Language of document : ECLI:EU:C:2011:849

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

15 décembre 2011 (*)

«Manquement d’État – Fiscalité – Directive 2006/112/CE – Articles 168, 171, 193, 194, 204 et 214 – Réglementation d’un État membre prévoyant l’obligation pour le vendeur ou le prestataire établi en dehors du territoire national de désigner un répondant fiscal et de s’identifier à la TVA dans cet État membre – Réglementation permettant une compensation entre la TVA déductible supportée par le vendeur ou le prestataire établi en dehors du territoire national et celle collectée par lui au nom et pour le compte de ses clients»

Dans l’affaire C‑624/10,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 21 décembre 2010,

Commission européenne, représentée par Mme M. Afonso, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme N. Rouam, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (huitième chambre),

composée de Mme A. Prechal, président de chambre, MM. K. Schiemann et E. Jarašiūnas (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en prévoyant au titre IV de l’instruction administrative 3 A-9-06 n° 105, du 23 juin 2006 (ci-après l’«instruction administrative 3 A-9-06»), une tolérance administrative dérogeant à un régime d’autoliquidation de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») et impliquant, entre autres, la désignation d’un répondant fiscal par le vendeur ou le prestataire établi hors de France, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1, ci-après la «directive TVA»), et, en particulier, des articles 168, 171, 193, 194, 204 et 214 de celle-ci.

 Le cadre juridique

 La directive TVA

2        L’article 168 de la directive TVA dispose:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants:

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti;

b)      la TVA due pour les opérations assimilées aux livraisons de biens et aux prestations de services conformément à l’article 18, point a), et à l’article 27;

c)      la TVA due pour les acquisitions intracommunautaires de biens conformément à l’article 2, paragraphe 1, point b) i);

d)      la TVA due pour les opérations assimilées aux acquisitions intracommunautaires conformément aux articles 21 et 22;

e)      la TVA due ou acquittée pour les biens importés dans cet État membre.»

3        L’article 170 de la directive TVA prévoit:

«Tout assujetti qui, au sens de l’article 1er de la [huitème] directive 79/1072/CEE [du Conseil, du 6 décembre 1979, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l’intérieur du pays (JO L 331, p. 11)], de l’article 1er de la [treizième] directive 86/560/CEE [du Conseil, du 17 novembre 1986, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis sur le territoire de la Communauté (JO L 326, p. 40)], et de l’article 171 de la présente directive, n’est pas établi dans l’État membre dans lequel il effectue les achats de biens et services ou des importations de biens grevés de TVA a le droit d’obtenir le remboursement de cette taxe dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les opérations suivantes:

[...]

b)      les opérations pour lesquelles la taxe est uniquement due par l’acquéreur ou le preneur conformément aux articles 194 à 197 et à l’article 199.»

4        Aux termes de l’article 171, paragraphes 1 et 2, de la directive TVA:

«1.      Le remboursement de la TVA en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre dans lequel ils effectuent les achats de biens et services ou des importations de biens grevés de taxe mais qui sont établis dans un autre État membre est effectué selon les modalités d’application prévues par la directive 79/1072/CEE.

Les assujettis visés à l’article 1er de la directive 79/1072/CEE et qui n’ont effectué dans l’État membre dans lequel ils effectuent les achats de biens et services ou des importations de biens grevés de taxe que des livraisons de biens ou des prestations de services pour lesquelles le destinataire de ces opérations a été désigné comme redevable de la taxe, conformément aux articles 194 à 197 et à l’article 199, sont également considérés pour l’application de ladite directive comme des assujettis qui ne sont pas établis dans cet État membre.

2.      Le remboursement de la TVA en faveur des assujettis qui ne sont pas établis sur le territoire de la Communauté est effectué selon les modalités d’application déterminées par la directive 86/560/CEE.

Les assujettis visés à l’article 1er de la directive 86/560/CEE et qui n’ont effectué dans l’État membre dans lequel ils effectuent les achats de biens et services ou des importations de biens grevés de taxe que des livraisons de biens ou des prestations de services pour lesquelles le destinataire de ces opérations a été désigné comme redevable de la taxe, conformément aux articles 194 à 197 et à l’article 199, sont également considérés pour l’application de ladite directive comme des assujettis qui ne sont pas établis dans la Communauté.»

5        L’article 193 de la directive TVA prévoit:

«La TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne en application des articles 194 à 199 et de l’article 202.»

6        L’article 194 de la directive TVA dispose:

«1.      Lorsque la livraison de biens ou la prestation de services imposable est effectuée par un assujetti qui n’est pas établi dans l’État membre dans lequel la TVA est due, les États membres peuvent prévoir que le redevable de la taxe est le destinataire de la livraison de biens ou de la prestation de services.

2.      Les États membres déterminent les conditions d’application du paragraphe 1.»

7        L’article 204 de la directive TVA prévoit:

«1.      Lorsqu’en application des articles 193 à 197 et des articles 199 et 200, le redevable de la taxe est un assujetti qui n’est pas établi dans l’État membre dans lequel la TVA est due, les États membres peuvent lui permettre de désigner un représentant fiscal en tant que redevable.

En outre, lorsque l’opération imposable est effectuée par un assujetti qui n’est pas établi dans l’État membre dans lequel la TVA est due et qu’il n’existe, avec le pays du siège ou d’établissement de cet assujetti, aucun instrument juridique relatif à l’assistance mutuelle ayant une portée similaire à celle prévue par la directive 76/308/CEE [...] et par le règlement (CE) n° 1798/2003 [...], les États membres peuvent prendre des dispositions prévoyant que le redevable de la taxe est un représentant fiscal désigné par l’assujetti non établi.

[...]

2.      L’option prévue au paragraphe 1, premier alinéa, est soumise aux conditions et modalités fixées par chaque État membre.»

8        Aux termes de l’article 214 de la directive TVA:

«1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que soient identifiées par un numéro individuel les personnes suivantes:

a)      tout assujetti, à l’exception de ceux visés à l’article 9, paragraphe 2, qui effectue sur leur territoire respectif des livraisons de biens ou des prestations de services lui ouvrant droit à déduction, autres que des livraisons de biens ou des prestations de services pour lesquelles la TVA est due uniquement par le preneur ou le destinataire conformément aux articles 194 à 197 et à l’article 199;

[...]»

9        L’article 395, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit:

«Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales.

[...]»

 La réglementation nationale

10      L’article 283, paragraphe 1, du code général des impôts (ci-après le «CGI») dispose:

«1.      La [TVA] doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables, sous réserve des cas visés aux articles 274 à 277 A où le versement de la taxe peut être suspendu.

Toutefois, lorsqu’une livraison de biens ou une prestation de services mentionnée à l’article 259 A est effectuée par un assujetti établi hors de France, la taxe est acquittée par l’acquéreur, le destinataire ou le preneur qui agit en tant qu’assujetti et qui dispose d’un numéro d’identification à la [TVA] en France. Le montant dû est identifié sur la déclaration mentionnée à l’article 287.»

11      L’instruction administrative 3 A-9-06 prévoit:

«1.      En application des dispositions du premier alinéa du 1 de l’article 283 du [CGI], la TVA exigible au titre d’une livraison de biens ou d’une prestation de services est normalement acquittée par la personne qui réalise l’opération.

2.      Toutefois, conformément à l’article 94 de la loi de finances rectificative pour 2005 (n° 2005-1720 du 30 décembre 2005), la taxe devra désormais être acquittée par l’acquéreur, le destinataire ou le preneur lorsque celui-ci est identifié à la TVA en France et que le fournisseur ou le prestataire n’est pas établi en France.

I.       Champ d’application du nouveau dispositif

3.      Sous réserve des précisions du IV de la présente instruction, l’article 94 déjà cité instaure un régime général et obligatoire auquel les opérateurs ne peuvent déroger. Celui-ci s’applique à l’ensemble des opérations réalisées vers des clients identifiés à la TVA en France, sauf lorsque d’autres dispositions du CGI définissent un redevable différent ou fixent des modalités particulières.

[...]

II.       Personnes concernées par le nouveau dispositif

5.      Sont concernés par le nouveau dispositif tous les fournisseurs et prestataires qui ne sont pas établis en France.

6.      Sont susceptibles d’être concernés par le nouveau dispositif l’ensemble des clients de ces opérateurs, dès lors qu’ils sont identifiés à la TVA en France, en vertu de l’un quelconque des trois alinéas de l’article 286 ter du CGI, et ce, qu’ils soient eux-mêmes établis ou non en France.

[...]

IV.       Tolérance administrative

13.      Sur accord écrit du fournisseur ou du prestataire étranger (ci-après le ‘vendeur’) et de son client identifié à la TVA en France, il est admis que la taxe légalement due par ce dernier, en application des nouvelles dispositions du 1 de l’article 283 du CGI, soit déclarée et acquittée, au nom et pour compte de celui-ci, sur la déclaration du vendeur. Cette tolérance est subordonnée à ce que le vendeur désigne un assujetti établi en France (ci-après ‘répondant’), lequel doit se faire accréditer par le service des impôts dont il dépend, et qui s’engage, sur un formulaire fourni par l’administration:

–        à déposer la déclaration de TVA établie au nom du vendeur, mentionnant:

–        en TVA collectée, d’une part, la taxe que le vendeur déclare et acquitte au nom et pour le compte de ses clients identifiés à la TVA en France, et d’autre part la taxe dont cet assujetti non établi est par ailleurs, le cas échéant, susceptible d’être redevable en son nom propre;

–        en TVA déductible, la taxe afférente aux dépenses que le vendeur a supportées pour la réalisation de ses opérations ouvrant droit à déduction.

–        à acquitter la TVA nette due, ou à reverser les remboursements indus de crédit de TVA [...], au vu de la compensation opérée entre les sommes dues par le vendeur en son nom propre, celles acquittées par lui au nom et pour le compte de ses clients et les montants de TVA déductible.

14.      Le répondant est unique: il est désigné pour l’ensemble des clients et des opérations, à l’exception bien entendu de celles pour lesquelles il n’est pas recouru à cette mesure de tolérance. Lorsque le vendeur n’est pas établi dans l’Union européenne, le répondant est donc nécessairement son représentant fiscal, désigné en application de l’article 289 A du CGI.

15.      L’accord visé au 13 entre le vendeur et le client pour faire usage de cette tolérance est valable pour au moins un an à compter de sa date d’effet, renouvelable tacitement pour une même durée. Il vaut pour l’ensemble des opérations relevant du nouveau dispositif réalisées entre eux durant cette période. Il mentionne le nom ou la raison sociale, l’adresse et le numéro d’identification à la TVA française du répondant désigné par le vendeur.

16.      Le vendeur doit s’identifier à la TVA en France et sa déclaration doit être déposée:

–        s’il est établi hors de l’Union européenne, au service des impôts dont dépend son représentant fiscal;

–        s’il est établi dans l’Union européenne et a désigné un représentant fiscal avant le 1er janvier 2002, au service des impôts dont dépend ce représentant fiscal;

–        dans tous les autres cas, à la [direction des résidents à l’étranger et des services généraux (DRESG)].

17.      Dans le cadre de cet aménagement, les factures délivrées par le vendeur doivent mentionner le nom du répondant ainsi que la taxe qu’il collecte au nom et pour le compte de son client [...]. Corrélativement, ce dernier est autorisé à en opérer la déduction dans les conditions habituelles (CGI, article 271).

18.      Cet aménagement n’a pas pour objet de changer le redevable légal de la taxe. Le client identifié à la TVA en France reste donc tenu d’acquitter la taxe dans la mesure où le répondant n’a pas respecté ses obligations telles que définies au 13. Le client est également tenu, sur demande de l’administration, de présenter l’accord visé au 13.

[...]»

 La procédure précontentieuse

12      Estimant que la mesure de tolérance administrative prévue au titre IV de l’instruction administrative 3 A-9-06 (ci-après la «tolérance administrative») était contraire à la directive TVA et, en particulier, aux articles 168, 171, 193, 194, 204, 214 et 273 de celle-ci, la Commission a, par une lettre du 27 juin 2008, mis la République française en demeure de présenter ses observations dans le délai de deux mois à compter de la réception de cette lettre.

13      Dans leur réponse du 20 août 2008 à ladite lettre, les autorités françaises ont contesté le bien-fondé des griefs formulés par la Commission et ont exprimé leur souhait de continuer à offrir aux entreprises non établies en France, qui y réalisent des opérations imposables sans y être redevables de la TVA, la possibilité de se prévaloir de la tolérance administrative.

14      N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a adressé, le 3 novembre 2009, à la République française un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures requises pour se conformer aux articles 168, 171, 193, 194, 204 et 214 de la directive TVA dans le délai de deux mois à compter de la réception dudit avis.

15      Les autorités françaises n’ont pas répondu à cet avis motivé dans le délai imparti, mais ont, par une lettre du 24 mars 2010, fait part à nouveau de leur souhait de pouvoir maintenir la tolérance administrative.

16      C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

17      La Commission considère que le dispositif dérogatoire introduit par l’instruction administrative 3 A-9-06 est, à plusieurs titres, contraire au droit de l’Union. Elle formule en substance trois griefs.

18      En premier lieu, elle fait valoir que l’obligation pour les assujettis établis hors de France, qui souhaitent bénéficier de la tolérance administrative, de désigner un représentant fiscal n’est pas conforme à l’article 204 de la directive TVA, qui permet aux États membres d’imposer une telle obligation uniquement dans le cas où il n’existe, avec le pays dans lequel est établi l’assujetti, aucun instrument organisant une assistance mutuelle en matière d’impôts indirects semblable à celle prévue à l’intérieur de l’Union.

19      Se référant à cet égard à l’arrêt du 15 juin 2006, Commission/Finlande (C‑249/05), elle rappelle que la directive 2000/65/CE du Conseil, du 17 octobre 2000, modifiant la directive 77/388/CEE en ce qui concerne la détermination du redevable de la taxe sur la valeur ajoutée (JO L 269, p. 44), a supprimé, sauf dans le cas mentionné au point précédent du présent arrêt, la faculté pour les États membres de rendre obligatoire la désignation d’un représentant fiscal. Selon la Commission, une telle désignation ne saurait être qu’optionnelle et un État membre ne saurait se soustraire à l’interdiction de l’imposer en soutenant que le dispositif dans lequel elle s’inscrit a un caractère facultatif et offre une facilité additionnelle aux entreprises non établies sur son territoire.

20      En deuxième lieu, la Commission soutient que l’obligation imposée par l’instruction administrative 3 A-9-06 à l’assujetti non établi en France de s’identifier à la TVA dans cet État membre est contraire à la directive TVA, en particulier à son article 214, paragraphe 1, duquel il résulte qu’une telle obligation ne saurait être imposée aux vendeurs ou aux prestataires lorsque la TVA sur les livraisons de biens ou les prestations de services concernées est due uniquement par le destinataire ou le preneur conformément, notamment, à l’article 194 de ladite directive.

21      En troisième lieu, la Commission considère que l’instruction administrative 3 A-9-06 n’est pas conforme aux règles énoncées par la directive TVA en ce qui concerne le mécanisme de déduction de la TVA, découlant des articles 168 et 171 de celle-ci, selon lesquelles la compensation entre la TVA collectée et la TVA déductible doit se faire pour chaque assujetti et non pas entre assujettis différents. Elle fait observer que la réglementation française en cause déroge à l’application de ces règles en permettant que la TVA déductible afférente aux dépenses qu’a supportées l’assujetti établi hors de France soit imputée sur celle que ce dernier a collectée au nom et pour le compte de ses clients.

22      En réponse aux arguments de la République française, la Commission fait valoir en substance que, cet État membre ayant exercé la faculté offerte à l’article 194 de la directive TVA, en optant pour un régime d’autoliquidation de la TVA, il ne saurait déroger à ladite directive en invoquant les inconvénients de ce régime. En particulier, il ne pourrait, dans le but d’éviter des fraudes, imposer aux assujettis établis hors de France des obligations non prévues par la directive TVA, non plus qu’il ne pourrait, dans le but d’alléger les charges administratives pesant sur ces assujettis, s’écarter des règles prévues par celle-ci. À cet égard, la Commission rappelle que des mesures nationales dérogeant à ces règles ne peuvent être autorisées que par décision du Conseil selon la procédure instituée à l’article 395 de la directive TVA.

23      La République française conclut au rejet du recours.

24      À titre liminaire, elle expose que la tolérance administrative tend à concilier deux exigences. D’une part, elle viserait à répondre aux demandes des opérateurs étrangers qui souhaitent conserver une certaine marge de manœuvre en termes de gestion de trésorerie et à alléger les procédures de déduction et de remboursement de la TVA. D’autre part, elle viserait à prévenir les fraudes.

25      Concernant, tout d’abord, l’obligation imposée au fournisseur ou au prestataire établi hors de France faisant usage de la tolérance administrative de désigner un répondant, la République française soutient que celle-ci n’est pas contraire aux dispositions combinées des articles 193, 194 et 204, paragraphe 1, de la directive TVA. À cet égard, elle fait valoir que le mécanisme établi par la tolérance administrative est un mécanisme facultatif, mis en place à la demande des opérateurs économiques afin de leur offrir des facilités additionnelles. Le fournisseur ou le prestataire établi hors de France ne serait tenu de désigner un répondant que s’il décide, en accord avec son client, de faire usage de la tolérance administrative.

26      En tout état de cause, la réglementation française n’imposerait pas la désignation d’un représentant fiscal au sens de l’article 204, paragraphe 1, de la directive TVA, puisqu’elle n’impose pas de désigner un tel représentant en tant que redevable de la taxe. En effet, le répondant fiscal ne serait pas le redevable de la taxe et ne serait pas davantage, contrairement à ce que prévoyait la législation finlandaise en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Finlande, précité, le représentant du redevable de la taxe. Il ne serait que le mandataire du fournisseur ou du prestataire établi hors de France qui n’est pas lui-même le redevable de la taxe, ce dernier demeurant le client. En outre, la réglementation française n’empêcherait pas le fournisseur ou le prestataire établi hors de France de se décharger directement de ses obligations auprès de l’administration fiscale. Elle imposerait uniquement à ce fournisseur ou à ce prestataire de désigner un répondant pour l’exécution de ses obligations contractuelles à l’égard de son client. La désignation d’un répondant constituerait ainsi une simple modalité d’exécution du contrat conclu entre lui et son client.

27      En ce qui concerne, ensuite, l’obligation pour le fournisseur ou le prestataire établi hors de France faisant usage de la tolérance administrative de s’identifier en France, la République française estime que celle-ci n’est pas contraire aux dispositions combinées des articles 194 et 214, paragraphe 1, de la directive TVA. Elle considère, à cet égard, que cette dernière disposition ne doit pas être interprétée littéralement. En prévoyant que le fournisseur ou le prestataire établi à l’étranger n’est pas tenu de s’identifier à la TVA si la taxe est due uniquement par son client, le législateur de l’Union aurait uniquement envisagé l’hypothèse dans laquelle ce fournisseur ou ce prestataire, qui n’est pas redevable de la taxe, ne l’acquitte pas non plus. Or, selon la République française, pour des raisons de traçabilité des opérations et de bon fonctionnement des procédures de déclaration et de paiement de la TVA, l’administration fiscale doit pouvoir identifier les personnes qui collectent, déclarent et acquittent la TVA.

28      S’agissant, enfin, de la compensation entre la TVA déductible supportée par le fournisseur ou le prestataire établi hors de France faisant usage de la tolérance administrative et la TVA collectée par lui au nom et pour le compte de ses clients, la République française fait valoir que celle-ci n’est pas contraire aux dispositions combinées des articles 168, 171 et 194 de la directive TVA. Elle considère, en outre, que les articles 168, 170 et 171 de la directive TVA ne doivent pas être interprétés littéralement, car une telle interprétation les priverait de leur effet utile.

29      Selon elle, le système mis en place par la directive TVA étant fondé sur le principe de neutralité quant à la charge fiscale des activités économiques, l’assujetti doit pouvoir, en vertu de ce principe, déduire la taxe déductible qu’il a supportée de la taxe dont il doit effectivement s’acquitter, que cet assujetti soit le redevable légal de la taxe ou qu’il acquitte cette dernière au nom et pour le compte d’une autre personne. C’est en ce sens que l’article 168 de la directive TVA devrait être interprété, tandis que les articles 170 et 171 de celle-ci ne devraient pas être interprétés comme imposant à un assujetti qui a acquitté une taxe dont il n’était pas redevable de demander le remboursement de la TVA déductible qu’il a supportée, sans pouvoir imputer cette TVA déductible sur la TVA qu’il a effectivement acquittée.

30      La République française ajoute que sa réglementation, qui poursuit un objectif légitime de simplification administrative, ne méconnaît aucun principe applicable dans le domaine de la TVA, notamment les principes de neutralité fiscale et d’interdiction de l’abus de droit. À cet égard, elle invoque l’arrêt du 22 mai 2008, Ampliscientifica et Amplifin (C‑162/07, Rec. p. I‑4019), en faisant observer que la réglementation italienne en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt et la réglementation française, bien que différentes, entraînent des conséquences comparables quant aux risques d’atteinte auxdits principes.

 Appréciation de la Cour

 Sur le grief relatif à l’obligation de désigner un répondant fiscal

31      L’article 204, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive TVA prévoit que, lorsque, en application notamment des articles 193 à 197 de celle-ci, le redevable de la taxe est un assujetti qui n’est pas établi dans l’État membre dans lequel la TVA est due (ci-après l’«assujetti non établi»), les États membres peuvent lui permettre de désigner un représentant fiscal en tant que redevable. Selon le deuxième alinéa de cet article 204, paragraphe 1, les États membres peuvent prendre des dispositions prévoyant que le redevable de la taxe est un représentant fiscal désigné par cet assujetti lorsque ce dernier est établi dans un État tiers avec lequel il n’existe aucun instrument juridique organisant une assistance mutuelle des autorités compétentes semblable à celle prévue à l’intérieur de l’Union.

32      Il y a lieu de rappeler à cet égard que la faculté pour les États membres de rendre obligatoire la désignation d’un représentant fiscal a été supprimée par la directive 2000/65, abrogée par la directive TVA, dont les quatrième et cinquième considérants énonçaient que la seule modification pouvant effectivement apporter une simplification majeure au régime commun de TVA en général, et à la détermination du redevable en particulier, consistait à supprimer cette faculté et qu’il y avait lieu, par conséquent, que la désignation d’un représentant fiscal ne soit désormais qu’optionnelle pour les assujettis non établis.

33      Dès lors, sous réserve de l’exception prévue au deuxième alinéa de l’article 204, paragraphe 1, de la directive TVA, un État membre ne saurait adopter une mesure nationale faisant obligation à l’assujetti non établi de désigner un représentant fiscal.

34      Une telle obligation ne saurait être imposée même dans le cadre d’un régime facultatif pour l’assujetti non établi et son client, dérogeant aux règles nationales conformes aux prévisions de la directive TVA et offrant des facilités.

35      En effet, ainsi que la Cour l’a déjà jugé aux points 39 à 44 de l’arrêt Commission/Finlande, précité, sur la base de la directive 2000/65 et au sujet d’un système national également facultatif en faveur duquel l’assujetti non établi pouvait opter à condition de désigner un représentant fiscal, un État membre ne peut se soustraire à l’interdiction d’imposer une telle désignation en invoquant le caractère facultatif du système en cause ainsi que les facilités offertes par celui-ci aux entreprises non établies sur son territoire pour remplir leurs obligations. Elle a relevé que l’unique exception à la règle qui interdit aux États membres d’imposer la désignation d’un représentant fiscal est celle figurant actuellement au deuxième alinéa de l’article 204, paragraphe 1, de la directive TVA et que toute autre interprétation, tendant à permettre aux États membres d’imposer une telle désignation dans certains cas, priverait de son effet utile la directive 2000/65 qui vise précisément à supprimer une telle obligation.

36      Par ailleurs, au point 46 de l’arrêt Commission/Finlande, précité, répondant à l’argument de l’État membre concerné selon lequel le représentant fiscal au sens de la législation nationale ne serait pas redevable de la taxe, la Cour a notamment relevé que cette législation imposait la désignation d’un intermédiaire en tant que représentant auprès de l’administration fiscale et que, dès lors, il importait peu que le représentant fiscal au sens du droit national ne soit pas redevable de la TVA.

37      En l’espèce, il est constant que la République française a exercé la faculté offerte à l’article 194 de la directive TVA en instituant un régime d’autoliquidation de la TVA. Ainsi, selon l’article 283, paragraphe 1, du CGI, lorsqu’une livraison de biens ou une prestation de services est effectuée par un assujetti établi hors de France, la taxe est acquittée par l’acquéreur, le destinataire ou le preneur qui agit en tant qu’assujetti et qui dispose d’un numéro d’identification à la TVA en France.

38      Néanmoins, l’instruction administrative 3 A‑9‑06 permet, à son point 13, au moyen d’une tolérance administrative, à l’assujetti non établi et à son client identifié à la TVA en France de déroger à ce régime en convenant par écrit que la taxe légalement due par ce client sera déclarée et acquittée, au nom et pour le compte de celui-ci, par l’assujetti non établi. Ce dernier est tenu dans ce cas de désigner un assujetti établi en France, appelé «répondant», lequel doit se faire accréditer par le service des impôts dont il dépend et s’engager, sur un formulaire fourni par l’administration, à déclarer et à acquitter la TVA due par l’assujetti non établi. Il ressort du point 18 de l’instruction administrative 3 A‑9‑06 que le redevable légal de la taxe demeure le client identifié à la TVA en France, qui reste donc tenu d’acquitter celle-ci si le répondant ne respecte pas ses obligations.

39      Or, pour les motifs exposés aux points 31 à 36 du présent arrêt, l’instruction administrative 3 A-9-06 est contraire à l’article 204 de la directive TVA dès lors qu’elle subordonne la possibilité pour l’assujetti non établi et son client de déroger au régime d’autoliquidation, prévue par la législation française, à la condition que cet assujetti désigne un répondant devant se faire accréditer par le service des impôts et s’engager à déclarer et à acquitter la TVA due par l’assujetti non établi, peu important que ce régime dérogatoire soit facultatif et qu’il ait été prévu, sous la forme d’une tolérance administrative, pour offrir des facilités aux opérateurs économiques et peu important également que la personne ainsi désignée ne soit pas, au sens de la législation nationale, le redevable de la TVA.

40      Ne remet pas en cause cette conclusion l’allégation de la République française selon laquelle le répondant, au sens du droit national, n’est pas non plus le représentant du redevable de la taxe, mais n’est que le mandataire de l’assujetti non établi pour l’exécution des obligations contractuelles de ce dernier à l’égard de son client, qui demeure le redevable de la TVA. En effet, il reste que le répondant s’engage, sur un formulaire fourni par l’administration, à déclarer et à acquitter la TVA due par l’assujetti non établi. En tout état de cause, l’obligation faite à ce dernier, de désigner un tel répondant revient, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Finlande, précité, à imposer l’intervention d’un intermédiaire entre lui et l’administration, ce que le législateur de l’Union a précisément voulu interdire.

 Sur le grief relatif à l’obligation de s’identifier à la TVA en France

41      Il résulte de l’article 214, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA que les États membres ne peuvent imposer à l’assujetti non établi, qui effectue des livraisons de biens ou des prestations de services pour lesquelles la TVA est due uniquement par le preneur ou le destinataire conformément, notamment, à l’article 194 de ladite directive, de s’identifier par un numéro individuel.

42      La République française ayant exercé la faculté offerte à l’article 194 de la directive TVA en instituant un régime d’autoliquidation de la TVA, l’obligation qu’elle impose, au point 16 de l’instruction administrative 3 A-9-06, à l’assujetti non établi, pour pouvoir faire usage de la tolérance administrative, de s’identifier à la TVA en France est contraire à l’article 214, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA.

43      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argumentation de la République française selon laquelle une exigence de traçabilité des opérations et de bon fonctionnement des procédures de déclaration et de paiement de la TVA justifierait de ne pas interpréter littéralement l’article 214 de la directive TVA. En effet, premièrement, cette disposition est claire et en faire une interprétation différente de celle donnée au point 41 du présent arrêt reviendrait à la priver de son effet utile. Deuxièmement, s’il s’agit d’éviter des fraudes ou des évasions fiscales, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de l’article 283, paragraphe 1, du CGI comme des points 13 et 18 de l’instruction administrative 3 A‑9‑06, le client de l’assujetti non établi, qui demeure le redevable légal de la taxe, est déjà lui-même identifié à la TVA en France, et ce conformément à l’article 214, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA. Troisièmement, il incombe en tout état de cause, ainsi que le souligne la Commission, à l’État membre qui souhaite introduire des mesures particulières dérogatoires à la directive TVA d’obtenir l’autorisation du Conseil conformément à l’article 395, paragraphe 1, de celle-ci.

 Sur le grief relatif à la compensation entre la TVA déductible supportée par l’assujetti non établi et celle collectée par lui au nom et pour le compte de ses clients

44      L’article 168 de la directive TVA, définissant l’étendue du droit à déduction, prévoit que l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue des opérations taxées, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable certains montants de TVA acquittés ou dus en raison de la livraison de biens et la fourniture de services utilisés pour les besoins de ces opérations. Par ailleurs, l’article 170 de la directive TVA dispose, notamment, que l’assujetti non établi a le droit d’obtenir le remboursement de la TVA grevant les achats de biens et de services ou les importations de biens qu’il effectue dans la mesure où ces biens et ces services sont utilisés pour les opérations pour lesquelles la taxe est due uniquement par l’acquéreur ou le preneur conformément à l’article 194 de cette directive. Ce remboursement est effectué, en vertu de l’article 171 de ladite directive, selon les modalités prévues soit par la directive 79/1072, soit par la directive 86/560, selon que l’assujetti est établi dans un autre État membre ou dans un État tiers.

45      Il en résulte que la TVA déductible peut uniquement être imputée sur la TVA dont l’assujetti non établi est, le cas échéant, lui-même redevable en France ou bien lui être remboursée selon les modalités prévues par la directive 79/l072 ou la directive 86/560. Elle ne peut donc être déduite de la TVA dont sont redevables d’autres assujettis.

46      Dès lors, n’est pas conforme aux articles 168 et 171 de la directive TVA l’instruction administrative 3 A‑9‑06 en ce qu’elle prévoit, à son point 13, une compensation entre la TVA déductible supportée par l’assujetti non établi pour la réalisation de ses opérations et celle collectée par lui au nom et pour le compte de ses clients.

47      Ne saurait être accueillie à cet égard l’argumentation de la République française selon laquelle il conviendrait, en s’écartant d’une interprétation littérale des articles 168 à 171 de la directive TVA, d’admettre que l’assujetti non établi peut déduire la TVA déductible qu’il a supportée de la TVA dont il doit effectivement s’acquitter, quel que soit le redevable légal de la taxe. Ne saurait non plus être retenu l’argument selon lequel la réglementation française, poursuivant un objectif de simplification administrative, ne méconnaît, pas plus que celle ayant donné lieu à l’arrêt Ampliscientifica et Amplifin, précité, les principes de neutralité et d’interdiction de l’abus de droit.

48      En effet, d’une part, les dispositions des articles 168 et 171 de la directive TVA sont claires, de sorte qu’elles ne peuvent faire l’objet d’une interprétation autre que celle donnée au point 45 du présent arrêt. Un État membre ne peut dès lors adopter des mesures qui y dérogent, même si elles tendent à une simplification des procédures administratives, sans y être autorisé conformément à l’article 395, paragraphe 1, de ladite directive. D’autre part, le fait que la réglementation française en cause ne méconnaisse aucun principe applicable en matière de TVA, tels que les principes de neutralité fiscale et d’interdiction de l’abus de droit, n’implique pas qu’elle soit conforme à la directive TVA. Partant, n’est pas pertinent le fait que, au regard de ces principes, ladite réglementation est comparable à celle ayant donné lieu à l’arrêt Ampliscientifica et Amplifin, précité, qui visait à permettre, dans une certaine mesure, la consolidation, dans les comptes de la société mère, des dettes et des créances de TVA des filiales de celle-ci.

49      Au vu de tout ce qui précède, il apparaît que les griefs formulés par la Commission sont fondés.

50      En conséquence, il y a lieu de constater que, en prévoyant au titre IV de l’instruction administrative 3 A-9-06 une tolérance administrative dérogeant à un régime d’autoliquidation de la TVA et impliquant la désignation d’un répondant fiscal par le vendeur ou le prestataire établi hors de France, l’identification de ce dernier à la TVA en France et la compensation entre la TVA déductible qu’il a supportée et celle qu’il a collectée au nom et pour le compte de ses clients, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive TVA et, en particulier, des articles 168, 171, 193, 194, 204 et 214 de celle-ci.

 Sur les dépens

51      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête:

1)      En prévoyant au titre IV de l’instruction administrative 3 A-9-06 n° 105, du 23 juin 2006, une tolérance administrative dérogeant à un régime d’autoliquidation de la taxe sur la valeur ajoutée et impliquant la désignation d’un répondant fiscal par le vendeur ou le prestataire établi hors de France, l’identification de ce dernier à la taxe sur la valeur ajoutée en France et la compensation entre la taxe sur la valeur ajoutée déductible qu’il a supportée et celle qu’il a collectée au nom et pour le compte de ses clients, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, et, en particulier, des articles 168, 171, 193, 194, 204 et 214 de celle-ci.

2)      La République française est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.