Language of document : ECLI:EU:C:2013:264

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

25 avril 2013 (*)

«Manquement d’État – Liberté d’établissement – Article 49 TFUE – Restrictions – Législation fiscale – Imposition immédiate des plus-values latentes – Transfert de la résidence d’une société, cessation des activités d’un établissement stable ou transfert des actifs de cet établissement»

Dans l’affaire C‑64/11,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 11 février 2011,

Commission européenne, représentée par MM. J. Baquero Cruz et R. Lyal, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne, représenté par MM. A. Rubio González et M. Muñoz Pérez, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par:

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,

République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme N. Rouam, en qualité d’agents,

République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. Bulterman, C. Wissels ainsi que par M. J. Langer, en qualité d’agents,

République portugaise, représentée par M. L. Inez Fernandes, en qualité d’agent,

République de Finlande, représentée par Mme M. Pere, en qualité d’agent,

Royaume de Suède, représenté par Mme A. Falk, en qualité d’agent,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M. L. Seeboruth, en qualité d’agent,

parties intervenantes

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. G. Arestis, J.‑C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev et J. L. da Cruz Vilaça, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 février 2013,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant l’article 17, paragraphe 1 de la version codifiée de la loi relative à l’impôt sur les sociétés approuvée par le décret royal législatif 4/2004 du 5 mars 2004 (Real Decreto Legislativo 4/2004 por el que se aprueba el Texto Refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades) (BOE n° 61, du 11 mars 2004, p. 10951, ci-après la «LIS»), en vertu duquel en cas

–        de transfert de la résidence d’une société établie en Espagne vers un autre État membre,

–        de cessation des activités d’un établissement stable en Espagne,

–        de transfert vers un autre État membre des actifs de cet établissement situés en Espagne,

les plus-values non réalisées sont intégrées dans l’assiette imposable de l’exercice fiscal, tandis que ces plus-values n’ont aucune conséquence fiscale immédiate si ces opérations ont lieu sur le territoire espagnol, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 TFUE et de l’article 31 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci‑après l’«accord EEE»).

 Le cadre juridique

2        L’article 17, paragraphe 1, de la LIS est libellé comme suit:

«Est comprise dans l’assiette imposable la différence entre la valeur normale du marché et la valeur comptable des éléments patrimoniaux suivants:

a)      les éléments patrimoniaux qui sont la propriété d’une entité résidant sur le territoire espagnol transférant sa résidence en dehors de ce dernier, à l’exception de ceux qui sont affectés à un établissement stable de ladite entité situé sur le territoire espagnol. Ces éléments patrimoniaux relèvent des dispositions de l’article 85;

b)      les éléments patrimoniaux affectés à un établissement stable situé sur le territoire espagnol qui cesse ses activités;

c)      les éléments patrimoniaux initialement affectés à un établissement stable situé sur le territoire espagnol qui sont transférés à l’étranger.»

 La procédure précontentieuse

3        La Commission a adressé au Royaume d’Espagne, le 29 février 2008, une lettre de mise en demeure dans laquelle elle soutenait que l’article 17, paragraphe 1, de la LIS était susceptible d’être incompatible avec la liberté d’établissement. La Commission considérait, en effet, que cette incompatibilité découlait de l’enseignement de l’arrêt du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C‑9/02, Rec. p. I‑2409).

4        Par lettre du 30 avril 2008, le Royaume d’Espagne a contesté l’argumentation que comportait cette mise en demeure.

5        Le 27 novembre 2008, la Commission a adressé au Royaume d’Espagne un avis motivé et l’invitait à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer.

6        Par lettre du 25 février 2009, le Royaume d’Espagne a répondu à l’avis motivé.

7        Compte tenu de certains développements intervenus après l’avis motivé, la Commission a transmis au Royaume d’Espagne, le 18 mars 2010, un avis complémentaire.

8        N’étant pas satisfaite par les explications fournies par le Royaume d’Espagne dans sa réponse du 27 mai 2010 à l’avis complémentaire, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 La procédure devant la Cour

9        Par ordonnance du président de la Cour du 5 juillet 2011, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays‑Bas, la République portugaise, la République de Finlande, le Royaume de Suède ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Royaume d’Espagne.

10      Tous ces États membres ont présenté des observations écrites, à l’exception du Royaume de Danemark, qui a retiré sa demande d’intervention le 4 octobre 2011.

 Sur le recours

11      À l’appui de son recours fondé sur les deux griefs tirés de la violation de l’article 49 TFUE et de l’article 31 de l’accord EEE, la Commission soutient que l’article 17, paragraphe 1, de la LIS constitue une mesure discriminatoire et, en tout état de cause, un obstacle à la liberté d’établissement.

 Sur la recevabilité

12      En premier lieu, le Royaume d’Espagne soutient que, n’ayant pas été invoqué dans la lettre de mise en demeure, le grief tiré d’une violation de l’article 31 de l’accord EEE est irrecevable.

13      Dans le cadre d’un recours en manquement, la procédure précontentieuse a pour but de donner à l’État membre concerné l’occasion, d’une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit de l’Union et, d’autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission. La régularité de cette procédure constitue une garantie essentielle voulue par le traité non seulement pour la protection des droits de l’État membre en cause, mais également pour assurer que la procédure contentieuse éventuelle aura pour objet un litige clairement défini (voir, notamment, arrêt du 6 septembre 2012, Commission/Belgique, C‑150/11, non encore publié au Recueil, points 24 et 25 ainsi que jurisprudence citée).

14      À cet égard, il convient également de rappeler que la lettre de mise en demeure adressée par la Commission à l’État membre concerné ainsi que l’avis motivé émis par ladite institution délimitent l’objet du litige, lequel ne peut plus, dès lors, être étendu. L’avis motivé et le recours de la Commission doivent, par conséquent, reposer sur les mêmes griefs que ceux soulevés dans la lettre de mise en demeure qui engage la procédure précontentieuse. Si tel n’est pas le cas, une pareille irrégularité ne peut pas être considérée comme effacée par le fait que l’État membre défendeur a formulé des observations sur l’avis motivé (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012 Commission/Portugal, C‑38/10, non encore publié au Recueil, points 15 et 16 ainsi que jurisprudence citée).

15      En l’espèce, il est constant, ainsi que la Commission l’a, au demeurant, admis lors de l’audience, que la lettre de mise en demeure adressée au Royaume d’Espagne, le 29 février 2008, ne contenait aucune référence à une prétendue violation de l’article 31 de l’accord EEE.

16      Par conséquent, le recours doit être déclaré irrecevable en ce qu’il a trait à la violation de ladite disposition.

17      En second lieu, le gouvernement espagnol fait valoir dans ses écritures que certains éléments de l’argumentation de la Commission invoqués devant la Cour à l’appui du grief tiré de la violation de l’article 49 TFUE ne l’avaient pas été dans la procédure précontentieuse et que, en conséquence, il n’a pas été en mesure de connaître la portée exacte du manquement allégué, ni, dès lors, de faire valoir utilement ses moyens de défense.

18      Toutefois, il est constant que les moyens soulevés par la Commission pour faire valoir que l’article 17, paragraphe 1, de la LIS constitue une mesure discriminatoire et, en tout état de cause, un obstacle à la liberté d’établissement, contrevenant ainsi aux obligations de l’article 49 TFUE, sont identiques à ceux qui ont été soulevés au cours de la procédure précontentieuse. La circonstance que, devant la Cour, la Commission ait entendu étayer ces moyens en invoquant des arguments qu’elle n’avait pas fait valoir dans l’avis motivé ne saurait par elle‑même avoir pour effet de modifier l’objet exact du manquement allégué.

19      Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’exigence selon laquelle l’avis motivé et le recours de la Commission doivent être fondés sur les mêmes griefs ne saurait toutefois aller jusqu’à imposer, en toute hypothèse, une coïncidence parfaite entre l’énoncé de ces griefs dans le dispositif de l’avis motivé et les conclusions de la requête, dès lors que l’objet du litige, tel que défini dans l’avis motivé, n’a pas été étendu ou modifié (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2010, Commission/Portugal, C‑458/08, Rec. p. I‑11599, points 43 et 44 ainsi que jurisprudence citée).

20      En particulier, en évoquant, dans son recours, le régime fiscal propre à la Communauté autonome du Pays basque et à celle de Navarre, la Commission s’est bornée à soutenir son moyen tiré du caractère prétendument discriminatoire des dispositions de l’article 17, paragraphe 1, de la LIS, sans soulever pour autant un grief nouveau à l’encontre de ces dispositions.

21      En conséquence, le recours n’est irrecevable qu’en tant qu’il vise un manquement à l’article 31 de l’accord EEE.

 Sur le fond

22      En substance, la Commission, au soutien de son grief tiré du manquement du Royaume d’Espagne aux obligations de l’article 49 TFUE, reproche à cet État membre la différence de traitement fiscal des plus-values latentes instaurée par les dispositions litigieuses entre, d’une part, un transfert d’activités d’une société vers un autre État membre et, d’autre part, des transferts similaires à l’intérieur du territoire espagnol, y compris ceux qui sont réalisés vers les Communautés autonomes du Pays basque et de Navarre. L’exercice, par une société d’un État membre, de son droit de libre établissement et le transfert de ses activités du territoire espagnol vers un autre État membre ne sauraient, selon la Commission, avoir pour conséquence de l’exposer à un désavantage de trésorerie par rapport à celle qui n’exerce pas sa liberté d’établissement.

23      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 49 TFUE impose la suppression des restrictions à la liberté d’établissement. Selon l’article 54 TFUE, les sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union européenne sont assimilées, pour l’application des dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement, aux personnes physiques ressortissantes des États membres. Pour ces sociétés, cette liberté comprend le droit d’exercer leur activité dans d’autres États membres par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (voir arrêts du 23 octobre 2008, Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt, C‑157/07, Rec. p. I‑8061, point 28; du 25 février 2010, X Holding, C‑337/08, Rec. p. I‑1215, point 17, et du 6 septembre 2012, Commission/Portugal, précité, point 24).

24      La Cour, lors de l’examen d’une réglementation nationale et de situations de transferts comparables à celles de la présente affaire, a déjà jugé que la liberté d’établissement est applicable aux transferts d’activités d’une société du territoire d’un État membre vers un autre État membre, et cela indépendamment de la question de savoir si la société en question transfère son siège statutaire et sa direction effective hors du territoire du premier État ou si elle transfère des actifs d’un établissement stable situé sur le territoire de ce premier État vers un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Commission/Portugal, précité, point 23).

25      Même si, selon leur libellé, les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, elles s’opposent également à ce que l’État membre d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre de l’un de ses ressortissants ou d’une société constituée en conformité avec sa législation (arrêts du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C‑371/10, non encore publié au Recueil, point 35, et du 6 septembre 2012, Commission/Portugal, précité, point 25).

26      Il est, par ailleurs, de jurisprudence constante que doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (arrêts précités National Grid Indus, point 36, et du 6 septembre 2012, Commission/Portugal, point 26).

27      En l’occurrence, ainsi que le fait valoir, à juste titre, la Commission, l’article 17, paragraphe 1, sous a) et c), de la LIS comporte des restrictions à la liberté d’établissement étant donné que, en cas de transfert, par une société espagnole, de sa résidence vers un autre État membre, ainsi qu’en cas de transfert partiel ou total des actifs d’un établissement stable situé sur le territoire espagnol vers un autre État membre, une telle société est financièrement pénalisée par rapport à une société similaire qui procède à de tels transferts sur le territoire espagnol et dont les plus-values générées par de telles opérations ne sont intégrées dans l’assiette de l’impôt sur les sociétés qu’au moment où elles sont effectivement réalisées.

28      Cette différence de traitement est de nature à décourager une société de transférer ses activités du territoire espagnol vers un autre État membre (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2012, DI. VI. Finanziaria di Diego della Valle & C., C‑380/11, non encore publié au Recueil, point 36, et Commission/Portugal, précité, point 28).

29      La différence de traitement ainsi constatée ne s’explique pas par une différence de situation objective. En effet, à l’égard d’une réglementation d’un État membre visant à imposer les plus-values générées sur son territoire, la situation d’une société qui transfère son siège statutaire et sa direction effective vers un autre État membre, de même que celle d’une société qui transfère une partie ou la totalité des actifs d’un établissement stable espagnol vers un autre État membre, est, pour ce qui concerne l’imposition des plus-values qui ont été générées dans le premier État membre antérieurement auxdites opérations, analogue à celle d’une société limitant ces opérations au territoire national (voir, en ce sens, arrêts précités National Grid Indus, point 38; DI. VI. Finanziaria di Diego della Valle & C., point 37, et du 6 septembre 2012, Commission/Portugal, point 29).

30      Toutefois, dans la mesure où l’article 17, paragraphe 1, sous b), de la LIS prévoit une imposition des éléments patrimoniaux affectés à un établissement stable qui cesse ses activités, c’est-à-dire dans une situation qui est la conséquence non pas du transfert vers un autre État membre de la résidence d’une société résidant sur le territoire espagnol ou des actifs d’un établissement stable situé sur ce territoire, mais d’une cessation des activités d’un tel établissement, il convient de constater qu’une disparité de traitement entre une situation relevant de l’article 49 TFUE et une situation purement interne fait défaut. Dans cette mesure, une restriction à la liberté d’établissement n’est pas établie (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Commission/Portugal, précité, point 30).

31      En ce qui concerne l’existence d’une éventuelle justification de la restriction à la liberté d’établissement qui résulte des dispositions de l’article 17, paragraphe 1, sous a) et c), de la LIS, ainsi que le caractère proportionné de celles-ci, il convient de rappeler que la fixation du montant de l’imposition au moment du transfert du siège de direction effective d’une société respecte le principe de proportionnalité eu égard à l’objectif de la réglementation nationale en cause, qui est de soumettre à l’impôt dans l’État membre d’origine les plus-values nées dans le cadre de la compétence fiscale de cet État membre. Il est, en effet, proportionné que l’État membre d’origine, aux fins de sauvegarder l’exercice de sa compétence fiscale, détermine l’impôt dû sur les plus-values latentes nées sur son territoire au moment où son pouvoir d’imposition à l’égard de la société concernée cesse d’exister, en l’occurrence au moment du transfert du siège de direction effective de celle-ci dans un autre État membre (arrêt National Grid Indus, précité, point 52), ou au moment du transfert à l’étranger des éléments patrimoniaux initialement affectés à un établissement stable situé sur le territoire de l’État membre d’origine.

32      En revanche, la Cour a jugé que l’article 49 TFUE s’oppose à une réglementation d’un État membre qui impose le recouvrement immédiat de l’imposition sur les plus-values latentes, afférentes aux éléments de patrimoine d’une société transférant son siège de direction effective vers un autre État membre, au moment même de ce transfert (arrêt National Grid Indus, précité, point 86).

33      En l’occurrence, il convient de relever que la Commission ne conteste pas le droit des États membres d’imposer les plus-values nées sur leurs territoires respectifs et donc leur droit d’imposer la valeur économique générée par une plus-value latente sur leurs territoires respectifs même si la plus-value concernée n’y a pas encore été réalisée.

34      La Commission met, toutefois, en cause l’imposition immédiate à la sortie du territoire d’une telle plus-value latente en soutenant que l’objectif, poursuivi par l’État membre concerné, de sauvegarder l’exercice de sa compétence fiscale peut être préservé par des mesures moins préjudiciables à la liberté d’établissement puisqu’il est possible d’exiger le paiement de la dette fiscale postérieurement au transfert, au moment où cette plus-value aurait été imposée si la société n’avait pas procédé à ce transfert en dehors du territoire espagnol.

35      À cet égard, il doit être constaté que, si les dispositions de l’article 17, paragraphe 1, sous a) et c), de la LIS, en déterminant des règles d’assiette de l’impôt sur les sociétés, ne comportent pas, en tant que telles, de mesures relatives au recouvrement de la dette fiscale correspondante, il n’en demeure pas moins que ces dispositions ont pour effet de rendre exigible cette dette dans le cadre de l’exercice fiscal au cours duquel les faits visés par ces dispositions se sont produits, ce que ne conteste d’ailleurs pas le gouvernement espagnol.

36      Le gouvernement espagnol a toutefois soutenu, notamment lors de l’audience, que les dispositions de l’article 65 de la loi fiscale générale (Ley General Tributaria) permettent aux sociétés qui auraient à supporter une telle imposition d’obtenir des reports des délais de paiement dans des conditions analogues à celles applicables aux autres contribuables.

37      Il est cependant constant que l’octroi de ce report du délai de paiement, qui est soumis à diverses conditions et ne peut, notamment, être accordé que si la situation économique et financière de l’assujetti l’empêche temporairement de s’acquitter du paiement dans les délais impartis, est dénué de tout caractère automatique. Ce dispositif ne saurait, dès lors, être considéré comme offrant à l’assujetti concerné une alternative au paiement immédiat de l’imposition et ne peut, par suite, remédier au caractère attentatoire à la liberté d’établissement que constitue un tel paiement (en ce qui concerne une telle alternative, voir arrêt National Grid Indus, précité, point 73).

38      Par ailleurs, les mécanismes d’assistance mutuelle existant entre les autorités des États membres sont suffisants pour permettre à l’État membre d’origine d’effectuer un contrôle de la véracité des déclarations des sociétés qui opteraient pour le paiement différé de ladite imposition. Il importe de souligner, à cet effet, que, dès lors que cette dernière est déterminée au moment où la société, en raison du transfert à l’étranger de ses éléments patrimoniaux, cesse de percevoir des bénéfices taxables correspondants dans l’État membre d’origine, l’assistance de l’État membre d’accueil concerne non pas l’établissement correct de l’impôt, mais uniquement son recouvrement. Or, l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2008/55/CE du Conseil, du 26 mai 2008, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, à certains droits, à certaines taxes et autres mesures (JO L 150, p. 28), dispose que, «[s]ur demande de l’autorité requérante, l’autorité requise lui communique les renseignements qui lui sont utiles pour le recouvrement d’une créance». Par ailleurs, la directive 2008/55, notamment ses articles 5 à 9, offre aux autorités de l’État membre d’origine un cadre de coopération et d’assistance leur permettant de recouvrer effectivement la créance fiscale dans l’État membre d’accueil (voir, en ce sens, arrêt National Grid Indus, précité, point 78).

39      Dans ces conditions, les dispositions de l’article 17, paragraphe 1, sous a) et c), de la LIS, en ce qu’elles ont pour effet de rendre exigible, dans les situations qu’elles visent, le paiement immédiat de l’imposition sur les plus‑values latentes afférentes aux éléments patrimoniaux d’une société transférant sa résidence dans un autre État membre et à ceux d’un établissement stable transférés à l’étranger, excèdent ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime recherché par ces dispositions.

40      Dans cette mesure, le grief de la Commission, en tant qu’il est tiré de la violation de l’article 49 TFUE, est fondé. Il convient, dès lors, de faire droit, dans la même mesure, au recours et de le rejeter pour le surplus.

 Sur les dépens

41      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et celui‑ci ayant succombé en l’essentiel de ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. En application de l’article 140, paragraphe 1, du même règlement, la République fédérale d’Allemagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays‑Bas, la République portugaise, la République de Finlande, le Royaume de Suède ainsi que le Royaume-Uni, qui sont intervenus au litige, supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      En adoptant l’article 17, paragraphe 1, sous a) et c), de la version codifiée de la loi relative à l’impôt sur les sociétés approuvée par le décret royal législatif 4/2004 du 5 mars 2004 (Real Decreto Legislativo 4/2004 por el que se aprueba el Texto Refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades), en vertu duquel, en cas de transfert, vers un autre État membre, de la résidence d’une société établie en Espagne et des actifs d’un établissement stable situés en Espagne, les plus‑values non réalisées sont intégrées dans l’assiette imposable de l’exercice fiscal, tandis que ces plus-values n’ont aucune conséquence fiscale immédiate si ces opérations ont lieu sur le territoire espagnol, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 TFUE.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

4)      La République fédérale d’Allemagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays‑Bas, la République portugaise, la République de Finlande, le Royaume de Suède ainsi que le Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.