Language of document : ECLI:EU:C:2020:707

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 10 septembre 2020 (1)

Affaires jointes C407/19 et C471/19

Katoen Natie Bulk Terminals NV,

General Services Antwerp NV

contre

État belge

[demande de décision préjudicielle formée par le Raad van State (Conseil d’État, Belgique)]

et

Middlegate Europe NV

contre

Conseil des ministres,

en présence de

Katoen Natie Bulk Terminals NV,

General Services Antwerp NV,

Koninklijk Verbond der Beheerders van Goederenstromen (KVBG) CVBA,

MVH Logistics en Stuwadoring BV

[demande de décision préjudicielle formée par le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle, Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Exercice d’activités portuaires – Ouvriers portuaires (dockers) – Accès à la profession et recrutement – Modalités de reconnaissance des ouvriers portuaires – Ouvriers portuaires faisant partie du contingent (pool) – Engagement direct des ouvriers portuaires – Limitation de la durée du contrat de travail – Mobilité des ouvriers portuaires entre différentes zones portuaires –Travailleurs logistiques – Application provisoire d’une règle nationale incompatible avec le droit de l’Union »






1.        Le chargement et le déchargement des navires dans les ports ont été assurés par des ouvriers portuaires qui travaillaient généralement de manière intermittente et dans des conditions difficiles. Leur lutte en vue d’améliorer ces conditions, menée avec l’appui de syndicats bien organisés, a conduit de nombreux États à adopter des normes spécifiques pour réglementer cette relation de travail.

2.        Les différentes réglementations nationales ont coïncidé en ce qu’elles réservaient ces tâches de manière exclusive aux ouvriers portuaires faisant partie d’un contingent, ou pool, bien délimité (ces ouvriers étant dits « reconnus » selon la terminologie prévalant dans les présentes affaires). Les entreprises fournissant des services portuaires devaient nécessairement avoir recours à ces derniers.

3.        L’arrimage et les autres tâches portuaires ont connu des changements avec le développement technologique, mais certains États membres appliquent encore, dans une plus ou moins large mesure, ces réglementations en matière d’emploi qui, selon différentes formules, favorisaient le « monopole » des ouvriers portuaires reconnus (2).

4.        Au cours de l’année 2014, la Cour a jugé que la législation espagnole sur l’arrimage portuaire, qui était conforme aux critères traditionnels en la matière, était incompatible avec la liberté d’établissement établie à l’article 49 TFUE (3).

5.        Malgré les tentatives de la Commission, le législateur de l’Union n’est pas parvenu à harmoniser le volet du régime de la fourniture de services portuaires relatif aux relations de travail et aux conditions sociales des ouvriers portuaires, et ce tant avant qu’après l’arrêt Commission/Espagne (4).

6.        Ces deux renvois préjudiciels permettront à la Cour de déterminer si la réglementation belge (qui maintient un régime spécial de recrutement des ouvriers portuaires) est compatible avec la liberté d’établissement. L’arrêt à intervenir pourra également dégager des critères supplémentaires afin de clarifier la conformité du régime des ouvriers portuaires aux exigences du droit de l’Union et, notamment, de cette liberté. Les ports ne sont pas une zone de non-droit (5).

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

7.        L’article 49 TFUE dispose :

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux. »

B.      Le droit belge

1.      Wet van 8 juni 1972 betreffende de havenarbeid

8.        Les dispositions pertinentes de la Wet van 8 juni 1972 betreffende de havenarbeid (6), qui a connu plusieurs modifications, sont actuellement les suivantes :

« Article 1

Nul ne peut faire effectuer un travail portuaire dans les zones portuaires par des travailleurs autres que les ouvriers portuaires reconnus.

Article 2

La délimitation des zones portuaires et du travail portuaire telle qu’elle est établie par le Roi en application des articles 35 et 37 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires, régit l’application de la présente loi.

Article 3

Le Roi fixe les conditions et les modalités de reconnaissance des ouvriers portuaires, sur avis de la commission paritaire compétente pour la zone portuaire concernée.

[...]

Article 3bis

Sur avis de la commission paritaire compétente pour la zone portuaire concernée, le Roi peut obliger les employeurs, occupant des ouvriers portuaires dans cette zone, à s’affilier à une organisation d’employeurs agréée par lui et qui, en qualité de mandataire, remplit toutes les obligations qui, en vertu de la législation sur le travail individuel et collectif et de la législation sociale découlent de l’occupation d’ouvriers portuaires pour les employeurs.

Pour pouvoir être agréée, l’organisation d’employeurs, visée à l’alinéa précédent, doit déjà compter la majorité des employeurs intéressés comme membres. »

2.      Koninklijk besluit van 12 januari 1973 tot oprichting en vaststelling van de benaming en van de bevoegdheid van het Paritair Comité voor het Havenbedrijf

9.        L’article premier du Koninklijk besluit van 12 januari 1973 tot oprichting en vaststelling van de benaming en van de bevoegdheid van het Paritair Comité voor het Havenbedrijf (7) dispose :

« Il est institué une commission paritaire, dénommée “Commission paritaire des ports”, (compétente pour les travailleurs en général et leurs employeurs), et ce pour :

tous les travailleurs et leurs employeurs qui, dans les zones portuaires :

A.      effectuent, en ordre principal ou accessoirement du travail portuaire, à savoir toutes les manipulations de marchandises qui sont transportées par des navires de mer ou des bâtiments de navigation intérieure, par des wagons de chemin de fer ou des camions, et les services accessoires qui concernent ces marchandises, que ces activités aient lieu dans les docks, sur les voies navigables, sur les quais ou dans les établissements s’occupant de l’importation, de l’exportation et du transit de marchandises, ainsi que toutes les manipulations de marchandises transportées par des navires de mer ou des bâtiments de navigation intérieure à destination ou en provenance des quais d’établissements industriels.

Il faut entendre par :

1.      Toutes les manipulations de marchandises :

a)      marchandises : toutes les marchandises, les containers et les moyens de transport y compris, à l’exclusion uniquement :

–        du transport de pétrole en vrac, de produits pétroliers (liquides) et de matières premières liquides pour les raffineries, l’industrie chimique et les activités d’entreposage et de transformation dans les installations pétrolières ;

–        du poisson amené par des bateaux de pêche ;

–        des gaz liquides sous pression et en vrac.

b)      manipulations : charger, décharger, arrimer, désarrimer, déplacer l’arrimage, décharger en vrac, appareiller, classer, trier, calibrer, empiler, désempiler, ainsi que composer et décomposer les chargements unitaires.

2.      Les services accessoires qui concernent ces marchandises : marquer, peser, mesurer, cuber, contrôler, réceptionner, garder (à l’exception des services de gardiennage assurés par des entreprises relevant de la compétence de la Commission paritaire pour les services de gardiennage et/ou de surveillance pour le compte d’entreprises relevant de la Commission paritaire des ports), livrer, échantillonner et sceller, accorer et désaccorer.

[...] »

3.      Koninklijk besluit van 5 juli 2004 betreffende de erkenning van havenarbeiders in de havengebieden die onder het toepassingsgebied vallen van de wet van 8 juni 1972 betreffende de havenarbeid

10.      Le Koninklijk besluit van 5 juli 2004 betreffende de erkenning van havenarbeiders in de havengebieden die onder het toepassingsgebied vallen van de wet van 8 juni 1972 betreffende de havenarbeid (8) prévoyait initialement une obligation de reconnaissance pour l’ensemble des ouvriers portuaires effectuant du travail portuaire au sens de l’arrêté royal du 12 janvier 1973. Après leur reconnaissance, ceux-ci étaient répartis soit dans le contingent (ou pool) général, soit dans le contingent (ou pool) logistique.

11.      L’arrêté royal du 5 juillet 2004 a été modifié par l’arrêté royal du 10 juillet 2016 (9), adopté à la suite de la mise en demeure adressée à la Belgique par la Commission européenne le 28 mars 2014.

12.      À la suite de cette modification, l’arrêté royal du 5 juillet 2004 dispose, dans sa version applicable aux présentes affaires :

« Article premier

1.      Dans chaque zone portuaire, les ouvriers portuaires sont reconnus par la commission paritairement constituée, dénommée ci-après la “commission administrative”, instituée au sein de la sous-commission paritaire compétente pour la zone portuaire concernée.

Cette commission administrative est composée de :

1.      un président et un vice-président ;

2.      quatre membres effectifs et quatre membres suppléants désignés par les organisations d’employeurs représentées au sein de la sous-commission paritaire ;

3.      quatre membres effectifs et quatre membres suppléants désignés par les organisations de travailleurs représentées au sein de la sous-commission paritaire ;

4.      un ou plusieurs secrétaires.

Les dispositions de l’arrêté royal du 6 novembre 1969 déterminant les modalités générales de fonctionnement des commissions et des sous-commissions paritaires, ainsi que les règles particulières, prévues à l’article 10 du présent arrêté, s’appliquent au fonctionnement de la commission administrative.

2.      La demande de reconnaissance est introduite par écrit auprès de la sous-commission paritaire compétente par un modèle mis à disposition à cet effet.

La demande indique si elle est introduite en vue d’un emploi dans ou en dehors du pool.

[...]

3.      Par dérogation au [paragraphe] 1er, alinéa 1er, pour les travailleurs qui effectuent un travail au sens de l’article 1er de l’[arrêté royal du 12 janvier 1973], sur des lieux où des marchandises subissent, en préparation de leur distribution ou expédition ultérieure, une transformation qui mène indirectement à une valeur ajoutée démontrable, et qui disposent d’un certificat de sécurité, nommé “travailleurs logistiques”, ce certificat de sécurité vaut reconnaissance au sens de la [loi de 1972].

Le certificat de sécurité est sollicité par l’employeur qui a signé un contrat de travail avec un travailleur pour effectuer des activités telles que visées à l’alinéa précédent et l’expédition se fait sur présentation de la carte d’identité et du contrat de travail. Les modalités de cette procédure sont fixées par convention collective de travail.

Article 2

1.      Les travailleurs portuaires visés à l’article 1er, [paragraphe] 1er, alinéa 1er, sont lors de leur reconnaissance, repris ou non dans le pool des travailleurs portuaires.

Il est tenu compte du besoin en main-d’œuvre pour la reconnaissance en vue de la prise en compte dans le pool.

2.      Les travailleurs portuaires repris dans le pool sont reconnus pour une durée déterminée ou indéterminée.

Les modalités concernant la durée de la reconnaissance sont fixées par convention collective de travail.

3.      Les travailleurs portuaires qui ne sont pas repris dans le pool, sont engagés dans le cadre d’un contrat de travail conformément à la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

La durée de la reconnaissance est limitée à la durée de ce contrat de travail.

[...]

Article 4

1.      Pour une reconnaissance comme ouvrier[s] portuaires telle que visée à l’article 1er, [paragraphe] 1er, 1er alinéa, les conditions de reconnaissance s’appliquent :

[...]

2.      être déclaré médicalement apte au travail portuaire par le service externe pour la prévention et la protection au travail, auquel est affiliée l’organisation d’employeurs qui a été désignée comme mandataire conformément à l’article 3bis de la [loi de 1972] ;

3.      avoir réussi les tests psychotechniques réalisés par l’organe désigné à cet effet par l’organisation d’employeurs qui a été désignée comme mandataire conformément à l’article 3bis de la [loi de 1972] ; le but de ces tests est d’examiner si le candidat ouvrier portuaire dispose de l’intelligence suffisante et de la personnalité et motivation adéquates pour pouvoir, après une formation, remplir la fonction d’ouvrier portuaire ;

[...]

6.      avoir suivi, durant trois semaines, des cours de préparation en vue de travailler de manière sûre ainsi qu’en vue d’obtenir une qualification professionnelle et avoir réussi l’épreuve finale. L’autorité compétente peut définir les conditions de qualité auxquelles la formation, qui peut être librement délivrée, doit répondre ;

7.      n’avoir pas fait l’objet, au cours des cinq dernières années, d’une mesure de retrait de reconnaissance comme ouvrier portuaire sur la base de l’article 7, alinéa 1er, 1° ou 3°, du présent arrêté ;

8.      dans le cas d’une reconnaissance d’un travailleur portuaire visé à l’article 2, [paragraphe] 3, disposer en plus d’un contrat de travail.

2.      La reconnaissance d’un travailleur portuaire est valable dans chaque zone portuaire comme définie par le Roi en exécution des articles 35 et 37 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires.

Les conditions et modalités dans lesquelles un travailleur portuaire peut être employé dans une autre zone portuaire que celle dans laquelle il est reconnu, sont fixées par convention collective de travail.

L’organisation d’employeurs désignée comme mandataire conformément à l’article 3bis de la [loi de 1972], reste mandataire dans le cas où le travailleur portuaire est employé en dehors de la zone portuaire dans laquelle il a été reconnu.

3.      Les ouvriers portuaires qui peuvent démontrer qu’ils satisfont, dans un autre État membre de l’Union européenne, à des conditions équivalentes en matière de travail portuaire, ne sont plus soumis, en ce qui concerne l’application du présent arrêté, à ces conditions.

4.      Les demandes de reconnaissance et de renouvellement sont introduites auprès de la commission administrative et traitées par celle‑ci.

[...]

Article 13/1

1.      le contrat de travail visé à l’article 2, [paragraphe] 3, alinéa 2, doit être conclu pour une durée indéterminée ;

2.      le contrat de travail visé à l’article 2, [paragraphe] 3, alinéa 2, doit être conclu pour une durée d’au moins 2 ans ;

3.      le contrat de travail visé à l’article 2, [paragraphe] 3, alinéa 2, doit être conclu pour une durée d’au moins un an ;

4.      le contrat de travail visé à l’article 2, [paragraphe] 3, alinéa 2, doit être conclu pour une durée d’au moins 6 mois.

[...]

Article 15/1

Pour l’application de cet arrêté :

1.      les ouvriers portuaires reconnus sur la base de l’ancien article 2, 2e alinéa, sont reconnus de plein droit comme travailleurs portuaires repris dans le pool conformément à l’article 2, [paragraphe] 1er, sans préjudice de l’application des articles 5 à 9 du présent arrêté ;

2.      les ouvriers portuaires reconnus sur la base de l’ancien article 2, 3e alinéa, sont assimilés de plein droit aux travailleurs logistiques visé[s] à l’article 1er, [paragraphe] 3, sans préjudice de l’application des articles 5 à 9 du présent arrêté.

[...] »

II.    Les faits et les questions préjudicielles

A.      Affaire C407/19

13.      Katoen Natie Bulk Terminal NV (ci-après « Katoen ») (10) et General Services Antwerp NV (ci-après « General Services ») (11) sont deux sociétés établies en Belgique dont l’activité comprend des opérations portuaires en Belgique et à l’étranger.

14.      Le 5 septembre 2016, ces deux sociétés ont introduit devant le Raad Van State (Conseil d’État, Belgique) un recours contre l’arrêté royal du 10 juillet 2016. Toutes deux sollicitent son annulation au motif qu’il viole, selon elles, les libertés fondamentales du marché intérieur de l’Union ainsi que les règles en matière de libre concurrence (12) et que, même s’il vise en apparence à libéraliser le marché du travail, il confirme ou introduit en réalité jusqu’à sept restrictions non nécessaires et disproportionnées dans la législation sur les activités portuaires.

15.      Parmi ces restrictions, Katoen et General Services relèvent :

–      L’exigence de reconnaissance de tous les ouvriers portuaires assignés à des tâches non logistiques par une commission administrative composée d’organisations d’employeurs et de syndicats, ce qui génère un marché du travail fermé (« closed shop »).

–      Le contrôle exercé par les organisations locales d’employeurs et par les syndicats de chaque zone portuaire sur les organes chargés de déterminer l’aptitude médicale, les compétences psychotechniques et les cours de formation professionnelle des candidats ouvriers portuaires.

–      Le caractère strictement théorique de la libéralisation de l’accès au marché du travail portuaire pour les travailleurs non repris dans le pool (c’est‑à‑dire ceux qui concluent directement un contrat avec un employeur) : la reconnaissance de ces travailleurs est limitée à la durée de leur contrat et doit être sollicité à chaque nouveau contrat.

16.      Katoen et General Services ajoutent que ces restrictions vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs d’intérêt général poursuivis et ne sont pas justifiées. Le fait que la Commission ait clos la procédure d’infraction pour des raisons politiques, sous réserve de surveillance, n’énerve en rien l’incompatibilité de ces mesures avec le droit de l’Union.

17.      Le gouvernement belge conteste que l’arrêté royal du 10 juillet 2016 viole la liberté d’établissement ou d’autres libertés. Ni la lettre de mise en demeure de la Commission ni la jurisprudence de la Cour citées par les sociétés requérantes ne démontrent à suffisance une quelconque violation. La Commission a clos la procédure d’infraction non pas pour des raisons politiques, mais parce qu’il a été tenu compte des objections émises par celle-ci.

18.      Selon le gouvernement belge, il n’y a pas de discrimination directe ou indirecte dès lors que toutes les sociétés sont assujetties aux mêmes règles indépendamment de leur lieu d’établissement. Les sociétés provenant d’autres États membres et les sociétés nationales sont traitées de manière identique.

19.      Enfin, le gouvernement belge soutient que, si les restrictions alléguées existaient réellement (ce qu’il conteste), le régime du travail portuaire dont fait partie l’arrêté royal du 10 juillet 2016 est une règle nécessaire et proportionnée, qui est justifiée à suffisance, dès lors que :

–      elle garantit aux ouvriers portuaires une sécurité élevée ;

–      elle crée une flexibilité suffisante, en ce que ces travailleurs sont (ou peuvent être) employés d’une manière qui tient compte du caractère constamment fluctuant de l’offre de travail ; et

–      elle garantit la qualité et la sécurité du travail portuaire.

20.      Dans ce contexte, le Raad van State (Conseil d’État) a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Faut-il interpréter l’article 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102 TFUE, lu conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE en ce sens qu’il s’oppose à la disposition contenue dans l’article 1er de l’arrêté royal du 5 juillet 2004 [...] lu conjointement avec l’article 2 dudit arrêté royal du 5 juillet 2004, étant la disposition voulant que les ouvriers portuaires visés à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, dudit arrêté royal du 5 juillet 2004, sont, lors de leur reconnaissance par la commission administrative paritairement constituée d’une part de membres désignés par les organisations d’employeurs représentées au sein de la sous-commission paritaire concernée et d’autre part de membres désignés par les organisations de travailleurs représentées au sein de la sous-commission paritaire, repris ou non dans le pool des travailleurs portuaires sachant que la reconnaissance en vue de la prise en compte dans le pool tient compte du besoin en main-d’œuvre, compte tenu également de ce qu’aucun délai maximal n’est prévu dans lequel cette commission administrative statuera et que seul un recours juridictionnel est prévu contre ses décisions de reconnaissance ?

2)      Faut-il interpréter l’article 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102 TFUE, lu conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE en ce sens qu’il s’oppose au régime instauré par l’article 4, paragraphe 1, sous 2°, 3°, 6° et 8° de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tels que remplacés ou insérés par l’article 4, sous 2°, 3°, 4° et 6°, de l’arrêté attaqué du 10 juillet 2016, étant le régime qui impose comme condition à la reconnaissance comme ouvrier portuaire que le travailleur a) soit déclaré médicalement apte au travail portuaire par le service externe pour la prévention et la protection au travail, auquel est affiliée l’organisation d’employeurs qui a été désignée comme mandataire conformément à l’article 3bis de la [loi de 1972] et b) ait réussi les tests psychotechniques réalisés par l’organe désigné à cet effet par l’organisation d’employeurs qui a été désignée comme mandataire conformément à ce même article 3bis de la [loi de 1972], c) ait suivi les cours préparatoires de sécurité du travail et d’obtention d’une qualification professionnelle durant trois semaines et ait réussi l’épreuve finale et d) dispose en plus d’un contrat de travail quand il s’agit d’un travailleur portuaire qui n’est pas repris dans le pool, étant entendu, dans une lecture conjointe avec l’article 4, paragraphe 3, de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, que les ouvriers portuaires étrangers doivent pouvoir démontrer qu’ils satisfont, dans un autre État membre, à des conditions équivalentes, pour ne plus être soumis, en ce qui concerne l’application du présent arrêté, à ces conditions ?

3)      Faut-il interpréter l’article 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102 TFUE, lu conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE en ce sens qu’il s’oppose au régime instauré par l’article 2, paragraphe 3, de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel que remplacé par l’article 2 de l’arrêté royal attaqué du 10 juillet 2016, étant le régime dans lequel les travailleurs portuaires, qui ne sont pas repris dans le pool et qui sont, de ce fait, directement engagés par un employeur dans le cadre d’un contrat de travail conformément à la loi du 3 juillet 1978 “relative aux contrats de travail”, voient la durée de la reconnaissance limitée à la durée de ce contrat de travail en sorte qu’une nouvelle procédure de reconnaissance doit à chaque fois être entamée ?

4)      Faut-il interpréter l’article 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102 TFUE, lu conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE en ce sens qu’il s’oppose au régime instauré par l’article 13/1 de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel qu’inséré par l’article 17 de l’arrêté royal du 10 juillet 2016, étant le régime transitoire voulant que le contrat de travail évoqué à la troisième question préjudicielle doit être conclu dans un premier temps pour une durée indéterminée ; à partir du 1er juillet 2017 pour une durée d’au moins deux ans ; à partir du 1er juillet 2018 pour une durée d’au moins un an ; à partir du 1er juillet 2019 pour une durée d’au moins six mois ; à partir du 1er juillet 2020 pour une durée à déterminer librement ?

5)      Faut-il interpréter l’article 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102 TFUE, lu conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE en ce sens qu’il s’oppose au régime instauré par l’article 15/1 de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel qu’inséré par l’article 18 de l’arrêté royal du 10 juillet 2016, étant le régime (transitoire) voulant que les ouvriers portuaires reconnus dans l’ancienne réglementation soient reconnus de plein droit comme ouvriers portuaires dans le pool ce qui entrave la possibilité pour un employeur d’employer directement ces ouvriers portuaires (avec un contrat ferme) et empêche les employeurs de s’attacher une main-d’œuvre de qualité en concluant directement avec eux un contrat ferme et d’offrir à ces derniers une sécurité d’emploi selon les règles du droit commun du travail ?

6)      Faut-il interpréter l’article 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102 TFUE, lu conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE en ce sens qu’il s’oppose au régime instauré par l’article 4, paragraphe 2, de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel que remplacé par l’article 4, point 7°, de l’arrêté royal du 10 juillet 2016, étant le régime voulant qu’une convention collective de travail détermine les conditions et modalités sous lesquelles un ouvrier portuaire peut être employé dans une zone portuaire autre que celle où il a été reconnu ce qui restreint la mobilité des travailleurs entre les zones portuaires sans que le Roi ne donne lui-même d’indication claire sur ce que peuvent être ces conditions et modalités ?

7)      Faut-il interpréter l’article 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102 TFUE, lu conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE en ce sens qu’il s’oppose au régime instauré par l’article 1er, paragraphe 3, de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel que remplacé par l’article 1er, point 2°, de l’arrêté royal du 10 juillet 2016, étant le régime voulant que les travailleurs (logistiques) qui effectuent un travail au sens de l’article 1er de l’arrêté royal du 12 janvier 1973 “instituant la Commission paritaire des ports et fixant sa dénomination et sa compétence”, sur des lieux où des marchandises subissent, en vue de leur distribution ou expédition ultérieure, une transformation qui crée indirectement une valeur ajoutée démontrable, doivent disposer d’un certificat de sécurité, ce certificat de sécurité valant reconnaissance au sens de la [loi de 1972], compte tenu de ce que ce certificat de sécurité est sollicité par l’employeur qui a signé un contrat de travail avec un travailleur pour effectuer des activités en ce sens et qu’il est émis sur présentation de la carte d’identité et du contrat de travail étant entendu que les modalités de la procédure à suivre sont fixées par convention collective de travail, sans que le Roi ne donne d’indication claire sur ce point ? »

B.      Affaire C471/19

21.      Middlegate Europe NV est une société de transport ayant son siège à Zeebruges (Belgique), qui est active dans toute l’Europe. Dans le cadre de transports routiers internationaux, ses travailleurs préparent entre autres des semi-remorques sur le quai du port de Zeebruges, à l’aide de tracteurs de remorquage, en vue de leur expédition vers le Royaume-Uni et l’Irlande.

22.      À la suite d’un contrôle effectué le 12 janvier 2011, les services de police ont dressé un procès-verbal contre Middlegate Europe pour infraction à l’article 1er de la loi de 1972 (travail portuaire effectué par un ouvrier portuaire non reconnu). Par décision du 17 janvier 2013, cette société s’est vu imposer une amende de 100 euros.

23.      Middlegate Europe a contesté l’amende devant la section de Brugge (Bruges, Belgique) de l’arbeidsrechtbank Gent (tribunal du travail de Gand, Belgique), qui a rejeté son recours. L’arbeidshof te Gent (cour du travail de Gand, Belgique) a également rejeté l’appel introduit contre la décision prise en premier ressort.

24.      Middlegate Europe a introduit devant le Hof van Cassatie (Cour de cassation, Belgique) un pourvoi dans lequel elle fait valoir que les articles 1er et 2 de la loi de 1972 sont contraires aux articles 10, 11 et 23 de la Constitution belge (principe d’égalité et liberté de commerce et d’industrie des entreprises).

25.      Dans le cadre de ce pourvoi, le Hof van Cassatie (Cour de cassation) a décidé de soumettre deux questions préjudicielles de constitutionnalité au Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle, Belgique). Comme des moyens en droit favorables ou opposés à la compatibilité de la loi nationale avec le droit de l’Union ont été invoqués devant elle, cette juridiction a jugé qu’une décision préjudicielle de la Cour lui est nécessaire pour statuer.

26.      Dans ce contexte, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 49 TFUE, lu ou non en combinaison avec l’article 56 du même Traité, avec les articles 15 et 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec le principe d’égalité, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui oblige des personnes ou entreprises qui souhaitent exercer dans une zone portuaire belge des activités portuaires au sens de la [loi de 1972] – dont des activités qui seraient étrangères au chargement et au déchargement de navires au sens strict – à ne recourir qu’à des ouvriers portuaires reconnus ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) peut-il maintenir provisoirement les effets des articles 1er et 2, en cause, de la [loi de 1972] afin d’éviter une insécurité juridique et un malaise social, et afin de permettre au législateur de les mettre en conformité avec les obligations découlant du droit de l’Union européenne ? »

III. La procédure devant la Cour

27.      Il a été décidé de joindre les affaires C‑407/19 et C‑471/19 ; Katoen, le gouvernement belge et la Commission ont présenté des observations écrites.

28.      L’audience qui aurait dû se tenir le 23 avril 2020 a été remplacée par des questions de la Cour aux parties, en vue d’une réponse écrite que celles‑ci ont communiquée.

IV.    Précisions préliminaires

A.      Sur le caractère purement interne de la situation

29.      Comme les litiges à l’origine de ces renvois préjudiciels concernent des situations dépourvues d’éléments transfrontaliers, il est permis de s’interroger [comme le fait le Raad van State (Conseil d’État)] (13) sur la compétence de la Cour pour statuer sur les questions préjudicielles.

30.      En principe, les dispositions du traité FUE en matière de libertés de circulation et les actes adoptés en exécution de celles-ci ne sauraient s’appliquer à des situations dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (14).

31.      Par dérogation à cette règle, la Cour a relevé que, lorsque la juridiction de renvoi la saisit dans le cadre d’une procédure en annulation de dispositions applicables non seulement aux ressortissants nationaux, mais également aux ressortissants des autres États membres, la décision que cette juridiction adoptera à la suite de son arrêt rendu à titre préjudiciel produira des effets également à l’égard de ces derniers ressortissants, ce qui justifie qu’elle réponde aux questions qui lui ont été posées en rapport avec les dispositions du traité relatives aux libertés fondamentales, en dépit du fait que tous les éléments du litige au principal sont cantonnés à un seul État membre (15).

32.      Dans de telles situations, la juridiction de renvoi est tenue de justifier la nécessité de l’interprétation préjudicielle de la Cour (16). Le Raad van State (Conseil d’État) a rempli cette obligation en précisant que :

–      La réglementation belge litigieuse est indistinctement applicable à quiconque veut entreprendre des activités économiques liées à un port, quelle que soit sa nationalité.

–      Cette réglementation concerne les zones portuaires belges d’Antwerpen (Anvers, Belgique) et de Zeebrugge, qui s’ouvrent au transport international dans un environnement extrêmement concurrentiel compte tenu de la proximité d’autres ports de mer dans ce qu’il est convenu d’appeler le « Hamburg – Le Havre range ».

–      Ces zones portuaires présentent un intérêt nettement transfrontalier, dès lors qu’elles accueillent de nombreuses activités d’importation et d’exportation de marchandises dans lesquelles interviennent des opérateurs internationaux désireux de recourir à des ouvriers portuaires d’autres États membres pour réaliser leurs activités.

33.      Au vu de ces considérations, j’estime que le Raad van State (Conseil d’État) a dûment justifié que le litige, bien qu’il concerne une situation purement interne, est susceptible de présenter une dimension transfrontalière suffisante pour solliciter la collaboration de la Cour par la voie préjudicielle.

B.      Sur l’applicabilité du droit de l’Union

34.      Dans l’affaire C‑407/19, le Raad van State (Conseil d’État) pose jusqu’à sept questions relatives aux articles 49, 56, 45, 34, 35, 101 et 102 TFUE, lus ou non en combinaison avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE. Ces articles sont cités en vue de vérifier si les normes belges litigieuses s’y conforment.

35.      La décision de renvoi ne justifie cependant pas en quoi il serait indispensable d’interpréter toutes ces dispositions du droit primaire de l’Union.

36.      C’est notamment le cas pour ce qui a trait à la liberté de circulation des marchandises et, dans une moindre mesure, à la libre prestation des services et à la libre circulation des travailleurs (la décision de renvoi contenant quelques références à ces deux dernières libertés). Le raisonnement de la juridiction de renvoi gravite autour de la liberté d’établissement, ce qui est logique, puisque le litige porte sur les restrictions que le régime belge de recrutement des ouvriers portuaires impose aux entreprises d’autres États membres désirant s’installer et fournir des services dans les ports belges (17).

37.      La décision de renvoi ne contient pas non plus d’explications suffisantes pour permettre à la Cour d’interpréter les règles de concurrence applicables aux entreprises (articles 101 et 102 TFUE) ou aux entreprises publiques ou entreprises disposant de droits spéciaux ou exclusifs (article 106, paragraphe 1, TFUE) et d’apprécier la conformité à celles-ci de la réglementation nationale en cause (18).

38.      J’ajoute à cet égard que, dans l’arrêt Becu e.a. (19), la Cour a déjà examiné la législation belge sur les ouvriers portuaires au regard de l’article 106, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec les articles 101 et 102 TFUE. La Cour avait à l’époque jugé que ces dispositions ne confèrent pas aux particuliers le droit de s’opposer à l’application d’une réglementation d’un État membre qui les oblige à recourir exclusivement à des ouvriers portuaires reconnus, tels que ceux visés par la loi de 1972, et leur impose de verser à ces derniers une rémunération excédant largement les salaires de leurs propres employés ou ceux qu’ils paient à d’autres travailleurs (20).

39.      Par conséquent, eu égard au contenu des décisions de renvoi, l’interprétation doit fondamentalement porter sur l’article 49 TFUE, afin de vérifier s’il s’oppose à une réglementation nationale ayant les caractéristiques précédemment décrites. Il convient, en outre, de tenir compte de l’article 45 TFUE, relatif à la liberté de circulation des travailleurs.

C.      Sur le point de savoir s’il est question de droit primaire ou de règles d’harmonisation

40.      Le législateur de l’Union n’a pas harmonisé la fourniture de services portuaires jusqu’à l’adoption du règlement 2017/352 (21). Ses précédentes tentatives d’adoption de directives dans cette matière (en 2004 et en 2007) se sont soldées par des échecs en grande partie imputables à l’opposition des syndicats d’ouvriers portuaires, qui s’élevaient contre l’instauration de l’« auto-assistance » (self-handling) (22).

41.      La proposition de la Commission prévoyait cette modalité de chargement et de déchargement dans les ports, selon laquelle ces opérations sont réalisées par les travailleurs du propriétaire du navire (ou des travailleurs non reconnus, directement engagés par les armateurs ou par les entreprises fournissant des services portuaires) (23).

42.      Comme je l’ai déjà indiqué (24), le règlement 2017/352 exclut de son champ d’application l’essentiel des aspects des services portuaires relevant du droit du travail : l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement précise que celui‑ci « est sans incidence sur l’application des règles des États membres en matière de droit social et de droit du travail » (25). Le législateur de l’Union a donc renoncé à intervenir dans les aspects clés du régime juridique des ouvriers portuaires (26). Les règles nationales relatives à cette matière doivent par conséquent être directement examinées au regard du droit primaire de l’Union.

43.      Bien que les décisions de renvoi ne fassent pas mention de la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (27), l’interprétation de cette dernière pourrait s’avérer pertinente.

D.      Sur la connexité des deux renvois préjudiciels

44.      Les deux renvois préjudiciels (C‑407/19 et C‑471/19) étant étroitement liés, il a été procédé à leur jonction. Ceux-ci ont cependant été déférés dans des perspectives différentes : le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) vérifie la compatibilité des lois avec la Constitution belge alors que le Raad van State (Conseil d’État) contrôle la légalité des dispositions de rang inférieur à la loi.

45.      L’affaire C‑471/19 porte sur la compatibilité de deux articles de la loi de 1972 avec l’article 49 TFUE, mais concerne des faits survenus en 2011, à une époque où l’arrêté royal du 5 juillet 2004 en vigueur n’avait pas subi les modifications apportées en 2016.

46.      En effet, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) s’interroge sur la compatibilité des articles 1er et 2 de la loi de 1972, considérés en tant que tels et indépendamment de leur mise en œuvre par voie réglementaire, avec l’article 49 TFUE (ainsi qu’avec les articles 15 et 16 de la Charte) (28).

47.      Dans l’affaire C‑407/19, la compatibilité avec le droit de l’Union concerne les dispositions réglementaires introduites par l’arrêté royal du 10 juillet 2016.

V.      Première question préjudicielle posée dans l’affaire C471/19

48.      Je me propose d’aborder, tout d’abord, la compatibilité entre l’article 49 TFUE et la loi nationale qui réserve la possibilité d’être engagés pour le travail portuaire aux ouvriers « reconnus ». Je me référerai ensuite aux articles 15 et 16 de la Charte. L’article 49 TFUE englobe l’application du principe d’égalité, qui ne requiert donc pas d’examen spécifique.

A.      Sur la limitation de l’engagement des ouvriers portuaires en tant que restriction du droit d’établissement

49.      La première question préjudicielle a pour enjeu l’exercice du droit d’établissement (article 49 TFUE) des entreprises qui souhaitent exercer des activités dans des ports belges, mais veulent employer des travailleurs autres que les ouvriers portuaires reconnus. Comme je l’ai déjà indiqué, ces derniers sont les seuls autorisés à exercer le travail portuaire.

50.      Conformément à une jurisprudence constante, constitue une restriction au sens de l’article 49 TFUE toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, interdit, gêne ou rend moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, de la liberté d’établissement garantie par le traité (29).

51.      La réglementation belge n’opère pas de discrimination directe fondée sur la nationalité, puisqu’elle s’applique de manière identique aux entreprises belges et à celles qui proviennent d’autres États membres et aspirent à s’installer et à fournir leurs services dans les zones portuaires. Cela étant, toutes ces entreprises doivent employer les ouvriers reconnus pour développer leurs activités, sans possibilité de recourir à leurs propres ouvriers (ou à tout autre ouvrier non reconnu).

52.      Cette règle a donc des conséquences négatives pour les entreprises provenant d’autres États membres qui cherchent à s’établir dans les zones portuaires belges, puisqu’elles ne sont pas autorisées à recruter des travailleurs librement et par d’autres moyens en vue de leurs activités. Dans cette mesure, elle est de nature à empêcher ou à dissuader ces entreprises de s’établir dans les ports belges afin d’y exercer une activité professionnelle (30).

53.      La juridiction de renvoi partage cette idée, à laquelle je souscris. Celle-ci constate que l’obligation de recruter les ouvriers portuaires parmi ceux faisant partie du pool, à des conditions sur lesquelles les entreprises portuaires n’ont aucun contrôle, et l’obligation de s’affilier à une organisation représentative des employeurs ont pour conséquence d’empêcher ou de décourager les entreprises établies dans d’autres États membres de s’établir dans des zones portuaires belges (31).

54.      Il ressort sans ambages de l’arrêt Commission/Espagne que ce type de mesure constitue une restriction à la liberté d’établissement (32). Il ne m’apparaît dès lors pas indispensable de m’étendre davantage sur ce sujet.

B.      Sur la justification de la restriction

55.      Les restrictions à la liberté d’établissement, qui sont applicables sans discrimination tenant à la nationalité, peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, à condition qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (33).

56.      Dans son arrêt, la juridiction de renvoi a mentionné les mêmes raisons impérieuses d’intérêt général que celles invoquées par le gouvernement belge dans ses observations (34). Ces raisons sont les suivantes :

–      Le besoin de garantir la sécurité dans les zones portuaires et de prévenir les accidents du travail.

–      La nécessité de disposer de main-d’œuvre spécialisée alliant productivité, service et compétitivité, eu égard à la demande de travail fluctuante dans les zones portuaires.

–      La garantie de l’égalité de traitement en matière de droits sociaux entre tous les ouvriers portuaires.

57.      S’agissant de la sécurité portuaire, la Cour a admis qu’elle constitue une exigence impérative d’intérêt général (35). Dans cette affaire, l’argument de la sécurité portuaire est lié à la prévention des accidents, au motif que le travail portuaire constitue une activité qui présente un risque considérable.

58.      Le gouvernement belge et les entreprises requérantes défendent des thèses opposées en ce qui concerne la dangerosité du travail portuaire :

–      Le gouvernement belge fait valoir que le risque d’accidents est non seulement présent lors du chargement et du déchargement des navires au sens strict, mais également lors de diverses activités qui y sont indissociablement liées (36).

–      Les entreprises requérantes soutiennent à l’inverse que la dangerosité du travail portuaire a significativement diminué avec le développement de la technologie (37). D’après elles, les autorités belges font un amalgame entre le chargement et le déchargement de bateaux, qui est l’activité la plus complexe, et d’autres activités moins risquées (comme le chargement et le déchargement de camions ou de trains qui viennent au port ou l’empilement et le tri de marchandises dans un entrepôt) qui, en dehors des zones portuaires, sont réalisées par des travailleurs ordinaires auxquels aucune reconnaissance n’est demandée. Les entreprises requérantes estiment que le chevauchement de ces activités dans les ports ne les rend pas plus dangereuses.

59.      Il appartient à la juridiction de renvoi de se prononcer définitivement sur ces arguments, mais je n’exclus pas que le travail portuaire présente encore aujourd’hui un niveau de risque suffisant à justifier que les autorités d’un État membre décident d’adopter des règles assurant la sécurité dans les périmètres portuaires.

60.      L’Organisation internationale du Travail (OIT) a élaboré des recommandations qui mettent en évidence la dangerosité du travail portuaire (38). Bien qu’elle reconnaisse les progrès en la matière, elle assure que « la manutention portuaire est encore considérée comme un métier à haut risque » (39).

61.      La sécurité portuaire, en ce qu’elle vise à prévenir les accidents, peut être qualifiée d’exigence impérative d’intérêt général. À ce titre, elle pourrait justifier des restrictions d’accès au travail portuaire, y compris celles relatives aux conditions de recrutement des personnes qui le réalisent.

62.      S’agissant de la protection des travailleurs, la Cour l’a également admise, dans des termes généraux, comme une des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier des restrictions à la liberté d’établissement (40).

63.      Le gouvernement belge invoque la protection des conditions de travail des ouvriers portuaires déjà reconnus et faisant partie du pool, qu’il oppose aux ouvriers qui n’ont pas bénéficié d’une telle reconnaissance et n’ont pas intégré ledit pool. Je ne crois pas que cet argument suffise pour admettre que la protection de ces travailleurs justifie la restriction du recrutement des ouvriers portuaires résultant de la préférence accordée à une catégorie plutôt qu’à l’autre, conformément à la loi de 1972.

64.      Ce type de mesure pourrait d’une certaine manière être couvert par la convention (no 137) sur le travail dans les ports, adoptée à Genève le 25 juin 1973 dans le cadre de l’OIT (ci-après la « convention no 137 ») (41), dont l’article 3, paragraphe 2, accorde aux ouvriers portuaires immatriculés la priorité pour l’obtention d’un travail dans les ports. Cette convention contient des règles protégeant ce type de travailleurs portuaires immatriculés.

65.      La convention no 137 est cependant une convention technique de l’OIT à caractère provisoire, puisqu’elle n’a été ratifiée que par 25 pays (qui ne sont en réalité que 24, les Pays-Bas l’ayant dénoncée en 2006), dont 11 États membres de l’Union parmi lesquels ne figure pas le Royaume de Belgique (42). Cette convention a par ailleurs cessé d’être actualisée, compte tenu de l’évolution technologique du travail portuaire, et son mécanisme d’immatriculation des ouvriers portuaires a parfois fonctionné comme un système de réserve ou de monopole professionnel qui ne profitait qu’à un groupe de travailleurs (43).

66.      L’Union n’est pas partie à la convention no 137 et, dans l’arrêt Commission/Espagne (44), la Cour ne s’est pas prononcée sur son incidence sur le droit de l’Union, bien que le Royaume d’Espagne l’ait invoquée pour justifier son régime national de recrutement des ouvriers portuaires, qui a finalement été déclaré incompatible avec l’article 49 TFUE. Le caractère provisoire de la convention no 137 explique que, à la différence d’autres conventions de l’OIT (45), son contenu n’a pas davantage été repris dans des accords conclus entre partenaires sociaux au niveau international afin qu’il soit par la suite intégré dans des directives de l’Union.

67.      Je déduis de ce qui précède que la limitation du recrutement des ouvriers portuaires par l’exigence de reconnaissance pourrait uniquement être justifiée en vue de protéger la sécurité portuaire, c’est-à-dire de prévenir les accidents dans les périmètres portuaires compte tenu du niveau de risque qu’ils présentent.

68.      Quant à la nécessité de garantir la main-d’œuvre pour la réalisation du travail portuaire, à considérer que celle-ci soit admise en tant qu’exigence impérative, elle ne devrait pas obligatoirement se traduire par un système de contingent fermé tel que celui que nous analysons. Afin de répondre à ce besoin de manière stable, il serait possible de recourir à des centres portuaires d’emploi, à des entreprises de travail intérimaire ou à d’autres formules ne présentant pas la rigidité de ce système.

C.      Sur la proportionnalité de la restriction

69.      Pour être acceptable, une mesure nationale qui restreint le droit d’établissement doit non seulement être justifiée par une exigence impérative, mais également respecter le principe de proportionnalité. De ce point de vue, le contenu de la mesure doit être indispensable pour garantir la réalisation de l’objectif de sécurité portuaire, sans que le même résultat puisse être atteint par des règles moins contraignantes d’une efficacité identique (46).

70.      Les articles 1er et 2 de la loi de 1972 se limitent à instaurer le mécanisme de reconnaissance en tant qu’instrument de contrôle et de limitation du recrutement des ouvriers portuaires. Ils ne précisent cependant pas ses modalités de mise en œuvre.

71.      J’estime que l’on pourrait admettre que ces deux dispositions, considérées de manière isolée, sont conformes au critère de proportionnalité. La simple reconnaissance préalable des ouvriers portuaires, en tant que condition de leur engagement, pourrait être propre à protéger la sécurité du travail portuaire (47).

72.      Tout dépend cependant de la structure des modalités d’application de la reconnaissance. Les modalités fondées sur des critères objectifs, non discriminatoires, connus à l’avance et permettant aux ouvriers portuaires d’autres États membres de démontrer qu’ils répondent, dans leur État d’origine, à des exigences équivalentes à celles appliquées aux ouvriers portuaires nationaux, pourraient être admises (48).

73.      La reconnaissance permettant aux ouvriers portuaires d’être engagés dans les ports belges pourrait être étendue à tous les ouvriers portuaires disposant, dans leur pays d’origine, d’une formation professionnelle préalable équivalente (49), qui pourrait, par exemple, être conforme aux directives établies par le Bureau international du Travail (BIT) (50). Cette formation déboucherait sur l’obtention d’une qualification de formation professionnelle autorisant l’exécution du travail portuaire (51).

74.      Dans l’arrêt Commission/Espagne (52), la Cour a considéré qu’il existait des options moins restrictives pour la liberté d’établissement que celles imposées par la réglementation nationale (53), qui prévoyait notamment l’obligation de recruter en priorité des travailleurs mis à disposition par une société anonyme déterminée.

75.      La Cour avait à l’époque considéré que les alternatives proposées par la Commission pour protéger la sécurité des travailleurs portuaires étaient moins restrictives, celles-ci consistant à « prévoir que ce sont les entreprises de manutention de marchandises qui, étant en mesure d’embaucher librement des travailleurs permanents ou temporaires, gèrent les bureaux de placement devant leur fournir la main-d’œuvre et organisent la formation de ces travailleurs, ou encore [à] créer une réserve de travailleurs gérée par des entreprises privées, fonctionnant comme des agences de travail temporaire et mettant des travailleurs à la disposition des entreprises de manutention » (54).

76.      En vue de garantir la sécurité portuaire, il serait possible de compléter ces alternatives en prévoyant que, pour être reconnus aptes à être recrutés, les ouvriers portuaires doivent disposer d’une formation professionnelle suffisante, attestée, le cas échéant, par des certificats d’aptitude professionnelle.

77.      En revanche, les articles 1er et 2 de la loi de 1972 ne seraient pas conformes au critère de proportionnalité si leurs modalités d’exécution devaient se traduire par un monopole de la reconnaissance des ouvriers portuaires, en tant que condition de leur recrutement, dont le contrôle appartiendrait aux organisations syndicales et aux associations patronales des zones portuaires.

78.      Tel était le cas de la réglementation belge adoptée en application de la loi de 1972 que la Commission a jugée incompatible avec le droit de l’Union, ce qui l’a conduite à introduire un recours en manquement (55). Cette réglementation (en particulier l’arrêté royal du 5 juillet 2004) prévoyait un mécanisme de reconnaissance des ouvriers portuaires qui ne respectait pas le principe de proportionnalité. Concrètement, ce mécanisme n’était pas indispensable à l’amélioration de la sécurité portuaire, cet objectif pouvant être atteint par des mesures moins restrictives du droit d’établissement.

79.      Sans m’engager dans une analyse exhaustive (56), je me limiterai à souligner plusieurs éléments dudit régime qui restreignaient de manière disproportionnée le droit d’établissement et violaient l’article 49 TFUE.

80.      Premièrement, il s’agissait d’un modèle fermé de recrutement d’ouvriers portuaires (closed shop), dans lequel les organisations syndicales jouissaient d’une position privilégiée. La reconnaissance des ouvriers portuaires permettant d’intégrer le pool général ou le pool logistique était accordée par une commission de chaque port, paritairement composée de représentants syndicaux et de représentants de l’association d’employeurs locale.

81.      En pratique (57), il semble que les organisations syndicales contrôlaient totalement le mécanisme de reconnaissance de nouveaux ouvriers portuaires dans chaque port, au point que les candidats devaient être proposés par les syndicats ou devaient s’y affilier s’ils étaient présentés par l’association d’employeurs (58).

82.      Deuxièmement, le corporatisme du modèle était renforcé par le monopole que l’article 3 bis de la loi de 1972 accordait aux organisations d’employeurs locales pour le recrutement des ouvriers portuaires (59). Chaque port comptait une seule organisation patronale à laquelle la plupart des employeurs devaient appartenir, l’affiliation étant, de facto, pratiquement obligatoire.

83.      Ce modèle empêchait les entreprises ayant recours aux services d’ouvriers portuaires de recruter ceux-ci directement. Il instaurait une relation triangulaire dans laquelle l’organisation d’employeurs locale assurait l’application des normes d’emploi en vigueur dans le port concerné.

84.      Troisièmement, les conventions collectives négociées dans chaque port entre les syndicats et l’association d’employeurs locale renforçaient le système fermé de recrutement. Cette négociation collective aboutissait à des accords dénommés « codex », adoptés dans chaque port, qui renforçaient le contrôle du mécanisme de recrutement des ouvriers portuaires. Cette approche entravait la mobilité de ces derniers, y compris entre les différents ports belges, puisque la reconnaissance était obtenue pour travailler dans un seul port.

85.      Quatrièmement, les syndicats et les organisations professionnelles monopolisaient les cours de formation requis pour les candidats ouvriers portuaires. Cette formation au métier d’ouvrier portuaire était dispensée par les mêmes organisations qui contrôlaient les décisions de reconnaissance (60).

86.      Enfin, l’arrêté royal du 12 janvier 1973, pris en exécution de la loi de 1972, a imposé une délimitation matérielle et géographique disproportionnée des zones portuaires :

–      Du point de vue matériel, il a qualifié de travail portuaire les tâches effectuées dans les zones portuaires par tous les travailleurs et leurs employeurs, en ordre principal ou accessoire (61), ainsi que d’autres services auxiliaires liés aux marchandises, tels que le marquage ou le pesage. Nombre de ces activités présentaient un risque inférieur au chargement et au déchargement de marchandises d’un bateau proprement dits, ce qui posait des difficultés à l’installation d’entreprises d’autres États membres dans des ports belges pour fournir ce type de services.

–      Du point de vue géographique, les zones portuaires étaient délimitées de manière beaucoup plus large et englobaient des terrains attenants aux docks comprenant des dépôts, des usines, et même des zones résidentielles (62).

87.      L’effet restrictif de cette large délimitation matérielle et géographique du travail portuaire augmentait l’effet restrictif de la mesure prévue aux articles 1er et 2 de la loi de 1972.

88.      En somme, l’analyse de ces deux articles dans leur contexte normatif plus étendu (à savoir celui défini par l’arrêté royal du 5 juillet 2004 et les règles qui l’ont précédé), tel qu’il a été décrit, empêche de considérer que la reconnaissance des ouvriers portuaires, en tant qu’instrument de contrôle et de limitation de leur recrutement, est compatible avec l’article 49 TFUE. Cela s’explique par le fait qu’un mécanisme fermé de recrutement, sous contrôle des syndicats et des organisations patronales de chaque port, implique une limitation disproportionnée de la liberté d’établissement des entreprises provenant d’autres États membres.

89.      À l’inverse, comme je l’ai déjà indiqué, des modalités de reconnaissance fondées sur des critères objectifs, non discriminatoires, connus à l’avance et permettant aux ouvriers portuaires d’autres États membres de démontrer qu’ils répondent, dans leur État d’origine, à des exigences équivalentes à celles appliquées aux ouvriers portuaires nationaux, seraient admissibles.

D.      Sur la compatibilité avec les articles 15 et 16 de la Charte

90.      Une restriction au sens de l’article 49 TFUE affecte, par voie de conséquence, les libertés consacrées à l’article 15, paragraphe 2 (liberté d’établissement), et à l’article 16 (liberté d’entreprise) de la Charte. Ces deux dispositions renvoient, notamment, à l’article 49 TFUE (63).

91.      L’analyse de la compatibilité de la législation belge limitant le recrutement des ouvriers portuaires avec l’article 15, paragraphe 2, et l’article 16 de la Charte serait donc identique à l’analyse au regard de l’article 49 TFUE que je viens d’effectuer.

VI.    Seconde question préjudicielle posée dans l’affaire C471/19

92.      Dans l’hypothèse où la réponse à sa première question serait affirmative, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) souhaite savoir s’il peut maintenir les effets des articles 1er et 2 de la loi de 1972 afin d’éviter une insécurité juridique et un malaise social pendant le temps nécessaire au législateur belge pour mettre sa législation en conformité avec le droit de l’Union.

93.      Comme je l’ai déjà indiqué, les articles 1er et 2 de la loi de 1972, considérés isolément, ne créent pas de restriction contraire à l’article 49 TFUE ni à l’article 15, paragraphe 2, et à l’article 16 de la Charte. Dans ce contexte, il ne serait pas nécessaire d’aborder la seconde question préjudicielle.

94.      Il en va autrement si l’on se réfère au corpus normatif que constituent ces articles et leur mise en œuvre par la voie réglementaire (l’arrêté royal du 5 juillet 2004), que j’estime incompatible avec le droit de l’Union. Or, ce corpus normatif n’est plus en vigueur, puisque l’État belge l’a modifié par l’arrêté du 10 juillet 2016 afin de satisfaire aux demandes de la Commission.

95.      La question pourrait être reformulée en la limitant au maintien provisoire des effets de l’ensemble normatif constitué par les articles 1er et 2 de la loi de 1972 et leurs modalités d’application établies dans l’arrêté royal du 10 juillet 2016. Il faudrait alors partir du postulat que ces nouvelles modalités, à l’instar de celles établies par l’arrêté royal du 5 juillet 2004, sont également contraires à l’article 49 TFUE, ce que j’examine ci‑après.

96.      La Cour peut, à titre exceptionnel et pour des considérations impérieuses de sécurité juridique, accorder une suspension provisoire de l’effet d’éviction exercé par une règle du droit de l’Union à l’égard du droit national contraire à celle-ci (64).

97.      La Cour a indiqué, outre qu’il s’agit d’une prérogative qui lui est propre, qu’elle autorise les juges nationaux à suspendre temporairement l’application du principe de primauté et à maintenir les effets des dispositions de droit national contraires au droit de l’Union en fonction des circonstances de l’espèce. L’existence d’une exigence impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une telle suspension et le respect de conditions strictes doivent impérativement être constatés (65).

98.      Plusieurs arrêts ont autorisé la suspension de l’effet d’inapplication inhérent au principe de primauté et le maintien en vigueur, à titre provisoire, de dispositions nationales contraires à des normes environnementales de l’Union de nature procédurale (notamment celles imposant la réalisation d’évaluations des incidences sur l’environnement) (66).

99.      Dans l’affaire Winner Wetten (67) (qui concernait les dispositions du droit allemand relatives au monopole en matière de paris sur les compétitions sportives), la violation du droit de l’Union était, en revanche, de nature substantielle. Cela n’a pas empêché la Cour de laisser implicitement la porte ouverte à la possibilité (68) d’une suspension des effets de son arrêt en évoquant, par analogie, la jurisprudence relative au maintien des effets d’un acte de l’Union annulé ou invalidé (même si la protection de l’ordre social et des citoyens contre les risques liés aux jeux d’argent ne justifiait pas le maintien temporaire de la réglementation allemande) (69).

100. Tout comme la Commission, j’estime qu’il n’y a en l’espèce pas de motifs suffisants pour maintenir, à titre provisoire, l’efficacité du corpus normatif belge. Ce maintien n’est justifié ni par la prétendue insécurité juridique ni par le malaise social potentiel invoqués par la juridiction de renvoi.

101. Le gouvernement belge invoque lui aussi la jurisprudence sur la limitation dans le temps des effets des arrêts préjudiciels de la Cour relatifs à des situations juridiques passées.

102. Cette jurisprudence (à laquelle la juridiction de renvoi ne se réfère pas) ne saurait être appliquée en l’espèce, dès lors que les deux éléments essentiels qu’elle exige, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves (70), ne sont pas réunis.

103. L’argument de la bonne foi ne saurait être retenu alors que la législation belge sur le travail portuaire a fait l’objet d’une surveillance et d’un recours en manquement par la Commission, qui admet avoir clos le dossier pour des raisons politiques (71). En outre, depuis l’arrêt Commission/Espagne, la compatibilité de cette législation avec l’article 49 TFUE était plus que douteuse.

104. Le risque de troubles graves ne se vérifie pas davantage : cette notion ne couvre pas le mécontentement des ouvriers portuaires reconnus (même à considérer qu’il s’exprime par des grèves dont le gouvernement belge invoque la possibilité) face aux changements indispensables pour dépasser un système de recrutement fermé qui les avantage, mais s’oppose au droit de l’Union.

VII. Affaire C407/19

A.      Considérations générales sur le nouveau cadre normatif, approuvé par l’arrêté royal du 10 juillet 2016, au regard des articles 45 et 49 TFUE

105. Par ses sept questions préjudicielles, le Raad van State (Conseil d’État) invite la Cour à déterminer si plusieurs éléments de la réglementation d’application de la loi de 1972, établie par l’arrêté royal du 10 juillet 2016, sont compatibles, entre autres, avec les articles 45 et 49 TFUE (72).

106. Comme je l’ai déjà indiqué, la Commission a engagé en date du 28 mars 2014 une procédure en manquement contre l’État belge, au motif que, sur certains points essentiels, le régime national organisant le travail portuaire lui semblait contraire au droit de l’Union et, notamment, à la liberté d’établissement.

107. Selon la juridiction de renvoi, la lettre de mise en demeure adressée par la Commission n’a entraîné aucune modification de la loi de 1972 ni de ses principes essentiels. L’État belge a cependant adopté l’arrêté royal du 10 juillet 2016 pour répondre aux objections de la Commission et celle-ci a décidé, en date du 17 mai 2017, de mettre fin à la procédure pour des raisons politiques (73).

108. Les éléments principaux du nouveau système de recrutement des ouvriers portuaires (74) sont :

–      Le maintien de la condition de reconnaissance de tous les ouvriers portuaires non affectés à des activités logistiques, délivrée par une commission administrative créée au sein de la sous-commission compétente pour chaque zone portuaire belge. Cette commission est paritairement composée de représentants des associations d’employeurs locales agréées et de représentants des syndicats du port concerné.

–      La suppression, pour le recrutement de nouveaux ouvriers portuaires affectés à des activités logistiques, de la condition d’appartenance au pool, qui est remplacée par l’obligation de disposer d’un certificat de sécurité. Les ouvriers logistiques de l’ancien pool restent en place en tant qu’ouvriers reconnus.

–      Le maintien du pool général et de l’exigence de reconnaissance pour les ouvriers portuaires affectés à des tâches non logistiques. Cette reconnaissance peut être demandée afin d’intégrer le pool ou d’être directement engagé par les employeurs en dehors de celui-ci (75).

–      Les conditions de reconnaissance sont réglementées en y incluant les exigences de formation, de qualification, ainsi que la réussite de tests médicaux et psychotechniques.

–      La commission administrative paritaire admet de nouveaux travailleurs dans le pool en tenant compte du besoin en main-d’œuvre. Les ouvriers du pool restent inclus dans ce dernier en tant qu’ouvriers reconnus.

109. Cette méthode de recrutement des ouvriers portuaires limite toujours la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE. Les considérations exposées dans le cadre de l’analyse de la première question préjudicielle posée dans l’affaire C‑471/19 lui sont entièrement applicables.

110. Bien qu’ils s’inscrivent dans un contexte différent, les arguments retenus par la Cour dans l’arrêt AGET Iraklis (76) (relatif à l’intervention des pouvoirs publics dans le cadre des licenciements collectifs des entreprises du secteur portuaire) peuvent être transposés, mutatis mutandis, aux mesures instaurées par l’arrêté royal du 10 juillet 2016.

111. Ces dernières constituent elles aussi « une ingérence importante dans certaines libertés dont jouissent, généralement, les opérateurs économiques [...] aux fins de pouvoir mener leurs activités ou encore de celle de mettre fin, pour des raisons qui leur sont propres, à l’activité de leur établissement » (77).

112. Les termes de l’arrêt Commission/Espagne leur sont également applicables, en ce qu’il s’agit de mesures qui « imposent à ces entreprises une adaptation qui est susceptible d’engendrer des conséquences financières et des perturbations de leur fonctionnement de nature à décourager les entreprises d’autres États membres de s’établir dans [les] ports [...] » (78).

113. Certains éléments de ce régime sont, en outre, de nature à entraver la liberté de circulation des ouvriers portuaires d’autres États membres souhaitant être employés dans les ports belges et, ce faisant, violent l’article 45 TFUE. La jurisprudence relative à cette liberté aborde la compatibilité des mesures nationales restrictives selon une approche identique à celle utilisée pour la liberté d’établissement.

114. La Cour considère que l’ensemble des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l’Union. Ces dispositions s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre (79).

115. Ainsi, des dispositions qui empêchent ou dissuadent un ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine pour exercer son droit à la libre circulation constituent des entraves à cette liberté même si elles s’appliquent indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés (80).

116. Le principe de l’égalité de traitement inscrit à l’article 45 TFUE prohibe non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par l’application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat. À moins qu’elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi, une disposition de droit national, bien qu’indistinctement applicable selon la nationalité, doit être considérée comme indirectement discriminatoire dès lors qu’elle est susceptible, par sa nature même, d’affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux et qu’elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers (81).

117. Bien qu’elles n’emportent pas de discrimination directe fondée sur la nationalité, les mesures identifiées par la juridiction de renvoi dans ses sept questions (à l’exception de celle visée par la cinquième question) sont susceptibles d’entraver ou de rendre moins attrayant l’exercice de la liberté de circulation dans l’Union des ouvriers portuaires d’autres pays.

118. Les exigences impérieuses d’intérêt général invoquées par l’État belge pour justifier ces mesures dérogatoires au droit commun du travail appliqué dans ce pays sont la sécurité portuaire et la protection des droits des ouvriers portuaires (82).

119. Comme je l’ai déjà indiqué, la jurisprudence de la Cour a admis que ces deux intérêts constituaient des exigences impératives, mais il convient de déterminer si le régime de l’arrêté royal du 10 juillet 2016 est conforme au principe de proportionnalité, c’est-à-dire s’il est nécessaire à la réalisation de ces motifs d’intérêt général et s’il n’existe pas d’alternatives moins restrictives pour y parvenir.

120. J’analyse à présent chacune des mesures relevées par le Raad van State (Conseil d’État) au regard des indications qu’il a lui-même fournies. Lorsque ces indications sont insuffisantes, je me limiterai à exposer les critères minimaux afin que cette juridiction, qui dispose de toute l’information pour se prononcer de manière exhaustive, puisse procéder au contrôle de proportionnalité.

B.      Sur la reconnaissance des ouvriers portuaires par décision d’une commission administrative paritaire (première question préjudicielle)

121. Aux termes de l’article 1er de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel que modifié par l’arrêté royal du 10 juillet 2016, dans chaque zone portuaire, les ouvriers portuaires sont reconnus par une commission administrative paritairement composée de représentants de l’organisation d’employeurs et des syndicats de cette zone.

122. Les caractéristiques les plus remarquables du fonctionnement de ces commissions sont :

–      L’introduction de la demande de reconnaissance par écrit, au moyen d’un formulaire précisant si elle est introduite en vue d’un emploi dans ou en dehors du pool.

–      La reconnaissance des ouvriers portuaires en vue de la prise en compte dans ou en dehors du pool en fonction du « besoin en main-d’œuvre ». La reconnaissance est accordée pour une durée déterminée ou indéterminée, selon des modalités fixées par convention collective de travail.

123. Les entreprises requérantes font valoir que ce système intègre plusieurs éléments incompatibles avec le droit de l’Union en ce qui concerne la reconnaissance des ouvriers portuaires qui ne sont pas affectés à des activités logistiques, à savoir :

–      La composition de la commission administrative permet aux associations locales d’employeurs agréées et aux syndicats établis dans le port de contrôler totalement l’accès au travail d’ouvrier portuaire (closed shop). Ce contrôle peut donner lieu à un cloisonnement artificiel du marché du travail par les opérateurs en position de monopole.

–      L’ouverture ou non du pool à de nouveaux ouvriers est subordonnée à un critère économique (le besoin en main-d’œuvre).

–      La procédure n’est pas entourée des garanties procédurales élémentaires, dès lors que la commission administrative n’est soumise à aucun délai pour statuer, qu’elle doit se prononcer à l’unanimité et que les voies de recours contre ses décisions ou ses abstentions sont inexistantes ou insuffisantes.

124. La commission administrative qui, dans chaque port, accorde la reconnaissance des ouvriers portuaires, à la fois dans et en dehors du pool, délivre en réalité une autorisation d’exercer une activité économique, à savoir celle d’ouvrier portuaire.

125. L’article 49 TFUE n’exige pas de garanties spécifiques quant à la création et au fonctionnement d’une commission qui prend des décisions pour l’exercice d’une activité professionnelle. Cela étant, dès lors qu’une telle autorisation constitue, en soi, une restriction à la liberté d’établissement, elle ne respectera le principe de proportionnalité que si le pouvoir discrétionnaire de la commission se conforme à des critères transparents et objectifs afin d’éviter qu’elle exerce ses fonctions de manière arbitraire (83).

126. Une commission qui délivre des autorisations (reconnaissances) de ce type doit également préserver son impartialité, qui peut être mise en cause lorsque des opérateurs du marché concerné ou leurs représentants y participent avec une voix prépondérante (84). L’indépendance de cette commission par rapport aux opérateurs susmentionnés est une garantie contre les conflits d’intérêts lors de la prise de décisions (85).

127. Comme je viens de l’expliquer, les opérateurs déjà présents dans les ports, représentés par les syndicats de travailleurs et par l’association d’employeurs locale, contrôlent la composition et le fonctionnement des commissions administratives qui statuent sur les demandes de reconnaissance des ouvriers portuaires.

128. Avec une telle composition, il est peu vraisemblable que les membres de la commission soient étrangers à tout conflit d’intérêts et puissent statuer sur les demandes de reconnaissance des nouveaux ouvriers portuaires de manière objective, impartiale et non arbitraire.

129. Bien que l’appréciation finale appartienne à la juridiction de renvoi, qui dispose de toutes les informations, il semble qu’une commission paritaire de ce type peut difficilement statuer sur la reconnaissance des ouvriers portuaires d’une manière conforme au principe de proportionnalité.

130. Le régime des commissions administratives présente par ailleurs d’autres éléments qui renforcent cette appréciation.

131. L’unanimité requise pour l’adoption des décisions (86) consolide le contrôle des opérateurs déjà présents dans les ports, en particulier celui des syndicats, puisqu’elle leur confère un droit de veto sur l’admission de nouveaux ouvriers portuaires. Selon les sociétés requérantes, ce droit de veto s’étend au retrait de la reconnaissance, ce qui suppose un emploi pratiquement à vie pour les ouvriers portuaires syndiqués, qui représentent la quasi-totalité des effectifs.

132. Le fait que le critère utilisé pour décider l’ouverture du pool à de nouveaux ouvriers soit de nature purement économique (à savoir le besoin en main-d’œuvre) confirme ce dernier constat. Comme je l’expliquerai ci‑après, ce facteur ne saurait être admis en tant qu’exigence impérieuse d’intérêt général justifiant une restriction à la liberté d’établissement.

133. Le gouvernement belge soutient que les commissions administratives doivent appliquer le critère du besoin en main-d’œuvre afin que le système de pool soit économiquement viable et ajoute que, depuis l’arrêté royal du 10 juillet 2016, les employeurs ont la faculté d’engager des ouvriers reconnus en dehors du pool.

134. J’estime cependant que :

–      La viabilité du système de pool au regard de motifs économiques n’est pas une raison apte à justifier une restriction à la libre prestation des services (87).

–      L’octroi de la reconnaissance en fonction du besoin en main-d’œuvre est fondamentalement susceptible d’avoir tendance à protéger les ouvriers portuaires qui font déjà partie du pool et à maintenir leurs avantages par rapport aux nouveaux ouvriers portuaires aspirant à l’intégrer.

–      La possibilité d’engager des travailleurs reconnus, mais ne faisant pas partie du pool, est réglementée de manière extrêmement restrictive : la reconnaissance n’est valable que pour la durée du contrat et l’ouvrier doit obtenir une nouvelle reconnaissance à chaque nouveau contrat. Comme le travail portuaire est très fluctuant, les entreprises ont en général fréquemment recours aux contrats de courte durée, pour lesquels ils n’ont pratiquement d’autre choix que d’utiliser les ouvriers portuaires du pool.

135. La procédure suivie par les commissions administratives et les voies de recours contre leurs décisions ou abstentions constituent un dernier facteur qui contribue à apprécier l’absence de proportionnalité de leur régime. L’article 47 de la Charte exige un recours juridictionnel effectif, qui est important afin de déterminer si une restriction à la liberté d’établissement satisfait au critère de proportionnalité (88).

136. D’après la juridiction de renvoi, ces commissions ne sont soumises à aucun délai maximal pour statuer sur les demandes. Elles se prononcent selon une procédure sans délais établis, sans garanties procédurales spécifiques et sans obligation claire de motivation (89), ce qui crée une importante insécurité pour les demandeurs (90).

137. En outre, leurs décisions de reconnaissance ne peuvent être entreprises que devant le tribunal du travail (91). Il appartient au Raad van State (Conseil d’État) de vérifier si, compte tenu de l’ensemble du droit national, ces décisions peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif.

138. L’addition de tous ces éléments d’appréciation me conduit à préconiser une réponse affirmative à la première question préjudicielle.

C.      Sur les exigences médicales, psychotechniques et de formation imposées pour la reconnaissance des ouvriers portuaires (deuxième question préjudicielle)

139. L’article 4, paragraphe 1, sous 2°, 3°, 6° et 8°, de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel que modifié ou inséré par l’arrêté royal du 10 juillet 2016, impose comme condition à la reconnaissance comme ouvrier portuaire que le travailleur :

–      soit déclaré médicalement apte au travail portuaire par le service externe pour la prévention et la protection au travail auquel est affiliée l’organisation d’employeurs qui a été désignée comme mandataire ;

–      ait réussi les tests psychotechniques réalisés par l’organe désigné à cet effet par l’organisation d’employeurs agréée ;

–      ait suivi les cours préparatoires de sécurité du travail et d’obtention d’une qualification professionnelle et ait réussi l’épreuve finale ; et

–      dispose d’un contrat de travail lorsqu’il s’agit d’un ouvrier portuaire qui n’est pas repris dans le pool (92).

140. Le Raad van State (Conseil d’État) souhaite savoir si l’objectif de protection de la sécurité portuaire justifie ces exigences. Je rejoins la Commission en ce que les exigences d’aptitude médicale, de réussite d’un test psychologique et de formation professionnelle préalable sont, en principe, aptes à assurer la sécurité portuaire.

141. Cela étant, pour être réputées compatibles avec l’article 49 TFUE, ces exigences doivent être appréciées en termes de transparence, d’objectivité et d’impartialité. À cet égard, les entreprises requérantes soulignent que, conformément à l’article 3bis de la loi de 1972, l’arrêté royal du 10 juillet 2016 confère à l’organisation d’employeurs agréée (et aux syndicats) le contrôle sur le service externe pour la prévention et la protection au travail, qui doit certifier l’aptitude médicale des candidats, ainsi que sur l’organisme chargé d’effectuer les tests psychotechniques.

142. Il appartient à la juridiction de renvoi, qui dispose de tous les éléments d’appréciation, de déterminer si le contrôle exercé par les organisations d’employeurs agréées et les syndicats sur les organismes qui délivrent les certificats d’aptitude médicale et pratiquent les tests psychotechniques se traduit ou non par un manque d’objectivité et de transparence (93).

143. Dans le cadre de cette appréciation, il peut être pertinent de tenir compte du fait que, sur un marché du travail non contrôlé, les candidats à la reconnaissance pourraient s’adresser à n’importe quelle entreprise autorisée à réaliser ces constatations médicales et ces tests psychotechniques.

144. S’agissant de la formation professionnelle, en tant que condition d’obtention de la reconnaissance, j’ai déjà indiqué qu’elle est apte à assurer la sécurité portuaire.

145. La juridiction de renvoi doit cependant vérifier si, comme le prétendent les entreprises requérantes, la formation professionnelle réclamée aux candidats ouvriers portuaires pour obtenir leur reconnaissance est également contrôlée par les organisations patronales et les syndicats des zones portuaires, de sorte qu’elle ne serait pas ouverte à tout travailleur potentiel dans des conditions objectives d’égalité. Si tel était le cas, cette formation pourrait être exposée à des risques (absence d’impartialité, conflits d’intérêts) identiques à ceux que j’ai évoqués dans ma proposition de réponse à la première question préjudicielle.

146. L’article 4, paragraphe 1, sous 6°, de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel que modifié par l’arrêté royal du 10 juillet 2016, subordonne l’exercice de l’activité professionnelle d’ouvrier portuaire à la possession de qualifications professionnelles déterminées. Les ouvriers portuaires belges semblent dès lors exercer une « profession réglementée » au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/36 et des dispositions assurant sa mise en œuvre au niveau national (94). La Belgique devrait reconnaître les qualifications des ouvriers portuaires obtenues dans les autres États membres où ils ont exercé cette activité professionnelle conformément aux procédures et aux limites spécifiques prévues par cette directive (95).

147. L’article 4, paragraphe 3, de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel que modifié par l’arrêté royal du 10 juillet 2016, prévoit que les ouvriers portuaires d’autres États membres qui satisfont à des conditions équivalentes dans leur pays d’origine ne sont plus soumis aux exigences prévues par la réglementation belge pour obtenir la reconnaissance.

148. Faute d’informations (tant dans la décision de renvoi que dans les observations et réponses du gouvernement belge), il est difficile de déterminer si cette procédure d’évaluation de l’équivalence des qualifications professionnelles des ouvriers portuaires d’autres États membres est conforme au droit de l’Union. Selon la Commission, le gouvernement belge ne lui a pas notifié la profession d’ouvrier portuaire en vue de son inclusion dans sa base de données des professions réglementées aux fins de la directive 2005/36.

149. Après avoir clarifié ces questions, la juridiction de renvoi doit tenir compte du fait que la reconnaissance des ouvriers portuaires d’autres États membres devra, en tout état de cause, être valable pour toutes les zones portuaires belges, sans qu’un renouvellement soit nécessaire pour chaque nouveau contrat de travail.

D.      Sur la reconnaissance des ouvriers portuaires ne faisant pas partie du pool (troisième et quatrième questions préjudicielles)

150. L’article 2, paragraphe 3, de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel que modifié par l’arrêté royal du 10 juillet 2016, prévoit que la reconnaissance des ouvriers portuaires qui ne sont pas repris dans le pool est limitée à la durée de leur contrat de travail.

151. Une disposition de cette nature entraîne une sérieuse limitation du recrutement d’ouvriers portuaires et a des effets dissuasifs. Quiconque aspire à être reconnu comme ouvrier en dehors du pool devra en faire la demande chaque fois qu’il conclut un contrat avec la même entreprise ou avec une entreprise différente. Sous cette forme, la mesure constitue une restriction significative tant à la liberté d’établissement qu’à la liberté de circulation des travailleurs.

152. Le travail portuaire voit prédominer les missions de courte durée, de sorte que l’exigence consistant à sans cesse renouveler la reconnaissance pour chaque nouveau contrat conduit inexorablement à ce que les travailleurs préfèrent demander leur intégration dans le pool. Cette exigence assure la continuité du système fermé de recrutement (closed shop) sous le contrôle des syndicats et de l’association patronale agréée, tout en rendant plus difficile l’implantation de nouvelles entreprises d’autres États membres dans les zones portuaires belges (96).

153. Le gouvernement belge a indiqué dans ses observations que la reconnaissance des ouvriers non repris dans le pool qui disposent d’une reconnaissance préalable s’effectue rapidement et qu’une application électronique (dénommée « Portunus ») était en cours d’élaboration afin d’accélérer ce processus et d’éviter les retards (97).

154. En tout état de cause, il me semble toujours disproportionné de lier l’octroi de la reconnaissance à la durée du contrat de travail uniquement pour les ouvriers non repris dans le pool et non pour ceux qui en font partie. La nécessité de vérifier que les premiers remplissent toujours les conditions de reconnaissance (argument avancé par le gouvernement belge) pourrait également être étendue aux ouvriers du pool qui, de la même manière, peuvent avoir perdu leur aptitude médicale ou psychologique à accomplir leurs tâches.

155. Le régime transitoire mis en place par l’article 13/1 de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel que modifié par l’arrêté royal du 10 juillet 2016, qui s’applique à la reconnaissance des ouvriers portuaires non repris dans le pool et qui sont contractuellement liés à des entreprises, me semble également disproportionné.

156. En vertu de ce régime transitoire, le contrat de travail doit être conclu, dans un premier temps, pour une durée indéterminée ; à partir du 1er juillet 2017, pour une durée d’au moins deux ans ; à partir du 1er juillet 2018, pour une durée d’au moins un an ; à partir du 1er juillet 2019, pour une durée d’au moins six mois ; et, à partir du 1er juillet 2020, pour une durée qui peut être déterminée librement.

157. Comme les missions de courte durée sont prédominantes dans le travail portuaire, ce régime transitoire assurait presque totalement le recrutement d’ouvriers portuaires du pool et rendait plus difficile le recrutement direct des ouvriers portuaires.

158. Le gouvernement belge et la Commission estiment que l’objectif de ces règles transitoires consiste à faciliter l’ouverture progressive du système de recrutement fermé afin d’assurer sa viabilité économique. Or, comme je l’ai déjà souligné, la préservation de la viabilité économique du système de recrutement par l’intermédiaire du pool ne saurait être admise en tant qu’exigence impérieuse d’intérêt général.

159. Cela étant, il est vrai qu’un système transitoire pourrait théoriquement protéger les conditions sociales et économiques avantageuses des ouvriers portuaires du pool, tout en évitant que leur suppression immédiate entraîne un risque grave de déséquilibre de la sécurité sociale (98). Cependant, le gouvernement belge n’a pas invoqué cet argument et la suppression immédiate du régime en cause n’est vraisemblablement pas de nature à avoir une incidence significative sur le financement du système de sécurité sociale belge.

E.      Sur la reconnaissance de plein droit, en tant qu’ouvriers portuaires repris dans le pool, des ouvriers du pool général reconnus sous l’ancienne réglementation (cinquième question préjudicielle)

160. L’article 15/1 de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel que modifié par l’arrêté royal du 10 juillet 2016, prévoit que « les ouvriers portuaires reconnus sur la base de [l’ancienne réglementation] sont reconnus de plein droit comme travailleurs portuaires repris dans le pool [...] ».

161. Les entreprises requérantes estiment que cette reconnaissance de plein droit rend plus difficile la possibilité de recruter directement les ouvriers portuaires (avec un contrat ferme). Elles ajoutent que les employeurs se voient ainsi empêchés de s’attacher des ouvriers qualifiés, de conclure directement avec eux un contrat ferme et de leur offrir une sécurité d’emploi conforme au droit commun du travail.

162. Je rejoins cependant la Commission en ce que la reconnaissance de plein droit, en tant qu’ouvriers du pool, des anciens ouvriers du contingent général protège leurs droits sans provoquer, simultanément, une restriction disproportionnée à la liberté d’établissement et à la liberté de circulation des travailleurs.

163. Comme le relève le gouvernement belge, ce mécanisme automatique dispense les ouvriers portuaires de l’obligation de demander leur reconnaissance en application de l’arrêté royal du 10 juillet 2016.

164. La mesure est conforme à la logique, car ces ouvriers disposent déjà d’une expérience du travail portuaire qui atteste leur aptitude à le réaliser avec les connaissances et la sécurité nécessaires. En outre, elle n’empêche pas que les entreprises puissent directement recruter ces ouvriers, même si, en pratique, les conditions de travail du pool sont plus avantageuses et ce cas de figure ne sera pas fréquent.

F.      Sur la limitation de la mobilité des ouvriers portuaires reconnus en raison des conventions collectives de travail (sixième question préjudicielle)

165. Conformément à l’article 4, paragraphe 2, de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel que modifié par l’arrêté royal du 10 juillet 2016 :

–      La reconnaissance d’un travailleur portuaire est valable dans chaque zone portuaire.

–      « Les conditions et modalités dans lesquelles un travailleur portuaire peut être employé dans une autre zone portuaire que celle dans laquelle il est reconnu sont fixées par convention collective de travail. »

–      « L’organisation d’employeurs désignée comme mandataire conformément à l’article 3bis de la [loi de 1972] reste mandataire dans le cas où le travailleur portuaire est employé en dehors de la zone portuaire dans laquelle il a été reconnu. » (99)

166. La juridiction de renvoi estime que, dans la mesure où le législateur n’a pas déterminé les critères ou les modalités de mise en œuvre de la mobilité des ouvriers portuaires, le fait d’en fixer les conditions par convention collective de travail est susceptible de limiter la mobilité des ouvriers portuaires entre les zones portuaires belges, en violation des articles 45 et 49 TFUE.

167. Les articles 45 et 49 TFUE s’appliquent non seulement aux mesures prises par les pouvoirs publics, mais également aux conventions collectives de travail (100). Même si le fait que le législateur renvoie la réglementation de la mobilité des ouvriers portuaires reconnus à des conventions collectives de travail n’est, en principe, pas contraire à ces articles, ce renvoi ne peut être considéré comme valable que dans la mesure où les conventions collectives ne sont pas utilisées de manière corporatiste, dans le but d’ériger des obstacles aux libertés de circulation des travailleurs et d’établissement (101).

168. Les entreprises requérantes font état de l’existence d’une convention collective de travail qui interdit totalement la mobilité des ouvriers portuaires reconnus entre les ports belges. Le gouvernement belge indique que cette convention collective de travail permet une certaine mobilité, mais que le transfert d’ouvriers entre différents pools est compliqué, car il dépend du besoin en main-d’œuvre dans le pool d’arrivée. Il fait par ailleurs valoir que l’ouvrier reconnu qui rejoint un pool ne pourrait pas travailler dans une autre zone portuaire, mais que les ouvriers reconnus en dehors du pool dans une zone portuaire pourraient bel et bien être engagés dans une autre zone portuaire, également en dehors du pool.

169. En l’absence de plus amples informations, il appartient à la juridiction de renvoi d’analyser si les conventions collectives de travail des ports belges limitent ou non la mobilité des ouvriers entre différents pools. Cette analyse ne saurait négliger qu’une négociation collective menée dans chaque port entre les syndicats et l’association d’entreprises agréée peut être exploitée pour maintenir des restrictions aux libertés du marché intérieur et protéger les avantages des rédacteurs de ces conventions collectives lorsque celles-ci ont une incidence sur l’accès à l’activité portuaire et à l’emploi des ouvriers portuaires.

170. En tout état de cause, il semble que la réglementation nationale garantit la reconnaissance des ouvriers portuaires d’autres États membres, ce qui devrait être valable pour toutes les zones portuaires belges. Selon la jurisprudence de la Cour, l’obligation de demander une autorisation administrative pour exercer une activité restreint davantage la liberté d’établissement lorsque l’entreprise d’un autre État membre doit obtenir de multiples autorisations auprès de différentes autorités de l’État (102). Tel serait le cas si des reconnaissances successives (ou simultanées) devaient être demandées auprès des commissions administratives des différents ports belges.

G.      Sur l’exigence d’un certificat de sécurité pour les travailleurs logistiques (septième question préjudicielle)

171. En vertu de l’article 1er, paragraphe 3, de l’arrêté royal du 5 juillet 2004, tel que modifié par l’arrêté royal du 10 juillet 2016 :

–      Lorsque les travailleurs (logistiques) « effectuent un travail [...] sur des lieux où des marchandises subissent, en préparation de leur distribution ou expédition ultérieure, une transformation qui mène indirectement à une valeur ajoutée démontrable, et [...] disposent d’un certificat de sécurité [...] ce certificat de sécurité vaut reconnaissance au sens de la [loi de 1972] ».

–      « Le certificat de sécurité est sollicité par l’employeur qui a signé un contrat de travail avec un travailleur pour effectuer des activités telles que visées à l’alinéa précédent et l’expédition se fait sur présentation de la carte d’identité et du contrat de travail. Les modalités de cette procédure sont fixées par convention collective de travail. »

172. Depuis l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 10 juillet 2016, le certificat de sécurité a donc remplacé, en tant qu’équivalent de la reconnaissance, l’ancien pool de travailleurs logistiques.

173. Comme la juridiction de renvoi, la Commission et le gouvernement belge, j’estime que le fait d’exiger ce certificat pour les travailleurs logistiques peut, en principe, être justifié par des motifs de sécurité portuaire.

174. Cette mesure ne sera cependant conforme au critère de proportionnalité que si ses modalités d’application sont adéquates. Selon le gouvernement belge, celles-ci ont été fixées par une convention collective de travail du 28 septembre 2016. La décision de renvoi contenant peu d’informations à cet égard, l’appréciation de la proportionnalité de ces modalités d’application doit être effectuée par le Raad van State (Conseil d’État).

175. Dans le cadre de cette appréciation :

–      Il conviendra d’apprécier si l’obligation imposée à l’employeur d’obtenir un certificat de sécurité pour chaque contrat du travailleur logistique est disproportionnée. Comme de nombreux contrats en matière de travail portuaire ont une durée journalière ou hebdomadaire, cette charge administrative peut s’avérer excessive (103).

–      D’après les informations fournies par le gouvernement belge et par les sociétés requérantes, le certificat de sécurité se traduit par l’obtention d’une carte dite « Alfapass », qui est délivrée par une société privée contrôlée par l’association d’employeurs du port d’Anvers (104). Les entreprises requérantes jugent incompréhensible qu’une autorisation administrative telle que le certificat de sécurité d’un travailleur logistique puisse être obtenue sans conditions par l’achat, contre payement d’un prix commercial, d’une carte délivrée par une entreprise privée qui n’est pas agréée.

–      L’utilisation de la carte « Alfapass », mise en place, en son temps, pour protéger les ports contre des activités terroristes, peut s’avérer inadéquate pour vérifier si les travailleurs logistiques sont en mesure d’exercer leurs tâches en toute sécurité. L’émission automatique de cette carte ne serait pas un moyen apte à réaliser l’objectif qu’elle entend théoriquement atteindre.

VIII. Conclusion

176. Eu égard à ce qui a été exposé, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Raad van State (Conseil d’État, Belgique) dans les affaires C‑407/19 et C‑471/19 dans les termes suivants :

Dans l’affaire C‑471/19 :

1)      L’article 49 TFUE et l’article 15, paragraphe 2, et l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne s’opposent pas, en principe, à un système de reconnaissance des ouvriers portuaires ayant pour objet de protéger la sécurité dans les zones portuaires, pour autant que ses modalités d’application soient fondées sur des critères transparents, objectifs, non discriminatoires, connus à l’avance et permettant aux ouvriers portuaires d’autres États membres de démontrer qu’ils répondent, dans leur État d’origine, à des exigences équivalentes à celles appliquées aux ouvriers portuaires nationaux.

Les modalités d’application du système de reconnaissance qui établissent un mécanisme fermé de recrutement sous le contrôle des syndicats et des organisations patronales de chaque port et qui imposent des restrictions disproportionnées à la liberté d’établissement des entreprises ainsi qu’à la libre circulation des travailleurs en provenance d’autres États membres sont incompatibles avec ces dispositions du droit de l’Union.

2)      L’insécurité juridique et le risque de malaise social ne sont pas des raisons impérieuses justifiant le maintien provisoire d’un système de reconnaissance des ouvriers portuaires incompatible avec le droit de l’Union tel que celui décrit à l’alinéa précédent.

Dans l’affaire C‑407/19 :

Les articles 45 et 49 TFUE s’opposent à une réglementation nationale qui subordonne l’accès au travail portuaire à la reconnaissance préalable des travailleurs, lorsque ses modalités d’application comprennent l’un des éléments suivants :

–      Le recours à des commissions administratives composées, de manière paritaire, de représentants de l’association d’employeurs locale et des syndicats de chaque zone portuaire, qui, pour statuer sur les demandes, permet aux opérateurs déjà présents dans la zone portuaire de contrôler l’entrée de nouveaux travailleurs au moyen d’une procédure dépourvue de garanties procédurales adéquates.

–      L’imposition d’exigences médicales, psychologiques et de formation professionnelle, si leur respect est certifié par des entités contrôlées par l’association patronale et les syndicats de chaque port.

–      La reconnaissance des ouvriers portuaires non repris dans le contingent (pool) uniquement pour la durée de leurs contrats de travail, associée à l’application d’un régime transitoire qui restreint cette durée.

–      La limitation de la mobilité des travailleurs entre les différentes zones portuaires d’un État membre, décidée par voie de conventions collectives de travail.

–      L’exigence, pour les travailleurs logistiques, d’un certificat de sécurité qui doit être renouvelé pour chaque contrat de travail et prend la forme d’une carte émise par une entreprise privée.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Van Hooydonk, E., Port Labour in the EU. Labour Market, Qualifications & Training Health & Safety. Volume I – The EU Perspective, étude réalisée à la demande de la Commission européenne, Bruxelles, 2014, https://ec.europa.eu/transport/sites/transport/files/modes/maritime/ports/doc/2014-ec-port-labour-study-vol-1-update-5-12-2014.pdf.


3      Voir arrêt du 11 décembre 2014, Commission/Espagne (C‑576/13, non publié, ci‑après l’« arrêt Commission/Espagne », EU:C:2014:2430).


4      Le régime des travailleurs portuaires ne relève pas du champ d’application du nouveau règlement (UE) 2017/352 du Parlement européen et du Conseil, du 15 février 2017, établissant un cadre pour la fourniture de services portuaires et des règles communes relatives à la transparence financière des ports (JO 2017, L 57, p. 1). L’article 9 de ce règlement maintient la compétence des États membres aux fins de la réglementation de cette matière propice aux conflits.


5      Van Hooydonk, E., The Law Ends Where the Port Area Begins. On the Anomalies of Port Law, conférence inaugurale donnée lors du lancement de l’institut de droit portuaire international et européen Portius – International and EU Port Law Centre, Anvers/Apeldoorn, Maklu, 2010, p. 47.


6      Loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire, ci‑après la « loi de 1972 ».


7      Arrêté royal du 12 janvier 1973 instituant la Commission paritaire des ports et fixant sa dénomination et sa compétence, ci-après l’« arrêté royal du 12 janvier 1973 ».


.


8      Arrêté royal du 5 juillet 2004 relatif à la reconnaissance des ouvriers portuaires dans les zones portuaires tombant dans le champ d’application de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire, ci‑après l’« arrêté royal du 5 juillet 2004 ».


9      Koninklijk besluit tot wijziging van het koninklijk besluit van 5 juli 2004 betreffende de erkenning van havenarbeiders in de havengebieden die onder het toepassingsgebied vallen van de wet van 8 juni 1972 betreffende de havenarbeid (Arrêté royal modifiant l’arrêté royal du 5 juillet 2004 relatif à la reconnaissance des ouvriers portuaires dans les zones portuaires tombant dans le champ d’application de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire, ci‑après l’« arrêté royal du 10 juillet 2016 », Moniteur belge du  13 juillet 2016). L’arrêté royal du 5 juillet 2004 a récemment été modifié par le Koninklijk besluit van 26 juni 2020 tot wijziging van het koninklijk besluit van 5 juli 2004 betreffende de erkenning van havenarbeiders in de havengebieden die onder het toepassingsgebied vallen van de wet van 8 juni 1972 betreffende de havenarbeid (arrêté royal du 26 juin 2020 modifiant l’arrêté royal du 5 juillet 2004 relatif à la reconnaissance des ouvriers portuaires dans les zones portuaires tombant dans le champ d’application de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire), qui est entré en vigueur le 1er juillet 2020 et n’est dès lors pas applicable, ratione temporis, aux présentes affaires.


10      Katoen est active dans le domaine de la manutention de biens et de marchandises au sens large. Elle réalise dans des ports du monde entier des opérations telles que l’embarquement et le débarquement de bateaux naviguant en provenance ou à destination d’autres États membres, le stockage, le pesage, l’emballage, le conditionnement de produits et de marchandises, la prestation de services logistiques et d’appui logistique et la réalisation de transport national et international de marchandises.


11      L’activité de General Services consiste à pourvoir, en Belgique et à l’étranger, à l’emploi et à l’insertion de personnes dans le circuit du travail dans le cadre d’activités telles que l’exécution de missions logistiques, la manutention de biens et de marchandises au sens le plus large et le transport national et international de marchandises.


12      Cet arrêté royal viole d’après elles l’article 106, paragraphe 1, TFUE.


13      Points 35 et 36 de la décision de renvoi dans l’affaire C‑407/19.


14      Arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C‑268/15, EU:C:2016:874, point 47 et jurisprudence citée).


15      Arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C‑268/15, EU:C:2016:874, point 51).


16      Arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C‑268/15, EU:C:2016:874, point 55) : « [I]l appartient à la juridiction de renvoi d’indiquer à la Cour, conformément à ce qu’exige l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux libertés fondamentales un élément de rattachement qui rend l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige. »


17      Conformément à la jurisprudence de la Cour, lorsqu’une mesure nationale affecte plusieurs libertés de circulation, la Cour se limite à apprécier sa compatibilité avec l’une seulement de ces libertés s’il s’avère que, dans les circonstances de l’espèce, l’une de celles-ci est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée [arrêts du 14 octobre 2004, Omega (C‑36/02, EU:C:2004:614, point 26), et du 26 mai 2005, Burmanjer e.a. (C‑20/03, EU:C:2005:307, point 34)].


18      Bien que les observations des entreprises requérantes fassent allusion à des problèmes de concurrence, la décision de renvoi ne les identifie pas avec précision.


19      Arrêt du 16 septembre 1999 (C‑22/98, EU:C:1999:419, points 26 à 30 et 37).


20      La Cour a jugé que, comme les travailleurs portuaires sont intégrés, pendant la durée de cette relation, dans lesdites entreprises et forment ainsi avec chacune d’elles une unité économique, ils ne constituent pas eux‑mêmes des « entreprises » au sens du droit de la concurrence de l’Union. Même pris collectivement, les ouvriers portuaires reconnus d’une zone portuaire ne peuvent pas être considérés comme constituant une entreprise.


21      Van Hooydonk, E., The EU Seaports Regulation. A commentary on Regulation (EU) 2017/352 of the European Parliament and of the Council of 15 February 2017 establishing a framework for the provision of port services and common rules on the financial transparency of ports, Portius Publishing, Anvers, 2019.


22      Notteboom, T. E., « The Impact of Changing Market Requirements on Dock Labour Employment Systems in Northwest European Seaports », International Journal Shipping and Transport Logistics, nº 4, 2018, p. 443 ; et Verhoeven, P., « Dock Labor Schemes in the Context of EU Law and Policy », European Research Studies, nº 2, 2011, p. 155 et suiv.


23      L’article 3, point 9, définissait l’« auto-assistance » comme « une situation où une entreprise qui pourrait normalement acheter des services portuaires se fournit à elle‑même, en utilisant son personnel fixe à terre [...] et ses équipements propres, une ou plusieurs catégories de services portuaires conformément aux critères fixés dans la présente directive » [proposition de directive du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2004 concernant l’accès au marché des services portuaires – COM(2004) 654 final)].


24      Voir note 4 des présentes conclusions.


25      L’article 9, paragraphe 2, du règlement 2017/352, prévoit que le gestionnaire du port ou l’autorité compétente exige du prestataire de services portuaires désigné qu’il accorde au personnel des conditions de travail conformes aux obligations découlant du droit social et du droit du travail, et qu’il respecte les normes sociales énoncées dans le droit de l’Union, le droit national ou les conventions collectives. L’article 9, paragraphes 3 et 4, de ce règlement porte sur le maintien des droits des travailleurs en cas de changement de prestataire de services portuaires.


26      L’article 14 du règlement 2017/352, relatif à la formation du personnel, prévoit que « [l]es prestataires de services portuaires veillent à ce que les membres de leur personnel bénéficient de la formation nécessaire pour acquérir les connaissances indispensables à leur travail, une attention particulière étant accordée aux aspects liés à la santé et à la sécurité, et à ce que les exigences en matière de formation soient actualisées régulièrement de manière à relever les défis de l’innovation technologique ».


27      Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 (JO 2005, L 255, p. 22).


28      Cette constatation semble ressortir des points B.8.2 et B.8.3 de la décision de renvoi : le Conseil des ministres a fait valoir que la question préjudicielle est irrecevable, car le travail portuaire est défini par les arrêtés royaux qui mettent en œuvre la loi de 1972. Le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) a répondu à cette objection que, même si les arrêtés royaux définissent la notion de « travail portuaire », ce sont les articles 1er et 2 de la loi de 1972 qui introduisent le système incriminé de recrutement fermé dans les zones portuaires et donnent lieu à la différence de traitement en cause.


29      Arrêts Commission/Espagne, point 36 ; du 14 novembre 2018, Memoria et Dall’Antonia (C‑342/17, EU:C:2018:906, point 48) ; du 8 mai 2019, PI (C‑230/18, EU:C:2019:383, point 59), et du 19 décembre 2019, Comune di Bernareggio (C‑465/18, EU:C:2019:1125, point 39).


30      Par analogie, voir arrêts du 5 novembre 2014, Somova (C‑103/13, EU:C:2014:2334, points 41 à 45), et du 8 mai 2019, PI (C‑230/18, EU:C:2019:383, point 60).


31      Décision de renvoi, points B.14 et B.15.


32      Au point 37 de cet arrêt, la Cour a déclaré que « tant l’obligation relative à l’inscription auprès de la SAGEP et, le cas échéant, à la participation au capital de celle‑ci que l’obligation relative au recrutement prioritaire de travailleurs mis à disposition par cette société ainsi qu’au recrutement obligatoire d’un nombre minimal de ces travailleurs sur une base permanente imposent à ces entreprises une adaptation qui est susceptible d’engendrer des conséquences financières et des perturbations de leur fonctionnement de nature à décourager les entreprises d’autres États membres de s’établir dans lesdits ports espagnols ».


33      Arrêt Commission/Espagne, point 47.


34      Le gouvernement belge a évoqué (très succinctement) la protection de la sécurité publique compte tenu de la nécessité de lutter contre le trafic illégal de différentes marchandises susceptible de se développer dans les ports. Cette prétendue justification ne m’apparaît pas pertinente, car la lutte contre les activités illégales dans les ports incombe aux autorités douanières et policières, et non aux ouvriers portuaires.


35      « [L]’objectif d’assurer la sécurité dans les eaux portuaires constitue également une raison impérieuse d’intérêt général » [arrêts Commission/Espagne, point 51, et du 17 mars 2011, Naftiliaki Etaireia Thasou et Amaltheia I Naftiki Etaireia (C‑128/10 et C‑129/10, EU:C:2011:163, point 45)]. La Cour a également jugé que le service de lamanage constitue un service technique nautique essentiel au maintien de la sécurité dans les eaux portuaires, qui présente les caractéristiques d’un service public [arrêt du 18 juin 1998, Corsica Ferries France (C‑266/96, EU:C:1998:306, point 60)].


36      Le gouvernement belge ajoute que ces tâches sont fréquemment exécutées au moyen de machines spécifiques, qui requièrent des connaissances techniques et une expérience suffisante pour être utilisées. En outre, une zone portuaire a pour particularité que des activités diverses doivent s’y dérouler dans un espace relativement exigu, dans lequel toutes sortes de tâches et de machines vont forcément se croiser – le tout à proximité de l’eau, des docks, des voies ferrées traversant la zone, des grues, des produits devant être déchargés avec des précautions particulières. Ces activités comportent moins de dangers lorsqu’elles se déroulent en dehors de la zone portuaire. C’est pourquoi le risque d’un accident du travail est proportionnellement beaucoup plus élevé dans une zone portuaire.


37      D’après les entreprises requérantes, la mécanisation croissante des manutentions de marchandises, le pilotage informatisé des grues à conteneurs et des véhicules de levage dans les terminaux, le pesage et le comptage automatiques des marchandises, la robotisation des entrepôts, le scannage des conteneurs expédiés pour établir des dégâts et l’utilisation de camions portuaires sans chauffeur ont considérablement réduit les risques associés au travail portuaire.


38      Convention (no 152) sur la sécurité et l’hygiène dans les manutentions portuaires, 1979 (https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_INSTRUMENT_ID,P12100_LANG_CODE:312297,fr) et recommandation (no 160) sur la sécurité et l’hygiène dans les manutentions portuaires, 1979 (https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_INSTRUMENT_ID,P12100_LANG_CODE:312498,fr).


39      « L’industrie portuaire internationale remonte aux premiers âges de la civilisation. Depuis, cette industrie s’est développée régulièrement au fil des années. Mais les méthodes utilisées pour la manutention, travail à la fois pénible et dangereux, n’ont pratiquement pas changé jusqu’à l’apparition des conteneurs et des systèmes de chargement par roulage dans les années soixante. Depuis, des améliorations techniques n’ont cessé de voir le jour, notamment par l’introduction d’équipements de manutention toujours plus sophistiqués, à capacité et à portée grandissantes. Si de nombreux changements apportés aux méthodes de manutention ont eu pour effet d’améliorer sensiblement la sécurité des travailleurs portuaires, certains d’entre eux ont en revanche fait naître de nouveaux dangers [...] » Bureau international du Travail, Sécurité et santé dans les ports. Recueil de directives pratiques du BIT, Genève, 2005 (https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_protect/---protrav/---safework/documents/normativeinstrument/wcms_112514.pdf, p. 1).


40      Arrêts Commission/Espagne, point 50, et du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union (C‑438/05, EU:C:2007:772, point 77 et jurisprudence citée).


41      Texte disponible à l’adresse suivante : https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_ILO_CODE:C137. Voir également recommandation (no 145) sur le travail dans les ports, 1973, disponible à l’adresse suivante : https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_INSTRUMENT_ID:312483.


42      Informations à l’adresse suivante : https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:11300:0::NO::P11300_INSTRUMENT_ID:312282.


43      Rodriguez-Piñero y Bravo-Ferrer, M., « Trabajo portuario y libertad de contratación de trabajadores », Relaciones Laborales, no 1, 2002, p. 14 et 15, et Rodríguez Ramos, P., « El régimen jurídico de la relación laboral de los estibadores : pasado, presente y futuro », Temas Laborales, no 142, 2018, p. 103 à 108.


44      Voir point 44 de cet arrêt.


45      C’est par exemple le cas de la convention du travail maritime, 2006, de l’OIT, dont le contenu a été inclus dans la directive (UE) 2018/131 du Conseil, du 23 janvier 2018, portant mise en œuvre de l’accord conclu par les Associations des armateurs de la Communauté européenne (ECSA) et la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) en vue de modifier la directive 2009/13/CE conformément aux amendements de 2014 à la convention du travail maritime, 2006, tels qu’approuvés par la Conférence internationale du travail le 11 juin 2014 (JO 2018, L 22, p. 28).


46      Arrêts Commission/Espagne, point 53, et du 19 décembre 2019, Comune di Bernareggio (C‑465/18, EU:C:2019:1125, point 47).


47      Van Hooydonk, E., Port Labour in the EU. Labour Market, Qualifications & Training Health & Safety. Volume I – The EU Perspective, op. cit., p. 207 (voir note 2 des présentes conclusions) : « En résumé, le droit de l’Union permet aux États membres et aux partenaires sociaux de choisir entre un marché du travail portuaire libre et ouvert, d’une part, et un système efficace et durable d’enregistrement ou de contingent exempt de restrictions légales ou pratiques excessives, d’autre part. »


48      Voir, par analogie, arrêts du 6 juin 2000, Angonese (C‑281/98, EU:C:2000:296, points 44 et 45), et du 5 février 2015, Commission/Belgique (C‑317/14, EU:C:2015:63, points 27 à 29).


49      D’après l’étude intitulée Systèmes de formation et de qualification dans le secteur portuaire de l’UE : état des lieux et ébauche d’une vision de l’ETF (Turnbull, P., ETF, Bruxelles, juillet 2009, https://www.etf-europe.org/wp-content/uploads/2018/08/Training-and-qualification-systems-in-the-EU-port-sector-FR.pdf), le niveau de formation exigé des ouvriers portuaires est substantiellement différent d’un État membre à l’autre.


50      OIT, Directives sur la formation dans le secteur portuaire. Recueil de directives pratiques du BIT, Genève, 2012, https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_dialogue/---sector/documents/normativeinstrument/wcms_214613.pdf.


51      Il ne serait probablement pas nécessaire d’exiger la même formation des ouvriers portuaires en exercice, pour lesquels un certificat d’aptitude professionnel justifiant leur compétence sur la base de l’expérience accumulée devrait être suffisant.


52      Van Hooydonk a commenté les répercussions de cet arrêt dans d’autres États membres dans les termes suivants : « L’arrêt de la Cour sur les ouvriers portuaires espagnols met fin à l’ère du travail portuaire “à l’ancienne”, dans laquelle la profession d’ouvrier portuaire était considérée comme spéciale, voire mythifiée, alors que l’organisation du travail dans les ports résultant de cette perception constituait souvent une sorte de goulot d’étranglement et accordait aux travailleurs relevant de cette catégorie des privilèges par rapport aux travailleurs de secteurs similaires » [Van Hooydonk, E., « The Spanish Dock Labour Ruling (C‑576/13) : Mortal Blow for the Docker’s Pools », European Transport Law, 2015, p. 581].


53      Ces obligations consistaient, d’une part, à s’inscrire auprès de la Sociedad Anónima de Gestión de Estibadores Portuarios (SAGEP) ainsi que, le cas échéant, à participer à son capital et, d’autre part, à recruter en priorité des travailleurs mis à disposition par cette société, dont un nombre minimal de ceux‑ci engagés de manière permanente.


54      Arrêt Commission/Espagne, point 55. L’exécution de cet arrêt en Espagne s’est révélée complexe et a nécessité une condamnation pécuniaire [arrêt du 13 juillet 2017, Commission/Espagne (C‑388/16, non publié, EU:C:2017:548)] avant que les réformes législatives correspondantes soient menées à bien par l’adoption du Real Decreto-ley 8/2017 (décret-loi royal 8/2017), du 12 mai 2017, qui a été remplacé par le Real Decreto-ley 9/2019 (décret-loi royal 9/2019), du 29 mars 2019. L’affaire C‑462/19, pendante devant la Cour, porte sur le régime juridique mis en place par ce dernier.


55      Dossier 2014/2088, C(2014) 1874 (final).


56      Voir Van Hooydonk, E., Port Labour in the EU. Labour Market, Qualifications & Training Health & Safety. Volume II – The Member State Perspective. Annexes, Bruxelles, 2014, p. 8 à 135.


57      Engels, C., « The European Social Charter : Freedom of Association and Free Collective Bargaining. European and Belgian Implementation », dans Blanpain, R. (éd.), The Council of Europe and the Social Challenges of the XXIst Century, Kluwer Law International, La Haye, 2001, p. 204 ; et Van Hooydonk, E., Port Labour in the EU. Labour Market, Qualifications & Training Health & Safety. Volume II – The Member State Perspective. Annexes, op. cit., p. 57 à 59 (voir note 56 des présentes conclusions).


58      Les entreprises requérantes ont produit le formulaire officiel de demande de reconnaissance en tant qu’ouvrier portuaire établi par le Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale (Belgique). Ce formulaire mentionne expressément la nécessité d’apposer un tampon du syndicat du port pour lequel la reconnaissance est demandée ainsi que la signature d’un représentant dudit syndicat, outre les renseignements sur l’éventuel lien familial du candidat avec des ouvriers portuaires.


59      En application de l’article 3 bis de la loi de 1972, des associations locales d’employeurs ont été créées par arrêté royal pour les ports d’Anvers, de Zeebruges, de Gand, d’Ostende, ainsi que pour le port de Bruxelles et Vilvorde. D’autres ports belges connaissant un trafic maritime, comme les ports de Ruisbroek (sur le canal maritime Bruxelles-Escaut), de Genk et de Liège, sont cependant restés en dehors du champ d’application de la loi de 1972 et de ses arrêtés d’exécution, bien qu’ils procèdent également au chargement et au déchargement de bateaux issus du trafic maritime.


60      Voir, par exemple, le centre de formation du port d’Anvers, dénommé Cepa/OCHA, sur le site http://www.ocha.be/fr/.


61      Parmi celles‑ci figurent toutes les manipulations de marchandises qui sont transportées par des navires de mer ou des bâtiments de navigation intérieure, par des wagons de chemin de fer ou des camions, et les services accessoires qui concernent ces marchandises, que ces activités aient lieu dans les docks, sur les voies navigables, sur les quais ou dans les établissements s’occupant de l’importation, de l’exportation et du transit de marchandises, ainsi que toutes les manipulations de marchandises transportées par des navires de mer ou des bâtiments de navigation intérieure à destination ou en provenance des quais d’établissements industriels.


62      Van Hooydonk, E., Port Labour in the EU. Labour Market, Qualifications & Training Health & Safety. Volume II – The Member State Perspective. Annexes, op. cit., p. 18 à 22 (voir note 56 des présentes conclusions).


63      À cet égard, voir arrêts du 13 février 2014, Sokoll-Seebacher (C‑367/12, EU:C:2014:68, point 22), et du 8 mai 2019, PI (C‑230/18, EU:C:2019:383, points 52 à 55).


64      Arrêt du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, point 33).


65      Arrêts du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (C‑41/11, EU:C:2012:103), et du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, point 43).


66      Arrêts du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (C‑41/11, EU:C:2012:103) ; du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, point 43), et du 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen (C‑411/17, EU:C:2019:622, points 179 à 181).


67      Arrêt du 8 septembre 2010 (C‑409/06, EU:C:2010:503).


68      À laquelle l’avocat général Bot s’est opposé dans ses conclusions (C‑409/06, EU:C:2010:38, points 96 à 99).


69      La Cour a déclaré [arrêt du 8 septembre 2010, Winner Wetten (C‑409/06, EU:C:2010:503, point 67)] qu’« il suffit [...] de relever que, à supposer même que des considérations similaires à celles sous‑jacentes à ladite jurisprudence, développée en ce qui concerne les actes de l’Union, soient de nature à conduire, par analogie et à titre exceptionnel, à une suspension provisoire de l’effet d’éviction exercé par une règle de droit de l’Union directement applicable à l’égard du droit national contraire à celle‑ci, une telle suspension, dont les conditions ne pourraient être déterminées que par la seule Cour, est à exclure d’emblée, en l’occurrence, eu égard à l’absence de considérations impérieuses de sécurité juridique propres à justifier celle‑ci ». Dans le même sens, voir arrêt du 27 juin 2019, Belgisch Syndicaat van Chiropraxie e.a. (C‑597/17, EU:C:2019:544, point 59).


70      Voir arrêts du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2014:108, point 41) ; du 19 avril 2018, Oftalma Hospital (C‑65/17, EU:C:2018:263, point 57) ; du 10 juillet 2019, WESTbahn Management (C‑210/18, EU:C:2019:586, point 45), et du 3 octobre 2019, Schuch-Ghannadan (C‑274/18, EU:C:2019:828, points 60 à 62). « [L]a Cour n’a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises, notamment lorsqu’il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et qu’il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à adopter un comportement non conforme au droit de l’Union en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions du droit de l’Union, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par la Commission. » [arrêts du 10 juillet 2019, WESTbahn Management (C‑210/18, EU:C:2019:586, point 46 et jurisprudence citée), et du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:204, point 57)].


71      Observations de la Commission, point 12.


72      Voir points 34 à 39 des présentes conclusions.


73      Voir point 103 et note 71 des présentes conclusions.


74      Sur l’évolution de l’organisation du travail des ouvriers portuaires dans les ports européens, je renvoie aux travaux de Notteboom, T. E., « The Impact of Changing Market Requirements on Dock Labour Employment Systems in Northwest European Seaports », International Journal Shipping and Transport Logistics, vol. 10, no 4, 2018, p. 429 à 454, et de Verhoeven, P., « Dock Labor Schemes in the Context of EU Law and Policy », European Research Studies, vol. XIV, no 2, 2011, p. 149 à 167.


75      Sous le régime transitoire (jusqu’au 1er juillet 2020), la reconnaissance de l’ouvrier n’appartenant pas au pool était accordée pour la durée du contrat de travail et devait être à nouveau demandée pour chaque contrat ultérieur.


76      Arrêt du 21 décembre 2016 (C‑201/15, EU:C:2016:972).


77      Arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis (C‑201/15, EU:C:2016:972, point 55).


78      Arrêt Commission/Espagne, point 37.


79      Arrêts du 23 janvier 2019, Zyla (C‑272/17, EU:C:2019:49, point 22), et du 7 mars 2018, DW (C‑651/16, EU:C:2018:162, point 21 et jurisprudence citée).


80      Arrêts du 23 janvier 2019, Zyla (C‑272/17, EU:C:2019:49, point 23) ; du 16 février 2006, Rockler (C‑137/04, EU:C:2006:106, point 18), et du 16 février 2006, Öberg (C‑185/04, EU:C:2006:107, point 15).


81      Arrêts du 23 janvier 2019, Zyla (C‑272/17, EU:C:2019:49, point 24) ; du 7 mars 2018, DW (C‑651/16, EU:C:2018:162, points 29 à 31), et du 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken (C‑514/12, EU:C:2013:799, points 25 et 26).


82      Selon une jurisprudence constante, des motifs de nature purement économique, tels que, notamment, la promotion de l’économie nationale ou le bon fonctionnement de celle-ci, ne sauraient servir de justification à des entraves prohibées par le traité (voir arrêts du 27 février 2019, Associação Peço a Palavra e.a., C‑563/17, EU:C:2019:144, point 70, et du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 72).


83      Arrêt du 19 juillet 2012, Garkalns (C‑470/11, EU:C:2012:505, point 42) : « [U]n régime d’autorisation [...] doit être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire [...] »


84      Arrêt du 15 janvier 2002, Commission/Italie (C‑439/99, EU:C:2002:14, point 39). Voir, par analogie, arrêt du 26 septembre 2013, Ottica New Line (C‑539/11, EU:C:2013:591, point 53) : « [...] les autorités compétentes ne peuvent autoriser l’établissement d’un magasin d’optique supplémentaire qu’après avoir recueilli l’avis obligatoire d’une commission de la chambre de commerce qui est composée [...] de représentants des opticiens présents sur le marché, à savoir des concurrents directs des opticiens candidats à l’établissement. »


85      Voir, par analogie, arrêt du 19 mars 1991, France/Commission (C‑202/88, EU:C:1991:120, point 52), rendu en matière de libre circulation des marchandises.


86      L’article 1er, paragraphe 1, de l’arrêté royal du 5 juillet 2004 renvoie à l’arrêté royal du 6 novembre 1969 déterminant les modalités générales de fonctionnement des commissions et des sous-commissions paritaires. La règle de l’unanimité résulte de l’article 47, dernier alinéa, de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires.


87      Arrêt du 7 mars 2018, DW (C‑651/16, EU:C:2018:162, points 33 et 34).


88      Arrêt du 8 mai 2019, PI (C‑230/18, EU:C:2019:383, point 81).


89      Arrêt du 19 juillet 2012, Garkalns (C‑470/11, EU:C:2012:505, point 43) : « Afin de permettre un contrôle de l’impartialité des procédures d’autorisation, il est [...] nécessaire que les autorités compétentes fondent chacune de leurs décisions sur un raisonnement accessible au public, indiquant de façon précise les raisons pour lesquelles, le cas échéant, une autorisation a été refusée. »


90      Selon la Commission, les statistiques dont elle dispose montrent que 52 % des demandes de reconnaissance dans le pool (au cours de la période 2014‑2019) et 43 % des demandes de reconnaissance en dehors du pool (au cours de la période 2016‑2019) sont en suspens. Dans sa réponse aux questions de la Cour, le gouvernement belge a contesté ces chiffres et fourni certaines explications au sujet des retards administratifs dans le traitement des demandes.


91      Décision de renvoi dans l’affaire C‑407/19, point 40.


92      J’analyserai la nécessité de disposer d’un contrat de travail pour être reconnu en tant qu’ouvrier portuaire en dehors du pool dans le cadre des troisième et quatrième questions préjudicielles.


93      Voir, par analogie, arrêt du 17 décembre 2015, UNIS et Beaudout Père et Fils (affaires jointes C‑25/14 et C‑26/14, EU:C:2015:821, points 34 à 37), relatif à l’obligation de transparence que la libre prestation des services impose à la décision de confier à un organisme unique la gestion d’un régime de prévoyance complémentaire obligatoire pour une période déterminée. Le respect de cette obligation de transparence requiert que les opérateurs potentiellement intéressés autres que celui qui a été désigné aient eu préalablement l’occasion de faire connaître leur intérêt pour assurer une telle gestion et que la désignation de l’opérateur chargé de la gestion de ce régime complémentaire soit intervenue en toute impartialité.


94      Les entreprises requérantes affirment que la reconnaissance mutuelle n’a jamais été appliquée à des ouvriers portuaires d’autres États membres.


95      Voir, en particulier, les chapitres I et II du titre III et les articles 50, 51 et 53 de la directive 2005/36.


96      Selon les statistiques de la Commission, il n’y a eu que 28 demandes de reconnaissance en dehors du pool au cours de la période 2016‑2019, contre 3 901 demandes de reconnaissance dans le pool.


97      L’article 5 de l’arrêté royal du 26 juin 2020 modifiant l’arrêté royal du 5 juillet 2004 prévoit la création de cette application, sous la même dénomination. Comme je l’ai indiqué, cette disposition est entrée en vigueur le 1er juillet 2020 et n’est dès lors pas applicable, ratione temporis, à la présente affaire.


98      Arrêt du 28 avril 1998, Kohll (C‑158/96, EU:C:1998:171, point 41).


99      Comme je l’ai déjà exposé, cette règle semble s’appliquer uniquement aux ports d’Anvers, de Gand, d’Ostende, de Zeebruges et de Bruxelles et Vilvorde, mais pas à d’autres ports belges tels que les ports de Genk et de Liège.


100      Arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union (C‑438/05, EU:C:2007:772, points 33, 34 et 50 à 58).


101      Voir Van Hooydonk, E., Port Labour in the EU. Labour Market, Qualifications & Training Health & Safety. Volume I – The EU Perspective, op. cit., p. 152 à 157 (voir note 2 des présentes conclusions).


102      Arrêts du 21 mars 2002, Commission/Italie (C‑298/99, EU:C:2002:194, point 64), et du 13 décembre 2007, Commission/Italie (C‑465/05, EU:C:2007:781, point 59).


103      Il en va de même de l’obligation d’obtenir de manière répétée le certificat de sécurité pour un même travailleur et de devoir le retirer auprès de chaque organisme chargé de le délivrer. Le coût par carte pourrait également être excessif pour des engagements d’un ou de quelques jours.


104      Les informations relatives à cette carte et à la société qui la délivre peuvent être consultées sur le site suivant : https://www.alfapass.be/fr/.