CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. DÁmaso Ruiz-Jarabo Colomer
présentées le 12 septembre 2006 (1)
Affaire C-303/05
Advocaten voor de Wereld VZW
contre
Leden van de Ministerraad
[demande de décision préjudicielle présentée par la Cour d’arbitrage (Belgique)]
«Union européenne – Troisième pilier – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Décision‑cadre 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres – Base juridique – Article 2, paragraphe 2 – Suppression de la règle de la double incrimination – Principe d’égalité et principe de légalité des peines»
I – Introduction
1. Les connaissances sur les règles les plus sûres que l’on puisse tenir dans les jugements criminels intéressent le genre humain plus qu’aucune chose qu’il y ait au monde (2).
2. La Cour d’arbitrage de Belgique (juridiction chargée du contrôle de la constitutionnalité des lois) demande à la Cour, conformément à l’article 35 UE (3), de se prononcer sur la validité de la décision‑cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (4).
3. Elle conçoit des doutes concernant la compatibilité de cette décision avec le traité sur l’Union européenne à deux égards, l’un formel et l’autre matériel. En ce qui concerne le premier aspect, qui a pour toile de fond l’article 34, paragraphe 2, sous b), UE, elle s’interroge sur la base juridique dont le Conseil de l’Union européenne s’est autorisé et se demande s’il a choisi l’instrument idoine.
4. Cette interrogation oblige la Cour à examiner le système des sources du troisième pilier de l’Union et à analyser la nature des décisions-cadres, imitations des directives du pilier communautaire. L’arrêt Pupino (5) est un point de départ adéquat pour cette recherche.
5. En ce qui concerne le second aspect, l’aspect matériel, la juridiction de renvoi met en cause une des nouveautés, peut-être la plus importante, de cette méthode de coopération entre les États membres en matière de détention et de remise des personnes, à savoir l’interdiction, dans certaines hypothèses, de subordonner l’exécution du mandat d’arrêt européen à la condition que les faits sur la base desquels il a été délivré constituent un délit dans l’État d’exécution également. La Cour d’arbitrage aimerait savoir si une telle innovation s’accorde au principe d’égalité et au principe de légalité en matière pénale, et si elle respecte donc l’article 6, paragraphe 2, UE.
6. Pour résoudre ce problème, il faut s’interroger sans hésiter sur le rôle que les droits fondamentaux jouent dans un secteur aussi sensible que la coopération policière et judiciaire en matière criminelle depuis la proclamation de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (6).
7. Le défi n’est pas sans importance, car, dans certains États membres, les lois transposant la décision‑cadre ont été annulées parce qu’elles violaient certaines garanties citoyennes. En Pologne, le Trybunal Konstytucyjny (tribunal constitutionnel), qui a pour compétence d’examiner les lois à la lumière de la norme suprême, a déclaré, dans l’arrêt qu’il a rendu le 27 avril 2005 (7), que l’article 607t, paragraphe 1, du code de procédure pénale est incompatible avec l’article 55, paragraphe 1, de la Constitution (8) parce qu’il permet de remettre un citoyen national entre les mains des autorités d’un autre État membre sur la base du mandat d’arrêt européen. À peine trois mois plus tard, et pour des raisons similaires, (9) le Bundesverfassungsgericht (cour constitutionnelle fédérale) s’est exprimé en des termes semblables (10) à propos de la loi d’exécution de la décision‑cadre (11). L’Anato Dikastiriotis Kypriakis Dimokratios (cour suprême de Chypre) a suivi une voie identique (12) parce que l’article 11 de la Constitution ne prévoit pas qu’une mesure de détention puisse être prise en exécution d’un mandat d’arrêt européen. Au contraire, dans l’arrêt qu’elle a rendu le 3 mai 2006 (13), l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle tchèque) a rejeté le recours en inconstitutionnalité qu’un groupe de sénateurs et de députés avait engagé contre la loi de mise en œuvre de la décision‑cadre, loi à laquelle ils faisaient grief de violer la Constitution en ce qu’elle permettait la remise de nationaux et la suppression du contrôle inhérent au critère de la double incrimination.
8. Il s’agit donc d’un débat de grande envergure sur les éventuelles collisions entre les Constitutions et le droit de l’Union, débat auquel la Cour doit participer en jouant le rôle qui est le sien afin de situer l’interprétation des valeurs et des principes qui configurent son ordre juridique dans des paramètres comparables à ceux qui président aux structures nationales (14).
II – Le cadre juridique
A – Le traité sur l’Union européenne
9. L’Union, qui marque une nouvelle étape dans le processus d’intégration destiné à resserrer les liens entre les peuples d’Europe, plonge ses racines dans les Communautés, qu’il dote des politiques et des formes de coopération instaurées par le traité lui-même (article 1er UE). Elle est cimentée par des valeurs communes aux Européens, telles que la liberté, la démocratie, l’état de droit ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 6, paragraphe 1, UE).
10. Précisément, ces droits, reconnus par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950 (ci-après la «convention de Rome»), ont, conformément aux traditions constitutionnelles communes aux États membres, été érigés en principes généraux de l’ordre juridique communautaire, dont la protection incombe à la Cour dans le domaine des traités instituant les Communautés européennes et du traité sur l’Union [article 6, paragraphe 2, UE, lu en combinaison avec l’article 46, sous d), UE].
11. L’Union se donne notamment pour objectif de maintenir et de développer l’Union en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes par l’adoption de mesures appropriées en matière de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène (article 2, paragraphe 1, quatrième tiret, UE) dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler le troisième pilier, qui concerne la coopération policière et judiciaire en matière pénale (titre VI UE).
12. Ce troisième pilier vise à fournir aux citoyens un haut niveau de sécurité par l’élaboration de politiques de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène par une meilleure coopération entre les autorités judiciaires et le rapprochement, si nécessaire, des règles pénales nationales (articles 31 UE et 32 UE).
13. L’action dans le secteur judiciaire vise, par exemple, a) à intensifier l’assistance mutuelle dans le traitement des affaires et dans l’exécution des décisions, b) à faciliter l’extradition, c) à assurer la compatibilité des règles applicables dans les États membres, d) à prévenir les conflits de compétence et e) à instaurer progressivement des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue (article 31, paragraphe 1, UE).
14. À cette fin, le Conseil peut arrêter à l’unanimité [article 34, paragraphe 2, sous a), b) et c), UE]:
1) des positions communes définissant l’approche de l’Union sur une question déterminée;
2) des décisions-cadres aux fins du rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres, décisions-cadres qui lient les États membres quant aux résultats à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens, et qui ne peuvent entraîner d’effet direct;
3) des décisions à toute autre fin conforme aux objectifs du troisième pilier, décisions obligatoires et ne pouvant entraîner d’effet direct.
15. Le Conseil peut également établir des conventions dont il recommande l’adoption par les États membres, conventions qui entreront en vigueur lorsqu’elles auront été adoptées par la moitié au moins des États membres [article 34, paragraphe 2, sous d), UE].
B – La décision‑cadre 2002/584
16. Cette décision, qui a été adoptée sur le fondement de l’article 31, paragraphe 1, sous a) et b), UE et de l’article 34, paragraphe 2, sous b), UE, répond au désir de supprimer la procédure formelle d’extradition dans l’Union (15) et de lui substituer un système simplifié de remise entre autorités judiciaires des personnes condamnées ou soupçonnées aux fins d’exécution des jugements ou de poursuites (premier et cinquième considérants). C’est dans le droit fil de ce propos qu’elle remplace, dans les relations entre les États membres, les instruments internationaux (article 31, paragraphe 1) (16), antérieurs ou postérieurs, qui demeurent néanmoins applicables dans la mesure où ils permettent d’approfondir ou d’élargir les objectifs de la décision‑cadre et contribuent à simplifier ou à faciliter davantage les procédures de remise des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen (article 31, paragraphe 2).
17. La décision‑cadre abandonne donc le régime d’assistance entre États pour lui substituer un régime de libre circulation des décisions judiciaires, qui repose sur la confiance réciproque et la reconnaissance mutuelle (cinquième, sixième et dixième considérants; article 1er, paragraphe 2).
18. Le Conseil de l’Union a adopté la décision‑cadre en s’autorisant des principes de subsidiarité et de proportionnalité dans le souci de respecter les droits fondamentaux et l’article 6 UE (septième et douzième considérants; article 1er, paragraphe 3) à telle enseigne que toute demande de remise d’un individu doit être rejetée (17) lorsque des raisons objectives permettent de supposer que le mandat d’arrêt a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité ou de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle ou lorsqu’il existe un risque sérieux qu’elle soit soumise à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. Qui plus est, la décision‑cadre incite les États membres à appliquer leurs règles constitutionnelles relatives au respect du droit à un procès équitable (18), à la liberté d’association, à la liberté de la presse et à la liberté d’expression (douzième et treizième considérants). Le Conseil a pris l’engagement que les données à caractère personnel traitées dans le cadre de la mise en œuvre de la décision‑cadre seraient protégées (quatorzième considérant).
19. Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté (article 1er, paragraphe 1).
20. De nature strictement judiciaire, il est un instrument de coopération entre juridictions (articles 1er et 3 à 6), sans préjudice de l’appui, purement pratique et administratif, que le pouvoir exécutif peut être amené à fournir (neuvième considérant et article 7).
21. Un mandat d’arrêt européen peut être émis pour des faits punis par la loi de l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins douze mois ou, lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée, pour des condamnations prononcées d’une durée d’au moins quatre mois (article 2, paragraphe 1). L’État membre requis peut subordonner la remise à la condition que les faits pour lesquels le mandat a été émis constituent une infraction au regard de son droit également (article 2, paragraphe 4).
22. Conformément à l’article 2, paragraphe 2, cette règle, dite de la «double incrimination», ne s’applique pas dans le cas de 32 types de comportement lorsque ceux-ci sont punis dans l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins trois ans. Il s’agit des agissements suivants:
– participation à une organisation criminelle,
– terrorisme,
– traite des êtres humains,
– exploitation sexuelle des enfants et pédopornographie,
– trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes,
– trafic illicite d’armes, de munitions et d’explosifs,
– corruption,
– fraude, y compris la fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes au sens de la convention du 26 juillet 1995 relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes,
– blanchiment du produit du crime,
– faux monnayage, y compris la contrefaçon de l’euro,
– cybercriminalité,
– crimes contre l’environnement, y compris le trafic illicite d’espèces animales menacées et le trafic illicite d’espèces et d’essences végétales menacées,
– aide à l’entrée et au séjour irréguliers,
– homicide volontaire, coups et blessures graves,
– trafic illicite d’organes et de tissus humains,
– enlèvement, séquestration et prise d’otage,
– racisme et xénophobie,
– vols organisés ou avec arme,
– trafic illicite de biens culturels, y compris antiquités et œuvres d’art,
– escroquerie,
– racket et extorsion de fonds,
– contrefaçon et piratage de produits,
– falsification de documents administratifs et trafic de faux,
– falsification de moyens de paiement,
– trafic illicite de substances hormonales et autres facteurs de croissance,
– trafic illicite de matières nucléaires et radioactives,
– trafic de véhicules volés,
– viol,
– incendie volontaire,
– crimes relevant de la juridiction de la Cour pénale internationale,
– détournement d’avion/de navire,
– sabotage.
23. L’article 3 énonce trois motifs de non-exécution obligatoire du mandat d’arrêt et l’article 4 en énumère sept autres qui sont facultatifs. Font partie de ce groupe les cas dans lesquels l’État requis, dont le condamné possède la nationalité ou dans lequel il réside, s’engage à faire exécuter la peine ou la mesure de sécurité conformément aux règles de son droit interne (article 4, point 6). Dans le même ordre d’idées, l’article 5, point 3, permet en pareille hypothèse que, lorsque le mandat a pour objet de permettre l’engagement d’une action pénale, la remise soit subordonnée à la condition qu’après avoir été entendue, la personne soit renvoyée dans son État membre pour y purger la peine qui pourrait être prononcée à son encontre.
24. Au cours de la procédure, qui est menée en urgence et est assortie de délais de forclusion (articles 17 et 23), l’intéressé a le droit d’être entendu (articles 14 et 19), d’être assisté par un conseil et par un interprète (article 11, paragraphe 2) et de bénéficier des garanties propres à la condition de détenu. Le cas échéant, il a le droit d’être remis en liberté provisoire conformément au droit interne de l’État membre d’exécution (article 12).
25. Le mandat contient les mentions nécessaires à son exécution, en particulier celles qui ont trait à l’identité de la personne recherchée, à la nature et à la qualification légale de l’infraction (article 8, paragraphe 1). Toutes les difficultés pouvant se présenter en cours de procédure sont réglées au moyen de contacts directs entre les autorités judiciaires concernées ou, le cas échéant, de l’intervention des autorités centrales des États membres (article 10, paragraphe 5).
26. Le délai de mise en œuvre de la décision‑cadre a expiré le 31 décembre 2003 (article 34, paragraphe 1).
III – Le litige au principal et les questions préjudicielles
27. Advocaten voor de Wereld VZW (ci‑après «Advocaten voor de Wereld»), association sans but lucratif, a engagé, devant la Cour d’arbitrage belge, un recours dirigé contre la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen (19), qui transpose la décision‑cadre en droit belge, au motif qu’elle serait incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution belge, lus en combinaison avec les articles 36, 167, paragraphe 2, et 168. Cette association prétend que le mandat d’arrêt européen aurait dû être réglé par une convention internationale et que l’article 5, paragraphe 5, de la loi, transposition de l’article 2, paragraphe 2, de la décision‑cadre en droit national, enfreint le principe d’égalité ainsi que l’exigence de lex certa en matière pénale.
28. Compte tenu des termes dans lesquels se déroule le litige, la juridiction constitutionnelle a sursis à statuer et elle a décidé (20) d’adresser les questions suivantes à la Cour:
«1) La décision‑cadre […] 2002/584 […] est-elle compatible avec l’article 34, paragraphe 2, point b), du traité sur l’Union européenne, selon lequel les décisions-cadres ne peuvent être arrêtées qu’aux fins du rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres?
2) L’article 2, paragraphe 2, de la décision‑cadre […] 2002/584 […], en tant qu’il supprime le contrôle de l’exigence de la double incrimination pour les infractions qui y sont mentionnées, est-il compatible avec l’article 6, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne, et plus spécifiquement avec le principe de légalité en matière pénale et avec le principe d’égalité et de non-discrimination garantis par cette disposition?»
IV – La procédure devant la Cour
29. La demande préjudicielle de la Cour d’arbitrage a été inscrite au registre de la Cour le 2 août 2005. Ont présenté des observations écrites Advocaten voor de Wereld, la Commission des Communautés européennes, le Conseil ainsi que les gouvernements belge, tchèque, espagnol, français, letton, lituanien, néerlandais, polonais, finlandais et du Royaume-Uni. Ont comparu à l’audience du 11 juillet 2006 afin d’y être entendus en leurs observations orales les représentants d’Advocaten voor de Wereld, les agents des gouvernements belge, tchèque, espagnol, français, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que les agents du Conseil et de la Commission.
V – Analyse des questions préjudicielles
A – La base juridique (première question)
30. Nul ne conteste que la décision‑cadre traite d’un aspect du troisième pilier de l’Union européenne ni, par conséquent, que le Conseil est compétent à en énoncer les règles (21). La polémique porte sur la source de droit utilisée, des doutes ayant été émis au cours de la procédure au principal quant au point de savoir si une décision‑cadre est l’instrument adéquat. Ces doutes sont fondés sur deux raisons: d’une part, il ne s’agit pas de rapprocher des législations nationales préexistantes dès lors que le mandat d’arrêt européen est un moyen nouvellement créé et, d’autre part, il ne peut être dérogé aux conventions internationales antérieures sur l’extradition au moyen d’une décision‑cadre.
31. Le débat étant cerné en ces termes, il convient tout d’abord d’extraire la substantifique moëlle du mandat d’arrêt européen afin d’en étudier la nature et de vérifier si les règles d’harmonisation qui caractérisent une décision‑cadre sont susceptibles de s’y appliquer. En cas de réponse affirmative, il faudra rechercher si ce sujet était interdit à cette catégorie d’acte, en vertu du principe de l’acte contraire, en raison du fait qu’il avait déjà été abordé dans des actes internationaux au cours du passé.
32. Avant de parcourir semblables voies, il me faut cependant proposer une solution pour répondre au gouvernement tchèque, qui a conclu à l’irrecevabilité de cette question initiale.
1. Sur la recevabilité
33. Le gouvernement tchèque prétend que, pour analyser l’aptitude d’une décision‑cadre à régler le mandat européen, la Cour doit examiner une disposition du droit communautaire [l’article 34, paragraphe 2, sous b), UE] «qui échappe à son contrôle» et qu’elle est donc incompétente à se prononcer sur le sujet. Cette position est dénuée de fondement puisqu’une des compétences essentielles de la Cour est précisément d’interpréter les traités et d’en assurer la défense face au droit dérivé, mission à caractère hautement constitutionnel (22).
34. Tous les pouvoirs de l’Union sont rattachés et soumis aux règles arrêtées par le «constituant européen». La Cour, elle, doit, en outre, préserver l’intégrité de celles-ci et assurer leur efficacité en les mettant à l’abri des errances auxquelles peuvent succomber les autres acteurs communautaires. La Cour d’arbitrage ne lui demande rien d’exorbitant et l’invite à exercer ses attributions en appréciant si une disposition du législateur de l’Union est compatible avec une règle du traité (23), appréciation pour laquelle elle doit tout d’abord interpréter la règle étalon et en déterminer la portée, tâche à laquelle elle ne peut se soustraire.
35. Le gouvernement tchèque insiste néanmoins sur le fait que cette première question est irrecevable et soutient que la décision de renvoi manque de clarté en ce qui concerne les motifs qui invalideraient la décision‑cadre. Il explique que, dans la mesure où l’association requérante demande que la loi belge de mise en œuvre soit déclarée inconstitutionnelle au motif que cette décision‑cadre n’est pas l’instrument adéquat pour le rapprochement des réglementations nationales, elle devait étayer sa prétention sur les raisonnements pertinents et que la juridiction de renvoi devait reproduire ceux-ci dans sa décision.
36. Les informations fournies par les juges nationaux doivent permettre à ceux qui interviennent dans la procédure préjudicielle de présenter des observations qui fournissent à la Cour des éléments susceptibles de lui permettre de donner une réponse utile (24). Cet objectif est atteint en l’espèce puisqu’il est établi que la controverse porte sur l’aptitude d’une décision‑cadre à organiser le mandat d’arrêt européen par le rapprochement des ordres juridiques internes. Les douze autres parties qui ont présenté des observations dans cette procédure de coopération judiciaire l’ont d’ailleurs compris de cette manière, ainsi, du reste, que le gouvernement tchèque lui-même, qui, bien qu’il déplore l’opacité de la décision de la Cour d’arbitrage, n’a rencontré aucun obstacle à une entrée en matière (25).
37. Après avoir dégagé le chemin qui mène à la question de fond, il me faut à présent analyser ce nouvel instrument de collaboration pénale entre les nouveaux États membres.
2. Le mandat d’arrêt européen et l’extradition
38. D’aucuns ont défendu l’idée que le mandat d’arrêt européen est une sous-catégorie de l’extradition. La doctrine a qualifié la décision‑cadre de tentative de «faciliter» l’extradition entre les États membres (26), dans une version moderne (27), sui generis (28), de celle-ci sous une appellation différente (29). En s’autorisant de l’article 31, paragraphe 1, sous b), UE, le législateur communautaire a d’ailleurs lui-même contribué à la confusion. Même si elle l’a fait dans le souci de soumettre le mandat d’arrêt européen aux mêmes conditions que l’extradition du point de vue de la protection des droits fondamentaux garantis par la Constitution polonaise, une juridiction nationale supérieure telle que le Trybunal Konstytucyjny a apporté son écot à l’équivoque en qualifiant la remise effectuée en exécution d’un mandat d’arrêt européen de variante de l’extradition (30). Le Bundesverfassungsgericht n’a rien fait d’autre lorsqu’il a tacitement assimilé les deux instruments (31).
39. Néanmoins, les dissimilitudes ont été mises en exergue aussi bien sur le plan législatif (32) que dans la doctrine (33) et dans la jurisprudence (34).
40. Les positions ne sont toutefois pas aussi divergentes puisqu’elles dépendent de la perspective choisie. Lorsque l’attention se porte sur le résultat, les coïncidences abondent, mais les disparités ressortent si l’on s’attache aux fondements de ce mode de collaboration et à la forme dans laquelle elle se développe.
41. Le passage de l’extradition au mandat européen implique un retournement copernicien. Il est manifeste que la première comme le second servent la même fin, qui est de remettre un accusé ou un condamné entre les mains des autorités d’un autre État afin qu’il puisse y être jugé ou qu’il puisse y accomplir sa peine, mais ici s’arrêtent les similitudes.
42. La procédure d’extradition met en contact deux États souverains, l’État requérant et l’État requis, qui agissent au départ de positions autonomes: le premier demande la collaboration de l’autre, qui décide au cas par cas d’accéder ou non à cette demande en tenant compte de motifs qui vont au-delà de l’univers strictement juridique et entrent dans le domaine des relations internationales, où le principe d’opportunité joue un rôle significatif. C’est la raison pour laquelle l’intervention ultime des responsables politiques et des critères tels que la réciprocité ou la double incrimination sont justifiés en ce qu’ils proviennent de sphères différentes.
43. La scène change de décor lorsque l’entraide est demandée et accordée à l’intérieur d’un système juridique supranational d’intégration, dans lequel les États renoncent partiellement à leur souveraineté et transfèrent des compétences à des instances qui leur sont externes et sont dotées d’un pouvoir normatif. Ce rapprochement, propre au premier pilier de l’Union (35), opère également dans le troisième, qui est intergouvernemental, mais possède une évidente vocation «communautaire», comme l’a démontré l’arrêt Pupino (36), qui a transféré aux décisions-cadres certaines catégories du premier pilier et des paramètres caractéristiques des directives (37).
44. Le lien ne s’établit pas entre espaces étanches, une constatation ad casum s’avérant nécessaire afin de vérifier que l’aide ne méconnaît pas les fondements de l’organisation sociale. Au contraire, l’idée est de fournir un appui à quelqu’un avec qui on partage des principes, des valeurs et des engagements (38), et de créer ainsi un tissu institutionnel avec ses sources de droit particulières, de force variable mais, en fin de compte, obligatoires, en vue de prévenir la criminalité et de lutter contre elle dans un espace unique de liberté, de sécurité et de justice, tissu institutionnel facilitant la coopération entre les États et harmonisant leurs droits pénaux.
45. Dans ce contexte, teinté de confiance mutuelle, le soutien à la coopération ne résulte pas de la conjonction de volontés d’origines diverses, mais bien d’une norme commune – la décision‑cadre – dans laquelle sont décrits les comportements susceptibles de mettre en branle la collaboration. Les approches suivant lesquelles il faut une vérification individuelle pour garantir la réciprocité (39) ou les conceptions accordant une valeur absolue à la double incrimination sont ainsi périmées puisqu’entre les éventuels participants, le comportement qui est à l’origine de la demande est également condamnable et qu’une demande en sens inverse serait elle aussi prise en considération. Dans cet esprit, toute considération d’opportunité s’avère dénuée de pertinence, le contrôle se réduisant à l’aspect strictement juridique. En d’autres termes, les autorités politiques doivent passer la main aux autorités judiciaires et l’appréciation particulière de chaque cas d’espèce doit céder le pas à une appréciation à caractère général, puisque cette règle commune est fondée sur la compétence des juridictions nationales à poursuivre les délits qu’elle énumère. En somme, il n’existe plus d’États souverains auxquels il serait loisible de coopérer dans des cas individuels, mais des membres de l’Union européenne obligés à se fournir mutuellement assistance, dès l’instant où des délits d’intérêt commun ont été commis (40).
46. C’est la raison pour laquelle je crois que l’extradition et le mandat d’arrêt européen répondent à des schémas axiologiques qui ne coïncident que par leur objectif. En supprimant l’extradition et en lui substituant un système de remise entre autorités judiciaires fondé sur la reconnaissance mutuelle (41) et sur la libre circulation de leurs décisions, fruit d’un niveau élevé de confiance entre les États membres (premier, cinquième, sixième et dixième considérants), la décision‑cadre se situe dans cette ligne. Elle présuppose donc la réciprocité et la double incrimination pour certains comportements, parmi les plus condamnables, et limite les motifs de refus d’assistance sans laisser la moindre marge au pouvoir discrétionnaire politique (articles 3 et 4) (42).
47. Ce dénouement semble confirmer la thèse de ceux qui prétendent que, comme il s’agit d’un nouveau mode de procéder, il n’y avait rien à harmoniser, de sorte que le mandat d’arrêt européen ne pouvait être réglé au moyen d’une décision‑cadre. Cette inférence, par trop simpliste, méconnaît cependant la nature de cette source du droit et l’essence de ce mécanisme.
3. La décision‑cadre comme source d’harmonisation
48. Cette approche est vouée à l’échec en raison de sa prémisse majeure, car le fait que, leur finalité mise à part, le mandat d’arrêt européen se distingue de l’extradition ne signifie pas que le premier serait sorti du vide et n’aurait pas connu, dans les ordres juridiques nationaux, de précédents qu’il convient de concilier.
49. Le mandat européen, qui est un moyen indispensable à l’instauration d’un espace de liberté, de sécurité et de justice (articles 2 UE et 29 UE), est une manifestation de l’entraide judiciaire. Il s’agit de la décision par laquelle un juge cherche à obtenir l’arrestation et la remise d’une personne par une autorité judiciaire étrangère afin de pouvoir exercer des poursuites pénales ou obtenir l’exécution d’une peine (article 1er, paragraphe 1, de la décision‑cadre). Le mandat d’arrêt européen est donc une décision régie par le droit de la procédure de l’État membre d’émission qui, conformément au principe de la reconnaissance mutuelle, est assimilée à une décision nationale dans les autres États membres, de sorte que la concertation normative s’avère indispensable. Les mandats d’arrêt s’inscrivent dans la tradition des codes de procédure pénale nationaux et la décision‑cadre les dote, dans certaines circonstances et à certaines conditions, d’effets opérant au-delà des frontières, mais exige à cette fin qu’il y ait concordance entre les régimes nationaux. Ses articles sont au service de ce propos en ce qu’ils harmonisent les modes et les contenus de la décision, les formes et les délais de transmission et d’exécution, les motifs d’inexécution et les garanties qui protègent le détenu tout au long de la procédure ainsi que les effets de la remise.
50. La décision‑cadre n’invente donc pas une institution qui n’existait pas auparavant et n’harmonise pas les diverses réglementations relatives à l’extradition; elle harmonise les règles d’arrestation et de remise en vigueur dans chaque État membre en vue de la coopération entre les autorités judiciaires (43).
51. Ce qui est au centre de la discussion dans le présent renvoi préjudiciel, ce ne sont pas les potentialités harmonisatrices de la décision‑cadre, mais sa virtualité créatrice. Las! une équivoque se cache sous le débat, parce que, comme je viens de le signaler, s’il se distingue de l’extradition, le mandat d’arrêt européen n’est pas une trouvaille sans précédent comparable dans les droits nationaux (44). De toute manière, même si d’aucuns le prétendaient, étant donné la nécessité d’un rapprochement légal, rien n’empêcherait de recourir à ce type de norme puisque le traité UE n’interdit pas de l’utiliser en pareilles circonstances.
4. Le système de sources dans le troisième pilier: en particulier, les relations entres les décisions-cadres et les conventions
52. L’article 32, paragraphe 2, UE énumère quatre sources de droit du troisième pilier et, comme l’ont fait observer avec nuance le Conseil, la Commission, le Royaume des Pays‑Bas et le Royaume de Belgique, il n’établit aucune hiérarchie ou compartimentation entre eux, réservant une matière déterminée pour chaque type de normes. N’importe laquelle de ces sources vaut en principe pour tout, sauf à respecter les limites imposées par la nature de l’instrument et l’objectif indiqué, limites à l’intérieur desquelles le législateur a toute liberté de choix.
53. Ce réduit discrétionnaire demeure exempt de contrôle juridictionnel, de sorte que, quel que soit son contenu, la décision qui ne dépasse pas ces contours est juridiquement correcte.
54. Le Conseil a, pour la présente occasion, opté pour une décision‑cadre. Il conviendrait donc de commencer l’analyse en examinant si, à la lumière de l’objectif poursuivi et de la voie tracée pour l’atteindre, il aurait pu recourir à une autre catégorie de normes. Opter pour une position commune n’aurait guère été avisé. De telles positions, utiles dans le domaine des relations internationales de l’Union et des États membres afin de fixer leur opinion sur une affaire particulière (article 37 UE), sont tout naturellement appelées à déployer leurs potentialités dans le second pilier également, en combinaison avec l’action commune (article 12 UE) (45).
55. Les autres sources – décisions-cadres, décisions et conventions – sont les instruments idoines pour des mesures exigeant une transposition dans les ordres juridiques nationaux (46), mais il n’est pas possible de prendre en considération les décisions visées à l’article 34, paragraphe 2, sous c), UE en l’espèce parce qu’elles excluent toute idée d’harmonisation, indispensable au bon fonctionnement du mandat européen.
56. C’est pourquoi le seul instrument qui aurait pu être choisi au lieu de la décision‑cadre est la convention. La marge d’appréciation du législateur culmine dans le choix entre ces deux types de normes, de sorte qu’il convient de rejeter la thèse suivant laquelle le mandat européen, qui «succède» à l’extradition, doit être réglé au moyen de pactes internationaux parce que, traditionnellement, l’extradition entre les États membres l’a toujours été de cette façon. Les partisans de cette thèse font valoir un soi-disant «gel du rang» de la norme en vertu du principe de l’acte contraire.
a) Inviabilité du principe de l’acte contraire
57. La règle suivant laquelle une matière qui a déjà été réglée sous une forme normative donnée devra toujours être traitée au moyen de normes de même rang, sans qu’il soit possible d’utiliser une norme de rang inférieur, n’a pas un caractère absolu, car elle représente une garantie citoyenne dans les relations entre un pouvoir souverain – le pouvoir législatif – et un autre – le pouvoir exécutif – essentiellement subordonné, et leurs actes respectifs, à savoir la loi et le règlement. Lorsque le Parlement réglemente une matière, le gouvernement ne peut intervenir que dans la mesure où la chambre des représentants l’y autorise afin de compléter ou d’intégrer ce qu’il a décidé sans qu’aucun acte gouvernemental ne puisse s’y immiscer et remplacer la volonté du «titulaire du pouvoir», à moins qu’après «délégalisation», ce dernier l’habilite et à condition qu’il n’existe pas de réserve constitutionnelle de loi (47).
58. Le débat sur ce sujet est donc dénué de sens puisque les sources ont une origine identique et suivent la même voie, qu’il s’agisse des décisions-cadres ou des conventions internationales, qui sont approuvées à l’unanimité du Conseil sur proposition d’un État membre ou de la Commission après consultation du Parlement (article 34, paragraphe 2, UE, lu en combinaison avec l’article 39, paragraphe 1, UE) (48).
59. La pratique confirme l’analyse légistique puisque les États membres ont fréquemment remplacé des mesures de nature conventionnelle par d’autres propres aux structures d’intégration. Un exemple typique est la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (49), plus connue sous la dénomination «convention de Bruxelles», qui a été remplacée par le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000 (50) (article 68).
60. Dans ces circonstances, il faut se demander si la formule de la convention internationale facilite le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité et si le législateur communautaire est tenu de l’utiliser.
b) Les principes de subsidiarité et de proportionnalité
61. Ces deux principes, consacrés par l’article 5 CE, sont applicables dans le troisième pilier: le principe de subsidiarité en vertu de l’article 2 UE, in fine, et celui de proportionnalité en tant qu’outil au service de la subsidiarité (51).
62. Dans le septième considérant de l’exposé des motifs de la décision‑cadre, le législateur déclare qu’il respecte ces principes et il fait bien puisque, s’agissant d’exécuter des mandats d’arrêt étrangers sur le territoire national, dans un espace commun fondé sur la confiance mutuelle et sur la reconnaissance réciproque des décisions judiciaires, il vaut mieux affronter cette tâche avec une vision d’ensemble à partir des structures de l’Union que de laisser à chaque État membre le soin de le faire séparément, fût-ce en coordination avec d’autres. Il s’imposait donc d’intervenir à l’échelon unitaire. Le principe de subsidiarité a dès lors été respecté.
63. Tel aurait également été le cas si le Conseil avait opté pour un accord international, mais le pouvoir discrétionnaire du législateur de l’Union lui permettait de recourir à une décision‑cadre. L’indispensable proportionnalité ne lui imposait pas d’opter pour une autre formule puisque, comme je l’exposerai plus avant, l’expérience déduite de l’échec des traités conclus dans le passé lui recommandait de procéder de la sorte. Si l’adéquation des fins et des moyens exige que l’Union n’intervienne que pour atteindre les objectifs déclarés, il paraît absolument nécessaire de recourir à un instrument obligeant les États membres à obtenir les résultats dans un certain délai.
64. Cela signifie que ni un soi-disant gel du rang de la norme qui a traditionnellement régi la remise d’un citoyen par un État à un autre en vue de son jugement ou de l’accomplissement de sa peine ni le principe de subsidiarité ne réduisaient la marge de manœuvre du législateur européen. Au contraire, même à admettre une quelconque entrave à cette marge de manœuvre, la décision‑cadre serait le moyen approprié en vertu du principe plusieurs fois cité de proportionnalité et du principe de l’effet utile du droit européen, qui s’appliquent dans le troisième pilier également, comme on peut le déduire de l’arrêt Pupino cité précédemment.
c) La demande d’une plus grande efficacité
65. La décision‑cadre controversée n’est pas la première tentative d’améliorer la coopération judiciaire en matière pénale dans l’Union. Les conventions de 1995 et de 1996 en étaient les précédents immédiats, même si elles ont échoué. L’une comme l’autre avaient été approuvées sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, mais elles ne sont pas encore d’application dans tous les États membres aujourd’hui parce que certains d’entre eux ne les ont toujours pas ratifiées (52).
66. Ce sont précisément les limitations inhérentes aux traités internationaux qui ont favorisé l’inscription, dans le catalogue des sources du droit, d’une nouvelle catégorie permettant d’éluder les difficultés soulevées par la liberté des États membres en matière de ratification (53). Le Conseil de Tampere a explicité le projet de convertir l’Union en un espace de liberté, de sécurité et de justice «en utilisant pleinement les possibilités offertes par le traité d’Amsterdam» (54). La proposition de la Commission s’avère très révélatrice lorsqu’elle indique que, pour des raisons d’efficacité, elle a opté pour une décision‑cadre à la vue des piètres résultats des conventions antérieures (55).
67. Les États membres et les institutions doivent réaliser les objectifs de l’article 2 UE et, partant, garantir et développer l’espace de liberté, de sécurité et de justice déjà souvent évoqué. Pour ce faire, ils sont tenus d’utiliser les instruments les plus adéquats. Ils ont l’obligation d’assurer les pleins effets du droit communautaire en général (56) et ceux du droit de l’Union en particulier (57). C’est pourquoi le Conseil non seulement pouvait, mais devait même instaurer le mécanisme du mandat d’arrêt européen au moyen d’une décision‑cadre (58). On ne saurait donc lui faire grief d’avoir emprunté la voie qu’il a suivie (59).
68. C’est pourquoi je suggère à la Cour de répondre à la première question préjudicielle que la décision‑cadre 2002/584 n’enfreint pas l’article 34, paragraphe 2, sous b), UE.
B – La décision‑cadre 2002/584 et les droits fondamentaux (seconde question)
69. Dans la décision‑cadre, le législateur s’est soucié des garanties dont le destinataire d’un mandat d’arrêt doit bénéficier et a explicitement exposé son propos de sauvegarder ses droits fondamentaux. Aux points 18 et 24 des présentes conclusions, je me suis fait l’écho de cette aspiration, qui trahit une approche de la coopération pénale qui va au-delà de la simple relation bipolaire entre États et assume une troisième dimension, celle des droits indissociables de la personne concernée (60).
70. L’article 1er, paragraphe 3, contient à ce sujet une déclaration solennelle, qui, à défaut d’avoir été écrite, aurait dû être sous-entendue puisque le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales est un des ciments qui soudent l’Union (article 6, paragraphe 1, UE), ces droits et libertés étant érigés en principes généraux du droit communautaire à l’aune de la convention de Rome et des traditions constitutionnelles communes aux États membres (article 6, paragraphe 2, UE) (61).
71. Cette réflexion nous amène à la protection des droits de l’homme dans l’Union et au rôle qui appartient à la Cour.
1. La protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne
72. Ce n’est pas parce que les traités originels ne contenaient aucun catalogue des droits fondamentaux que ceux-ci étaient bannis de l’ordre juridique communautaire. Les Communautés, fruit d’un pacte entre États structurés sur une base démocratique, ont vu le jour avec la vocation de se constituer en organisations soumises au droit. La semence avait été enfouie dans une terre à l’abandon et ce n’est qu’au cours du temps que les droits subjectifs de base ont pu germer et prospérer grâce à la jurisprudence de la Cour.
73. Ce travail prétorien a porté ses fruits dans des droits expressément reconnus comme l’interdiction, énoncée à l’article 141 CE actuel, de toute discrimination salariale fondée sur le sexe (62), mais également au bénéfice d’autres droits qui n’ont pas d’ancrage direct dans le régime communautaire, comme l’inviolabilité du domicile (63), la liberté d’expression (64) ou, dans un domaine plus proche de l’objet du présent renvoi préjudiciel, le principe nullum crimen, nulla poena sine lege (65).
74. La Cour s’est servie d’un syllogisme simple et logique: les règles communes aux droits nationaux sont des principes généraux de l’ordre juridique de la Communauté et, en tant que tels, ils méritent d’être respectés, de sorte que les droits fondamentaux, qui sont des garanties communes à tous, font partie de ces principes et doivent être protégés (66). À cet égard, la mission d’intégration ne semble pas pouvoir être mise en question et s’alimente à des sources étrangères au droit communautaire: (67) ces principes généraux communs aux États membres (68), les éléments communs à leurs traditions constitutionnelles (69) et les instruments internationaux de protection des droits (70), en particulier, la convention de Rome (71).
75. Le législateur communautaire a repris le témoin et incorporé cette jurisprudence à l’article 6 UE à partir du traité d’Amsterdam, et il a attribué la compétence de protéger les droits fondamentaux à la Cour [article 46, sous d), UE].
76. Au cours de l’année 2000 est advenu un fait qu’il est difficile de passer sous silence, à savoir la proclamation de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ce document est dépourvu de force obligatoire, puisqu’il n’existe aucune décision assortie d’effets qui en assumerait le contenu (72). Cette proclamation n’est qu’une simple déclaration politique, démunie de toute valeur juridique (73).
77. Une telle constatation ne devrait cependant pas nous amener à penser que rien n’a changé, comme si la charte n’était que lettre morte. En premier lieu, elle n’a pas surgi du néant ni en dehors de tout contexte; au contraire, elle s’inscrit dans une étape du processus évolutif que j’ai exposé, car elle codifie et réaffirme, comme ses auteurs l’ont déclaré dans son préambule (74), certains droits qui dérivent du patrimoine commun des États membres aux plans tant national qu’international (75), de sorte qu’aux termes des articles 6 UE et 46, sous d), UE, l’Union doit les respecter et la Cour les protéger, quels que soient la nature et les effets juridiques du texte approuvé en décembre 2000 (76).
78. En second lieu, la charte figure dans la jurisprudence de la Cour, puisque les avocats généraux l’ont interprétée et étendu ainsi sa nature de simple programme ou de pure déclaration (77). Le Tribunal a lui aussi utilisé la charte dans certaines de ses décisions (78). Il n’empêche que, dans ses arrêts, la Cour évoque rarement la charte (79), ne fût-ce que pour réfuter la position de ses avocats généraux. Ce n’est qu’à une date très récente, il y a deux mois à peine, que l’arrêt Parlement/Conseil (80) a annoncé un changement de cap lorsque la Cour a dit pour droit que, si la charte n’est pas un instrument juridique contraignant, il convient néanmoins de souligner son importance (point 38).
79. Il faut donc que les langues se délient et que la charte s’impose comme un outil d’interprétation essentiel dans la défense des garanties citoyennes qui font partie du patrimoine des États membres. Il faut faire face à ce défi avec prudence, mais avec vigueur, avec la pleine conviction que, si la protection des droits fondamentaux revêt un caractère indispensable dans le pilier communautaire, il n’est pas davantage possible d’y renoncer dans le troisième pilier, car, par la nature même de son contenu, elle est susceptible d’avoir une incidence sur le cœur même de la liberté personnelle, qui présuppose toutes les autres.
80. Une plus grande ouverture permettra peut-être d’éviter la réédition des malentendus qui ont obscurci jadis les relations avec les instances nationales, peu convaincues de l’aptitude des institutions communautaires à protéger les droits fondamentaux (81).
81. Cette mission de protection est assumée à trois niveaux différents (82), à savoir le niveau national, celui du Conseil de l’Europe et celui de l’Union européenne. Ces niveaux différents se développent néanmoins en partie simultanément et, ce qui est le plus important, sont pétris de valeurs identiques. Ils se croisent fréquemment et peuvent parfois se recouvrir, mais ne comportent aucun obstacle insurmontable si l’on respecte les compétences respectives avec la conviction que chacun exerce les siennes avec pleines et entières garanties pour le système de cohabitation. Le dialogue entre les interprètes constitutionnels suprêmes en Europe permet de cimenter un discours commun.
82. C’est ainsi que, dans l’affaire dont elle a été saisie, la Cour doit se conformer à l’esprit des articles 20 et 49 de la charte, qui proclament, respectivement, le principe de l’égalité devant la loi et le principe de la légalité des délits, principes largement reconnus dans les horizons constitutionnels des États membres. Si nécessaire, la Cour devra s’inspirer des jurisprudences nationales et des arrêts que la Cour européenne des droits de l’homme a rendus sur les articles 14 et 7 de la convention de Rome.
2. L’article 2, paragraphe 2, de la décision‑cadre 2002/584 et le principe d’égalité
a) L’égalité devant la loi
83. La Cour d’arbitrage souhaite savoir si la disposition conformément à laquelle il n’est pas nécessaire, pour exécuter un mandat d’arrêt européen, de vérifier que les comportements visés à l’article 2, paragraphe 2, de la décision‑cadre sont bien érigés en infraction dans les deux États membres concernés alors que l’exigence de la double incrimination s’applique aux autres infractions est compatible avec ce droit fondamental à l’égalité devant la loi.
84. Pour analyser ce sujet du renvoi, il convient d’étudier attentivement la structure de l’article 2 de la décision‑cadre afin de dissiper l’équivoque qui se profile tant dans l’ordonnance elle-même que dans certaines observations qui ont été présentées dans cette procédure préjudicielle. Pour qu’un mandat d’arrêt européen puisse opérer, il suffit que le comportement incriminé soit passible d’une sanction d’une certaine durée dans l’État membre d’émission (paragraphe 1), bien que la remise puisse être subordonnée à la condition que les faits incriminés soient considérés comme une infraction dans l’État membre d’exécution (paragraphe 4). Cette possibilité n’existe cependant pas pour les 32 types de comportements énumérés au paragraphe 2 (83).
85. Par conséquent, il me paraît incorrect de prétendre qu’à l’exception des comportements visés à l’article 2, paragraphe 2, le système du mandat d’arrêt européen serait fondé sur le principe de la double incrimination. Au contraire, la seule condition est que les faits soient poursuivis dans l’État requérant bien que les États membres, lorsqu’ils transposent la décision‑cadre (84), ou leurs juridictions, lorsqu’elles exécutent un mandat d’arrêt déterminé (85), puissent subordonner l’exécution du mandat à la condition que les faits poursuivis soient érigés en infraction par leur ordre juridique, faculté dont ils ne disposent pas en ce qui concerne les infractions énoncées au paragraphe 2 déjà plusieurs fois cité (86).
86. À ce carrefour, la question de la Cour d’arbitrage s’adresse à une instance incompétente, car le traitement inégal dénoncé n’est pas imputable au législateur de l’Union, mais à la réglementation nationale ou à la décision judiciaire nationale, suivant les cas, dont le contrôle ne relève pas de la compétence de la Cour.
87. S’il fallait comprendre que, d’une manière ou d’une autre, la cause lointaine de l’infraction plonge ses racines dans la décision‑cadre en ce qu’elle instaure un régime différent selon la nature des faits, la question serait également dépourvue de consistance.
88. Formulé en ces termes, le doute se circonscrit à l’égalité abstraite devant la loi, l’application de celle-ci demeurant momentanément hors du débat, de même que l’interdiction de toute discrimination liée à des circonstances personnelles ou sociales (87).
89. La loi doit traiter les citoyens d’une manière égalitaire et s’interdire d’aborder des situations comparables de manière différente et de soumettre celles qui sont dissemblables à des régimes identiques. Le législateur dispose néanmoins d’un vaste éventail de configurations lui permettant de traiter différemment des situations semblables à condition de fournir une explication objective et prudente. La justification qu’il fournira ainsi présentera ces qualités si la finalité et les effets recherchés sont légitimes et s’il existe entre la première et les seconds un rapport de proportionnalité adéquat empêchant que des conséquences particulièrement graves ou démesurées puissent se produire (88).
90. Or, j’estime que les termes confrontés en l’espèce ne sont pas comparables. D’une part, c’est de faits qu’il s’agit et l’attention se porte non pas sur le statut personnel, mais sur la nature de la contravention, de sorte qu’il n’y a pas de discrimination subjective. D’autre part, il n’y a pas de comparaison, dans la perspective des poursuites pénales à engager contre eux, entre les individus qui se rendent coupables de divers comportements d’importance inégale et au caractère culpeux divers; les écarts de gravité entre les infractions empêchent d’assimiler leurs auteurs.
91. Mon opinion ne varie pas si, en évaluant les conséquences de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen (détention, remise, procès pénal, exécution d’une sentence), on se rend compte que les personnes concernées se trouvent dans une position semblable, quelle que soit l’infraction qui est à l’origine de leur incarcération. La différence de traitement s’avère donc objective, raisonnable, équitable et proportionnée.
92. Elle est objective parce qu’elle répond à des critères autonomes, indépendants de l’individu, qui peuvent être mesurés au moyen de paramètres abstraits et généraux qui excluent toute volonté de sélectivité, à savoir la nature de la contravention et la peine qui s’y applique.
93. Elle est également raisonnable et justifiée parce qu’elle s’inscrit dans la poursuite d’un des objectifs de l’Union européenne: la lutte contre la criminalité dans un espace de sécurité, de justice et de liberté (article 2 UE, quatrième tiret, lu en combinaison avec l’article 29 UE). La liste qui figure à l’article 2, paragraphe 2, de la décision‑cadre comporte des délits qui, comme le gouvernement espagnol l’a observé dans ses remarquables observations écrites (point 121), affectent gravement des biens juridiques nécessitant une protection particulière en Europe, la condition étant que ces délits soient passibles de peines d’une certaine intensité dans l’État d’émission du mandat d’arrêt (89). Il s’agit de comportements pour lesquels il s’avère superflu de constater la double incrimination puisqu’ils sont réprouvés dans tous les États membres (90).
94. Pour terminer, la proportionnalité de la mesure est indiscutable puisque le régime distinct n’a pas d’autre portée que d’assurer la remise du poursuivi ou condamné pour délit grave aux autorités d’un système judiciaire assimilable à celui de l’État qui fait droit au mandat, système qui respecte les principes de l’État de droit et garantit à l’intéressé le respect de ses droits fondamentaux, y compris ceux dont il peut se prévaloir au cours de la procédure pénale.
95. Je terminerai ce chapitre de mes conclusions à l’endroit où l’association demanderesse au principal entame ses observations et où elle évoque les hypothèses, authentiquement extravagantes (91), dans lesquelles un État membre livre un individu conformément à l’article 2, paragraphe 2, de la décision‑cadre pour un comportement qui ne serait pas passible de poursuites sur son territoire (92). Cette situation ne relève pas du principe d’égalité puisqu’il n’y a pas de discrimination à l’encontre de soi-même. Il faut rappeler qu’aux fins de l’application de ce principe, tout mandat d’arrêt européen délivré en vue de la détention d’une personne soupçonnée ou condamnée dans un pays de l’Union, pour une des infractions prévues à l’article 2, paragraphe 2, susmentionné et frappées d’une peine de la gravité requise par cette disposition, est exécuté abstraction faite des circonstances personnelles et sociales propres à cette personne.
b) L’égalité dans l’application de la loi
96. Une autre dimension de ce grief s’est glissée dans la décision de renvoi et annonce un risque d’interprétation discordante de l’article 2, paragraphe 2, de la décision‑cadre en raison de l’imprécision des définitions qu’il contient.
97. Si l’on pose la question en ces termes, il semble évident que cette contingence n’est pas susceptible de mettre en cause la correction de la norme, qui ne répond pas de futures et hypothétiques discriminations à l’occasion de son application. Est sous-jacente ici une confusion entre l’égalité dans la loi et celle qui opère au moment de son exécution. La première, qui a un caractère matériel et vise à garantir l’égalité de traitement des égaux, est rompue lorsque la norme, sans fondement rationnel, les soumet à des régimes dissemblables alors que la seconde, de nature formelle, est mise à mal lorsqu’un organe appelé à l’exécuter l’entend, dans une hypothèse singulière, autrement que comme elle l’a fait antérieurement dans des situations similaires. Il n’y a donc pas d’inégalité dans l’application de la loi lorsque les décisions divergentes procèdent de juridictions différentes agissant dans l’exercice légal de leur pouvoir de juger; l’égalité n’exige pas que des organes indépendants maintiennent une herméneutique coïncidente. Ce serait un sarcasme que de taxer une loi de discrimination parce qu’elle peut recevoir des exégèses différentes, susceptibles de s’unifier à travers les voies de recours pertinentes.
98. De toute manière, il faut attendre pour voir si les disharmonies annoncées se produisent en dépit des précautions que le système établit en vue de les éviter. La décision‑cadre elle-même fournit des outils utiles en la matière puisqu’elle prévoit l’échange nécessaire d’informations et la consultation directe entre les juges impliqués (93). De surcroît, si un doute persiste à propos du sens des notions utilisées à l’article 2, paragraphe 2, de la décision‑cadre, la question préjudicielle de l’article 35 UE ouvre la voie idoine pour une compréhension uniforme dans le territoire de l’Union.
99. Le risque prophétisé, obstacle du manque d’harmonisation des droits pénaux nationaux, ne concerne pas le principe de l’égalité et se combine à l’exigence de certitudes dans les relations juridiques, en particulier dans celles qui s’établissent de manière coercitive entre les pouvoirs publics et les citoyens. Cette constatation m’amène à l’autre aspect de la deuxième question préjudicielle.
3. L’article 2, paragraphe 2, de la décision‑cadre et le principe de la légalité pénale
100. Ce principe (94) exprimé dans l’adage latin nullum crimen, nulla poena sine lege et concrétisé à l’article 7, paragraphe 1, de la convention de Rome ainsi qu’à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, comporte, selon la formulation déjà classique du Tribunal Constitucional (95), une double garantie: la première, d’ordre matériel et à portée absolue, se traduit dans l’exigence impérative de prédétermination des comportements illicites et des sanctions qui s’y appliquent; la seconde, à caractère formel, concerne le rang des normes qui codifient ces comportements et règle les peines, normes qui, dans le système espagnol (96) comme dans la majorité des systèmes des États membres, sont équipollentes à la loi, adoptées par le pouvoir législatif, dépositaire de la souveraineté populaire.
101. Se faisant l’écho de la thèse de l’association demanderesse au principal, la Cour d’arbitrage souhaite tirer au clair la question de savoir si, eu égard à sa formulation vague et à son imprécision, la liste de comportements qui figure à l’article 2, paragraphe 2, de la décision‑cadre est conforme à la garantie matérielle.
102. Cette garantie est le reflet de la sécurité juridique dans le domaine pénal (97) et revêt une importance plus grande en ce qu’elle affecte des valeurs fondamentales telles que la liberté personnelle. Elle vise à ce que les citoyens connaissent à l’avance les comportements dont ils doivent s’abstenir et les conséquences qu’ils encoureraient s’ils s’en rendaient coupables (lex previa) (98), ce qui implique que les comportements délictueux soient définis de manière stricte et sans ambiguïté (lex certa), de manière à ce que les citoyens puissent, en se basant sur leur définition et, au besoin, avec l’aide des juridictions (99), connaître, avec un degré de prévisibilité raisonnable, les actions ou omissions qui engagent leur responsabilité pénale, à l’exclusion des exégèses analogiques et extensives in peius ainsi que des applications rétroactives (100).
103. Le principe de légalité intervient donc dans le droit pénal matériel comme un mandat adressé au législateur lorsqu’il décrit les comportements culpeux et les peines et au juge lorsqu’il les analyse et applique la loi dans une procédure criminelle (101). En d’autres termes, il se projette dans l’exercice du ius puniendi de l’État ou dans l’exécution de décisions avec un authentique sens répressif, de sorte que la décision‑cadre ne saurait guère l’enfreindre puisqu’elle n’instaure aucune peine (102) et ne vise même pas à harmoniser les systèmes pénaux des États membres; elle se limite, en effet, à structurer un mécanisme d’entraide entre juges de différents pays dans une procédure lorsqu’il s’agit de déterminer qui a commis un délit ou lorsqu’il s’agit d’assurer l’exécution d’une condamnation. Cet instrument de coopération est assorti de certaines conditions puisque les peines ou les mesures susceptibles d’être infligées doivent présenter une certaine intensité et qu’il peut en outre être requis qu’elles soient codifiées dans l’État du juge qui apporte son concours «telles qu’elles sont définies dans la législation de l’État membre d’émission», sauf dans le cas des comportements culpeux visés à l’article 2, paragraphe 2.
104. Le droit pénal matériel de cet État membre d’émission doit donc présenter le caractère certain requis par ce principe et, partant, il faut exiger du législateur qu’il y veille ainsi que du juge appelé à engager les poursuites pénales et à y mettre un terme, au besoin, par une condamnation. Il est évident qu’un mandat d’arrêt européen correctement émis est fondé sur des faits légalement considérés comme culpeux dans cet État. L’appareil pénal du pays d’exécution du mandat doit uniquement fournir la collaboration demandée et, si la législation de transposition de la décision‑cadre le prévoit ainsi, il doit subordonner la remise à la condition que les comportements incriminés soient également pénalement définis dans sa propre législation, sous réserve de l’article 2, paragraphe 2, hypothèse dans laquelle il est lui aussi tenu de respecter le principe de légalité.
105. Indépendamment de ce qui précède, il faut ajouter que la détention et la mise à disposition opérées en exécution d’un mandat d’arrêt européen ne sont pas des sanctions. Le juge requis vérifie que les éléments lui permettant de livrer une personne qui se trouve sur le territoire de son ressort au juge qui a émis le mandat sont réunis, mais il doit s’interdire de connaître du fond au-delà de ce qu’exige la procédure de remise et s’abstenir d’évaluer les preuves et de se prononcer sur la culpabilité. La commission européenne des droits de l’homme en a d’ailleurs jugé ainsi à propos de l’extradition lorsqu’elle a décidé de l’exclure de la notion de condamnation qui figure à l’article 7 de la convention de Rome (103).
106. Ce n’est pas tant le principe de légalité pénale qui a inspiré sa question à la Cour d’arbitrage que la crainte que les notions figurant à l’article 2, paragraphe 2, de la décision‑cadre se voient attribuer un sens différent dans chaque État membre, avec le risque d’applications divergentes. J’ai déjà évoqué cette éventualité, inhérente à la vocation de toute proposition normative, abstraite et générale, aux points 96 à 99 des présentes conclusions. Il ne me reste plus à présent qu’à ajouter que, si, après avoir eu recours aux moyens mis en place par la décision‑cadre en vue de la solution des difficultés et avoir obtenu une interprétation uniforme par la voie préjudicielle, le juge chargé d’exécuter le mandat d’arrêt européen conçoit encore des doutes concernant la qualification juridique des faits sur lesquels il est fondé et concernant leur appartenance à un des trente-deux comportements énumérés à l’article 2, paragraphe 2, il doit s’autoriser des dispositions des paragraphes 1 et 4 de cet article 2.
107. En résumé, j’estime que l’article 2, paragraphe 2, de la décision‑cadre n’enfreint pas l’article 6, paragraphe 2, UE, puisqu’il est conforme aux principes d’égalité et de légalité pénale.
VI – Conclusion
108. Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles que la Cour d’arbitrage lui a adressées:
«1) La décision‑cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, n’enfreint pas l’article 34, paragraphe 2, sous b), UE.
2) L’article 2, paragraphe 2, de cette décision‑cadre, en tant qu’il supprime le contrôle de l’exigence de la double incrimination pour les infractions qui y sont mentionnées, n’enfreint pas le principe de légalité en matière pénale ni le principe d’égalité et, par conséquent, il est compatible avec l’article 6, paragraphe 2, UE.»