Language of document : ECLI:EU:T:2012:450

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

20 septembre 2012 (*)

« Concurrence – Abus de position dominante – Marchés grecs de la fourniture de lignite et de gros de l’électricité – Décision instituant des mesures spécifiques pour remédier aux effets anticoncurrentiels d’une infraction à l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE, constatée dans une décision antérieure – Article 86, paragraphe 3, CE – Annulation de la décision antérieure »

Dans l’affaire T‑421/09,

Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI), établie à Athènes (Grèce), représentée par MP. Anestis, avocat,

partie requérante,

soutenue par

République hellénique, représentée par MM. P. Mylonopoulos et K. Boskovits, en qualité d’agents, assistés de Me M. Marinos, avocat,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par M. T. Christoforou et Mme A. Antoniadis, en qualité d’agents, assistés de MA. Oikonomou, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2009) 6244 final de la Commission, du 4 août 2009, instituant des mesures spécifiques pour remédier aux effets anticoncurrentiels de l’infraction recensés dans la décision de la Commission du 5 mars 2008 concernant l’octroi ou le maintien par la République hellénique de droits en faveur de la DEI pour l’extraction de lignite,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. H. Kanninen (rapporteur), président, N. Wahl et S. Soldevila Fragoso, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite des audiences du 13 juillet 2011 et du 2 février 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 DEI

1        La requérante, la Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI), a été créée par la loi grecque n° 1468 des 2/7 août 1950 (FEK A’ 169) sous la forme d’une entreprise publique appartenant à la République hellénique et bénéficiait du droit exclusif de produire, de transporter et de fournir de l’électricité dans toute la Grèce.

2        La DEI a été transformée en société anonyme le 1er janvier 2001, conformément, d’une part, à la loi grecque n° 2773/1999, relative à la libéralisation du marché de l’électricité (FEK A’ 286), qui a notamment transposé la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 décembre 1996, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO 1997, L 27, p. 20), et, d’autre part, au décret présidentiel grec n° 333/2000 (FEK A’ 278).

3        La DEI appartient toujours majoritairement à la République hellénique, qui détient 51,12 % de ses actions. Depuis le 12 décembre 2001, les actions de la DEI sont cotées à la Bourse d’Athènes (Grèce) ainsi qu’à la Bourse de Londres (Royaume-Uni).

 Dispositions nationales pertinentes

4        Les premiers droits d’exploration et d’exploitation du lignite sur des gisements publics en Grèce ont été octroyés sur la base du décret législatif grec n° 4029/1959 (FEK A’ 250), puis sur la base de l’article 3, paragraphe 3, de la loi grecque n° 134/1975 (FEK A’ 180), laquelle prévoyait la possibilité d’accorder directement de tels droits à la DEI.

5        Un code minier a été introduit en Grèce par le décret législatif grec n° 210/1973 (FEK A’ 277), puis modifié par la loi grecque n° 274/1976 (FEK A’ 50). S’agissant des gisements publics, l’article 144 de cette loi dispose que les droits d’exploration et d’exploitation peuvent être octroyés par la République hellénique soit à l’issue d’une procédure d’appel d’offres, soit sans appel d’offres, mais par un contrat confirmé par une loi spéciale du Parlement grec, soit par contrat de gré à gré dans les cas urgents et pour des raisons relevant de l’intérêt public.

6        La loi n° 2773/1999 a institué un régime libéralisé du marché de l’électricité.

7        La loi grecque n° 3175/2003 (FEK A’ 207) a prévu la création d’un marché de gros de l’électricité, dont un marché journalier obligatoire.

8        Les dispositions qui prévoyaient la possibilité de concéder directement des droits à la DEI, à savoir l’article 3, paragraphe 3, de la loi n° 134/1975, ont été abrogées par l’article 36, paragraphe 3, de la loi grecque n° 3734/2009 (FEK A’ 8).

 Marché du lignite en Grèce

9        Le lignite est un minerai de charbon. Ce combustible solide est essentiellement utilisé à des fins de production d’électricité.

10      Le total des réserves des gisements de lignite exploitables en Grèce est estimé à environ 3 255 millions de tonnes.

11      Les droits d’exploration et d’exploitation du lignite ont été octroyés à la DEI pour des mines dont les réserves exploitables s’élevaient, au mois de mars 2008, à environ 2 000 millions de tonnes.

12      Les réserves exploitables de lignite en Grèce, pour lesquelles des droits d’exploitation pourraient potentiellement être octroyés, atteignent environ 1 255 millions de tonnes. Il s’agit en substance des gisements de Dráma, d’Elassona, d’Amyntaio-Vegora, d’Achlada et de Vevi. L’attribution du gisement de Vevi, qui représente 94 millions de tonnes, est actuellement en cours.

 Procédure administrative

13      Le 5 mars 2008, la Commission des Communautés européennes a adopté la décision concernant l’octroi ou le maintien par la République hellénique de droits en faveur de la DEI pour l’extraction de lignite (ci-après la « décision du 5 mars 2008 »). Dans l’article 1er de cette décision, la Commission constate que l’article 22, paragraphe 1, du décret législatif n° 4029/1959, l’article 3, paragraphe 1, de la loi n° 134/1975 et les décisions ministérielles prises en application de ladite loi pour octroyer des droits d’exploration et d’exploitation du lignite à la DEI sont contraires à l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE, dans la mesure où ils accordent et maintiennent des droits privilégiés en faveur de la DEI pour l’exploitation de lignite en Grèce, créant ainsi une situation d’inégalité de chances entre les opérateurs économiques en ce qui concerne l’accès aux combustibles primaires aux fins de la production d’électricité et permettant à la DEI de maintenir ou de renforcer sa position dominante sur le marché de gros de l’électricité de la Grèce en excluant toute nouvelle entrée sur le marché ou en y faisant obstacle.

14      Il y a lieu d’indiquer que l’article 1er de la décision du 5 mars 2008 contient une erreur matérielle, en ce qu’il fait référence à l’article 3, paragraphe 1, de la loi n° 134/1975. En effet, il ressort du dossier que la disposition visée par cette décision est le paragraphe 3 dudit article.

15      Dans l’article 2 de la décision du 5 mars 2008, la Commission demande à la République hellénique de l’informer, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ladite décision, des mesures qu’elle a l’intention de prendre pour corriger les effets anticoncurrentiels des mesures étatiques visées à l’article 1er. La Commission indique que ces mesures seront adoptées et mises en œuvre dans les huit mois à compter de cette décision.

16      La décision du 5 mars 2008 a été contestée par la requérante, soutenue par la République hellénique, dans l’affaire DEI/Commission (T‑169/08) ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal prononcé ce jour.

17      La notification de la décision du 5 mars 2008 a été suivie d’un échange de lettres entre la République hellénique et la Commission. Ces lettres datent des 20 mai, 13 juin, 8 août, 13 octobre et 12 décembre 2008 et du 18 mars 2009, en ce qui concerne celles transmises par la première, et des 29 mai, 16 juillet et 22 septembre 2008 et du 25 février 2009, en ce qui concerne celles de la seconde.

18      Le 4 août 2009, la Commission a adopté la décision C (2009) 6244 final, instituant des mesures spécifiques pour remédier aux effets anticoncurrentiels de l’infraction recensés dans la décision de la Commission du 5 mars 2008 concernant l’octroi ou le maintien par la République hellénique de droits en faveur de la DEI pour l’extraction de lignite (résumé au JO C 243, p. 5, ci-après la « décision attaquée »).

19      L’article 1er, premier alinéa, de cette décision est rédigé de la manière suivante :

« Afin de remédier aux effets anticoncurrentiels des mesures étatiques recensés dans la décision de la Commission du 5 mars 2008, la République hellénique prend toutes les mesures nécessaires pour :

a)      accorder les droits d’exploitation des gisements de Dráma, d’Elassona, de Vevi et de Vegora, par appels d’offres, à d’autres entités que [la] DEI, à moins qu’aucune autre offre sérieuse ne soit soumise ;

b)      interdire aux détenteurs de droits d’exploitation des gisements de Dráma, d’Elassona et de Vegora de vendre le lignite extrait à [la] DEI, à moins qu’aucune autre offre d’achat sérieuse ne soit soumise, et ce tant que [la] DEI détiendra les droits d’exploitation de plus de 60 % de l’ensemble des réserves de lignite concédées à des fins d’exploitation en Grèce ;

c)      lancer une nouvelle procédure d’attribution des droits d’exploitation du gisement de Vevi si la procédure actuellement en cours est annulée. Dans le cadre de cette procédure, il ne sera tenu compte d’aucune offre éventuelle de la part de [la] DEI, à moins qu’aucune autre offre sérieuse ne soit soumise, et le détenteur des droits ne sera pas autorisé à vendre le lignite extrait à [la] DEI, à moins qu’aucune autre offre d’achat sérieuse ne soit soumise, et ce tant que [la] DEI détiendra les droits d’exploitation de plus de 60 % de l’ensemble des réserves de lignite concédées à des fins d’exploitation en Grèce. »

20      L’article 1er, second alinéa, de la décision attaquée indique que, si la République hellénique estime qu’aucune offre sérieuse n’a été soumise et envisage d’accorder les droits d’exploitation à la DEI, elle soumet cette proposition à l’approbation de la Commission.

21      L’article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée prévoit que les procédures d’adjudication donnant effet aux mesures mentionnées à l’article 1er, premier alinéa, sous a), sont lancées et exécutées dans les plus brefs délais, et au plus tard dans les six mois à compter de la notification de la décision attaquée, et que les droits d’exploitation sont alloués de façon effective aux adjudicataires au plus tard dans les douze mois suivant cette notification.

22      L’article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée énonce que les délais de six et douze mois, respectivement, s’appliquent également au gisement de Vevi en cas de nouvelle procédure d’attribution des droits le concernant et commencent à courir à compter de la date d’annulation définitive de la procédure en cours à la date d’adoption de la décision du 5 mars 2008.

23      Quant à l’article 2, paragraphe 3, de la décision attaquée, il dispose que la République hellénique adresse un rapport trimestriel à la Commission sur les actions qu’elle a entreprises pour mettre en œuvre les mesures mentionnées à l’article 1er et que l’obligation de faire rapport reste en vigueur jusqu’à ce que les mesures mentionnées à l’article 1er soient entièrement mises en œuvre.

24      Enfin, aux termes de l’article 2, paragraphe 4, de la décision attaquée, si la République hellénique se trouve dans l’incapacité de respecter les délais indiqués aux paragraphes 1 et 2 dudit article, en raison notamment de circonstances imprévues échappant à son contrôle, elle soumet sans tarder à la Commission une demande motivée de prolongation des délais respectifs. Par ailleurs, au vu des circonstances donnant lieu à cette demande, la Commission peut décider d’accorder un délai supplémentaire raisonnable.

 Procédure et conclusions des parties

25      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 octobre 2009, la requérante a introduit le présent recours.

26      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 25 février 2010, la République hellénique a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la requérante.

27      Par ordonnance du président de la septième chambre du Tribunal du 16 avril 2010, la République hellénique a été admise à intervenir dans le présent litige au soutien des conclusions de la requérante.

28      La requérante, soutenue par la République hellénique, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

29      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

30      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté, en qualité de président, à la sixième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

31      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

32      Par lettre du 30 mai 2011, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure décidée conformément à l’article 64 de son règlement de procédure, le Tribunal a invité la Commission à produire la lettre du 20 mai 2009 de la société Heron, à laquelle elle se réfère dans ses écrits. La Commission a déféré à cette mesure dans le délai imparti.

33      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 13 juillet 2011.

34      Le juge rapporteur ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal s’est désigné en tant que juge rapporteur pour compléter la sixième chambre, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure.

35      Par ordonnance du 18 novembre 2011, le Tribunal (sixième chambre), dans sa nouvelle composition, a rouvert la procédure orale et les parties ont été informées qu’elles seraient entendues lors d’une nouvelle audience.

36      Par la suite, le président du Tribunal a réattribué l’affaire au président de la sixième chambre et l’a désigné comme juge rapporteur.

37      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors d’une nouvelle audience le 2 février 2012. Notamment, lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, le représentant de la requérante a soutenu que, dans l’hypothèse où la décision du 5 mars 2008 serait annulée, le présent recours deviendrait sans objet, étant donné que la décision attaquée a été prise en exécution de celle du 5 mars 2008. Le représentant de la Commission a estimé, quant à lui, que, dans cette hypothèse, le Tribunal pourrait décider, dans la mesure où il le jugerait nécessaire, de suspendre la présente affaire, dans l’attente de la décision de la Cour sur un éventuel pourvoi introduit contre la décision du Tribunal dans l’affaire DEI/Commission (T‑169/08), susmentionnée.

 En droit

38      Par le présent recours, la requérante demande l’annulation de la décision attaquée, par laquelle, conformément à l’article 86, paragraphe 3, CE, la Commission a institué des mesures spécifiques pour remédier aux effets anticoncurrentiels de l’infraction recensés dans la décision du 5 mars 2008.

39      Force est donc de relever que la décision attaquée a été prise sur le fondement de la décision du 5 mars 2008, en vertu de laquelle la Commission a constaté que la législation hellénique ainsi que les décisions ministérielles prises en application de celle-ci étaient contraires à l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE.

40      Or, par son arrêt prononcé ce jour dans l’affaire DEI/Commission (T‑169/08), susmentionnée, la sixième chambre du Tribunal a annulé la décision du 5 mars 2008.

41      À la suite de l’annulation de la décision du 5 mars 2008, il convient, par voie de conséquence, d’annuler la décision attaquée.

 Sur les dépens

42      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante.

43      Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Par conséquent, la République hellénique supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C (2009) 6244 final de la Commission, du 4 août 2009, instituant des mesures spécifiques pour remédier aux effets anticoncurrentiels de l’infraction recensés dans la décision de la Commission du 5 mars 2008 concernant l’octroi ou le maintien par la République hellénique de droits en faveur de la Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI) pour l’extraction de lignite, est annulée.

2)      La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la DEI.

3)      La République hellénique supportera ses propres dépens.

Kanninen

Wahl

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 septembre 2012.

Signatures


* Langue de procédure : le grec.