Language of document : ECLI:EU:C:2017:879

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 21 novembre 2017 (1)

Affaire C542/16

Länsförsäkringar Sak Försäkringsaktiebolag,

Jan-Erik Strobel,

Mona Strobel,

Margareta Nilsson,

Per Nilsson,

Kent Danås,

Dödsboet efter Tommy Jönsson,

Stefan Pramryd,

Stefan Ingemansson,

Lars Persson,

Magnus Persson,

Anne-Charlotte Wickström,

Peter Nilsson,

Ingela Landau,

Thomas Landau,

Britt-Inger Ruth Romare,

Gertrud Andersson,

Eva Andersson,

Rolf Andersson,

Lisa Bergström,

Bo Sörensson,

Christina Sörensson,

Kaj Wirenkook,

Lena Bergquist Johansson,

Agneta Danås,

Hans Eriksson,

Christina Forsberg,

Christina Danielsson,

Per-Olof Danielsson,

Ann-Christin Jönsson,

Åke Jönsson,

Stefan Lindgren,

Daniel Röme,

Ulla Nilsson,

Dödsboet efter Leif Göran Erik Nilsson

contre

Dödsboet efter Ingvar Mattsson,

Länsförsäkringar Sak Försäkringsaktiebolag

[demande de décision préjudicielle formée par le Högsta domstolen (Cour suprême, Suède)]

« Directive 2002/92/CE – Intermédiation en assurance et en réassurance – Directive 2004/39/CE – Conseil en investissement – Activité d’un intermédiaire d’assurance où celui-ci n’a eu aucune intention de conclure un véritable contrat d’assurance – Délimitation des activités d’intermédiation en assurance et de conseil en investissement – Intermédiation et conseil en assurance-vie en capital – Assurances-vie en unités de compte (“unit linked”) »






1.        Le Högsta domstolen (Cour suprême, Suède) réunit dans la présente demande de décision préjudicielle les doutes que lui inspire l’application des dispositions de l’Union européenne dans deux litiges sur lesquels il est appelé à se prononcer et dont les caractéristiques sont hétérogènes. Bien qu’ils portent tous deux sur l’intermédiation en assurance, dans l’un (2) de ces litiges, seule est discutée la question de la responsabilité civile exigible lorsque le directeur d’une entreprise en intermédiation en assurance s’approprie indûment les sommes que lui ont confiées ses clients.

2.        L’autre litige (3) est plus complexe. Dans le cadre de ce litige, sont abordées des questions touchant à la distinction entre l’intermédiation en matière d’assurances et dans le domaine des produits financiers.

3.        Le développement incessant des marchés financiers a entraîné la multiplication des instruments d’investissement combinés aux assurances-vie traditionnelles. Les compagnies d’assurances proposent des formules très différentes (assurances-épargne, assurances-vie épargne, assurances-vie en capital ou en unités de compte entre autres dénominations) (4) qui visent à canaliser l’épargne des clients en combinant l’élément d’assurance classique et la rentabilité, plus ou moins garantie, des produits financiers. Dans ces formules, les primes versées par le preneur d’assurance sont investies par la compagnie d’assurance dans des instruments financiers, et le preneur d’assurance assume le risque représenté par l’évolution de cet investissement, qui peut naturellement devenir désavantageux pour lui.

4.        Lorsqu’elle répondra aux questions préjudicielles posées dans le cadre de ce second litige, la Cour aura à décider si les intermédiaires qui commercialisent des assurances présentant ces caractéristiques sont soumis à la réglementation applicable à l’intermédiation en assurances ou si l’élément financier et le risque plus important de ce type de produits, notamment leur volatilité, impliquent que cette activité soit plutôt considérée comme une intermédiation en matière d’investissements.

5.        Le régime juridique des deux catégories d’intermédiation varie et est réglementé par plusieurs directives ayant fait l’objet d’une modification récente, qui ne sera applicable qu’à partir de 2018. Néanmoins, l’arrêt de la Cour dans cette affaire pourra être utile pour interpréter les dispositions affectant les produits d’investissement fondés sur l’assurance, aussi bien actuellement qu’à partir de 2018.

 I.      Le cadre juridique

 A.      Le droit de l’Union

6.        L’intermédiation en assurance est réglementée par la directive 2002/92/CE (5), modifiée et refondue par la directive (UE) 2016/97 (6).

7.        Le conseil en investissement est une activité soumise à la directive 2004/39/CE (7), abrogée par la directive 2014/65/UE (8).

 1.      La directive 2002/92

8.        Les considérants 8, 9, 14 et 17 prévoient :

« (8)      La coordination des dispositions nationales relatives aux exigences professionnelles et à l’immatriculation des personnes qui accèdent à l’activité d’intermédiation en assurance et qui exercent cette activité peut donc contribuer tant à l’achèvement du marché unique des services financiers qu’à l’amélioration de la protection des consommateurs dans ce domaine.

(9)      Différents types de personnes ou d’institutions, telles que les agents, les courtiers et les opérateurs de “bancassurance”, peuvent distribuer les produits d’assurance. L’égalité de traitement entre les opérateurs et la protection des consommateurs exige que toutes ces personnes ou institutions soient couvertes par la présente directive.

[…]

(14)      Les intermédiaires d’assurance et de réassurance devraient être immatriculés par l’autorité compétente de l’État membre dans lequel leur résidence ou leur administration centrale est située, à condition qu’ils remplissent de strictes exigences professionnelles relatives à leur compétence, leur honorabilité, leur couverture par une assurance de la responsabilité civile professionnelle et leur capacité financière.

[…]

(17)      Une coopération et un échange d’informations entre les autorités compétentes sont indispensables pour protéger les consommateurs et garantir l’intégrité de l’activité d’assurance et de réassurance dans le marché unique. »

9.        En ce qui concerne le champ d’application, l’article 1er, paragraphe 1, dispose :

« La présente directive établit des règles concernant l’accès aux activités d’intermédiation en assurance et en réassurance et leur exercice par des personnes physiques et morales qui sont établies ou qui souhaitent s’établir dans un État membre.»

10.      Selon l’article 2, point 3 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[…]

3)      “intermédiation en assurance”, toute activité consistant à présenter ou à proposer des contrats d’assurance ou à réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion ou à les conclure, ou à contribuer à leur gestion et à leur exécution, notamment en cas de sinistre.

Ces activités ne sont pas considérées comme une intermédiation en assurance lorsqu’elles sont exercées par une entreprise d’assurance ou un salarié d’une entreprise d’assurance qui agit sous la responsabilité de celle‑ci.

Ne sont pas non plus considérées comme une intermédiation en assurance les activités consistant à fournir des informations à titre occasionnel dans le cadre d’une autre activité professionnelle pour autant que ces activités n’aient pas pour objet d’aider le client à conclure ou à exécuter un contrat d’assurance, la gestion, à titre professionnel, des sinistres d’une entreprise d’assurance ou les activités d’estimation et de liquidation des sinistres ».

11.      Aux termes de l’article 4, paragraphes 3 et 4 :

« 3.      Tout intermédiaire d’assurance ou de réassurance est couvert par une assurance de la responsabilité civile professionnelle couvrant tout le territoire de [l’Union], ou toute autre garantie équivalente, portant sur la responsabilité résultant d’une faute professionnelle, à raison d’au moins 1 000 000 d’euros par sinistre et 1 500 000 euros globalement, pour l’ensemble des sinistres survenus pendant une année, sauf si cette assurance ou une garantie équivalente lui est déjà fournie par une entreprise d’assurance ou de réassurance ou une autre entreprise, pour le compte de laquelle il agit ou par laquelle il est mandaté ou si cette entreprise assume l’entière responsabilité des actes de l’intermédiaire.

4.      Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour protéger les clients contre l’incapacité de l’intermédiaire d’assurance de transférer la prime à l’entreprise d’assurance ou de transférer le montant de l’indemnisation ou d’une ristourne de prime aux assurés. »

12.      En vertu de l’article 12, paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Lorsque l’intermédiaire d’assurance informe le client qu’il fonde ses conseils sur une analyse impartiale, il est tenu de fonder ces conseils sur l’analyse d’un nombre suffisant de contrats d’assurance offerts sur le marché, de façon à pouvoir recommander, en fonction de critères professionnels, le contrat d’assurance qui serait adapté aux besoins du client.

3.      Avant la conclusion d’un contrat d’assurance spécifique, l’intermédiaire d’assurance précise, en particulier sur la base des informations fournies par le client, au minimum les exigences et les besoins de ce client en même temps que les raisons qui motivent tout conseil fourni au client quant à un produit d’assurance déterminé. Ces précisions sont modulées en fonction de la complexité du contrat d’assurance proposé. »

 2.      Le Règlement (UE) no 1286/2014

13.      L’article 1er du règlement (UE) no 1286/2014 (9) établit « des règles uniformes relatives au format et au contenu du document d’informations clés qui doit être rédigé par les initiateurs de produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance, et à la fourniture du document d’informations clés aux investisseurs de détail en vue de permettre aux investisseurs de détail de comprendre et de comparer les principales caractéristiques du produit d’investissement packagé de détail et fondé sur l’assurance et les risques qui y sont associés. »

14.      L’article 4, paragraphe 2, de ce règlement définit le « produit d’investissement fondé sur l’assurance » comme « un produit d’assurance comportant une durée de vie ou une valeur de rachat qui est totalement ou partiellement exposée, de manière directe ou indirecte, aux fluctuations du marché ».

 3.      La directive 2016/97

15.      Le considérant 56 de la directive 2016/97 est libellé comme suit :

« Les produits d’investissement fondés sur l’assurance sont souvent proposés aux clients comme des alternatives ou des substituts possibles aux produits d’investissement relevant de la directive [2014/65]. Afin de garantir une protection harmonisée des investisseurs et d’éviter le risque d’arbitrage réglementaire, il importe de veiller à ce que les produits d’investissement fondés sur l’assurance soient soumis non seulement aux normes de conduite professionnelle définies pour tous les produits d’assurance, mais encore à des normes spécifiques applicables à l’élément d’investissement que comprennent ces produits. De telles normes spécifiques devraient comprendre la fourniture d’informations appropriées, le caractère adéquat des conseils délivrés et des restrictions concernant la rémunération. »

16.      L’article 2, paragraphe 1, points 1 et 17, contient les définitions suivantes :

«1)      “distribution d’assurances”, toute activité consistant à fournir des conseils sur des contrats d’assurance, à proposer des contrats d’assurance ou à réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion, à conclure de tels contrats, ou à contribuer à leur gestion et à leur exécution, notamment en cas de sinistre, y compris la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le client sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le client peut conclure un contrat directement ou indirectement au moyen d’un site internet ou d’autres moyens de communication ;

[…]

17)      “produit d’investissement fondé sur l’assurance”, un produit d’assurance comportant une durée de vie ou une valeur de rachat qui est totalement ou partiellement exposée, de manière directe ou indirecte, aux fluctuations du marché, […] »

 4.      La directive MiFID I

17.      L’article 1er, paragraphe 1, est libellé comme suit :

« La présente directive s’applique aux entreprises d’investissement et aux marchés réglementés. »

18.      L’article 2, paragraphe 1, prévoit :

« La présente directive ne s’applique pas :

a)      aux entreprises d’assurance au sens de l’article 1er de la directive 73/239/CEE ou de l’article 1er de la directive 2002/83/CE ni aux entreprises exerçant les activités de réassurance et de rétrocession visées à la directive 64/225/CEE ;

[…]

c)      aux personnes qui fournissent un service d’investissement à titre accessoire dans le cadre d’une activité professionnelle, dès lors que celle-ci est régie par des dispositions législatives ou réglementaires ou par un code déontologique qui n’exclut pas la fourniture de ce service ;

[…]

j)      aux personnes fournissant des conseils en investissement dans le cadre de l’exercice d’une autre activité professionnelle qui n’est pas visée par la présente directive à condition que la fourniture de tels conseils ne soit pas spécifiquement rémunérée ;

[…] »

19.      L’article 4, paragraphe 1, comporte les définitions suivantes :

« 1)      “entreprise d’investissement” : toute personne morale dont l’occupation ou l’activité habituelle consiste à fournir un ou plusieurs services d’investissement à des tiers et/ou à exercer une ou plusieurs activités d’investissement à titre professionnel ;

[…]

2)      “services et activités d’investissement” : tout service et toute activité répertoriés à la section A de l’annexe I et portant sur tout instrument visé à la section C de la même annexe ;

[…]

4)      “conseil en investissement” : la fourniture de recommandations personnalisées à un client, soit à sa demande soit à l’initiative de l’entreprise d’investissement, en ce qui concerne une ou plusieurs transactions portant sur des instruments financiers ».

 5.      La directive MiFID II

20.      Le considérant 87prévoit :

« Les investissements qui impliquent des contrats d’assurance sont souvent proposés aux consommateurs comme des alternatives ou des substituts possibles aux instruments financiers relevant de la présente directive. Pour assurer la protection en toutes circonstances de la clientèle de détail, et assurer des conditions de concurrence égales entre des produits similaires, il importe que les produits d’investissement fondés sur l’assurance soient soumis à des exigences appropriées. Les exigences de la présente directive en matière de protection des investisseurs devraient donc s’appliquer de la même manière aux produits d’investissement vendus sous forme de contrats d’assurance ; cependant, du fait de leurs structures de marché et caractéristiques de produits différentes, il est plus approprié d’inscrire les prescriptions détaillées dans le réexamen en cours de la directive [2002/92] plutôt que dans la présente directive. Le futur droit de l’Union encadrant les activités des intermédiaires et entreprises d’assurance devrait donc, de manière appropriée, assurer une approche réglementaire cohérente concernant la distribution de différents produits financiers qui répondent à des besoins similaires des investisseurs et posent donc des problèmes comparables en ce qui concerne la protection de ceux-ci. L’Autorité européenne de surveillance (Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles) (AEAPP), instituée par le règlement (UE) no 1094/2010 du Parlement européen et du Conseil et l’AEMF devraient œuvrer de concert pour instaurer autant de cohérence que possible dans les règles de conduite normalisées relatives à ces produits d’investissement. Ces nouvelles exigences relatives aux produits d’investissement fondés sur l’assurance devraient figurer dans la directive [2002/92]. »

21.      L’article 91 de la directive MiFID II contient les dispositions modificatives de la directive 2002/92. L’article 2, point 3, deuxième alinéa de cette directive est remplacé par le texte suivant :

« À l’exception du chapitre III bis de la présente directive, ces activités ne sont pas considérées comme une intermédiation en assurance ou une distribution d’assurance lorsqu’elles sont exercées par une entreprise d’assurance ou un salarié d’une entreprise d’assurance qui agit sous la responsabilité de celle-ci. »

22.      Il est ajouté à l’article 2 de la directive 2002/92 un point 13 qui définit la notion de « produit d’investissement fondé sur l’assurance » comme « un produit d’assurance comportant une durée de vie ou une valeur de rachat qui est totalement ou partiellement exposée, de manière directe ou indirecte, aux fluctuations du marché », sous réserve de certaines exceptions.

23.      En outre, la directive MiFID II a inséré dans la directive 2002/92 un chapitre III bis, relatif aux « Exigences supplémentaires de protection des consommateurs en ce qui concerne les produits d’investissement fondés sur l’assurance ». Aux termes de l’article 13 bis de ce chapitre, intitulé « Champ d’application » :

« Sous réserve des exceptions figurant à l’article 2, paragraphe 3, deuxième alinéa, le présent chapitre prévoit des exigences supplémentaires pour les activités d’intermédiation en assurance et pour la vente directe par des entreprises d’assurance dans le cas où existe un lien avec la vente de produits d’investissement fondés sur l’assurance. Ces activités sont appelées “activités de distribution d’assurances”. »

 B.      Le droit suédois

24.      La Lagen (2005 :405) om försäkringsförmedling [loi (2005 :405) sur l’intermédiation en assurance] a transposé en droit suédois la directive 2002/92.

25.      En vertu du chapitre 1, article 1er, paragraphe 2, de cette loi, l’intermédiation en assurance est définie comme toute activité professionnelle qui consiste : 1) à présenter ou à proposer des contrats d’assurance, ou à réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion, 2) à conclure des contrats d’assurance pour le compte d’autrui ou 3) à contribuer à leur gestion et à leur exécution (10).

26.      En vertu de l’article 1er du chapitre 2, l’activité d’intermédiation en assurance ne peut (sous réserve de certaines exceptions sans pertinence ici) être exercée qu’après avoir obtenu l’autorisation de la Finansinpspektionen (Autorité de surveillance des marchés financiers, Suède).

27.      L’une des conditions d’octroi de cette autorisation est qu’une assurance de responsabilité civile professionnelle ait été prise pour couvrir la responsabilité de l’intermédiaire d’assurance qui cause un dommage en omettant d’exécuter ses obligations [voir chapitre 2, article 5, point 4, et article 6, point 2, de la loi 2005 :405]. 

28.      Le chapitre 5 contient des règles qui gouvernent la manière dont l’activité d’intermédiation doit être exercée. Plus précisément, l’article 4 prévoit que l’intermédiaire doit, dans l’exercice de son activité, respecter les bonnes pratiques en matière d’intermédiation en assurance et prendre dûment soin des intérêts des clients. Il est également précisé que l’intermédiaire d’assurance doit adapter les conseils donnés aux souhaits et aux besoins du client, et recommander des solutions adéquates pour ce dernier. L’intermédiaire doit également déconseiller le client (lorsqu’il s’agit d’une personne physique qui s’adresse à lui à des fins essentiellement non commerciales) de prendre des dispositions qui ne peuvent pas être considérées comme appropriées compte tenu de ses besoins, de son état de fortune ou d’autres circonstances.

29.      En vertu du chapitre 5, article 7, de cette loi, l’intermédiaire d’assurance qui omet intentionnellement ou négligemment d’exécuter ses obligations au titre de l’article 4 est tenu de payer une indemnité pour le préjudice purement patrimonial que le client, a entre autres subi de ce fait.

 II.      Les litiges devant les juridictions nationales

30.      Dans les deux litiges dont la juridiction de renvoi est saisie, les intéressés demandent à la compagnie Länsförsäkringar Sak Försäkringsaktiebolag (ci-après « Länsförsäkringar »), avec laquelle plusieurs intermédiaires d’assurances en Suède avaient souscrit des polices de responsabilité civile professionnelle, de les indemniser.

 1.      Affaire T 2761-15, Länsförsäkringar/succession d’Ingvar Mattsson

31.      Dans le cadre d’une assurance-vie en capital, M. Ingvar Mattsson a investi 500 000 couronnes suédoises dans un certificat d’investissement, un instrument financier structuré. Il a effectué cette opération au mois de janvier 2010, après avoir pris conseil auprès d’un salarié de European Wealth Management Group AB (ci-après « EWMG »), une société d’intermédiation en assurance enregistrée.

32.      M. Mattsson a perdu l’intégralité des sommes investies et a porté plainte contre EWMG, qui a par la suite été déclarée en faillite. EWMG avait souscrit auprès de Länsförsäkringar une assurance de responsabilité civile professionnelle telle que prévue par la loi 2005 :405, laquelle couvrait son activité et prévoyait une obligation d’indemnisation au sens du chapitre 5, article 7, de cette loi.

33.      M. Mattsson a intenté une action contre Länsförsäkringar et a demandé une indemnisation de 500 000 couronnes suédoises, majorée des intérêts. Il a fait valoir que EWMG avait intentionnellement ou par négligence (11) omis d’exécuter ses obligations au titre du chapitre 5, article 4, de la loi 2005 :405, que la société était donc tenue de verser une indemnité et que cela constituait un événement assuré en vertu du contrat d’assurance de responsabilité civile professionnelle conclu entre EWMG et Länsförsäkringar.

34.      Länsförsäkringar a admis que l’intermédiation concernant l’assurance-vie en capital relevait en soi du champ d’application de la loi 2005 :405 et, partant, de l’assurance de responsabilité civile professionnelle. Elle a toutefois fait valoir, en premier lieu, que les conseils fournis par EWMG ne concernaient pas l’assurance‑vie en capital mais l’investissement dans l’instrument financier compris dans ladite assurance. Il ne s’était donc pas agi d’une intermédiation en assurance mais de conseils en investissement dans des instruments financiers, lesquels se voient appliquer d’autres dispositions (12).

35.      Selon Länsförsäkringar, c’est la fourniture de conseils financiers et non l’intermédiation concernant l’assurance–vie en capital qui est à l’origine du préjudice. À titre subsidiaire, elle a soutenu qu’EWMG n’avait pas fait preuve de négligence.

36.      Le tribunal de première instance a accueilli le recours. Selon lui, le conseil objet du litige relevait aussi bien de la loi 2005 :405 que de la loi sur le marché des valeurs mobilières. Toutefois, il a également constaté, en se référant notamment à des déclarations de la Commission européenne, que les deux réglementations n’étaient pas destinées à être appliquées concomitamment. Compte tenu des considérations en matière de protection des consommateurs, et du fait que l’Autorité suédoise de surveillance financière ne semblait pas avoir exigé d’EWMG que celle-ci obtienne une quelconque autorisation particulière en vue d’exercer ses activités dans le domaine financier, le tribunal de première instance a estimé que M. Mattsson pouvait s’attendre à ce que l’assurance de responsabilité civile professionnelle soit applicable.

37.      Länsförsäkringar a attaqué le jugement devant la cour d’appel, qui a confirmé la décision du tribunal. Elle a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Högsta domstolen (Cour suprême). Elle a maintenu son point de vue selon lequel les conseils fournis par EWMG ne constituaient pas de l’intermédiation en assurance et selon lequel, partant, ils n’étaient pas couverts par l’assurance de responsabilité civile professionnelle. Par contre, Länsförsäkringar admet désormais qu’EWMG a agi avec négligence.

38.      M. Mattsson est décédé et sa succession s’est opposée à une réformation de l’arrêt de la cour d’appel.

 2.      Affaire T 25-16, Jan-Erik Strobel e.a./Länsförsäkringar

39.      La société d’intermédiation en assurance enregistrée Connecta Fond och Försäkring AB (ci-après « Connecta »), qui a principalement exercé ses activités pendant les années 2004 à 2010, avait souscrit auprès de Länsförsäkringar une assurance de responsabilité civile professionnelle telle que prescrite par la loi 2005 :405, laquelle assurait son activité et prévoyait une obligation d’indemnisation au sens du chapitre 5, article 7, de la loi.

40.      Plusieurs personnes ont, pendant un certain nombre d’années, confié des montants à Connecta en vue d’investir ceux-ci dans des produits appelés « produits obligataires d’entreprises Connecta » qui devaient être liés à une assurance-vie en capital. En échange, ces personnes ont reçu certains documents émis par Connecta et l’un de ses salariés, devenu ensuite directeur général, M. Per Rytterborg. Pendant les années 2004 à 2010, Connecta exerçait également une véritable activité d’intermédiation en assurance.

41.      Il est apparu ensuite que M. Rytterborg s’était indûment approprié les montants confiés par les clients. Ceux-ci ont porté plainte contre lui et l’autorisation octroyée à Connecta a été retirée. M. Rytterborg est décédé en novembre 2010. Sa succession a, de même que Connecta, été déclarée insolvable en décembre 2010.

42.      Un certain nombre de ces personnes ont intenté une action contre Länsförsäkringar en demandant une indemnisation au titre de l’assurance de responsabilité civile professionnelle de Connecta à hauteur des montants qui lui avaient été confiés pour qu’elle investisse leur argent dans des assurances-vie en capital.

43.      Les plaignants soutenaient qu’il s’était agi d’intermédiation en assurance et qu’à cause des agissements de M. Rytterborg, Connecta avait une obligation d’indemnisation au sens du chapitre 5, article 7, de la loi 2005 :405. L’assureur de Connecta devait dès lors assumer le paiement de l’indemnisation due.

44.      Länsförsäkringar a notamment objecté que les préjudices n’étaient pas nés de l’activité assurée puisque les produits en question avaient été fictifs. Les agissements de M. Rytterborg ne constituaient pas de l’intermédiation en assurance. Ils ne tombaient donc pas sous le coup de la loi 2005 :405 ni, partant, de l’assurance de responsabilité civile professionnelle.

45.      Le tribunal de première instance a conclu que les préjudices étaient couverts par l’assurance de responsabilité civile professionnelle et a donc, pour l’essentiel, donné gain de cause aux demanderesses. Il a constaté que ces dernières avaient eu l’intention de contracter une assurance-vie en capital et que, vu les agissements de M. Rytterborg à leur égard, elles avaient eu des raisons de croire qu’il y avait eu une intermédiation en vue de la conclusion de véritables contrats d’assurance. Sous l’angle de la protection des consommateurs, la perception, justifiée, qu’avaient eue les demanderesses des intentions de M. Rytterborg plaidait fortement en faveur de la conclusion selon laquelle il y avait eu une intermédiation en assurance.

46.      Compte tenu du fait que la notion d’« intermédiation en assurance » inclut le travail préparatoire et que Connecta avait également exercé une véritable activité d’intermédiation en assurance, le tribunal de première instance a estimé que les faits tels qu’ils s’étaient déroulés relevaient objectivement de la notion d’« intermédiation en assurance ».

47.      En revanche, la cour d’appel a jugé que les agissements en cause n’avaient pas été constitutifs d’une intermédiation en assurance ; dès lors, elle a annulé la décision de première instance et rejeté les prétentions des demanderesses. Selon elle, la nécessité de tenir compte de l’intérêt de la protection des consommateurs pour interpréter les dispositions ne signifie pas que l’opinion subjective du consommateur sur ce qui constitue l’intermédiation en assurance soit pertinente. Abstraction faite de l’opinion des consommateurs, il ne pouvait pas objectivement être question d’intermédiation en assurance. Les prétentions avancées n’étaient donc pas couvertes par l’assurance de responsabilité civile.

48.      Les personnes lésées ont formé un pourvoi en cassation devant le Högsta domstolen (Cour suprême). Elles maintiennent leur point de vue selon lequel les faits examinés constituent un évènement assuré au titre de l’assurance de responsabilité civile professionnelle. Elles allèguent notamment que les agissements de M. Rytterborg ont constitué une intermédiation en assurance parce qu’ils étaient étroitement liés à la véritable activité réalisée par Connecta et soumise à autorisation.

 III.      Les questions préjudicielles

49.      Compte tenu de la controverse juridique formulée dans le cadre des deux litiges, le Högsta domstolen (Cour suprême) demande à la Cour de répondre aux questions suivantes

« T 25-16

1 a)      La directive [2002/92] s’applique-t-elle à une activité d’un intermédiaire d’assurance où celui-ci n’a eu aucune intention de conclure un réel contrat d’assurance ? L’absence d’une telle intention doit-elle se situer avant ou seulement après le début de l’activité en question pour être pertinente ?

1 b)      Le point de savoir si l’intermédiaire d’assurance a exercé une véritable activité d’intermédiation en assurance parallèlement à l’activité fictive est‑il, dans la situation visée à la question 1 a), pertinent ?

1 c)      Le fait que le client ait, à première vue, perçu l’activité en question comme un travail préparatoire à la conclusion d’un contrat d’assurance est-il, dans la situation visée à la question 1 a), pertinent ? L’opinion du client, qu’elle soit fondée ou non, quant au point de savoir si l’activité en question était une intermédiation en assurance présente-t-elle une importance ?

T 2761-15

2 a)      La directive [2002/92] est-elle applicable à des conseils, financiers ou autres, qui sont donnés dans le cadre d’une intermédiation en assurance mais qui ne visent pas en soi à la signature ou à la continuation d’un contrat d’assurance ? Quelle est, en particulier, la solution à retenir à cet égard lorsque des conseils sont donnés à propos du placement d’un capital dans le cadre d’une assurance-vie en capital ?

2 b)      Les conseils tels que visés à la question 2 a), pour peu qu’ils répondent à la définition du conseil en investissement au sens de la directive [2004/39], se voient-ils appliquer les dispositions de cette directive en plus de celles de la directive [2002/92] ou ne se voient-ils appliquer que les premières ? S’ils relèvent également du champ d’application de la directive [2004/39], un régime doit-il primer l’autre ? »

50.      Des observations écrites ont été soumises par quatre groupes de requérants, uniquement en ce qui concerne les questions relatives à l’affaire Strobel e.a./Länsförsäkringar, alors que Länsförsäkringar, le gouvernement suédois, le gouvernement tchèque et la Commission ont présenté des observations dans les deux affaires.

51.      L’audience s’est tenue le 14 septembre 2017 et à cette occasion, Länsförsäkringar, le gouvernement suédois, le gouvernement tchèque et la Commission ont présenté des observations orales.

 IV      Analyse des questions préjudicielles

52.      Les questions formulées par la juridiction de renvoi peuvent-être reconduites à deux problèmes d’interprétation de l’article 2, point 3, de la directive 2002/92, qui se distinguent clairement l’un de l’autre et ne présentent pas le même niveau de difficulté. Il peut être répondu succinctement à la première question alors que la seconde requiert une analyse plus exhaustive, compte tenu de sa complexité.

 A.      Première question : l’application de la directive 2002/92 aux activités d’intermédiation en contrats d’assurance menées dans une intention frauduleuse

53.      Par les questions formulées dans l’affaire T 25/16, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’activité d’intermédiation en assurance définie à l’article 2, point 3, de la directive 2002/92 comprend les activités d’un intermédiaire qui, en fournissant ses services à certains clients, notamment les travaux préparatoires en vue de la conclusion de contrats d’assurance avec eux, avait en réalité l’intention de les tromper et de s’approprier illégalement leur argent.

54.      La juridiction de renvoi souhaite savoir si à cette fin, sont pertinents : le moment où s’est manifestée la volonté frauduleuse de l’intermédiaire, la réalisation par celui-ci d’actes d’intermédiation légaux avec d’autres clients et la perception du client en ce qui concerne l’activité d’intermédiation frauduleuse.

55.      Länsförsäkringar défend une interprétation subjective de la notion d’« intermédiation en assurance » figurant à l’article 2, point 3, de la directive 2002/92 : il n’y aurait pas d’intermédiation si le prétendu intermédiaire n’avait pas l’intention de conclure un véritable contrat d’assurance. Selon elle, les activités criminelles ayant l’apparence de l’intermédiation en assurance ne relèveraient pas de cette notion et l’indemnisation des préjudices subis par les clients devrait être traitée en recourant aux dispositions relatives à la responsabilité civile découlant d’un comportement pénalement répréhensible, et non aux dispositions qui s’appliquent aux activités de prestation de services d’assurance.

56.      Dans le même esprit, Länsförsäkringar considère qu’est dépourvu de pertinence le moment où se manifeste la volonté frauduleuse de l’intermédiaire, qu’elle ait existé dès le début de sa relation avec le client ou qu’elle soit apparue postérieurement, pendant les travaux préparatoires du contrat d’assurance. Une fois que la volonté frauduleuse s’est manifestée, celle de conclure le contrat d’assurance disparaît et il ne s’agirait plus d’une activité d’intermédiation relevant de la directive 2002/92. Il serait également dépourvu de pertinence que le fraudeur exerce parallèlement de véritables activités d’intermédiation en assurance, car il n’est pas logique que ces dernières rendent légaux les comportements frauduleux.

57.      En revanche, les quatre groupes de requérantes dans ce litige, le gouvernement tchèque et la Commission penchent pour une interprétation objective de cette notion. Toute activité préparatoire à la conclusion de contrats d’assurance, indépendamment de l’intention subjective de l’intermédiaire, relèverait de la directive 2002/92.

58.      C’est également mon avis, car j’estime qu’il convient d’interpréter objectivement la notion d’« intermédiation en assurance ». Cette appréciation ne saurait reposer sur les intentions ou les perceptions des personnes physiques qui agissent en tant qu’employés ou dirigeants d’une entreprise qui s’emploie publiquement à l’intermédiation en assurance. Se fonder sur ces facteurs subjectifs rendrait imprévisible l’application de la réglementation, ce qui est contraire aux exigences du principe de la sécurité juridique.

59.      Le premier critère d’interprétation applicable pour déterminer les caractéristiques de l’intermédiation en assurance est le critère littéral. Aux termes de l’article 2, point 3, de la directive 2002/92, on entend par intermédiation en assurance « toute activité consistant à présenter ou à proposer des contrats d’assurance ou à réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion ou à les conclure ».

60.      Cette définition met l’accent sur l’activité, et non sur les intentions subjectives de ceux qui l’exercent. Il suffit qu’une entreprise dont l’objet propre est l’intermédiation en assurance (et qui est autorisée à cette fin par l’administration) offre ses services professionnels aux clients pour présumer qu’elle opère en cette qualité et que les clients puissent s’attendre à ce qu’elle réalise effectivement les travaux préparatoires à la souscription d’un contrat d’assurance. Parmi ceux-ci, on peut indubitablement compter les activités préparatoires à la conclusion dudit contrat (13).

61.      Selon l’exposé de la juridiction de renvoi, tout indique que Connecta se montrait telle qu’elle était, à savoir une entreprise d’intermédiation en assurance qui était enregistrée et opérait légalement en Suède depuis 2004. C’est cette entreprise qui proposait ses services d’intermédiation aux clients ; ainsi, il n’est plus pertinent que l’un ou l’autre de ses employés (ou même son directeur général) (14) aient profité des activités typiques de l’intermédiation pour élaborer et commettre une fraude au détriment des clients en s’appropriant leurs fonds.

62.      L’interprétation systématique de la directive 2002/92 milite dans le même sens. Son article 4, paragraphe 4 (« [l]es États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour protéger les clients contre l’incapacité de l’intermédiaire d’assurance de transférer la prime à l’entreprise d’assurance ou de transférer le montant de l’indemnisation ou d’une ristourne de prime aux assurés ») inclut dans l’intermédiation en assurance les cas dans lesquels les intermédiaires ne transfèrent pas les primes aux entreprises d’assurance, ce qui advient dans les cas de fraude tel que celui de Connecta.

63.      L’interprétation téléologique de la directive 2002/92 justifie également une conception objective de l’activité d’intermédiation en assurance. L’objectif de l’harmonisation mise en œuvre par cette directive est de favoriser la protection des consommateurs d’assurances, ainsi qu’il ressort expressément de ses considérants 7, 8 et 17 (15). Une interprétation subjective de la notion d’« intermédiation en assurance », qui la ferait dépendre de la volonté de l’intermédiaire, entraînerait une diminution des garanties établies par la directive 2002/92 en faveur des consommateurs d’assurances.

64.      Ainsi que l’a argumenté la Commission dans ses observations, si l’activité d’intermédiation dépendait de la volonté de l’intermédiaire, il serait paradoxal que celui-ci puisse invoquer son intention frauduleuse précisément pour échapper au champ d’application de la directive 2002/92 et ne pas affronter les responsabilités qu’elle lui impose.

65.      Il suffit donc que les actes de l’entreprise intermédiaire soient présentés aux clients, en des termes objectifs, sous l’apparence de préparations en vue de la conclusion d’un contrat d’assurance. Je le réaffirme, l’intention du salarié (ou du dirigeant) de ladite entreprise qui a participé à ces activités est dépourvue de pertinence, que celui-ci ait souhaité véritablement agir dans le respect de ses obligations ou qu’il ait profité de cette occasion pour tromper le client. Il est également dépourvu de pertinence que ses intentions cachées aient existé depuis le premier instant de sa relation avec le client ou qu’elles soient survenues au cours des travaux préparatoires à la conclusion du contrat.

66.      La responsabilité de l’entreprise intermédiaire s’étend aux préjudices causés par ses salariés ou dirigeants, lorsqu’ils apparaissent aux tiers comme ses employés et qu’il existe un lien entre le fait illégal qu’ils commettent et l’activité qui caractérise la compagnie. Je crois que les deux facteurs sont réunis en l’espèce, étant donné que l’appropriation de fonds imputée au directeur qui a abusé de ses fonctions s’est produite en lien avec le travail d’intermédiation de quelqu’un qui se présentait aux clients comme un représentant de son entreprise, à laquelle ceux-ci ont, à cette condition, remis ces fonds.

67.      L’interprétation de la notion d’« intermédiation en assurance » que je propose prive également de pertinence la perception du client aux fins de qualifier ou non de médiation les travaux préparatoires d’un contrat d’assurance. C’est ce que reconnaît même Länsförsäkringar, qui argumente que, dans l’hypothèse contraire, une fraude complexe et bien montée pourrait être perçue par le consommateur comme une véritable médiation, alors qu’une fraude mineure et moins sophistiquée ne serait pas perçue comme telle, car l’intention frauduleuse sauterait aux yeux. Cet argument me paraît logique, mais selon moi il est peu cohérent avec le fait que cette même compagnie considère comme décisive l’intention de l’intermédiaire pour déterminer l’existence ou non d’une intermédiation en assurance.

68.      Par conséquent, l’article 2, point 3, de la directive 2002/92 englobe les activités d’un intermédiaire qui exerce pour différents clients des activités préparatoires en vue de conclure des contrats d’assurance, que celui-ci agisse dans une intention frauduleuse ou non et quelle que soit la perception que les clients ont de ses démarches. Les responsabilités des entreprises d’intermédiation qui peuvent être engagées dans l’exercice de ces activités lorsqu’elles commettent une faute professionnelle doivent être couvertes par leurs assurances en responsabilité civile.

 B.      Deuxième question : l’intermédiation portant sur l’assurance-vie en capital est-elle une intermédiation en assurance ou une intermédiation financière ?

69.      Dans l’affaire T 2761-15, M. Mattsson a souscrit une assurance-vie en capital, qui combine un contrat d’assurance-vie et l’investissement dans un instrument financier structuré, sur le conseil d’EWMG.

70.      À la lumière de ces faits (et des suivants, qui ont abouti à la perte des montants investis), la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser si le conseil d’EWMG doit être considéré comme une intermédiation en assurance relevant du champ d’application de la directive 2002/92 ou si, au contraire, il convient de le qualifier de conseil en matière d’investissement soumis à la directive MiFID I. La juridiction de renvoi mentionne également la possibilité d’appliquer conjointement ces deux directives.

71.      Avant de proposer une réponse à cette question complexe, je considère qu’il est nécessaire de formuler des considérations liminaires et d’analyser les caractéristiques des assurances-vie en capital et la réglementation qui leur est applicable.

 1.      Considérations liminaires

72.      Il appartient à la juridiction de renvoi de qualifier le conseil presté dans cette affaire et de déterminer la nature précise de la relation contractuelle entre EWMG et M. Mattsson. Celle-ci pourrait porter sur une assurance-vie liée à un produit d’investissement ou sur un simple instrument financier indépendant de l’assurance. Dans ce dernier cas, EWMG n’aurait pas exercé une activité d’intermédiation en assurance, mais un conseil en matière d’investissement (pour lequel elle ne disposait pas, ainsi qu’il ressort du dossier, de l’autorisation obligatoire délivrée par l’Autorité de surveillance des marchés financiers).

73.      Selon le gouvernement suédois et Länsförsäkringar, M. Mattsson a acquis un produit financier complexe sous la couverture d’une assurance-vie, ce pourquoi ils proposent l’application de la directive MiFID I. Selon la Commission et le gouvernement tchèque, il s’agit au contraire d’un contrat d’assurance-vie avec un élément d’investissement, régi par la directive 2002/92.

74.      Différents éléments apportés par la juridiction de renvoi semblent indiquer que ce que M. Mattsson a souscrit par l’intermédiaire d’EWMG était une assurance-vie avec dépôt, à savoir une variante des contrats d’assurance en unités de compte ou liés à des fonds d’investissement, connus sous le nom de « unit‑linked », qui sont fréquents dans de nombreux États membres.

75.      Si cela était le cas, nous serions face à un type de contrat qui peut être classé dans le domaine de l’assurance (et qui est donc susceptible de relever de l’intermédiation en assurance). La Cour s’y est référée lorsqu’elle a déclaré que « les contrats dits “unit linked”, “en unité de comptes” ou “liés à des fonds d’investissement” […] relève[nt] d’une branche de l’assurance-vie, ainsi que cela ressort expressément de l’annexe I, point III, de la directive “assurance-vie”, lu en combinaison avec l’article 2, point 1, sous a), de cette directive » (16). Le contrat examiné dans cet arrêt présentait des caractéristiques proches du contrat en cause en l’espèce (17).

76.      Je procèderai donc à partir de cette idée, avec la réserve que, comme je l’ai argumenté, seule la juridiction de renvoi est en mesure de se prononcer sur la nature du contrat objet du litige en parfaite connaissance de cause.

77.      Je me dois ici d’apporter une précision supplémentaire, qui pourrait se révéler utile pour la juridiction de renvoi. EWMG et l’employé qui a conseillé M. Mattsson étaient intermédiaires d’assurances, et les autorités suédoises ne les avaient autorisés qu’à exercer des activités dans le domaine des assurances et non dans celui du conseil en investissement. Si ce qu’ils ont conseillé à M. Mattsson de signer, sous le couvert d’une assurance-vie en capital, était en réalité un simple instrument financier structuré (à savoir s’ils ont agi en tant que véritables intermédiaires financiers), ils ont enfreint la législation qui circonscrit leur activité au domaine des assurances, au préjudice du client. Il découlerait de cette faute grave dans l’exercice de leur activité professionnelle que les clients lésés seraient en droit d’exiger l’indemnisation des préjudices causés. Étant donné qu’ils ne sont pas en mesure de la payer (dans le cas présent à cause de la faillite d’EWMG), leur assurance obligatoire de responsabilité civile professionnelle (18) devrait en principe la prendre en charge.

 2.      L’évolution du régime juridique des contrats d’assurance-vie en unités de compte (« unit linked ») dans le droit de l’Union

78.      Ces contrats correspondent à un type d’assurance-vie qui s’est généralisé à la faveur de la mondialisation financière. Ils sont différents des assurances-vie traditionnelles en ce qui concerne la prise de risque, ce qui les rend bien plus « dangereux » pour les consommateurs (19).

79.      Dans les assurances-vie traditionnelles, l’assureur reçoit les primes et les investit pour son compte et à ses risques, et offre au preneur une rentabilité minimale, calculée de manière technique. Dans les assurances-vie en unités de compte, par contre, la prime payée est investie par l’assureur dans des valeurs ou fonds choisis par le preneur d’assurance, qui assume le risque de leur évolution (la rentabilité fluctue, car elle dépend de la valeur des actifs sur lesquels l’investissement porte au moment du recouvrement de la prestation).

80.      Ce type d’assurance comporte impérativement un produit hybride d’assurance-vie en sus du placement, car s’il ne comportait qu’un investissement financier, il ne s’agirait pas d’un véritable contrat d’assurance (20).

81.      Entre autres facteurs, la prolifération de ces assurances-vie en unités de compte est probablement due au fait que celles-ci permettent de bénéficier d’un traitement fiscal plus favorable des placements (il apparaît que c’est le cas en Suède, selon les informations fournies par le gouvernement suédois). S’y ajoute l’intervention de plus en plus importante des banques dans le secteur de l’assurance et la recherche, par les compagnies d’assurance, de meilleures opportunités d’investissement pour les capitaux qu’elles captent.

82.      Dans les assurances-vie liées à l’investissement, la tâche des intermédiaires d’assurance est très importante pour les clients de détail qui n’ont pas de connaissances financières spécialisées, et qui peuvent ne pas être conscients des risques et des coûts qu’ils encourent lorsqu’ils les contractent. Cela vaut aussi bien pour les conséquences négatives de l’annulation, que pour le coût plus important des produits ; un conseil inadéquat peut impliquer ou (comporter le risque) que ces clients paient des commissions plus importantes et soient piégés par des produits qui entraînent une pénalité lorsqu’ils souhaitent s’en défaire (21).

83.      Étant donné que ces risques pour les consommateurs n’ont pas été perçus dans toute leur ampleur jusqu’à l’éclatement de la crise financière de 2008, la directive 2002/92 ne prévoyait pas de dispositions spécifiques en ce qui concerne l’intermédiation dans la vente de produits d’assurance-vie complexe comprenant des éléments d’investissement. Les assurances-vie en capital étaient commercialisées dans le cadre des dispositions générales applicables à l’intermédiation dans la vente de tous les produits d’assurance, même si elles représentaient un risque plus élevé pour les preneurs d’assurance non professionnels. Des dispositions spécifiques concernant ces produits n’avaient pas non plus été incluses dans la directive MiFID I.

84.      En revanche, la directive MiFID II, dont le délai de transposition dans les droits nationaux s’est achevé le 3 juillet 2017 et qui produira ses effets à partir du 3 janvier 2018 a traité de manière spécifique les contrats d’assurance liés à l’investissement. Concrètement, elle a renvoyé leur réglementation à la modification de la directive 2002/92, qui était en cours à l’époque.

85.      L’article 91 de la directive MiFID II s’est borné à modifier la directive 2002/92 pour intégrer, en tant que point 13 de l’article 2, la notion de « produit d’investissement fondé sur l’assurance » (22), et à ajouter un nouveau chapitre, le chapitre III bis, pour établir des exigences supplémentaires en matière de protection du client, applicables à la fois aux activités d’intermédiation et de vente directe (réalisées par des entreprises d’assurance) concernant ces produits (23).

86.      Après la directive MiFID II, le règlement (UE) no 1286/2014 (24) définit le « produit d’investissement fondé sur l’assurance » comme un « produit d’assurance comportant une durée de vie ou une valeur de rachat qui est totalement ou partiellement exposée, de manière directe ou indirecte, aux fluctuations du marché ». Les contrats d’assurance-vie en capital correspondent à cette notion et l’article 2 prévoit l’application de ce règlement aux personnes qui les produisent, les vendent ou les conseillent, notamment les intermédiaires d’assurances.

87.      La dernière étape de la réglementation des contrats d’assurance en capital est celle de la directive 2016/97 qui refond et abroge la directive 2002/92. Son considérant 56 (25) reprend l’objectif figurant dans la directive MiFID II et souligne que les produits d’investissement fondés sur l’assurance (26) doivent être soumis non seulement aux normes de conduite définies pour tous les produits d’assurance, mais encore à des « normes spécifiques [qui] devraient comprendre la fourniture d’informations appropriées, le caractère adéquat des conseils délivrés et des restrictions concernant la rémunération ».

88.      La directive 2016/97 établit les exigences supplémentaires auxquelles doivent satisfaire les intermédiaires d’assurance et les entreprises d’assurance en ce qui concerne les produits d’investissement fondés sur l’assurance. Celles-ci visent en particulier la prévention des conflits d’intérêts et leur gestion (articles 27 et 28) ; l’information des clients (article 29) ; et l'« [é]valuation de l’adéquation et du caractère approprié, et information des clients » (article 30).

89.      Ce parcours législatif complexe montre que le législateur a souhaité soumettre la commercialisation des contrats d’assurance en capital par des intermédiaires aux normes applicables à la distribution des assurances et à l’activité d’assureur.

90.      Ce choix législatif s’est fait en parallèle à l’établissement de standards de protection des consommateurs équivalents, mais non identiques, à celles que la directive MiFID II impose aux entreprises qui commercialisent des instruments financiers. Cela est logique, étant donné qu’en réalité, il s’agit de contrats hybrides qui combinent une assurance-vie et un produit financier.

91.      L’autre possibilité rejetée par le législateur de l’Union était donc de soumettre ces transactions aux mêmes conditions que celles auxquelles étaient soumises les entreprises d’intermédiation financière sous le régime de la directive MiFID II.

92.      Cet argument écarte également la possibilité de soumettre cumulativement l’intermédiation en assurance-vie en capital au régime de la directive 2016/97 et à celui de la directive MiFID II. Aucun article de ces directives ne prévoit leur application simultanée à cette activité.

 3.      Réponse à la question préjudicielle

93.      Si les faits du litige au principal s’étaient déroulés en 2018, j’en déduis que leur seraient applicables la directive 2016/97 et ses règles sur l’intermédiation ou la distribution de produits d’investissement fondés sur l’assurance, à savoir une catégorie dont relève, toujours avec les réserves exprimées ci-dessus, un contrat tel que celui que M. Mattsson a souscrit (27).

94.      Toutefois, ce contrat a été signé en 2010, de sorte que la juridiction de renvoi demande à la Cour de lui donner des éclaircissements sur le point de savoir si une intermédiation en vue de la souscription d’une assurance-vie en capital relevait à l’époque de la directive 2002/92, de la directive MiFID I ou si les deux régimes juridiques lui étaient applicables.

95.      Je partirai en premier lieu (toujours avec la réserve que j’ai exprimée plusieurs fois ci-dessus) de l’idée que, en raison de ses caractéristiques, l’objet du contrat était une assurance-vie en capital en unités de compte (« unit linked ») ou un type de contrat fortement similaire. Si cela est le cas, l’intermédiation qui a précédé sa conclusion est uniquement soumise à la directive 2002/92, ce qui fait obstacle à l’application de la directive MiFID I.

96.      De même que l’ensemble des parties, j’estime qu’il est impossible d’appliquer simultanément à un intermédiaire d’assurance le régime de la directive 2002/92 et celui de la directive MiFID I, parce qu’ils sont pensés pour le contrôle d’activités différentes, qui présentent un niveau de risque différent (28).

97.      La non inclusion, dans la directive MiFID II, des produits d’investissement fondés sur l’assurance et leur réglementation par la directive 2016/97 confirme selon moi que le choix du législateur de l’Union, aujourd’hui explicite mais auparavant implicite, a été de soumettre les intermédiaires d’assurances en capital uniquement au régime juridique des directives relatives à l’intermédiation en assurance. En ce sens, il convient de rejeter la thèse soutenue par le gouvernement suédois lors de l’audience, en vertu de laquelle un contrat d’assurance-vie en capital comporterait en réalité deux conseils différents, l’un (relatif à l’assurance) régi par la directive 2002/92 et l’autre (relatif à l’investissement) régi par la directive MiFID I. Une assurance-vie en capital forme un tout insécable et le régime juridique de la médiation dans ce type de contrats était uniquement celui de la directive 2002/92.

98.      Je dois préciser que, comme l’indique le gouvernement suédois dans ses observations, rien n’empêche un intermédiaire d’agir sous une « double casquette » et de satisfaire à la fois aux exigences de la directive 2002/92, en tant qu’intermédiaire d’assurance, et aux contrôles prévus par la directive MiFID I. Dans ce cas, sa responsabilité civile professionnelle est doublement assurée et est activée selon qu’il intervient dans des opérations correspondant à la médiation en assurance ou au conseil en investissement, ainsi qu’il découle de l’article 8 de la directive 2006/49/CE (29). Cela n’est toutefois pas le cas en l’espèce.

99.      Il existe différents arguments qui, selon moi, étayent la solution que je propose. En premier lieu, l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2002/92 définit assez amplement l’intermédiation en assurance en incluant « toute activité (30) consistant à présenter ou à proposer des contrats d’assurance ou à réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion ou à les conclure, ou à contribuer à leur gestion et à leur exécution (31), notamment en cas de sinistre ». Le conseil préalable à la conclusion d’un contrat d’assurance-vie en capital tout comme l’assistance postérieure au preneur d’assurance, en lien avec l’évolution financière de ce contrat, sont englobés dans l’activité d’intermédiation en assurance.

100. En second lieu, la directive 2016/97 confirme que l’intermédiation portant sur les assurances-vie en capital était soumise à la directive 2002/92. La directive 2016/97 qui procède à la refonte de la directive 2002/92 et la complète, maintient dans son article 2, paragraphe 1, point 1 la même définition de l’intermédiation en assurance (même si elle la dénomme à présent distribution d’assurances) et étend les situations qui en relèvent. Sans modifier la notion d’« intermédiation en assurance », elle introduit expressément dans son champ d’application les « produits d’investissement fondés sur l’assurance » et énumère, au chapitre VI, les exigences supplémentaires auxquelles les intermédiaires d’assurance doivent satisfaire lorsqu’ils fournissent des conseils sur ces produits, qui comprennent les contrats d’assurance-vie en capital, comme je l’ai expliqué. Ces produits n’ont pas été introduits dans le champ d’application de la directive MiFID II, ce qui signifie qu’ils ne relevaient pas non plus du champ d’application de la directive MiFID I.

101. En troisième lieu, l’analyse de la directive MiFID I ne permet pas de déduire que le conseil relatif à un contrat d’assurance-vie en capital est couvert par cette disposition, bien au contraire. À ces fins, sont pertinentes les exclusions prévues à l’article 2, paragraphe 1, sous a), c) et j), qui visent respectivement :

–        les entreprises d’assurance au sens de l’article 1er de la directive 73/239/CEE ou de l’article 1er de la directive 2002/83/CE et les entreprises exerçant les activités de réassurance et de rétrocession visées à la directive 64/225/CEE. Même si les intermédiaires d’assurance soumis à la directive 2002/92 ne sont pas mentionnés expressément, l’exclusion du secteur de l’assurance du champ d’application de la directive MiFID I est évidente ;

–        les personnes qui fournissent un service d’investissement à titre accessoire dans le cadre d’une activité professionnelle, dès lors que celle-ci est régie par des dispositions législatives ou réglementaires ou par un code déontologique qui n’exclut pas la fourniture de ce service. Un intermédiaire d’assurance relève de cette catégorie si son activité principale consiste à conseiller et gérer des contrats d’assurance, de telle sorte que le conseil financier, lorsqu’il porte sur des investissements liés à des assurances, devient une action purement instrumentale, à savoir accessoire (32) ;

–        les personnes fournissant des conseils en investissement dans le cadre de l’exercice d’une autre activité professionnelle qui n’est pas visée par la directive MiFID I, à condition que la fourniture de tels conseils ne soit pas spécifiquement rémunérée. Un intermédiaire d’assurances qui reçoit une rémunération exclusivement du preneur d’assurance-vie en capital ou de la compagnie d’assurance correspondrait à cette hypothèse et serait exclu du champ d’application de la directive MiFID I.

102. En quatrième lieu, on ne saurait considérer que la directive MiFID I est applicable aux contrats d’assurance-vie en capital uniquement parce que l’élément d’investissement de ces contrats pourrait être qualifié comme l’un des instruments financiers prévus à l’annexe I, section C de la directive MiFID I. Cette qualification dépendra de chaque type de contrat d’assurance-vie en capital et de l’instrument financier choisi, qui pourrait ne pas relever de cette section (33).

103. En cinquième et dernier lieu, la demande relative à une meilleure protection des consommateurs (preneurs d’assurance ou investisseurs) ne justifie pas non plus que l’intermédiation en assurance-vie en capital soit soumise au régime de la directive MiFID I, même s’il est certain que cette directive impose de plus fortes exigences aux sociétés d’investissement et établit des règles de protection des investisseurs (articles 19 à 24) plus strictes que celles prévues par la directive 2002/92.

104. Comme je l’ai déjà soutenu, le risque économique plus important pris par les clients des instruments financiers justifie une protection supérieure par rapport à celle qui est exigée dans le cas des preneurs d’assurance. Cependant, lorsqu’il s’agit d’assurances-vie en capital, l’article 12 de la directive 2002/92 offre également aux preneurs d’assurance un niveau de protection adéquat compte tenu des risques spécifiques (34) qu’ils encourent. Il serait disproportionné d’imposer aux intermédiaires d’assurance de satisfaire à toutes les règles MiFID en la matière. La directive 2016/97, bien qu’elle augmente la protection des preneurs d’assurance‑vie en capital et, symétriquement, les obligations des intermédiaires d’assurances qui les conseillent, n’étend pas à ces derniers toutes les exigences que la directive MiFID II impose aux sociétés autorisées à donner des conseils en investissements.

105. En somme, je considère que l’intermédiation en assurance-vie en capital, comme celle en cause dans le litige au principal est régie par la directive 2002/92 et non par la directive MiFID I.

 V.      Conclusion

106. Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, je propose à la Cour de répondre aux questions du Högsta domstolen (Cour suprême, Suède) de la façon suivante :

1)      L’article 2, point 3, de la directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 9 décembre 2002, sur l’intermédiation en assurance, englobe les activités d’un intermédiaire qui, disposant de l’autorisation administrative pertinente pour agir en cette qualité, réalise pour plusieurs clients des activités préparatoires en vue de conclure des contrats d’assurance, même si son intention est frauduleuse, quelle que soit la perception subjective que les clients ont de ses démarches.

2)      Si les contrats litigieux dans les affaires au principal sont susceptibles d’être qualifiés de contrats d’assurance-vie en capital, “unit linked” ou relatifs à des produits d’investissement fondés sur l’assurance, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’établir, l’intermédiaire d’assurance qui conseille le preneur exerce une activité régie par la directive 2002/92, et non un conseil en investissement soumis à la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Suivant la numérotation nationale, il s’agit du pourvoi en cassation T 25-16.


3      Suivant la numérotation nationale, il s’agit du pourvoi en cassation T 2761-15.


4      Sur le marché, il est usuel d’employer l’expression anglaise « unit linked » pour désigner les contrats dans lesquels le preneur d’assurance investit dans une assurance-vie désignant les actifs sur lesquels l’investissement portera, ces actifs appartenant à la compagnie d’assurances, qui les alloue à la police d’assurance.


5      Directive du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002 sur l’intermédiation en assurance (JO 2003, L 9, p. 3).


6      Directive du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (JO 2016, L 26, p. 19).


7      Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (JO 2004, L 145, p. 1) (ci-après la « directive MiFID I »).


8      Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE (JO 2014, L 173, p. 349) (ci-après la « directive MiFID II »).


9      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 sur les documents d’informations clés relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance (JO 2014, L 352, p. 1 ; correction d’erreurs dans le JO 2015, L 60, p. 70). Son entrée en vigueur a été repoussée au 1 er janvier 2018 par le règlement (UE) 2016/2340 du Parlement européen et du Conseil, du 14 décembre 2016, modifiant le règlement (UE) n o 1286/2014 (JO 2016, L 354, p. 35).


10      La loi 2005 :405 correspond à la directive 2002/92 en ce qui concerne la notion d’« intermédiation en assurance ».


11      M. Mattsson accusait tout particulièrement EWMG, en ce qui concerne la souscription de l’assurance-vie en capital, de ne pas l’avoir informé du risque élevé que représentait le certificat d’investissement ou de ne pas l’avoir déconseillé de faire cet investissement, et de lui avoir au contraire donné des informations inexactes.


12      La lagen (2007 :528) om värdepappersmarknaden [Loi (2007 :528) sur le marché des valeurs mobilières] et la lagen (2003 :862) om finansiell rådgivning till konsumenter [Loi (2003 :862) sur les conseils financiers aux consommateurs].


13      Il n’est pas impératif que le contrat soit conclu après les activités préparatoires, étant donné que toutes les intermédiations n’aboutissent pas nécessairement à la conclusion d’un contrat d’assurance.


14      Les parties au litige au principal expliquent que Connecta, qui était membre de l’association suédoise des intermédiaires d’assurances, commercialisait son assurance-vie en capital au moyen de la publicité sur son site et de réunions d’informations (organisées par M. Rytteborg et d’autres travailleurs de cette société) avec des personnes âgées, qu’ils informaient des avantages de cette assurance ; un grand nombre de ceux qui ont souscrit ces assurances étaient déjà des clients de Connecta.


15      Voir l’arrêt du 17 octobre 2013, EEAE e.a. (C‑555/11, EU:C:2013:668, points 27 et 30).


16      Arrêt du 1er mars 2012, González Alonso (C‑166/11, EU:C:2012:119, point 29). La directive « assurance-vie » à laquelle se réfère l’arrêt est la directive 2002/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 novembre 2002, concernant l’assurance directe sur la vie (JO 2002, L 345, p. 1).


17      Plus précisément, il comportait « une assurance-vie en échange du paiement mensuel de primes destinées à être investies dans des placements à revenu fixe et à revenu variable ainsi que dans des produits financiers, dont le risque financier est supporté par le preneur d’assurance » (arrêt du 1er mars 2012, González Alonso, C‑166/11, EU:C:2012:119, point 28).


18      Je rappelle que l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2002/92 exige que l’assurance couvre la responsabilité civile découlant de la négligence professionnelle de l’intermédiaire.


19      Il peut sembler surprenant que dans ces contrats, ce soit précisément le preneur d’assurance qui assume les risques financiers, mais c’est le cas. Les produits d’investissement fondés sur l’assurance peuvent en réalité être très peu « sûrs », si l’on comprend cet adjectif dans son sens usuel, à savoir certain, indubitable ou sans risque.


20      Par son arrêt du 12 janvier 2015 (ES :TS :2015 :254), le Tribunal Supremo (Cour suprême) espagnol, a annulé, pour vice du consentement, deux contrats d’assurance-vie « unit linked multiestrategia » de l’assureur C., commercialisés par des agences de la banque S., agissant en tant qu’intermédiaires d’assurance. Dans cette affaire, l’intégralité de la prime payée était investie dans un panier de fonds géré par une entreprise d’investissements appartenant à 100 % au groupe dirigé par cette banque. La valeur des fonds s’est volatilisée à cause de l’affaire dite « Madoff » et les preneurs d’assurance ont perdu leur placement (la banque leur a offert une compensation en actions privilégiées). La banque S. a proposé un produit dans lequel l’argent du client était destiné à certains fonds d’investissement d’une compagnie appartenant à cette banque laquelle, pour des raisons fiscales, avait conclu un accord avec l’assureur C. pour que le placement prenne la forme d’une assurance-vie « unit linked ».


21      En 2012, la Commission a estimé que le préjudice potentiellement causé aux consommateurs par la vente de produits non adaptés d’assurance-vie liés à des fonds d’investissement pouvait atteindre un maximum de 1100 milliards d’euros pour l’ensemble de l’Union. Voir le document de travail des services de la Commission, résumé de l’analyse d’impact accompagnant le document proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l’intermédiation en assurance, SWD(2012) 192 final, du 3 juillet 2012, p. 4.


22      Voir sa transcription au point 22. Sont exclus expressément de la définition de ces produits les produits d’assurance non-vie, les assurances-vie traditionnelles sans éléments financiers, les régimes de retraite professionnels et les produits de retraite individuels.


23      Voir le point 23 de ces conclusions.


24      Il est habituellement connu sous le nom de règlement PRIIPs (sigle anglais correspondant à Packaged Retail and Insurance-based Investment Products).


25      Voir sa transcription au point 15. La directive 2016/97 se réfère à la distribution d’assurances et non à l’intermédiation car, outre l’intermédiation, elle prévoit d’autres modalités de distribution liées aux nouvelles technologies.


26      La notion de « produit d’investissement fondé sur l’assurance » y est définie à l’article 2, paragraphe 1, point 17, et reprend littéralement les termes introduits par la directive MiFID II dans la directive 2002/92, ainsi que les exclusions qui y sont prévues.


27      Au paragraphe 3, point 3, de ses observations écrites, Länsförsäkringar semble également partager cet avis. Il admet que, à la lumière de la définition figurant dans la directive 2016/97, les règles applicables aux produits d’investissement fondés sur l’assurance auraient été applicables à la présente affaire, si cette directive avait été en vigueur au lieu de la directive 2002/92.


28      Le contrôle des entreprises d’investissement qui commercialisent des services financiers ou fournissent des conseils relatifs à leur commercialisation est plus strict, parce que les instruments financiers avec lesquels elles opèrent entraînent des risques plus importants et plus difficiles à comprendre pour les consommateurs. En revanche, le contrôle sur les activités d’intermédiation des intermédiaires d’assurances est moindre, parce que le risque que le patrimoine des clients soit affecté est également moindre.


29      Directive du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 sur l’adéquation des fonds propres des entreprises d’investissement et des établissements de crédit (JO 2006, L 177, p. 201). Son article 8, en vigueur au moment des faits, établit que lorsqu’une entreprise d’investissement est également immatriculée en tant qu’intermédiaire d’assurance, elle doit satisfaire à l’exigence établie par l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2002/92 (assurance de responsabilité civile professionnelle) et doit également posséder : a) un capital initial de 25 000 euros ; b) une assurance de responsabilité civile professionnelle couvrant l’intégralité du territoire de [l’Union] ou une autre garantie comparable contre l’engagement de sa responsabilité pour négligence professionnelle, pour une somme minimale de 500 000 euros par sinistre et de 750 000 euros par an pour le montant total des sinistres ; ou c) une combinaison entre capital initial et assurance de responsabilité civile professionnelle aboutissant à un niveau de couverture équivalent à ceux définis aux points a) ou b).


      La directive 2006/49 a été abrogée par la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338), mais la teneur de l’article 8 a été reprise dans l’article 31, paragraphe 2, de la nouvelle directive.


30      C’est moi qui souligne.


31      C’est moi qui souligne.


32      Si l’activité principale d’un intermédiaire d’assurance était le conseil en investissement, les autorités administratives de contrôle nationales devraient intervenir et exiger l’autorisation requise des entreprises d’investissement aux termes de la directive MiFID I.


33      Si, dans l’énumération des instruments financiers figurant à l’annexe I, section C, de la directive MiFID I, la catégorie des « produits d’investissements fondés sur l’assurance » n’apparaît pas, cela ne signifie pas que le produit financier commercialisé avec l’assurance-vie en capital ne peut pas correspondre à l’une des catégories reprises dans cette énumération, comme la catégorie des « valeurs mobilières » ou celle des « parts d’organismes de placement collectif ».


34      Le risque représenté par ces assurances est en général inférieur à celui que font courir les instruments financiers régis par la directive MiFID I, selon les informations sectorielles. Voir Insurance Europe, Complexity and comprehension for insurance-based investment products (IBIPs), document de position COB-PRI-17-002, du 13 juin 2017.