Language of document : ECLI:EU:C:2012:28

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 19 janvier 2012 (1)

Affaire C‑59/11

Association Kokopelli

contre

Graines Baumaux SAS

[demande de décision préjudicielle formée par la cour d’appel de Nancy (France)]

«Agriculture — Validité — Directive 2002/55/CE — Légumes — Commercialisation des semences — Interdiction de commercialiser des semences de variétés qui ne sont pas officiellement admises et inscrites au catalogue des variétés — Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture — Principe de proportionnalité — Liberté d’entreprise — Circulation des marchandises — Égalité de traitement»





I –    Introduction

1.        La diminution constante du nombre des variétés cultivées dans le cadre de l’agriculture européenne est un phénomène bien connu. Beaucoup de variétés traditionnelles disparaissent ou ne sont encore conservées que dans des banques de semences pour les générations futures. Quelques variétés, dont apparemment les différents individus sont de surcroît très semblables, dominent en revanche dans les champs.

2.        De ce fait, la diversité biologique ou biodiversité est en nette régression dans l’agriculture. Il n’est pas exclu que l’on manque à l’avenir de variétés susceptibles, par exemple, de mieux s’adapter au changement climatique ou à de nouvelles maladies que les variétés actuellement prédominantes. Dès à présent, le choix du consommateur final est déjà restreint en ce qui concerne les produits agricoles.

3.        On pourrait penser que ce processus est en premier lieu animé par les intérêts économiques des agriculteurs qui utilisent, autant que possible, les variétés à rendement supérieur.

4.        Le présent cas d’espèce montre cependant que la limitation de la biodiversité dans l’agriculture européenne procède à tout le moins également de dispositions du droit de l’Union. En effet, les semences de la plupart des espèces de plantes agricoles ne peuvent être commercialisées que si la variété en question est officiellement admise. Cette admission suppose que la variété soit distincte, stable ou suffisamment homogène. En partie également, il faut que soit en outre établie la capacité de rendement — une «valeur culturale ou d’utilisation satisfaisante» — de la variété. Or, pour bon nombre de «variétés anciennes», ces preuves ne peuvent pas être apportées. La question se pose dès lors de savoir si cette restriction aux échanges de semences est justifiée.

II – Le cadre juridique

A –    Le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA)

5.        Par décision du 24 février 2004 (2), le Conseil de l’Union européenne a approuvé la conclusion, au nom de la Communauté européenne, du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (3) (ci-après le «traité international»).

6.        L’article 5, paragraphe 1, du traité international énonce les principales mesures:

«5.1.      Chaque partie contractante, sous réserve de sa législation nationale, et en coopération avec d’autres parties contractantes, selon qu’il convient, promeut une approche intégrée de la prospection, de la conservation et de l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture et s’emploie en particulier, selon qu’il convient, à:

[...]

c)      encourager ou soutenir, selon qu’il convient, les efforts des agriculteurs et des communautés locales pour gérer et conserver à la ferme leurs ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture;

[...]»

7.        L’article 6 du traité international mentionne encore d’autres mesures:

«6.1.      Les parties contractantes » élaborent et maintiennent des politiques et des dispositions juridiques appropriées pour promouvoir l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture.

6.2.      L’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture peut comporter notamment les mesures suivantes:

a)      élaborer des politiques agricoles loyales encourageant, selon qu’il convient, la mise en place et le maintien de systèmes agricoles diversifiés qui favorisent l’utilisation durable de la diversité biologique agricole et des autres ressources naturelles;

[...]

d)      élargir la base génétique des plantes cultivées et accroître la diversité du matériel génétique mis à la disposition des agriculteurs;

e)      promouvoir, selon qu’il convient, une utilisation accrue des plantes cultivées, des variétés et des espèces sous-utilisées, locales ou adaptées aux conditions locales;

[...]

g)      surveiller et, selon qu’il convient, ajuster les stratégies de sélection et les réglementations concernant la mise en vente des variétés et la distribution des semences.

8.        L’article 9 du traité international confère des droits aux agriculteurs et prévoit, à son paragraphe 2, certaines mesures:

«Les parties contractantes conviennent que la responsabilité de la réalisation des droits des agriculteurs, pour ce qui est des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, est du ressort des gouvernements. En fonction de ses besoins et priorités, chaque partie contractante devrait, selon qu’il convient et sous réserve de la législation nationale, prendre des mesures pour protéger et promouvoir les droits des agriculteurs, y compris:

a)      la protection des connaissances traditionnelles présentant un intérêt pour les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture;

b)      le droit de participer équitablement au partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture;

c)      le droit de participer à la prise de décisions, au niveau national, sur les questions relatives à la conservation et à l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture.»

B –    Le droit de l’Union

9.        Différentes directives traitent des questions concernant les semences. Ces dispositions ont été arrêtées pour la première fois en 1970 en ce qui concerne les semences de légumes (4) et pour d’autres variétés agricoles dès 1966 (5). Aujourd’hui, ce sont cependant les textes énoncés ci-après qui s’appliquent, la Commission européenne menant d’ailleurs, à l’heure actuelle, des consultations en vue de leur révision (6).

1.      La directive 2002/55/CE

10.      Les variétés en cause au principal relèvent dans une large mesure, voire exclusivement, de la directive 2002/55/CE du Conseil, du 13 juin 2002, concernant la commercialisation des semences de légumes (7) (ci-après la «directive relative aux légumes»).

11.      L’article 3, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes interdit de commercialiser des semences de légumes dont la variété n’est pas officiellement admise:

«Les États membres prescrivent que des semences de légumes ne peuvent être certifiées, contrôlées en tant que semences standard et commercialisées que si leur variété est officiellement admise dans au moins un État membre.»

12.      L’article 4, paragraphe 1, de cette directive régit l’admission:

«Les États membres veillent à ce qu’une variété ne soit admise que si elle est distincte, stable et suffisamment homogène.

Dans le cas de la chicorée industrielle, la variété doit posséder une valeur culturale ou d’utilisation satisfaisante.»

13.      L’article 4, paragraphe 3, de ladite directive contient des dispositions visant à protéger le consommateur de denrées alimentaires obtenues à partir des variétés végétales:

«Par ailleurs, lorsque des semences d’une variété végétale sont destinées à être utilisées en tant qu’aliments ou ingrédients alimentaires relevant du règlement (CE) no 258/97, ces aliments ou ingrédients alimentaires ne doivent pas:

–        présenter de danger pour le consommateur,

–        induire le consommateur en erreur,

–        différer des aliments ou ingrédients alimentaires qu’ils sont destinés à remplacer à un point tel que leur consommation normale impliquerait des inconvénients nutritionnels pour le consommateur.»

14.      L’article 4, paragraphe 4, de la directive relative aux légumes prévoit une admission simplifiée dans l’intérêt de la conservation des ressources génétiques des plantes. Les conditions y afférentes sont fixées par la Commission conformément aux dispositions des articles 44, paragraphe 2, et 46, paragraphe 2, de cette directive.

15.      L’article 5 de ladite directive définit les critères de distinction, de stabilité et d’homogénéité:

«1.      Une variété est distincte si, quelle que soit l’origine, artificielle ou naturelle, de la variation initiale qui lui a donné naissance, elle se distingue nettement par un ou plusieurs caractères importants de toute autre variété connue dans la Communauté.

[...]

2.      Une variété est stable si, à la suite de ses reproductions ou multiplications successives ou à la fin de chaque cycle, lorsque l’obtenteur a défini un cycle particulier de reproductions ou de multiplications, elle reste conforme à la définition de ses caractères essentiels.

3.      Une variété est suffisamment homogène si les plantes qui la composent — abstraction faite des rares aberrations — sont, compte tenu des particularités du système de reproduction des plantes, semblables ou génétiquement identiques pour l’ensemble des caractères retenus à cet effet.»

16.      En vertu de son article 52, la directive relative aux légumes est entrée en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes, à savoir le 9 août 2002. Étant donné qu’elle a consolidé les dispositions de directives précédentes, dont les délais de transposition étaient déjà expirés, elle n’a pas fixé de délai de transposition supplémentaire.

2.      La directive 2009/145/CE

17.      La directive 2009/145/CE de la Commission, du 26 novembre 2009, introduisant certaines dérogations pour l’admission des races primitives et variétés de légumes traditionnellement cultivées dans des localités et régions spécifiques et menacées d’érosion génétique, et des variétés de légumes sans valeur intrinsèque pour la production commerciale mais créées en vue de répondre à des conditions de culture particulières, ainsi que pour la commercialisation de semences de ces races primitives et variétés (8) (ci-après la «directive relative aux dérogations»), a été fondée sur les articles 4, paragraphe 4, 44, paragraphe 2, et 46, paragraphe 2, de la directive relative aux légumes.

18.      L’article 1er, paragraphe 1, de la directive relative aux dérogations détermine les variétés pour lesquelles il y a lieu de prévoir des dérogations:

«La présente directive prévoit certaines dérogations applicables aux espèces de légumes couvertes par la directive [relative aux légumes], dans le contexte de la conservation in situ et de l’utilisation durable des ressources phytogénétiques grâce à la culture et à la commercialisation:

a)      pour l’admission, aux catalogues nationaux des variétés des espèces de légumes tels que prévus par la directive [relative aux légumes], des races primitives et variétés traditionnellement cultivées dans des localités et régions spécifiques et menacées d’érosion génétique, ci-après ‘les variétés de conservation’;

b)      pour l’admission, aux catalogues visés au point a), des variétés sans valeur intrinsèque pour la production commerciale mais créées en vue d’être cultivées dans des conditions particulières, ci-après ‘les variétés créées pour répondre à des conditions de culture particulières’, et

c)      pour la commercialisation des semences de ces variétés de conservation et variétés créées pour répondre à des conditions de culture particulières.»

19.      Les conditions essentielles pour l’admission des variétés de conservation résultent de l’article 4 de la directive relative aux dérogations:

«1.      Pour être admise en tant que variété de conservation, une race primitive ou une variété au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point a), doit présenter un intérêt pour la conservation des ressources phytogénétiques.

2.      Par dérogation à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/91/CE, les États membres peuvent adopter des dispositions nationales en ce qui concerne les critères de distinction, de stabilité et d’homogénéité des variétés de conservation.

[...]»

20.      Les articles 13 et 14 de cette directive prévoient que les semences des variétés de conservation ne peuvent être produites et commercialisées qu’à titre exceptionnel en dehors de la région d’origine.

21.      En vertu de l’article 15 de ladite directive, les variétés de conservation ne peuvent être commercialisées qu’en quantité très limitée:

«Chaque État membre veille à ce que, pour chaque variété de conservation, la quantité de semences commercialisée annuellement n’excède pas la quantité nécessaire pour produire des légumes sur le nombre d’hectares fixé à l’annexe I pour les différentes espèces.»

22.      Les superficies fixées à l’annexe I s’élèvent, selon l’espèce, à 10, 20 ou 40 hectares.

23.      L’article 22 de la directive relative aux dérogations énonce les conditions d’admission des variétés créées pour être cultivées dans des conditions particulières:

«1.      Pour être admise en tant que variété créée pour répondre à des conditions de culture particulières, telle que visée à l’article 1er, paragraphe 1, point b), une variété ne doit pas avoir de valeur intrinsèque pour la production commerciale mais avoir été créée en vue d’être cultivée dans des conditions particulières.

Une variété est réputée avoir été créée en vue d’être cultivée dans des conditions particulières si elle a été créée pour être cultivée dans des conditions agrotechniques, climatiques ou pédologiques spécifiques.

2.      Par dérogation à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/91/CE, les États membres peuvent adopter des dispositions nationales en ce qui concerne les critères de distinction, de stabilité et d’homogénéité des variétés créées pour répondre à des conditions de culture particulières.»

24.      En vertu de l’article 36, paragraphe 1, de la directive relative aux dérogations, celle-ci devait être transposée au plus tard le 31 décembre 2010.

3.      La directive 2003/91/CE

25.      La directive 2003/91/CE de la Commission, du 6 octobre 2003, établissant des modalités d’application de l’article 7 de la directive 2002/55/CE du Conseil en ce qui concerne les caractères devant être couverts au minimum par l’examen et les conditions minimales pour l’examen de certaines variétés d’espèces de légumes (9), qui est mentionnée dans la directive relative aux dérogations, précise à l’article 1er, paragraphe 2, les caractères distinctifs, la stabilité et l’homogénéité en renvoyant à certains documents de l’Office communautaire des variétés végétales (OCVV) et de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV). Ces deux organisations s’occupent de la protection de la propriété intellectuelle pour des variétés végétales.

4.      La directive 2002/53/CE

26.      La directive 2002/53/CE du Conseil, du 13 juin 2002, concernant le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles (10) (ci-après la «directive relative au catalogue commun des variétés»), établit pour des plantes cultivées agricoles relevant de plusieurs directives, mais pas de la directive relative aux légumes, des règles communes concernant l’admission des variétés. En l’espèce, ce sont les betteraves sucrières et fourragères au sens de la directive 2002/54/CE du Conseil, du 13 juin 2002, concernant la commercialisation des semences de betteraves (11) (ci-après la «directive relative aux betteraves»), qui nous intéressent.

27.      L’article 1er, paragraphe 1, de la directive relative au catalogue commun des variétés définit le champ d’application de cette directive:

«La présente directive concerne l’admission des variétés de betteraves [...] à un catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles dont les semences ou plants peuvent être commercialisés selon les dispositions des directives concernant respectivement la commercialisation des semences de betteraves ([directive relative aux betteraves]) [...].»

28.      L’article 1er, paragraphe 2, de ladite directive détermine la base du catalogue commun des variétés:

«Le catalogue commun des variétés est établi sur la base des catalogues nationaux des États membres.»

29.      L’article 3, paragraphe 1, de la directive relative au catalogue commun des variétés prévoit l’établissement de catalogues nationaux:

«Chaque État membre établit un ou plusieurs catalogues des variétés admises officiellement à la certification et à la commercialisation sur son territoire. [...]»

30.      Les conditions d’admission des variétés sont énoncées à l’article 4, paragraphe 1, de la directive relative au catalogue commun des variétés:

«Les États membres veillent à ce qu’une variété ne soit admise que si elle est distincte, stable et suffisamment homogène. La variété doit posséder une valeur culturale et d’utilisation satisfaisante.»

31.      L’article 5 de la directive relative au catalogue commun des variétés définit les conditions d’admission comme l’article 5 de la directive relative aux légumes, mais précise en outre, au paragraphe 4, ce qu’il faut entendre par «valeur culturale ou d’utilisation satisfaisante»:

«Une variété possède une valeur culturale ou d’utilisation satisfaisante si, par rapport aux autres variétés admises dans le catalogue de l’État membre en cause, elle représente, par l’ensemble de ses qualités, au moins pour la production dans une région déterminée, une nette amélioration soit pour la culture, soit pour l’exploitation des récoltes ou l’utilisation des produits qui en sont issus. Une infériorité de certaines caractéristiques peut être compensée par d’autres caractéristiques favorables.»

5.      La directive 98/95/CE

32.      La directive 98/95/CE du Conseil, du 14 décembre 1998, modifiant, quant à la consolidation du marché intérieur, aux variétés végétales génétiquement modifiées et aux ressources génétiques des plantes, les directives 66/400/CEE, 66/401/CEE, 66/402/CEE, 66/403/CEE, 69/208/CEE, 70/457/CEE et 70/458/CEE concernant la commercialisation des semences de betteraves, des semences de plantes fourragères, des semences de céréales, des plants de pommes de terre, des semences de plantes oléagineuses et à fibres et des semences de légumes ainsi que le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles (12) (ci-après la «directive modificative»), a introduit des bases juridiques qui, dans le cadre de la législation sur la commercialisation des semences, devaient permettre, par une utilisation in situ, la conservation des variétés menacées d’érosion génétique (dix‑septième considérant de cette directive). La Commission aurait pu arrêter des règles analogues conformément à la procédure de comitologie. Ces dispositions font aujourd’hui partie de la directive relative aux légumes, de la directive relative aux betteraves ainsi que de la directive relative au catalogue commun des variétés et elles ont été par conséquent abrogées lors de l’adoption de ces dernières directives.

III – Les faits et la demande de décision préjudicielle

33.      L’association Kokopelli (ci-après «Kokopelli»), une organisation non gouvernementale, offre à la vente des semences de ce qu’il est convenu d’appeler des «variétés anciennes» qui, pour partie, ne sont pas admises au sens de la directive relative aux légumes. Graines Baumaux SAS (ci-après «Graines Baumaux»), une entreprise semencière, a recensé dans l’offre de Kokopelli 461 variétés non admises et a, par conséquent, introduit en 2005 une action en concurrence déloyale, Graines Baumaux réclamant entre autres des dommages‑intérêts forfaitaires à concurrence de 50 000 euros ainsi que l’arrêt de toute publicité pour ces variétés. En première instance, le tribunal de grande instance de Nancy a accordé 10 000 euros de dommages‑intérêts à Graines Baumaux et a rejeté le recours pour le surplus.

34.      Kokopelli a interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel de Nancy. Dans le cadre de cette procédure, la cour d’appel de Nancy a saisi notre Cour de la question préjudicielle suivante:

«La directive modificative, la directive relative au catalogue commun des variétés, la directive relative aux légumes et la directive relative aux dérogations sont-elles valides au regard des droits et principes fondamentaux suivants de l’Union européenne, à savoir, ceux du libre exercice de l’activité économique, de proportionnalité, d’égalité ou de non‑discrimination, de libre circulation des marchandises, et au regard des engagements pris aux termes du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, notamment en ce qu’elles imposent des contraintes de production et de commercialisation aux semences et plants anciens?»


35.      Graines Baumaux, Kokopelli, la République française, le Royaume d’Espagne, le Conseil et la Commission ont participé à la procédure devant la Cour en présentant des observations écrites. Il n’y a pas eu d’audience.

IV – Appréciation juridique

A –    Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

36.      Graines Baumaux doute de la recevabilité du renvoi préjudiciel. Elle estime que la validité des directives visées est sans importance aux fins de la solution du litige au principal, puisqu’il s’agit en l’occurrence du respect de dispositions du droit français assurant la transposition des directives. La Cour ne répondant pas aux questions hypothétiques (13), la demande de décision préjudicielle serait dans ce cas irrecevable.

37.      On concédera certes sur ce point qu’il ne serait pas mis fin avec certitude à l’infraction de Kokopelli au droit français de transposition si les dispositions des directives en cause étaient invalides. Cependant, aussi longtemps qu’il y a lieu de les présumer valides (14), les juridictions nationales ne peuvent guère non plus contester la validité de la législation de transposition (15). En revanche, si lesdites directives sont invalides, le droit qui assure leur transposition est également en débat. Il pourrait, par exemple, porter atteinte à la libre circulation des marchandises visée à l’article 34 TFUE dans la mesure où des marchandises provenant d’autres États membres figureraient parmi les semences litigieuses. C’est la raison pour laquelle la Cour répond à de telles questions (16).

B –    Sur l’objet de la demande de décision préjudicielle

38.      La cour d’appel de Nancy s’interroge sur la validité de quatre directives qui contiennent une multitude de dispositions relatives à la commercialisation de semences. Elles établissent notamment à quelles conditions des variétés sont admises et inscrites aux catalogues nationaux ou au catalogue commun des variétés, interdisent la vente de semences non autorisées, mais réglementent également le contrôle et la qualité des semences ainsi que les emballages de vente. Dans tous les domaines, il existe des «contraintes de production et de commercialisation [imposées] aux semences et plants anciens», dont il conviendrait, selon la formulation de la question préjudicielle posée à la Cour, d’examiner la validité.

39.      Le litige au principal est cependant nettement plus circonscrit. Il se limite au grief qui est fait à Kokopelli d’avoir vendu des semences de variétés végétales qui ne sont pas admises. Kokopelli ne sollicite pas l’inscription de ses variétés dans un catalogue et déclare expressément ne pas remettre en cause les règles relatives à la qualité des semences (17). Si Kokopelli conteste les prescriptions concernant les emballages (18), il ne semble cependant pas que ces dispositions fassent l’objet du litige au principal.

40.      Dans ces conditions, il n’y a lieu d’examiner que l’interdiction de commercialiser des semences non admises.

41.      Selon la requête de Graines Baumaux déposée en première instance, Kokopelli a commercialisé 461 variétés de légumes qui ne sont pas agréées. Il est constant que ces variétés relèvent en très grande partie, et peut-être même en totalité, de la troisième des directives mentionnées par la juridiction de renvoi, à savoir la directive relative aux légumes. Par conséquent, dans les développements qui suivent, nous nous concentrerons sur cette directive.

42.      Il convient d’examiner, à cet égard, l’obligation qui est faite aux États membres, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes, de prescrire que des semences de légumes ne peuvent être commercialisées que si leur variété est officiellement admise dans au moins un État membre.

43.      Les règles régissant l’admission figurent principalement aux articles 4 et 5 de la directive relative aux légumes. Conformément à ces dispositions, des semences ne peuvent être commercialisées que s’il est établi que la variété est distincte, stable et suffisamment homogène. Dans le cas des semences de chicorée industrielle, la variété doit posséder en outre une valeur culturale ou d’utilisation satisfaisante.

44.      Ces conditions posent problème pour l’utilisation des «semences anciennes» évoquées dans la question préjudicielle en ce que Kokopelli et la Commission (19) font valoir que bon nombre des variétés non admises ne sont pas en mesure de répondre à ces exigences. La directive relative aux dérogations concernant les semences de légumes en apporte la confirmation puisque, aux termes de son deuxième considérant, elle a été adoptée afin de permettre la culture et la commercialisation de certaines variétés même lorsqu’elles ne répondent pas aux exigences générales.

45.      Selon Kokopelli, le patrimoine génétique des «variétés anciennes» qu’elle commercialise est moins uniforme que le patrimoine génétique des variétés admises. Les «variétés anciennes» peuvent ainsi évoluer différemment en fonction des conditions environnementales. Elles ne sont donc pas stables. De même, les différents individus dans les populations considérées se ressemblent moins. Ces variétés ne sont dès lors pas aussi homogènes que les variétés admises (20).

46.      Il convient, par conséquent, de vérifier si l’interdiction prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes de commercialiser des semences d’une variété dont on ne peut démontrer qu’elle est distincte, stable et suffisamment homogène ni, le cas échéant, qu’elle possède également une valeur culturale ou d’utilisation satisfaisante est compatible avec les normes de rang supérieur visées dans la demande de décision préjudicielle.

47.      Dans ce contexte, nous examinerons ci-après tout d’abord le traité international (titre C, 1), pour aborder ensuite le principe de proportionnalité (titre C, 2), puis le libre exercice de l’activité économique (titre C, 3) ainsi que la libre circulation des marchandises (titre C, 4) et, enfin, le principe d’égalité de traitement (titre C, 5).

48.      La Commission n’a adopté qu’en 2009 la dernière des directives visées par la cour d’appel de Nancy, à savoir la directive relative aux dérogations concernant les semences de légumes, et le délai de transposition de cette directive a expiré le 31 décembre 2010. L’action au principal ayant été engagée dès 2005, ladite directive n’est sans doute pas pertinente pour les dommages-intérêts qui sont réclamés. Elle peut cependant être utile pour déterminer si Kokopelli doit désormais cesser toute publicité pour des semences non admises. Il convient, dès lors, de vérifier si la directive relative aux dérogations modifie le résultat de l’examen de l’article 3, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes [titre C, 2, sous c), in fine des présentes conclusions].

49.      La deuxième des directives visées par la juridiction de renvoi est la directive relative au catalogue commun des variétés. Celle-ci n’entre en ligne de compte que si, parmi les neuf variétés de betteraves et de navets que Graines Baumaux mentionne dans sa liste des variétés de légumes litigieuses (21), figurent également des betteraves sucrières ou fourragères relevant de la directive relative aux betteraves qui n’a pas été évoquée dans la demande de décision préjudicielle. Le dossier ne comporte certes aucun élément militant en ce sens, et les arguments de Graines Baumaux et de Kokopelli s’y opposent également. On ne saurait cependant exclure avec une certitude absolue que la validité de la directive relative au catalogue commun des variétés revêt également de l’importance dans le litige au principal. Afin d’éviter que, en pareil cas, un nouveau renvoi de la cour d’appel de Nancy ne soit nécessaire (22), nous examinerons, pour terminer, si le résultat concernant la directive relative aux légumes s’applique également à la directive relative au catalogue commun des variétés (titre D des présentes conclusions).

50.      Relevons, enfin, que la première des directives visées par la cour d’appel de Nancy, à savoir la directive modificative, n’est plus en vigueur depuis l’adoption des directives relatives aux légumes et au catalogue commun des variétés. En outre, elle ne contient que des bases juridiques pour des dispositions dérogatoires qui n’ont jamais été utilisées lorsqu’elle était en vigueur. Il n’y a donc pas lieu de l’examiner.

C –    Sur l’article 3, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes

1.      Quant au traité international

51.      Le traité international, aux termes de son article 1er, a entre autres pour objectifs la conservation et l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture. Kokopelli estime que ce traité s’oppose à la réglementation concernant l’admission des variétés.

52.      Rappelons que la Cour vérifie la validité du droit dérivé au regard de toutes les règles du droit international, sous réserve du respect de deux conditions. Premièrement, l’Union doit être liée par ces règles et, deuxièmement, la Cour ne peut procéder à l’examen de la validité d’une réglementation de l’Union au regard d’un traité international que lorsque la nature et l’économie de celui-ci ne s’y opposent pas et que, par ailleurs, ses dispositions apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises (23).

53.      Il n’est pas douteux que l’Union est liée par le traité international, puisqu’elle est partie contractante. En l’espèce, la Cour n’a pas besoin de déterminer si la nature et l’économie de ce traité s’opposent à un contrôle du droit dérivé (24). En effet, ledit traité ne contient aucune disposition qui serait, du point de vue de son contenu, inconditionnelle et suffisamment précise pour mettre en cause la validité des réglementations de l’Union en matière de commercialisation des semences.

54.      L’article 5 du traité international prévoit que des mesures sont prises par chaque partie contractante «sous réserve de sa législation nationale» et «selon qu’il convient». Aux termes de l’article 6 de ce traité, les parties contractantes élaborent et maintiennent «des dispositions appropriées». Suit une liste d’exemples possibles de telles mesures. Les deux dispositions laissent donc à l’appréciation des États les mesures qu’il convient à chaque fois de prendre. La marge de manœuvre dont l’Union dispose pour la réglementation de la commercialisation des semences n’est de ce fait pas limitée.

55.      L’article 9 du traité international concerne les droits des agriculteurs. Il dispose que, en fonction de ses besoins et de ses priorités, chaque partie contractante devrait, selon qu’il convient et sous réserve de la législation nationale, prendre des mesures. Cette disposition ne comporte pas non plus une obligation suffisamment inconditionnelle et précise.

56.      Il n’apparaît pas que d’autres dispositions du traité international soient pertinentes.

57.      Par conséquent, l’examen du traité international n’a révélé aucun élément de nature à mettre en cause la validité de l’article 3, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes.

2.      Sur le principe de proportionnalité

58.      L’interdiction de commercialiser des semences non admises pourrait cependant être disproportionnée.

59.      Le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (25).

60.      En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions mentionnées au point précédent, il y a lieu de reconnaître au législateur de l’Union un large pouvoir d’appréciation dans un domaine qui implique de sa part des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lequel il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (26).

61.      Cette formule standard de la Cour ne doit pas être comprise en ce sens qu’il n’y aurait lieu d’apprécier que le caractère approprié de la mesure ou que seul ce critère est soumis à l’aune du vice manifeste. Elle tend plutôt à signifier que l’examen vise à déterminer si la mesure est manifestement disproportionnée (27). À cet égard, il convient de respecter les trois étapes du contrôle de proportionnalité (28).

62.      D’ailleurs, même en présence d’un tel (large) pouvoir, le législateur de l’Union est tenu de fonder son choix sur des critères objectifs. De plus, dans le cadre de l’appréciation des contraintes liées à différentes mesures possibles, il doit examiner si les objectifs poursuivis par la mesure retenue sont de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs (29).

a)      Sur les objectifs de l’interdiction et l’aptitude de celle-ci à atteindre ces objectifs

63.      En vertu des deuxième à quatrième considérants de la directive relative aux légumes, les réglementations concernant l’admission des variétés visent à améliorer la productivité de l’agriculture. Ainsi que la Commission le souligne à juste titre, il s’agit, conformément à l’article 39, paragraphe 1, sous a), TFUE, d’un objectif de la politique agricole commune.

64.      D’autre part, l’interdiction de vente prémunit les consommateurs contre l’achat de variétés qui ne sont pas distinctes, stables ni suffisamment homogènes et qui, le cas échéant, ne possèdent pas une valeur culturale ou d’utilisation (c’est-à-dire une productivité) satisfaisante.

65.      L’interdiction de commercialiser des semences non admises est sans aucun doute propre à promouvoir ces deux objectifs. Elle assure dans une large mesure que les clients, en particulier des agriculteurs, n’obtiennent que des semences qui présentent les qualités constatées lors de l’admission.

66.      Lorsqu’une variété est distincte, stable et suffisamment homogène, les utilisateurs des semences peuvent notamment tabler sur le fait qu’ils obtiendront le produit escompté. Cette fiabilité est une condition essentielle en vue de l’utilisation optimale de ressources agricoles. Si, comme cela est prévu dans le cas de la chicorée industrielle, une valeur culturale ou d’utilisation satisfaisante est même démontrée (30), l’utilisateur peut en outre s’attendre à une certaine capacité de rendement.

67.      En revanche, lorsque lesdites qualités des semences ne sont pas établies, les consommateurs achètent, pour ainsi dire, «chat en sac ». Ils sont obligés de s’en remettre aux informations du vendeur quant au type de produit qui est censé naître de ces semences. En règle générale, ce n’est au plus tôt que quelques mois plus tard, lorsque les plantes se développent à partir des semences, voire seulement lorsqu’elles arrivent à maturité, qu’ils découvrent si ces informations sont exactes. Or, s’il s’avère à ce stade que les plantes ne répondent pas aux attentes, le cycle cultural en question ne peut plus être modifié. La productivité s’en ressentirait.

68.      De plus, lors de l’introduction de l’interdiction de commercialiser les semences de variétés non admises, il n’existait peut-être pas encore une industrie semencière suffisamment professionnelle avec des normes de rendement élevées. Il n’est pas à exclure qu’une réglementation plus stricte ait pu s’imposer à l’époque en vue d’écarter la concurrence de fournisseurs à bas prix et de permettre la mise en place de structures solides.

69.      De manière indirecte, une productivité agricole élevée peut contribuer à la sécurité alimentaire et permettre de cesser l’exploitation des surfaces devenues superflues ou de réaliser une production plus respectueuse de l’environnement, ce que la République française, le Conseil et la Commission indiquent comme autres objectifs des règles de commercialisation en cause. Toutefois, ces deux objectifs ne présentent qu’un lien très ténu avec l’interdiction de commercialiser des semences non admises.

70.      En outre, il ressort du douzième considérant de la directive relative aux légumes que le catalogue commun des variétés est destiné à assurer la libre circulation des semences. Cet objectif est couvert par l’article 3, paragraphe 3, TUE qui prévoit l’établissement du marché intérieur. La législation relative à l’admission des variétés est apte à contribuer à la réalisation de cet objectif en ce que les États membres sont fondés à estimer que des semences légalement commercialisées dans un autre État membre répondent également aux exigences nationales.

71.      L’article 4, paragraphe 3, de la directive relative aux légumes peut enfin être interprété en ce sens que l’admission des variétés est également destinée à protéger le consommateur final des denrées alimentaires obtenues, notamment contre des problèmes sanitaires ainsi que contre les fraudes et tromperies. La prise en compte de ces objectifs lors de l’admission des variétés peut contribuer à leur réalisation.

72.      Comme objectif des règles de commercialisation, la Commission évoque enfin également l’état sanitaire des semences auquel se réfère le douzième considérant de la directive 66/402 ayant précédé une directive parallèle concernant les semences de céréales. Il se peut, en effet que les directives visées dans la demande de décision préjudicielle comportent également des dispositions qui s’inspirent de cette finalité. Toutefois, on voit mal comment les règles relatives à l’admission devraient y contribuer. Les conditions d’admission n’ont aucun rapport avec la santé des plantes. Il n’y a dès lors pas lieu de prendre cet objectif en considération pour leur justification.

b)      Sur la nécessité

73.      À première vue, on pourrait douter de la nécessité de l’interdiction de commercialiser des semences de variétés non admises. En effet, les objectifs visés peuvent dans une large mesure être atteints grâce à des obligations d’étiquetage moins contraignantes (31). Si le consommateur des semences sait que la variété ne répond pas aux exigences du catalogue des variétés, il peut renoncer à les acheter ou à les utiliser. Par conséquent, cela éviterait les pertes de productivité tout en assurant la protection des consommateurs.

74.      Une large réalisation des objectifs ne suffit cependant pas à exclure la nécessité. Une mesure est d’ores et déjà nécessaire au cas où le moyen moins contraignant est moins efficace. Or, tel est le cas en l’espèce.

75.      En effet, des obligations d’étiquetage et d’avertissement ne garantiraient pas de la même manière que les consommateurs n’obtiennent que des semences qui remplissent les conditions d’admission. Il ne serait pas à exclure que les consommateurs se trompent quand même sur la qualité des semences ou utilisent pour d’autres raisons tenant, par exemple, au prix, à des annonces publicitaires ou encore à leur conviction des semences qui ne satisfont pas aux conditions d’admission. Le point de savoir si la réalisation — légèrement — plus poussée d’objectifs législatifs grâce à l’interdiction en cause suffit à justifier celle-ci n’est pas une question concernant la nécessité, mais doit s’apprécier dans le cadre de la mise en balance des inconvénients avec les objectifs.

76.      Toutefois, pour assurer la libre circulation des semences au sein du marché intérieur, il n’est pas nécessaire que l’admission des variétés soit assortie d’une interdiction de commercialiser des variétés non admises (32). À supposer même que la protection de l’agriculture contre des semences de variétés non admises puisse justifier des restrictions nationales aux échanges (33), l’Union ne devrait pas poser une interdiction. Au contraire, l’article 16, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes suffirait pour garantir la libre circulation au sein de l’Union des variétés qui répondent aux conditions d’admission.

77.      Les règles d’admission ne sont pas non plus nécessaires pour protéger le consommateur final contre les denrées alimentaires issues des variétés de semences. Cet objectif est déjà assuré par la législation alimentaire, tel le règlement (CE) no 178/2002 (34), qui contient des dispositions nettement plus précises à cet effet.

c)      Sur la mise en balance des avantages et inconvénients (adéquation)

78.      Il convient dès lors d’examiner si les inconvénients liés à l’interdiction de commercialisation sont manifestement disproportionnés au regard des objectifs tendant à promouvoir la productivité agricole et à protéger les utilisateurs des semences. À cet égard, il importe de vérifier si, en exerçant son pouvoir d’appréciation, le législateur de l’Union a tenté d’assurer un équilibre entre, d’une part, ces objectifs et, d’autre part, les intérêts économiques des opérateurs (35).

79.      Dans les développements qui suivent, nous montrerons, tout d’abord, que, jusqu’à l’adoption de la directive relative aux dérogations, le législateur n’a pas pris de dispositions en vue de pondérer les intérêts en présence, puis, que les inconvénients de la législation sont manifestement disproportionnés par rapport aux avantages que celle-ci comporte. Enfin, nous examinerons si une prise en compte de la directive relative aux dérogations n’aboutit pas à un autre résultat.

i)      Les efforts du législateur pour pondérer les intérêts en présence

80.      Selon les considérants de la directive en cause et les arguments de la plupart des parties intervenues en l’espèce, l’interdiction de commercialiser des semences non admises repose sur l’idée que les objectifs poursuivis s’inscrivent dans l’intérêt des opérateurs économiques. Une productivité élevée et la protection des semences de variétés qui ne remplissent pas les conditions d’admission correspondent à l’intérêt économique de bon nombre d’agriculteurs.

81.      Cette mesure touche cependant également aux intérêts des opérateurs économiques et des consommateurs pour lesquels une forte productivité et des produits standard ne constituent pas la première préoccupation. Par ailleurs, l’intérêt général à la diversité génétique de variétés agricoles est également concerné.

82.      Les opérateurs économiques dont l’intérêt n’est pas dicté en priorité par la productivité sont considérablement entravés par le système existant. Les producteurs et négociants semenciers, les agriculteurs, mais également les utilisateurs de produits agricoles ne peuvent pas utiliser des variétés qui présentent d’autres qualités que les variétés admises. Ainsi, même lorsqu’une variété non admise a une saveur différente de celle des variétés admises ou fournit un meilleur rendement dans certaines conditions de culture, elle ne peut pas être commercialisée. Les efforts tendant à perfectionner des variétés non admises en vue d’obtenir des variétés qui satisfassent aux conditions d’admission sont également rendus plus ardus.

83.      Parallèlement, le choix des consommateurs est limité. Ils n’ont ni accès aux denrées alimentaires ou aux autres produits issus de variétés qui ne satisfont pas aux critères d’admission, ni la possibilité de cultiver eux-mêmes ces variétés, par exemple dans leur propre jardin.

84.      Le fait que les agriculteurs soient cantonnés à des variétés admises réduit enfin la diversité génétique dans les champs européens, étant donné que moins de variétés sont cultivées et que les populations de ces variétés présentent des différences génétiques moins importantes entre chaque individu (36).

85.      Si la biodiversité n’est pas expressément visée dans les traités en tant qu’objectif de politique européenne, il n’en demeure pas moins que l’Union s’est engagée, notamment par la convention sur la diversité biologique (37), à la protéger, et la Cour l’a d’ailleurs déjà reconnue en tant qu’objectif digne de protection (38). S’agissant plus spécifiquement de l’agriculture, cet objectif a été consacré par le traité international.

86.      Certes, des banques de semences et une mise en culture géographiquement limitée peuvent contribuer à la conservation de variétés non admises, mais de telles mesures sont typiquement tributaires d’un financement public. L’exploitation économique des variétés non admises garantirait, en revanche, de manière nettement plus forte la conservation de celles-ci et contribuerait également en pratique à une plus grande diversité biologique.

87.      Selon les considérants de la directive en question et les arguments des parties, notamment du Conseil et de la Commission, il n’apparaît pas que, jusqu’à l’adoption de la directive relative aux dérogations, le législateur ait tenu compte de ces intérêts. Déjà pour cette raison, la disposition en cause semble manifestement disproportionnée.

ii)    Sur la mise en balance des inconvénients et des objectifs

88.      À supposer même que le législateur ait quand même procédé à une mise en balance — ce qui n’est pas établi — il n’a, dans ce cas, pas réussi à faire en sorte que les inconvénients soient proportionnés aux objectifs.

89.      Les avantages de l’interdiction de commercialisation par rapport à des mesures moins contraignantes, comme des obligations d’étiquetage, se limitent pour l’essentiel, comme nous l’avons vu plus haut (39), à éviter l’utilisation par erreur de semences non autorisées. Ce risque serait cependant très limité si des avertissements suffisamment clairs étaient prescrits.

90.      En revanche, il n’est pas à craindre que l’agriculture européenne soit privée d’accès à des semences de haute qualité. En effet, même en l’absence d’une interdiction de commercialiser des variétés non admises, les agriculteurs peuvent utiliser les variétés qui figurent au catalogue et qui remplissent, par conséquent, les conditions d’admission. Compte tenu des qualités de rendement des variétés admises, il ne faut pas non plus s’attendre à ce qu’une concurrence d’éviction sensible soit exercée par des variétés non admises.

91.      En outre, dans l’intervalle, un droit d’obtention végétale (40) a été instauré, qui comporte des incitations supplémentaires à cultiver des variétés à haut rendement. Le régime des obtentions végétales prévoit des conditions semblables aux critères d’admission de variétés au catalogue des semences. Le secteur semencier professionnel n’a dès lors guère besoin d’être protégé contre la concurrence de variétés non admises.

92.      Le Conseil soutient quant à lui que l’interdiction de commercialisation a comme autre avantage d’empêcher en définitive l’utilisation de semences non admises. Ces semences pourraient être nuisibles ou ne pas permettre une production agricole optimale. Nous comprenons cet argument en ce sens que, à la rigueur, les agriculteurs doivent également être contraints de facto d’utiliser des variétés productives. Cela ne constitue cependant qu’un avantage très limité, puisqu’il appartient en principe aux agriculteurs de décider des variétés qu’ils cultivent. Ils seraient d’ailleurs libres de renoncer complètement à exploiter leurs terres.

93.      Les inconvénients que comporte l’interdiction de commercialiser des semences de variétés non admises sont en revanche sérieux. Ils concernent, comme nous l’avons vu plus haut, la liberté d’entreprise, les consommateurs de produits agricoles et la biodiversité dans l’agriculture.

94.      Il convient, dès lors, de constater que les inconvénients de l’interdiction de commercialiser des semences de variétés non admises l’emportent manifestement sur ses avantages.

iii) Sur la directive relative aux dérogations

95.      La directive relative aux dérogations serait effectivement susceptible de remettre en cause la conclusion tirée à ce stade, à tout le moins à partir du 31 décembre 2010, si elle atténuait suffisamment les inconvénients des règles antérieures.

96.      La directive modificative, datant de 1998, montre déjà que le législateur avait perçu la nécessité d’une conciliation des intérêts en présence au regard de la diversité biologique. Cette directive a établi les bases juridiques pour des dérogations limitées aux conditions strictes d’admission qui ont été reprises dans la directive relative aux légumes. Avant que la Commission n’applique finalement ces dérogations en 2009 en adoptant la directive relative aux dérogations, ces mesures ont cependant laissé intacte l’interdiction, de sorte que la pondération des intérêts n’a pas non plus changé.

97.      La directive relative aux dérogations ouvre toutefois des possibilités de commercialiser des semences pour des variétés qui, jusque‑là, ne pouvaient pas être admises. Si cette directive n’oblige pas expressément les États membres à admettre des variétés déterminées, il n’en demeure pas moins qu’ils sont tenus d’exercer la latitude que leur laisse ladite directive dans le respect des droits fondamentaux du droit de l’Union (41). Ils sont par conséquent obligés d’admettre les variétés qui remplissent les conditions de la directive relative aux dérogations, s’il s’avère que le régime d’admission des variétés serait sinon disproportionné (42).

98.      Il y a donc lieu d’examiner si la directive relative aux dérogations laisse suffisamment de marge pour l’utilisation de «variétés anciennes». Cette directive contient des dispositions concernant deux types de variétés, à savoir, d’une part, les variétés de conservation et, d’autre part, les variétés «créées pour répondre à des conditions de culture particulières».

99.      En vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive relative aux dérogations, l’admission des variétés de conservation exige encore toujours que soit établie une certaine qualité minimale en ce qui concerne la distinction, la stabilité et l’homogénéité. L’utilisation de ces variétés est en outre considérablement restreinte dans la mesure où, conformément aux articles 13 et 14 de cette directive, les semences d’une variété de conservation ne peuvent être cultivées et commercialisées que dans les régions d’origine ou analogues à la région d’origine. Les articles 15 et 16, lus en combinaison avec l’annexe I, de ladite directive limitent également la quantité de semences. Pour chaque variété, seules les semences pour cultiver une surface de 10 à 40 hectares, selon l’espèce, peuvent être annuellement produites et commercialisées.

100. Certes, Kokopelli doute que ces dispositions établissent un juste équilibre entre les objectifs de productivité de l’agriculture et de protection des agriculteurs, d’une part, et celui de conservation de la diversité génétique dans l’agriculture, d’autre part. Toutefois, il ne peut plus être constaté que les avantages du système d’admission des variétés apparaissent manifestement disproportionnés au regard de l’atteinte à l’intérêt de la diversité génétique. En effet, de manière limitée, il est désormais possible de cultiver des variétés qui présentent de l’intérêt en vue de la conservation de ressources phytogénétiques, mais ne satisfont pas aux exigences générales d’admission. Et, dès lors que les conditions particulières de distinction, de stabilité et d’homogénéité de ces variétés sont appréhendées et interprétées de façon large à la lumière du principe de proportionnalité, une admission de «variétés anciennes» devrait en principe être possible.

101. Compte tenu des restrictions prévues, ces dispositions ne visent cependant pas à permettre une exploitation économique des variétés visées. Les intérêts des opérateurs économiques et des consommateurs ne sont donc pas suffisamment pris en compte.

102. L’utilisation de variétés créées pour répondre à des conditions de culture particulières est certes moins limitée, mais leur admission est soumise à des conditions plus strictes. En vertu de l’article 22 de la directive relative aux dérogations, une telle variété ne doit pas avoir de valeur intrinsèque pour la production commerciale et doit avoir été créée pour être cultivée dans des conditions agrotechniques, climatiques ou pédologiques spécifiques. Seules quelques rares «variétés anciennes» devraient pouvoir remplir cette dernière condition. Ainsi, cette réglementation peut permettre l’utilisation de certaines variétés anciennes, mais elle est trop rigide pour garantir dans l’ensemble la proportionnalité des dispositions concernant l’admission des variétés.

103. En résumé, on retiendra que, même après l’adoption de la directive relative aux dérogations, les inconvénients demeurent pour les opérateurs économiques et les consommateurs dont l’accès aux «variétés anciennes» non admises est entravé. Ces inconvénients, même abstraction faite des inconvénients pour la biodiversité, sont manifestement disproportionnés par rapport aux avantages de l’interdiction, sans que le législateur ait recherché un équilibre.

d)      Conclusion intermédiaire

104. Il y a lieu, dès lors, de constater que les inconvénients de l’interdiction prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes de commercialiser des semences d’une variété dont il n’est pas établi qu’elle est distincte, stable et suffisamment homogène ni, le cas échéant, qu’elle possède une valeur culturale ou d’utilisation satisfaisante sont disproportionnés par rapport à ses objectifs. Cette disposition est par conséquent invalide.

3.      Sur le libre exercice de l’activité économique

105. Il convient ensuite de déterminer si l’interdiction en cause est compatible avec le droit fondamental au libre exercice de l’activité économique.

106. Le libre exercice de l’activité économique est protégé en tant que liberté d’entreprise par l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui a, depuis le traité de Lisbonne, et aux termes de l’article 6, paragraphe 1, première alinéa, TUE, la même valeur juridique que les traités (43). La Cour avait déjà reconnu ce droit fondamental auparavant, à savoir en tant que partie intégrante du droit d’exercer librement une activité professionnelle (44).

107. À l’évidence, les règles de commercialisation des semences restreignent cette liberté. Sans admission préalable de la variété, ses semences ne peuvent pas être commercialisées ni être achetées pour être cultivées.

108. En vertu de l’article 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par cette charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui (45).

109. La justification d’atteintes à la liberté d’entreprise doit par conséquent satisfaire aux exigences du principe de proportionnalité (46). Étant donné qu’il a été déjà constaté que l’interdiction de commercialisation est disproportionnée, elle viole également, en principe, le droit fondamental à la liberté d’entreprise.

110. Toutefois, dans la mise en œuvre du principe de proportionnalité pour justifier une restriction à la liberté d’entreprise, il convient de tenir compte du fait qu’il y a lieu d’apprécier non pas tous les inconvénients de l’interdiction de commercialisation au regard des objectifs qu’elle poursuit, mais seulement l’atteinte au droit fondamental considéré, c’est-à-dire principalement les limitations, exposées au point 82 des présentes conclusions, qui frappent les producteurs et négociants de semences ainsi que les agriculteurs. Or, même dans le cadre de cet examen limité, nous parvenons à la conclusion que l’interdiction de commercialisation est manifestement disproportionnée.

111. La limitation apportée au droit à la liberté d’entreprise au sens de l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne par l’article 3, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes n’est donc pas justifiée au regard de l’article 52, paragraphe 1, de ladite charte. La disposition en cause est dès lors également invalide en ce qu’elle viole ce droit fondamental.

4.      Sur la libre circulation des marchandises

112. L’interdiction de commercialiser des variétés non admises pourrait, en outre, être en contradiction avec la libre circulation des marchandises.

113. Rappelons, à cet égard, que l’interdiction des restrictions quantitatives ainsi que des mesures d’effet équivalent, prévue à l’article 34 TFUE, vaut non seulement pour les mesures nationales, mais également pour les mesures émanant des institutions de l’Union (47).

114. Or, l’interdiction en cause restreint nécessairement les échanges. Comme cette restriction n’est elle aussi justifiée que si elle satisfait au principe de proportionnalité (48), les considérations qui ont été développées précédemment (49) s’appliquent également à cet égard.

5.      Sur l’égalité de traitement ou la non-discrimination

115. Il convient, enfin, de vérifier la compatibilité de l’interdiction en cause avec le principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination. Ce principe qui est, entre‑temps, également consacré par l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (50). Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (51). La législation considérée doit donc être en adéquation avec les différences et les similitudes de chaque situation (52).

116. L’inégalité de traitement en cause réside dans le fait que les semences de variétés admises peuvent être commercialisées alors que les semences de variétés non admises ne peuvent pas l’être. L’interdiction de commercialisation est fondée sur la circonstance que les conditions d’admission n’ont pas été établies. L’absence de cette preuve constitue une différence entre les variétés considérées qui serait en principe également de nature à justifier une différence de traitement, telle l’obligation d’un marquage ou d’un étiquetage particulier pour les semences de variétés non admises.

117. En revanche, les inconvénients de l’interdiction de commercialisation sont, comme nous l’avons déjà vu, disproportionnés par rapport aux objectifs de la réglementation. Dans ces conditions, l’inégalité de traitement n’est pas justifiée et l’interdiction en cause est également invalide en ce qu’elle viole le principe de l’égalité de traitement.

6.      Résultat

118. À titre de conclusion intermédiaire, il y a lieu de constater que l’interdiction prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes de commercialiser des semences d’une variété non admise dont il n’est pas établi qu’elle est distincte, stable et suffisamment homogène, ni, le cas échéant, qu’elle possède une valeur culturale ou d’utilisation suffisante, est invalide en ce qu’elle viole le principe de proportionnalité, la liberté d’entreprise au sens de l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la libre circulation des marchandises au sens de l’article 34 TFUE ainsi que le principe d’égalité de traitement au sens de l’article 20 de ladite charte.

D –    Sur la directive relative au catalogue commun des variétés

119. Il convient de vérifier s’il y a lieu d’appliquer à la directive relative au catalogue commun des variétés la conclusion de l’examen portant sur l’article 3, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes.

120. À la différence de l’article 3, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes, la directive relative au catalogue commun des variétés ne prévoit pas expressément que des semences ne peuvent être commercialisées que si leur variété est officiellement admise.

121. En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive relative au catalogue commun des variétés, cette directive concerne l’admission des variétés dont les semences ou les plants peuvent être commercialisés. En outre, l’article 3, paragraphe 1, de cette directive se réfère, s’agissant des conditions d’admission, aux «variétés admises officiellement à la [...] commercialisation».

122. Il est possible d’interpréter ces dispositions de la directive relative au catalogue commun des variétés en ce sens que seules les semences de variétés admises peuvent être commercialisées. Une telle interdiction serait invalide pour les mêmes raisons que celles retenues à l’encontre de l’article 3, paragraphe 1, de la directive relative aux légumes. Cette interprétation n’est cependant pas obligatoire.

123. En effet, on pourrait au contraire appréhender l’admission seulement en ce sens qu’elle constitue le préalable d’une inscription de la variété audit catalogue et atteste que les conditions d’admission sont réunies. Cette approche semble préférable, puisque, selon un principe général d’interprétation, un acte de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, d’une manière qui ne remet pas en cause sa validité (53).

124. Une telle interprétation conforme aux droits fondamentaux étant en l’occurrence possible, la validité de la directive relative au catalogue commun des variétés n’est pas mise en cause.

V –    Conclusion

125. Nous proposons, par conséquent, à la Cour de statuer comme suit:

«1)      L’interdiction prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/55/CE du Conseil, du 13 juin 2002, concernant la commercialisation des semences de légumes, de commercialiser des semences d’une variété dont il n’est pas établi qu’elle est distincte, stable et suffisamment homogène ni, le cas échéant, qu’elle possède une valeur culturale ou d’utilisation suffisante est invalide en ce qu’elle viole le principe de proportionnalité, la liberté d’entreprise au sens de l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la libre circulation des marchandises au sens de l’article 34 TFUE ainsi que le principe d’égalité de traitement au sens de l’article 20 de ladite charte.

2)      L’examen de la demande préjudicielle n’a en revanche révélé aucun élément de nature à mettre en cause la validité des autres dispositions de la directive 2002/55 ainsi que celle de la directive 98/95/CE du Conseil, du 14 décembre 1998, modifiant, quant à la consolidation du marché intérieur, aux variétés végétales génétiquement modifiées et aux ressources génétiques des plantes, les directives 66/400/CEE, 66/401/CEE, 66/402/CEE, 66/403/CEE, 69/208/CEE, 70/457/CEE et 70/458/CEE concernant la commercialisation des semences de betteraves, des semences de plantes fourragères, des semences de céréales, des plants de pommes de terre, des semences de plantes oléagineuses et à fibres et des semences de légumes ainsi que le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, de la directive 2002/53/CE du Conseil, du 13 juin 2002, concernant le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, et de la directive 2009/145/CE de la Commission, du 26 novembre 2009, introduisant certaines dérogations pour l’admission des races primitives et variétés de légumes traditionnellement cultivées dans des localités et régions spécifiques et menacées d’érosion génétique, et des variétés de légumes sans valeur intrinsèque pour la production commerciale mais créées en vue de répondre à des conditions de culture particulières, ainsi que pour la commercialisation de semences de ces races primitives et variétés.»


1 —      Langue originale: l’allemand.


2 —      Décision 2004/869/CE (JO L 378, p. 1).


3 —      JO 2004, L 378, p. 3.


4 —      Articles 3 et 4 de la directive 70/458/CEE du Conseil, du 29 septembre 1970, concernant la commercialisation des semences de légumes (JO L 225, p. 7).


5 —      Voir directive 66/400/CEE du Conseil, du 14 juin 1966, concernant la commercialisation des semences de betteraves (JO 125, p. 2290), directive 66/401/CEE du Conseil, du 14 juin 1966, concernant la commercialisation des semences de plantes fourragères (JO 125, p. 2298), et directive 66/402/CEE du Conseil, du 14 juin 1966, concernant la commercialisation des semences de céréales (JO 125, p. 2309).


6 —      Les documents pertinents ainsi que les prises de position de différentes autorités et de groupes d’intérêts sont disponibles sur un site Internet de la Commission, à l’adresse http://ec.europa.eu/food/plant/propagation/evaluation/index_en.htm, visité en dernier lieu le 16 janvier 2012.


7 —      JO L 193, p. 33.


8 —      JO L 312, p. 44.


9 —      JO L 254, p. 11.


10 —      JO L 193, p. 1.


11 —      JO L 193, p. 12.


12 —      JO 1999, L 25, p. 1.


13 —      Voir, notamment, arrêt du 15 septembre 2011, Gueye et Salmerón Sánchez (C‑483/09 et C‑1/10, Rec. p. I‑8263, point 40).


14 —      Arrêts du 13 février 1979, Granaria (101/78, Rec. p. 623, point 4); du 5 octobre 2004, Commission/Grèce (C‑475/01, Rec. p. I‑8923, point 18), ainsi que du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication (C‑199/06, Rec. p. I‑469, point 59).


15 —      Voir, s’agissant du contrôle du droit de transposition au regard du droit constitutionnel national, arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, Rec. p. I‑5667, point 56).


16 —      Voir, respectivement, faits au principal des arrêts du 14 décembre 2004, Arnold André (C‑434/02, Rec. p. I‑11825, point 20); du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a. (C‑154/04 et C‑155/04, Rec. p. I-6451, point 21); du 6 décembre 2005, ABNA e.a. (C‑453/03, C‑11/04, C‑12/04 et C‑194/04, Rec. p. I‑10423, points 17, 22 et suiv. et 34), ainsi que du 1er mars 2011, Association belge des Consommateurs Test-Achats e.a. (C‑236/09, Rec. p. I‑773, point 12).


17 —      Point 146 de ses observations écrites.


18 —      Ibidem (points 147 et suiv.).


19 —      Point 95 des observations de la Commission présentées en l’espèce.


20 —      Voir Food Chain Evaluation Consortium, «Evaluation of the Community acquis on the marketing of seed and plant propagating material (S&PM)» [http://ec.europa.eu/food/plant/propagation/evaluation/s_pm_evaluation_finalreport_en.pdf (2008), p. 78 ainsi que 168 et suiv.].


21 —      Voir, dans la requête en première instance de Graines Baumaux, p. 25 et suiv. des annexes à ses observations écrites présentées devant la Cour (cinq variétés de betteraves et quatre variétés de navets).


22 —      Arrêt du 6 décembre 2005, Gaston Schul Douane-expediteur (C‑461/03, Rec. p. I‑10513, points 19 et suiv.).


23 —      Arrêts du 3 juin 2008, Intertanko e.a. (C‑308/06, Rec. p. I‑4057, points 43 et suiv.), ainsi que du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, Rec. p. I‑13755, points 51 et suiv.).


24 —      Voir, à cet égard, points 68 et suiv. de nos conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Air Transport Association of America e.a. (précité à la note 23).


25 —      Arrêts du 12 juillet 2001, Jippes e.a. (C‑189/01, Rec. p. I‑5689, point 81); du 7 juillet 2009, S.P.C.M. e.a. (C‑558/07, Rec. p. I‑5783, point 41), ainsi que du 8 juillet 2010, Afton Chemical (C‑343/09, Rec. p. I‑7027, point 45 et jurisprudence citée).


26 —      Voir arrêts S.P.C.M. e.a. (précité à la note 25, point 42) ainsi que Afton Chemical (précité à la note 25, point 46).


27 —      Arrêt S.P.C.M e.a. (précité à la note 25, point 71).


28 —      Voir examen effectué dans l’arrêt S.P.C.M. e.a. (précité à la note 25, points 44 et suiv. en ce qui concerne les objectifs et le caractère approprié de la mesure, points 59 et suiv. en ce qui concerne le caractère nécessaire, ainsi que points 64 et suiv. pour l’analyse des inconvénients et des objectifs).


29 —      Arrêts du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, Rec. p. I‑9895, point 58); du 8 juin 2010, Vodafone e.a. (C‑58/08, Rec. p. I‑4999, point 53), ainsi que du 12 mai 2011, Luxembourg/Parlement et Conseil (C‑176/09, Rec. p. I‑3727, point 63).


30 —      Voir définition de cette valeur énoncée à l’article 5, paragraphe 4, de la directive relative au catalogue commun des variétés.


31 —      Voir, également, quatrième des cinq scénarios que la Commission soumet au débat dans son document de consultation en vue de la réforme du système, intitulé «Options and Analysis of possible Scenarios for the Review of the EU Legislation on the Marketing of Seed and Plant Propagating Material» (http://ec.europa.eu.food/plant/propagation/evaluation/docs/15042011_options_analysis_paper_en.pdf, p. 12 et suiv.).


32 —      Voir point 70 des présentes conclusions.


33 —      Les considérations concernant l’adéquation, qui sont développées aux points 88 et suiv. des présentes conclusions, ainsi que l’analyse de la libre circulation, aux points 112 et suiv. des présentes conclusions, permettent cependant d’en douter.


34 —      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO L 31, p. 1).


35 —      Arrêt Afton Chemical (précité à la note 25, point 56). Voir, également, arrêts S.P.C.M. e.a. (précité à la note 25, points 64 et suiv.), et du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert (C‑92/09 et C‑93/09, Rec. p. I‑11063, points 77 et 81), ainsi que jurisprudence citée à la note en bas de page 29.


36 —      Voir point 45 des présentes conclusions.


37 —      JO 1993, L 309, p. 3.


38 —      Arrêt du 3 décembre 1998, Bluhme (C‑67/97, Rec. p. I‑8033, point 33).


39 —      Voir point 75 des présentes conclusions.


40 —      Dans l’Union, ce droit est régi par le règlement (CE) no 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO L 227, p. 1).


41 —      Arrêts du 24 mars 1994, Bostock (C‑2/92, Rec. p. I‑955, point 16); du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C‑540/03, Rec. p. I‑5769, point 105), et du 1er juillet 2010, Speranza (C‑35/09, Rec. p. I‑6581, point 28).


42 —      Voir arrêts du 18 novembre 1987, Maizena e.a. (137/85, Rec. p. 4587, point 15), ainsi que Speranza (précité à la note 41, point 29).


43 —      Arrêts du 19 janvier 2010, Kücükdeveci (C‑555/07, Rec. p. I‑365, point 22), et du 22 décembre 2010, DEB (C‑279/09, Rec. p. I‑13849, point 30).


44 —      Arrêts du 14 mai 1974, Nold/Commission (4/73, Rec. p. 491, point 14); du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C‑280/93, Rec. p. I‑4973, point 78), et du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil (C‑548/09 P, Rec. p. I‑11381, point 114).


45 —      Voir, en ce sens, arrêts précités Nold/Commission; Allemagne/Conseil, et Bank Melli Iran/Conseil. S’agissant de l’examen d’une telle justification, voir arrêt Volker und Markus Schecke et Eifert (précité à la note 35, points 65 et suiv.).


46 —      Arrêts Alliance for Natural Health e.a. (précité à la note 16, point 129); ABNA e.a. (précité à la note 16, points 87 et suiv.), ainsi que, s’agissant de la protection des données, Volker und Markus Schecker et Eifert (précité à la note 35, point 74).


47 —      Arrêts du 17 mai 1984, Denkavit Nederland (15/83, Rec. 2171, point 15), ainsi que Alliance for Natural Health e.a. (précité à la note 16, point 47).


48 —      Concernant l’examen de la validité de droit dérivé, voir arrêts du 7 février 1985, ADBHU (240/83, Rec. p. 531, point 15), ainsi que du 25 juin 1997, Kieffer et Thill (C‑114/96, Rec. p. I‑3629, point 31). Voir également, de manière plus générale, arrêts du 20 septembre 1988, Commission/Danemark (302/86, p. 4607, point 11 et, sur le caractère approprié, point 21), ainsi que du 15 novembre 2005, Commission/Autriche (C‑320/03, Rec. p. I‑9871, points 85 et 90).


49 —      Voir point 110 des présentes conclusions.


50 —      Arrêts du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C‑344/04, Rec. p. I‑403, point 95), S.P.C.M. e.a. (précité à la note 25, point 74), ainsi que du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (C‑550/07 P, Rec. p. I‑8301, point 55).


51 —      Arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (précité à la note 29, point 47).


52 —      Voir point 7 des conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 décembre 2008, Huber (C‑524/06, Rec. p. I‑9705); point 107 et jurisprudence citée de nos conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C‑540/03, Rec. p. I‑5769), ainsi que point 134 de nos conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt S.P.C.M. e.a. (précité à la note 25).


53 —      Arrêts du 4 octobre 2001, Italie/Commission (C‑403/99, Rec. p. I‑6883, point 37); du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a. (C‑402/07 et C‑432/07, Rec. p. I‑10923, point 47), ainsi que du 16 septembre 2010, Chatzi (C‑149/10, Rec. p. I‑8489, point 43).