Language of document : ECLI:EU:C:2021:114

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 11 février 2021 (1)

Affaire C535/19

A

en présence de

Latvijas Republikas Veselības ministrija

[demande de décision préjudicielle formée par l’Augstākā tiesa (Senāts) (Cour suprême, Lettonie)]

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Citoyen de l’Union économiquement inactif ayant quitté son État membre d’origine pour s’installer dans un État membre d’accueil à des fins de regroupement familial – Refus d’affiliation au système de sécurité sociale de l’État membre d’accueil et de prise en charge des prestations de soins de santé publique – Directive 2004/38/CE – Article 7, paragraphe 1, sous b) – Condition de disposer d’une “assurance maladie complète” – Notion de “charge déraisonnable” – Article 24 – Droit à l’égalité de traitement – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 3, paragraphe 1, sous a) – Notion de “prestation de maladie” – Article 4 et article 11, paragraphe 3, sous e) – Portée – Lien réel d’intégration avec l’État membre d’accueil – Conséquences »






I.      Introduction

1.        La présente affaire porte sur le droit d’un citoyen de l’Union, économiquement inactif, qui a exercé son droit de libre circulation en déménageant dans un État membre à des fins de regroupement familial, d’être affilié à la sécurité sociale de ce dernier et de bénéficier des prestations de soins de santé prises en charge par l’État.

2.        Cette affaire soulève une nouvelle fois la question de l’interaction entre la directive 2004/38/CE (2) et le règlement (CE) no 883/2004 (3), mais dans un contexte différent. Dans trois affaires précédentes (4), les citoyens de l’Union concernés ne remplissaient pas les conditions fixées par la directive 2004/38 pour bénéficier d’un droit de séjour légal dans l’État membre d’accueil, à savoir disposer de ressources suffisantes et d’une assurance maladie complète. Ils ne disposaient pas de telles ressources et l’un d’entre eux était entré sur le territoire de l’État membre d’accueil à des fins qualifiées de « tourisme social » dans le seul but d’y bénéficier de prestations sociales. La Cour en a conclu que ces citoyens de l’Union pouvaient se voir refuser l’octroi de prestations sociales dans l’État membre d’accueil à égalité avec les nationaux tant qu’ils n’y avaient pas légalement séjourné pendant cinq ans et acquis un droit de séjour permanent.

3.        Dans la présente affaire, le citoyen de l’Union remplit au contraire les deux conditions requises et la question se pose de savoir s’il en résulte qu’il a droit à l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil en ce qui concerne l’accès aux soins de santé financés par l’État.

4.        Est-ce qu’au nom de la préservation de l’équilibre financier de son système de sécurité sociale, l’État membre d’accueil peut néanmoins refuser de l’affilier et de lui dispenser de tels soins de santé à égalité avec ses propres ressortissants en se fondant sur la condition de disposer d’une assurance maladie complète ?

5.        Telle est la question principale posée par l’Augstākā tiesa(Senāts) (Cour suprême, Lettonie) dans le cadre d’un litige opposant un ressortissant italien au Latvijas Republikas Veselības ministrija (ministère de la Santé de la République de Lettonie, ci-après le « ministère letton de la Santé »). Il s’agit d’une question d’une importance significative tant pour les États membres que pour les citoyens de l’Union.

6.        À la suite d’une analyse de la directive 2004/38 et du règlement no 883/2004, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, je proposerai à cette dernière de juger qu’un citoyen de l’Union économiquement inactif, mais répondant aux conditions énoncées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, qui a déplacé le centre de tous ses intérêts dans un État membre d’accueil et qui présente un lien d’intégration réel avec celui‑ci, ne peut se voir systématiquement refuser l’affiliation à la sécurité sociale de cet État membre et le bénéfice de prestations de soins de santé prises en charge par l’État, dans les mêmes conditions que les nationaux, au motif qu’il n’y exerce pas un emploi ou une activité indépendante.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      Le règlement no 883/2004

7.        L’article 2, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 prévoit :

« Le présent règlement s’applique aux ressortissants de l’un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants. »

8.        L’article 3 de ce règlement, intitulé « Champ d’application matériel », dispose à ses paragraphes 1 et 5 :

« 1.      Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent :

a)      les prestations de maladie ; 

[...] 

5.      Le présent règlement ne s’applique pas :

a)      à l’assistance sociale et médicale ;

[...] »

9.        L’article 4 dudit règlement, intitulé « Égalité de traitement », est rédigé comme suit :

« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui‑ci. »

10.      Aux termes de l’article 11 de ce même règlement :

« 1.      Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre.

[...]

3.      Sous réserve des articles 12 à 16 :

a)      la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ;

[...]

e)      les personnes autres que celles visées aux points a) à d) sont soumises à la législation de l’État membre de résidence, sans préjudice d’autres dispositions du présent règlement qui leur garantissent des prestations en vertu de la législation d’un ou de plusieurs autres États membres.

[...] »

2.      La directive 2004/38

11.      La directive 2004/38 a, notamment, abrogé les directives 90/365/CEE (5), 90/366/CEE (6) et 90/364/CEE (7) qui concernaient les droits de séjour respectifs des pensionnés, étudiants et autres inactifs.

12.      Les considérants 9 et 10 de cette directive énoncent :

« (9)      Les citoyens de l’Union devraient avoir le droit de séjourner dans l’État membre d’accueil pendant une période ne dépassant pas trois mois sans être soumis à aucune condition ni à aucune formalité autre que l’obligation de posséder une carte d’identité ou un passeport en cours de validité, sans préjudice d’un traitement plus favorable applicable aux demandeurs d’emploi, selon la jurisprudence de la Cour de justice.

(10)      Il convient cependant d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant une première période de séjour. L’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, pour des périodes supérieures à trois mois, devrait, dès lors, rester soumis à certaines conditions. »

13.      L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive dispose :

« Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois :

a)      s’il est un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre d’accueil, ou

b)      s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil, au cours de leur période de séjour ; ou

c)      –      s’il est inscrit dans un établissement privé ou public, agréé ou financé par l’État membre d’accueil sur la base de sa législation ou de sa pratique administrative, pour y suivre à titre principal des études, y compris une formation professionnelle et

–        s’il dispose d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil et garantit à l’autorité nationale compétente, par le biais d’une déclaration ou par tout autre moyen équivalent de son choix, qu’il dispose de ressources suffisantes pour lui‑même et pour les membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de leur période de séjour ; ou

d)      si c’est un membre de la famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l’Union qui lui‑même satisfait aux conditions énoncées aux points a), b) ou c). »

14.      Conformément à l’article 14, paragraphes 1, 2 et 4 de la même directive :

« 1.      Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu à l’article 6 tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil.

2.      Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu aux articles 7, 12 et 13 tant qu’ils répondent aux conditions énoncées dans ces articles.

[...]

4.       À titre de dérogation aux dispositions des paragraphes 1 et 2 et sans préjudice des dispositions du chapitre VI, les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une mesure d’éloignement lorsque :

[...]

b)      les citoyens de l’Union concernés sont entrés sur le territoire de l’État membre d’accueil pour y chercher un emploi. Dans ce cas, les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ne peuvent être éloignés tant que les citoyens de l’Union sont en mesure de faire la preuve qu’ils continuent à chercher un emploi et qu’ils ont des chances réelles d’être engagés. »

15.      L’article 24 de la directive 2004/38, intitulé « Égalité de traitement », dispose :

« 1.      Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période plus longue prévue à l’article 14, paragraphe 4, point b), ni tenu, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille. »

B.      Le droit letton

16.      L’article 17 de l’Ārstniecības likums (loi sur les soins médicaux), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, disposait :

« 1.      Les soins médicaux financés par le budget général de l’État et par les ressources du bénéficiaire des soins, selon les modalités définies en conseil des ministres, sont dispensés aux personnes suivantes :

1)      les ressortissants lettons ;

2)      les non‑citoyens lettons ;

3)      les ressortissants des États membres de l’Union européenne, des États de l’Espace économique européen et de la Confédération suisse, qui séjournent en Lettonie en raison d’un emploi ou de l’exercice d’une activité indépendante, ainsi que les membres de leur famille ;

4)      les étrangers autorisés à séjourner de manière permanente en Lettonie ;

[...]

3.      Les personnes qui sont les conjoints de ressortissants lettons et de non‑citoyens lettons et qui sont titulaires d’un titre de séjour à durée limitée en Lettonie ont le droit, selon les modalités définies en conseil des ministres, de bénéficier gratuitement de soins obstétriques financés par le budget général de l’État et par les ressources des bénéficiaires des soins.

[...]

5.      Les personnes qui ne sont pas mentionnées aux paragraphes 1, 3 et 4, du présent article reçoivent des soins médicaux moyennant paiement. »

17.      Aux termes de l’article 7 du Veselības aprūpes finansēšanas likums (loi sur le financement des soins médicaux) dans sa version en vigueur à la date des faits au principal :

« Toute personne a le droit de recevoir une aide médicale d’urgence. Le conseil des ministres en établit les modalités. »

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

18.      À la fin de l’année 2015, M. A, un ressortissant italien, a quitté l’Italie pour s’installer en Lettonie afin de rejoindre son épouse, de nationalité lettonne, et leurs deux enfants mineurs, de nationalités lettonne et italienne.

19.      Avant son départ, A était inscrit dans un registre des ressortissants italiens qui s’installent hors d’Italie pour une période d’au moins douze mois. Les personnes inscrites dans ce registre sont privées de la possibilité de bénéficier en Italie de soins médicaux assurés par cet État.

20.      Le 22 janvier 2016, A a demandé au service national de santé letton de l’inscrire dans le registre des bénéficiaires d’une couverture maladie publique donnant droit à des soins de santé financés par la République de Lettonie, autrement dit de l’affilier à son système de sécurité sociale, et de lui délivrer une carte européenne d’assurance maladie (8).

21.      Par décision du 17 février 2016, ce service national de santé a rejeté ces demandes.

22.      Cette décision a été validée par une décision du 8 juillet 2016 du ministère letton de la Santé au motif que A n’était ni salarié ni travailleur indépendant en Lettonie, mais qu’il séjournait dans ce pays sur la base d’une attestation d’enregistrement de citoyen de l’Union. Ainsi que cela a été confirmé lors de l’audience devant la Cour, ce n’est que depuis le 4 janvier 2018 que le requérant a trouvé un premier emploi en Lettonie. De ce fait, il n’entrerait pas dans la catégorie des personnes mentionnées à l’article 17, paragraphes 1, 3 ou 4, de la loi sur les soins médicaux qui peuvent bénéficier d’une couverture maladie publique, donnant droit à des soins de santé financés par l’État. La juridiction de renvoi précise que les citoyens de l’Union, tels que A, ne peuvent bénéficier que des soins obstétriques et de l’aide médicale d’urgence financés par l’État. Pour le reste, ils peuvent recevoir des soins de santé relevant du régime de santé publique, mais ils doivent les financer par leurs propres moyens.

23.      Le requérant a introduit un recours contre cette décision devant l’administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district, Lettonie). Ce dernier l’a rejeté, estimant en substance que, bien que A ait séjourné légalement en Lettonie conformément aux exigences de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 et que A puisse, par conséquent, invoquer le principe de non‑discrimination énoncé à l’article 24, paragraphe 1, de cette directive, une différence de traitement pouvait être justifiée, car elle se fondait sur des considérations objectives et poursuivait l’objectif légitime de protéger les finances publiques. Une telle différence de traitement serait également proportionnée dans la mesure où A aurait droit à une aide médicale d’urgence, où les primes pour une assurance maladie privée ne seraient pas élevées et où, au terme de seulement cinq années, il pourrait obtenir un droit de séjour permanent lui permettant de bénéficier des soins de santé pris en charge par l’État.

24.      Par arrêt du 5 janvier 2018, l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie) a rejeté l’appel formé contre ce jugement.

25.      L’Augstākā tiesa (Senāts) (Cour suprême), saisie d’un pourvoi contre l’arrêt du 5 janvier 2018, considère qu’une décision préjudicielle de la Cour est nécessaire pour résoudre le litige au principal.

26.      La juridiction de renvoi relève que la loi sur les soins médicaux transpose l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38. Si cette juridiction ne nourrit aucun doute sur le fait que cette directive soit applicable, elle s’interroge en revanche sur l’applicabilité du règlement no 883/2004. En effet, ladite juridiction estime nécessaire de déterminer si des soins de santé dispensés par l’État, tels que ceux fournis en Lettonie, relèvent du champ d’application du règlement no 883/2004. La juridiction de renvoi se pose cette question compte tenu, premièrement, du financement du système de sécurité sociale letton, lequel, en 2016, reposait principalement sur l’impôt et, deuxièmement, de l’exclusion de l’« assistance sociale et médicale » du champ d’application du règlement no 883/2004 en vertu de l’article 3, paragraphe 5, de ce règlement. Cette juridiction précise que l’accès aux soins de santé financés par l’État est accordé selon des critères objectifs et que le système letton peut être décrit comme un système d’assurance maladie publique obligatoire.

27.      Dans l’hypothèse où le règlement n883/2004 serait applicable, la juridiction de renvoi se demande si l’article 11, paragraphe 3, sous e), de ce règlement, selon lequel la loi applicable est celle de l’État membre de résidence de l’intéressé, fait obstacle à ce que le requérant se voie refuser l’affiliation au système de santé financé par l’État tant en Italie qu’en Lettonie et se trouve ainsi globalement privé d’accès à une telle protection.

28.      Par ailleurs, la juridiction de renvoi fait part de sa crainte que le principe de non‑discrimination consacré à l’article 18 TFUE, et précisé à l’article 24 de la directive 2004/38 ainsi qu’à l’article 4 du règlement no 883/2004, n’ait pas été respecté. Il lui semble que la réglementation lettonne impose aux citoyens de l’Union économiquement inactifs une restriction disproportionnée à l’accès au système d’assurance maladie publique obligatoire.

29.      Cette juridiction considère qu’il y a lieu d’apprécier la situation concrète du requérant. Elle souligne notamment que A a déménagé en Lettonie pour rejoindre sa famille, qu’il a été employé en Italie, qu’il a cherché un travail en Lettonie et qu’il a, dans ce dernier État membre, deux enfants mineurs ayant la double nationalité lettonne et italienne. Ces éléments plaident, selon elle, en faveur de l’existence de liens personnels étroits du requérant avec la République de Lettonie, qui ne permettent pas de l’exclure automatiquement de l’affiliation à son système de santé publique.

30.      Cela étant, ladite juridiction reconnaît qu’un citoyen de l’Union ne peut réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil en vertu de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 que si son séjour sur le territoire de cet État membre d’accueil respecte les conditions de cette directive. La juridiction de renvoi relève, à cet égard, que A remplit les conditions de séjour énoncées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, dès lors qu’il dispose de ressources suffisantes et d’une assurance maladie complète en Lettonie, tout en soulignant qu’il a été exclu du bénéfice d’une couverture maladie publique donnant droit à des soins de santé financés par l’État. Ainsi, cette juridiction se demande si le fait qu’un citoyen de l’Union dispose d’une assurance maladie complète, qui constitue l’une des conditions de légalité du séjour prévues par la directive 2004/38, peut justifier le refus de l’affilier au système de santé publique.

31.      Dans ces conditions, l’Augstākā tiesa (Senāts) (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les soins de santé publique doivent-ils être considérés comme des “prestations de maladie” au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, l’article 4 du règlement no 883/2004 et l’article 24 de la directive 2004/38 autorisent-ils les États membres, pour éviter une prise en charge déraisonnable de prestations sociales prévues au titre des soins de santé dispensés, à refuser de telles prestations à des citoyens de l’Union qui, au moment pertinent, sont sans emploi, lesdites prestations étant octroyées à leurs ressortissants nationaux et aux membres – avec un emploi et dans la même situation – de la famille d’un citoyen de l’Union ?

3)      En cas de réponse négative à la première question, les articles 18 et 21 TFUE et l’article 24 de la directive 2004/38 autorisent-ils les États membres, pour éviter une prise en charge déraisonnable de prestations sociales prévues au titre des soins de santé dispensés, à refuser de telles prestations à des citoyens de l’Union qui, au moment pertinent, sont sans emploi, lesdites prestations étant octroyées à leurs ressortissants nationaux et aux membres – avec un emploi et dans la même situation – de la famille d’un citoyen de l’Union ?

4)      Est-il conforme à l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004 de refuser le droit de bénéficier de soins médicaux financés par l’État à un citoyen de l’Union exerçant le droit de circuler librement dans tous les États membres concernés en l’espèce ?

5)      Est-il conforme à l’article 18, à l’article 20, paragraphe 1, et à l’article 21 TFUE de refuser le droit de bénéficier de soins médicaux financés par l’État à un citoyen de l’Union exerçant le droit de circuler librement dans tous les États membres concernés en l’espèce ?

6)      La légalité du séjour au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doit-elle être comprise en ce sens qu’elle confère à une personne le droit d’accès au système de sécurité sociale, mais aussi en ce sens qu’elle peut être un motif de refus de la sécurité sociale ? En d’autres termes, dans une situation telle que celle de l’espèce où le requérant dispose d’une assurance maladie complète, qui constitue l’une des conditions de légalité du séjour prévues par la directive 2004/38, peut-il être justifié de refuser d’inscrire le requérant dans le système de santé financé par l’État ? »

32.      La demande de décision préjudicielle, en date du 9 juillet 2019, est parvenue à la Cour le 12 juillet 2019.

33.      Des observations écrites ont été déposées par les gouvernements letton et espagnol, le ministère letton de la Santé, ainsi que par la Commission européenne. Les mêmes parties et intéressés ainsi que A ont été représentés lors de l’audience de plaidoiries qui s’est déroulée le 28 septembre 2020.

IV.    Analyse

A.      Sur la première question préjudicielle

34.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si les soins de santé publique, tels que ceux octroyés en vertu de l’article 17 de la loi sur les soins médicaux relèvent de la notion de « prestations de maladie » au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004.

35.      La juridiction de renvoi indique qu’elle nourrit un doute à ce sujet en raison du libellé de l’article 3, paragraphe 5, du règlement no 883/2004, qui exclut du champ d’application de ce dernier l’« assistance sociale et médicale ».

36.      À l’instar de toutes les parties qui se sont exprimées sur la première question, j’estime que celle‑ci appelle une réponse affirmative.

37.      Le problème de la distinction entre les prestations de sécurité sociale couvertes par le règlement no 883/2004 et l’« assistance sociale et médicale » exclue de celui‑ci s’est posé très tôt, dès le règlement (CEE) no 1408/71 (9), qui a précédé le règlement no 883/2004 et qui contenait cette distinction (10).

38.      Tout d’abord, je rappelle que cette distinction repose essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment ses finalités et ses conditions d’octroi, et non pas sur le fait qu’une prestation est qualifiée ou non par une législation nationale de prestation de sécurité sociale (11).

39.      Ensuite, je souligne que, selon une jurisprudence constante, pour qu’une prestation ne relève pas de l’« assistance sociale et médicale » au sens de l’article 3, paragraphe 5, sous a), du règlement no 883/2004, mais constitue une prestation de sécurité sociale couverte par ce règlement, deux conditions cumulatives doivent être remplies. Il faut, d’une part, que la prestation soit octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, aux bénéficiaires sur la base d’une situation légalement définie et, d’autre part, qu’elle se rapporte à l’un des risques énumérés expressément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 (12).

40.      S’agissant de la première condition, la juridiction de renvoi indique que les soins médicaux sont garantis à toute personne résidant en Lettonie qui relève de l’une des catégories définies de manière objective par la loi sur les soins médicaux pour être inscrite dans le registre des bénéficiaires de soins sans qu’aucune autre circonstance personnelle ne soit prise en compte.

41.      J’estime que de telles caractéristiques permettent de considérer que la première condition est satisfaite.

42.      J’ajoute que la manière dont les prestations de soins de santé sont financées (13) est sans pertinence pour la qualification d’une prestation comme étant une prestation de sécurité sociale au sens de ce règlement (14).

43.      Quant à la seconde condition, celle‑ci requiert de vérifier que des soins de santé, tels que ceux prévus dans la loi sur les soins médicaux, se rapportent à l’un des risques mentionnés à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, en l’occurrence, aux « prestations de maladie » figurant au point a) de cette disposition .

44.      Si les « prestations de maladie » ne sont pas définies dans le règlement no 883/2004, la Cour s’est néanmoins prononcée à ce sujet en jugeant notamment que relèvent de cette notion des prestations ayant pour but essentiel la guérison du malade (15).

45.      Or, il ressort clairement de la décision de renvoi et de l’intitulé même de la loi lettonne en cause au principal que les soins de santé en cause au principal sont des soins médicaux et, partant, des soins destinés à guérir des maladies.

46.      J’estime, par conséquent, que des soins de santé publique, tels que ceux en cause au principal, se rapportent au risque de maladie mentionné à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 et que la seconde condition est également remplie.

47.      Dans ces conditions, je propose à la Cour de répondre à la première question que des prestations de soins de santé publique, telles que celles en cause au principal, qui sont octroyées aux bénéficiaires, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, sur la base d’une situation légalement définie, relèvent non pas de la notion d’« assistance sociale et médicale » au sens de l’article 3, paragraphe 5, sous a), du règlement no 883/2004, mais de celle de « prestations de maladie » au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de ce règlement.

48.      Compte tenu de la réponse proposée à la première question, j’estime qu’il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question, laquelle n’est posée que dans l’hypothèse où des prestations, telles que celles en cause au principal, ne relèveraient pas du règlement no 883/2004.

49.      Je propose d’examiner la deuxième question en lien avec la cinquième et la sixième après avoir examiné la quatrième question.

B.      Sur la quatrième question préjudicielle

50.      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale excluant du droit de bénéficier de prestations de soins de santé prises en charge par l’État un citoyen de l’Union, tel que A, qui exerce son droit à la liberté de circulation en quittant son État membre d’origine pour s’installer dans un autre État membre, au motif qu’il n’exerce pas un emploi ou une activité indépendante sur le territoire de ce dernier.

51.      À cet égard, je souligne d’emblée que l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004 énonce uniquement une « règle de conflit » visant à déterminer la législation applicable aux prestations de sécurité sociale énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement, en l’occurrence des prestations de maladie (16). Les personnes économiquement inactives, telles que A, qui ne relèvent d’aucun des points a) à d) de cet article 11, paragraphe 3, tombent dans le champ d’application du point e) de cette disposition, qui constitue une catégorie résiduelle, et sont soumises à la législation de l’État membre de résidence. Dans un cas tel que celui au principal, il n’est pas contesté que A, résidant en Lettonie, la loi qui lui est applicable est la loi lettonne.

52.      Cet article 11, paragraphe 3, sous e), tout comme le règlement n° 883/2004 dans son ensemble, vise ainsi à éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales et à empêcher que les personnes entrant dans son champ d’application soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable (17).

53.      En revanche, cette disposition n’harmonise pas les conditions d’octroi des prestations en matière de sécurité sociale, telles que les prestations de soins de santé. Celles-ci relèvent de la responsabilité des États membres, qui demeurent compétents pour définir leur politique de santé conformément à l’article 168, paragraphe 7, TFUE, aménager leurs systèmes de sécurité sociale et déterminer, dans leurs législations nationales, les conditions d’octroi et, partant, de refus des prestations en matière de sécurité sociale (18).

54.      En déterminant ces conditions, les États membres doivent, toutefois, respecter le droit de l’Union, notamment le droit primaire et le principe de l’égalité de traitement inscrit notamment à l’article 4 du règlement no 883/2004 et à l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, mais le contenu de celles‑ci n’est pas prévu par l’article 11, paragraphe 3, sous e), de ce règlement. La question de savoir si des conditions telles que celles prévues par la réglementation nationale en cause au principal sont conformes au traité FUE et aux actes de droit dérivé fait l’objet des deuxième, cinquième et sixième questions, que j’examine dans les sections qui suivent.

55.      Je propose de répondre à la quatrième question que l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il permet uniquement de déterminer la législation applicable à des prestations de maladie, telles que celles en cause au principal, et ne porte pas sur les conditions de fond relatives à l’ouverture d’un droit à de telles prestations. Cette disposition ne permet pas, à elle seule, d’apprécier la conformité au droit de l’Union d’une réglementation nationale excluant du droit de bénéficier de prestations de soins de santé prises en charge par l’État un citoyen de l’Union qui exerce son droit à la liberté de circulation en quittant son État membre d’origine pour s’installer dans un autre État membre, au motif qu’il n’exerce pas un emploi ou une activité indépendante sur le territoire de ce dernier.

C.      Sur les deuxième, cinquième et sixième questions préjudicielles

56.      Je souligne à titre liminaire que, selon la décision de renvoi, au moment où A a quitté son État membre d’origine pour une durée illimitée, il n’y travaillait plus et n’était plus affilié à son système de sécurité sociale. S’il a recherché un emploi dans l’État membre d’accueil, il n’y est pas entré principalement à cette fin, mais dans le but de rejoindre son épouse et ses enfants. Ce n’est donc pas en tant que travailleur qu’il a fondé son droit de séjour dans l’État membre d’accueil. De plus, quand bien même il a également pu relever des dispositions de l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2004/38, relatif aux citoyens de l’Union qui demeurent dans l’État membre d’accueil au-delà de trois mois après leur entrée dans cet État afin d’y chercher un emploi, il ressort de cette décision que c’est en tant que personne économiquement inactive qu’il séjournait dans l’État membre d’accueil au moment où il a introduit sa demande d’affiliation à la sécurité sociale et que son droit de séjour était fondé sur l’article 7, paragraphe 1, sous b), et sur l’article 14, paragraphe 2, de cette directive (19).

57.      J’estime, par conséquent, que, par ses deuxième, cinquième et sixième questions qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4 du règlement no 883/2004 et l’article 24 de la directive 2004/38, lus conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous b), et l’article 14, paragraphe 2, de cette directive, doivent être interprétés en ce sens qu’ils autorisent les États membres, en leur qualité d’États membres d’accueil, afin d’éviter une charge déraisonnable pour l’équilibre de leur système de sécurité sociale, à refuser d’affilier à leur système de sécurité sociale et de faire bénéficier de prestations de soins de santé prises en charge par l’État, des citoyens de l’Union qui, au moment de leur demande d’affiliation, sont économiquement inactifs, mais qui remplissent les conditions énoncées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, alors que leurs propres ressortissants, dans la même situation, y ont droit.

58.      Afin de répondre à cette question, je vais examiner les enseignements de la jurisprudence récente de la Cour sur l’interaction entre la directive 2004/38 et le règlement no 883/2004, en lien avec la condition de disposer de ressources suffisantes, avant d’appliquer ces enseignements à la condition de disposer d’une assurance maladie complète. Dans le cadre de l’examen de cette seconde condition, je démontrerai qu’un élément essentiel de l’analyse a trait à la question de savoir si l’affiliation à la sécurité sociale de l’État membre d’accueil crée une charge déraisonnable pour l’équilibre financier de ce dernier.

1.      Les enseignements de la jurisprudence récente

59.      Ainsi qu’il ressort de son libellé, l’article 4 du règlement no 883/2004, intitulé « Égalité de traitement », dispose que, en principe, les personnes auxquelles le règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui‑ci. Ces prestations comprennent en particulier les prestations de maladie visées à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de ce règlement.

60.      Quant à l’article 24 de la directive 2004/38, également intitulé « Égalité de traitement », celui‑ci prévoit, à son paragraphe 1, que les citoyens de l’Union qui ont exercé leur droit de libre circulation et séjournent dans un État membre d’accueil bénéficient de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Ce droit s’exerce sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé.

61.      Ces deux dispositions sont l’expression dans des domaines spécifiques, celui des prestations de sécurité sociale et celui de la citoyenneté, du principe de non‑discrimination consacré de manière générale à l’article 18 TFUE (20).

62.      S’agissant de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, la Cour a jugé que, pour ce qui concerne l’accès à des prestations sociales, telles qu’une demande de revenu minimal, laquelle constitue une prestation sociale à caractère non contributif au sens de l’article 70 du règlement no 883/2004, un citoyen de l’Union ne peut réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil que si son séjour sur le territoire de cet État respecte les conditions de la directive 2004/38 (21). Dans le cas d’un séjour de plus de trois mois, mais inférieur à cinq ans, d’un citoyen de l’Union économiquement inactif, ces conditions sont précisées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive et prévoient que ce citoyen doit disposer de ressources suffisantes ainsi que d’une assurance maladie complète (22). Conformément à l’article 14, paragraphe 2, de ladite directive, le droit de séjour n’est maintenu que pour autant que le citoyen de l’Union continue de satisfaire à ces conditions (23). Ces conditions visent à éviter que ce citoyen de l’Union ne devienne une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil (24).

63.      La Cour a ainsi précisé l’existence d’un lien entre le droit à l’égalité de traitement en vertu de l’article 24 de la directive 2004/38, lequel peut être soumis au respect des articles 7 et 14 de cette directive, et le droit à des prestations sociales au titre du règlement no 883/2004. Le droit à ces prestations à égalité avec les ressortissants de l’État membre d’accueil peut ainsi dépendre de l’existence d’un droit de séjour légal dans l’État membre d’accueil conformément aux conditions spécifiées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ladite directive et du maintien du respect de ces conditions tout au long du séjour conformément à l’article 14, paragraphe 2, de cette même directive.

64.      La Cour en a conclu que l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la cette directive ne s’oppose pas à une réglementation qui exclut du bénéfice de certaines prestations prévues par le règlement no 883/2004 les ressortissants d’autres États membres qui ne séjournent pas légalement, en vertu de ladite directive, dans l’État membre d’accueil (25). La Cour a précisé que cette même conclusion s’impose en ce qui concerne l’interprétation de l’article 4 du règlement no 883/2004 (26).

65.      Ces considérations, qui trouvent leur origine dans l’arrêt Brey (27), ont été confirmées dans les arrêts postérieurs Alimanovic (28), García‑Nieto e.a. (29) et Commission/Royaume‑Uni (30).

66.      Dans l’arrêt García-Nieto, la Cour a précisé que, pour déterminer si un citoyen de l’Union peut se voir refuser des prestations d’assistance sociale, il convient de vérifier, d’abord, si le principe de l’égalité de traitement rappelé à l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 s’applique et, partant, si le séjour sur le territoire de l’État membre d’accueil est légal au sens de cette directive (31), puis, si la situation de l’intéressé ne relève pas néanmoins du champ d’application de la dérogation visée au second paragraphe de cet article 24 (32). En effet, en vertu de cette dérogation, le droit à l’égalité de traitement avec les nationaux peut être refusé dans trois cas, à savoir au cours des trois premiers mois de séjour dans l’État membre d’accueil, au cours de la période éventuellement supérieure à ces trois mois correspondant à la recherche d’emploi conformément à l’article 14, paragraphe 4, sous b), de cette directive, et, s’agissant d’une demande d’entretien aux études par certains étudiants, tant que ceux‑ci n’ont pas acquis un droit de séjour permanent dans cet État membre.

67.      À la suite de ces arrêts, un doute pouvait subsister quant au point de savoir si les considérations de la Cour relatives au lien entre l’article 24 de la directive 2004/38 et l’article 4 du règlement no 883/2004 ne concernaient que les prestations sociales à caractère non‑contributif, telles que le revenu minimal, ou si elles s’appliquaient aux prestations de sécurité sociale visées par ce règlement. L’arrêt Commission/Royaume‑Uni précise que ces considérations s’appliquent de la même manière à des prestations de sécurité sociale (33).

68.      Je déduis de cette jurisprudence que les conditions précisées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 s’appliquent également à l’ensemble des prestations de sécurité sociale et notamment à celles relevant de la première branche de sécurité sociale mentionnée à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004, à savoir aux prestations de maladie.

69.      La question qui se pose dans la présente affaire est celle de savoir si, une fois ces conditions remplies, le citoyen de l’Union bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil en matière de droit à des prestations de soins de santé prises en charge par l’État.

70.      Je souligne que A remplit les deux conditions de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38. Il ressort de la décision de renvoi (34) et il est constant entre les parties que, au moment où il a introduit sa demande d’affiliation à la sécurité sociale lettonne afin de bénéficier de telles prestations, A disposait de ressources suffisantes et d’une assurance maladie complète. En ce qui concerne cette dernière condition, il a été précisé lors de l’audience devant la Cour qu’il avait souscrit cette dernière auprès d’une compagnie d’assurance privée. Il n’est, par ailleurs, pas contesté qu’il a continué à remplir ces deux conditions à tout moment, après sa demande d’affiliation à la sécurité sociale de l’État membre d’accueil. Un tel citoyen de l’Union devrait donc, en principe, bénéficier de l’égalité de traitement avec les nationaux, en vertu de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 dès lors qu’il ne relève pas de l’un des trois cas visés au paragraphe 2 de cette disposition et, partant, pouvoir être affilié à la sécurité sociale de l’État membre d’accueil dans les mêmes conditions que les nationaux (35). Cela impliquerait qu’il puisse non seulement avoir accès aux prestations de soins de santé relevant du régime de santé publique, mais aussi que ces prestations soient prises en charge par l’État dans les mêmes conditions que celles applicables aux nationaux (36).

71.      Néanmoins, la logique exposée au point précédent ne va pas de soi, comme en attestent les observations des gouvernements letton et espagnol, ainsi que de la Commission.

72.      Le gouvernement letton souligne que la condition de disposer d’une assurance maladie complète n’a pas été incluse par hasard, mais qu’elle poursuit un objectif déterminé. Tout comme l’exigence de ressources suffisantes vise à ce qu’une personne puisse elle‑même subvenir à ses besoins lors de son séjour de plus de trois mois dans un autre État membre et à ce que ce dernier ne doive pas lui octroyer des prestations d’assistance sociale sous la forme d’un minimum vital, l’exigence d’une assurance maladie complète a également pour objectif que la personne n’exerçant pas un emploi ou une activité indépendante couvre elle‑même ses frais de santé et que l’État membre concerné n’ait pas à prendre à sa charge de tels frais. De l’avis de ce gouvernement, il ne saurait être admis qu’une personne invoque l’égalité de traitement énoncée à l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 pour bénéficier des prestations de soins de santé prises en charge par l’État, alors que, conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive, elle doit avoir une assurance maladie complète pour obtenir le droit de séjourner légalement dans l’État membre d’accueil plus de trois mois.

73.      La Commission considère de manière analogue, en faisant référence à l’arrêt Dano (37), que le refus de l’État membre d’accueil de donner accès à son système de sécurité sociale à un citoyen de l’Union, tel que A, à égalité avec ses propres ressortissants résidant sur son territoire, n’est qu’une conséquence inévitable de la directive 2004/38, en l’occurrence, de la condition de détenir une assurance maladie complète, conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive.

74.      Le gouvernement espagnol soutient la position du gouvernement letton et de la Commission.

75.      Si je résume leurs positions, ces derniers considèrent que, dès lors que les conditions de disposer de ressources suffisantes et d’une assurance maladie complète doivent être satisfaites pour prétendre au droit à l’égalité de traitement au titre de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, lu en combinaison avec les articles 7 et 14 de cette directive, ce droit ne peut être invoqué que pour l’octroi de prestations autres que celles permettant de remplir ces conditions, sous peine de vider ces dernières de leur sens.

76.      Autrement dit, le droit à l’égalité de traitement ne saurait, selon ces gouvernements et la Commission, porter sur l’octroi d’un revenu minimal ou sur l’affiliation au système de santé publique de l’État membre d’accueil, lesquels permettent précisément de satisfaire aux conditions établies à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38.

77.      Je comprends ce raisonnement. Je considère, ainsi que je vais le démontrer, que la condition énoncée à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 de disposer d’une assurance maladie complète vise en effet à éviter qu’un citoyen de l’Union économiquement inactif ne devienne une charge déraisonnable pour l’État membre d’accueil avant d’avoir acquis un droit de séjour permanent conformément à l’article 16 de cette directive, c’est‑à‑dire au terme des cinq premières années de séjour. Je considère en effet que, pendant cette période, l’État membre d’accueil est, en principe, en droit d’exiger que le citoyen de l’Union souscrive, à ses frais, une assurance maladie qui couvre ses dépenses de santé dans l’État membre d’accueil (38). Par conséquent, dans la grande majorité des cas, cet État membre est en droit, à mon sens, de refuser que ce citoyen soit affilié à son système de sécurité sociale.

78.      Toutefois, la question que la Cour doit trancher en l’occurrence est celle de savoir si un État membre peut « automatiquement et en toutes circonstances » (39) refuser d’affilier un citoyen de l’Union économiquement inactif à son système de sécurité sociale dans les mêmes conditions que ses propres ressortissants. Je souligne que, même pour les nationaux, les soins de santé publique pris en charge par l’État ne sont en général pas « gratuits ». Ils y contribuent soit par des cotisations, soit par l’impôt en fonction du mode de financement de la sécurité sociale établi par chaque État membre.

79.      Cette problématique se pose tout particulièrement s’agissant d’un citoyen de l’Union qui, tout en répondant aux conditions énoncées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, a quitté durablement son État membre d’origine, où il n’est, de ce fait, plus affilié à la sécurité sociale, et qui s’est installé à des fins de regroupement familial dans un autre État membre vers lequel il a déplacé le centre de tous ses intérêts tant familiaux que personnels et professionnels.

80.      Je considère, à cet égard, qu’il convient d’adopter une interprétation plus nuancée que celle proposée tant par les gouvernements letton et espagnol que par la Commission, ainsi que l’arrêt Jobcenter Krefeld, relatif à la condition de disposer de ressources suffisantes, nous y invite. Une telle approche s’impose encore davantage, à mon sens, s’agissant de la condition de disposer d’une assurance maladie complète. Je vais démontrer que le refus systématique de faire bénéficier les ressortissants des autres États membres économiquement inactifs de prestations de soins de santé publique, dans les mêmes conditions que les nationaux, avant qu’ils n’acquièrent un droit de séjour permanent, au terme de cinq années de séjour sur le territoire de l’État membre d’accueil, n’est pas étayé par le libellé des articles 7, 14 et 24 de la directive 2004/38 et qu’il est contraire à l’objectif de libre circulation du citoyen de l’Union ainsi qu’à la notion même de « citoyenneté de l’Union ».

2.      Sur la notion d’« assurance maladie complète » au regard du libellé et du contexte de l’article 7, paragraphe 1,de la directive 2004/38

81.      La condition de disposer d’une assurance maladie complète figure à l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2004/38.

82.      Je relève, tout d’abord, que la directive 2004/38, notamment à ses articles 7, 14 et 24, n’énonce pas expressément qu’un État membre peut refuser d’affilier un citoyen de l’Union à son système de sécurité sociale et, partant, de lui octroyer une couverture maladie publique au motif qu’il est économiquement inactif dans la période de séjour entre trois mois et cinq ans depuis son arrivée dans cet État membre.

83.      En particulier, la dérogation figurant à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 ne prévoit pas une telle limite au droit à l’égalité de traitement. Je rappelle que, en tant que dérogation à une liberté fondamentale, cette disposition doit, selon la Cour, être interprétée de manière stricte. De plus, la Cour a précisé sa portée dans son récent arrêt Jobcenter Krefeld (40) en soulignant, premièrement, que celle‑ci ne s’applique qu’aux situations visées à l’article 24, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, et, partant, seulement aux citoyens de l’Union dont le droit de séjour est fondé sur la directive elle‑même (41). Deuxièmement, s’agissant de l’application de la dérogation à un demandeur d’emploi, la dérogation vise les personnes qui disposent d’un droit de séjour fondé uniquement sur l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2004/38 (42).

84.      Il s’ensuit qu’un citoyen de l’Union, tel que A, qui dispose d’un droit de séjour fondé sur l’article 7, paragraphe 1, sous b), ainsi que sur l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2004/38, et non pas seulement sur l’article 14, paragraphe 4, sous b), de cette directive, ne relève pas de la dérogation visée à l’article 24, paragraphe 2, de ladite directive (43).

85.      J’observe, ensuite, que, contrairement au libellé de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, imposant au citoyen de l’Union la condition de disposer de ressources suffisantes « afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour (44) », le législateur de l’Union n’a pas établi un tel lien entre la condition de disposer d’une assurance maladie complète et l’existence d’une telle charge. Ainsi, le législateur a considéré que le manque de ressources suffisantes peut constituer une charge susceptible de justifier le refus d’accorder des prestations sociales à égalité avec les nationaux (45). En revanche, s’agissant de l’assurance maladie complète, le souci du législateur était d’éviter que le citoyen de l’Union séjournant dans un État membre d’accueil devienne pour celui‑ci non pas simplement une charge, mais une charge déraisonnable (46).

86.      J’examine la notion de « charge déraisonnable » en détail à partir du point 92 des présentes conclusions. Je soulignerai simplement à ce stade que la qualification de « déraisonnable » constitue une différence sensible.

87.      S’agissant, enfin, de la portée de la notion d’« assurance maladie complète », je souligne que celle‑ci n’est pas définie par la directive 2004/38.

88.      Selon le langage courant, le terme « assurance » fait référence à un « contrat par lequel un assureur garantit à l’assuré, moyennant une prime ou une cotisation, le paiement d’une somme convenue en cas de réalisation d’un risque déterminé » (47). En l’occurrence, l’assurance maladie vise à couvrir les risques en matière de soins de santé. Le terme « complète » porte sur l’étendue des risques devant être couverts dans l’État membre d’accueil.

89.      La directive 2004/38 ne contient toutefois aucune précision sur la portée de ces termes. En particulier, elle n’indique pas si l’assurance maladie doit être privée ou publique. Les gouvernements qui sont intervenus dans la présente affaire et la Commission sont partis de la prémisse que l’assurance dont il s’agit est une assurance privée. Mais cela ne ressort pas des termes de la disposition. Il n’est pas indiqué non plus si l’assurance doit être fournie par un organisme ou par une entreprise de l’État membre d’accueil ou si elle peut provenir d’un autre État membre, notamment de l’État membre d’origine du citoyen de l’Union.

90.      L’arrêt Baumbast et R (48) ainsi que les lignes directrices de la Commission relatives à l’application de la directive 2004/38 (49) apportent quelques éclaircissements à cet égard. Il ressort de cet arrêt que le citoyen de l’Union concerné, qui réclamait un droit de séjour dans l’État membre d’accueil dans lequel il avait exercé sa liberté de circulation, en l’occurrence le Royaume‑Uni, disposait d’une assurance maladie complète dans son État membre d’origine, l’Allemagne, octroyée par le système de sécurité sociale de ce dernier (50).

91.      Le mode d’assurance ne semble donc pas déterminant. Ce qui importe est de disposer d’une couverture maladie (51).

92.      Le contexte de la directive 2004/38 apporte par ailleurs un éclairage supplémentaire. Je relève que, selon le considérant 10 de cette directive, les conditions figurant à l’article 7 de ladite directive visent, notamment, à éviter que les citoyens de l’Union concernés ne deviennent une « charge déraisonnable » pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil (52).

93.      La genèse de la disposition et les lignes directrices relatives à l’application de la directive 2004/38 mettent également en exergue l’importance pour les États membres d’éviter que le citoyen de l’Union économiquement inactif ne devienne une telle charge.

94.      Cette préoccupation d’ordre économique figurait en effet déjà dans les trois directives de 1990 ayant précédé la directive 2004/38 (53), notamment la directive 90/364, et faisait suite au rapport du comité ad hoc « Europe des citoyens », dit « rapport Adonnino » de 1985 (54). Ce dernier avait suggéré de prévoir, outre la condition de disposer de ressources suffisantes, celle de disposer d’une « couverture adéquate des risques de maladie » afin de faciliter l’adoption du projet de directive 90/364 prévoyant un droit de séjour pour les citoyens de l’Union économiquement inactifs (55).

95.      Quant aux lignes directrices relatives à l’application de la directive 2004/38, elles indiquent que « [t]oute assurance, privée ou publique, souscrite dans l’État membre d’accueil ou ailleurs, est en principe acceptable tant qu’elle prévoit une [couverture complète] et ne crée pas de charge pour les finances publiques de l’État membre d’accueil (56) ».

96.      Je note d’ailleurs que dans son projet de révision du règlement no 883/2004 visant à prendre en compte la jurisprudence de la Cour, la Commission a envisagé que le citoyen de l’Union ait accès au système de sécurité sociale de l’État membre d’accueil, s’il y réside de manière habituelle, en cotisant de manière proportionnée à un régime d’assurance maladie (57).

97.      Il découle des considérations qui précèdent que l’assurance maladie complète peut être privée ou publique et résulter d’une affiliation au système de sécurité sociale d’un État membre, notamment de l’État membre d’origine du citoyen de l’Union, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Baumbast, mais aussi de l’État membre d’accueil (58). En l’absence de précisions dans la directive 2004/38 sur la notion d’« assurance maladie complète », j’estime que la condition de disposer d’une assurance maladie complète doit s’entendre comme l’obligation de disposer d’une couverture complète en matière de soins de santé, quels que soient l’origine de celle‑ci et le mode éventuel d’affiliation. La mention d’une « assurance maladie complète » en tant que condition d’un séjour légal d’un citoyen de l’Union conformément à la directive 2004/38 ne saurait, à mon sens, à elle seule, faire obstacle à l’existence d’un droit du citoyen de l’Union économiquement inactif d’être affilié au système de sécurité sociale de l’État membre d’accueil. Encore faut-il qu’une telle affiliation crée une « charge déraisonnable » pour l’équilibre financier de l’État membre d’accueil.

98.      Or, ainsi que je le démontrerai ci-après, cette conséquence n’est pas automatique.

3.      Sur la notion de « charge déraisonnable »

99.      Dans l’arrêt Baumbast, la Cour a souligné que le droit de libre circulation et de séjour a été étendu par le traité FUE à tout citoyen de l’Union, qu’il exerce ou non une activité économique, tout en rappelant que ce droit est soumis aux limitations et aux conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application (59). La Cour a expliqué que ces limitations s’inspirent de l’idée que l’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union peut être subordonné aux « intérêts légitimes » des États membres, parmi lesquels figure celui que les bénéficiaires de ce droit ne deviennent pas une « charge déraisonnable pour les finances publiques de l’État membre d’accueil » (60).

100. La Cour a ajouté que l’application de ces limitations et conditions doit être faite dans le respect des limites imposées par le droit de l’Union et conformément au principe de proportionnalité (61).

101. À cet égard, j’observe que l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2004/38 prévoit que le recours au système d’assistance sociale par un citoyen de l’Union n’entraîne pas automatiquement une mesure d’éloignement. Cette disposition reflète l’appréciation de la Cour dans l’arrêt Grzelczyk (62) selon laquelle le seul fait qu’un étudiant demande à bénéficier d’un revenu minimal dans l’État membre d’accueil ne peut automatiquement conduire à la perte de son droit de séjour et au refus de lui octroyer la prestation sociale demandée (63). J’en déduis que l’octroi d’une telle prestation sociale ne constitue pas toujours une charge déraisonnable.

102. Quand une charge devient-elle déraisonnable ?

103. La notion de « charge déraisonnable » a notamment été appliquée dans les arrêts García-Nieto, Alimanovic et Dano et précisée dans l’arrêt Jobcenter Krefeld [section a)]. Elle a également fait l’objet d’un examen dans le cadre d’affaires où la situation du citoyen de l’Union présentait un lien d’intégration avec l’État membre d’accueil [section b)]. Si les affaires à la base des arrêts mentionnés à la section a) ne se prêtaient pas à un examen individuel de la situation des citoyens concernés, un tel examen est nécessaire dans une affaire telle que celle au principal [section c)].

a)      Sur la notion de « charge déraisonnable » au sens des arrêts García-Nieto, Alimanovic et Dano telle que précisée dans l’arrêtJobcenter Krefeld

104. Dans l’arrêt Jobcenter Krefeld, la Cour a pris soin d’expliciter qu’une personne, telle que le requérant dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, ne constituait pas une charge déraisonnable pour le système de sécurité sociale de l’État membre d’accueil en distinguant sa situation de celle de Mme García-Nieto, de M. Alimanovic et de Mme Dano, à savoir les citoyens de l’Union respectivement concernés dans les arrêts du même nom.

105. Contrairement à Mme García-Nieto, le citoyen de l’Union concerné dans l’affaire à la base de l’arrêt Jobcenter Krefeld, père de famille et ancien salarié dans l’État membre d’accueil, ne réclamait pas une prestation sociale pour ses trois premiers mois de séjour sur le territoire de cet État.

106. Contrairement à M. Alimanovic, ce citoyen de l’Union ne prétendait pas non plus à une telle prestation au titre d’un droit de séjour pour une période supérieure à ces trois premiers mois, fondée uniquement sur sa recherche d’emploi dans l’État membre d’accueil, puisqu’il détenait un droit de séjour autonome fondé sur l’article 10 du règlement no 492/2011.

107. Enfin, contrairement à Mme Dano, ledit citoyen de l’Union n’était pas entré sur le territoire de l’État membre d’accueil sans emploi ni ressources suffisantes uniquement aux fins d’y bénéficier des prestations d’assistance sociale octroyées par ce dernier à ses propres ressortissants.

108. Par conséquent, et alors même qu’il demandait une prestation de subsistance, le citoyen de l’Union en cause ne devait pas être considéré comme constituant une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil (64).

109. Ces considérations sont pertinentes pour un citoyen de l’Union tel que A, dès lors que sa situation se distingue elle aussi nettement de celles de Mme García-Nieto, de M. Alimanovic et de Mme Dano.

110. En effet, sa demande ne porte pas sur les trois premiers mois de son entrée dans l’État membre d’accueil, mais sur une période postérieure à ceux‑ci. Son droit de séjour n’est pas uniquement fondé sur une recherche d’emploi dans l’État membre d’accueil au titre de l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2004/38, puisqu’il est constant qu’il réside légalement dans l’État membre d’accueil sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive. Enfin, contrairement à Mme Dano, A n’est pas entré sur le territoire de l’État membre d’accueil afin d’obtenir des prestations d’assistance sociale de cet État membre ou des soins de santé gratuits. Alors que Mme Dano n’avait jamais travaillé et ne cherchait pas à obtenir un emploi dans l’État membre d’accueil, A a déjà travaillé en Italie et a recherché un emploi en Lettonie (65).

111. De telles constatations permettent, me semble-t-il, d’écarter le risque qu’un citoyen de l’Union, tel que A, constitue une charge déraisonnable au sens des trois cas précédemment analysés par la Cour.

112. Par ailleurs, loin de se comporter en « touriste social », expression utilisée pour caractériser le comportement de Mme Dano, A a tissé des liens particuliers avec l’État membre d’accueil, lesquels, conformément à la jurisprudence de la Cour, entraînent des conséquences sur la notion de « charge déraisonnable ». J’examine celles‑ci dans la prochaine section.

b)      Sur la notion de « charge déraisonnable »examinée à la lumière du lien d’intégration avec l’État membre d’accueil

113. La Cour a été amenée à examiner l’incidence que pouvait avoir le lien d’intégration d’un citoyen de l’Union économiquement inactif avec un État membre d’accueil sur le droit de ce citoyen à des prestations d’assistance sociale au même titre que les nationaux. La jurisprudence de la Cour s’est développée notamment dans le cadre d’affaires concernant des étudiants économiquement inactifs poursuivant leurs études dans l’État membre d’accueil (66).

114. La Cour a ainsi examiné dans l’arrêt Bidar (67) si l’octroi d’aides financières à des étudiants sous la forme de bourses d’entretien destinées à les aider dans leurs dépenses de vie au quotidien était de nature à constituer une charge déraisonnable susceptible d’avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État.

115. La Cour a jugé dans cet arrêt qu’afin d’éviter un tel effet, il est légitime pour un État membre de n’octroyer une telle aide qu’aux étudiants ayant démontré un certain degré d’intégration dans la société de cet État (68). Elle a considéré comme étant pertinent le fait que le citoyen de l’Union ait établi un lien réel avec la société de cet État en y séjournant légalement et en y effectuant une partie importante de ses études secondaires. La Cour a jugé qu’une législation nationale qui empêche un tel citoyen de poursuivre ses études universitaires dans l’État membre d’accueil dans les mêmes conditions que les nationaux en matière d’aides financières, sans tenir compte du degré d’intégration réelle de ce citoyen dans la société de cet État, n’est pas justifiée par l’objectif légitime que cette législation vise à garantir (69).

116. Dans l’arrêt Förster (70), postérieur à l’arrêt Bidar, la Cour a toutefois jugé, en se fondant sur les termes de la directive 2004/38, qu’un État membre peut considérer comme légitime le fait de ne pas octroyer une telle aide d’entretien à des étudiants en provenance d’autres États membres séjournant sur son territoire aux fins de leurs études, tant qu’ils n’ont pas séjourné sur son territoire pendant cinq ans. Mais je souligne que la directive 2004/38 contient une disposition expresse en ce sens à son article 24, paragraphe 2.

117. Par conséquent, en l’absence d’une disposition expresse permettant de déroger au droit à l’égalité de traitement en cas de demande d’affiliation à la sécurité sociale de l’État membre d’accueil, j’estime que la jurisprudence de la Cour en matière de lien réel d’intégration avec la société de l’État membre d’accueil et de notion de « charge déraisonnable » est pertinente dans le cadre de la présente affaire (71).

118. Ce lien réel d’intégration dans l’État membre d’accueil, qui doit être démontré, peut reposer sur un faisceau d’indices tels que le contexte familial et l’enracinement de la famille dans cet État membre (72), l’existence de liens sociaux ou économiques (73) ou de liens personnels tels que le mariage avec un ressortissant de cet État membre et le séjour habituel sur le territoire de ce dernier (74) ou, encore, de l’emploi sur ce territoire de membres de la famille dont dépend le citoyen de l’Union (75).

119. Je rappelle que le lien réel d’intégration ne doit pas être fixé de manière uniforme, mais doit être établi en fonction des éléments constitutifs de la prestation en cause, notamment sa nature et sa finalité (76). S’agissant de l’affiliation à la sécurité sociale, les États membres peuvent, à mon sens, considérer que le lien d’intégration caractérisé notamment par la résidence habituelle de l’intéressé dans l’État membre d’accueil n’est démontré qu’après une durée raisonnable de séjour dans cet État membre, pourvu que celle‑ci ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour s’assurer que l’intéressé a transféré le centre de ses intérêts vers ce dernier (77).

120. Or, dans le cas d’un citoyen de l’Union tel que A, je rappelle qu’il n’est pas contesté qu’il a quitté son État membre d’origine, l’Italie, pour s’installer pour une durée illimitée auprès de son épouse et de leurs enfants mineurs en Lettonie et qu’il a, selon les termes mêmes de la juridiction de renvoi, déplacé le « centre de ses intérêts » dans cet État membre, avec lequel il a noué des « liens personnels étroits ». Il apparaît ainsi, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, qu’il présente un lien d’intégration réel avec la société de cet État membre.

121. Cela étant, les conséquences à tirer de l’existence d’un tel lien d’intégration doivent encore être appréciées en tenant compte du fait que le secteur de la santé publique présente des particularités qui sont reconnues par le traité FUE et reflétées dans la jurisprudence de la Cour. Cette dernière a jugé de manière constante que la protection de la santé publique figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général qui peuvent, en vertu de l’article 52 TFUE, justifier des restrictions à la liberté d’établissement (78) et à la libre prestation de services (79). Il en va de même s’agissant de la liberté de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union, en vertu de l’article 27 de la directive 2004/38. Cette dérogation couvre plus précisément deux objectifs, celui de maintenir un service médical ou hospitalier de qualité, équilibré et accessible à tous et celui de prévenir un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale (80).

122. À la lumière de ces considérations, j’estime que dès lors qu’un citoyen de l’Union économiquement inactif, présentant un lien réel d’intégration dans l’État membre d’accueil et disposant de ressources suffisantes, contribue financièrement au système de sécurité sociale de cet État membre à égalité avec les nationaux soit par des cotisations, lorsque le système repose sur un mécanisme d’assurance, soit par l’impôt, s’agissant d’un système national de santé comme celui qui était en vigueur en Lettonie en 2016 (81), son affiliation à ce système dans les mêmes conditions que les nationaux ne devrait pas, en principe, créer un risque d’atteinte grave pour l’équilibre financier de ce dernier, voire constituer une charge déraisonnable. Il appartient, toutefois, à chaque État membre de le vérifier.

123. En effet, il ne peut être exclu qu’un citoyen de l’Union économiquement inactif, se trouvant dans la même situation qu’un ressortissant de l’État membre d’accueil, ne soit contraint au versement ni de l’impôt ni de cotisations de sécurité sociale, ou n’y soit contraint que de manière symbolique. J’estime que, dans ce cas, s’il apparaît que l’affiliation du citoyen de l’Union dans les mêmes conditions que les nationaux est susceptible de créer un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier de l’État membre d’accueil, ce dernier n’est pas tenu d’accorder un traitement égal à ce citoyen. L’existence d’un tel risque devrait toutefois être vérifiée sur la base de données objectives, circonstanciées et chiffrées (82).

124. Dans de telles circonstances, j’estime que rien ne s’oppose à ce qu’un système de cotisations additionnelles soit mis en place par l’État membre d’accueil ou, à défaut, s’agissant d’un système national de santé reposant sur l’impôt, à ce que cet État membre demande au citoyen de l’Union de maintenir son assurance maladie complète privée en contrepartie de son affiliation (83).

125. Je considère ainsi, à la lumière de l’analyse qui précède, que le citoyen de l’Union économiquement inactif qui dispose de ressources suffisantes et présente un lien réel d’intégration dans l’État membre d’accueil peut, le cas échéant, bénéficier de l’affiliation à la sécurité sociale de cet État membre, avant même d’avoir retrouvé un emploi ou une activité indépendante dans cet État membre ou d’y avoir acquis un droit de séjour permanent conformément à l’article 16 de la directive 2004/38 (84).

126. Il en résulte que le refus automatique et en toutes circonstances d’affilier un citoyen de l’Union, tel que A, au système de sécurité sociale de l’État membre d’accueil et de lui permettre de bénéficier des prestations de soins de santé publique dans les mêmes conditions que les nationaux n’est, à mon sens, pas conforme à l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous b), et à l’article 14, paragraphe 2, de cette directive.

127. Cette considération n’est pas remise en cause par la circonstance que la situation d’un tel citoyen de l’Union requiert un examen individuel aux fins de vérifier qu’il est bien intégré dans l’État membre d’accueil.

c)      Sur la nécessité d’un examen individuel de la situation du citoyen de l’Union pour déterminer s’il constitue une charge déraisonnable

128. Je rappelle que l’examen au cas par cas de la situation du citoyen de l’Union, afin de déterminer s’il peut prétendre à une prestation sociale à égalité avec les nationaux, doit être effectué dans de nombreuses situations afin qu’il ne soit pas porté atteinte au droit à sa liberté de circulation et de séjour. C’est notamment le cas d’un étudiant, tel que M. Grzelczyk qui demande un minimum pour vivre et dont il convient de vérifier si son besoin est temporaire (85). C’est également le cas d’un citoyen de l’Union, tel que M. Baumbast, dont l’examen de la situation exige de vérifier différents paramètres dont celui de savoir s’il avait précédemment été à la charge de l’État membre d’accueil.

129. Dans les arrêts Alimanovic et García-Nieto, la Cour a certes jugé que le type d’affaires à la base de ces arrêts et de l’arrêt Dano ne se prête pas à un examen individuel de la situation des intéressés aux fins d’apprécier s’ils constituent une charge déraisonnable (86). La Cour a souligné que l’aide accordée à un seul demandeur peut difficilement être qualifiée de « charge déraisonnable » pour un État membre, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2004/38, et qu’il fallait nécessairement tenir compte de l’ensemble des demandes individuelles qui lui seraient soumises (87).

130. Il résulte implicitement de ces considérations que, prises dans leur ensemble, les situations à la base de ce type d’affaires doivent être regardées comme constituant une charge déraisonnable et que les États membres concernés ne sont pas tenus d’octroyer les prestations sociales demandées.

131. Ainsi, le fait que la situation de chacune de ces personnes, prise individuellement, ne constitue pas une charge déraisonnable n’est pas déterminant. Si leur situation correspond à l’un des cas expressément visés par le législateur, notamment à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, comme dans les affaires à la base des arrêts García-Nieto et Alimanovic, ou concerne une personne qui, à l’instar de Mme Dano, a exercé sa liberté de circulation dans le seul but de bénéficier des prestations sociales de l’État membre d’accueil, de telles demandes doivent être considérées comme susceptibles de générer une charge déraisonnable pour l’équilibre financier de l’État membre d’accueil et ce dernier n’est pas tenu d’y faire droit.

132. En revanche, s’agissant de la situation d’une personne telle que A, qui ne relève pas de ces cas, la démarche inverse s’impose à mon sens. Un examen de la situation individuelle de l’intéressé doit être effectué afin de s’assurer qu’il est bien intégré dans l’État membre d’accueil, en particulier, qu’il y « réside de manière habituelle » au sens du règlement no 883/2004 et, partant, qu’il peut être affilié à son système de sécurité sociale dans les mêmes conditions que les nationaux, sous réserve qu’il ne relève pas de la situation mentionnée aux points 123 et 124 des présentes conclusions. Les éléments pertinents incluent notamment ceux énumérés à l’article 11 du règlement (CE) no 987/2009 (88), tels que sa situation familiale, le caractère permanent de son logement, l’État membre dans lequel il est censé résider aux fins de l’impôt ou encore les raisons qui ont amené ce citoyen à se déplacer.

133. L’analyse qui précède, portant sur la notion de « charge déraisonnable », est applicable de la même manière dans le cadre de l’interprétation du règlement no 883/2004.

4.      Sur les conséquencesà tirer de la notion de « charge déraisonnable »quant à l’interprétation du règlement no 883/2004

134. Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, les juridictions lettonnes ont considéré que la loi de l’État membre de résidence, en l’occurrence la loi lettonne, était applicable, en vertu de l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004.

135. Cette loi peut définir l’étendue des prestations maladie couvertes par l’État membre et les conditions à remplir pour prétendre à ces prestations. Ainsi que je l’ai indiqué au point 53 des présentes conclusions, les États membres sont compétents pour aménager leur système de sécurité sociale et, partant, pour définir l’étendue des prestations offertes ainsi que les conditions d’ouverture des droits à ces prestations. Il en résulte que le déplacement du citoyen de l’Union peut, selon les cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour lui, selon la combinaison des réglementations nationales applicables en vertu du règlement no 883/2004 (89).

136. Toutefois, le problème dans la présente affaire n’est pas de savoir si le citoyen de l’Union qui a exercé sa liberté de circulation peut se voir accorder des prestations moins étendues que celles dont il aurait pu bénéficier dans son État membre d’origine, mais s’il peut se voir refuser le bénéfice de toute prestation de soins de santé prise en charge par l’État hormis les soins urgents et les soins obstétriques.

137. Ainsi que je l’ai rappelé au point 52 des présentes conclusions, l’objectif poursuivi par le règlement no 883/2004, en particulier à son article 11, paragraphe 3, sous e), est, notamment, d’éviter que des personnes qui relèvent du champ d’application du règlement soient privées de protection en matière de sécurité sociale au motif qu’aucune législation ne leur serait applicable (90).

138. Dans un cas tel que celui de A, le citoyen de l’Union n’est plus affilié dans son État membre d’origine, car il a cessé son activité professionnelle dans cet État membre et a déplacé sa résidence dans un autre État membre (91). La désignation de la loi de l’État membre de résidence vise en principe à éviter qu’il soit privé de toute affiliation (92).

139. La Cour a ainsi jugé que, dans une situation qui est régie par l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004 et, par conséquent, par la loi de l’État membre de résidence de l’intéressé, l’application de cette loi ne saurait être remise en cause par la circonstance selon laquelle certains États membres subordonneraient l’affiliation de l’intéressé au système de sécurité sociale nationale à la condition que celui‑ci exerce une activité salariée sur leur territoire, de sorte que, si l’intéressé ne remplit pas cette condition, il serait susceptible de ne pas être affilié à un système de sécurité sociale et d’être privé de protection (93).

140. La Cour a précisé que, s’il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions de l’existence du droit de s’affilier à un régime de sécurité sociale, les États membres sont néanmoins tenus, en fixant ces conditions, de respecter les dispositions du droit de l’Union. Conformément à une jurisprudence constante, les conditions de l’existence du droit de s’affilier à un régime de sécurité sociale ne peuvent avoir pour effet d’exclure du champ d’application de la législation en cause les personnes auxquelles, en vertu du règlement no 883/2004, cette législation est applicable (94).

141. À cet égard, afin de déterminer si les conditions prévues par une législation nationale, telle que la loi sur les soins médicaux, sont conformes au règlement no 883/2004, il importe, au vu du lien entre l’article 4 du règlement no 883/2004 et l’article 24 de la directive 2004/38, de tenir compte de l’interprétation de l’article 24 de cette directive et, notamment, du résultat auquel je parviens aux points 125 et 126 des présentes conclusions.

142. Il en découle que la condition d’exercer un emploi ou une activité indépendante sur le territoire de l’État membre d’accueil, telle que celle prévue par la loi sur les soins médicaux, imposée uniquement aux ressortissants des autres États membres, et ce en toutes circonstances, tant qu’ils n’ont pas acquis un droit de séjour permanent dans l’État membre d’accueil, n’est également pas conforme au droit à l’égalité de traitement prévu à l’article 4 du règlement no 883/2004.

143. De surcroît, je constate que cette différence de traitement ne correspond pas à l’objectif du règlement no 883/2004 de faciliter la libre circulation de l’ensemble des citoyens de l’Union. En effet, contrairement au précédent règlement no 1408/71, qui ne concernait que les travailleurs salariés et non salariés ainsi que les membres de leurs familles, le règlement no 883/2004 s’applique désormais à tous les citoyens de l’Union, y compris aux personnes économiquement inactives et donc sans emploi (95).

144. Il résulte de l’analyse qui précède que la loi de l’État membre d’accueil ne saurait automatiquement et en toutes circonstances dénier à un citoyen de l’Union, qui a déplacé le centre de ses intérêts sur le territoire de cet État membre et qui présente un lien réel d’intégration avec celui‑ci, tout droit à affiliation au seul motif qu’il n’exerce pas d’emploi ou une activité indépendante sur son territoire.

145. S’agissant en particulier d’un citoyen de l’Union tel que A, qui déménage dans un autre État membre à des fins de regroupement familial, considérer qu’il perdrait tous ses droits à la sécurité sociale en matière de santé tant qu’il n’y aurait pas vécu cinq ans ou qu’il n’y aurait pas retrouvé un emploi ou une activité indépendante n’est pas conforme, à mon sens, au droit à la liberté de circulation du citoyen de l’Union garanti à l’article 21 TFUE et concrétisé par la directive 2004/38 et par le règlement no 883/2004 ni à la notion même de « citoyenneté de l’Union ».

5.      Sur l’objectif de libre circulation du citoyen de l’Union

146. Le droit à la liberté de circulation se traduit par la faculté du citoyen de l’Union de se rendre temporairement dans un autre État membre que son État membre d’origine à des fins de travail, d’études ou de loisirs. Mais ce droit comprend aussi celui de s’installer dans un autre État membre dans la durée et d’y construire sa vie. Ce dernier choix, inhérent à la liberté de circulation, implique la faculté de s’intégrer pleinement dans la société de l’État membre d’accueil en y étant traité comme ses propres ressortissants.

147. Si le citoyen de l’Union, tel que A, démontre à la satisfaction des autorités de l’État membre d’accueil qu’il a déplacé le centre de ses intérêts dans ce dernier, en sorte qu’il présente un lien réel d’intégration avec le territoire de cet État, il serait porté atteinte à sa liberté de circulation, ainsi que la juridiction de renvoi le souligne, s’il ne pouvait être affilié à la sécurité sociale de l’État membre d’accueil dans les mêmes conditions que ses ressortissants (96).

148. Je rappelle que le droit à la sécurité sociale est un principe fondamental inscrit à l’article 34 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, tout comme le droit à la protection de la santé, inscrit à l’article 35 de celle-ci.

149. L’impossibilité d’être ainsi affilié, alors que le citoyen de l’Union ne relève plus du système de sécurité sociale de son État membre d’origine, en raison précisément de son choix de vie de quitter ce dernier en s’installant à long terme dans un autre État membre, est susceptible de priver l’intéressé d’une protection fondamentale.

150. Dans sa décision de renvoi, l’Augstākā tiesa (Senāts) (Cour suprême) souligne qu’« il serait inadmissible qu’une personne soit ainsi exclue du système de sécurité sociale de tous les États membres de l’Union concernés » du seul fait qu’elle a exercé son droit à la liberté de circulation. Je partage ce point de vue et considère que cette exclusion constituerait une atteinte à l’essentiel du statut de citoyen de l’Union, qui est devenu le statut fondamental des ressortissants des États membres (97).

151. À l’instar de la juridiction de renvoi, j’estime qu’une telle exclusion du système de sécurité sociale n’est pas conforme à l’objectif de l’Union d’assurer la libre circulation des personnes sur le territoire de l’Union et de consolider l’intégration européenne  (98) par une solidarité accrue entre États membres (99).

152. La circonstance que, même s’il apportait une contribution financière au système de sécurité sociale de l’État membre d’accueil, le citoyen de l’Union économiquement inactif bénéficierait d’un système créé par cet État membre principalement pour ses propres ressortissants et fondé sur un mécanisme de solidarité prévu pour ces derniers ne saurait infirmer cette analyse.

153. Je souligne que le droit de l’Union repose sur des valeurs de solidarité qui ont été encore renforcées depuis la création d’une citoyenneté de l’Union et qui ont tout particulièrement vocation à s’appliquer dans un cas tel que celui au principal.

154. Je considère ainsi que dénier systématiquement à une personne telle que A la possibilité d’être affiliée à la sécurité sociale de l’État membre d’accueil au motif que, au moment de sa demande d’affiliation, elle se trouve sans emploi, n’est étayé ni par le libellé de la directive 2004/38 ni par celui du règlement no 883/2004 et ne répond pas à l’objectif de libre circulation garanti par ces deux textes de droit dérivé ni à celui des auteurs des traités inscrit notamment à l’article 21 TFUE.

155. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de juger que l’article 21 TFUE, l’article 4 du règlement no 883/2004 et l’article 24 de la directive 2004/38, lus conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous b), et l’article 14, paragraphe 2, de cette directive, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, s’agissant d’un citoyen de l’Union économiquement inactif qui remplit les conditions énoncées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ladite directive et qui, ayant déplacé le centre de tous ses intérêts dans un État membre d’accueil, démontre un lien réel d’intégration avec celui‑ci, permet à cet État de refuser de manière automatique et en toutes circonstances de l’affilier à son système de sécurité sociale et de le faire bénéficier de prestations de soins de santé prises en charge par l’État, dans les mêmes conditions que les nationaux, au motif qu’il n’exerce pas un emploi ou une activité indépendante sur son territoire.

V.      Conclusion

156. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Augstākā tiesa (Senāts) (Cour suprême, Lettonie) de la manière suivante :

1)      Des prestations de soins de santé publique, telles que celles en cause au principal, qui sont octroyées aux bénéficiaires en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, sur la base d’une situation légalement définie relèvent non pas de la notion d’« assistance sociale et médicale » au sens de l’article 3, paragraphe 5, sous a), du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (UE) no 1372/2013 de la Commission, du 19 décembre 2013, mais de celle de « prestations de maladie » au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de ce règlement.

2)      L’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004, tel que modifié par le règlement no 1372/2013, permet uniquement de déterminer la législation applicable à des prestations de maladie telles que celles en cause au principal et ne porte pas sur les conditions de fond permettant de prétendre à de telles prestations. Cette disposition ne permet pas, à elle seule, d’apprécier la conformité au droit de l’Union d’une réglementation nationale excluant du droit de bénéficier de prestations de soins de santé prises en charge par l’État un citoyen de l’Union qui exerce son droit à la liberté de circulation en quittant son État membre d’origine pour s’installer dans un autre État membre, au motif qu’il n’exerce pas un emploi ou une activité indépendante sur le territoire de ce dernier.

3)      L’article 21 TFUE, l’article 4 du règlement no 883/2004, tel que modifié par le règlement no 1372/2013, ainsi que l’article 24 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, lus conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous b), et l’article 14, paragraphe 2, de cette directive, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, s’agissant d’un citoyen de l’Union économiquement inactif qui remplit les conditions énoncées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ladite directive et qui, ayant déplacé le centre de tous ses intérêts dans un État membre d’accueil, démontre un lien réel d’intégration avec celui‑ci, permet à cet État de refuser de manière automatique et en toutes circonstances de l’affilier à son système de sécurité sociale et de le faire bénéficier de prestations de soins de santé prises en charge par l’État, dans les mêmes conditions que les nationaux, au motif qu’il n’exerce pas un emploi ou une activité indépendante sur son territoire.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34).


3      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 1372/2013 de la Commission, du 19 décembre 2013 (JO 2013, L 346, p. 27) (ci‑après le « règlement no 883/2004 »).


4      Voir arrêts du 11 novembre 2014, Dano (C‑333/13, ci-après l’« arrêt Dano », EU:C:2014:2358) ; du 15 septembre 2015, Alimanovic (C‑67/14, ci-après l’« arrêt Alimanovic », EU:C:2015:597), ainsi que du 25 février 2016, García-Nieto e.a. (C‑299/14, ci-après l’« arrêt García‑Nieto », EU:C:2016:114).


5      Directive du Conseil du 28 juin 1990 relative au droit de séjour des travailleurs salariés et non salariés ayant cessé leur activité professionnelle (JO 1990, L 180, p. 28).


6      Directive du Conseil du 28 juin 1990 relative au droit de séjour des étudiants (JO 1990, L 180, p. 30).


7      Directive du Conseil du 28 juin 1990 relative au droit de séjour (JO 1990, L 180, p. 26).


8      Cette carte permet à son titulaire de bénéficier des soins de santé publique lors d’un séjour temporaire dans l’un des vingt-sept États membres de l’Union, en Islande, au Liechtenstein, en Norvège ou en Suisse, selon les mêmes conditions et au même tarif que les personnes assurées dans ces pays.


9      Règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO 1971, L 149, p. 2).


10      Voir arrêt du 27 mars 1985, Hoeckx (249/83, EU:C:1985:139, point 10).


11      Voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 1992, Hughes (C‑78/91, EU:C:1992:331, point 14).


12      Voir, notamment, arrêts du 27 novembre 1997, Meints (C‑57/96, EU:C:1997:564, point 24), ainsi que du 25 juillet 2018, A (Aide pour une personne handicapée) (C‑679/16, EU:C:2018:601, point 32 et jurisprudence citée).


13      La juridiction de renvoi explique qu’à partir de 2018, ces prestations sont financées tant par des cotisations obligatoires que par l’impôt.


14      Voir arrêt du 16 juillet 1992, Hughes (C‑78/91, EU:C:1992:331, point 21).


15      Voir, dans le cadre du règlement no 1408/71, arrêt du 16 novembre 1972, Heinze (14/72, EU:C:1972:98, point 8).


16      Voir arrêt du 14 juin 2016, Commission/RoyaumeUni (C‑308/14, ci-après l’« arrêt Commission/Royaume-Uni », EU:C:2016:436, point 63) et considérants 3 et 4 du règlement no 883/2004.


17      Voir arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565, point 40), et point 64 de l’arrêt Commission/RoyaumeUni, ainsi que considérant 15 du règlement no 883/2004.


18      Voir, notamment, arrêts du 10 mars 2009, Hartlauer (C‑169/07, EU:C:2009:141, point 29 et jurisprudence citée), et du 16 juillet 2009, von Chamier-Glisczinski (C‑208/07, EU:C:2009:455, point 63).


19      Sur la différence entre l’article 14, paragraphe 4, sous b), et l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2004/38, voir note en bas de page 43 des présentes conclusions.


20      Voir, en ce sens, arrêt Dano, point 61 et arrêt du 6 octobre 2020, Jobcenter Krefeld (C‑181/19, ci-après l’« arrêt Jobcenter Krefeld », EU:C:2020:794 , point 60).


21      Voir arrêt Dano, point 69.


22      Voir, notamment, points 71 et 73 de l’arrêt Dano ; arrêts du 30 juin 2016, NA (C‑115/15, EU:C:2016:487, point 76), et du 2 octobre 2019, Bajratari (C‑93/18, EU:C:2019:809, point 29).


23      Voir arrêt Dano, point 71.


24      Voir arrêt Dano, point 71.


25      Voir arrêt Dano, point 82.


26      Voir arrêt Dano, point 83.


27      Arrêt du 19 septembre 2013 (C‑140/12, EU:C:2013:565). Voir, en particulier, points 44 et 47 de cet arrêt, où la Cour établit un lien entre le droit à des prestations sociales au titre du règlement no 883/2004 et la légalité du séjour dans l’État membre d’accueil, lequel peut être subordonné à la satisfaction des conditions prévues à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38.


28      Arrêt Alimanovic, point 69.


29      Arrêt García-Nieto, point 38.


30      Arrêt Commission/RoyaumeUni, point 68.


31      Voir, en ce sens, arrêt García-Nieto, point 40. Je souligne que, s’agissant d’une personne telle que Mme Dano, celle‑ci résidait légalement dans l’État membre d’accueil, selon la législation de ce dernier. Elle y avait d’ailleurs obtenu une attestation de séjour à durée illimitée (voir point 36 de l’arrêt Dano). En revanche, dans la mesure où elle ne disposait pas de ressources suffisantes au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, elle n’y résidait pas légalement au sens de cette directive.


32      Voir, en ce sens, point 43 de l’arrêt García-Nieto.


33      Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Commission avait soutenu que la directive 2004/38 ne s’appliquait pas aux prestations de sécurité sociale (voir points 44 et 46 de l’arrêt). Après avoir précisé que les prestations en cause, à savoir des allocations familiales, étaient bien des prestations de sécurité sociale (point 61 de l’arrêt), la Cour a appliqué la directive à ces dernières (voir points 66 et 68 de l’arrêt) et rejeté le recours tendant à voir juger que le Royaume‑Uni avait manqué à ses obligations en soumettant l’octroi de ces prestations à une condition de séjour légal sur son territoire.


34      Voir points 3.7 et 20, deuxième alinéa, de la décision de renvoi.


35      Voir, également, point 84 des présentes conclusions.


36      Voir, par comparaison, point 22 des présentes conclusions.


37      Point77 de cet arrêt.


38      Je rappelle que la libre circulation des citoyens de l’Union économiquement inactifs peut être limitée par le droit dérivé conformément à l’article 21 TFUE, qui prévoit que « [t]out citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application ».


39      Voir arrêt Jobcenter Krefeld, point 79, dont ces termes sont tirés.


40      Voir points 60 et suiv. de cet arrêt. Il concerne un citoyen de l’Union économiquement inactif au moment où il a déposé une demande de prestations de subsistance pour lui‑même et pour ses enfants dans l’État membre d’accueil où il avait précédemment travaillé. Ayant perdu sa qualification de travailleur, mais recherchant un nouvel emploi dans cet État membre, il relevait du champ d’application de l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2004/38. Il tirait, par ailleurs, un droit de séjour dans l’État membre d’accueil fondé sur l’article 10 du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1), du fait de la scolarisation de ses enfants dans cet État et, partant, du droit à l’égalité de traitement en matière d’assistance sociale avec les ressortissants de ce dernier.


41      Voir arrêt Jobcenter Krefeld, point 65.


42      Voir arrêt Jobcenter Krefeld, points 69 et 70.


43      Je souligne que, tandis que l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2004/38 vise les personnes qui séjournent dans l’État membre d’accueil au-delà des trois premiers mois de leur arrivée afin d’y chercher un emploi et n’ont pas droit aux prestations d’assistance sociale de cet État membre en raison de l’application de la dérogation figurant à l’article 24, paragraphe 2, de cette directive, l’article 14, paragraphe 2, de cette directive, vise d’autres personnes qui ont un droit de séjour fondé sur l’article 7 de ladite directive et continuent de remplir les conditions de cette dernière disposition et qui, partant, ont en principe droit à l’égalité de traitement avec les nationaux, en vertu de l’article 24, paragraphe 1, de la même directive.


44      Souligné par mes soins.


45      Voir, en ce sens, arrêt Dano, point 77.


46      Voir, en ce sens, arrêt Dano, point 71.


47      Définition tirée du dictionnaire Le Robert.


48      Arrêt du 17 septembre 2002 (C‑413/99, ci-après l’« arrêt Baumbast », EU:C:2002:493) qui concernait la directive 90/364, laquelle a précédé la directive 2004/38, et qui contenait une obligation d’assurance maladie similaire.


49      Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil concernant les lignes directrices destinées à améliorer la transposition et l’application de la directive 2004/38 [COM(2009) 313 final] (ci‑après les « lignes directrices relatives à l’application de la directive 2004/38 »).


50      Voir, en ce sens, arrêt Baumbast, point 89, ainsi que conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Baumbast (C‑413/99, EU:C:2001:385, point 116). Cette considération est d’ailleurs étayée par les lignes directrices mentionnées à la note précédente, selon lesquelles l’assurance maladie peut résulter de l’affiliation au système de sécurité sociale de l’État membre d’origine du citoyen de l’Union. La Commission donne l’exemple de titulaires de rentes ou de pensions qui auraient droit aux soins médicaux au titre de la législation de l’État membre qui leur verse leur pension ou rente. Cette institution mentionne également le cas où la législation de l’État membre d’origine couvrirait les prestations de soins de santé d’un étudiant se rendant dans un autre État membre pour ses études sans pour autant y transférer sa résidence au sens du règlement no 1408/71, devenu le règlement no 883/2004.


51      L’obligation d’être couvert par une assurance maladie figure dans deux autres dispositions de la directive 2004/38, à son article 12, paragraphe 2, et à son article 13, paragraphe 2, deuxième alinéa. L’obligation est formulée de manière un peu plus stricte en ce sens qu’elle impose aux intéressés d’être « entièrement couverts » par une assurance maladie dans l’État membre d’accueil, mais, comme à l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), de cette directive, le libellé est neutre quant au mode de couverture.


52      Ce considérant reflète le quatrième considérant de la directive 90/364. Voir, également, arrêt du 21 décembre 2011, Ziolkowski et Szeja (C‑424/10 et C‑425/10, EU:C:2011:866, point 40).


53      Voir point11 des présentes conclusions.


54      Rapport Adonnino adressé au Conseil européen de Bruxelles les 29 et 30 mars 1985 (Bulletin des Communautés européennes, supplément no 7/85, p. 9 et 10). Ce rapport a établi une série de propositions, à la demande des chefs d’État et de gouvernement afin d’accroître les droits des citoyens de l’Union, notamment le droit de séjour. Voir, également en ce sens, conclusions de l’avocat général La Pergola dans l’affaire Kaba (C‑356/98, EU:C:1999:470, note en bas de page 123), qui se réfèrent audit rapport.


55      Voir proposition de directive du Conseil relative au droit de séjour [COM(89) 275 final] (JO 1989, C 191, p. 5). Je relève que la première proposition sur le droit de séjour généralisé remonte à la fin des années 70. Elle ne mentionnait pas la condition de détenir une assurance maladie. Voir proposition de directive du Conseil relative au droit de séjour des ressortissants des États membres sur le territoire d’un autre État membre présentée par la Commission au Conseil le 31 juillet 1979 (JO 1979, C 207, p. 14).


56      Souligné par mes soins (voir point 2.3.2 de ces lignes directrices). J’ajoute que ces dernières ne sont pas juridiquement contraignantes, mais peuvent être une source d’interprétation.


57      Voir proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2016, modifiant le règlement no 883/2004 et le règlement (CE) no 987/2009 fixant les modalités d’application du règlement no 883/2004 [COM (2016) 815 final], en particulier, article 1er, paragraphe 3, de cette proposition.


58      Je note que, lors de l’audience dans cette affaire, en réponse à une question de la Cour portant sur la possibilité d’une affiliation volontaire à la sécurité sociale de l’État membre d’accueil, la Commission a indiqué que, si l’État membre d’accueil prévoit la possibilité d’accéder à son système de santé publique au moyen d’une contribution, plus que symbolique, cette voie doit être suivie afin que le citoyen de l’Union inactif qui a exercé son droit à la liberté de circulation ne soit pas obligé de souscrire une assurance privée.


59      Voir, en ce sens, arrêt Baumbast, points 81 à 85. Voir, également, note en bas de page 38 des présentes conclusions.


60      Voir arrêt Baumbast, point 90.


61      Voir arrêt Baumbast, point 91.


62      Arrêt du 20 septembre 2001 (C‑184/99, ci-après l’«  arrêt Grzelczyk », EU:C:2001:458)


63      Voir, en ce sens, arrêt Grzelczyk , points 44 et 45.


64      Je rappelle toutefois, ainsi que je l’expose à la note en bas de page 40 des présentes conclusions, que cette personne tirait son droit de séjour dans l’État membre d’accueil du règlement no 492/2011, du fait qu’il y avait précédemment travaillé et que ses enfants y étaient scolarisés.


65      Ainsi que je l’ai indiqué au point 22 des présentes conclusions, il a retrouvé un emploi en Lettonie en 2018. J’indiquerais que cette circonstance ne change rien à son intérêt à agir et, partant, à la recevabilité des questions préjudicielles, qui, d’ailleurs, n’a pas été soulevée. La juridiction de renvoi souligne elle‑même, d’une part, que la décision de refus d’affiliation a pu être entachée d’illégalité, ouvrant droit à agir. D’autre part, si la relation juridique de travail prenait fin, un constat d’illégalité éviterait que l’auteur de cette décision n’adopte une nouvelle décision similaire à son égard (voir, par analogie, arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, EU:C:2013:331, points 61, 63 et 64).


66      Voir, notamment, arrêts du 11 juillet 2002, D’Hoop (C‑224/98, EU:C:2002:432) ; du 15 mars 2005, Bidar (C‑209/03, ci-après l’« arrêt Bidar », EU:C:2005:169) ; du 23 octobre 2007, Morgan et Bucher (C‑11/06 et C‑12/06, EU:C:2007:626) ; du 18 novembre 2008, Förster (C‑158/07, EU:C:2008:630) ; du 25 octobre 2012, Prete (C‑367/11, EU:C:2012:668) ; du 18 juillet 2013, Prinz et Seeberger (C‑523/11 et C‑585/11, EU:C:2013:524) ; du 24 octobre 2013, Thiele Meneses (C‑220/12, EU:C:2013:683) ; du 26 février 2015, Martens (C‑359/13, EU:C:2015:118), ainsi que du 25 juillet 2018, A (Aide pour une personne handicapée) (C‑679/16, EU:C:2018:601).


67      Point 56 de cet arrêt.


68      Voir arrêt Bidar, point 57.


69      Voir arrêt Bidar, points 61 et 63.


70      Arrêt du 18 novembre 2008 (C‑158/07, EU:C:2008:630).


71      Je souligne que, dans l’arrêt du 25 juillet 2018, A (Aide pour une personne handicapée) (C‑679/16, EU:C:2018:601, points 69 à 71), la Cour a jugé que l’existence d’un lien de rattachement réel et suffisant avec l’État membre concerné vise à garantir l’équilibre financier du système de sécurité sociale en permettant à ce dernier de s’assurer que la charge économique associée au versement de cette prestation ne devienne pas déraisonnable.


72      Voir arrêt du 21 juillet 2011, Stewart (C‑503/09, EU:C:2011:500, point 100).


73      Voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2013, Thiele Meneses (C‑220/12, EU:C:2013:683, point 38).


74      Voir arrêt du 25 octobre 2012, Prete (C‑367/11, EU:C:2012:668, point 50).


75      Voir arrêt du 26 février 2015, Martens (C‑359/13, EU:C:2015:118, point 41).


76      Voir arrêt du 4 octobre 2012, Commission/Autriche (C‑75/11, EU:C:2012:605, point 63).


77      Voir, en ce sens, par analogie, arrêt du 23 mars 2004, Collins (C‑138/02, EU:C:2004:172, points 70 et 73).


78      Voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2009, Hartlauer (C‑169/07, EU:C:2009:141, point 46).


79      Voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 1998, Kohll (C‑158/96, EU:C:1998:171, point 45).


80      Voir arrêts du 10 mars 2009, Hartlauer (C‑169/07, EU:C:2009:141, point 47), et du 16 mai 2006, Watts (C‑372/04, EU:C:2006:325, points 103 et 104, ainsi que jurisprudence citée).


81      Voir, concernant les différents modes de financement des systèmes de sécurité sociale des États membres, Mantu, S., et Minderhoud, P., « Exploring the Links between Residence and Social Rights for Economically Inactive EU Citizens », European Journal of Migration and Law, 2019, vol. 21, no 3, p. 313‑337, notamment point 2.3.


82      Voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 avril 2010, Bressol e.a. (C‑73/08, EU:C:2010:181, point 71).


83      Dans un tel cas, rien n’empêche les États membres de prévoir dans leur législation une disposition obligeant les compagnies d’assurance à inclure dans leurs contrats une clause visant au remboursement directement à l’État des dépenses de santé encourues en faveur du citoyen de l’Union, afin d’éviter que le citoyen de l’Union devienne une charge déraisonnable. Par ailleurs, lorsqu’ils établissent le niveau de cotisations additionnelles ou l’obligation de maintenir une assurance maladie complète privée, les États membres devraient toutefois veiller, conformément au principe de proportionnalité, à ce que ce citoyen puisse satisfaire à ces exigences et, partant, à ce que les montants requis ne rendent pas impossible ou excessivement difficile la satisfaction de ces dernières.


84      Il en découle qu’il ne peut être exclu qu’un tel citoyen de l’Union, qui a initialement souscrit une assurance maladie complète privée, afin de remplir les conditions de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, puisse, sous réserve de la situation décrite au point 124 des présentes conclusions, mettre un terme à cette assurance, l’affiliation à la sécurité sociale de l’État membre d’accueil prenant alors le relais de cette dernière.


85      Voir, en ce sens, arrêt Grzelczyk, point 44.


86      Voir, en ce sens, arrêts García-Nieto, point 46 et Alimanovic, point 62.


87      Voir arrêt García-Nieto, point 50. La Cour a ainsi relevé que la directive 2004/38, en établissant un système graduel du maintien du statut de travailleur qui vise à sécuriser le droit de séjour et l’accès aux prestations sociales, prend elle‑même en considération différents facteurs caractérisant la situation individuelle de chaque demandeur d’une prestation sociale (Voir arrêts García-Nieto, point 47 et Alimanovic, point 60).


88      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004 (JO 2009, L 284, p. 1). Voir, également, point 118 des présentes conclusions.


89      Voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, von Chamier-Glisczinski (C‑208/07, EU:C:2009:455, point 85). Il se peut même que ce déplacement se traduise par la perte totale, pour une période, de certains droits, notamment en matière de pension. J’observe que, dans un tel cas, la Cour a néanmoins souligné dans l’arrêt du 19 septembre 2019, van den Berg e.a. (C‑95/18 et C‑96/18, EU:C:2019:767, point 65) qu’il était particulièrement indiqué, afin d’éviter une telle perte, que les États membres aient recours à la possibilité que leur donne le règlement no 883/2004 de prévoir d’un commun accord des exceptions au principe d’unicité de la législation applicable.


90      Voir arrêt du 8 mai 2019, Inspecteur van de Belastingdienst (C‑631/17, EU:C:2019:381, points 38 et 39).


91      Voir arrêt du 5 mars 2020, Pensionsversicherungsanstalt (prestation pour la rééducation) (C‑135/19, EU:C:2020:177, point 52).


92      Voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Inspecteur van de Belastingdienst (C‑631/17, EU:C:2019:381, points 38, 39 et 42).


93      Voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Inspecteur van de Belastingdienst (C‑631/17, EU:C:2019:381, points 42 et 43).


94      Voir arrêt du 8 mai 2019, Inspecteur van de Belastingdiienst (C‑631/17, EU:C:2019:381, points 45 et 46, ainsi que jurisprudence citée).


95      Voir, en ce sens, considérant 42 du règlement no 883/2004.


96      Sous réserve de la situation mentionnée aux points 123 et 124 des présentes conclusions.


97      Voir arrêt Grzelczyk, point 31.


98      Voir arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a. (C‑621/18, EU:C:2018:999, point 61), dans lequel la Cour a souligné l’objectif des traités de créer « une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe ».


99      Voir sixième considérant du traité UE.