Language of document : ECLI:EU:C:2010:285

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

20 mai 2010 (*)

«Politique agricole commune – Système intégré de gestion et de contrôle de certains régimes d’aides – Règlement (CE) nº 1782/2003 – Régime de paiement unique – Transfert de droits au paiement – Cession définitive»

Dans l’affaire C‑434/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Oberlandesgericht Oldenburg (Allemagne), par décision du 11 septembre 2008, parvenue à la Cour le 1er octobre 2008, dans la procédure

Arnold und Johann Harms als Gesellschaft bürgerlichen Rechts

contre

Freerk Heidinga,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. E. Levits, A. Borg Barthet (rapporteur), J.-J. Kasel et M. Safjan, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 décembre 2009,

considérant les observations présentées:

–        pour Arnold und Johann Harms als Gesellschaft bürgerlichen Rechts, par Me F. Schulze, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et N. Graf Vitzthum, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. F. Erlbacher et Mme F. Clotuche-Duvieusart, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 février 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) n° 2019/93, (CE) n° 1452/2001, (CE) n° 1453/2001, (CE) n° 1454/2001, (CE) n° 1868/94, (CE) n° 1251/1999, (CE) n° 1254/1999, (CE) n° 1673/2000, (CEE) n° 2358/71 et (CE) n° 2529/2001 (JO L 270, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 94, p. 70).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Arnold und Johann Harms als Gesellschaft bürgerlichen Rechts à M. Heidinga (ci-après l’«acheteur») au sujet de l’exécution d’obligations découlant du contrat de vente d’une exploitation agricole.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

 Le règlement n° 1782/2003

3        Le règlement n° 1782/2003 établit, notamment, un régime d’aide au revenu des agriculteurs. Ce régime est désigné, à l’article 1er, deuxième tiret, de ce règlement comme le «régime de paiement unique».

4        Selon le deuxième considérant du règlement n° 1782/2003:

«Il y a lieu de lier le paiement intégral de l’aide directe au respect de règles en matière de terres, de production et d’activité agricoles. Ces règles doivent viser à intégrer des normes de base en matière d’environnement, de sécurité des aliments, de santé et de bien-être des animaux et de bonnes conditions agricoles et environnementales dans les organisations communes des marchés. Si ces normes de base ne sont pas respectées, les États membres devraient suspendre l’aide directe en tout ou en partie selon des critères proportionnés, objectifs et progressifs. Il convient que cette suppression soit sans préjudice de sanctions prévues actuellement ou ultérieurement par toute autre disposition de la législation communautaire ou nationale.»

5        Le troisième considérant de ce règlement énonce notamment:

«Afin d’éviter que les terres agricoles ne soient abandonnées et d’assurer leur maintien dans de bonnes conditions agricoles et environnementales, il convient d’établir des normes qui procèdent ou non de dispositions des États membres. […]»

6        Selon le vingt et unième considérant du règlement n° 1782/2003:

«Les régimes de soutien relevant de la politique agricole commune fournissent une aide directe au revenu, notamment en vue d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole. Cet objectif est étroitement lié à la conservation des zones rurales. Dans le but d’éviter une mauvaise affectation des ressources communautaires, il convient de n’effectuer aucun paiement de soutien en faveur d’agriculteurs qui ont créé artificiellement les conditions requises pour bénéficier de tels paiements.»

7        Le vingt-quatrième considérant de ce règlement prévoit:

«L’amélioration de la compétitivité de l’agriculture communautaire et le développement des normes en matière de qualité des denrées alimentaires et d’environnement entraînent nécessairement une baisse des prix institutionnels des produits agricoles et une augmentation des coûts de production pour les exploitations agricoles dans la Communauté. Pour atteindre ces objectifs et promouvoir une agriculture durable et plus orientée vers le marché, il y a lieu de passer du soutien de la production au soutien du producteur en introduisant un système découplé d’aide au revenu pour chaque exploitation agricole. Tout en ne modifiant pas les montants effectivement versés aux agriculteurs, le découplage améliorera sensiblement l’efficacité de l’aide au revenu. Il y a donc lieu de subordonner le paiement unique par exploitation au respect des normes en matière d’environnement, de sécurité des aliments, de santé et de bien-être des animaux ainsi qu’au maintien de l’exploitation en bonnes conditions agricoles et environnementales.»

8        Le trentième considérant dudit règlement énonce notamment:

«Afin de faciliter le transfert des droits à la prime, il convient de diviser le montant total auquel une exploitation peut prétendre en plusieurs parts (les droits au paiement) et de le lier à un certain nombre d’hectares admissibles au bénéfice de l’aide à déterminer. Pour éviter les transferts à des fins spéculatives conduisant à l’accumulation de droits au paiement qui ne correspondent pas à une réalité agricole, il y a lieu de prévoir, pour l’octroi de l’aide, un lien entre les droits et un certain nombre d’hectares admissibles au bénéfice de l’aide ainsi que la possibilité de limiter le transfert de droits au sein d’une région. […]»

9        Aux termes de l’article 2 du même règlement:

«[…] on entend par:

a)      ‘agriculteur’: une personne physique ou morale ou un groupement de personnes physiques ou morales […] qui exerce une activité agricole;

[…]

c)      ‘activité agricole’: la production, l’élevage ou la culture de produits agricoles, y compris la récolte, la traite, l’élevage et la détention d’animaux à des fins agricoles, ou le maintien des terres dans de bonnes conditions agricoles et environnementales, telles que définies à l’article 5;

[…]»

10      Le titre II du règlement n° 1782/2003 comporte un chapitre 1, intitulé «Conditionnalité», composé des articles 3 à 9. L’article 3 de ce règlement, intitulé «Exigences principales», dispose:

«1.      Tout agriculteur percevant des paiements directs est tenu de respecter les exigences réglementaires en matière de gestion visées à l’annexe III, conformément au calendrier fixé dans cette annexe, ainsi que les bonnes conditions agricoles et environnementales établies conformément à l’article 5.

2.      L’autorité nationale compétente fournit à l’agriculteur la liste des exigences réglementaires en matière de gestion et des bonnes conditions agricoles et environnementales à respecter.»

11      Le titre III dudit règlement, intitulé «Régime de paiement unique», contient, dans ses chapitres 1 à 4, les règles de base applicables à ce système d’aide au revenu des agriculteurs «découplé» de la production.

12      Aux termes de l’article 33, paragraphe 1, du même règlement:

«Les agriculteurs ont accès au régime de paiement unique:

a)      s’ils se sont vu octroyer un paiement au cours de la période de référence visée à l’article 38 au titre d’au moins un des régimes de soutien visés à l’annexe VI, ou

b)      s’ils ont reçu l’exploitation ou une partie de l’exploitation à titre d’héritage ou d’héritage anticipé, de la part d’un agriculteur qui répondait aux conditions visées au point a), ou

c)      s’ils ont reçu un droit à paiement au titre de la réserve nationale ou d’un transfert.»

13      L’article 36, paragraphe 1, du règlement n° 1782/2003 dispose:

«L’aide accordée au titre du régime de paiement unique est versée pour les droits au paiement définis au chapitre 3 accompagnés d’un nombre égal d’hectares admissibles au bénéfice de l’aide tels que définis à l’article 44, paragraphe 2.»

14      Aux termes de l’article 44 dudit règlement, intitulé «Utilisation des droits au paiement»:

«1.      Tout droit au paiement lié à un hectare admissible au bénéfice de l’aide donne droit au paiement du montant fixé par le droit.

2.      Par ‘hectare admissible au bénéfice de l’aide’, on entend toute superficie agricole de l’exploitation occupée par des terres arables et des pâturages permanents, à l’exclusion des superficies occupées par des cultures permanentes et des forêts ou affectées à une activité non agricole.

[…]»

15      L’article 46 du règlement n° 1782/2003, intitulé «Transfert de droits au paiement», dispose:

«1.      Les transferts de droits au paiement ne peuvent se faire qu’à un agriculteur du même État membre, sauf en cas d’héritage ou d’héritage anticipé.

[…]

2.      Les transferts de droits au paiement, avec ou sans terres, peuvent se faire par vente ou toute autre cession définitive. En revanche, le bail ou toute transaction similaire est autorisé à condition que le transfert des droits au paiement s’accompagne du transfert d’un nombre équivalent d’hectares admissibles au bénéfice de l’aide.

Sauf en cas de force majeure ou dans des circonstances exceptionnelles telles que définies à l’article 40, paragraphe 4, un agriculteur ne peut transférer ses droits au paiement, sans terres, qu’après avoir utilisé, au sens de l’article 44, au moins 80 % de ses droits pendant au moins une année civile ou après avoir cédé volontairement à la réserve nationale tous les droits qu’il n’a pas utilisés au cours de la première année d’application du régime de paiement unique.

[…]»

16      La section 1 du chapitre 5 de ce règlement, intitulée «Mise en œuvre régionale», prévoit la possibilité pour les États membres de mettre en œuvre le régime de paiement unique à l’échelle régionale.

17      L’article 59, paragraphes 1 et 3, dudit règlement, qui fait partie de ladite section, dispose:

«1.      Dans des circonstances dûment justifiées et en appliquant des critères objectifs, l’État membre peut diviser le montant total du plafond régional établi conformément à l’article 58 ou d’une partie de ce plafond entre tous les agriculteurs dont les exploitations sont situées dans la région concernée, y compris ceux qui ne satisfont pas aux critères d’admissibilité visés à l’article 33.

[…]

3.      En cas de division partielle du montant total du plafond régional, les agriculteurs bénéficient de droits dont la valeur unitaire est calculée en divisant la partie correspondante du plafond régional établi conformément à l’article 58 par le nombre d’hectares admissibles au bénéfice de l’aide, au sens de l’article 44, paragraphe 2, fixé au niveau régional.

Au cas où l’agriculteur peut aussi bénéficier de droits calculés sur la partie restante du plafond régional, la valeur unitaire régionale de chacun des droits de cet agriculteur, à l’exception des droits de mise en jachère, est augmentée d’un montant correspondant au montant de référence divisé par le nombre de droits de l’agriculteur établi conformément au paragraphe 4.

[…]»

18      L’article 62 du règlement n° 1782/2003 permet aux États membres de décider que les montants provenant de la prime aux produits laitiers et des paiements supplémentaires, prévus aux articles 95 et 96 de ce règlement, seront inclus au niveau national ou régional, en tout ou en partie, dans le régime de paiement unique à partir de l’année 2005.

 La réglementation nationale

19      En vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la loi d’application du régime de paiement unique (Betriebsprämiendurchführungsgesetz, ci-après le «BetrPrämDurchfG»), le paiement unique est accordé au niveau régional à compter du 1er janvier 2005 selon les modalités prévues respectivement par ladite loi et le règlement d’application du régime de paiement unique.

20      L’article 5, paragraphe 1, du BetrPrämDurchfG dispose que le montant de référence du paiement unique, en application des dispositions combinées de l’article 59, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 1782/2003, se compose pour chaque agriculteur d’un montant propre à l’exploitation et d’un montant fondé sur la superficie.

21      Le montant propre à l’exploitation est calculé sur la base des paiements directs antérieurs énumérés à l’article 5, paragraphe 2, point 1, du BetrPrämDurchfG, auxquels il faut ajouter la prime aux produits laitiers et les suppléments de prime aux produits laitiers. Le montant fondé sur la superficie est calculé en divisant la partie restante du plafond régional par le nombre d’hectares admissibles au bénéfice de l’aide.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

22      Il ressort de la décision de renvoi que, par acte authentique du 8 novembre 2005, Mme Amkeline Gertha Harms et M. Johann Harms (ci-après les «vendeurs») ont vendu à l’acheteur des biens immobiliers agricoles ainsi que des stocks de fourrage et des quantités de référence laitières. Outre le transfert de 9,6 hectares de terres agricoles dont les vendeurs étaient propriétaires, le contrat de vente prévoyait également la possibilité pour l’acheteur de reprendre, au moyen de conventions à conclure avec les propriétaires ou ayants droit, environ 100 hectares de terres dont disposaient les vendeurs en vertu de baux ruraux et de contrats de jouissance.

23      Les parties au contrat de vente sont également convenues que les vendeurs transfèrent à l’acheteur, sans contrepartie financière, l’ensemble des droits au paiement qui leur seront attribués au titre des terres agricoles faisant l’objet du contrat ainsi que de celles faisant l’objet de baux ruraux ou de contrats de jouissance repris par l’acheteur.

24      L’article 9 du contrat de vente comportait notamment la clause suivante:

«Dès que les droits au paiement auront été définitivement fixés et attribués, les vendeurs communiqueront à l’acheteur leur valeur dans un délai de deux semaines à compter de la réception de l’information, mais au plus tard le 15 janvier 2006.

Les parties au contrat s’engagent à conclure d’ici au 15 février 2006 […] un contrat relatif au transfert des droits au paiement concrets précisant les critères d’identification et la valeur.

Dans un délai d’un mois à compter de la conclusion du contrat en question, les parties au contrat devront déclarer le transfert à la base de données centrale du système intégré de gestion et de contrôle.

Dans leurs rapports internes, les parties au contrat conviennent que l’acheteur a droit à quarante droits au paiement pour terres arables et quarante droits au paiement pour pâturages, ainsi qu’à une fraction des droits au paiement propre à l’exploitation (‘top up’) limitée à ce qui correspond à la quantité individuelle de référence pour le lait que l’acheteur a obtenu au titre de baux ruraux dans le cadre de la reprise de l’exploitation (soit environ 622 000 kg).

L’acheteur s’engage à transmettre aux vendeurs, après leur versement, les sommes supplémentaires perçues annuellement au titre des droits au paiement propres à l’exploitation et de ceux fondés sur la superficie (soit environ 15 droits au paiement pour terres arables, environ 15 droits au paiement pour pâturages et des paiements compensatoires pour une quantité individuelle de référence d’environ 1 000 000 kg de lait) […]»

25      Le contrat de vente a été mis en œuvre et la propriété des terres agricoles transférée à l’acheteur. Le 1er avril 2006, 111,79 droits au paiement lui ont été transférés.

26      Par déclaration écrite de cession du 29 janvier 2007, les vendeurs ont cédé à la requérante au principal les droits découlant du contrat de vente.

27      Se fondant sur ledit contrat de vente et sur la convention du 6 janvier 2006 qui en découle, la requérante au principal a notamment demandé à l’acheteur de lui transmettre, pour l’année 2006, la somme totale de 40 823,05 euros au titre des droits au paiement attribués aux vendeurs en vertu de l’accord interne entre les parties.

28      À la suite du rejet de cette demande par le Landgericht Aurich, la requérante au principal a interjeté appel devant l’Oberlandesgericht Oldenburg.

29      La juridiction de renvoi considère que l’issue du litige dont elle est saisie dépend de la validité de la clause figurant à l’article 9 du contrat de vente, au regard notamment des restrictions en matière de transfert de droits au paiement prévues à l’article 46 du règlement n° 1782/2003 et des objectifs poursuivis par le régime de paiement unique.

30      Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Oldenburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 46, paragraphe 2, du règlement [...] n° 1782/2003 [...]doit-il être interprété en ce sens que sont incompatibles avec cette disposition, et par conséquent dépourvues de validité, les conventions ayant pour objet la réalisation apparente d’un transfert complet et définitif des droits au paiement, alors que, d’un point de vue économique, selon la convention des parties, le vendeur conserve les droits au paiement, tandis que l’acheteur, en qualité de titulaire formel des droits au paiement, doit activer lesdits droits au paiement en exploitant les surfaces correspondantes, et est tenu de transmettre au vendeur l’intégralité des paiements octroyés, ou par lesquelles des paiements liés aux superficies sont transférés au vendeur selon un mécanisme tendant à imposer à l’acheteur, à tout le moins après activation des droits et obtention des paiements, de transmettre périodiquement au vendeur une partie des paiements versés (la partie propre à l’exploitation)?»

 Sur la question préjudicielle

 Sur la recevabilité

31      La requérante au principal conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au motif que la question posée ne correspond pas au cadre factuel de l’affaire au principal.

32      À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, telle que prévue à l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire pendante devant lui, la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (voir, notamment, arrêt du 15 octobre 2009, Hochtief et Linde-Kca-Dresden, C‑138/08, non encore publié au Recueil, point 20 et jurisprudence citée).

33      Dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et les juridictions nationales, il incombe en outre à la Cour de prendre en compte le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insère la question préjudicielle, tel que défini par la décision de renvoi (arrêt du 13 novembre 2003, Neri, C‑153/02, Rec. p. I‑13555, point 35).

34      Il convient dès lors de considérer que la demande de décision préjudicielle est recevable et d’examiner celle-ci dans le cadre factuel défini par l’Oberlandesgericht Oldenburg dans sa décision de renvoi.

 Sur le fond

35      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 46, paragraphe 2, du règlement n° 1782/2003 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une convention, telle que celle en cause au principal, ayant pour objet le transfert définitif de droits au paiement et en vertu de laquelle le cessionnaire, en sa qualité de titulaire des droits au paiement, a l’obligation d’activer lesdits droits et de transmettre au cédant tout ou partie des paiements qui lui sont versés à ce titre.

36      À titre liminaire, il convient de rappeler que, si un contrat se caractérise par le principe d’autonomie de la volonté selon lequel, notamment, les parties sont libres de s’engager l’une envers l’autre, des limites à cette liberté contractuelle peuvent néanmoins découler de la réglementation de l’Union applicable (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 1999, Espagne/Commission, C‑240/97, Rec. p. I‑6571, point 99).

37      En particulier, la liberté contractuelle dont dispose le titulaire de droits au paiement ne saurait lui permettre de contracter des engagements en contradiction avec les objectifs visés par le règlement n° 1782/2003.

38      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 1er, deuxième tiret, du règlement n° 1782/2003, le régime de paiement unique constitue une aide au revenu des agriculteurs. Ainsi que l’énonce le vingt et unième considérant de ce règlement, l’objectif consistant à assurer un niveau de vie équitable à la population agricole est étroitement lié à la conservation des zones rurales. C’est d’ailleurs pour cela que le vingt-quatrième considérant dudit règlement prévoit qu’il y a lieu de subordonner le paiement unique au respect des normes en matière d’environnement, de sécurité des aliments, de santé et de bien-être des animaux ainsi qu’au maintien de l’exploitation en bonnes conditions agricoles et environnementales. Le législateur a par ailleurs soumis le versement de l’aide à la condition que l’agriculteur détienne un nombre d’hectares admissibles au bénéfice de l’aide équivalent au nombre de droits au paiement (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2010, van Dijk, C‑470/08, non encore publié au Recueil, point 33).

39      Il s’ensuit qu’un agriculteur ne saurait bénéficier du régime d’aide établi par le règlement n° 1782/2003 s’il ne remplit plus les conditions prévues par ce règlement. Dans le cas contraire en effet, il se verrait accorder un avantage non conforme aux objectifs du régime de paiement unique.

40      S’agissant des règles prévues par le règlement n° 1782/2003 en ce qui concerne le transfert des droits au paiement, en cause dans l’affaire au principal, l’article 46, paragraphe 2, dudit règlement dispose notamment que le transfert des droits au paiement peut être effectué soit par cession définitive, soit par bail ou transaction similaire.

41      Dans le cadre d’un transfert définitif, comme c’est le cas dans l’affaire au principal, l’agriculteur qui bénéficiait jusqu’alors de droits au paiement renonce définitivement à ses prétentions par la cession à un autre agriculteur, qui active ensuite ces droits à son profit (voir, en ce sens, arrêt van Dijk, précité, point 35).

42      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les vendeurs ont cédé à l’acheteur l’ensemble des droits au paiement qui leur avaient été attribués. Le contrat de vente prévoyait notamment que les parties étaient tenues de déclarer le transfert définitif des droits au paiement à la base de données centralisée du système d’identification et d’enregistrement des droits au paiement.

43      Cependant, dans leurs rapports internes, les parties au contrat de vente sont convenues d’attribuer à l’acheteur, par une clause de l’article 9 dudit contrat, un nombre déterminé de droits au paiement, celui-ci s’engageant à transmettre aux vendeurs les sommes à percevoir annuellement au titre des droits restants après les avoir activés.

44      Il semble ressortir du libellé de ladite clause, laquelle stipule expressément que l’acheteur a droit non pas à la totalité des droits au paiement qui lui ont été transférés, mais à une partie d’entre eux seulement, que l’intention des parties était d’attribuer aux vendeurs, dans leurs relations internes, une partie des droits au paiement transférés, en méconnaissance des objectifs du règlement n° 1782/2003. Interprétée a contrario, il résulte en effet nécessairement de cette clause que les droits au paiement restants reviennent aux vendeurs. Une telle appréciation est renforcée par la circonstance que, ainsi qu’il ressort des éléments soumis à la Cour, les parties n’ont prévu aucune limitation temporelle à l’obligation du cessionnaire de transmettre au cédant une partie des paiements qui lui sont versés au titre desdits droits au paiement.

45      Une telle clause, en vertu de laquelle le cessionnaire des droits au paiement ne se voit attribuer, dans la relation interne aux parties, qu’une fraction des droits au paiement qui lui ont été formellement transférés, ne saurait être considérée comme étant conforme aux objectifs du règlement n° 1782/2003, tels qu’énoncés au point 38 du présent arrêt, dans la mesure où elle a pour objet de permettre au cédant de continuer à bénéficier du régime de soutien établi par ce règlement sans être lui-même soumis aux obligations visées au chapitre 1 du titre II dudit règlement ainsi qu’aux conditions d’admissibilité au bénéfice de l’aide visées à l’article 33 du même règlement.

46      Toutefois, la requérante au principal a fait valoir à l’audience que, au moment de la conclusion du contrat de vente, les droits au paiement n’avaient pas encore fait l’objet d’une attribution en République fédérale d’Allemagne et en Basse-Saxe en particulier. Ainsi, ladite clause, dont la formulation serait malheureuse, aurait pour but non pas de lui rétrocéder une partie des droits au paiement transférés aux cessionnaires, mais de déterminer, par référence à la valeur de cette partie des droits au paiement, le prix convenu pour la cession de la totalité des droits au paiement.

47      À cet égard, il y a lieu de considérer que, en l’absence de disposition contraire dans le règlement n° 1782/2003, les parties sont en principe libres de déterminer le montant de la contrepartie financière au transfert des droits au paiement.

48      Dans ces conditions, la question déterminante est de savoir si la clause litigieuse résulte d’une volonté des parties d’attribuer au cédant, dans leurs relations internes, une fraction des droits au paiement formellement transférés, en méconnaissance des dispositions du règlement n° 1782/2003, ou bien de déterminer, par référence à la valeur de cette partie des droits au paiement, le prix convenu pour la cession de la totalité des droits au paiement.

49      Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, sur la base des faits qu’elle est seule à même d’apprécier, quelle était la véritable intention des parties.

50      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le règlement n° 1782/2003 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une convention, telle que celle en cause au principal, ayant pour objet le transfert définitif de droits au paiement et en vertu de laquelle le cessionnaire, en sa qualité de titulaire des droits au paiement, a l’obligation d’activer lesdits droits et de transmettre au cédant, sans aucune limitation temporelle, tout ou partie des paiements qui lui sont versés à ce titre, à condition qu’une telle convention ait pour but non pas de permettre au cédant de retenir une partie des droits au paiement qu’il a formellement cédés, mais de déterminer, par référence à la valeur de cette partie des droits au paiement, le prix convenu pour la cession de la totalité des droits au paiement.

 Sur les dépens

51      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Le règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) n° 2019/93, (CE) n° 1452/2001, (CE) n° 1453/2001, (CE) n° 1454/2001, (CE) n° 1868/94, (CE) n° 1251/1999, (CE) n° 1254/1999, (CE) n° 1673/2000, (CEE) n° 2358/71 et (CE) n° 2529/2001, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une convention, telle que celle en cause au principal, ayant pour objet le transfert définitif de droits au paiement et en vertu de laquelle le cessionnaire, en sa qualité de titulaire des droits au paiement, a l’obligation d’activer lesdits droits et de transmettre au cédant, sans aucune limitation temporelle, tout ou partie des paiements qui lui sont versés à ce titre, à condition qu’une telle convention ait pour but, non pas de permettre au cédant de retenir une partie des droits au paiement qu’il a formellement cédés, mais de déterminer, par référence à la valeur de cette partie des droits au paiement, le prix convenu pour la cession de la totalité des droits au paiement.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.