CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MELCHIOR WATHELET
présentées le 19 septembre 2017 (1)
Affaire C‑284/16
Slowakische Republik
contre
Achmea BV
[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]
« Renvoi préjudiciel – Principes du droit de l’Union – Traité bilatéral d’investissement conclu en 1991 entre le Royaume des Pays-Bas et la République fédérale tchèque et slovaque et toujours applicable entre le Royaume des Pays-Bas et la République slovaque – Compatibilité du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États instauré par un traité bilatéral d’investissement interne à l’Union européenne avec l’article 18, paragraphe 1, TFUE et les articles 267 et 344 TFUE »
Table des matières
I. Introduction
II. Le cadre juridique
A. Le traité FUE
B. Le TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie
C. Le droit allemand
III. Le litige au principal et les questions préjudicielles
IV. La procédure devant la Cour
V. Analyse
A. Observations liminaires
B. Sur la troisième question préjudicielle
1. Sur la recevabilité
2. Sur le fond
C. Sur la deuxième question préjudicielle
1. L’origine légale des tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI
2. La permanence des tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI
3. Le caractère obligatoire de la juridiction des tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI
4. La nature contradictoire de la procédure devant les tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI, l’application par eux de règles de droit dans la résolution des litiges qui leur sont soumis ainsi que l’indépendance et l’impartialité des arbitres
D. Sur la première question préjudicielle
1. Un différend entre un investisseur et un État membre, tel que celui visé par l’article 8 dudit TBI, est-il visé par l’article 344 TFUE ?
2. Le différend en cause est-il « relatif à l’interprétation ou à l’application des traités » ?
a) La compétence du tribunal arbitral se limite à statuer sur des violations du TBI
b) Le champ d’application dudit TBI et les normes juridiques introduites par celui-ci ne sont pas identiques à ceux des traités UE et FUE
1) Le champ d’application dudit TBI est plus large que celui des traités UE et FUE
2) Les normes juridiques dudit TBI qui sont sans équivalent dans le droit de l’Union et qui ne sont pas incompatibles avec celui-ci
i) La clause NPF
ii) La clause de respect des engagements contractuels, dite « umbrella clause »
iii) La clause sunset
iv) Le recours à l’arbitrage international en tant que mécanisme de RDIE
3) Le chevauchement des autres dispositions dudit TBI avec certaines dispositions des traités UE et FUE n’est que partiel
i) La protection et la sécurité pleines et entières des investissements
ii) Le traitement juste et équitable des investissements
iii) L’interdiction des expropriations illégales
3. Le TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie a-t-il, au regard de sa finalité, pour effet de porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités UE et FUE et, partant, à l’autonomie du système juridique de l’Union ?
VI. Conclusion
I. Introduction
1. La présente demande de décision préjudicielle a été soumise dans le cadre d’un recours introduit devant les juridictions allemandes en vue de l’annulation de la sentence finale du 7 décembre 2012, rendue par le tribunal arbitral composé par M. Vaughan Lowe, QC (président), MM. Albert Jan van den Berg et V. V. Veeder, QC (arbitres), et constitué conformément à l’accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements entre le Royaume des Pays-Bas et la République fédérale tchèque et slovaque (ci-après le « TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie ») (2) et au règlement d’arbitrage de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI), la Cour permanente d’arbitrage (CPA) faisant fonction de greffe (3).
2. Cette demande offre à la Cour la première opportunité de s’exprimer sur la question épineuse de la compatibilité des TBI (4) conclus entre États membres (5), et notamment des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (ci-après les « RDIE ») instaurés par ceux-ci, avec les articles 18, 267 et 344 TFUE.
3. Cette question revêt une importance primordiale au vu des 196 TBI internes à l’Union qui sont en vigueur à présent (6) et des nombreuses procédures arbitrales entre investisseurs et États membres lors desquelles la Commission européenne est intervenue en tant qu’amicus curiae afin de soutenir sa thèse selon laquelle les TBI internes à l’Union sont incompatibles avec le traité FUE, thèse que les tribunaux arbitraux ont systématiquement rejetée comme non fondée (7).
II. Le cadre juridique
A. Le traité FUE
4. L’article 18, premier alinéa, TFUE dispose que, « [d]ans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité ».
5. L’article 267, premier à troisième alinéas, TFUE dispose :
« La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :
a) sur l’interprétation des traités,
b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.
Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. »
6. L’article 344 TFUE prévoit que « [l]es États membres s’engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci ».
B. Le TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie
7. Le TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie a été conclu le 29 avril 1991 et est entré en vigueur le 1er octobre 1992 (8). La République slovaque, en tant qu’ayant droit de la République fédérale tchèque et slovaque, a succédé aux droits et aux obligations de cette dernière le 1er janvier 1993 et est devenue membre de l’Union le 1er mai 2004.
8. Ce TBI a été conclu en langues tchèque, anglaise et néerlandaise, la version en langue anglaise faisant foi en cas de différence d’interprétation.
9. L’article 2 dudit TBI prévoit que « [c]haque partie contractante promeut dans son territoire les investissements des investisseurs de l’autre partie contractante et admet pareils investissements conformément aux dispositions de son droit » (9).
10. L’article 3 dudit TBI dispose ce qui suit :
« 1) Chaque partie contractante assure un traitement juste et équitable aux investissements des investisseurs de l’autre partie contractante et n’empêchera pas, par des mesures irraisonnables et discriminatoires, l’opération, la gestion, l’usage, la jouissance ou la cession de ceux-ci par ces investisseurs [(10)].
2) Plus particulièrement, chaque partie contractante accordera à pareils investissements une protection et une sécurité pleines qui, de toute façon, ne seront pas moindres que celles accordées soit aux investissements de ses propres investisseurs soit aux investissements de n’importe quel État tiers, selon ce qui est plus favorable à l’investisseur concerné [(11)].
3) Les dispositions de cet article ne doivent pas être interprétées comme obligeant chacune des parties contractantes à accorder aux investissements des investisseurs de l’autre partie contractante des préférences et avantages semblables à ceux accordés à des investisseurs d’un État tiers.
(a) en vertu de la participation de ce dernier à des unions douanière ou économique ou à des institutions similaires existantes ou à venir […] [(12)].
4) Chacune des parties contractantes assure le respect de tout engagement qu’elle aura pris envers les investisseurs de l’autre partie contractante [(13)].
5) Si les dispositions du droit de chacune des parties contractantes ou les obligations au titre du droit international existant à présent ou établies ci-après entre les parties contractantes outre le présent accord contiennent des règles, générales ou spécifiques, accordant à des investissements des investisseurs de l’autre partie contractante un traitement plus favorable que celui qui est prévu par le présent accord, ces règles priment sur le présent accord dans la mesure où elles sont plus favorables [(14)]. »
11. L’article 4 dispose que « [c]hacune des parties contractantes garantira que les paiements relatifs à un investissement peuvent être transférés. Les transferts se feront en monnaie librement convertible sans restriction ou retard injustifié […] » (15). Le libre transfert des paiements couvre, entre autres, les bénéfices, intérêts et dividendes.
12. L’article 5 prévoit qu’« [a]ucune des parties contractantes ne prendra de mesures privant, directement ou indirectement, des investisseurs de l’autre partie contractante de leurs investissements » (16) à moins que trois conditions ne soient remplies, à savoir que les mesures soient prises dans l’intérêt général et conformément à la procédure légale requise, qu’elles ne soient pas discriminatoires et qu’elles soient accompagnées d’une provision pour le paiement d’une juste compensation. Selon cette disposition, l’indemnité doit représenter la valeur réelle (genuine value) de l’investissement.
13. L’article 8 énonce :
« 1) Tout différend entre l’une des parties contractantes et un investisseur de l’autre partie contractante relatif à un investissement de ce dernier est, autant que possible, réglé à l’amiable [(17)].
2) Chacune des parties contractantes consent par la présente à ce qu’un différend au sens du paragraphe 1 du présent article soit soumis à un tribunal arbitral s’il n’a pas été réglé à l’amiable dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle l’une des parties au différend en a demandé le règlement amiable [(18)].
3) Le tribunal arbitral visé au paragraphe 2 du présent article est constitué pour chaque cas de la manière suivante : chaque partie au différend désigne un arbitre et les deux arbitres ainsi désignés choisissent ensemble un troisième arbitre, ressortissant d’un État tiers, qui sera président du tribunal. Chaque partie au différend désigne son arbitre dans les deux mois à compter de la date à laquelle l’investisseur a notifié à l’autre partie contractante sa décision de soumettre le différend à un tribunal arbitral, et le président est désigné dans un délai de trois mois à compter de la même date [(19)].
4) Si les désignations n’ont pas eu lieu dans les délais susindiqués, chaque partie au différend peut inviter le président de l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm à procéder aux désignations nécessaires. Si le président est ressortissant de l’une des parties contractantes ou s’il est dans l’impossibilité d’exercer ladite fonction pour toute autre raison, le vice-président est invité à procéder aux désignations nécessaires. Si le vice-président est un ressortissant de l’une des parties contractantes ou s’il est également dans l’impossibilité d’exercer ladite fonction, le membre le plus âgé de l’Institut d’arbitrage qui n’a pas la nationalité de l’une des parties contractantes est invité à procéder aux désignations nécessaires [(20)].
5) Le tribunal arbitral fixe ses propres règles de procédure conformément au règlement d’arbitrage de la [CNUDCI] [(21)].
6) Le tribunal arbitral statue en droit, en tenant compte notamment, mais non exclusivement :
– du droit en vigueur de la partie contractante concernée ;
– des dispositions du présent accord et de tout autre accord pertinent entre les parties contractantes ;
– des dispositions d’accords spéciaux relatifs à l’investissement ;
– des principes généraux du droit international [(22)].
7) Le tribunal statue à la majorité des votes ; sa décision est définitive et obligatoire pour les parties au différend [(23)]. »
14. L’article 13 dispose :
« 1) Le présent accord […] reste en vigueur pour une période de dix ans [(24)].
2) À moins qu’un préavis de dénonciation ne soit donné par l’une ou l’autre des parties contractantes au moins six mois avant la date d’expiration de sa validité, le présent accord sera tacitement renouvelé pour une période de dix ans, chacune des parties contractantes se réservant le droit de dénoncer l’accord par préavis d’au moins six mois avant l’expiration de la présente période de validité [(25)].
3) À l’égard des investissements réalisés avant la date à laquelle le présent accord prendra fin, les articles précédents restent effectifs pour une période supplémentaire de quinze ans à partir de cette date [(26)].
[…] »
C. Le droit allemand
15. L’article 1040 de la Zivilprozessordnung (code de procédure civile), intitulé « Compétence du tribunal arbitral pour statuer sur sa propre compétence », dispose :
« (1) Le tribunal peut statuer sur sa propre compétence, y compris sur toute exception relative à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage. […]
(2) L’exception d’incompétence du tribunal arbitral peut être soulevée au plus tard lors du dépôt des conclusions en défense. […]
(3) Si le tribunal arbitral estime qu’il est compétent, il statue sur l’exception visée au paragraphe 2 en règle générale par une sentence intérimaire. […] »
16. L’article 1059 du code de procédure civile, intitulé « Demande d’annulation », énonce :
« (1) Le recours formé devant un tribunal étatique contre une sentence arbitrale ne peut prendre la forme que d’une demande d’annulation conformément aux paragraphes 2 et 3.
(2) La sentence arbitrale ne peut être annulée que si
1. la partie en faisant la demande est fondée à faire valoir
a) […] que [la convention d’arbitrage] n’est pas valable en vertu de la loi à laquelle les parties l’ont subordonnée ou, à défaut d’une indication à cet égard, en vertu de la loi allemande ou
[…]
2. si le juge national compétent constate
[…]
b) que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence conduirait à un résultat contraire à l’ordre public.
[…] »
III. Le litige au principal et les questions préjudicielles
17. Achmea BV, anciennement Eureko BV, est une entreprise appartenant à un groupe d’assurances néerlandais.
18. Dans le cadre d’une réforme de son système de santé, la République slovaque a, au cours de l’année 2004, ouvert le marché slovaque aux opérateurs nationaux et étrangers offrant des prestations d’assurance maladie privée. Après avoir obtenu l’agrément en tant qu’organisme d’assurance maladie, Achmea a établi en Slovaquie une filiale (Union Healthcare), à laquelle elle a apporté des capitaux (environ 72 millions d’euros) et par l’intermédiaire de laquelle elle offrait des assurances maladie privées.
19. Après un changement de gouvernement en 2006, la République slovaque est partiellement revenue sur la libéralisation du marché de l’assurance maladie. Elle a interdit d’abord l’intervention de courtiers d’assurances, ensuite la distribution des bénéfices générés par les activités d’assurance maladie et enfin la vente de portefeuilles d’assurance. Par un arrêt du 26 janvier 2011, l’Ústavný súd Slovenskej republiky (Cour constitutionnelle de la République slovaque) a jugé que l’interdiction légale de distribuer les bénéfices était contraire à la Constitution. Par une loi portant réforme de l’assurance maladie entrée en vigueur le 1er août 2011, la République slovaque a de nouveau autorisé la distribution des bénéfices.
20. Estimant que les mesures législatives de la République slovaque constituaient des violations de l’article 3, paragraphes 1 et 2, et des articles 4 et 5 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie, Achmea a, dès le mois d’octobre 2008, initié contre cet État une procédure arbitrale, en application de l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie, et a demandé des dommages et intérêts d’un montant de 65 millions d’euros.
21. Le tribunal arbitral et les parties ont convenu que la CPA fasse fonction de greffe et que la langue de procédure soit l’anglais. Par son ordonnance procédurale no 1, le tribunal arbitral a fixé le lieu d’arbitrage à Francfort-sur-le-Main (Allemagne).
22. Dans le cadre de la procédure arbitrale, la République slovaque a soulevé une exception d’incompétence du tribunal arbitral. Elle a fait valoir que le traité FUE régissait la même matière que le TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie et que par conséquent ce dernier devait être considéré comme inapplicable ou ayant pris fin conformément aux articles 30 et 59 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (ci-après la « convention de Vienne ») (27). La République slovaque a également soutenu que, en conséquence, la convention d’arbitrage contenue à l’article 8, paragraphe 2, de ce TBI ne pouvait donc être appliquée puisqu’elle était incompatible avec le traité FUE. À cet égard, elle ajoute que la Cour a une compétence exclusive sur les demandes d’Achmea et que certaines dispositions dudit TBI comme son article 4 concernant le libre transfert des paiements ont été jugées incompatibles avec le traité FUE par la Cour (28).
23. Par sa sentence du 26 octobre 2010 sur la compétence, l’arbitrabilité et la suspension, le tribunal arbitral a rejeté cette exception d’incompétence et s’est déclaré compétent (29). Le recours en annulation contre cette sentence introduit par la République slovaque devant les juridictions allemandes n’a pas prospéré.
24. Par sentence finale du 7 décembre 2012, le tribunal arbitral a jugé qu’une partie des mesures prises par la République slovaque, à savoir l’interdiction de distribution des bénéfices (30) et l’interdiction de transferts (31), violait l’article 3 (traitement juste et équitable) et l’article 4 (libre transfert des paiements) dudit TBI et a condamné la République slovaque à payer à Achmea des dommages et intérêts d’un montant de 22,1 millions d’euros majoré d’intérêts ainsi que les frais d’arbitrage et les frais et honoraires d’avocat d’Achmea (32).
25. Le lieu d’arbitrage se situant à Francfort-sur-le-Main, la République slovaque a introduit un recours en annulation de la sentence finale devant l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main (tribunal régional supérieur de Francfort-sur-le-Main, Allemagne). Celui-ci ayant décidé de rejeter ce recours, la République slovaque a formé un pourvoi contre cette décision devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne).
26. Dans ce contexte, la République slovaque soutient que la sentence finale doit être annulée parce qu’elle est contraire à l’ordre public et que la convention d’arbitrage ayant donné lieu à cette sentence est également nulle et contraire à l’ordre public (33).
27. Quant à la contrariété de la sentence finale avec l’ordre public, la République slovaque soutient que le tribunal arbitral, n’ayant pas la possibilité de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, n’a pas tenu compte de dispositions de rang supérieur du droit de l’Union en matière de libre circulation des capitaux et a violé ses droits de la défense lorsqu’il a établi le montant du préjudice.
28. En ce qui concerne la nullité de la convention d’arbitrage instaurée par l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie, la République slovaque soutient que cette convention est contraire aux articles 267 et 344 TFUE ainsi qu’au principe de non-discrimination énoncé à l’article 18 TFUE.
29. Même si le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) ne partage pas les doutes émis par la République slovaque quant à la compatibilité de l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie avec les articles 18, 267 et 344 TFUE, il a constaté que la Cour ne s’était pas encore prononcée sur ces questions et qu’il serait impossible de déduire la réponse de la jurisprudence existante avec une certitude suffisante, surtout compte tenu de la position de la Commission qui est intervenue au soutien de la République slovaque tant lors de l’arbitrage en cause que dans la procédure d’annulation devant les juridictions allemandes.
30. Pour ces raisons, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 344 TFUE fait-il obstacle à l’application d’une clause d’un accord bilatéral d’investissement entre États membres de l’Union (ce qu’il est convenu d’appeler un “TBI interne à l’Union”), prévoyant qu’un investisseur d’un État contractant peut, en cas de litige concernant des investissements dans l’autre État contractant, introduire une procédure contre ce dernier État devant un tribunal arbitral, lorsque ledit accord a été conclu avant l’adhésion de l’un des États contractants à l’Union européenne, mais que la procédure arbitrale ne sera introduite qu’après cette date ?
En cas de réponse négative à la première question :
2) L’article 267 TFUE fait-il obstacle à l’application d’une telle disposition ?
En cas de réponse négative aux première et deuxième questions :
3) Dans les conditions décrites dans la première question, l’article 18, premier alinéa, TFUE fait-il obstacle à l’application d’une telle disposition ? »
IV. La procédure devant la Cour
31. La présente demande de décision préjudicielle a été déposée à la Cour le 23 mai 2016. La République slovaque, Achmea, les gouvernements tchèque, estonien, grec, espagnol, chypriote, hongrois, néerlandais, autrichien, polonais, roumain et finlandais ainsi que la Commission ont déposé des observations écrites.
32. Une audience s’est tenue le 19 juin 2016 lors de laquelle la République slovaque, Achmea, les gouvernements tchèque, allemand, estonien, grec, espagnol, français, italien, chypriote, letton, hongrois, néerlandais, autrichien, polonais, roumain et finlandais ainsi que la Commission ont présenté leurs observations orales.
V. Analyse
A. Observations liminaires
33. Avant d’aborder les trois questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi, j’aimerais faire quelques remarques liminaires.
34. Les États membres qui sont intervenus dans la présente affaire se divisent en deux groupes. Le premier se compose de la République fédérale d’Allemagne, de la République française, du Royaume des Pays-Bas, de la République d’Autriche et de la République de Finlande, qui sont essentiellement des pays d’origine des investisseurs et, par conséquent, jamais ou rarement cités comme parties défenderesses dans des procédures arbitrales lancées par des investisseurs, le Royaume des Pays-Bas et la République de Finlande ne l’ayant jamais été (34), la République fédérale d’Allemagne l’ayant été dans trois cas (35) et la République française (36) ainsi que la République d’Autriche ne l’ayant été que dans un seul cas (37).
35. Le second groupe est formé par la République tchèque, la République d’Estonie, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République italienne, la République de Chypre, la République de Lettonie, la Hongrie, la République de Pologne, la Roumanie et la République slovaque. Ces États ont tous été cités comme parties défenderesses dans plusieurs procédures d’arbitrage d’investissement internes à l’Union, la République tchèque l’ayant été 26 fois, la République d’Estonie 3 fois, la République hellénique 3 fois, le Royaume d’Espagne 33 fois, la République italienne 9 fois, la République de Chypre 3 fois, la République de Lettonie 2 fois, la Hongrie 11 fois, la République de Pologne 11 fois, la Roumanie 4 fois et la République slovaque 9 fois (38).
36. Face à ces réalités économiques, il n’est guère étonnant que les États membres du second groupe soient intervenus pour soutenir la thèse de la République slovaque, elle-même partie défenderesse à l’arbitrage d’investissement en cause dans la présente affaire.
37. Il est, en revanche, étonnant que, dans ce second groupe qui défend l’incompatibilité des TBI internes à l’Union avec les traités UE et FUE, seule la République italienne ait mis fin à ses TBI internes à l’Union à l’exception du TBI Italie/Malte, alors que les autres États membres de ce groupe les maintiennent, tous ou la majorité d’entre eux, en vigueur, permettant ainsi à leurs propres investisseurs d’en bénéficier. En effet, les arbitrages d’investissement lancés par des investisseurs de ces États membres sont nombreux et sont très souvent dirigés contre un autre État membre du même groupe (39).
38. Interrogée lors de l’audience sur la raison pour laquelle elle ne dénonçait pas au moins les TBI signés avec les États membres qui, dans la présente affaire, plaidaient comme elle qu’ils étaient incompatibles avec le droit de l’Union (40), la République slovaque a invoqué l’objectif que ses propres investisseurs ne soient pas victimes d’une discrimination par rapport aux investisseurs des autres États membres dans les États membres avec lesquels elle n’aurait plus de TBI. Toutefois, ce souci ne l’a pas empêchée de mettre fin à son TBI avec la République italienne. En même temps, ses propres investisseurs continuent à bénéficier des TBI conclus avec des États membres du même groupe, comme le démontre, par exemple, la procédure arbitrale Poštová banka, a.s. et Istrokapital SE c/ République hellénique (affaire CIRDI no ARB/13/8).
39. La thèse de la Commission m’interpelle également.
40. En effet, pendant une très longue période, la thèse des institutions de l’Union, y compris de la Commission, consistait à dire que, loin d’être incompatibles avec le droit de l’Union, les TBI étaient des instruments nécessaires pour préparer l’adhésion à l’Union des pays de l’Europe centrale et orientale. Les accords d’association signés entre l’Union et les pays candidats comprenaient d’ailleurs des dispositions prévoyant la conclusion de TBI entre les États membres et les pays candidats (41).
41. Lors de l’audience, la Commission a essayé d’expliquer cette évolution de sa position sur l’incompatibilité des TBI avec les traités UE et FUE, en soutenant qu’il s’agissait d’accords nécessaires pour préparer l’adhésion des pays candidats. Toutefois, si ces TBI ne se justifiaient que pendant la période d’association et si chaque partie savait qu’ils deviendraient incompatibles avec les traités UE et FUE dès que l’État tiers concerné serait devenu membre de l’Union, pourquoi les traités d’adhésion n’ont-ils pas prévu de mettre fin à ces accords, les laissant ainsi dans une incertitude juridique qui perdure pour certains États membres depuis plus de 30 ans et pour beaucoup d’autres depuis 13 ans ?
42. De plus, dans l’Union il n’y a pas de traités d’investissement uniquement entre pays d’économie de marché et pays qui auparavant avaient connu une économie dirigée (42) ou entre États membres et pays candidats à l’adhésion (43), comme l’a laissé croire la Commission.
43. De plus, tous les États membres et l’Union ont ratifié le traité sur la charte de l’énergie, signé à Lisbonne le 19 décembre 1994 (44). Ce traité multilatéral en matière d’investissement dans le domaine de l’énergie opère même entre les États membres, puisqu’il a été conclu non pas comme un accord entre, d’une part, l’Union et ses États membres (45) et, d’autre part, des pays tiers, mais comme un accord multilatéral ordinaire auquel toutes les parties contractantes participent sur un pied d’égalité. En ce sens, les dispositions matérielles pour la protection de l’investissement prévues par ce traité ainsi que le mécanisme de RDIE opèrent également entre les États membres. Je note que, si aucune institution de l’Union ni aucun État membre n’a demandé un avis à la Cour sur la compatibilité de ce traité avec les traités UE et FUE, c’est parce qu‘aucun d’entre eux n’avait le moindre soupçon au sujet d’une prétendue incompatibilité.
44. J’ajoute que le risque systémique que les TBI internes à l’Union poseraient, selon la Commission, pour l’uniformité et l’efficacité du droit de l’Union est largement exagéré. Les statistiques de la CNUCED (46) montrent que, sur 62 procédures arbitrales internes à l’Union qui, sur une période de plusieurs décennies, ont été clôturées, les investisseurs n’ont eu gain de cause que dans 10 affaires (47), ce qui représente 16,1 % de ces 62 affaires, à savoir un taux sensiblement inférieur aux 26,9 % de « victoires » pour les investisseurs au niveau mondial (48).
45. Les tribunaux arbitraux ont très largement donné la possibilité à la Commission d’intervenir dans les arbitrages et, à ma connaissance, dans aucune de ces 10 affaires, les tribunaux arbitraux n’ont été amenés à contrôler la validité des actes de l’Union ou la compatibilité d’actes des États membres au regard du droit de l’Union. Dans leurs observations écrites, plusieurs États membres ainsi que la Commission n’ont fait état que d’un seul exemple, à savoir l’arbitrage Ioan Micula e.a. c/ Roumanie (affaire CIRDI no ARB/05/20), qui aurait donné lieu à une sentence arbitrale prétendument incompatible avec le droit de l’Union. Même si cet exemple n’est pas, à mon avis, pertinent en l’occurrence (49), le fait qu’il existerait un seul exemple conforte mon idée que la crainte de certains États membres et de la Commission d’un risque systémique que créeraient les TBI internes à l’Union est largement exagérée.
46. Enfin, il convient de souligner que, depuis l’adhésion de la République slovaque à l’Union, le TBI Pas-Bas/Tchécoslovaquie ne relève plus du champ d’application de l’article 351 TFUE (50).
47. Toutefois, cela n’implique pas que ce TBI soit automatiquement devenu caduc ou incompatible avec les traités UE et FUE. Comme la Cour l’a jugé, « les dispositions d’une convention liant deux États membres ne peuvent s’appliquer dans les relations entre ces États si elles se révèlent contraires aux règles du traité [FUE] » (51). Autrement dit, les dispositions de pareille convention sont applicables entre États membres dans la mesure où elles sont compatibles avec les traités UE et FUE.
48. Il convient donc d’examiner si l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie est incompatible avec le traité FUE, et notamment avec ses articles 18, 267 et 344 TFUE.
B. Sur la troisième question préjudicielle
49. Je propose d’aborder les trois questions dans l’ordre inverse de celui adopté par la juridiction de renvoi car il sera inutile de répondre aux première et deuxième questions si l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie constitue une discrimination fondée sur la nationalité interdite par l’article 18 TFUE.
50. Par sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 18 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un mécanisme de RDIE tel que celui instauré par l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie et qui confère aux investisseurs néerlandais le droit de recourir à l’arbitrage international contre la République slovaque, droit dont ne jouissent pas les investisseurs d’autres États membres.
1. Sur la recevabilité
51. Achmea ainsi que les gouvernements néerlandais, autrichien et finlandais contestent la recevabilité de cette question en ce qu’elle n’est pas pertinente pour la solution du litige au principal, dans la mesure où Achmea ne se plaint aucunement d’avoir été discriminée. Au contraire, si l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie constituait une discrimination, Achmea en aurait bénéficié.
52. À mon avis, cette exception d’irrecevabilité doit être rejetée puisque la réponse à la troisième question est nécessaire afin d’apprécier la compatibilité de l’article 8 de ce TBI avec les traités UE et FUE.
53. La juridiction de renvoi est saisie d’un recours en annulation de la sentence finale du 7 décembre 2012 rendue dans la procédure arbitrale Achmea BV (antérieurement Eureko BV) c/ République slovaque (CNUDCI) (affaire CPA no 2008-13) pour, entre autres motifs, invalidité de la clause compromissoire sur laquelle le tribunal arbitral a fondé sa compétence. En ce sens, il importe peu qu’Achmea soit ou non victime d’une discrimination.
2. Sur le fond
54. À titre liminaire, je note que plusieurs intervenants ainsi que la Commission relèvent que, par sa troisième question, la juridiction de renvoi devrait cibler non pas l’article 18 TFUE, mais les articles 49 et 63 TFUE qui constituent, par rapport à l’article 18 TFUE, des règles spéciales.
55. En effet, il est bien établi que « l’article 18 TFUE n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination » (52).
56. Toutefois, le mécanisme de RDIE instauré par l’article 8 dudit TBI ne relève pas du champ d’application ratione materiae, ni de la liberté d’établissement, ni de la libre circulation des capitaux, ni d’une autre disposition du traité FUE, puisque le droit de l’Union ne crée pas de voies de recours qui permettent aux justiciables d’attraire les États membres devant la Cour (53).
57. De plus, comme je l’expliquerai aux points 183 à 198 et 210 à 228 des présentes conclusions, le champ d’application matériel dudit TBI dépasse largement les limites de la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE et de la libre circulation des capitaux consacrée à l’article 63 TFUE.
58. Cela est illustré dans le cas d’espèce où le tribunal arbitral a jugé dans sa sentence finale que, en adoptant les interdictions de transfert et de distribution des bénéfices (54), la République slovaque avait violé l’article 3 (traitement juste et équitable) et l’article 4 (libre transfert de paiements) dudit TBI. Alors que l’article 4 dudit TBI correspond en substance à l’article 63 TFUE, l’article 3 dudit TBI n’a pas de disposition équivalente en droit de l’Union, malgré son chevauchement partiel avec plusieurs dispositions du droit de l’Union (55).
59. Il faut donc examiner la compatibilité de l’article 8 dudit TBI avec le principe général du droit de l’Union, exprimé à l’article 18 TFUE, qui interdit les discriminations fondées sur la nationalité.
60. À cet égard, la République slovaque, les gouvernements estonien, grec, espagnol, italien, chypriote, hongrois, polonais et roumain ainsi que la Commission soutiennent que les dispositions matérielles dudit TBI, y compris son article 8, sont discriminatoires en ce qu’elles accordent, en l’occurrence, un traitement préférentiel aux investisseurs du Royaume des Pays-Bas qui ont investi en République slovaque, alors que les investisseurs des États membres qui n’ont pas conclu un TBI avec la République slovaque (56) ne bénéficient pas de ce traitement (57).
61. Une observation liminaire s’impose sur l’étendue qu’aurait la prétendue discrimination. La République slovaque a conclu un TBI avec la majorité des États membres, à savoir avec le Royaume de Belgique, la République de Bulgarie, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, la République de Croatie, la République de Lettonie, le Grand-Duché de Luxembourg, la Hongrie, la République de Malte, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la République de Pologne, la République portugaise, la Roumanie, la République de Slovénie, la République de Finlande, le Royaume de Suède et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Ces TBI sont actuellement en vigueur.
62. Certes, les investisseurs de ces États membres ne relèvent pas de l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie. Toutefois, les TBI que leurs États membres d’origine ont conclu avec la République slovaque prévoient tous l’arbitrage international en tant que mode de RDIE. Il n’existe donc pas de différence de traitement à leur égard.
63. La République slovaque a également conclu un TBI avec la République tchèque et un autre avec la République italienne, mais les parties ont mis fin à ceux-ci (58). Si, donc, il y a différence de traitement à l’égard des investisseurs tchèques et italiens, c’est parce que leurs États membres ont décidé de leur retirer ce bénéfice que leur donnait précisément le TBI.
64. Cela étant, les investisseurs estoniens, irlandais, chypriotes et lituaniens ne bénéficient pas d’une disposition équivalente à l’article 8 dudit TBI à l’égard de la République slovaque, sauf pour des investissements dans le domaine de l’énergie, cas dans lequel le traité sur la charte de l’énergie leur offre pareille opportunité.
65. À mon avis, même pour ces investisseurs, il n’existe pas de discrimination interdite par le droit de l’Union.
66. En effet, la Cour a déjà traité la question de savoir si une discrimination peut exister à l’égard d’un ressortissant d’un État membre engagé dans un investissement transfrontalier lorsque l’État membre d’accueil de l’investissement ne lui accorde pas un avantage (fiscal) qu’il accorde aux ressortissants d’un autre État membre sur la base d’un accord bilatéral conclu avec ce dernier.
67. L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 juillet 2005, D. (C‑376/03, EU:C:2005:424) (59), concernait le refus des autorités néerlandaises d’accorder le bénéfice d’un abattement en matière d’impôt sur la fortune à un ressortissant allemand qui avait investi dans des biens immobiliers situés aux Pays-Bas. M. D. alléguait l’existence d’une discrimination en ce que cet avantage était accordé aux ressortissants belges ayant effectué des investissements similaires aux Pays-Bas, et ce en vertu des articles 24 et 25 de la convention signée le 19 octobre 1970 entre le gouvernement du Royaume de Belgique et le gouvernement du Royaume des Pays-Bas tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et à régler certaines autres questions en matière fiscale (ci-après la « CDI Pays-Bas/Belgique »).
68. La Cour a d’abord rappelé que « la […] question posée par la juridiction de renvoi part de la prémisse qu’un non–résident tel que M. D. n’est pas dans une situation comparable à celle d’un résident des Pays-Bas. La question vise à savoir si la situation de M. D. peut être comparée à celle d’un autre non-résident qui bénéficie d’un traitement particulier en vertu d’une convention préventive de la double imposition » (60).
69. À cet égard, la Cour a jugé que « [l]e fait que [l]es droits et obligations réciproques [créés par la CDI Pays-Bas/Belgique] ne s’appliquent qu’à des personnes résidentes de l’un des deux États membres contractants est une conséquence inhérente aux conventions bilatérales préventives de la double imposition. Il en découle qu’un assujetti résident de la Belgique ne se trouve pas dans la même situation qu’un assujetti résidant en dehors de la Belgique en ce qui concerne l’impôt sur la fortune établi à raison de biens immobiliers situés aux Pays-Bas » (61).
70. La Cour a ensuite ajouté qu'« [u]ne règle telle que celle prévue à l’article 25, paragraphe 3, de la convention belgo-néerlandaise ne saurait être analysée comme un avantage détachable du reste de la convention, mais en fait partie intégrante et contribue à son équilibre général » (62).
71. Il ressort clairement de cet arrêt non seulement que le traité FUE ne contient pas une clause de la nation la plus favorisée (NPF) comme celle que contient ledit TBI à son article 3, paragraphe 2 (63), mais également qu’il n’y a pas de discrimination lorsqu’un État membre n’accorde pas aux ressortissants d’un autre État membre le traitement qu’il accorde par convention aux ressortissants d’un troisième État membre.
72. Le fait que le traité FUE ne contient pas de clause NPF est confirmé par la jurisprudence de la Cour sur l’article 18 TFUE selon laquelle « [l’article 18 TFUE] exige la parfaite égalité de traitement de personnes se trouvant dans une situation régie par le droit [de l’Union], avec les ressortissants de l’État membre » (64), c’est-à-dire avec les ressortissants nationaux.
73. À mon avis, l’analogie entre la présente affaire et l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 juillet 2005, D. (C‑376/03, EU:C:2005:424), est parfaite puisque la comparaison faite par la République slovaque et la Commission concerne également deux investisseurs non slovaques, l’un (en l’occurrence néerlandais) bénéficiant de la protection matérielle accordée par ledit TBI et l’autre n’en bénéficiant pas.
74. En effet, comme la CDI Pays-Bas/Belgique, ledit TBI est un traité international dont « le champ d’application […] est limité aux personnes physiques ou morales mentionnées dans [celui-ci] » (65), à savoir les personnes physiques ayant la nationalité de l’une des parties contractantes et les personnes morales constituées conformément à leur droit (66).
75. En ce sens, le fait que les droits et obligations réciproques créés par ledit TBI ne s’appliquent qu’à des investisseurs de l’un des deux États membres contractants est une conséquence inhérente à la nature bilatérale des TBI. Il en découle qu’un investisseur non néerlandais ne se trouve pas dans la même situation qu’un investisseur néerlandais en ce qui concerne un investissement effectué en Slovaquie.
76. De plus, tout comme l’article 25, paragraphe 3, de la CDI Pays-Bas/Belgique auquel se réfère la Cour au point 62 de son arrêt du 5 juillet 2005, D. (C‑376/03, EU:C:2005:424), l’article 8 dudit TBI n’est pas un avantage détachable du reste dudit TBI, mais en fait partie intégrante à tel point qu’un TBI sans mécanisme de RDIE n’aurait aucun sens puisqu’il n’atteindrait pas son but qui est d’encourager et d’attirer l’investissement étranger.
77. En effet, comme la Cour l’a jugé au point 292 de l’avis 2/15 (Accord de libre-échange avec Singapour), du 16 mai 2017 (EU:C:2017:376), la disposition de l’accord de libre-échange avec la République de Singapour qui instaure l’arbitrage international comme mécanisme de RDIE « ne saurait revêtir un caractère purement auxiliaire ». Selon une jurisprudence arbitrale constante, le droit des investisseurs de recourir à l’arbitrage international est la disposition la plus essentielle des TBI puisque, malgré son contenu procédural, elle est en soi une garantie indispensable qui incite et protège les investissements (67). Il n’est donc guère étonnant que les « anciens » TBI (68) qui ne contiennent pas un mécanisme RDIE équivalent à l’article 8 dudit TBI n’aient pas été particulièrement utiles aux investisseurs.
78. La Commission prétend toutefois distinguer la présente affaire de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 juillet 2005, D. (C‑376/03, EU:C:2005:424), en raison de la matière fiscale de cette dernière (69).
79. À mon avis, cette distinction n’est guère convaincante. Je relève d’abord que les TBI se rapprochent des conventions préventives de la double imposition en ce qu’elles visent les mêmes activités économiques, à la fois l’entrée et la sortie de capital. En effet, un État peut attirer l’entrée de capital étranger sur son territoire en octroyant un haut niveau de protection juridique à l’investissement dans le cadre d’un TBI ainsi qu’en accordant des avantages fiscaux (70). Comme dans les conventions préventives de la double imposition, qui n’ont jamais été jugées, en principe, incompatibles avec les traités UE et FUE, la réciprocité des engagements des États est une composante essentielle des TBI (71).
80. De plus, contrairement à ce que soutient la Commission, les conventions préventives de la double imposition entre États membres n’ont pas comme base juridique l’article 293, deuxième tiret, CE. Si tel était le cas, sur quel article devraient-ils fonder celles qu’ils négocient aujourd’hui, étant donné que l’article 293 CE ne se retrouve pas dans le traité de Lisbonne ?
81. Cela dit, rien n’exclut la possibilité de remplacer les TBI internes à l’Union par un seul TBI multilatéral ou un acte de l’Union, en fonction de la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres, qui serait applicable aux investisseurs de tous les États membres, comme l’ont proposé par leur non-paper du 7 avril 2016, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et la République de Finlande (72).
82. Pour ces raisons, je propose à la Cour de répondre à la troisième question qu’un mécanisme de RDIE tel que celui instauré par l’article 8 dudit TBI qui confère aux investisseurs néerlandais le droit de recours à l’arbitrage international à l’encontre de la République slovaque ne constitue pas une discrimination fondée sur la nationalité interdite par l’article 18 TFUE.
83. Ce n’est que si la Cour est d’accord avec cette proposition de réponse qu’elle devra examiner les première et deuxième questions préjudicielles.
C. Sur la deuxième question préjudicielle
84. Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 267 TFUE, en tant que clef de voûte du système juridictionnel de l’Union qui garantit l’ordre des compétences fixé par les traités UE et FUE et l’autonomie du système juridique de l’Union, fait obstacle à l’application d’une disposition telle que l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie.
85. J’examine cette question avant la première, car j’estime qu’un tribunal arbitral constitué conformément à l’article 8 de ce TBI constitue une juridiction au sens de l’article 267 TFUE, commune à deux États membres, à savoir le Royaume des Pays-Bas et la République slovaque, et donc habilitée à interroger la Cour à titre préjudiciel. Cela impliquerait automatiquement l’absence de toute incompatibilité avec l’article 344 TFUE, ce qui fait l’objet de la première question préjudicielle.
86. Selon une jurisprudence constante, pour qu’un organisme juridictionnel ait le caractère d’une « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE, il faut tenir compte d’un ensemble d’éléments, à savoir « l’origine légale de l’organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par l’organisme, des règles de droit, ainsi que son indépendance » (73). Il faut en plus qu’« un litige [soit] pendant devant [elle] et [qu’elle soit appelée] à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel » (74).
87. Sur la base de ces critères, les tribunaux arbitraux ne sont pas automatiquement exclus de la notion de « juridiction d’un État membre » au sens de l’article 267 TFUE. En effet, si la Cour a, plusieurs fois, refusé de répondre à une question préjudicielle posée par des arbitres (75), elle a également, sur la base d’un examen au cas par cas, déclaré recevables les questions préjudicielles déposées par des tribunaux arbitraux dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 17 octobre 1989, Handels- og Kontorfunktionærernes Forbund i Danmark (109/88, EU:C:1989:383), et du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta (C‑377/13, EU:C:2014:1754), ainsi que à l’ordonnance du 13 février 2014, Merck Canada (C‑555/13, EU:C:2014:92).
88. Les deux derniers cas laissent entrevoir une ouverture des critères de recevabilité vers l’arbitrage particulier-État (arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta, C‑377/13, EU:C:2014:1754) (76), et vers l’arbitrage international (ordonnance du 13 février 2014, Merck Canada, C‑555/13, EU:C:2014:92) (77).
89. J’examinerai donc les caractéristiques des tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI au regard des critères énoncés au point 86 des présentes conclusions. À mon avis, l’ensemble de ces critères est réuni en l’occurrence (78).
1. L’origine légale des tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI
90. La majorité des affaires issues d’un arbitrage qui ont été soumises à la Cour ne concernaient qu’un type particulier d’arbitrage, à savoir l’arbitrage commercial dit « conventionnel » dans la jurisprudence de la Cour puisque sa base juridique est une clause compromissoire incluse dans un contrat de droit privé (79).
91. Il y a d’autres types d’arbitrage. Outre les arbitrages prévus à l’article 272 TFUE, il y a l’arbitrage entre États sur la base d’une convention internationale (80) ou l’arbitrage entre particuliers et États, ces deux derniers types étant très différents des arbitrages entre particuliers sur le plan de l’origine légale.
92. Dans ce dernier cas, la compétence du tribunal arbitral tire son origine non pas d’une loi, mais d’une clause compromissoire contenue dans un contrat.
93. Tel était notamment le cas de l’arbitrage qui a donné lieu à l’arrêt du 23 mars 1982, Nordsee (102/81, EU:C:1982:107), lequel concernait un contrat de « pool » conclu entre plusieurs entreprises privées et avait pour objet, dans le cadre d’un programme commun de construction de treize navires-usines pour la pêche, de répartir entre elles tous les concours financiers qu’elles recevraient de la part du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA). Le tribunal arbitral saisi conformément à ce contrat avait émis des doutes sur la compatibilité du contrat avec le droit de l’Union et avait interrogé la Cour sur cette question.
94. La Cour s’est considérée « incompétente » (81), en jugeant que ce tribunal arbitral n’était pas une juridiction de l’un des États membres au sens de l’article 267 TFUE pour deux raisons. En premier lieu, « il n’y avait aucune obligation, ni en droit ni en fait, pour les parties contractantes de confier leurs différends à l’arbitrage » (82) puisqu’elles avaient fait ce choix par voie contractuelle. En second lieu, « les autorités publiques allemandes ne sont pas impliquées dans le choix de la voie de l’arbitrage, et […] ne sont pas appelées à intervenir d’office dans le déroulement de la procédure devant l’arbitre » (83).
95. Le fait que l’origine de la compétence du collège arbitral était une clause compromissoire conclue dans un contrat entre un consommateur et une agence de voyages a suffi dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 janvier 2005, Denuit et Cordenier (C‑125/04, EU:C:2005:69), pour exclure ce collège de la notion de juridiction au sens de l’article 267 TFUE, même si la clause compromissoire faisait partie des conditions générales imposées par l’agence de voyages et que le consommateur ne pouvait négocier ce point.
96. En revanche, l’origine légale d’un tribunal arbitral constitué et saisi conformément à l’article 8 dudit TBI ne peut être contestée. Elle se trouve non seulement dans un traité international, mais également dans les lois néerlandaise et tchécoslovaque d’assentiment dudit TBI par lesquelles il est entré dans leurs ordres juridiques. Contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 mars 1982, Nordsee (102/81, EU:C:1982:107), l’implication des autorités publiques dans le choix de la voie de l’arbitrage ainsi que dans la procédure arbitrale elle-même (puisque, en l’espèce, la République slovaque était la partie défenderesse) est manifeste.
97. Cette appréciation est renforcée par l’arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta (C‑377/13, EU:C:2014:1754), et l’ordonnance du 13 février 2014, Merck Canada (C‑555/13, EU:C:2014:92).
98. Le tribunal arbitral ayant interrogé la Cour à titre préjudiciel dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta (C‑377/13, EU:C:2014:1754), satisfaisait au critère d’origine légale puisqu’une loi portugaise prévoyait l’arbitrage comme moyen de résolution juridictionnelle des litiges en matière fiscale et attribuait une compétence générale aux tribunaux arbitraux en matière fiscale pour apprécier la légalité de la liquidation de tout impôt (84).
99. De la même manière, la Cour a jugé que le tribunal arbitral dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 13 février 2014, Merck Canada (C‑555/13, EU:C:2014:92), satisfaisait au critère d’origine légale puisque « [sa] compétence […] résult[ait] non pas de la volonté des parties, mais de la loi [portugaise] no 62/2011 » (85) qui instaurait l’arbitrage comme mécanisme de règlement de différends en matière de droits de propriété industrielle concernant les médicaments génériques et de référence.
2. La permanence des tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI
100. L’arbitrage international peut être un arbitrage institutionnel, dans lequel la procédure est prise en charge et administrée par une institution d’arbitrage (86) selon son règlement et en contrepartie d’une rémunération, ou un arbitrage ad hoc, dans lequel les parties administrent elles-mêmes la procédure sans avoir recours au soutien d’une institution arbitrale.
101. Il ressort des points 25 et 26 de l’arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta (C‑377/13, EU:C:2014:1754), et du point 24 de l’ordonnance du 13 février 2014, Merck Canada (C‑555/13, EU:C:2014:92), que le critère de permanence vise non pas la composition du tribunal arbitral en tant que telle, mais l’institutionnalisation de l’arbitrage comme voie de règlement des différends. Autrement dit, c’est par rapport à l’institution arbitrale qui administre la procédure arbitrale, et non au tribunal arbitral dont la composition est éphémère, que le critère de permanence doit être apprécié.
102. En ce sens, la Cour a jugé au point 26 de l’arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta (C‑377/13, EU:C:2014:1754), que, « bien que la composition des formations de jugement du Tribunal Arbitral Tributário [tribunal fiscal arbitral, Portugal)] soit éphémère et que l’activité de celles-ci s’achève après qu’elles [aient] statué, il n’en demeure pas moins que, dans son ensemble, le Tribunal Arbitral Tributário [tribunal fiscal arbitral] présente, en tant qu’élément dudit système, un caractère de permanence ». Le système auquel se réfère la Cour est l’institution arbitrale « Centro de Arbitragem Administrativa » (CAAD) [Centre d’arbitrage administratif, Portugal].
103. De même, au point 24 de l’ordonnance du 13 février 2014, Merck Canada (C‑555/13, EU:C:2014:92), la Cour a jugé que le critère de permanence était satisfait parce que le tribunal arbitral « [était] institué sur une base législative, qu’il dispos[ait], à titre permanent, d’une compétence obligatoire et que, en outre, la législation nationale défini[ssait] et encadr[ait] les règles procédurales qu’il appliqu[ait] », et cela même s’il pouvait varier dans ses formes, compositions et règles de procédure selon le choix des parties et même s’il était dissous après avoir rendu sa décision.
104. Dans cette affaire, il était clair que le tribunal arbitral était un tribunal ad hoc et qu’il n’y avait pas d’institution arbitrale qui en assurait la permanence, mais la Cour a déduit la permanence de l’article 2 de la loi portugaise no 62/2011 qui instituait l’arbitrage comme seul moyen de règlement des différends en matière de droits de propriété industrielle concernant des médicaments génériques et de référence.
105. La même conclusion peut être tirée pour les tribunaux arbitraux constitués et saisis conformément à l’article 8 dudit TBI puisque, comme dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta (C‑377/13, EU:C:2014:1754), et à l’ordonnance du 13 février 2014, Merck Canada (C‑555/13, EU:C:2014:92), le Royaume des Pays-Bas et la République slovaque ont instauré l’arbitrage comme mode de règlement de différends entre l’un d’eux et un investisseur de l’autre État.
106. D’autres éléments d’institutionnalisation de l’arbitrage sont également présents dans ledit TBI.
107. En effet, l’article 8, paragraphe 4, dudit TBI confère le pouvoir de nomination des arbitres à la chambre de commerce de Stockholm (CCS), qui est une institution arbitrale permanente, et son paragraphe 5 rend le règlement de la CNUDCI applicable à la procédure arbitrale.
108. De plus, la procédure devant le tribunal arbitral en cause dans la présente affaire s’est déroulée sous l’égide d’une institution arbitrale permanente. En effet, la CPA, établie à La Haye et créée par les conventions pour le règlement pacifique des conflits internationaux, conclues à La Haye en 1899 et en 1907 (87), a été désignée comme institution faisant fonction de greffe par la lettre de mission signée par celle-ci et les parties dans l’affaire au principal.
109. Par conséquent, le critère de permanence me paraît également rempli.
3. Le caractère obligatoire de la juridiction des tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI
110. Selon une jurisprudence constante, « [le caractère obligatoire de la juridiction] fait défaut dans le cadre d’un arbitrage conventionnel, dès lors qu’il n’y a aucune obligation, ni en droit ni en fait, pour les parties contractantes de confier leurs différends à l’arbitrage et que les autorités publiques de l’État membre concerné ne sont ni impliquées dans le choix de la voie de l’arbitrage ni appelées à intervenir d’office dans le déroulement de la procédure devant l’arbitre » (88).
111. Il n’est évidemment pas surprenant que la Cour ait jugé que les tribunaux arbitraux dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 17 octobre 1989, Handels- og Kontorfunktionærernes Forbund i Danmark (109/88, EU:C:1989:383), et à l’ordonnance du 13 février 2014, Merck Canada (C‑555/13, EU:C:2014:92), satisfaisaient à la condition de juridiction obligatoire puisque le droit danois et le droit portugais rendaient le recours à l’arbitrage obligatoire.
112. Toutefois, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta (C‑377/13, EU:C:2014:1754), le fait que le recours à l’arbitrage était facultatif et que le contribuable avait choisi d’y recourir contre la République portugaise, alors qu’il aurait pu saisir directement les juridictions ordinaires, n’a pas exclu le tribunal arbitral de la notion de juridiction d’un État membre au sens de l’article 267 TFUE.
113. En effet, selon la Cour, « [ses] décisions [étaient] contraignantes pour les parties en vertu de l’article 24, paragraphe 1, du décret-loi no 10/2011 [et] sa compétence résult[ait] directement des dispositions du décret-loi no 10/2011 et n’[était], partant, pas subordonnée à l’expression préalable de la volonté des parties de soumettre leur différend à l’arbitrage […] Ainsi, lorsque le contribuable requérant soumet son différend à l’arbitrage fiscal, la juridiction du [tribunal arbitral] a […] un caractère obligatoire pour l’autorité fiscale et douanière » (89).
114. Il en va de même pour les tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI.
115. Le paragraphe 7 dudit article 8 dispose que la décision d’un tribunal arbitral constitué conformément à cet article est « définitive et obligatoire pour les parties au différend » (90). Il n’y a donc aucun doute que la sentence rendue par pareil tribunal arbitral est contraignante pour les parties au sens de la jurisprudence de la Cour.
116. De plus, le paragraphe 2 de cette disposition prévoit que « [c]hacune des parties contractantes consent par la présente à ce qu’un différend [entre investisseur et État] soit soumis à un tribunal arbitral s’il n’a pas été réglé à l’amiable dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle l’une des parties au différend en a demandé le règlement amiable » (91).
117. Le fait que l’investisseur peut choisir d’ester en justice soit devant les juridictions de l’État membre concerné, soit devant le tribunal arbitral (92) n’affecte pas le caractère obligatoire de la juridiction du tribunal arbitral puisque ce choix était aussi celui du contribuable dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta (C‑377/13, EU:C:2014:1754).
118. La République slovaque ayant donné au préalable son consentement à l’arbitrage, comme l’avait fait la République portugaise dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta (C‑377/13, EU:C:2014:1754), la juridiction du tribunal arbitral instauré a, conformément à l’article 8, paragraphe 2, dudit TBI, un caractère obligatoire pour cet État membre et pour l’investisseur.
119. Par conséquent, les tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI satisfont également au critère de juridiction obligatoire.
4. La nature contradictoire de la procédure devant les tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI, l’application par eux de règles de droit dans la résolution des litiges qui leur sont soumis ainsi que l’indépendance et l’impartialité des arbitres
120. En ce qui concerne la nature contradictoire de la procédure devant les tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI, il convient de noter que, aux termes de son paragraphe 5, « [l]e tribunal arbitral fixe ses propres règles de procédure conformément au règlement d’arbitrage de la [CNUDCI] » (93).
121. L’article 15, paragraphe 1, de ce règlement, dans sa version de 1976 et applicable au moment où ledit TBI a été conclu, énonçait que, « [s]ous réserve des dispositions du [r]èglement, le tribunal arbitral peut procéder à l’arbitrage comme il le juge approprié, pourvu que les parties soient traitées sur un pied d’égalité et qu’à tout stade de la procédure chaque partie ait toute possibilité de faire valoir ses droits et proposer ses moyens » (94). Cette garantie est reprise à l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement dans sa version de 2010 et de 2013.
122. Le respect du principe du contradictoire est également assuré par plusieurs dispositions dudit règlement qui visent l’échange des mémoires, l’organisation d’une audience et la participation des parties à celle-ci ainsi que la clôture de la phase orale, à savoir les articles 18 à 20, 22, 24, 25 et 29 du règlement de 1976 et les articles 20 à 22, 24, 28 et 31 du règlement modifié en 2010 et en 2013.
123. Concernant le critère d’application par les tribunaux arbitraux de règles de droit, l’article 8, paragraphe 6, dudit TBI dispose que « [l]e tribunal arbitral statue en droit » et prévoit une série de règles de droit que le tribunal doit prendre en compte. La possibilité de statuer ex æquo et bono est donc exclue.
124. En ce qui concerne, enfin, le critère d’indépendance et d’impartialité, il est de jurisprudence constante que « [l]es garanties d’indépendance et d’impartialité postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [...] Afin de considérer la condition relative à l’indépendance de l’organisme de renvoi comme remplie, la jurisprudence exige notamment que les cas de révocation des membres de cet organisme soient déterminés par des dispositions législatives expresses » (95).
125. Je note, d’abord, que la Cour n’a contesté l’indépendance et l’impartialité des arbitres dans aucune des affaires qu’elle a traitées et, ensuite, que le règlement d’arbitrage de la CNUDCI garantit l’indépendance et l’impartialité des arbitres en leur imposant une obligation claire de signaler toutes circonstances de nature à soulever des doutes légitimes sur leur impartialité ou sur leur indépendance (96) ainsi qu’en instaurant une procédure de récusation des arbitres lorsque existent pareilles circonstances (97).
126. Au vu de ce qui précède, les tribunaux arbitraux instaurés par l’article 8 dudit TBI constituent des juridictions au sens de l’article 267 TFUE, mais sont-ils également des juridictions « d’un des États membres » au sens de cette disposition ?
127. À mon avis, oui.
128. La question de la qualité d’une juridiction internationale établie dans le cadre d’une organisation internationale créée par traité international conclu entre États membres a été examinée à propos de la Cour Benelux dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 4 novembre 1997, Parfums Christian Dior (C‑337/95, EU:C:1997:517).
129. Dans cet arrêt, la Cour a jugé qu’« il n’existe aucun motif valable qui justifierait qu’une telle juridiction commune à plusieurs États membres ne puisse soumettre des questions préjudicielles à la Cour à l’instar des juridictions relevant de chacun de ces États membres » (98).
130. Tel est également le cas des tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI puisqu’ils sont instaurés comme mécanisme de résolution de différends par le Royaume des Pays-Bas et la République slovaque.
131. Pour ces raisons, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question que l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une disposition telle que l’article 8 dudit TBI qui permet le règlement des différends entre investisseurs et États par un tribunal arbitral qui doit être considéré comme « une juridiction d’un des États membres » au sens de l’article 267 TFUE.
D. Sur la première question préjudicielle
132. Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 344 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il fait obstacle à l’application de dispositions des TBI internes à l’Union, telles que l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie, qui permettent le règlement par un tribunal arbitral des différends entre investisseurs et États.
133. Il convient de noter d’emblée que, si la Cour juge, comme je le propose, que les tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 de ce TBI sont des juridictions des États membres au sens de l’article 267 TFUE, ils s’inscrivent alors dans le dialogue juridictionnel visé par le point 176 de l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454) et ils sont tenus d’appliquer le droit de l’Union. Par conséquent, le recours à l’arbitrage international dans les conditions prescrites par l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie ne peut porter atteinte ni à l’article 344 TFUE ni à l’ordre des compétences fixé par les traités UE et FUE et, partant, à l’autonomie du système juridique de l’Union.
134. Dans ce cas, en effet, les tribunaux arbitraux sont obligés, sous peine de nullité pour contrariété à l’ordre public, de respecter les principes énoncés par la Cour aux points 65 à 70 de l’avis 1/09 (Accord sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets), du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123), et aux points 157 à 176 de l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454), dont notamment la primauté du droit de l’Union (99) sur les droits des États membres et sur tout engagement international pris entre États membres, l’effet direct de toute une série de dispositions applicables à leurs ressortissants et à eux-mêmes, la confiance mutuelle entre eux dans la reconnaissance de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée et l’application ainsi que le respect pleins et entiers du droit de l’Union.
135. Par ailleurs, la non-application ou la mauvaise application du droit de l’Union par les tribunaux arbitraux créés par les États membres non seulement engagerait la responsabilité des États membres concernés, et ce conformément à l’arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513), puisque ce sont eux qui les ont créés, mais pourrait, le cas échéant, mener à la constatation d’un manquement de la part des États concernés conformément aux articles 258 et 259 TFUE (100).
136. Si, toutefois, la Cour juge que les tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI ne constituent pas des juridictions des États membres au sens de l’article 267 TFUE, il s’imposerait encore d’examiner si l’article 344 TFUE fait obstacle à l’application de l’article 8 dudit TBI et, le cas échéant, si ce dernier est incompatible avec l’ordre des compétences fixé par les traités UE et FUE et l’autonomie du système juridique de l’Union.
137. Dans ce contexte, trois analyses s’imposent, la deuxième ne s’imposant que, si la première se conclut par une réponse affirmative et la troisième ne s’imposant que si la première ou la deuxième question reçoit une réponse négative :
– Un différend entre un investisseur et un État membre, tel que celui visé par l’article 8 dudit TBI, est-il visé par l’article 344 TFUE ?
– L’objet de pareil différend permet-il de le caractériser comme « relatif à l’interprétation et à l’application des traités » au sens de l’article 344 TFUE ?
– Ledit TBI a-t-il, au regard de sa finalité, pour effet de porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités UE et FUE et, partant, à l’autonomie du système juridique de l’Union ?
1. Un différend entre un investisseur et un État membre, tel que celui visé par l’article 8 dudit TBI, est-il visé par l’article 344 TFUE ?
138. À mon avis, la réponse doit être négative pour les raisons suivantes.
139. Aux termes de l’article 344 TFUE, « [l]es États membres s’engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci ».
140. La Cour a souvent eu l’opportunité d’interpréter l’article 344 TFUE et de se prononcer sur la compatibilité avec cet article des accords internationaux même s’il s’agissait d’accords internationaux conclus par l’Union et ses États membres avec des États tiers (101).
141. Selon une jurisprudence constante, « un accord international ne saurait porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités et, partant, à l’autonomie du système juridique de l’Union dont la Cour assure le respect. Ce principe est notamment inscrit dans l’article 344 TFUE selon lequel les États membres s’engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci » (102).
142. Selon la Cour, l’article 344 TFUE prévoit « l’obligation des États membres […] de recourir au système juridictionnel [de l’Union] et de respecter la compétence exclusive de la Cour qui en constitue un trait fondamental[,] [obligation qui] doit être comprise comme une manifestation spécifique de leur devoir plus général de loyauté qui découle de l’article [4, paragraphe 3, TUE] » (103).
143. Il convient de noter d’emblée que le tribunal arbitral ayant rendu la sentence en cause dans l’affaire au principal a minutieusement examiné les arguments de la République slovaque et de la Commission tirés de l’article 344 TFUE. À cet égard, il a jugé, sur la base de l’arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande (C‑459/03, EU:C:2006:345), que les différends entre investisseurs et États contractants à la TBI ne relevaient pas de l’article 344 TFUE (104).
144. La République slovaque, soutenue par plusieurs États membres et par la Commission, conteste cette appréciation du tribunal arbitral. Pour elle, l’article 344 TFUE doit recevoir une interprétation extensive qui le rend applicable à des litiges opposant un particulier à un État membre, spécialement au vu de son libellé qui, contrairement à l’article 273 TFUE, ne limiterait pas expressément son champ d’application aux litiges « entre États membres ».
145. Je ne partage pas cette thèse.
146. Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que les différends entre États membres (105) ainsi qu’entre des États membres et l’Union (106) sont visés par l’article 344 TFUE. En revanche, les litiges entre particuliers ne le sont pas, même si la juridiction appelée à les résoudre est amenée à prendre en compte ou à appliquer le droit de l’Union.
147. En effet, comme la Cour l’a jugé à propos du projet d’accord sur la juridiction du brevet européen et du brevet communautaire, « [l]a création de la [juridiction du brevet européen et du brevet communautaire] ne saurait non plus se heurter à l’article 344 TFUE, étant donné que cet article se borne à interdire aux États membres de soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci. Or, les compétences que le projet d’accord vise à attribuer à la [juridiction du brevet européen et du brevet communautaire] ne porteraient que sur les seuls litiges entre particuliers dans le domaine des brevets » (107).
148. En ce qui concerne les différends entre particuliers et États membres, la Commission relève que le système juridictionnel visé par l’avis 1/91 (Accord EEE – I), du 14 décembre 1991 (EU:C:1991:490), incluait aussi des recours formés par des personnes privées contre l’autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange (AELE) en matière de concurrence (108).
149. Toutefois, ces recours n’auraient pas été dirigés contre un État membre et, de toute façon, il n’y a aucun passage dans l’avis de la Cour qui pourrait faire croire qu’elle a trouvé que cet aspect particulier du projet d’accord sur l’Espace économique européen (EEE) était problématique.
150. Il convient encore de souligner que l’Union devait devenir partie à l’accord visé par cet avis et que, par conséquent, cet accord devait faire partie du droit de l’Union, ce qui n’est évidemment pas le cas dudit TBI. Par ailleurs, comme il ressort clairement des points 13 à 29 de cet avis, la Cour était préoccupée par l’existence d’un risque systémique créé par l’article 6 du projet d’accord pour l’homogénéité de l’interprétation et de l’application du droit dans l’EEE (109) et non par le fait que des recours formés en matière de concurrence par des particuliers contre l’autorité de surveillance de l’AELE auraient été de la compétence d’une juridiction située en dehors de l’architecture juridictionnelle de l’Union.
151. L’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454), est d’une importance particulière à cet égard, puisque même si l’article 6, paragraphe 2, TUE prévoit l’adhésion de l’Union à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome, le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), celle-ci serait incompatible avec l’article 344 TFUE si les différends entre particuliers et États membres, qui sont les différends les plus typiques portés devant la Cour européenne des droits de l’homme, relevaient de cette disposition.
152. C’est pour cette raison que, aux points 201 à 214 de cet avis, la Cour n’a examiné sous l’angle de l’article 344 TFUE que les différends entre États membres et entre États membres et l’Union (110), alors qu’elle était consciente du fait que, par son adhésion à la CEDH, l’Union serait liée par l’article 34, première phrase, de celle-ci qui prévoit que la Cour européenne des droits de l’homme « peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des [Parties contractantes] des droits reconnus dans la convention ou ses protocoles » (111).
153. Pour ces raisons, je pense qu’un différend entre un investisseur et un État membre tel que celui visé par l’article 8 dudit TBI ne relève pas de l’article 344 TFUE.
154. Cette conclusion ne peut être affectée par l’argument de la Commission selon lequel les différends entre investisseurs et États membres sont effectivement des différends entre États membres, puisque, en entamant une procédure arbitrale contre un État membre sur la base d’une disposition telle que l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie, l’investisseur exerce non pas un droit qui est le sien, mais un droit que ce TBI confère à son État d’origine.
155. La Commission s’appuie à cet égard sur deux sentences arbitrales citées au point 81 de ses observations écrites (112). Toutefois, sa thèse est contredite par cette même jurisprudence arbitrale (113) et, de toute façon, est loin de recueillir une approbation générale (114).
156. En effet, il est bien établi en droit international que les dispositions d’un traité international peuvent, sous certaines conditions, conférer des droits aux particuliers (115). En ce sens, plusieurs juridictions arbitrales (116) ainsi qu’étatiques (117) ont jugé que les TBI conféraient directement des droits aux investisseurs (118).
157. Cela est certainement le cas de l’article 3 dudit TBI, dont la violation a été constatée par le tribunal arbitral dans la sentence arbitrale en cause au principal, puisqu’il mentionne explicitement les investisseurs des parties contractantes comme ayant droit à un traitement juste et équitable ainsi qu’au traitement de la nation la plus favorisée.
158. De plus, le droit applicable aux différends visés par l’article 8, paragraphe 6, dudit TBI (119) est différent du droit applicable aux différends entre les deux États parties audit TBI, conformément à son article 10, paragraphe 7 (120).
159. Je conclus de ce qui précède qu’un différend entre un investisseur et un État membre, tel que celui visé par l’article 8 dudit TBI, n’est pas visé par l’article 344 TFUE, ce qui dispense de s’interroger sur la question de savoir si pareil différend est « relatif à l’interprétation ou à l’application des traités [UE et FUE] ». Pour le cas où la Cour ne partagerait pas ma conclusion sur le premier point, j’analyse aussi cette question.
2. Le différend en cause est-il « relatif à l’interprétation ou à l’application des traités » ?
160. En citant les points 140, 149 et 151 à 153 de l’arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande (C‑459/03, EU:C:2006:345), la juridiction de renvoi estime qu’une violation de l’article 344 TFUE ne peut être constituée que si la sentence arbitrale en cause a pour objet l’interprétation et l’application des dispositions du droit de l’Union elles-mêmes, ce qui, selon elle, n’est pas le cas de la sentence arbitrale en cause dans l’affaire au principal.
161. La République slovaque, soutenue par plusieurs États membres et par la Commission, conteste cette appréciation de la juridiction de renvoi. Elle estime que l’article 344 TFUE est applicable à un différend tel que celui opposant Achmea et la République slovaque, en ce qu’il concerne bien l’interprétation et l’application des traités UE et FUE, y compris aussi au sens de l’arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande (C‑459/03, EU:C:2006:345).
162. Je ne suis pas de cet avis.
163. Certes, dans son arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande (C‑459/03, EU:C:2006:345), et son avis l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454), la Cour a jugé que des différends étaient relatifs à l’interprétation et à l’application des traités UE et FUE même s’ils relevaient d’accords internationaux (à savoir, respectivement, la convention des Nations unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay, le 10 décembre 1982,et la CEDH).
164. Toutefois, ce n’était le cas que parce que l’Union était partie à l’accord en cause (la convention des Nations unies sur le droit de la mer), lequel faisait donc partie du droit de l’Union, ou parce qu’il était envisagé qu’elle adhère à l’accord en cause (CEDH), lequel devait donc faire partie du droit de l’Union.
165. En effet, comme la Cour l’a jugé aux points 126 et 127 de l’arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande (C‑459/03, EU:C:2006:345) :
« Il a été établi que les dispositions de la convention [des Nations unies sur le droit de la mer] qui interviennent dans le différend relatif à l’usine MOX relèvent d’une compétence de [l’Union] que celle-ci a exercée en adhérant à la convention, de sorte que lesdites dispositions font partie intégrante de l’ordre juridique [de l’Union].
Partant, il s’agit bien, en l’espèce, d’un différend relatif à l’interprétation ou à l’application du traité [TFUE], au sens de l’article [344 TFUE]. »
166. De la même manière, dans l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454), la Cour a jugé que « la CEDH ferait partie intégrante du droit de l’Union. Par conséquent, lorsque celui-ci est en cause, la Cour est exclusivement compétente pour connaître de tout litige entre les États membres ainsi qu’entre ces derniers et l’Union au sujet du respect de cette convention ». Sur cette base, la Cour a jugé que l’adhésion de l’Union à la CEDH était susceptible d’affecter l’article 344 TFUE (121).
167. Toutefois, contrairement aux accords en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande (C‑459/03, EU:C:2006:345), et dans l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454), l’Union n’est pas partie audit TBI, lequel ne fait donc pas partie du droit de l’Union, ce qui est le critère défini dans ces deux décisions de la Cour.
168. Par conséquent, la compétence exclusive de la Cour garantie par l’article 344 TFUE n’est pas remise en cause.
169. Cette constatation n’est pas affectée par l’argument de la Commission selon lequel le droit de l’Union fait partie du droit applicable aux différends entre investisseurs et États parties audit TBI et que, en l’espèce, Achmea avait fait valoir une violation du droit de l’Union dans la procédure arbitrale.
170. À cet égard, le tribunal arbitral en cause dans la présente affaire a jugé que, « [l]oin d’être empêché de prendre en considération et d’appliquer le droit de l’Union, il [était tenu] de l’appliquer dans la mesure où il fai[sai]t partie du droit applicable, que ce soit conformément à l’article 8 du TBI, au droit allemand, ou autrement » (122). Il a ajouté que la Cour possédait le « monopole de l’interprétation finale faisant autorité du droit de l’Union » (123).
171. J’ajoute qu’un tribunal arbitral constitué conformément à l’article 8 dudit TBI peut également être amené à appliquer le droit de l’Union conformément à l’article 3, paragraphe 5, dudit TBI qui prévoit, entre autres, que, si un traité qui interviendrait dans le futur entre les parties (124) contenait des règles, générales ou spécifiques, accordant à des investissements d’investisseurs de l’autre partie contractante un traitement plus favorable que celui prévu par ledit TBI, ces règles primeraient sur ce dernier dans la mesure où elles seraient plus favorables (125).
172. En outre, les traités UE et FUE feraient, de toute façon, partie des règles de droit dont les tribunaux arbitraux devraient tenir compte, même en l’absence d’une disposition telle que l’article 8, paragraphe 6, dudit TBI, parce que cette obligation résulte par défaut de l’article 31, paragraphe 3, sous a) et c), de la convention de Vienne (126).
173. Toutefois, le fait que le droit de l’Union fasse partie du droit applicable aux différends entre investisseurs et États conformément à l’article 8, paragraphe 6, du TBI n’implique pas que ces différends soient relatifs à l’interprétation et à l’application des traités UE et FUE, et cela pour deux raisons : en premier lieu, la compétence du tribunal arbitral se limite à statuer sur des violations dudit TBI et, en second lieu, le champ d’application dudit TBI et les normes juridiques introduites par celui-ci ne sont pas identiques à ceux des traités UE et FUE.
a) La compétence du tribunal arbitral se limite à statuer sur des violations du TBI
174. Comme l’a jugé le tribunal arbitral en cause dans la présente affaire, « sa compétence se limite à statuer sur des prétendues violations du TBI. Le tribunal n’a pas de compétence pour statuer sur de prétendues violations du droit de l’Union en tant que telles » (127).
175. En effet, la mission du tribunal n’est pas d’établir si, par son comportement contesté par l’investisseur, l’État membre a violé ses obligations découlant des traités UE et FUE ou, plus généralement, du droit de l’Union. Au contraire, sa mission est de constater des violations dudit TBI par l’État d’accueil de l’investissement, le droit de l’Union étant l’un des éléments pertinents à prendre en compte afin d’apprécier le comportement de l’État au regard dudit TBI (128).
176. C’est en ce sens que « [l]e droit de l’Union peut avoir une incidence sur l’étendue des droits et des obligations découlant du TBI dans la présente affaire, en vertu de son rôle en tant que partie du droit applicable conformément à l’article 8, paragraphe 6, du TBI et du droit allemand qui est la lex loci arbitri » (129).
177. Cela étant dit, le droit de l’Union n’a eu aucune incidence sur le fond du différend entre Achmea et la République slovaque. En effet, il ne ressort pas des deux sentences arbitrales rendues dans l’affaire en cause au principal qu’Achmea ait invoqué devant le tribunal arbitral des actes du droit de l’Union en vue de leur interprétation et de leur application dans le cadre d’une procédure tendant à faire constater une violation des dispositions desdits actes par la République slovaque (130). Au contraire, Achmea prétendait que les mesures législatives prises par la République slovaque dans le secteur des assurances maladie (131), qui ne trouvaient en rien leur origine ou leur fondement dans le droit de l’Union, violaient les articles 3 à 5 dudit TBI.
178. De plus, comme l’a jugé le tribunal arbitral, ni Achmea ni la République slovaque ne se sont appuyées sur des dispositions du droit de l’Union qui auraient pu avoir une incidence sur le raisonnement ou la décision du tribunal sur le fond de leur différend. Sa sentence ne pourrait donc avoir aucune incidence sur des questions de droit de l’Union (132).
b) Le champ d’application dudit TBI et les normes juridiques introduites par celui-ci ne sont pas identiques à ceux des traités UE et FUE
179. La thèse de la Commission, comme elle l’a exprimé dans ses observations écrites (133) et lors de l’audience, repose sur la prémisse que le droit de l’Union offre aux investisseurs, notamment à travers les libertés fondamentales et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), une protection complète en matière d’investissements.
180. Je ne sais pas ce que la Commission entend par les termes « protection complète », mais la comparaison dudit TBI avec les traités UE et FUE démontre que la protection accordée aux investissements par ceux-ci est encore loin d’être complète. À mon avis, les TBI internes à l’Union, et plus particulièrement le TBI en cause dans l’affaire au principal, instaurent des droits et des obligations qui ne reproduisent ni ne contredisent les garanties de protection des investissements transfrontaliers offertes par le droit de l’Union (134).
181. Le TBI en cause dans l’affaire au principal peut être analysé à la lumière de trois perspectives. En premier lieu, son champ d’application est plus large que celui des traités UE et FUE (1). En deuxième lieu, certaines des normes juridiques introduites par ledit TBI sont sans équivalent dans le droit de l’Union (2). En troisième lieu, certaines de ses normes présentent un chevauchement partiel avec le droit de l’Union sans toutefois aboutir à des résultats incompatibles avec les traités UE et FUE (3).
182. Avant de faire cette analyse, j’identifie les principales normes juridiques contenues dans ce TBI :
– le principe de légalité de l’investissement (135) (article 2) ;
– le traitement juste et équitable (article 3, paragraphe 1) ;
– la protection et la sécurité pleines et entières (article 3, paragraphe 2) ;
– la clause NPF (article 3, paragraphes 2 et 3) ;
– la clause de respect des engagements contractuels dite « umbrella clause » (136) (article 3, paragraphe 4) ;
– le libre transfert des paiements (article 4) ;
– l’interdiction des expropriations illégales (article 5) ;
– l’indemnisation en cas de guerre, conflit armé, cas d’urgence ou autres circonstances extraordinaires (article 6) ;
– la subrogation de l’assureur aux droits de l’investisseur dans le cas d’assurance pour risques non commerciaux (article 7) ;
– le mécanisme de RDIE (article 8) ;
– le mécanisme de règlement des différends entre États (article 10), et
– la clause de temporisation dite « sunset » (137) (article 13, paragraphe 3).
1) Le champ d’application dudit TBI est plus large que celui des traités UE et FUE
183. Sauf limitation expresse, les TBI couvrent tout acte ou toute omission de l’État qui a une incidence sur un investisseur étranger et son investissement. En ce sens, ils s’appliquent à des situations qui ne relèvent pas des traités UE et FUE.
184. Les meilleurs exemples sont ceux du mécanisme qui garantit la stabilité de la zone euro, du droit pénal et de la fiscalité directe.
185. Je me réfère ainsi aux procédures arbitrales lancées sur la base des TBI internes à l’Union, auxquelles se sont référées lors de l’audience la République hellénique et la République de Chypre, à propos de mesures qu’elles ont prises en conformité avec les termes de conditionnalité de leur facilité d’assistance financière fixés dans les protocoles d’accord et d’autres instruments négociés soit dans le cadre du traité instituant le mécanisme européen de stabilité (MES), soit sous le régime précédant le MES [à savoir le Fonds européen de stabilité financière (FESF)]. Ces mesures relèvent soit du MES, soit de la compétence des États membres, mais non des traités UE et FUE (138), dans le cadre desquels elles ne peuvent être contestées par les particuliers au titre de leur incompatibilité avec le droit de l’Union.
186. En ce sens, les mesures prises par le gouvernement grec connues sous la dénomination en langue anglaise « Private Sector Involvement » (ci-après le « PSI ») et consistant, en substance, à la ponction unilatérale et rétroactive des obligations émises par ce gouvernement contrairement à la volonté de certains de leurs détenteurs ont donné lieu à la procédure arbitrale entre, d’une part, un investisseur slovaque et un investisseur chypriote et, d’autre part, la République hellénique (139). Selon ces investisseurs, leur participation « forcée » à la ponction des obligations prévue par le PSI constituait une expropriation indirecte ainsi qu’un traitement injuste et non équitable contraire aux TBI Grèce/Tchécoslovaquie et Grèce/Chypre.
187. Le PSI avait été négocié entre le gouvernement grec et la « troïka » [Commission, BCE et Fonds monétaire international (FMI)] et ensuite approuvé par l’Eurogroupe (140). Comme cela a été jugé par la Cour, la participation de la Commission et de la BCE dans la troïka se fait en dehors des traités UE et FUE et l’Eurogroupe n’est pas un organe de l’Union (141). Les TBI ne connaissent pas pareille limitation. Ils s’appliquent à toute action de l’État.
188. Il en va de même des mesures de contrôle des capitaux imposées par la République de Chypre lors de la crise bancaire qui font l’objet de la procédure arbitrale Theodoros Adamakopoulos e.a. c/ République de Chypre (affaire CIRDI no ARB/15/49). Lors de l’audience, le gouvernement chypriote a admis qu’il avait lui-même adopté ces mesures sur la base de l’article 65, paragraphe 1, TFUE qui permet, et donc n’impose pas, aux États membres d’introduire des restrictions à la libre circulation des capitaux.
189. Comme l’a relevé le président de la BCE, même si la prise de ces mesures peut être tolérée comme restriction à la libre circulation des capitaux par l’article 65, paragraphe 1, TFUE, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de « mesures nationales […] unilatérales et souveraines prises par le Parlement chypriote, le gouvernement chypriote et/ou la banque centrale de Chypre » (142). Même si les États membres doivent exercer les compétences d’une manière qui ne viole pas le droit de l’Union, le TBI peut offrir une protection utile aux investisseurs, là où les mesures relevant de la compétence exclusive des États membres leur portent préjudice sans toutefois entraver le droit de l’Union.
190. Pareillement, les mesures d’assainissement du secteur bancaire chypriote convenues dans le cadre du MES et approuvées par l’Eurogroupe comprenaient le démantèlement de la banque Laïki, sa scission en une structure de défaisance et une banque assainie ainsi que l’intégration de cette dernière à la banque Trapeza Kyprou (143). Laïki a également fait l’objet des mesures adoptées par le gouvernement chypriote qui, selon son actionnaire Marfin Investment Group, ont entraîné l’augmentation de la participation de la République de Chypre dans le capital de Laïki à son détriment. Des procédures pénales ont été ouvertes à l’encontre des dirigeants de Laïki nommés par Marfin Investment Group et des saisies provisoires de biens appartenant à Marfin Investment Group et à ses dirigeants ont été effectuées. En considérant que ces mesures constituaient une expropriation indirecte de son investissement dans la banque Laïki ainsi qu’un traitement arbitraire et discriminatoire contraire au TBI Grèce/Chypre, Marfin Investment Group a initié une procédure arbitrale contre la République de Chypre (144).
191. Il est évident que le différend en cause dans cet arbitrage ne relève pas non plus du champ d’application des traités UE et FUE tant dans sa partie pénale que dans sa partie d’assainissement. Lors de l’audience, le gouvernement chypriote a reproché au tribunal arbitral de lui avoir ordonné « de ne pas émettre et de ne pas exécuter certains mandats d’arrêt européens » à l’encontre de certains ressortissants grecs, même si c’était dans le but de leur permettre de participer en tant que témoins aux audiences devant le tribunal arbitral.
192. Toutefois, comme il ressort du communiqué de presse émis par le service juridique de la République de Chypre, la décision d’émettre ou non pareils mandats d’arrêt relève de la compétence exclusive des États membres. Je ne vois donc pas comment la décision du tribunal arbitral aurait empêché la République de Chypre d’exécuter ses obligations découlant de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (145), qui vise en substance l’exécution dans les autres États membres des mandats émis par un État membre (en l’occurrence la République de Chypre) ainsi que les procédures de remise des personnes visées. Quant à la suspension de l’exécution des mandats, cette décision-cadre ne contient pas de disposition visant l’exécution des mandats dans le pays de leur émission. En ce sens, cette question relève également de la compétence exclusive des États membres. De toute façon, il apparaît que le tribunal arbitral en cause a, à la suite de la demande du procureur général de Chypre, retiré sa décision, obligeant ainsi les ressortissants grecs concernés à comparaître devant les juridictions chypriotes, ce qui était l’objet des mandats d’arrêt européens concernés (146).
193. En ce qui concerne le domaine de la fiscalité directe, ledit TBI s’applique pleinement. Cela n’est pas le cas des traités UE et FUE puisque la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, même si ces derniers sont obligés de l’exercer dans le respect du droit de l’Union (147). La protection offerte par les libertés fondamentales en matière de fiscalité directe (148) n’inclut que l’interdiction de différence de traitement entre des contribuables se trouvant dans des situations objectivement comparables ou de traitement identique de contribuables se trouvant dans des situations différentes (149).
194. Lors de l’audience, la Commission s’est référée à l’arrêt du 5 février 2014, Hervis Sport- és Divatkereskedelmi (C‑385/12, EU:C:2014:47), alors que cet arrêt prouve que, contrairement à la thèse de la Commission, le droit de l’Union n’offre pas une protection « complète » en matière d’investissements (150). En effet, il ressort clairement des points 23 et 30 dudit arrêt que le droit de l’Union n’offre une protection que contre les discriminations dans le domaine concerné par ce même arrêt, à savoir la fiscalité directe.
195. De plus, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, ses dispositions ne s’adressent aux États membres que lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Comme la Cour l’a jugé, pour autant que les mesures de fiscalité directe en cause ne relèvent pas des dispositions du traité FUE ou des directives relatives à la fiscalité, les dispositions de la Charte ne leur sont pas applicables (151).
196. En revanche, la protection accordée aux investisseurs par les TBI dans le domaine de la fiscalité directe est plus étendue qu’en droit de l’Union en ce qu’elle vise non pas uniquement un traitement fiscal discriminatoire, mais également toute imposition qui violerait les garanties de traitement juste et équitable, de traitement de la NPF, de protection et de sécurité pleines et entières ainsi que toute expropriation indirecte réalisée sous couvert d’imposition (152).
197. Par exemple, un actionnaire minoritaire dans une société établie dans un autre État membre et qui y est expropriée (153) par voie de fiscalité directe n’est pas protégé par les libertés fondamentales garanties par le traité FUE puisque sa participation ne lui donne pas le contrôle de la société ciblée par les mesures d’expropriation et, de ce fait, ne relève pas de la liberté d’établissement. De plus, comme les mesures fiscales visent la seule société, elles s’appliqueraient à une situation purement interne, ce qui rendrait inapplicables les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des capitaux. Les dispositions du droit de l’Union n’étant pas applicables, la Charte et son article 17 ne s’appliqueraient pas non plus.
198. En revanche, une participation minoritaire étant un investissement direct au sens dudit TBI, un actionnaire minoritaire pourrait bénéficier pleinement de l’article 5, interdisant les expropriations illégales (154).
2) Les normes juridiques dudit TBI qui sont sans équivalent dans le droit de l’Union et qui ne sont pas incompatibles avec celui-ci
199. Plusieurs normes juridiques dudit TBI n’ont pas d’équivalent en droit de l’Union. Il s’agit de la clause NPF, de la clause de respect des engagements contractuels, de la clause sunset ainsi que du mécanisme RDIE.
i) La clause NPF
200. L’article 3, paragraphe 2, dudit TBI instaure le principe selon lequel chaque partie contractante accordera aux investissements des investisseurs de l’autre partie une protection et une sécurité pleines et entières qui, de toute façon, ne seront pas plus faibles que celles accordées soit aux investissements de ses propres investisseurs, soit aux investissements de n’importe quel autre État, selon ce qui est le plus favorable à l’investisseur concerné.
201. Même si le droit de l’Union reconnaît le principe de traitement national (155), il ne contient pas de clause NPF qui permettrait aux ressortissants d’un État membre de bénéficier dans un autre État membre du traitement que ce dernier accorde aux ressortissants d’un troisième État membre sur la base d’un accord bilatéral (156).
ii) La clause de respect des engagements contractuels, dite « umbrella clause »
202. La clause de respect des engagements contractuels dite « umbrella clause » de l’article 3, paragraphe 5, dudit TBI a pour effet de transformer en violation du TBI une violation par l’État d’un engagement contractuel qu’il a souscrit à l’égard d’un investisseur. Il n’y a rien d’équivalent en droit de l’Union qui transformerait la violation d’un engagement contractuel en une violation des traités UE et FUE.
iii) La clause sunset
203. Contrairement à l’article 13, paragraphe 3, dudit TBI, les traités UE et FUE ne contiennent pas de clause sunset. Au contraire, l’article 50, paragraphe 3, TUE prévoit que « [l]es traités cessent d’être applicables à l’État concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2 », sauf si ce délai est prorogé. Par conséquent, les ressortissants de l’Union cesseront immédiatement de bénéficier de la protection accordée par le droit de l’Union à leurs activités économiques dans l’État membre qui décide de se retirer de l’Union, même si leurs investissements ont été réalisés pendant la période où les traités étaient en vigueur dans cet État membre, et vice versa.
iv) Le recours à l’arbitrage international en tant que mécanisme de RDIE
204. L’article 8 dudit TBI contient l’offre permanente (standing offer) du Royaume des Pays-Bas et de la République slovaque aux investisseurs de l’autre partie contractante de soumettre à l’arbitrage international tout différend relatif à leurs investissements, conformément au règlement d’arbitrage de la CNUDCI, l’Institut d’arbitrage de la CCS agissant en tant qu’autorité investie du pouvoir de nomination.
205. Selon le tribunal arbitral saisi de l’arbitrage en cause dans l’affaire au principal, le droit de recourir à l’arbitrage international ne peut tout simplement pas être assimilé aux recours devant les juridictions ordinaires de l’État (157), en sachant que les traités UE et FUE (comme les droits des États membres) n’instaurent pas une voie de recours équivalente au mécanisme RDIE. Même si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE impose aux États membres l’obligation d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, les traités UE et FUE ne créent pas de voies de recours qui permettraient aux justiciables d’attraire directement les États membres devant la Cour (158). De plus, le champ d’application dudit TBI est plus large que celui des traités UE et FUE et, donc, s’applique aussi là où les obligations découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ne s’appliquent pas.
206. En outre, les tribunaux arbitraux sont le for le plus approprié pour régler des différends entre investisseurs et États sur la base de TBI, puisque les juridictions étatiques imposent souvent aux investisseurs des conditions d’invocabilité du droit international qui sont en réalité impossibles à remplir (159) ainsi que des délais difficilement conciliables avec la vie des affaires et les montants qui sont en jeu.
207. Par conséquent, s’il ne prévoyait pas le recours à l’arbitrage international comme mode de RDIE, ledit TBI entier serait privé de tout effet utile. À cet égard, les États membres intervenant dans la présente procédure ainsi que la Commission n’ont pas donné un seul exemple d’un investisseur qui aurait introduit un recours devant des juridictions étatiques sur la base des anciens TBI, qui, comme les TBI Allemagne/Grèce et Allemagne/Portugal, ne contiennent pas de mécanismes de RDIE.
208. Il n’est donc guère étonnant que le droit des investisseurs de recourir à l’arbitrage international soit reconnu en droit international des investissements comme la disposition la plus essentielle des TBI puisque celle-ci, au-delà de son contenu procédural, est aussi, en elle-même, une garantie qui incite et protège les investissements (160).
209. La Cour a confirmé cette appréciation en jugeant, au point 292 de l’avis 2/15 (Accord de libre-échange avec Singapour), du 16 mai 2017 (EU:C:2017:376), que les mécanismes RDIE « ne saurai[ent] revêtir un caractère purement auxiliaire ».
3) Le chevauchement des autres dispositions dudit TBI avec certaines dispositions des traités UE et FUE n’est que partiel
210. En ce qui concerne les autres normes de protection matérielle des investissements, à savoir la protection et la sécurité pleines et entières, le traitement juste et équitable des investissements ainsi que l’interdiction des expropriations illégales, il convient de souligner que leur chevauchement avec le droit de l’Union n’est que partiel sans toutefois donner lieu à une incompatibilité avec celui-ci. Au contraire, tout comme les libertés fondamentales, ces normes encouragent également les mouvements des capitaux entre États membres. Elles sont a priori compatibles avec le marché intérieur.
i) La protection et la sécurité pleines et entières des investissements
211. Cette norme impose à l’État l’obligation positive de prendre des mesures afin de protéger les investissements, ce qui inclut la protection physique de l’investisseur et de son investissement contre les actions violentes de la part de particuliers (161) ou des organes de l’État (162) ainsi que la protection juridique (163) de l’investisseur et de son investissement (164).
212. Il n’y a pas de norme directement équivalente en droit de l’Union (165). Certes, les libertés fondamentales peuvent être applicables dans les mêmes cadres factuels que la garantie de protection et de sécurité pleines et entières, puisqu’elles ont un effet direct vertical et horizontal (166). Toutefois, les contenus sont différents, qu’il s’agisse de la protection physique de l’investisseur ou de la protection juridique qui inclut l’obligation de l’État d’assurer que le niveau de protection et de sécurité des investissements convenu avec les investisseurs étrangers ne sera pas supprimé ou diminué que ce soit par une modification de ses lois ou par des actions de son administration (167). On ne trouve rien d’aussi spécifique en droit de l’Union.
ii) Le traitement juste et équitable des investissements
213. Le traitement juste et équitable des investissements est une notion large qui inclut le droit à un procès équitable et les garanties fondamentales de bonne foi, de non-discrimination (168) et de proportionnalité (169) ainsi que les notions de transparence, d’absence d’ambiguïté et de traitement arbitraire, de protection de la confiance légitime ainsi que de protection contre la coercition et le harcèlement (170). Enfin, la notion de traitement juste et équitable protège l’investisseur contre un déni de justice (171) par les juridictions étatiques (172).
214. Les points communs avec plusieurs principes du droit de l’Union, comme les principes de non-discrimination, de proportionnalité et de protection de la confiance légitime ainsi que les droits à une bonne administration, à un recours judiciaire effectif et à un tribunal impartial, sont évidents.
215. Toutefois, ces normes du droit de l’Union, même prises dans leur ensemble, n’impliquent pas que le droit de l’Union connaisse le principe de traitement juste et équitable en tant que tel. Par exemple, comme cela a été jugé par plusieurs tribunaux arbitraux, un traitement peut être injuste et inéquitable, même s’il vise tous les opérateurs économiques, indépendamment de leur nationalité ou d’autres caractéristiques distinctives (173), comme un impôt forfaitaire sur les sociétés. Il convient de souligner que, lors de la procédure arbitrale en cause dans l’affaire au principal, la République slovaque a accepté que pareil impôt pourrait être contraire au traitement juste et équitable exigé par le TBI, alors qu’il ne serait pas incompatible avec le droit de l’Union (174).
216. Un autre exemple est la protection contre les dénis de justice qui inclut également le cas d’une mauvaise application du droit national qui est claire et malveillante. Le droit de l’Union n’offre pas de protection comparable, puisque les juridictions de l’Union ne sont pas compétentes pour interpréter le droit national.
iii) L’interdiction des expropriations illégales
217. Conformément à l’article 5 dudit TBI, une expropriation n’est légale que si elle est justifiée par l’intérêt général, respecte la procédure légale requise, n’est pas discriminatoire et est accompagnée d’une provision pour le paiement d’une juste compensation.
218. Le chevauchement avec le droit de propriété garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte est évident (175). Aux termes de cette disposition, « [n]ul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte ».
219. Toutefois, ce chevauchement n’est que partiel, puisque la protection contre l’expropriation accordée par les TBI est plus étendue que celle du droit de l’Union à deux égards au moins.
220. En premier lieu, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, son article 17 ne s’adresse aux États membres que lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Son application est donc exclue dans les autres cas. Si, donc, la Commission s’est référée, lors de l’audience, aux affaires SEGRO et Horváth (C‑52/16 et C‑113/16), pendantes devant la Cour, comme exemples d’affaires où le droit de l’Union offre une protection contre les expropriations, cette protection est loin d’être complète, parce qu’elle ne s’applique jamais de manière autonome (176). En revanche, l’interdiction des expropriations illégales par l’article 5 dudit TBI est autonome et lie l’État sans limitation.
221. En deuxième lieu, les TBI protègent non pas uniquement des expropriations directes (177), mais également des expropriations indirectes, à savoir les expropriations par voie réglementaire et les expropriations dites « larvées » (creeping expropriations) (178).
222. La notion d’« expropriation indirecte » est plus floue et envisage des mesures d’ingérence, sans dépossession, dans le droit de propriété et de jouissance de l’investissement. Les tribunaux arbitraux ont établi plusieurs critères afin de distinguer une expropriation indirecte de l’usage normal du pouvoir régulateur de l’État, à savoir le degré d’ingérence dans le droit de propriété, le but et le contexte des mesures étatiques en cause et la violation par ces mesures des attentes raisonnables quant à la performance économique de l’investissement (179).
223. Il en va de même pour les expropriations larvées, c’est‑à‑dire des expropriations indirectes qui se déroulent de manière progressive et qui passent par une série de mesures, dont aucune ne constitue en soi une expropriation mais dont l’effet cumulatif est de détruire la valeur de l’investissement (180).
224. La jurisprudence de la Cour au regard de l’article 17 de la Charte n’est pas si développée. Il n’est donc pas du tout certain qu’elle protégerait les investisseurs contre des expropriations indirectes de manière comparable aux TBI.
225. En troisième lieu, l’article 17 de la Charte ne prévoit qu’une juste indemnité alors que l’article 5, sous c), dudit TBI prévoit que l’indemnité doit représenter la valeur réelle de l’investissement.
226. Enfin, la Commission ne donne pas même un seul exemple d’une affaire menée devant la Cour soit par recours en annulation, soit par demande de décision préjudicielle dans laquelle un investisseur aurait revendiqué son droit à la propriété contre une expropriation illégale de son investissement (181).
227. De plus, la Commission n’explique pas du tout en quoi l’interdiction des expropriations illégales serait incompatible avec les traités UE et FUE.
228. Il ressort de ce qui précède que le champ d’application dudit TBI est plus large que celui des traités UE et FUE et que les garanties de protection des investissements introduites par celui-ci sont différentes de celles accordées en droit de l’Union sans être incompatibles avec lui. Pour cette raison, un différend entre un investisseur néerlandais et la République slovaque relevant dudit TBI n’est pas un différend relatif à l’interprétation ou à l’application des traités UE et FUE.
3. Le TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie a-t-il, au regard de sa finalité, pour effet de porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités UE et FUE et, partant, à l’autonomie du système juridique de l’Union ?
229. Si la Cour juge qu’un différend tel que celui entre Achmea et la République slovaque dans l’affaire au principal n’est pas un différend relatif à l’interprétation ou à l’application des traités visé par l’article 344 TFUE, il conviendrait encore d’examiner si l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie a pour effet de porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par lesdits traités et à l’autonomie du système juridique de l’Union (182).
230. Je rappelle d’abord les principes essentiels énoncés à ce sujet par la Cour aux points 65 à 70 de l’avis 1/09 (Accord sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets), du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123), et aux points 157 à 176 de l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454).
231. Il est constant que les traités fondateurs de l’Union ont institué un nouvel ordre juridique, doté d’institutions propres, au profit duquel les États ont limité, dans des domaines de plus en plus étendus, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants, le droit de l’Union se caractérisant par sa primauté sur les droits des États membres ainsi que par l’effet direct de toute une série de dispositions applicables à leurs ressortissants et à eux-mêmes (183).
232. L’ordre juridique et le système juridictionnel de l’Union reposent sur la prémisse fondamentale que chaque État membre partage avec tous les autres, et reconnaît que ceux-ci les partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, ce qui implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre (184).
233. En vertu du principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, les États membres assurent, sur leurs territoires respectifs, l’application et le respect du droit de l’Union. En outre, en vertu du deuxième alinéa du même paragraphe, les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union (185).
234. Pour garantir la préservation des caractéristiques spécifiques et de l’autonomie du système juridique de l’Union, les traités ont institué un système juridictionnel destiné à assurer la cohérence et l’unité dans l’interprétation du droit de l’Union, qui confie aux juridictions nationales et à la Cour la mission de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent dudit droit (186).
235. Dans ce contexte, « la clef de voûte du système juridictionnel ainsi conçu est constituée par la procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE qui, en instaurant un dialogue de juge à juge précisément entre la Cour et les juridictions des États membres, a pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union […], permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités […] » (187).
236. Enfin, dans l’exercice de leur rôle de gardiennes du droit de l’Union, les juridictions des États membres veillent au respect des normes et des principes qui relèvent des fondements mêmes de l’ordre juridique de l’Union, tels que la primauté du droit de l’Union, les quatre libertés fondamentales, la citoyenneté de l’Union, l’espace de liberté, de sécurité et de justice, le droit de la concurrence et des aides d’État ainsi que les droits fondamentaux (188).
237. À mon avis, la possibilité offerte par l’article 8 dudit TBI aux investisseurs néerlandais et slovaques de recourir à l’arbitrage international n’enfreint ni l’ordre des compétences fixé par les traités UE et FUE ni l’autonomie du système juridique de l’Union, même dans le cas où la Cour jugerait que les tribunaux arbitraux constitués conformément à cet article ne sont pas des juridictions des États membres au sens de l’article 267 TFUE.
238. Il convient d’abord de noter que, malgré leur nature contraignante, aucune sentence arbitrale ne peut être exécutée sans le concours de l’État qui met, dans le cas de l’arbitrage d’investissement, ses mécanismes d’exécution à la disposition de l’investisseur.
239. Dans le cas de l’article 8 dudit TBI, les sentences rendues par les tribunaux arbitraux ne peuvent échapper au contrôle des juridictions étatiques. Ce contrôle peut s’effectuer dans le cadre d’un recours en annulation contre la sentence arbitrale devant les juridictions du siège de l’arbitrage ou dans le cadre d’une opposition à une demande de reconnaissance et d’exécution de celle-ci devant les juridictions des pays où la reconnaissance et l’exécution de la sentence sont demandées conformément à la convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, signée à New York le 10 juin 1958 (189) (ci-après la « convention de New York »).
240. Comme la Cour l’a jugé à plusieurs reprises, « si un arbitrage conventionnel soulevait des questions de droit [de l’Union], les juridictions ordinaires pourraient être amenées à examiner ces questions, notamment dans le cadre du contrôle de la sentence arbitrale, plus ou moins étendu selon le cas, qui leur revient en cas de saisine en appel, en opposition, pour exequatur, ou par toute autre voie de recours ou forme de contrôle prévue par la législation nationale applicable » (190).
241. Sur cette constatation se base la jurisprudence constante selon laquelle « il appartient à ces juridictions nationales de vérifier si elles doivent saisir la Cour en application de l’article [267 TFUE] pour obtenir l’interprétation ou l’appréciation de validité des dispositions de droit [de l’Union] qu’elles peuvent être amenées à appliquer dans le cadre du contrôle juridictionnel d’une sentence arbitrale » (191), ces juridictions étant en définitive chargées de garantir l’uniformité d’application du droit de l’Union et le respect des normes d’ordre public européen (192).
242. La Cour n’a pas même estimé utile de rappeler expressément ce point dans le corps de ses arrêts du 13 mai 2015, Gazprom (C‑536/13, EU:C:2015:316), et du 7 juillet 2016, Genentech (C‑567/14, EU:C:2016:526), où elle a directement jugé le fond de la question qui, dans les deux affaires, visait à savoir si la sentence arbitrale en cause était incompatible avec le droit de l’Union en matière de concurrence.
243. Dans ces affaires, ni les États membres ni la Commission n’ont considéré que les questions de droit de la concurrence soulevées devant les arbitres n’étaient pas arbitrables ou qu’il y avait la moindre incompatibilité entre le droit de l’Union et les clauses compromissoires que les parties privées avaient insérées dans leurs contrats (193).
244. De plus, les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss (C‑126/97, EU:C:1999:269), et du 7 juillet 2016, Genentech (C‑567/14, EU:C:2016:526), s’inscrivaient dans le cadre de recours en annulation d’une sentence arbitrale alors que celle ayant donné lieu à l’arrêt du 13 mai 2015, Gazprom (C‑536/13, EU:C:2015:316), faisait suite à une opposition à la demande de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale. Cela démontre que, quelles que soient les procédures, les juridictions des États membres et de l’Union ont la possibilité d’assurer l’uniformité d’interprétation du droit de l’Union et le respect des normes d’ordre public européen, que ce soit en matière de concurrence (194) ou dans les autres domaines du droit de l’Union.
245. Les caractéristiques des tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI, et notamment du tribunal arbitral en cause dans la présente affaire, sont telles qu’elles permettent aux juridictions ordinaires des États membres d’assurer le respect de ces principes, comme elles le font dans le cadre de l’arbitrage international commercial.
246. L’article 8 dudit TBI confie au président de l’Institut d’arbitrage de la CCS, établie dans un État membre, le soin de nommer les arbitres, si les nominations n’interviennent pas dans les délais fixés par l’article 8, paragraphe 3, dudit TBI. Il prévoit également que le règlement d’arbitrage de la CNUDCI sera applicable aux procédures arbitrales qui se dérouleront conformément à cet article. Selon l’article 16 du règlement d’arbitrage de 1976, il appartient au tribunal arbitral lui–même de fixer le siège de l’arbitrage et de choisir l’institution qui fera fonction de greffe, après avoir entendu les parties (195).
247. Par son ordonnance procédurale du 19 mars 2009, le tribunal arbitral a fixé le siège de l’arbitrage sur le territoire d’un État membre, à savoir à Francfort-sur-le-Main. Sa sentence serait donc, conformément à l’article 1059 du code allemand de procédure civile, susceptible d’un recours en annulation devant les juridictions allemandes qui pourront donc veiller dans ce cadre à assurer l’uniformité d’interprétation du droit de l’Union et le respect des normes d’ordre public européen. C’est dans le cadre de ce type de recours que la juridiction de renvoi et la Cour ont été saisies.
248. De plus, la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales rendues par les tribunaux arbitraux constitués conformément à l’article 8 dudit TBI relèvent de la convention de New York à laquelle tous les États membres ont adhéré. Conformément à celle-ci, les juridictions étatiques peuvent refuser la reconnaissance et l’exécution de ces sentences pour tous les motifs prévus à son article V, y inclus le fait que la procédure arbitrale n’a pas été conforme à la convention des parties (196) et la contrariété à l’ordre public (197), y compris l’ordre public européen.
249. À supposer donc qu’Achmea tendrait à obtenir la reconnaissance et l’exécution de la sentence arbitrale en cause dans la présente affaire dans un autre État membre, les juridictions de l’État requis seraient également chargées de garantir que la sentence n’est pas incompatible avec le droit de l’Union.
250. Il en va de même dans le cadre d’un recours en annulation comme dans la présente affaire. L’uniformité d’application du droit de l’Union peut être assurée sur la base de plusieurs motifs, dont les plus pertinents sont la non-conformité de la procédure arbitrale à la convention des parties et la contrariété à l’ordre public (198), y compris l’ordre public européen.
251. La Commission évoque également le risque que le siège d’un arbitrage soit potentiellement fixé dans un pays tiers ou que la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale incompatible avec le droit de l’Union soient demandées dans un pays tiers, cas dans lesquels les juridictions de l’Union ne seraient pas impliquées et, de ce fait, la Cour ne serait jamais saisie à titre préjudiciel.
252. Il en va de même, selon la Commission, des TBI internes à l’Union qui désignent le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), établi à Washington, D.C., en tant qu’institution faisant fonction de greffe de l’arbitrage. Dans un tel cas, la sentence arbitrale serait obligatoire à l’égard des parties et ne pourrait faire l’objet d’aucun appel ou autre recours que ceux prévus dans la convention CIRDI (199). Il en découle qu’il n’y aurait aucun moyen en droit qui permettrait aux juridictions des États membres de contrôler la compatibilité d’une sentence arbitrale CIRDI avec le droit de l’Union.
253. Même si j’estime que les États membres devraient éviter le choix du CIRDI dans leurs TBI, les risques auxquels se réfère la Commission sont, en l’occurrence, purement hypothétiques puisque le TBI en cause ne désigne pas le CIRDI comme institution faisant fonction de greffe de l’arbitrage, que les parties ont choisi la CPA à La Haye comme institution remplissant cette fonction, que le tribunal arbitral a fixé le siège de l’arbitrage sur le territoire d’un État membre et qu’il y a non pas une demande de reconnaissance et d’exécution de la sentence arbitrale dans des pays tiers (200), mais un recours en annulation contre la sentence arbitrale devant les juridictions d’un État membre dont l’une a saisi la Cour à titre préjudiciel.
254. De plus, il n’y a aucune question d’incompatibilité quant au fond de la sentence arbitrale avec le droit de l’Union, les arguments de la République slovaque devant la juridiction de renvoi ne ciblant que la compatibilité du mécanisme de règlement des différends instauré par l’article 8 dudit TBI avec les traités UE et FUE.
255. Cela étant dit, l’efficacité du système juridictionnel de l’Union resterait intacte même dans l’hypothèse où un État membre ne serait pas disposé à contester l’incompatibilité d’une sentence arbitrale avec les traités UE et FUE par un recours en annulation ou une opposition à la demande de reconnaissance et d’exécution. En effet, dans une telle hypothèse, les articles 258 et 260 TFUE permettraient à la Commission de poursuivre cet État membre qui se serait conformé à une sentence arbitrale incompatible avec le droit de l’Union (201).
256. Pour ces raisons, je considère que l’article 8 dudit TBI ne porte pas atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités UE et FUE et, partant, à l’autonomie du système juridique de l’Union.
257. Cette constatation n’est pas affectée par l’argumentation de plusieurs gouvernements et de la Commission tirée du risque de décisions rendues par les tribunaux arbitraux qui seraient incompatibles avec le droit de l’Union ainsi que du principe de confiance mutuelle.
258. Cette argumentation vaut non seulement pour l’arbitrage international d’investissement, mais également pour l’arbitrage international commercial puisque ce dernier peut aussi conduire à des sentences incompatibles avec le droit de l’Union et être fondé sur une prétendue absence de confiance à l’égard des juridictions des États membres. Malgré ces risques, la Cour n’a jamais contesté sa validité alors que l’arbitrage des questions du droit de l’union en matière de concurrence entre particuliers n’est pas inconnu (202).
259. Si, donc, l’arbitrage international entre particuliers ne porte pas atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités UE et FUE et, partant, à l’autonomie du système juridique de l’Union, même lorsque l’État est partie à la procédure arbitrale (203), je pense qu’il doit en être de même pour l’arbitrage international entre investisseurs et États, d’autant plus que la présence inévitable de l’État implique une plus grande transparence (204) et que demeure la possibilité de l’obliger à respecter les obligations découlant du droit de l’Union par une procédure en anquement sur la base des articles 258 et 259 TFUE.
260. Si devait être suivie la logique de la Commission, tout arbitrage serait susceptible de porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités UE et FUE et, partant, à l’autonomie du système juridique de l’Union.
261. Par ailleurs, je ne vois pas en quoi la procédure arbitrale en cause dans l’affaire au principal heurterait le principe de confiance mutuelle étant donné qu’elle n’a eu lieu que grâce au consentement des États membres concernés et au choix d’Achmea, librement exprimé, d’utiliser la faculté que ces États membres lui ont offerte.
262. En effet, le principe de confiance mutuelle « impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit » (205).
263. Je ne vois pas le lien entre ce principe et l’article 8 dudit TBI. Comme l’a relevé le gouvernement néerlandais lors de l’audience, l’arbitrage international en tant que mode de RDIE n’implique nullement que le Royaume des Pays-Bas et la République slovaque aient eu des doutes sur le respect par l’autre partie du droit de l’Union et des droits fondamentaux qu’il reconnaît.
264. Comme tous les mécanismes RDIE contenus dans les TBI, l’article 8 dudit TBI crée un for où l’investisseur peut attraire l’État afin de revendiquer les droits qui lui sont conférés, en droit international public, par le TBI, possibilité qui sans cet article ne lui serait pas ouverte (206).
265. De plus, il n’est pas sûr qu’un particulier puisse invoquer les dispositions d’un traité international devant les juridictions étatiques puisque celles-ci excluent d’office cette possibilité en considérant que les traités ne créent des droits et des obligations qu’entre États, ou encore imposent des conditions d’invocabilité plus ou moins strictes selon le cas, qui ne garantissent pas aux particuliers la possibilité d’invoquer les dispositions des traités (207).
266. Par conséquent, loin d’exprimer une méfiance envers le système juridique de l’autre État membre, le recours à l’arbitrage international est le seul moyen pour donner un effet plein et utile aux TBI en créant un for spécialisé où les investisseurs peuvent invoquer les droits qui leur sont conférés par les TBI.
267. Par conséquent, je n’estime pas que l’article 8 dudit TBI heurte le principe de confiance mutuelle.
268. Enfin, je ne suis guère convaincu par l’argumentation de la Commission selon laquelle l’inexistence des TBI entre les États membres qui ont fondé l’Union ou qui y ont adhéré avant 2004 est la preuve que ces traités sont fondés sur une absence de confiance mutuelle.
269. En premier lieu, il n’est pas vrai que les États membres fondateurs et les États membres qui ont adhéré à l’Union avant 2004 ne sont pas liés par des accords semblables aux TBI autres que les traités UE et FUE (208).
270. En second lieu, les TBI sont beaucoup moins utiles entre États exportateurs de capitaux. Ainsi, pour prendre un exemple, l’on constate que, selon les dernières statistiques, la France ne fait partie ni des dix premiers pays récipiendaires de flux de capitaux allemands ni des dix premiers pays émetteurs de flux de capitaux en direction de l’Allemagne, alors que la Pologne occupe la dixième place en termes de flux sortants de l’Allemagne (209).
271. Je me demande donc si l’absence de TBI entre les anciens États membres ne s’explique pas plutôt par le fait que la majorité des États membres de cette catégorie sont davantage des exportateurs importants de capitaux que des pays d’accueil d’investissements et que, en ce sens, ils n’ont pas eu vraiment besoin de conclure de TBI entre eux.
272. Pour ces raisons, je considère que le mécanisme de règlement des différends instauré par l’article 8 dudit TBI est compatible avec l’article 344 TFUE ainsi qu’avec l’ordre des compétences fixé par les traités UE et FUE et l’autonomie du système juridique de l’Union.
VI. Conclusion
273. Je propose donc à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) de la manière suivante :
Les articles 18, 267 et 344 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne font pas obstacle à l’application d’un mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et un État instauré au moyen d’un accord bilatéral d’investissement conclu avant l’adhésion de l’un des États contractants à l’Union européenne et prévoyant qu’un investisseur d’un État contractant peut, en cas de litige concernant des investissements dans l’autre État contractant, introduire une procédure contre ce dernier État devant un tribunal arbitral.