Language of document : ECLI:EU:C:2010:584

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

6 octobre 2010 (*)

«Communications électroniques – Directive 2002/21/CE (directive ‘cadre’) – Articles 2, sous g), 3 et 4 – Autorité réglementaire nationale – Législateur national agissant en tant qu’autorité réglementaire nationale – Directive 2002/22/CE (directive ‘service universel’) – Réseaux et services – Article 12 – Calcul du coût des obligations de service universel – Composante sociale du service universel – Article 13 – Financement des obligations de service universel – Détermination de la charge injustifiée»

Dans l’affaire C‑389/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Grondwettelijk Hof (Belgique), par décision du 1er septembre 2008, parvenue à la Cour le 8 septembre 2008, dans la procédure

Base NV e.a.

contre

Ministerraad,

En présence de:

Belgacom NV,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot (rapporteur), président de chambre, Mme C. Toader, MM. K. Schiemann, P. Kūris et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 mars 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour Base NV e.a., par Mes D. Arts et T. De Cordier, advocaten,

–        pour Belgacom NV, par Mes F. Vandendriessche et H. Viaene, advocaten,

–        pour le gouvernement belge, par Mme M. Jacobs, en qualité d’agent, assistée de Me S. Depré, advocaat,

–        pour la Commission européenne, par MM. H. van Vliet et A. Nijenhuis, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 juin 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12 de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel») (JO L 108, p. 51).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de l’examen d’un recours en annulation introduit par Base NV e.a., (ci-après «Base e.a.») visant les articles 173, 3° et 4°, 200, 202 et 203 de la loi du 25 avril 2007 portant des dispositions diverses (IV) (Moniteur belge du 8 mai 2007, p. 25103, ci-après la «loi du 25 avril 2007»), modifiant la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques (Moniteur belge du 20 juin 2005, p. 28070, ci-après la «loi du 13 juin 2005»), laquelle fixe notamment les conditions dans lesquelles est déterminée l’indemnisation des charges dites «injustifiées» supportées du fait des obligations de service universel par les opérateurs offrant un service téléphonique public.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive-cadre

3        Aux termes du onzième considérant de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive «cadre») (JO L 108, p. 33, ci-après la «directive-cadre»):

«Conformément au principe de la séparation des fonctions de réglementation et d’exploitation, les États membres devraient garantir l’indépendance de la ou des autorités réglementaires nationales, afin d’assurer l’impartialité de leurs décisions. Cette exigence d’indépendance ne porte pas atteinte à l’autonomie institutionnelle ni aux obligations constitutionnelles des États membres, ni au principe de neutralité, établi à l’article 295 [CE], à l’égard des règles régissant le régime de la propriété applicables dans les États membres. Il convient que les autorités réglementaires nationales soient en possession de toutes les ressources nécessaires, en termes de personnel, de compétences et de moyens financiers, pour l’exécution de leurs missions.»

4        L’article 2, sous g), de la directive-cadre définit l’«autorité réglementaire nationale» comme étant «l’organisme ou les organismes chargés par un État membre d’une quelconque des tâches de réglementation assignées dans la présente directive et dans les directives particulières».

5        Aux termes de l’article 3 de la directive-cadre, intitulé «Autorités réglementaires nationales»:

«1.      Les États membres veillent à ce que chacune des tâches assignées aux autorités réglementaires nationales dans la présente directive et dans les directives particulières soit accomplie par un organisme compétent.

2.      Les États membres garantissent l’indépendance des autorités réglementaires nationales en faisant en sorte que celles-ci soient juridiquement distinctes et fonctionnellement indépendantes de toutes les organisations assurant la fourniture de réseaux, d’équipements ou de services de communications électroniques. Les États membres qui conservent la propriété ou le contrôle d’entreprises qui assurent la fourniture de réseaux et/ou de services de communications électroniques veillent à la séparation structurelle effective de la fonction de réglementation d’une part, et des activités inhérentes à la propriété ou à la direction de ces entreprises d’autre part.

3.      Les États membres veillent à ce que les autorités réglementaires nationales exercent leurs pouvoirs de manière impartiale et transparente.

[…]»

6        Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre:

«Les États membres veillent à ce que des mécanismes efficaces permettent, au niveau national, à tout utilisateur ou à toute entreprise qui fournit des réseaux et/ou des services de communications électroniques, et qui est affecté(e) par une décision prise par une autorité réglementaire nationale, d’introduire un recours auprès d’un organisme indépendant des parties intéressées. Cet organisme, qui peut être un tribunal, dispose des compétences appropriées pour être à même d’exercer ses fonctions. Les États membres veillent à ce que le fond de l’affaire soit dûment pris en considération et à ce qu’il existe un mécanisme de recours efficace. Dans l’attente de l’issue de la procédure, la décision de l’autorité réglementaire nationale est maintenue, sauf si l’organisme de recours en décide autrement.»

 La directive 2002/22

7        Le quatrième considérant de la directive 2002/22 énonce que le fait de «[g]arantir un service universel (c’est-à-dire fournir un ensemble minimal de services déterminés à tous les utilisateurs finals à un prix abordable) peut entraîner la fourniture de certains services à certains utilisateurs finals à des prix qui s’écartent de ceux découlant de conditions normales du marché. Toutefois, l’indemnisation des entreprises désignées pour fournir ces services dans ces circonstances ne saurait entraîner une quelconque distorsion de la concurrence, à condition que ces entreprises désignées soient indemnisées pour le coût net spécifique encouru et que ce coût net soit recouvré par un moyen neutre du point de vue de la concurrence».

8        Aux termes de l’article 3 de la directive 2002/22, intitulé «Disponibilité du service universel»:

«1.      Les États membres veillent à ce que les services énumérés dans le présent chapitre soient mis à la disposition de tous les utilisateurs finals sur leur territoire, indépendamment de leur position géographique, au niveau de qualité spécifié et, compte tenu de circonstances nationales particulières, à un prix abordable.

2.      Les États membres déterminent l’approche la plus efficace et la plus adaptée pour assurer la mise [en] œuvre du service universel, dans le respect des principes d’objectivité, de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité. Ils s’efforcent de réduire au minimum les distorsions sur le marché, en particulier lorsqu’elles prennent la forme de fournitures de services à des tarifs ou des conditions qui diffèrent des conditions normales d’exploitation commerciale, tout en sauvegardant l’intérêt public.»

9        L’article 8 de la directive 2002/22, intitulé «Désignation d’entreprises», dispose:

«1.      Les États membres peuvent désigner une ou plusieurs entreprises afin de garantir la fourniture du service universel […]

2.      Lorsque les États membres désignent des entreprises pour remplir des obligations de service universel sur tout ou partie du territoire national, ils ont recours à un mécanisme de désignation efficace, objectif, transparent et non discriminatoire qui n’exclut a priori aucune entreprise. Les méthodes de désignation garantissent que la fourniture du service universel répond au critère de la rentabilité et peuvent être utilisées de manière à pouvoir déterminer le coût net de l’obligation de service universel, conformément à l’article 12.»

10      L’article 9 de la directive 2002/22, intitulé «Caractère abordable des tarifs», prévoit:

«1.      Les autorités réglementaires nationales surveillent l’évolution et le niveau des tarifs de détail applicables aux services définis, dans les articles 4, 5, 6 et 7, comme relevant des obligations de service universel et fournis par des entreprises désignées, notamment par rapport aux niveaux des prix à la consommation et des revenus nationaux.

2.      Les États membres peuvent, au vu des circonstances nationales, exiger que les entreprises désignées proposent aux consommateurs des options ou des formules tarifaires qui diffèrent de celles offertes dans des conditions normales d’exploitation commerciale, dans le but notamment de garantir que les personnes ayant de faibles revenus ou des besoins sociaux spécifiques ne soient pas empêchées d’accéder au service téléphonique accessible public ou d’en faire usage.

[…]»

11      L’article 12 de la directive 2002/22, intitulé «Calcul du coût des obligations de service universel», énonce à son paragraphe 1:

«Lorsque les autorités réglementaires nationales estiment que la fourniture du service universel, telle qu’elle est énoncée dans les articles 3 à 10, peut représenter une charge injustifiée pour les entreprises désignées comme fournisseurs de service universel, elles calculent le coût net de cette fourniture.

À cette fin, les autorités réglementaires nationales:

a)      calculent le coût net de l’obligation de service universel, compte tenu de l’avantage commercial éventuel que retire une entreprise désignée pour fournir un service universel, conformément aux indications données à l’annexe IV, partie A, ou

b)      utilisent le coût net encouru par la fourniture du service universel et déterminé par mécanisme de désignation conformément à l’article 8, paragraphe 2.»

12      Aux termes de l’article 13, de la directive 2002/22, intitulé «Financement des obligations de service universel»:

«1.      Lorsque, sur la base du calcul du coût net visé à l’article 12, les autorités réglementaires nationales constatent qu’une entreprise est soumise à une charge injustifiée, les États membres décident, à la demande d’une entreprise désignée:

a)      d’instaurer un mécanisme pour indemniser ladite entreprise pour les coûts nets tels qu’ils ont été calculés, dans des conditions de transparence et à partir de fonds publics, et/ou

b)      de répartir le coût net des obligations de service universel entre les fournisseurs de réseaux et de services de communications électroniques.»

13      L’annexe IV, partie A, de la directive 2002/22 décrit la façon dont le coût net des obligations de service universel doit être calculé dans les termes suivants:

«[…]

Les autorités nationales envisagent tous les moyens possibles pour inciter les opérateurs (désignés ou non) à remplir leurs obligations de service universel de manière rentable. Le coût net correspond à la différence entre le coût net supporté par une entreprise désignée lorsqu’elle fournit un service universel et lorsqu’elle n’en fournit pas. Cette règle s’applique, que le réseau soit complètement achevé dans un État membre ou qu’il soit encore en train de se développer et de s’étendre. Il convient de veiller à évaluer correctement les coûts que l’entreprise désignée aurait évités si elle avait eu le choix de ne pas remplir d’obligations de service universel. Le calcul du coût net doit évaluer les bénéfices, y compris les bénéfices immatériels, pour l’opérateur de service universel.

[…]»

 La réglementation nationale

14      L’article 74 de la loi du 13 juin 2005, telle que modifiée par la loi du 25 avril 2007, est ainsi rédigé:

«La composante sociale du service universel consiste en la fourniture, par chaque opérateur offrant un service téléphonique public aux consommateurs, de conditions tarifaires particulières à certaines catégories de bénéficiaires.

Les catégories de bénéficiaires et les conditions tarifaires visées à l’alinéa 1er, ainsi que les procédures visant à l’obtention desdites conditions tarifaires sont définies en annexe.

L’Institut [belge des services postaux et des télécommunications (ci-après l’‘Institut’)] remet chaque année au ministre un rapport sur les parts relatives des opérateurs dans le nombre total d’abonnés sociaux par rapport à leurs parts de marché sur la base du chiffre d’affaires sur le marché de la téléphonie publique.

Il est créé un fonds pour le service universel en matière de tarifs sociaux chargé d’indemniser les prestataires de tarifs sociaux qui ont introduit une demande à cet effet auprès de l’Institut. Ce fonds est doté de la personnalité juridique et géré par l’Institut.

Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, après avis de l’Institut, les modalités de fonctionnement de ce mécanisme.

S’il s’avère que le nombre de réductions de tarifs accordées par l’opérateur est inférieur au nombre de réductions de tarifs correspondant à sa part du chiffre d’affaires global du marché de la téléphonie publique, cet opérateur doit compenser cette différence.

S’il s’avère que le nombre de réductions de tarifs accordées par l’opérateur est supérieur au nombre de réductions de tarifs correspondant à sa part du chiffre d’affaires global du marché de la téléphonie publique, cet opérateur recevra une indemnité d’un montant égal à cette différence.

Les compensations visées aux alinéas précédents sont dues immédiatement. La compensation effective opérée par le biais du fonds aura lieu dès que celui-ci sera devenu opérationnel et au plus tard dans le courant de l’année suivant l’entrée en vigueur du présent article.

L’Institut calcule, selon la méthodologie définie dans l’annexe, le coût net des tarifs sociaux pour chaque opérateur qui a introduit une demande dans ce sens auprès de l’Institut.

L’Institut peut déterminer les modalités de calcul des coûts et des compensations dans les limites établies par la présente loi et par son annexe.»

15      L’article 45bis de l’annexe de la loi du 13 juin 2005, inséré par l’article 200 de la loi du 25 avril 2007, définit la méthodologie à employer pour le calcul du coût net des tarifs sociaux. Ledit article 45bis dispose:

«Le coût net des tarifs sociaux du service universel correspond à la différence entre les recettes que le prestataire des tarifs sociaux toucherait dans des conditions commerciales normales et celles qu’il reçoit à la suite des réductions prévues dans la présente loi en faveur du bénéficiaire du tarif social.

Pendant les cinq premières années de l’entrée en vigueur de la loi, la compensation que le prestataire historique des tarifs sociaux reçoit le cas échéant est diminuée d’un pourcentage fixé par l’Institut.

Le pourcentage dont il est question dans l’alinéa précédent est fixé sur la base du bénéfice indirect. L’Institut se basera sur des calculs qu’[il] a déjà faits en fixant les coûts nets du prestataire historique des tarifs sociaux.»

16      Aux termes de l’article 202 de la loi du 25 avril 2007:

«À l’article 74, dernier alinéa, de la loi du 13 juin 2005 […], les mots ‘Les compensations visées aux alinéas précédents sont dues immédiatement’ doivent être interprétés comme suit:

Lors de la préparation de la loi du 13 juin 2005 […], compte tenu des conditions prévues dans la directive [2002/22] et à la suite d’une demande à cet égard de la part du prestataire historique du service universel et après fixation du coût net du service universel par l’Institut, le législateur, en tant qu’autorité réglementaire nationale, a procédé à une évaluation du caractère déraisonnable de la charge. À cet égard, le législateur a, comme cela a d’ailleurs été constaté par le Conseil d’État, estimé que, dans la mesure où il est tenu compte de tout le bénéfice indirect, y compris le bénéfice immatériel pouvant être généré par cette prestation, toute situation déficitaire que ce calcul fait apparaître est en effet une charge déraisonnable.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

17      Base e.a. sont des entreprises actives dans le secteur des télécommunications, qui peuvent offrir le service universel en matière de télécommunications.

18      Elles ont introduit, le 6 novembre 2007, un recours devant le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) tendant à l’annulation des articles 173, 3° et 4°, 200, 202 et 203 de la loi du 25 avril 2007. Elles ont soutenu que ces dispositions, qui fixent les règles d’appréciation du caractère injustifié de la charge résultant des obligations de service universel, en particulier de l’offre de tarifs sociaux, sont contraires au principe constitutionnel de non-discrimination. Ces dispositions législatives placeraient en effet Belgacom NV, qui offrait seule le service universel avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 juin 2005, dans une situation avantageuse par rapport à celle de Base e.a., puisque le législateur aurait considéré par principe que l’offre de service universel constituait pour Belgacom NV une «charge injustifiée», alors que, pour elles, l’existence d’une telle charge serait constatée et pourrait être revue à l’avenir par l’Institut. Elles ont encore soutenu que, pour la détermination du coût net de l’obligation de service universel dans le chef de Belgacom NV, le législateur se serait basé sur les données comptables de 2001, alors que, pour les requérantes, l’Institut se fonderait sur des données actuelles.

19      Estimant que l’interprétation de l’article 12 de la directive 2002/22 était nécessaire pour lui permettre de statuer sur le recours dont il est saisi, le Grondwettelijk Hof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 12 de la directive 2002/22 […] peut-il être interprété en ce sens qu’il permet au législateur compétent d’un État membre, agissant en qualité d’autorité réglementaire nationale, de constater, de manière générale et sur la base du calcul des coûts nets du prestataire du service universel qui était auparavant le seul prestataire [de ce service] que la fourniture du service universel peut représenter une charge injustifiée pour les entreprises désignées comme fournisseurs de service universel?»

 Sur la question préjudicielle

20      À titre liminaire, il convient de constater que la question posée recouvre deux aspects. D’une part, elle vise à savoir si l’article 12 de la directive 2002/22, en ce qu’il confie aux autorités réglementaires nationales le soin d’apprécier si la fourniture du service universel peut représenter une charge injustifiée pour les entreprises désignées à cet effet, s’oppose à ce que cette appréciation soit opérée, sur le plan formel, par le législateur national. D’autre part, elle vise à savoir si ledit article 12 s’oppose à ce que cette appréciation soit opérée, sur le plan matériel, de manière générale pour l’ensemble des entreprises et par référence aux coûts nets du fournisseur exclusif du service universel qu’était auparavant l’opérateur historique.

21      Il y a lieu pour la Cour d’examiner séparément ces deux aspects de la question.

 En ce qui concerne l’intervention du législateur national comme autorité réglementaire nationale

22      L’article 2, sous g), de la directive-cadre définit l’autorité réglementaire nationale comme étant l’organisme ou les organismes chargés par un État membre d’une quelconque des tâches de réglementation assignées dans cette directive et dans les directives particulières. Cette définition est, en vertu de l’article 2, premier alinéa, de la directive 2002/22, applicable aux fins de celle-ci, laquelle constitue l’une des directives particulières visées à l’article 2, sous g), de la directive-cadre.

23      Ni la directive-cadre ni la directive 2002/22 ne désignent les organes des États membres auxquels ces derniers doivent confier les tâches de réglementation assignées à ladite autorité.

24      À cet égard, il doit être rappelé qu’il résulte de l’article 249 CE que les États membres sont obligés, lors de la transposition d’une directive, d’assurer le plein effet de celle-ci, tout en disposant d’une ample marge d’appréciation quant au choix des moyens (voir, notamment, arrêt du 9 novembre 2006, Commission/Irlande, C-216/05, Rec. p. I‑10787, point 26).

25      Il doit être également rappelé que la liberté du choix des voies et des moyens destinés à assurer la mise en œuvre d’une directive laisse entière l’obligation, pour chacun des États membres destinataires, de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le plein effet de la directive concernée, conformément à l’objectif que celle-ci poursuit (voir, notamment, arrêt du 15 avril 2008, Impact, C-268/06, Rec. p. I‑2483, point 40).

26      Si, dans ces conditions, les États membres jouissent en la matière d’une autonomie institutionnelle dans l’organisation et la structuration de leurs autorités réglementaires au sens de l’article 2, sous g), de la directive‑cadre, cette autonomie ne peut toutefois être exercée que dans le plein respect des objectifs et des obligations fixés par cette directive (arrêt du 6 mars 2008, Comisión del Mercado de las Telecomunicaciones, C‑82/07, Rec. p. I-1265, point 24).

27      Ainsi, un État membre ne saurait attribuer au législateur national les tâches incombant aux autorités réglementaires nationales en vertu de la directive-cadre et de la directive 2002/22 que si l’organe législatif, dans l’exercice de ces tâches, répond aux conditions d’organisation et de fonctionnement auxquelles lesdites directives soumettent ces autorités.

28      À cet égard, il ressort du onzième considérant de la directive-cadre que, conformément au principe de la séparation des fonctions de réglementation et d’exploitation, il convient que les États membres garantissent l’indépendance de la ou des autorités réglementaires nationales, afin d’assurer l’impartialité des décisions de ces autorités, et que celles-ci soient en possession de toutes les ressources nécessaires, s’agissant du personnel, des compétences et des moyens financiers, pour l’exécution de leurs missions.

29      C’est ainsi que, selon l’article 3 de la directive-cadre, les États membres doivent, notamment, veiller à ce que chacune des tâches assignées aux autorités réglementaires nationales soit accomplie par un organisme compétent, garantir l’indépendance de ces autorités en faisant en sorte que celles-ci soient juridiquement distinctes et fonctionnellement indépendantes de toutes les organisations assurant la fourniture de réseaux, d’équipements ou de services de communications électroniques et veiller à ce que lesdites autorités exercent leurs pouvoirs de manière impartiale et transparente. En outre, conformément à l’article 4 de la même directive, les décisions de ces autorités doivent pouvoir faire l’objet de recours effectifs auprès d’un organisme indépendant des parties intéressées.

30      Il convient dès lors de constater que la directive 2002/22 ne s’oppose pas en principe, par elle-même, à ce que le législateur national intervienne en qualité d’autorité réglementaire nationale au sens de la directive-cadre pour autant que, dans l’exercice de cette fonction, il réponde aux conditions de compétence, d’indépendance, d’impartialité et de transparence prévues par lesdites directives et que les décisions qu’il prend dans le cadre de cette fonction puissent faire l’objet de recours effectifs auprès d’un organisme indépendant des parties intéressées.

31      Il appartient au Grondwettelijk Hof de vérifier si le législateur belge, lorsqu’il intervient dans le domaine des services de communications électroniques en tant qu’autorité réglementaire nationale, peut être regardé comme une autorité réglementaire nationale répondant à l’ensemble des conditions fixées par la directive-cadre et la directive 2002/22.

 En ce qui concerne les modalités de l’appréciation par l’autorité réglementaire nationale du caractère injustifié de la charge que peut représenter la fourniture du service universel

32      Il y a lieu de rappeler que la directive 2002/22 vise à créer un cadre réglementaire harmonisé qui garantisse, dans le secteur des communications électroniques, la fourniture d’un service universel, c’est-à-dire d’un ensemble minimal de services déterminés à tous les utilisateurs finals à un prix abordable. Selon l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, l’un des objectifs de celle-ci consiste à assurer la disponibilité, dans toute la Communauté européenne, de services de bonne qualité accessibles au public grâce à une concurrence et à un choix effectifs (arrêt du 19 juin 2008, Commission/France, C-220/07, Rec. p. I-95, point 28).

33      En vertu de l’article 3, paragraphe 2, de ladite directive, les États membres déterminent l’approche la plus efficace et la plus adaptée pour assurer la mise en œuvre du service universel, dans le respect des principes d’objectivité, de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité, et ils s’efforcent de réduire au minimum les distorsions sur le marché, tout en sauvegardant l’intérêt public (arrêt Commission/France, précité, point 29).

34      Comme l’énonce le quatrième considérant de la directive 2002/22, le fait de garantir un service universel peut entraîner la fourniture de certains services à certains utilisateurs finals à des prix qui s’écartent de ceux découlant de conditions normales du marché. C’est pourquoi le législateur communautaire a prévu, ainsi qu’il ressort du dix-huitième considérant de la même directive, que les États membres devraient, lorsqu’il y a lieu, établir des mécanismes de financement du coût net afférent aux obligations de service universel dans les cas où il est démontré que ces obligations ne peuvent être assumées qu’à perte ou à un coût net qui dépasse les conditions normales d’exploitation commerciale.

35      Ainsi, conformément à l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2002/22, les autorités réglementaires nationales, lorsqu’elles estiment que la fourniture du service universel, telle qu’elle est énoncée dans les articles 3 à 10 de cette directive, peut représenter une charge injustifiée pour les entreprises désignées comme fournisseurs de service universel, doivent calculer le coût net de cette fourniture.

36      Il y a lieu de constater que, si les dispositions du second alinéa de l’article 12, paragraphe 1, ainsi que l’annexe IV de la directive 2002/22 fixent les règles selon lesquelles doit être calculé le coût net de la fourniture du service universel lorsque les autorités réglementaires nationales ont estimé que celle-ci peut représenter une charge injustifiée, il ne ressort ni dudit article 12, paragraphe 1, ni d’aucune autre disposition de cette directive que le législateur communautaire ait entendu fixer lui-même les conditions dans lesquelles lesdites autorités sont amenées à considérer, préalablement, que ladite fourniture peut représenter une telle charge injustifiée.

37      En revanche, il ressort des dispositions de l’article 13 de la directive 2002/22 que ce n’est que sur la base du calcul du coût net de la fourniture du service universel, tel que visé à l’article 12 de cette directive, que les autorités réglementaires nationales peuvent constater qu’une entreprise désignée comme fournisseur de service universel est effectivement soumise à une charge injustifiée et que les États membres doivent alors décider, à la demande de cette entreprise, d’adopter des modalités d’indemnisation en raison de ce coût.

38      Au vu de ces considérations, bien que, sur le plan formel, la juridiction de renvoi ait limité sa question à l’interprétation de l’article 12 de la directive 2002/22, il y a lieu de rappeler qu’une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait ou non référence dans l’énoncé de sa question (voir, notamment, arrêt du 8 novembre 2007, ING. AUER, C‑251/06, Rec. p. I‑9689, point 38 et jurisprudence citée).

39      Dès lors, eu égard aux termes du débat porté devant le Grondwettelijk Hof dans le cadre du recours dont il est saisi, il y a lieu d’examiner si l’article 13 de la directive 2002/22 s’oppose aux modalités par lesquelles un législateur national tel que le législateur belge, agissant en tant qu’autorité réglementaire nationale, a constaté que la fourniture du service universel constituait une charge injustifiée.

40      Dans cette perspective, il y a lieu de relever que, conformément aux dispositions de l’article 12, paragraphe 1, second alinéa, sous a), de la directive 2002/22 ainsi que de l’annexe IV de ladite directive, le calcul du coût net doit être effectué pour chacune des entreprises désignées pour fournir le service universel.

41      Par ailleurs, dès lors que le constat que la fourniture du service universel représente une charge injustifiée pour l’une ou plusieurs de ces entreprises constitue le préalable nécessaire à la mise en place par les États membres de mécanismes d’indemnisation en raison des coûts supportés par cette ou ces entreprises, il importe de déterminer ce qu’il faut entendre par «charge injustifiée», cette notion n’étant pas définie par la directive 2002/22.

42      À cet égard, il ressort du vingt et unième considérant de la directive 2002/22 que le législateur communautaire a entendu lier les mécanismes de couverture des coûts nets que la fourniture du service universel peut engendrer pour une entreprise à l’existence d’une charge excessive dans le chef de cette entreprise. Dans ce contexte, en estimant que le coût net du service universel ne représente pas nécessairement une charge excessive pour toutes les entreprises concernées, il a entendu exclure que tout coût net de fourniture du service universel ouvre automatiquement un droit à indemnisation. Dans ces conditions, la charge injustifiée dont l’autorité réglementaire nationale doit constater l’existence avant toute indemnisation est la charge qui, pour chaque entreprise concernée, présente un caractère excessif au regard de sa capacité à la supporter compte tenu de l’ensemble de ses caractéristiques propres, notamment du niveau de ses équipements, de sa situation économique et financière ainsi que de sa part de marché.

43      Si, en l’absence de précision à cet égard dans la directive 2002/22, il appartient à l’autorité réglementaire nationale de fixer de manière générale et impersonnelle les critères permettant de déterminer des seuils au-delà desquels, compte tenu des caractéristiques mentionnées au point précédent, une charge peut être considérée comme excessive, il reste que ladite autorité ne saurait constater que la charge de la fourniture du service universel est injustifiée, pour l’application de l’article 13 de cette directive, qu’à la condition de procéder à l’examen particulier de la situation de chaque entreprise concernée au regard de ces critères.

44      Si l’autorité réglementaire nationale constate qu’une ou plusieurs entreprises désignées comme fournisseurs de service universel sont soumises à une charge injustifiée et si cette ou ces entreprises demandent à en être indemnisées, il appartient alors à l’État membre de mettre en place les mécanismes nécessaires à cette fin, conformément à l’article 13, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/22, duquel il résulte en outre que cette indemnisation doit être en rapport avec les coûts nets tels qu’ils ont été calculés en application de l’article 12 de ladite directive.

45      Il résulte de tout ce qui précède que les États membres ne sauraient, sans méconnaître les obligations résultant de la directive 2002/22, constater que la fourniture du service universel constitue effectivement une charge injustifiée indemnisable sans avoir procédé au calcul du coût net qu’elle représente pour chaque entreprise à laquelle incombe cette fourniture ni apprécié si ce coût constitue une charge excessive pour ladite entreprise. Ils ne peuvent pas davantage adopter un régime d’indemnisation dans lequel celle-ci serait sans rapport avec ledit coût net.

46      Il ressort de l’article 74 de la loi du 13 juin 2005, tel qu’interprété par la loi du 25 avril 2007, que, pour conclure que la fourniture de la composante sociale du service universel représente une charge injustifiée, le législateur belge a estimé que, dans la mesure où il a été tenu compte, dans le calcul du coût net de ce service, de tout le bénéfice indirect, y compris le bénéfice immatériel, pouvant être généré par cette prestation, «toute situation déficitaire que ce calcul fait apparaître est […] une charge déraisonnable». Il ressort du même article 74 que ledit législateur a décidé que, s’il s’avère que le nombre de réductions de tarif accordées par un opérateur est supérieur au nombre de réductions de tarif correspondant à sa part du chiffre d’affaires global du marché de la téléphonie publique, cet opérateur recevra une indemnité dont le montant sera fixé en fonction de cette différence.

47      Pour se prononcer ainsi, en 2005, sur le caractère injustifié de la charge que représente la fourniture de tarifs sociaux au titre du service universel, le législateur belge s’est fondé sur un avis de 2002 de l’Institut relatif aux coûts supportés par l’opérateur historique – Belgacom NV – à partir d’estimations pour l’année 2003.

48      Comme il ressort du constat opéré au point 36 du présent arrêt, rien ne s’oppose à ce qu’une autorité réglementaire nationale, alors que la législation oblige désormais tous les opérateurs de télécommunications à proposer des tarifs sociaux, estime, sur la base de données telles que celles susmentionnées, que le coût de la fourniture du service universel «peut» représenter une charge injustifiée, au sens de l’article 12 de la directive 2002/22.

49      En revanche, les modalités de détermination de la charge injustifiée ouvrant droit à une indemnisation prévues par une loi telle que celle en cause au principal n’apparaissent pas conformes aux exigences énoncées à l’article 13 de la directive 2002/22.

50      En effet, en premier lieu, en considérant que toute situation déficitaire que le calcul du coût net fait apparaître est une «charge déraisonnable», une autorité réglementaire nationale telle que, dans le cadre de l’affaire au principal, le législateur belge ouvre d’emblée un droit à indemnisation en faveur des opérateurs pour lesquels les coûts nets supportés en raison des obligations de service universel auxquelles ils sont soumis ne représentent pas pour autant une charge excessive, alors qu’il résulte de ce qui a été dit au point 42 du présent arrêt que, si une situation déficitaire est une charge, elle n’est pas nécessairement une charge excessive pour tout opérateur.

51      En deuxième lieu, l’appréciation de ce caractère excessif de la charge liée à la fourniture du service universel suppose un examen particulier à la fois du coût net que représente cette fourniture pour chaque opérateur concerné et de l’ensemble des caractéristiques propres à cet opérateur, telles que le niveau de ses équipements, sa situation économique et financière ainsi que sa part de marché, comme il ressort des points 40 et 42 du présent arrêt. Toutefois, il ne résulte d’aucun des éléments du dossier soumis à la Cour que le législateur national aurait en l’espèce pris en compte l’ensemble de ces caractéristiques lorsqu’il a conclu que la fourniture du service universel représentait une charge injustifiée.

52      En troisième lieu, en prévoyant que tout coût supporté du fait que le nombre des réductions de tarif accordées par un opérateur dépasse proportionnellement sa part de marché doit être automatiquement indemnisé, une loi telle que la loi du 13 juin 2005 instaure un mécanisme qui aboutit à une indemnisation sans rapport avec le coût net de la fourniture du service universel tel qu’il devrait être calculé dans les conditions rappelées au point 40 du présent arrêt.

53      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que:

–        la directive 2002/22 ne s’oppose pas en principe, par elle-même, à ce que le législateur national intervienne en qualité d’autorité réglementaire nationale au sens de la directive-cadre pour autant que, dans l’exercice de cette fonction, il réponde aux conditions de compétence, d’indépendance, d’impartialité et de transparence prévues par lesdites directives et que les décisions qu’il prend dans le cadre de cette fonction puissent faire l’objet de recours effectifs auprès d’un organisme indépendant des parties intéressées, ce qu’il appartient au Grondwettelijk Hof de vérifier;

–        l’article 12 de la directive 2002/22 ne s’oppose pas à ce que l’autorité réglementaire nationale estime de manière générale et sur la base du calcul des coûts nets du fournisseur de service universel qui était auparavant le seul fournisseur de ce service que la fourniture dudit service peut représenter une charge injustifiée pour les entreprises désormais désignées comme fournisseurs de service universel, et

–        l’article 13 de la directive 2002/22 s’oppose à ce que ladite autorité constate de la même manière et sur la base du même calcul que ces entreprises sont effectivement soumises à une charge injustifiée en raison de cette fourniture, sans avoir procédé à un examen particulier de la situation de chacune de celles-ci.

 Sur les dépens

54      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1)      La directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel»), ne s’oppose pas en principe, par elle-même, à ce que le législateur national intervienne en qualité d’autorité réglementaire nationale au sens de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive «cadre»), pour autant que, dans l’exercice de cette fonction, il réponde aux conditions de compétence, d’indépendance, d’impartialité et de transparence prévues par lesdites directives et que les décisions qu’il prend dans le cadre de cette fonction puissent faire l’objet de recours effectifs auprès d’un organisme indépendant des parties intéressées, ce qu’il appartient au Grondwettelijk Hof de vérifier.

2)      L’article 12 de la directive 2002/22 ne s’oppose pas à ce que l’autorité réglementaire nationale estime de manière générale et sur la base du calcul des coûts nets du fournisseur de service universel qui était auparavant le seul fournisseur de ce service que la fourniture dudit service peut représenter une charge injustifiée pour les entreprises désormais désignées comme fournisseurs de service universel.

3)      L’article 13 de la directive 2002/22 s’oppose à ce que ladite autorité constate de la même manière et sur la base du même calcul que ces entreprises sont effectivement soumises à une charge injustifiée en raison de cette fourniture, sans avoir procédé à un examen particulier de la situation de chacune de celles-ci.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.