Language of document : ECLI:EU:C:2019:43

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

22 janvier 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 21 – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Directive 2000/78/CE – Article 2, paragraphe 2, sous a) –Discrimination directe en raison de la religion – Législation nationale octroyant à certains travailleurs un jour de congé le Vendredi saint – Justification – Article 2, paragraphe 5 – Article 7, paragraphe 1 – Obligations des employeurs privés et du juge national découlant d’une incompatibilité du droit national avec la directive 2000/78 »

Dans l’affaire C‑193/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 24 mars 2017, parvenue à la Cour le 13 avril 2017, dans la procédure

Cresco Investigation GmbH

contre

Markus Achatzi,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice‑présidente, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, Mmes A. Prechal, C. Toader et M. C. Lycourgos (rapporteur), présidents de chambre, MM. A. Rosas, M. Ilešič, M. Safjan, D. Šváby, C. Vajda et S. Rodin, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 avril 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour Cresco Investigation GmbH, par Me M. Zehetbauer, Rechtsanwältin,

–        pour M. Achatzi, par Me A. Obereder, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. P. Gentili et F. De Luca, avvocati dello Stato,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna ainsi que par Mmes M. Szwarc et A. Siwek, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. B.-R. Killmann et D. Martin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 juillet 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que de l’article 1er, de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de l’article 2, paragraphe 5, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CEdu Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Cresco Investigation GmbH (ci-après « Cresco ») à M. Markus Achatzi au sujet du droit de ce dernier à bénéficier d’une indemnité complémentaire à la rémunération perçue pour les prestations accomplies durant un Vendredi saint.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le considérant 24 de la directive 2000/78 énonce :

« L’Union européenne a reconnu explicitement dans sa déclaration no 11 relative au statut des Églises et des organisations non confessionnelles, annexée à l’acte final du traité d’Amsterdam, qu’elle respecte et ne préjuge pas le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres et qu’elle respecte également le statut des organisations philosophiques et non confessionnelles. Dans cette perspective, les États membres peuvent maintenir ou prévoir des dispositions spécifiques sur les exigences professionnelles essentielles, légitimes et justifiées susceptibles d’être requises pour y exercer une activité professionnelle. »

4        L’article 1er de cette directive est libellé comme suit :

« La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement. »

5        L’article 2 de ladite directive dispose :

« 1.      Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.      Aux fins du paragraphe 1 :

a)      une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

[...] 

5.      La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d’autrui. »

6        L’article 7 de la même directive, intitulé « Action positive et mesures spécifiques », dispose, à son paragraphe 1 :

« Pour assurer la pleine égalité dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à l’un des motifs visés à l’article 1er. »

7        L’article 16 de la directive 2000/78 prévoit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que :

a)      soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement ;

b)      soient ou puissent être déclarées nulles et non avenues ou soient modifiées les dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement qui figurent dans les contrats ou les conventions collectives, dans les règlements intérieurs des entreprises, ainsi que dans les statuts des professions indépendantes et des organisations de travailleurs et d’employeurs. »

 Le droit autrichien

8        L’article 1er, paragraphe 1, de l’Arbeitsruhegesetz (loi sur le repos et les jours fériés, BGBl. 144/1983), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après l’« ARG »), dispose :

« La présente loi fédérale s’applique à tous les travailleurs sous réserve de dispositions contraires de cette même loi ».

9        L’article 7 de cette loi prévoit :

« (1)      Les jours fériés, le travailleur a droit à une période de repos ininterrompue d’au moins 24 heures, qui débute au plus tôt à 0 heure et au plus tard à 6 heures le jour férié.

(2)      Au sens de la présente loi fédérale, les jours fériés sont :

le 1er janvier (jour de l’An), le 6 janvier (Épiphanie), le lundi de Pâques, le 1er mai (fête de l’État), l’Ascension, le lundi de Pentecôte, la Fête-Dieu, le 15 août (Assomption), le 26 octobre (fête nationale), le 1er novembre (Toussaint), le 8 décembre (Immaculée Conception), le 25 décembre (Noël) et le 26 décembre (Saint-Étienne).

(3)      Pour les membres des Églises protestantes des confessions d’Augsbourg et helvétique, de l’Église vieille‑catholique et de l’Église évangélique méthodiste, le Vendredi saint est également un jour férié.

[...] »

10      Selon l’article 9 de la même loi :

« (1)      Le chômage d’un jour férié [...] n’entraîne pas pour le travailleur de perte de son droit à rémunération.

(2)      Le travailleur a droit à la rémunération qu’il aurait perçue en l’absence de chômage pour les motifs mentionnés au paragraphe 1.

[...]

(5)      Le travailleur qui est occupé pendant la période de repos afférente aux jours fériés a droit, en plus de la rémunération au titre du paragraphe 1, à la rémunération correspondant au travail accompli, à moins qu’une récupération des heures au sens de l’article 7, paragraphe 6, ait été convenue. »

11      La directive 2000/78 a été transposée dans le droit autrichien notamment par la Gleichbehandlungsgesetz (loi relative à l’égalité de traitement, BGBl. I, 66/2004). Celle-ci énonce un principe de non‑discrimination dans le cadre de la relation de travail, en particulier en raison de la religion ou des convictions, pour ce qui est de la fixation de la rémunération ainsi que des autres conditions de travail.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      En vertu de l’article 7, paragraphe 3, de l’ARG, le Vendredi saint est un jour férié payé, assorti d’une période de repos de 24 heures, pour les membres des Églises protestantes des confessions d’Augsbourg et helvétique, de l’Église vieille-catholique et de l’Église évangélique méthodiste (ci-après les « églises visées par l’ARG »). Si un membre de l’une de ces églises travaille néanmoins durant cette journée, il a droit à une rémunération supplémentaire pour ce jour férié (ci-après l’« indemnité de jour férié »).

13      M. Achatzi est un travailleur salarié de Cresco, agence de détectives privés, et n’est membre d’aucune des églises visées par l’ARG. Il estime avoir été privé de manière discriminatoire de l’indemnité de jour férié pour le travail qu’il a effectué le 3 avril 2015, jour du Vendredi saint, et sollicite, à ce titre, le paiement, par son employeur, de 109,09 euros, majorés des intérêts.

14      La juridiction d’appel a réformé le jugement de première instance ayant rejeté le recours introduit par M. Achatzi.

15      Saisie d’un pourvoi introduit par Cresco contre cette décision d’appel, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) relève, tout d’abord, que, sur les treize jours fériés énumérés à l’article 7, paragraphe 2, de l’ARG, tous, à l’exception des 1er mai et 26 octobre, qui sont dépourvus de tout aspect religieux, ont un rapport avec le christianisme, deux d’entre eux étant même exclusivement liés au catholicisme. L’ensemble de ces jours fériés seraient, par ailleurs, chômés et payés pour tous les travailleurs, indépendamment de leur appartenance religieuse.

16      La juridiction de renvoi souligne, ensuite, que le régime spécial prévu à l’article 7, paragraphe 3, de l’ARG vise à permettre aux membres de l’une des églises visées par cette disposition de pratiquer leur religion lors d’un jour de célébration particulièrement important pour eux.

17      Selon la juridiction de renvoi, l’article 7, paragraphe 3, de l’ARG fait dépendre l’octroi d’un jour férié supplémentaire de la religion des travailleurs, avec pour conséquence que les personnes n’appartenant pas aux églises visées par l’ARG bénéficient d’un jour férié payé de moins que les membres de l’une de ces églises, ce qui constitue, en principe, un traitement moins favorable en raison de la religion.

18      La juridiction de renvoi s’interroge toutefois sur le point de savoir si la situation de ces deux catégories de travailleurs est comparable.

19      Elle relève, à cet égard, que l’article 7, paragraphe 3, de l’ARG a pour objectif de permettre aux travailleurs qui sont membres de l’une des églises visées par l’ARG de pratiquer leur religion le Vendredi saint, sans devoir convenir à cette fin d’un jour de congé avec leur employeur. Or, les travailleurs qui sont membres de l’Église catholique romaine, à laquelle la majorité de la population autrichienne appartient, bénéficieraient de cette possibilité, dans la mesure où les jours fériés qui sont visés à l’article 7, paragraphe 2, de l’ARG et qui concernent leur religion sont chômés pour l’ensemble des travailleurs.

20      Toutefois, et alors même que le requérant au principal ne prétendrait pas que ses besoins religieux n’auraient pas été pris en considération le Vendredi saint, ladite juridiction estime qu’il convient, aux fins d’apprécier la compatibilité de la législation nationale en cause au principal avec la directive 2000/78, de tenir compte du fait que les besoins religieux de certains travailleurs ne sont pas pris en considération par cette législation. Certes, certaines conventions collectives contiendraient des dispositions comparables à l’article 7 de l’ARG, notamment en ce qui concerne le jour du Grand Pardon de la religion juive ou celui de la fête de la Réformation des églises protestantes, mais, à défaut, les travailleurs seraient largement soumis au bon vouloir de leur employeur.

21      La juridiction de renvoi relève par ailleurs que la différence de traitement en cause au principal ne pourrait être appréhendée par le droit de l’Union, dans un litige entre particuliers comme celui au principal, que si ce droit était directement applicable. Elle souligne en effet que la directive 2000/78 a été transposée par la loi relative à l’égalité de traitement, laquelle ne bénéficie d’aucune primauté sur l’ARG, et que le libellé clair de l’article 7, paragraphe 3, de l’ARG s’oppose à une interprétation conforme au droit de l’Union qui étendrait le régime du Vendredi saint aux travailleurs qui ne sont pas membres des églises visées par l’ARG.

22      La juridiction de renvoi relève également que, aux termes de son article 2, paragraphe 5, la directive 2000/78 ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires notamment à la protection des droits et des libertés d’autrui et elle souligne que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la liberté de religion et la liberté du culte figurent parmi les bases de la société démocratique.

23      Ladite juridiction se demande dès lors si le régime prévu à l’article 7, paragraphe 3, de l’ARG doit être considéré comme constituant une mesure nécessaire à la protection de la liberté de religion et de culte des travailleurs qui sont membres de l’une des églises visées par l’ARG.

24      La juridiction de renvoi se demande encore si la différence de traitement en cause peut être justifiée au titre de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2000/78, en ce qu’elle constituerait une mesure positive et spécifique destinée à éliminer des désavantages existants.

25      Certes, ladite juridiction souligne qu’il n’existe pas, en principe, sur le marché du travail autrichien, de désavantages structurels pour les travailleurs qui sont membres de l’une des églises visées par l’ARG. Toutefois, contraindre ces derniers à travailler lors de l’un des jours les plus importants de leur religion, alors que tel n’est pas le cas, par exemple, des membres de l’Église catholique romaine, dont les grandes solennités sont des jours chômés pour tous les travailleurs, pourrait être considéré comme constituant un tel désavantage, que l’article 7, paragraphe 3, de l’ARG viserait alors à compenser.

26      Enfin, dans l’hypothèse où la Cour jugerait que le régime légal du Vendredi saint prévu à l’article 7, paragraphe 3, de l’ARG viole la directive 2000/78, la question se poserait de savoir si cette violation doit être compensée par l’obligation pour l’employeur, société de droit privé, d’accorder ce jour férié à tous ses travailleurs, alors même que le législateur autrichien n’a entendu prendre en compte les exigences justifiées par des raisons religieuses que d’un groupe de travailleurs bien délimité afin de sauvegarder les intérêts des employeurs qui s’opposaient à une extension excessive du régime général des jours fériés.

27      Par ailleurs, s’il devait être constaté que le régime légal du Vendredi saint ne constitue pas une action positive ou une mesure spécifique, au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2000/78, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si ce constat devrait conduire à l’inapplicabilité totale de l’article 7, paragraphe 3, de l’ARG, de sorte qu’aucun travailleur ne pourrait bénéficier, le Vendredi saint, d’un jour férié ou de l’indemnité de jour férié.

28      Dans ces conditions, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le droit de l’Union, et en particulier les dispositions combinées de l’article 21 de la [Charte] et de l’article 1er ainsi que de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive [2000/78], doit-il être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un litige entre un travailleur et un employeur dans le contexte d’une relation de travail de droit privé, il s’oppose à une législation nationale en vertu de laquelle le Vendredi saint est uniquement un jour férié assorti d’une période de repos ininterrompue d’au moins 24 heures pour les membres des Églises protestantes des confessions d’Augsbourg et helvétique, de l’Église vieille-catholique et de l’Église évangélique méthodiste et en vertu de laquelle le travailleur qui est occupé en dépit de la période de repos prévue a droit, en sus de la rémunération au titre du travail non accompli en raison du jour férié, à la rémunération correspondant au travail accompli, sans que les travailleurs qui n’appartiennent pas à ces Églises y aient droit ?

2)      Le droit de l’Union, et en particulier les dispositions combinées de l’article 21 de la [Charte] et de l’article 2, paragraphe 5, de la directive [2000/78], doit-il être interprété en ce sens que cette directive ne porte pas atteinte à la législation nationale exposée dans la première question, qui confère uniquement des droits à un groupe relativement limité – par rapport à l’ensemble de la population et à l’appartenance de la majorité à l’Église catholique romaine – de membres d’(autres) Églises, parce qu’il s’agit d’une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui, en particulier la liberté du culte ?

3)      Le droit de l’Union, et en particulier les dispositions combinées de l’article 21 de la [Charte] et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive [2000/78], doit-il être interprété en ce sens que la législation nationale exposée dans la première question constitue une mesure positive et spécifique en faveur des membres des Églises mentionnées dans la première question pour leur assurer la pleine égalité dans la vie professionnelle afin de prévenir ou de compenser des désavantages liés à la religion, lorsque cette législation leur accorde le même droit de pratiquer leur religion pendant le temps de travail lors d’un jour de fête important pour cette religion que le droit dont la majorité des travailleurs dispose par ailleurs, en vertu d’une autre disposition nationale, [en raison] du fait que les jours de fête de la religion dont se réclame la majorité des travailleurs sont de manière générale des jours chômés ?

Au cas où il serait jugé qu’il y a discrimination au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive [2000/78] :

4)      Le droit de l’Union, et en particulier les dispositions combinées de l’article 21 de la [Charte] et de l’article 1er, de l’article 2, paragraphe 2, sous a), ainsi que de l’article 7, paragraphe 1, de la directive [2000/78], doit‑il être interprété en ce sens que l’employeur privé doit, aussi longtemps que le législateur n’a pas instauré de régime non discriminatoire, accorder à tous les travailleurs, quelle que soit leur appartenance religieuse, les droits relatifs au Vendredi saint qui ont été exposés dans la première question ou bien la législation nationale visée dans la première question doit-elle rester totalement inappliquée, de sorte que les droits relatifs au Vendredi saint qui ont été exposés dans la première question ne doivent être reconnus à aucun travailleur ? »

 Sur la compétence de la Cour

29      Le gouvernement polonais considère que, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, TFUE, l’octroi par un État membre d’un jour férié destiné à permettre la célébration d’une fête religieuse ne relève pas du droit de l’Union, de sorte que la Cour ne serait pas compétente pour répondre aux questions préjudicielles qui lui sont adressées par la juridiction de renvoi.

30      À cet égard, il convient de relever que l’article 17, paragraphe 1, TFUE prévoit que l’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres.

31      Une telle disposition n’a toutefois pas pour conséquence qu’une différence de traitement contenue dans une législation nationale prévoyant l’octroi à certains travailleurs d’un jour férié destiné à permettre la célébration d’une fête religieuse soit exclue du champ d’application de la directive 2000/78 et que la conformité d’une telle différence de traitement avec cette directive échappe à un contrôle juridictionnel effectif.

32      En effet, d’une part, le libellé de l’article 17 TFUE correspond, en substance, à celui de la déclaration no 11 relative au statut des Églises et des organisations non confessionnelles, annexée à l’acte final du traité d’Amsterdam. Or, le fait que cette dernière est explicitement citée au considérant 24 de la directive 2000/78 met en évidence que le législateur de l’Union a nécessairement tenu compte de ladite déclaration lors de l’adoption de cette directive (voir, en ce sens, arrêts du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 57, et du 11 septembre 2018, IR, C‑68/17, EU:C:2018:696, point 48).

33      D’autre part, l’article 17 TFUE exprime, certes, la neutralité de l’Union à l’égard de l’organisation par les États membres de leurs rapports avec les églises et les associations ou communautés religieuses (arrêts du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 58, et du 11 septembre 2018, IR, C‑68/17, EU:C:2018:696, point 48). Toutefois, les dispositions nationales en cause au principal ne visent pas à organiser les rapports entre un État membre et les églises, mais visent uniquement à octroyer aux travailleurs, membres de certaines églises, un jour férié supplémentaire coïncidant avec une fête religieuse importante pour ces églises.

34      L’exception d’incompétence soulevée par le gouvernement polonais doit donc être rejetée.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les trois premières questions

35      Par ses trois premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er et l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’une législation nationale en vertu de laquelle, d’une part, le Vendredi saint n’est un jour férié que pour les travailleurs qui sont membres de certaines églises chrétiennes et, d’autre part, seuls ces travailleurs ont droit, s’ils sont amenés à travailler durant ce jour férié, à une indemnité de jour férié, institue une discrimination directe en raison de la religion. En cas de réponse affirmative, elle demande également si les mesures prévues par cette législation nationale peuvent être considérées comme étant des mesures nécessaires à la préservation des droits et des libertés d’autrui, au sens de l’article 2, paragraphe 5, de ladite directive, ou des mesures spécifiques destinées à compenser des désavantages liés à la religion, au sens de l’article 7, paragraphe 1, de cette directive.

36      En premier lieu, il convient de rappeler que, conformément à l’article 1er de la directive 2000/78, celle-ci a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

37      Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive, on entend par « principe de l’égalité de traitement » l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur l’un des motifs visés à l’article 1er de cette directive. L’article 2, paragraphe 2, sous a), de cette directive précise que, pour les besoins de l’application de l’article 2, paragraphe 1, de celle-ci, une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable que l’est une autre personne se trouvant dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er de la même directive, parmi lesquels figure la religion.

38      Dans ce contexte, il importe, premièrement, de déterminer s’il résulte de la législation en cause au principal une différence de traitement entre travailleurs sur la base de leur religion.

39      À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 7, paragraphe 3, de l’ARG reconnaît aux seuls travailleurs qui sont membres de l’une des églises visées par l’ARG le droit à un jour férié le Vendredi saint. Il s’ensuit que l’indemnité de jour férié que peut faire valoir, en vertu de l’article 9, paragraphe 5, de l’ARG, le travailleur qui est appelé à exercer son activité professionnelle au cours d’un jour férié n’est due aux travailleurs qui exercent leur activité professionnelle le Vendredi saint que si ceux-ci sont membres de l’une de ces églises.

40      Dès lors, la législation en cause au principal instaure une différence de traitement qui est directement fondée sur la religion des travailleurs. En effet, le critère de différenciation auquel a recours cette législation procède directement de l’appartenance des travailleurs à une religion déterminée.

41      Deuxièmement, il convient d’examiner si une telle différence de traitement concerne des catégories de travailleurs se trouvant dans des situations comparables.

42      À cet égard, l’exigence tenant au caractère comparable des situations aux fins de déterminer l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement doit être appréciée au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent et notamment à la lumière de l’objet et du but de la législation nationale qui institue la distinction en cause [voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria, C‑83/14, EU:C:2015:480, point 89, et du 26 juin 2018, MB (Changement de sexe et pension de retraite), C‑451/16, EU:C:2018:492, point 42].

43      Il y a lieu également de préciser que, d’une part, il est requis non pas que les situations soient identiques, mais seulement qu’elles soient comparables et que, d’autre part, l’examen de ce caractère comparable doit être effectué non pas de manière globale et abstraite, mais de manière spécifique et concrète au regard de la prestation concernée (arrêt du 19 juillet 2017, Abercrombie & Fitch Italia, C‑143/16, EU:C:2017:566, point 25 et jurisprudence citée).

44      En l’occurrence, l’article 7, paragraphe 3, de l’ARG accorde, le Vendredi saint, une période de repos continue de 24 heures aux seuls travailleurs qui sont membres de l’une des églises visées par l’ARG. Cette disposition établit ainsi une différence de traitement quant à l’octroi d’un jour férié entre ces travailleurs et l’ensemble des autres travailleurs.

45      À cet égard, il ressort du dossier dont dispose la Cour que la période de repos de 24 heures accordée le Vendredi saint aux travailleurs qui sont membres de l’une des églises visées par l’ARG est justifiée, par les autorités nationales compétentes, par l’importance qu’un tel jour revêt pour ces communautés religieuses.

46      Toutefois, comme il ressort de la décision de renvoi, l’octroi d’un jour férié le Vendredi saint à un travailleur membre de l’une des églises visées par l’ARG n’est pas soumis à la condition de l’accomplissement, par le travailleur, d’une obligation religieuse déterminée au cours de cette journée, mais est soumis uniquement à l’appartenance formelle dudit travailleur à l’une de ces églises. Ce travailleur demeure ainsi libre de disposer à son gré, par exemple à des fins de repos ou de loisirs, de la période afférente à ce jour férié.

47      La situation d’un tel travailleur ne se différencie pas, à cet égard, de celle des autres travailleurs souhaitant disposer d’une période de repos ou de loisirs un Vendredi saint sans qu’ils puissent toutefois bénéficier d’un jour férié correspondant.

48      Par ailleurs, il découle de la lecture combinée de l’article 7, paragraphe 3, et de l’article 9, paragraphe 5, de l’ARG que seuls les travailleurs qui sont membres de l’une des églises visées par l’ARG peuvent bénéficier de l’indemnité de jour férié s’ils travaillent le Vendredi saint.

49      Eu égard à la nature financière de la prestation concernée par un tel traitement différencié ainsi qu’au lien indissociable qui l’unit à l’octroi d’un jour férié le Vendredi saint, il convient également de considérer que, en ce qui concerne l’attribution d’une telle prestation financière, la situation des travailleurs qui sont membres de l’une des églises visées par l’ARG est comparable à celle de l’ensemble des autres travailleurs, que ceux-ci aient ou non une religion.

50      En effet, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, l’octroi de cette indemnité au travailleur membre de l’une desdites églises, qui est appelé à travailler le Vendredi saint, dépend uniquement de l’appartenance formelle de ce travailleur à l’une de ces églises. Ledit travailleur a ainsi droit à ladite indemnité quand bien même il aurait travaillé le Vendredi saint sans avoir ressenti l’obligation ou le besoin de célébrer cette fête religieuse. Sa situation ne se différencie dès lors pas de celle des autres travailleurs ayant travaillé le Vendredi saint sans bénéficier d’une telle indemnité.

51      Il s’ensuit que la législation nationale en cause au principal a pour effet de traiter différemment, en fonction de la religion, des situations comparables. Elle instaure, dès lors, une discrimination directe en raison de la religion, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78.

52      En second lieu, il convient de déterminer si une telle discrimination directe est susceptible d’être justifiée sur le fondement de l’article 2, paragraphe 5, de la directive 2000/78 ou de l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive.

53      D’une part, selon l’article 2, paragraphe 5, de la directive 2000/78, celle-ci ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et des libertés d’autrui.

54      En adoptant cette disposition, le législateur de l’Union a, en matière d’emploi et de travail, entendu prévenir et arbitrer un conflit entre, d’une part, le principe de l’égalité de traitement et, d’autre part, la nécessité d’assurer l’ordre, la sécurité et la santé publics, la prévention des infractions ainsi que la protection des droits et des libertés individuels, lesquels sont indispensables au fonctionnement d’une société démocratique. Ce législateur a décidé que, dans certains cas énumérés à l’article 2, paragraphe 5, de la directive 2000/78, les principes posés par cette dernière ne s’appliquent pas à des mesures contenant des différences de traitement fondées sur l’un des motifs visés à l’article 1er de cette directive, à condition, toutefois, que ces mesures soient nécessaires à la réalisation des objectifs susvisés (arrêt du 13 septembre 2011, Prigge e.a., C‑447/09, EU:C:2011:573, point 55).

55      Par ailleurs, ledit article 2, paragraphe 5, instituant une dérogation au principe d’interdiction des discriminations, il doit être interprété de manière stricte. Les termes utilisés à cette disposition conduisent également à une telle approche (arrêt du 13 septembre 2011, Prigge e.a., C‑447/09, EU:C:2011:573, point 56 ainsi que jurisprudence citée).

56      En l’occurrence, il y a lieu de souligner, premièrement, que les mesures en cause au principal, à savoir la reconnaissance du Vendredi saint comme étant un jour férié pour les travailleurs qui sont membres de l’une des églises visées par l’ARG ainsi que l’octroi à ces travailleurs de l’indemnité de jour férié dans le cas où ceux-ci sont amenés à travailler pendant la période de repos afférente à ce jour férié, sont prévues par la législation nationale, au sens de l’article 2, paragraphe 5, de la directive 2000/78.

57      Deuxièmement, comme le relève la juridiction de renvoi, l’octroi d’un jour férié le Vendredi saint aux travailleurs qui sont membres de l’une des églises visées par l’ARG a pour objectif de tenir compte de l’importance particulière que revêtent, pour les membres de ces églises, les célébrations religieuses associées à une telle journée.

58      Or, il est constant que la liberté de religion fait partie des droits et des libertés fondamentales reconnus par le droit de l’Union, la notion de « religion » devant être comprise à cet égard comme couvrant tant le forum internum, à savoir le fait d’avoir des convictions, que le forum externum, à savoir la manifestation en public de la foi religieuse (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, C‑157/15, EU:C:2017:203, point 28, ainsi que du 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDH, C‑188/15, EU:C:2017:204, point 30). Il s’ensuit que l’objectif poursuivi par le législateur autrichien figure bien au nombre de ceux qui sont énumérés à l’article 2, paragraphe 5, de la directive 2000/78.

59      Il convient encore de déterminer, troisièmement, si ces mesures sont nécessaires à la protection de la liberté de religion des travailleurs en question.

60      À cet égard, il importe de constater que, comme l’a confirmé le gouvernement autrichien lors de l’audience devant la Cour, la possibilité pour les travailleurs qui n’appartiennent pas aux églises visées par l’ARG de célébrer une fête religieuse ne coïncidant pas avec l’un des jours fériés énumérés à l’article 7, paragraphe 2, de l’ARG est prise en compte en droit autrichien, non pas par l’octroi d’un jour férié supplémentaire, mais principalement au moyen d’un devoir de sollicitude des employeurs à l’égard de leurs employés, qui permet à ces derniers d’obtenir, le cas échéant, le droit de s’absenter de leur travail pour la durée nécessaire à l’accomplissement de certains rites religieux.

61      Il s’ensuit que des mesures nationales telles que celles en cause au principal ne peuvent être considérées comme étant nécessaires à la protection de la liberté de religion, au sens de l’article 2, paragraphe 5, de la directive 2000/78.

62      D’autre part, il convient de vérifier si des dispositions telles que celles en cause au principal peuvent être justifiées en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

63      Il ressort de cette dernière disposition que le principe de l’égalité de traitement ne s’oppose pas à ce qu’un État membre maintienne ou adopte, afin d’assurer la pleine égalité dans la vie professionnelle, des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser les désavantages liés à l’un des motifs visés à l’article 1er de cette directive.

64      L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2000/78 a pour but précis et limité d’autoriser des mesures qui, tout en étant discriminatoires selon leurs apparences, visent effectivement à éliminer ou à réduire les inégalités de fait pouvant exister dans la vie sociale (voir, par analogie, arrêt du 30 septembre 2010, Roca Álvarez, C‑104/09, EU:C:2010:561, point 33 et jurisprudence citée).

65      Par ailleurs, en déterminant la portée de toute dérogation à un droit individuel, tel que l’égalité de traitement, il y a lieu de respecter le principe de proportionnalité qui exige que les dérogations ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché et que soient conciliés, dans toute la mesure possible, le principe d’égalité de traitement et les exigences du but ainsi poursuivi (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2002, Lommers, C‑476/99, EU:C:2002:183, point 39).

66      En l’occurrence, et sans qu’il soit nécessaire de déterminer si le fait que le Vendredi saint, qui apparaît comme l’un des jours les plus importants de la religion à laquelle appartiennent les travailleurs membres de l’une des églises visées par l’ARG, ne correspond pas à l’un des jours fériés énumérés à l’article 7, paragraphe 2, de cette loi constitue un désavantage dans l’exercice de leur vie professionnelle, au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2000/78, il convient de relever que la législation nationale en cause au principal ne peut être considérée comme comportant des mesures spécifiques destinées à compenser un tel « désavantage » dans le respect du principe de proportionnalité et, dans toute la mesure possible, du principe d’égalité.

67      En effet, comme il a été relevé au point 60 du présent arrêt, les dispositions en cause au principal accordent une période de repos de 24 heures, le Vendredi saint, aux travailleurs qui sont membres de l’une des églises visées par l’ARG, alors que les travailleurs appartenant à d’autres religions, dont les fêtes importantes ne coïncident pas avec les jours fériés prévus à l’article 7, paragraphe 2, de l’ARG, ne peuvent, en principe, s’absenter de leur travail pour accomplir les rites religieux afférents à ces fêtes qu’en vertu d’une autorisation accordée par leur employeur dans le cadre du devoir de sollicitude.

68      Il s’ensuit que les mesures en cause au principal vont au-delà de ce qui est nécessaire pour compenser un tel désavantage supposé et qu’elles instaurent une différence de traitement entre travailleurs, confrontés à des obligations religieuses comparables, qui ne garantit pas, dans toute la mesure possible, le respect du principe d’égalité.

69      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux trois premières questions que :

–        l’article 1er et l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’une législation nationale en vertu de laquelle, d’une part, le Vendredi saint n’est un jour férié que pour les travailleurs qui sont membres de certaines églises chrétiennes et, d’autre part, seuls ces travailleurs ont droit, s’ils sont amenés à travailler durant ce jour férié, à une indemnité de jour férié constitue une discrimination directe en raison de la religion, et

–        les mesures prévues par cette législation nationale ne peuvent être considérées ni comme des mesures nécessaires à la préservation des droits et des libertés d’autrui, au sens de l’article 2, paragraphe 5, de ladite directive, ni comme des mesures spécifiques destinées à compenser des désavantages liés à la religion, au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la même directive.

 Sur la quatrième question

70      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, aussi longtemps que l’État membre concerné n’a pas modifié, afin de rétablir l’égalité de traitement, sa législation n’octroyant le droit à un jour férié le Vendredi saint qu’aux travailleurs membres de certaines églises chrétiennes, un employeur privé soumis à cette législation a l’obligation d’accorder également à ses autres travailleurs le droit à un jour férié le Vendredi saint et, par voie de conséquence, de reconnaître à ces derniers, s’ils sont amenés à travailler durant cette journée, le droit à une indemnité de jour férié.

71      Il découle de la réponse apportée aux trois premières questions que la directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une différence de traitement en raison de la religion, telle que celle instituée par les dispositions en cause au principal.

72      Toutefois, il importe de relever, en premier lieu, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, une directive ne peut, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à l’encontre de celui-ci. En effet, étendre l’invocabilité des directives non transposées, ou incorrectement transposées, au domaine des rapports entre les particuliers reviendrait à reconnaître à l’Union le pouvoir d’édicter avec effet immédiat des obligations à la charge des particuliers alors qu’elle ne détient cette compétence que là où lui est attribué le pouvoir d’adopter des règlements (arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C‑569/16 et C‑570/16, EU:C:2018:871, point 76 ainsi que jurisprudence citée).

73      Ainsi, une directive ne peut pas être invoquée dans un litige entre particuliers afin d’écarter la réglementation d’un État membre contraire à cette directive (arrêt du 7 août 2018, Smith, C‑122/17, EU:C:2018:631, point 44).

74      Néanmoins, il convient de rappeler, en deuxième lieu, qu’il appartient aux juridictions nationales, en tenant compte de l’ensemble des règles du droit national et en application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, de décider si et dans quelle mesure une disposition nationale est susceptible d’être interprétée en conformité avec la directive 2000/78 sans procéder à une interprétation contra legem de cette disposition nationale (arrêts du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 71, et du 11 septembre 2018, IR, C‑68/17, EU:C:2018:696, point 63).

75      Dans l’hypothèse où, comme il paraît ressortir de la décision de renvoi, il serait impossible à la juridiction de renvoi de procéder à une telle interprétation conforme, il convient de préciser, en troisième lieu, que la directive 2000/78 n’instaure pas elle-même le principe de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, lequel trouve sa source dans divers instruments internationaux et les traditions constitutionnelles communes aux États membres, mais a uniquement pour objet d’établir, dans ces mêmes matières, un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur divers motifs, parmi lesquels figurent la religion ou les convictions, ainsi qu’il ressort de l’intitulé et de l’article 1er de celle-ci (arrêts du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 75, et du 11 septembre 2018, IR, C‑68/17, EU:C:2018:696, point 67).

76      L’interdiction de toute discrimination fondée sur la religion ou les convictions revêt un caractère impératif en tant que principe général de droit de l’Union. Consacrée à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, cette interdiction se suffit à elle-même pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel dans un litige qui les oppose dans un domaine couvert par le droit de l’Union (arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 76).

77      Au regard de l’effet impératif qu’il déploie, l’article 21 de la Charte ne se distingue pas, en principe, des différentes dispositions des traités fondateurs prohibant des discriminations en fonction de divers motifs, même lorsque de telles discriminations résultent de contrats conclus entre particuliers (arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 77).

78      Partant, s’il devait s’avérer que les dispositions nationales ne peuvent être interprétées d’une manière qui soit conforme à la directive 2000/78, la juridiction de renvoi serait néanmoins tenue d’assurer la protection juridique découlant pour les travailleurs de l’article 21 de la Charte et de garantir le plein effet de cet article.

79      En quatrième lieu, il y a lieu de relever que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, dès lors qu’une discrimination, contraire au droit de l’Union, a été constatée et aussi longtemps que des mesures rétablissant l’égalité de traitement n’ont pas été adoptées, le respect du principe d’égalité ne saurait être assuré que par l’octroi aux personnes de la catégorie défavorisée des mêmes avantages que ceux dont bénéficient les personnes de la catégorie privilégiée. Les personnes défavorisées doivent ainsi être placées dans la même situation que les personnes bénéficiant de l’avantage concerné (arrêt du 9 mars 2017, Milkova, C‑406/15, EU:C:2017:198, point 66 et jurisprudence citée).

80      Dans cette hypothèse, le juge national est tenu d’écarter toute disposition nationale discriminatoire, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par le législateur, et d’appliquer aux membres du groupe défavorisé le même régime que celui dont bénéficient les personnes de l’autre catégorie. Cette obligation lui incombe indépendamment de l’existence, dans le droit interne, de dispositions lui conférant la compétence pour le faire (arrêt du 9 mars 2017, Milkova, C‑406/15, EU:C:2017:198, point 67 et jurisprudence citée).

81      Toutefois, une telle solution n’a vocation à s’appliquer qu’en présence d’un système de référence valable (arrêt du 9 mars 2017, Milkova, C‑406/15, EU:C:2017:198, point 68 et jurisprudence citée).

82      Tel est le cas dans l’affaire au principal, le régime applicable aux membres des églises visées par l’ARG restant, à défaut de l’application correcte du droit de l’Union, le seul système de référence valable.

83      Dès lors, aussi longtemps que des mesures rétablissant l’égalité de traitement n’ont pas été adoptées par le législateur national, il incombe aux employeurs d’assurer aux travailleurs n’appartenant pas à l’une de ces églises un traitement identique à celui que les dispositions en cause au principal réservent aux travailleurs qui sont membres de l’une desdites églises.

84      Il convient de souligner, à cet égard, qu’il ressort de la législation nationale pertinente que ces derniers travailleurs sont tenus d’informer leur employeur de leur appartenance à l’une des églises visées par l’ARG afin de permettre à celui-ci d’anticiper leur absence le Vendredi saint.

85      Partant, aussi longtemps qu’aucune mise en conformité législative n’est intervenue, l’employeur doit reconnaître, en vertu de l’article 21 de la Charte, aux travailleurs n’appartenant à aucune desdites églises, le droit à un jour férié le Vendredi saint, pour autant que ces travailleurs ont informé, avant cette journée, leur employeur de leur souhait de ne pas travailler durant ladite journée.

86      Il s’ensuit également qu’un travailleur n’appartenant à aucune des églises visées par l’ARG est en droit d’obtenir le versement, par son employeur, de l’indemnité prévue à l’article 9, paragraphe 5, de l’ARG, lorsque cet employeur a refusé de faire droit à sa demande de ne pas devoir travailler durant cette journée.

87      En cinquième lieu, il importe de rappeler que les obligations imposées aux employeurs, telles que rappelées aux points 85 et 86 du présent arrêt, ne valent qu’aussi longtemps que des mesures rétablissant l’égalité de traitement n’ont pas été adoptées par le législateur national.

88      En effet, si les États membres, conformément à l’article 16 de la directive 2000/78, ont l’obligation de supprimer les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe d’égalité de traitement, cet article ne leur impose toutefois pas d’adopter des mesures déterminées en cas de violation de l’interdiction de discrimination, mais leur laisse la liberté de choisir, parmi les différentes solutions propres à réaliser l’objectif qu’il vise, celle qui leur paraît la mieux adaptée à cet effet, en fonction des situations qui peuvent se présenter (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Stollwitzer, C‑482/16, EU:C:2018:180, points 28 et 30).

89      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 21 de la Charte doit être interprété en ce sens que, aussi longtemps que l’État membre concerné n’a pas modifié, afin de rétablir l’égalité de traitement, sa législation n’octroyant le droit à un jour férié le Vendredi saint qu’aux travailleurs membres de certaines églises chrétiennes, un employeur privé soumis à cette législation a l’obligation d’accorder également à ses autres travailleurs le droit à un jour férié le Vendredi saint, pour autant que ces derniers ont au préalable demandé à cet employeur de ne pas devoir travailler ce jour-là, et, par voie de conséquence, de reconnaître à ces travailleurs le droit à une indemnité de jour férié, lorsque ledit employeur a refusé de faire droit à une telle demande.

 Sur les dépens

90      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1)      L’article 1er et l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’une législation nationale en vertu de laquelle, d’une part, le Vendredi saint n’est un jour férié que pour les travailleurs qui sont membres de certaines églises chrétiennes et, d’autre part, seuls ces travailleurs ont droit, s’ils sont amenés à travailler durant ce jour férié, à une indemnité complémentaire à la rémunération perçue pour les prestations accomplies durant cette journée constitue une discrimination directe en raison de la religion.

Les mesures prévues par cette législation nationale ne peuvent être considérées ni comme des mesures nécessaires à la préservation des droits et des libertés d’autrui, au sens de l’article 2, paragraphe 5, de ladite directive, ni comme des mesures spécifiques destinées à compenser des désavantages liés à la religion, au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la même directive.

2)      L’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens que, aussi longtemps que l’État membre concerné n’a pas modifié, afin de rétablir l’égalité de traitement, sa législation n’octroyant le droit à un jour férié le Vendredi saint qu’aux travailleurs membres de certaines églises chrétiennes, un employeur privé soumis à cette législation a l’obligation d’accorder également à ses autres travailleurs le droit à un jour férié le Vendredi saint, pour autant que ces derniers ont au préalable demandé à cet employeur de ne pas devoir travailler ce jour-là, et, par voie de conséquence, de reconnaître à ces travailleurs le droit à une indemnité complémentaire à la rémunération perçue pour les prestations accomplies durant cette journée, lorsque ledit employeur a refusé de faire droit à une telle demande.


Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.