Language of document : ECLI:EU:C:2012:88

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

16 février 2012 (*)

«Règlement (CE) no 6/2002 — Article 19, paragraphe 1 — Dessins ou modèles communautaires — Contrefaçon ou menace de contrefaçon — Notion de ‘tiers’»

Dans l’affaire C‑488/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Alicante y no 1 de Marca Comunitaria (Espagne), par décision du 15 septembre 2010, parvenue à la Cour le 11 octobre 2010, dans la procédure

Celaya Emparanza y Galdos Internacional SA

contre

Proyectos Integrales de Balizamiento SL,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Safjan, M. Ilešič (rapporteur), E. Levits et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 septembre 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour Celaya Emparanza y Galdos Internacional SA, par MM. J. L. Gracia Albero, F. Rodríguez Domínguez, F. Miazetto et S. Ferrandis González, abogados,

–        pour le gouvernement polonais, par Mme M. Laszuk ainsi que par MM. I. Żarski et M. Szpunar, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. F. Wenzel Bulst et R. Vidal Puig, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 novembre 2011,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1, ci-après le «règlement»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Celaya Emparanza y Galdos Internacional SA (ci-après «Cegasa») à Proyectos Integrales de Balizamiento SL (ci-après «PROIN») au sujet d’une action en contrefaçon introduite par Cegasa.

 Le cadre juridique

3        Il résulte de son cinquième considérant que le règlement a pour objectif de «créer un dessin ou modèle communautaire directement applicable dans chaque État membre» afin d’«obtenir une protection d’un dessin ou d’un modèle pour un territoire unique comprenant tous les États membres».

4        Le dix-huitième considérant du règlement énonce:

«Un dessin ou modèle communautaire enregistré exige la création et la tenue d’un registre sur lequel seront inscrites toutes les demandes qui satisfont à des conditions formelles et ont obtenu une date de dépôt de demande d’enregistrement. En principe, le système d’enregistrement ne devrait pas être basé sur un examen visant à déterminer préalablement à l’enregistrement si le dessin ou modèle remplit les conditions d’obtention de la protection, ce qui permettrait de réduire au minimum les modalités de l’enregistrement et autres démarches à accomplir par le demandeur.»

5        Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement, un dessin ou modèle communautaire est protégé «en qualité de ‘dessin ou modèle communautaire enregistré’, s’il est enregistré selon les modalités prévues par le présent règlement».

6        L’article 1er, paragraphe 3, du règlement dispose:

«Le dessin ou modèle communautaire a un caractère unitaire. Il produit les mêmes effets dans l’ensemble de la Communauté. Il ne peut être enregistré, transféré, faire l’objet d’une renonciation ou d’une décision de nullité et son usage ne peut être interdit que pour l’ensemble de la Communauté. Ce principe s’applique sauf disposition contraire du présent règlement.»

7        Aux termes de l’article 3, sous a), du règlement:

«[...] on entend par:

a)      ‘dessin ou modèle’: l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation».

8        L’article 4, paragraphe 1, du règlement prévoit:

«La protection d’un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel.»

9        Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement, un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public «avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité».

10      L’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement prévoit qu’un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public «avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité».

11      L’article 10 du règlement, intitulé «Étendue de la protection», dispose à son paragraphe 1:

«La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente.»

12      L’article 19 du règlement, intitulé «Droits conférés par le dessin ou modèle communautaire», prévoit:

«1.      Le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser et d’interdire à tout tiers de l’utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins.

2.      Le dessin ou modèle communautaire non enregistré ne confère cependant à son titulaire le droit d’interdire les actes visés au paragraphe 1 que si l’utilisation contestée résulte d’une copie du dessin ou modèle protégé.

L’utilisation contestée n’est pas considérée comme résultant d’une copie du dessin ou modèle protégé si elle résulte d’un travail de création indépendant réalisé par un créateur dont on peut raisonnablement penser qu’il ne connaissait pas le dessin ou modèle divulgué par le titulaire.

[...]»

13      La section 5 du titre II du règlement, intitulée «Nullité», réunit les articles 24 à 26 de celui-ci.

14      Aux termes de l’article 24, paragraphe 1, du règlement:

«Un dessin ou modèle communautaire enregistré est déclaré nul sur demande introduite auprès de l’Office [de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI)], conformément à la procédure prévue aux titres VI et VII, ou par un tribunal des dessins ou modèles communautaires à la suite d’une demande reconventionnelle dans le cadre d’une action en contrefaçon.»

15      L’article 25 du règlement, intitulé «Motifs de nullité», dispose à son paragraphe 1, sous d), qu’un dessin ou modèle communautaire ne peut être déclaré nul que, notamment, «si le dessin ou modèle communautaire est en conflit avec un dessin ou modèle antérieur».

16      Le titre V du règlement, intitulé «Procédure d’enregistrement», est constitué des articles 45 à 50 de celui-ci.

17      L’article 45 du règlement, intitulé «Examen de la conformité de la demande aux conditions de forme relatives au dépôt», énonce à son paragraphe 2:

«L’[OHMI] examine si:

a)      la demande satisfait aux autres conditions prévues à l’article 36, paragraphes 2, 3, 4 et 5, et, en cas de demande multiple, à l’article 37, paragraphes 1 et 2;

b)      la demande satisfait aux conditions de forme établies par le règlement d’exécution pour l’application des articles 36 et 37;

c)      les conditions visées à l’article 77, paragraphe 2, sont remplies;

d)      au cas où une priorité est revendiquée, il est satisfait aux exigences relatives à cette revendication.»

18      L’article 47 du règlement, intitulé «Motifs de rejet des demandes d’enregistrement», dispose à son paragraphe 1:

«Si l’[OHMI] constate, dans le cadre de l’examen prévu à l’article 45, que le dessin ou modèle qui fait l’objet d’une demande de protection:

a)      ne répond pas à la définition visée à l’article 3, point a), ou

b)      est contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs,

l’[OHMI] rejette la demande.»

19      Aux termes de l’article 48 du règlement, «[s]i la demande satisfait aux conditions que doit remplir une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire et dans la mesure où cette demande n’a pas été rejetée en vertu de l’article 47, l’[OHMI] inscrit la demande au registre des dessins ou modèles communautaires en qualité de dessin ou modèle communautaire enregistré».

20      Le titre VI du règlement, intitulé «Renonciation et nullité du dessin ou modèle communautaire enregistré», est constitué des articles 51 à 54 de celui-ci.

21      L’article 52 du règlement, intitulé «Demande en nullité», prévoit à son paragraphe 1 que «toute personne physique ou morale, ainsi qu’une autorité publique habilitée à cet effet, peut présenter à l’[OHMI] une demande en nullité d’un dessin ou modèle communautaire enregistré».

22      Le titre IX du règlement, intitulé «Compétence et procédure pour les actions en justice relatives aux dessins et modèles communautaires», comporte notamment une section 2, intitulée «Litiges en matière de contrefaçon et de nullité des dessins ou modèles communautaires», comprenant les articles 80 à 92 du règlement.

23      Aux termes de l’article 81 du règlement:

«Les tribunaux des dessins ou modèles communautaires ont compétence exclusive:

a)      pour les actions en contrefaçon et — si la législation nationale les admet — en menace de contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire;

b)      pour les actions en constatation de non-contrefaçon, si la législation nationale les admet;

c)      pour les actions en nullité d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré;

d)      pour les demandes reconventionnelles en nullité d’un dessin ou modèle communautaire présentées dans le cadre des actions visées au point a).»

24      L’article 85 du règlement, intitulé «Présomption de validité — Défense au fond», dispose en son paragraphe 1:

«Dans les procédures résultant d’actions en contrefaçon ou en menace de contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, les tribunaux des dessins ou modèles communautaires considèrent le dessin ou modèle communautaire comme valide. La validité ne peut être contestée que par une demande reconventionnelle en nullité. Toutefois, l’exception de nullité du dessin ou modèle communautaire présentée par une voie autre qu’une demande reconventionnelle est recevable dans la mesure où le défendeur fait valoir que le dessin ou modèle communautaire pourrait être déclaré nul en raison de l’existence d’un droit national antérieur du défendeur au sens de l’article 25, paragraphe 1, point d).»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

25      Cegasa est titulaire du dessin ou modèle communautaire enregistré no 000421649-0001, composé d’une borne de balisage destinée au signalement routier. Ce dessin ou modèle a été déposé devant l’OHMI le 26 octobre 2005 et publié au registre des dessins ou modèles communautaires le 13 décembre 2005.

26      À la fin de l’année 2007, PROIN a commercialisé la borne de balisage H‑75. Considérant que cette borne ne produisait pas une impression globale différente de celle du dessin ou modèle communautaire enregistré no 000421649-0001, Cegasa a demandé extrajudiciairement à PROIN de cesser la contrefaçon au mois de janvier 2008. Cette dernière a nié la contrefaçon, mais s’est toutefois engagée à apporter des modifications à son dessin. Au mois de mars 2008, Cegasa a réitéré devant PROIN sa demande de cesser la contrefaçon.

27      Le 11 avril 2008, PROIN a déposé devant l’OHMI une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire composé d’une borne de balisage destinée au signalement routier. Ce dessin ou modèle a été publié au registre des dessins ou modèles communautaires le 7 mai 2008 sous le numéro 000915426-001.

28      La juridiction de renvoi considère que la borne cylindrique commercialisée par PROIN est une reproduction du dessin ou modèle communautaire enregistré no 000421649-0001 de Cegasa, dans la mesure où cette borne ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression globale différente de celle produite par ce dessin ou modèle. Elle précise que, toutefois, aucune demande en nullité du dessin ou modèle communautaire enregistré no 000915426-001 n’a été présentée par Cegasa.

29      Cegasa a, en revanche, introduit devant le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Alicante y no 1 de Marca Comunitaria une action en contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, en faisant valoir que l’offre, la promotion, la publicité, le stockage, la commercialisation et la distribution du signal routier H‑75 par PROIN constituent une violation des droits que lui reconnaît le règlement en tant que titulaire du dessin ou modèle communautaire enregistré no 000421649-0001.

30      PROIN s’est opposée à ladite action en contrefaçon. Elle a fait valoir, notamment, que Cegasa n’a pas la qualité pour agir en contrefaçon de son dessin ou modèle communautaire enregistré, dans la mesure où la borne de balisage commercialisée par PROIN est une reproduction d’un dessin ou modèle communautaire également enregistré. Elle a soutenu ainsi que, tant que ledit enregistrement n’a pas été annulé, son titulaire bénéficie d’un droit d’utilisation en vertu du règlement de sorte que l’exercice dudit droit ne peut pas être considéré comme une contrefaçon.

31      Dans ces conditions, le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Alicante y no 1 de Marca Comunitaria a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Dans un litige portant sur la violation du droit exclusif conféré par un dessin ou modèle communautaire enregistré, le droit d’interdire à des tiers d’utiliser ledit dessin ou modèle, qui est institué à l’article 19, paragraphe 1, du règlement [...], s’étend-il à tout tiers qui utilise un autre dessin ou modèle ne produisant pas sur l’utilisateur averti une impression globale différente ou exclut-il au contraire le tiers qui utilise un dessin ou modèle communautaire postérieur enregistré en sa faveur tant que celui-ci n’est pas annulé?

2)      La réponse à la question précédente est-elle indépendante de l’intention du tiers ou bien varie-t-elle suivant le comportement de celui-ci, le critère déterminant étant que ce tiers ait déposé et enregistré le dessin ou modèle communautaire après avoir reçu la lettre de mise en demeure envoyée par le titulaire du dessin ou modèle communautaire antérieur pour lui faire cesser la commercialisation d’un produit pour violation des droits découlant de ce dessin ou modèle antérieur?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

32      À titre liminaire, il convient de relever que le règlement ne contient pas de règle se référant expressément à la possibilité, pour le titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré antérieur, d’introduire une action en contrefaçon contre le titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur.

33      Force est toutefois de constater que le libellé de l’article 19, paragraphe 1, du règlement ne différencie pas en fonction du fait que le tiers soit titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré ou ne le soit pas.

34      Ainsi, aux termes de ladite disposition, le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser et d’interdire à «tout tiers» de l’utiliser sans son consentement.

35      De même, l’article 10, paragraphe 1, du règlement énonce que la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend à «tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente».

36      Il ressort de ces dispositions que le règlement n’exclut pas l’introduction d’une action en contrefaçon, par le titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, visant à faire interdire l’utilisation d’un dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente.

37      Certes, ainsi que le gouvernement polonais l’a relevé dans ses observations présentées à la Cour, le titulaire du dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur jouit lui aussi, en principe, d’un droit exclusif d’utiliser son dessin ou modèle.

38      Toutefois, cette circonstance n’est pas de nature à remettre en cause l’interprétation de la notion de «tout tiers», au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement, comme comprenant le tiers titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur.

39      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Commission européenne l’a fait valoir dans ses observations, les dispositions du règlement doivent être interprétées à la lumière du principe de priorité, en vertu duquel le dessin ou modèle communautaire enregistré antérieur a la primauté sur les dessins ou modèles communautaires enregistrés postérieurs.

40      Il découle notamment de l’article 4, paragraphe 1, du règlement que la protection d’un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel. Or, en cas de conflit entre deux dessins ou modèles communautaires enregistrés, celui enregistré en premier lieu est présumé réunir ces conditions pour obtenir la protection communautaire avant celui enregistré en deuxième lieu. Ainsi, le titulaire du dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur ne pourra se voir octroyer la protection que le règlement lui confère que s’il démontre l’absence de l’une desdites conditions dans le chef du dessin ou modèle communautaire enregistré antérieur au moyen d’une action en nullité, le cas échéant reconventionnelle.

41      Dans ce contexte, et ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 32 et 33 de ses conclusions, il importe de tenir compte des traits essentiels de la procédure d’enregistrement des dessins et modèles communautaires instaurée par le règlement.

42      En effet, en vertu de cette procédure, régie par les articles 45 à 48 du règlement, l’OHMI examine la conformité d’une demande aux conditions de forme relatives au dépôt, telles que prévues par le règlement. Si la demande satisfait auxdites conditions, répond à la définition de dessin ou modèle visée à l’article 3, sous a), du règlement et n’est pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, l’OHMI inscrit la demande au registre des dessins ou modèles communautaires en qualité de dessin ou modèle communautaire enregistré.

43      Il s’agit, partant, d’un contrôle expéditif de nature essentiellement formelle, qui, comme il est indiqué au dix-huitième considérant du règlement, ne requiert pas d’examen au fond visant à déterminer préalablement à l’enregistrement si le dessin ou modèle remplit les conditions d’obtention de la protection et qui, par ailleurs, à la différence de la procédure d’enregistrement selon le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1), ne prévoit pas de phase permettant au titulaire d’un dessin ou modèle enregistré antérieur de s’opposer à l’enregistrement.

44      Dans ces conditions, seule une interprétation de la notion de «tout tiers», au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement, comme comprenant le tiers titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur est susceptible de garantir l’objectif de protection efficace des dessins et modèles communautaires enregistrés poursuivi par le règlement, ainsi que l’effet utile des actions en contrefaçon.

45      Cette conclusion n’est, au demeurant, aucunement infirmée par le fait que le règlement n’octroie pas aux tribunaux des dessins et modèles communautaires la compétence pour connaître des demandes en nullité des dessins ou modèles communautaires enregistrés et dispose, à son article 85, que ces tribunaux doivent, dans les procédures résultant d’actions en contrefaçon ou en menace de contrefaçon, considérer le dessin ou modèle communautaire enregistré comme valide.

46      À cet égard, il convient de souligner que le règlement distingue clairement, parmi les actions relatives aux dessins et modèles communautaires enregistrés, entre celles en matière de contrefaçon et celles en matière de nullité.

47      S’agissant, d’une part, des actions en matière de contrefaçon, l’article 81 du règlement confère aux tribunaux des dessins ou modèles communautaires la compétence exclusive pour connaître de ces litiges. Dans le cadre de ces actions, lesdits tribunaux examinent uniquement si le droit exclusif d’utilisation que le règlement octroie au titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré a été enfreint.

48      En ce qui concerne, d’autre part, les demandes en nullité des dessins ou modèles communautaires enregistrés, le règlement a opté pour la centralisation de leur traitement auprès de l’OHMI, ce principe étant néanmoins tempéré par la possibilité, pour les tribunaux des dessins ou modèles communautaires, de connaître des demandes reconventionnelles en nullité d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, présentées dans le cadre d’une action en contrefaçon ou en menace de contrefaçon.

49      À cet égard, l’argumentation selon laquelle une interprétation de la notion de «tout tiers», au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement, comme comprenant le tiers titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur reviendrait à altérer la répartition des compétences entre lesdits tribunaux et l’OHMI, vidant en outre de sens la compétence de ce dernier en matière de nullité, ne saurait être retenue.

50      En effet, il découle des caractéristiques exposées ci-dessus que les actions en matière de contrefaçon et les demandes en nullité se distinguent par leur objet et par leurs effets, de sorte que la possibilité pour le titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré antérieur d’introduire une action en contrefaçon contre le titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur n’est pas de nature à vider de sens l’introduction d’une demande en nullité auprès de l’OHMI contre ce dernier.

51      Par conséquent, il convient de constater que, dans la mesure où le dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur, dont l’usage a été interdit, reste valide tant que sa nullité n’a pas été déclarée par l’OHMI ou par un tribunal des dessins ou modèles communautaires dans le cadre d’une demande reconventionnelle en nullité, le système de recours établi par le règlement n’est pas altéré par la conclusion énoncée au point 44 du présent arrêt.

52      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 19, paragraphe 1, du règlement doit être interprété en ce sens que, dans un litige portant sur la violation du droit exclusif conféré par un dessin ou modèle communautaire enregistré, le droit d’interdire à des tiers d’utiliser ledit dessin ou modèle s’étend à tout tiers qui utilise un dessin ou modèle ne produisant pas sur l’utilisateur averti une impression globale différente, y compris le tiers titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur.

 Sur la seconde question

53      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la réponse à la première question varie en fonction de l’intention et du comportement du tiers titulaire du dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur.

54      La juridiction de renvoi fait notamment référence à la situation au principal, dans laquelle PROIN a seulement enregistré son dessin ou modèle communautaire après avoir été mise en demeure par Cegasa.

55      À cet égard, il y a lieu de constater, en premier lieu, que, ainsi que tous les intéressés ayant présenté des observations à la Cour l’ont relevé, la portée des droits conférés par le règlement doit être déterminée de manière objective et ne saurait varier en fonction des circonstances relatives au comportement de la personne qui demande l’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire.

56      En second lieu, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé en substance au point 49 de ses conclusions, il ressort de l’article 19, paragraphe 2, second alinéa, du règlement que le législateur de l’Union a bien tenu compte de la bonne foi afin de protéger le créateur qui ne connaissait pas le dessin ou modèle non enregistré divulgué par le titulaire.

57      En revanche, force est de constater que le législateur n’a pas inclus des considérations tenant aux intentions du tiers dans le paragraphe 1 dudit article.

58      Dès lors, il convient de répondre à la seconde question que la réponse à la première question est indépendante de l’intention et du comportement du tiers.

 Sur les dépens

59      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      L’article 19, paragraphe 1, du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires, doit être interprété en ce sens que, dans un litige portant sur la violation du droit exclusif conféré par un dessin ou modèle communautaire enregistré, le droit d’interdire à des tiers d’utiliser ledit dessin ou modèle s’étend à tout tiers qui utilise un dessin ou modèle ne produisant pas sur l’utilisateur averti une impression globale différente, y compris le tiers titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur.

2)      La réponse à la première question est indépendante de l’intention et du comportement du tiers.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.