive TVA et que l’article 295 du CGI ne s’applique qu’aux départements d’outre-mer, la juridiction de renvoi considère que l’article 256 du CGI, relatif aux « travaux immobiliers », assure la transposition en droit national des dispositions pertinentes desdites directives et qu’il y a donc lieu, puisque cet article s’applique aussi au territoire métropolitain de la France, de rechercher une application uniforme des dispositions de ces directives au sein de l’Union.

36.      Ces explications n’emportent pas ma conviction.

37.      Je relève tout d’abord que la demande de décision préjudicielle a précisément été adressée parce qu’il existe, en ce qui concerne les départements d’outre-mer auxquels la sixième directive et la directive TVA ne s’appliquent pas, des dispositions spéciales, à savoir l’article 295 du CGI ainsi que l’article 50 duodecies, point I, de l’annexe IV de ce code, prévoyant l’exonération de la livraison de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau solaires.

38.      C’est dans le contexte de cette exonération qu’il importe à la juridiction de renvoi d’établir si les deux opérations que constituent la livraison, d’une part, et l’installation des panneaux photovoltaïques ainsi que de chauffe-eau solaires, d’autre part, doivent être considérées comme distinctes et indépendantes, auquel cas la TVA devrait être acquittée uniquement en ce qui concerne l’opération d’installation, la livraison étant exonérée. En revanche, si ces deux opérations doivent être considérées comme constituant une opération unique qui, selon la juridiction de renvoi, ne pourrait être qualifiée en tant que telle que si l’opération d’installation des équipements en cause est qualifiée de « travaux immobiliers », l’imposition portera également sur la livraison desdits équipements.

39.      Or, il est évident que l’article 295 du CGI ne procède à aucun renvoi direct et inconditionnel aux dispositions de la sixième directive et de la directive TVA. En effet, cet article accorde un régime d’exonération spécifique aux livraisons de biens qui se réalisent dans les départements d’outre-mer, exclus du champ d’application desdites directives, régime qui n’est pas prévu par ces directives.

40.      Ensuite, s’agissant de la problématique liée à la notion de « travaux immobiliers », il importe de rappeler que l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive, qui est devenu l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA, accorde aux États membres la faculté de considérer comme une livraison de biens la délivrance de certains travaux immobiliers.

41.      Or, ainsi que la Commission l’a fait remarquer dans ses observations, il résulte de l’article 256, point IV, paragraphe 1, du CGI que les travaux immobiliers sont considérés non pas comme des livraisons de biens, mais comme des prestations de services, ce qui signifie que la République française ne s’est pas prévalue de la faculté qui lui était offerte par l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive, puis par l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA, comme l’a confirmé le gouvernement français en réponse aux questions posées par la Cour. Dans ces conditions, il ne saurait assurément être considéré que l’article 256, point IV, paragraphe 1, du CGI constitue un renvoi direct et inconditionnel aux dispositions susmentionnées desdites directives.

42.      Certes, à défaut pour la France d’avoir exercé la faculté offerte par l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive et par l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA, les travaux immobiliers visés à l’article 256, point IV, paragraphe 1, du CGI relèvent, a contrario et implicitement, de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive et de l’article 24, paragraphe 1, de la directive TVA, qui précisent tous deux, sans référence à la notion de « travaux immobiliers », qu’est considérée comme « prestation de services » toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens (12).

43.      Toutefois, ce raisonnement a contrario et implicite n’équivaut aucunement à un renvoi direct et inconditionnel par l’article 256, point IV, paragraphe 1, du CGI auxdites dispositions de ces directives. Au contraire, l’article 256, point IV, paragraphe 1, du CGI est, selon moi, la manifestation du refus de la France d’exercer l’option accordée par l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive et par l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA tant dans le cadre du champ d’application territorial desdites directives qu’en dehors de ce champ d’application.

44.      Comme la Commission l’a fait remarquer à juste titre, si la France avait exercé l’option prévue à l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive (et à l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA) en qualifiant les travaux immobiliers de livraisons de biens, la question préjudicielle ne serait pas posée puisque, en vertu du régime spécifique applicable aux départements d’outre-mer sur le fondement de l’article 295 du CGI, l’installation de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau solaires, qualifiée de travaux immobiliers par la juridiction de renvoi, aurait été exonérée, en tant que telle, comme la livraison et l’importation de ces équipements dans lesdits départements.

45.      En définitive, la question préjudicielle posée est le résultat combiné, d’une part, du refus, par la France, d’exercer l’option prévue à l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive (et à l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA) et, d’autre part, de l’application d’une exonération au profit des départements d’outre-mer français, qui ne peut être prévue par le droit français qu’au motif que ces départements sont eux-mêmes expressément exclus du champ d’application desdites directives (13).

46.      Il s’ensuit que la Cour ne dispose pas, à l’évidence, d’éléments lui permettant de constater que le droit français opère un renvoi direct et inconditionnel aux dispositions de la sixième directive et de la directive TVA dont l’interprétation est sollicitée par la juridiction de renvoi.

47.      Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argument, exposé par la juridiction de renvoi, selon lequel il existerait un intérêt à donner une interprétation uniforme de l’expression « travaux immobiliers » visée à l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive et à l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA.

48.      En effet, à supposer même que l’interprétation de cette expression soit véritablement essentielle pour trancher le litige au principal (14), comme l’a précisé la Cour dans l’arrêt du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638, point 55), si le législateur de l’Union mentionne de manière univoque que l’acte qu’il a adopté ne s’applique pas à un domaine précis, il renonce, à tout le moins jusqu’à l’adoption de nouvelles règles éventuelles de l’Union, à l’objectif visant à une interprétation et à une application uniformes des règles de droit dans ce domaine exclu.

49.      Ce qui était valable dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638, point 55), qui concernait un cas d’exclusion explicite du champ d’application ratione materiae d’une directive, l’est tout autant, à mon sens, lorsque la situation concerne un cas d’exclusion explicite ratione loci du champ d’application de la sixième directive et de la directive TVA.

50.      Bien qu’elle puisse apparaître relativement stricte au regard de l’esprit de coopération qui préside à la procédure prévue à l’article 267 TFUE, cette jurisprudence repose essentiellement sur le respect de la répartition des compétences entre le législateur et les juridictions de l’Union. Ainsi, la circonstance que la TVA s’applique dans les départements d’outre-mer français ne signifie aucunement que la Cour soit habilitée, par la simple volonté, aussi sincère soit-elle, d’une juridiction nationale, à interpréter les notions du droit de l’Union contenues dans la sixième directive et la directive TVA dans une situation où le législateur de l’Union a explicitement exclu du champ d’application desdites directives ces départements et où, de plus, aucun élément ne permet à la Cour de s’assurer que le droit français opère un renvoi direct et inconditionnel aux dispositions de ces actes dont l’interprétation est sollicitée par la juridiction de renvoi. Si la Cour devait répondre à toute question préjudicielle portant sur la TVA au seul prétexte que cette taxe s’applique dans les départements d’outre-mer, elle irait à l’encontre du choix explicite du législateur de l’Union d’exclure ces départements du champ d’application du système commun de TVA établi par la sixième directive et la directive TVA.

51.      Le fait que la demande de décision préjudicielle émane d’une juridiction de dernier ressort ne modifie pas non plus cette analyse. La Cour a, en effet, déjà refusé de répondre aux questions déférées par des juridictions dont les décisions étaient insusceptibles de recours juridictionnel de droit interne, en application de la jurisprudence initiée par les arrêts du 21 décembre 2011, Cicala (C‑482/10, EU:C:2011:868), et du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638) (15).

52.      Dans ces conditions, je propose à la Cour de se déclarer incompétente pour répondre à la question préjudicielle adressée par la juridiction de renvoi.

53.      Partant, comme je l’ai déjà précisé, ce n’est qu’à titre subsidiaire que j’examinerai la question posée.

B.      À titre subsidiaire, sur l’existence d’une opération unique (ayant le caractère de « travaux immobiliers ») ou de plusieurs opérations dissociables

54.      Comme je l’ai déjà mis en exergue, la juridiction de renvoi se demande, en substance, si les opérations de fourniture de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau solaires, d’une part, et d’installation de ces équipements sur la toiture d’un bâtiment ou en vue d’alimenter ce dernier en électricité ou en eau chaude, d’autre part, constituent une opération complexe unique composée de plusieurs éléments ou si elles doivent être considérées comme entièrement dissociables.

55.      Il ressort du dossier que, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État (16), le caractère unique des opérations ne pourrait être retenu que si l’installation des équipements en cause est qualifiée de travaux immobiliers, c’est-à-dire qu’elle concoure directement à l’édification d’un bâtiment.

56.      S’agissant du caractère unique ou distinct des opérations en question, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour applicable tant sous l’empire de la sixième directive que sous celui de la directive TVA, aux fins de la TVA, chaque opération doit normalement être considérée comme distincte et indépendante (17).

57.      Cette règle de principe souffre deux exceptions.

58.      En premier lieu, il existe une opération unique lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel (18).

59.      En second lieu, l’existence d’une opération unique doit également être constatée lorsqu’une prestation constitue une prestation principale, tandis que la ou les autres prestations constituent une ou plusieurs prestations accessoires qui partagent donc le sort fiscal de la première prestation. En particulier, une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu’elle constitue pour la clientèle non pas une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire (19).

60.      Il résulte aussi de la jurisprudence de la Cour que, afin de déterminer si les prestations fournies constituent une prestation unique aux fins de la TVA, il importe de rechercher les éléments caractéristiques de l’opération concernée (20), étant entendu que, dans le cadre de la coopération instituée en vertu de l’article 267 TFUE, il incombe aux juridictions nationales de déterminer si l’assujetti fournit une ou plusieurs prestations dans une espèce particulière et de porter toutes les appréciations définitives à cet égard, la Cour leur apportant les éléments d’interprétation du droit de l’Union utiles au jugement de l’affaire dont elles sont saisies (21).

61.      Dans la présente affaire, en dépit du peu d’informations transmises par la juridiction de renvoi, il est constant que les contrats conclus par Solar Electric Martinique avec ses clients concernent à la fois la livraison de biens corporels et l’installation de ces biens en vue de leur utilisation pour la production d’électricité ou l’alimentation en eau chaude soit pour l’immeuble sur lequel ces équipements sont installés, soit pour la revente (22).

62.      Ce constat conduit le gouvernement français, dans le prolongement de l’arrêt du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2007:195), à qualifier les deux opérations de prestation unique complexe. En effet, selon ce gouvernement, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt Aktiebolaget NN, l’installation des équipements livrés apparaît nécessaire pour la réalisation de l’objet des contrats conclus par Solar Electric Martinique, la seule livraison des panneaux photovoltaïques et des chauffe-eau solaires ne permettant pas leur utilisation.

63.      La lecture de l’arrêt du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2007:195), à laquelle procède le gouvernement français, me paraît quelque peu simpliste.

64.      Je rappelle que, dans cette affaire, la Cour était notamment interrogée sur la question de savoir si la fourniture et la pose d’un câble sous-marin à fibres optiques devaient être considérées comme formant une opération unique au regard de la TVA, ce que, au demeurant, la juridiction nationale et l’ensemble des parties ayant déposé des observations soutenaient. La Cour a souscrit à la thèse défendue par cette juridiction et ces parties, en précisant, aux points 24 et 25 de son arrêt, que le contrat en question avait pour objet la cession, après l’achèvement de l’installation et la réalisation d’essais de mise en service, d’un câble posé et en état de fonctionnement, ce qui permettait de conclure que tous les éléments composant l’opération en cause au principal apparaissaient nécessaires pour sa réalisation et étroitement liés. Cette précision, réitérée au point 33 de l’arrêt et décisive à mes yeux, relative au moment auquel le transfert de propriété du câble a lieu, c’est‑à‑dire selon que ce transfert se réalise avant ou après la pose de ce câble et les essais de mise en service, fait indubitablement écho aux conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2006:575). L’avocat général Léger relevait en effet, au point 45 de ses conclusions, que, compte tenu de la circonstance que le transfert du pouvoir de disposer du câble ne doit intervenir qu’au terme de l’installation et des essais de fonctionnement, il ne serait pas conforme à la réalité économique de cette opération de considérer que le maître de l’ouvrage a acquis, d’une part, le câble sous-marin à fibres optiques puis, d’autre part, les prestations de services afférentes à sa pose.

65.      Contrairement à ce que soutient le gouvernement français, il ne saurait donc être déduit de l’arrêt du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2007:195), que la livraison d’un bien corporel et son installation subséquente par le même assujetti forment une opération complexe unique au regard de la TVA du simple fait que l’installation est nécessaire pour assurer le fonctionnement dudit bien corporel. Si l’opération d’installation est toujours nécessaire, la Cour a conclu à l’existence d’une opération complexe unique seulement en raison du fait que la livraison du câble, c’est-à-dire le transfert de propriété de ce bien, n’intervenait qu’à la suite de l’opération d’installation.

66.      Il en résulte que, avant de pouvoir qualifier la livraison et l’installation des panneaux photovoltaïques et des chauffe-eau solaires comme constituant des éléments d’une opération unique complexe aux fins de la TVA, la juridiction de renvoi devrait, selon moi, avant tout vérifier le moment à partir duquel le transfert de propriété au profit des clients de la société Solar Electric Martinique se réalise, à savoir avant ou après l’installation et la mise en service de ces équipements.

67.      Si le transfert de propriété des panneaux photovoltaïques et des chauffe-eau solaires se réalise après leur installation et leur mise en service, j’estime que, à l’instar de la situation à l’origine de l’arrêt Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2007:195), l’existence d’une opération complexe unique pourrait être constatée.

68.      Dans le cas inverse, les opérations devraient, à mon sens, être considérées comme étant indépendantes l’une de l’autre, chaque opération devant alors faire l’objet des règles qui lui sont propres : la livraison des panneaux photovoltaïques et des chauffe-eau solaires devrait être exonérée, tandis que l’installation de ces équipements serait soumise au prélèvement de la TVA.

69.      Dans la mesure où il ne ressort pas de la décision de renvoi qu’un tel examen ait été mené, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier laquelle de ces deux hypothèses est pertinente dans l’affaire au principal.

70.      L’hypothèse envisagée au point 67 des présentes conclusions, selon laquelle les deux opérations pourraient être considérées comme des éléments d’une opération complexe unique et qui paraît être privilégiée par la juridiction de renvoi au vu du libellé de sa question, n’est pas remise en cause par le fait que ces deux opérations sont susceptibles, dans d’autres circonstances, d’être réalisées par des assujettis distincts.

71.      En effet, d’une part, et de manière générale, la possibilité pour des éléments d’une opération complexe unique d’être, dans d’autres circonstances, fournis isolément est inhérente au concept d’opération complexe unique (23).

72.      D’autre part, si un client choisit de s’adresser à deux assujettis différents respectivement pour la fourniture et pour l’installation des équipements en cause dans l’affaire au principal, le transfert de propriété de ces équipements au profit du client aura déjà été opéré à la suite de la première opération, l’installation étant donc réalisée sur des équipements appartenant non pas à l’assujetti les ayant livrés, mais au client de ce dernier.

73.      Il n’en demeure pas moins que qualifier les deux opérations d’éléments d’une opération complexe unique ne signifie pas, contrairement à ce que semble présupposer la juridiction de renvoi, que cette opération a le caractère d’une « prestation de services », en l’occurrence de « travaux immobiliers », plutôt que d’une « livraison de biens », au sens de la sixième directive et de la directive TVA.

74.      En effet, pour déterminer si une opération complexe unique doit être qualifiée de « livraison de biens » ou de « prestation de services », il importe d’en identifier les éléments prédominants (24).

75.      Selon la jurisprudence, l’élément prédominant doit être déterminé en se fondant sur le point de vue du consommateur moyen et en ayant égard, dans le cadre d’une appréciation d’ensemble, à l’importance non pas simplement quantitative mais qualitative des éléments de la prestation de services comparés à ceux relevant d’une livraison de biens (25). Il s’agit donc d’une appréciation complexe qui doit se fonder en principe sur une analyse au cas par cas (26).

76.      Dans le cadre de la répartition des compétences entre la Cour et les juridictions nationales prévue à l’article 267 TFUE, il incombe évidemment à la juridiction de renvoi d’effectuer une telle appréciation.

77.      Cela étant dit, j’estime que certains enseignements utiles peuvent être tirés de l’arrêt Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2007:195).

78.      Au terme de l’examen des éléments qui lui avaient été fournis par la juridiction nationale, la Cour a jugé, au point 40 de cet arrêt, que l’opération complexe, qui portait tant sur la fourniture d’un câble à fibres optiques que la pose de ce câble, devait être regardée comme une « livraison de biens », au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, dès lors que le câble était transféré au client, que son prix représentait une partie clairement prépondérante du coût total de ladite opération et que les services du fournisseur se limitaient à la pose dudit câble, sans en altérer la nature et sans l’adapter aux besoins spécifiques du client.

79.      Il est intéressant de relever que la Cour a retenu la qualification de « livraison de biens » de cette opération complexe non seulement en dépit du fait que la pose du câble nécessitait la mise en œuvre de procédures techniques complexes et exigeait l’utilisation d’un équipement spécialisé ainsi que d’un savoir-faire spécifique (27), mais aussi en dépit de la circonstance que le câble, en tant que bien meuble, devait faire l’objet d’une incorporation au sol, ce qui pouvait a priori laisser penser que l’opération était plutôt susceptible de relever de la notion de « travaux immobiliers » et donc, en principe, qualifiable de « prestation de services », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive (28).

80.      En effet, la Cour a considéré que, dans la mesure où, en vertu de la sixième directive, l’installation d’un bien meuble ne faisait pas perdre à l’opération sa qualification de « livraison de biens », le fait que l’installation ait pour caractéristique l’incorporation de ce bien meuble dans le sol ne devait pas emporter la conséquence que l’opération soit nécessairement qualifiée de « travaux immobiliers » au sens de l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive (29) et donc, en principe, de « prestation de services ».

81.      Sur ce dernier point, le raisonnement de la Cour est corroboré, à mes yeux, par l’observation de l’avocat général Léger au point 52 de ses conclusions dans l’affaire Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2006:575), au terme de laquelle l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive n’a pas repris la mention, qui figurait à l’article 5, paragraphe 2, sous e), de la deuxième directive 67/228/CEE du Conseil (30), selon laquelle l’incorporation d’un bien meuble à un bien immeuble est assimilée à un travail immobilier.

82.      Dans la présente affaire, la juridiction de renvoi n’a fourni quasiment aucun renseignement sur les équipements en cause ainsi que sur les modalités de leur installation, alors même que, comme l’a relevé à juste titre la Commission, s’agissant des panneaux photovoltaïques, une assez grande variété de situations existe en ce qui concerne le type de modèle, de taille et de poids ainsi que leurs modes d’installation, allant de l’incorporation dans la toiture du bâtiment à la simple pose sur rail ou sur châssis (méthode dite « de surimposition »), voire à l’installation uniquement au sol. Par ailleurs, l’électricité générée par ces équipements peut tantôt être vendue à l’opérateur en charge du réseau de transport d’électricité, tantôt alimenter l’immeuble sur lequel ils sont installés, voire être affectée à ces deux usages. Qui plus est, ainsi que la Commission l’a également fait observer, il s’agit d’un domaine en développement où la technologie évolue rapidement.

83.      En réponse aux questions posées par la Cour, Solar Electric Martinique a précisé que les panneaux photovoltaïques en cause dans l’affaire au principal étaient de poids différents, variant entre 9 kg à 19 kg selon les modèles, et de taille modeste. Ils sont installés en surimposition sur la toiture, c’est-à-dire sans intégration dans celle-ci et donc sans modification ou démontage des éléments composant la toiture. Cette méthode d’installation ne requiert pas de technicité ou de savoir-faire particuliers et se révèle peu coûteuse. Les panneaux peuvent ainsi être mis en place et, le cas échéant, démontés aisément et rapidement.

84.      Au regard des éléments sur lesquels s’est fondée la Cour dans l’arrêt du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2007:195, point 40), pour considérer que la fourniture de câbles à fibres optiques constituait l’opération prépondérante emportant la conséquence que l’opération complexe en cause dans cette affaire devait être qualifiée de « livraison de biens », il me semble que les caractéristiques mises en avant par Solar Electric Martinique, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, devraient conduire à la même conclusion. En effet, l’installation en surimposition des panneaux photovoltaïques ne semble aucunement constituer une partie clairement prépondérante du coût total de l’opération unique complexe et les services du fournisseur paraissent se limiter à la pose de ces panneaux, sans en altérer leur nature et sans les adapter aux besoins spécifiques des clients. De surcroît, l’installation des panneaux photovoltaïques se révèle relativement rapide et techniquement aisée, contrairement à la pose du câble à fibres optiques en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2007:195), ce qui me paraît justifier, à plus forte raison, de retenir que la livraison de ces biens constitue l’élément prépondérant de l’opération unique complexe.

85.      Il ne semble pas qu’une appréciation différente doive s’imposer à l’égard de la fourniture et de l’installation des chauffe-eau solaires.

86.      Si l’hypothèse retenue au point 67 des présentes conclusions devait être confirmée par la juridiction de renvoi et si cette dernière devait également constater que les opérations réalisées par Solar Electric Martinique possèdent les caractéristiques décrites au point 84 des présentes conclusions, le régime fiscal de la livraison de biens devrait alors être appliqué à l’intégralité de l’opération complexe unique. Par conséquent, cette opération devrait être exonérée de TVA, en application du régime spécial applicable aux départements d’outre-mer en vertu de l’article 295 du CGI.

87.      J’ajoute que, contrairement à ce que le gouvernement français a soutenu devant la Cour, la destination de l’électricité et de l’eau chaude générées par les équipements, tels que ceux fournis et installés par Solar Electric Martinique, ne me paraît pas directement pertinente aux fins de la qualification de l’opération complexe unique de « livraison de biens » ou de « prestation de services » au regard de la TVA. En effet, comme l’ont illustré les débats devant la Cour, retenir un tel critère, en particulier s’agissant des panneaux photovoltaïques, conduirait à une insécurité juridique importante tant pour les opérateurs économiques que pour leurs clients, notamment lorsque la destination de l’électricité produite est mixte ou vient à être modifiée en cours de contrat. C’est, à mon sens, davantage l’importance qualitative de l’installation comparée à la fourniture des équipements dans l’appréciation globale de l’opération unique complexe, en particulier du coût de la première comparé à celui de la seconde, ce qui comprend le mode d’installation retenu ainsi que l’adaptation de ces équipements aux besoins particuliers des clients, qui serait susceptible de modifier l’analyse du critère de la prépondérance (31).

88.      Au vu de ces considérations, il est évident qu’il n’est pas nécessaire d’interpréter l’expression « travaux immobiliers », au sens de l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive et de l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA.

89.      Ce constat justifie d’autant plus ma proposition, à titre principal, selon laquelle il n’y a pas lieu de répondre à la question préjudicielle adressée par le Conseil d’État.

90.      Si la Cour devait néanmoins considérer qu’il y a lieu d’interpréter l’expression « travaux immobiliers », au sens de l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive et de l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA, il importerait, à mon sens, tout d’abord de rappeler que, étant donné que cette expression n’est pas définie par lesdits articles, la détermination de sa signification et de sa portée devrait être établie en considération du contexte général dans lequel elle est utilisée et conformément à son sens habituel dans le langage courant (32).

91.      Dans le langage courant, cette expression recoupe l’ensemble des travaux qui portent sur un bien immeuble, tels que les travaux de construction, de démolition, de transformation, de rénovation ou de réhabilitation d’un immeuble.

92.      La question de savoir si l’installation d’un bien meuble sur un immeuble doit être incluse dans la notion de « travaux immobiliers » doit, à mon sens, tenir compte du fait que le Conseil, tant lors de l’adoption de la sixième directive que, plus tard, lors de celle de la directive TVA, n’a pas retenu la proposition initiale de la Commission, présentée le 29 juin 1973 (33), selon laquelle l’incorporation d’un bien meuble à un immeuble, dont, en particulier, tous les travaux d’installation, devait être considérée comme constituant des « travaux immobiliers ».

93.      Certes, sous l’égide de la directive TVA, le règlement d’exécution (UE) n° 1042/2013 du Conseil, du 7 octobre 2013, modifiant le règlement d’exécution (UE) n° 282/2011 en ce qui concerne le lieu de prestation des services (34), prévoit l’insertion d’un article 13 ter dans le texte de ce dernier règlement, qui énonce que, pour l’application de la directive TVA, est considéré comme « bien immeuble » « tout élément installé et faisant partie intégrante d’un immeuble ou d’une construction sans lequel l’immeuble ou la construction est incomplet, tel que portes, fenêtres, toitures, escaliers et ascenseurs ».

94.      Toutefois, à supposer même que cette définition signifie que l’expression « travaux immobiliers », au sens de l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA, comprenne désormais l’installation de l’élément dont il est question à l’article 13 ter du règlement (UE) n° 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (35), tel que modifié, il importe de relever que ce dernier article n’est entré en vigueur, conformément à l’article 3 du règlement no 1042/2013, que le 1er janvier 2017. Partant, outre le fait que cet acte ne s’applique pas aux départements d’outre-mer, il était, en tout état de cause, inapplicable au moment des faits du litige au principal.

95.      J’en conclus que, au moment des faits au principal, aucun indice tiré de l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive et de l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA ne suggère que toute installation d’un bien meuble, tel qu’un panneau photovoltaïque ou un chauffe-eau solaire du type de ceux en cause dans l’affaire au principal, sur un immeuble constitue un travail immobilier.

V.      Conclusion

96.      Au vu des considérations développées à titre principal dans les présentes conclusions, je propose à la Cour de se déclarer incompétente pour répondre à la demande de décision préjudicielle déférée par le Conseil d’État (France).


1      Langue originale : le français.


2      JO 1977, L 145, p. 1.


3      JO 1995, L 102, p. 18.


4      JO 2006, L 347, p. 1.


5      Voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2011, Cicala (C‑482/10, EU:C:2011:868, point 17), et du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638, point 45), ainsi que ordonnances du 3 septembre 2015, Orrego Arias (C‑456/14, non publiée, EU:C:2015:550, point 21), et du 12 mai 2016, Sahyouni (C‑281/15, EU:C:2016:343, point 26).


6      Voir, notamment, arrêts du 21 décembre 2011, Cicala (C‑482/10, EU:C:2011:868, point 17) ; du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638, point 47) ; du 18 décembre 2014, Generali‑Providencia Biztosító (C‑470/13, EU:C:2014:2469, point 23), et du 5 avril 2017, Borta (C‑298/15, EU:C:2017:266, point 34). Bien que le critère, retenu par la Cour dans ces arrêts, du renvoi « direct et inconditionnel » opéré par le droit national au droit de l’Union se fonde sur certains arrêts antérieurs à cette jurisprudence, dont le premier paraît être l’arrêt du 28 mars 1995, Kleinwort Benson (C‑346/93, EU:C:1995:85, point 16), la jurisprudence antérieure à l’arrêt du 21 décembre 2011, Cicala (C‑482/10, EU:C:2011:868), se référait plutôt au critère générique de l’existence (ou du défaut) d’un renvoi opéré par le droit national au droit communautaire ou de l’Union [voir, notamment, arrêt du 11 janvier 2001, Kofisa Italia (C‑1/99, EU:C:2001:10, point 28), et, en matière de TVA, ordonnance du 16 avril 2008, Club Náutico de Gran Canaria (C‑186/07, non publiée, EU:C:2008:227, points 19 et 20), dans laquelle la Cour s’est déclarée manifestement incompétente pour interpréter les dispositions de la sixième directive dans le contexte d’une situation qui échappait au champ d’application territorial et matériel de ladite directive].


7      Voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638, point 48), et ordonnance du 12 mai 2016, Sahyouni (C‑281/15, EU:C:2016:343, point 27). Je tiens à préciser qu’il s’agit non pas d’une question de recevabilité mais de compétence, comme l’a affirmé la Cour dans l’arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 12).


8      Voir, notamment, arrêt du 18 décembre 2014, Generali-Providencia Biztosító (C‑470/13, EU:C:2014:2469, points 24 à 26), ainsi que ordonnances du 12 mai 2016, Sahyouni (C‑281/15, EU:C:2016:343, points 28 à 31), et du 28 juin 2016, Italsempione – Spedizioni Internazionali (C‑450/15, non publiée, EU:C:2016:508, points 22 à 24).


9      Voir arrêt du 14 janvier 2016, Ostas celtnieks (C‑234/14, EU:C:2016:6, points 17 à 21).


10      Voir à cet égard, notamment, arrêts du 21 décembre 2011, Cicala (C‑482/10, EU:C:2011:868, points 25 à 29), et du 7 novembre 2013, Romeo (C‑313/12, EU:C:2013:718, points 34 à 36), ainsi que ordonnance du 9 septembre 2014, Parva Investitsionna Banka e.a. (C‑488/13, EU:C:2014:2191, points 34 et 35).


11      Voir arrêt du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638, points 48 à 52), ainsi que ordonnance du 9 septembre 2014, Parva Investitsionna Banka e.a. (C‑488/13, EU:C:2014:2191, points 34 et 35).


12      Comme je l’ai déjà indiqué dans mes conclusions dans l’affaire BLV Wohn- und Gewerbebau (C‑395/11, EU:C:2012:564, points 62 à 64 et 69), dans le système de la sixième directive et de la directive TVA, les « travaux immobiliers » sont des prestations de services.


13      Comme l’indique de manière imagée un auteur, du fait que les départements d’outre-mer comme la Martinique sont situés en dehors du champ d’application de la sixième directive et de la directive TVA, le législateur français a, dans ces conditions, « toute latitude sous ces latitudes, pour appliquer des régimes dérogatoires » : voir, Moraine, A., « La question préjudicielle Solar Electric Martinique : communautarisation de la TVA des DOM et définition des travaux immobiliers en TVA », Revue de droit fiscal, n° 37, 2016.


14      Ce dont je doute : voir, à cet égard, points 70 à 88 des présentes conclusions.


15      Voir, s’agissant d’une demande de décision préjudicielle déférée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), ordonnance du 28 juin 2016, Italsempione – Spedizioni Internazionali (C‑450/15, non publiée, EU:C:2016:508, points 20 à 24), et d’une question adressée par le Supremo Tribunal Administrativo (Cour administrative suprême, Portugal), ordonnance du 7 juillet 2016, Sá Machado & Filhos (C‑214/15, non publiée, EU:C:2016:548, points 31 à 34).


16      Voir, notamment, arrêts du Conseil d’État (France) du 17 décembre 1976, SA Guillioud, n° 94852 ; du 13 juin 1980, Sté Tecres, n° 14824, et du 27 juillet 2001, Sté Cofindus, n° 216193.


17      Voir en ce sens, notamment, concernant l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive, arrêts du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2007:195, point 22) ; du 2 décembre 2010, Everything Everywhere (C‑276/09, EU:C:2010:730, point 21), ainsi que du 10 mars 2011, Bog e.a. (C‑497/09, C‑499/09, C‑501/09 et C‑502/09, EU:C:2011:135, point 53), et, à propos de l’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive TVA, arrêts du 17 janvier 2013, BGŻ Leasing (C‑224/11, EU:C:2013:15), et du 8 décembre 2016, Stock ‘94 (C‑208/15, EU:C:2016:936, point 26).


18      Voir, notamment, arrêts du 10 mars 2011, Bog e.a. (C‑497/09, C‑499/09, C‑501/09 et C‑502/09, EU:C:2011:135, point 53) ; du 16 avril 2015, Wojskowa Agencja Mieszkaniowa w Warszawie (C‑42/14, EU:C:2015:229, point 31), ainsi que du 8 décembre 2016, Stock ‘94 (C‑208/15, EU:C:2016:936, point 27).


19      Voir en ce sens, notamment, arrêts du 10 mars 2011, Bog e.a. (C‑497/09, C‑499/09, C‑501/09 et C‑502/09, EU:C:2011:135, point 54) ; du 16 avril 2015, Wojskowa Agencja Mieszkaniowa w Warszawie (C‑42/14, EU:C:2015:229, point 31), ainsi que du 8 décembre 2016, Stock ‘94 (C‑208/15, EU:C:2016:936, point 27).


20      Voir arrêts du 17 janvier 2013, BGŻ Leasing (C‑224/11, EU:C:2013:15, point 32) ; du 16 avril 2015, Wojskowa Agencja Mieszkaniowa w Warszawie (C‑42/14, EU:C:2015:229, point 32), ainsi que du 8 décembre 2016, Stock ‘94 (C‑208/15, EU:C:2016:936, point 28).


21      Voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2011, Bog e.a. (C‑497/09, C‑499/09, C‑501/09 et C‑502/09, EU:C:2011:135, point 55) ; du 17 janvier 2013, BGŻ Leasing (C‑224/11, EU:C:2013:15, point 33), ainsi que du 8 décembre 2016, Stock ‘94 (C‑208/15, EU:C:2016:936, point 30).


22      Je précise, à toutes fins utiles, que, si les clients de Solar Electric Martinique acquièrent la propriété des équipements cédés, ils ne sont pas nécessairement propriétaires des immeubles sur lesquels ces équipements sont installés.


23      Voir arrêt du 16 avril 2015, Wojskowa Agencja Mieszkaniowa w Warszawie (C‑42/14, EU:C:2015:229, point 41 et jurisprudence citée).


24      Voir, notamment, arrêts du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2007:195, point 27), ainsi que du 10 mars 2011, Bog e.a. (C‑497/09, C‑499/09, C‑501/09 et C‑502/09, EU:C:2011:135, point 61).


25      Voir en ce sens, notamment, arrêt du 10 mars 2011, Bog e.a. (C‑497/09, C‑499/09, C‑501/09 et C‑502/09, EU:C:2011:135, point 62 et jurisprudence citée).


26      Arrêt du 13 décembre 2012, BLV Wohn- und Gewerbebau (C‑395/11, EU:C:2012:799, point 29).


27      Arrêt du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2007:195, point 29).


28      Les parties au principal dans cette affaire défendaient en effet cette thèse, la Suède ayant, de plus, à l’instar de la France, décidé de ne pas opter pour la faculté offerte par l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive de traiter la délivrance de certains travaux immobiliers comme une « livraison de biens ».


29      Arrêt du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2007:195, point 35).


30      Directive du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Structure et modalités d’application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 1967, 71, p. 1303).


31      Voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 2005, Levob Verzekeringen et OV Bank (C‑41/04, EU:C:2005:649, points 28 à 30), s’agissant du caractère prédominant d’adaptations d’un logiciel de base entraînant la qualification d’une opération complexe de « prestation de services », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive.


32      Voir, à cet égard et par analogie avec la notion de « travaux de construction », arrêt du 13 décembre 2012, BLV Wohn- und Gewerbebau (C‑395/11, EU:C:2012:799, points 23 et 25).


33      Proposition de la sixième directive du Conseil en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1973, C 80, p. 1).


34      JO 2013, L 284, p. 1.


35      JO 2011, L 77, p. 1.