Language of document : ECLI:EU:T:2013:434

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

13 septembre 2013 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché des cires de paraffine – Marché du gatsch – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Fixation des prix et répartition des marchés – Droits de la défense – Principe de légalité des délits et des peines – Présomption d’innocence – Imputabilité du comportement infractionnel – Responsabilité d’une société mère pour les infractions aux règles de la concurrence commises par ses filiales – Influence déterminante exercée par la société mère – Présomption en cas de détention d’une participation de près de 100 % »

Dans l'affaire T‑548/08,

Total SA, établie à Courbevoie (France), représentée par Mes É. Morgan de Rivery et A. Noël-Baron, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre et É. Gippini Fournier, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de la décision C (2008) 5476 final de la Commission, du 1er octobre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.181 – Cires de bougie), ainsi que, à titre subsidiaire, une demande de suppression de l’amende infligée à la requérante ou de réduction du montant de celle-ci,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. O. Czúcz (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. K. O’Higgins, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 juin 2010,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige et décision attaquée

1        Par la décision C (2008) 5476 final, du 1er octobre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.181 – Cires de bougie) (ci-après la « décision attaquée »), la Commission des Communautés européennes a constaté que la requérante, Total SA, et sa filiale détenue à près de 100 %, Total France SA, avaient, avec d’autres entreprises, enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), en participant à une entente sur le marché des cires de paraffine dans l’EEE et sur le marché allemand du gatsch.

2        Les destinataires de la décision attaquée sont les sociétés suivantes : l’ENI SpA ; Esso Deutschland GmbH, Esso Société Anonyme Française, ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA et Exxon Mobil Corp. (ci-après, prises ensemble, « ExxonMobil ») ; H&R ChemPharm GmbH, la H&R Wax Company Vertrieb et Hansen & Rosenthal (ci-après, prises ensemble, « H&R ») ; Tudapetrol Mineralölerzeugnisse Nils Hansen KG ; MOL Nyrt. ; Repsol YPF Lubricantes y Especialidades SA, Repsol Petróleo SA et Repsol YPF SA (ci-après, prises ensemble, « Repsol ») ; Sasol Wax GmbH, Sasol Wax International AG, Sasol Holding in Germany GmbH et Sasol Ltd (ci-après, prises ensemble, « Sasol ») ; Shell Deutschland Oil GmbH, Shell Deutschland Schmierstoff GmbH, Deutsche Shell GmbH, la Shell International Petroleum Company Ltd, The Shell Petroleum Company Ltd, Shell Petroleum NV et The Shell Transport and Trading Company Ltd (ci-après, prises ensemble, « Shell ») ; RWE-Dea AG et RWE AG (ci-après, prises ensemble, « RWE »), ainsi que la requérante et sa filiale (ci-après, prises ensemble, « Total ») (considérant 1 de la décision attaquée).

3        Les cires de paraffine sont fabriquées en raffinerie à partir de pétrole brut. Elles sont utilisées pour la production de produits tels que des bougies, des produits chimiques, des pneus et des produits automobiles, ainsi que pour les industries du caoutchouc, de l’emballage, des adhésifs et du chewing-gum (considérant 4 de la décision attaquée).

4        Le gatsch est la matière première nécessaire à la fabrication de cires de paraffine. Il est produit dans les raffineries en tant que sous-produit de la production d’huiles de base à partir de pétrole brut. Il est également vendu aux clients finaux, par exemple aux producteurs de panneaux de particules (considérant 5 de la décision attaquée).

5        La Commission a commencé son enquête après que Shell Deutschland Schmierstoff l’a informée, par lettre du 17 mars 2005, de l’existence d’une entente en la saisissant d’une demande d’immunité en vertu de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3) (considérant 72 de la décision attaquée).

6        Les 28 et 29 avril 2005, la Commission a procédé, en application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), à des vérifications sur place dans les locaux de « H&R/Tudapetrol », de l’ENI, de MOL ainsi que dans ceux appartenant aux sociétés des groupes Sasol, ExxonMobil, Repsol et Total (considérant 75 de la décision attaquée).

7        En ce qui concerne Total France, les vérifications ont été effectuées sur la base de la décision de la Commission, du 18 avril 2005, ordonnant à la requérante et à l’ensemble des entreprises contrôlées directement ou indirectement par elle, y compris Total France, de se soumettre à une inspection en application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 (ci-après la « décision d’inspection »).

8        La décision d’inspection a été notifiée à Total France le 28 avril 2005. Elle n’a pas été notifiée à la requérante.

9        Total France a reçu des demandes de renseignements de la Commission les 3 novembre 2005 et 27 novembre 2006 et y a répondu respectivement les 23 décembre 2005 et 13 décembre 2006. Le 30 janvier 2007, elle a reçu des questions complémentaires de la Commission, auxquelles elle a répondu le 4 avril 2007.

10      Le 29 mai 2007, la Commission a adressé une communication des griefs aux sociétés figurant au point 2 ci-dessus, dont la requérante et Total France (considérant 85 de la décision attaquée).

11      Par lettre du 13 août 2007, la requérante a formulé des observations en réponse à la communication des griefs (ci-après la « réponse à la communication des griefs »).

12      Les 10 et 11 décembre 2007, la Commission a organisé une audition à laquelle la requérante a participé.

13      Après l’audition, la requérante a reçu plusieurs demandes de renseignements de la Commission. Les demandes du 21 décembre 2007 et du 29 mai 2008 portaient sur les chiffres d’affaires de la requérante et de Total France, en particulier sur les marchés des cires de paraffine et du gatsch. La demande du 4 avril 2008 portait sur la matérialité de l’infraction à laquelle avait pris part Total France. La requérante a répondu respectivement les 20 février, 8 avril et 10 juin 2008, tout en indiquant qu’elle n’avait pas eu connaissance de l’infraction reprochée à Total France.

14      Selon la décision attaquée, des employés de Total France avaient participé à l’infraction pendant toute sa durée. La Commission a donc tenu Total France pour directement responsable de l’entente (considérants 555 et 556 de la décision attaquée). La Commission a affirmé qu’au moins 98 % du capital de Total France était détenu par la requérante et qu’il pouvait être présumé, sur cette base, que celle-ci exerçait une influence déterminante sur le comportement de Total France, les deux sociétés faisant partie d’une même entreprise (considérants 557 à 559 de la décision attaquée). En réponse à une question écrite du Tribunal relative à l’identité des autres propriétaires de Total France, la requérante a précisé que le reste du capital de celle-ci était également détenue par elle, d’une manière indirecte. Ainsi, il a été révélé en cours d’instance que Total France était une filiale détenue à 100 % par la requérante durant la période litigieuse.

15      Les amendes infligées en l’espèce ont été calculées sur la base des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2) (ci-après les « lignes directrices de 2006 »), en vigueur au moment de la notification de la communication des griefs aux sociétés figurant au point 2 ci-dessus.

16      La décision attaquée comprend notamment les dispositions suivantes :

« Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, [CE] et, à partir du 1er janvier 1994, l’article 53 de l’accord EEE en participant, pendant les périodes indiquées, à un accord continu et/ou une pratique concertée dans le secteur des cires de paraffine dans le marché commun et, à partir du 1er janvier 1994, dans l’EEE :

[…]

Total France SA : du 3 septembre 1992 au 28 avril 2005 ; et

Total SA : du 3 septembre 1992 au 28 avril 2005.

En ce qui concerne les entreprises suivantes, l’infraction concerne également, pour les périodes indiquées, le gatsch vendu à des clients finaux sur le marché allemand :

Total France SA : du 30 octobre 1997 au 12 mai 2004 ; et

Total SA : du 30 octobre 1997 au 12 mai 2004.

[…]

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction visée à l’article 1er :

ENI SpA : 29 120 000 EUR ;

Esso Société Anonyme Française : 83 588 400 EUR,

dont conjointement et solidairement avec

ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA et ExxonMobi1 Corporation pour 34 670 400 EUR dont conjointement et solidairement avec Esso Deutschland GmbH pour 27 081 600 EUR ;

Tudapetrol Mineralölerzeugnisse Nils Hansen KG : 12 000 000 EUR ;

Hansen & Rosenthal KG conjointement et solidairement avec H&R Wax Company Vertrieb GmbH : 24 000 000 EUR,

dont conjointement et solidairement avec

H&R ChemPharm GmbH pour 22 000 000 EUR ;

MOL Nyrt. : 23 700 000 EUR ;

Repsol YPF Lubricantes y Especialidades SA conjointement et solidairement avec Repsol Petróleo SA et Repsol YPF SA : 19 800 000 EUR ;

Sasol Wax GmbH : 318 200 000 EUR,

dont conjointement et solidairement avec

Sasol Wax International AG, Sasol Holding in Germany GmbH et Sasol Limited pour 250 700 000 EUR ;

Shell Deutschland Oil GmbH, Shell Deutschland Schmierstoff GmbH, Deutsche Shell GmbH, Shell International Petroleum Company Limited, the Shell Petroleum Company Limited, Shell Petroleum NV et the Shell Transport and Trading Company Limited : 0 EUR ;

RWE-Dea AG conjointement et solidairement avec RWE AG : 37 440 000 EUR ;

Total France SA conjointement et solidairement avec Total SA : 128 163 000 EUR. »

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 décembre 2008, la requérante a introduit le présent recours.

18      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, il a invité les parties à répondre par écrit à certaines questions et à produire certains documents. Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

19      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 15 juin 2010.

20      La requérante conclut en substance à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler la décision attaquée en ce qu’elle la concerne ;

–        à titre subsidiaire, supprimer l’amende qui lui a été infligée solidairement avec Total France à l’article 2 de la décision attaquée ;

–        à titre très subsidiaire, réduire le montant de ladite amende ;

–        condamner la Commission aux dépens.

21      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

22      La requérante demande, à titre principal, l’annulation de la décision attaquée en ce qu’elle la concerne et, à titre subsidiaire, la suppression ou la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée par ladite décision.

23      La requérante invoque sept moyens à l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée en ce qu’elle la concerne. Le premier moyen est tiré d’une violation des droits de la défense de la requérante et du principe de la présomption d’innocence. Le deuxième moyen est tiré d’une contradiction de motifs dans la décision attaquée. Le troisième moyen est tiré d’une violation des règles relatives à l’imputabilité des infractions au sein d’un groupe de sociétés. Le quatrième moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation. Le cinquième moyen est tiré d’une violation des principes de responsabilité personnelle, d’individualité des peines et des sanctions et de légalité des délits et des peines. Le sixième moyen est tiré d’une violation des principes de sécurité juridique et de bonne administration. Le septième moyen est tiré d’un détournement de pouvoir. En outre, à l’audience, la requérante a soulevé une exception d’illégalité du règlement n° 1/2003, en invoquant son incompatibilité avec l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1).

24      À l’appui de ses conclusions formulées à titre subsidiaire et tendant à la suppression de l’amende qui lui a été infligée ou à la réduction du montant de celle-ci, la requérante soulève deux moyens. Le huitième moyen est tiré de la violation des lignes directrices de 2006 et du caractère disproportionné du montant de l’amende. Le neuvième moyen est tiré de la détermination prétendument erronée de la gravité et de la durée de l’infraction et d’une « violation caractérisée » des droits de la défense de la requérante.

1.     Sur les moyens soulevés au soutien des conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée en ce qu’elle concerne la requérante

25      Étant donné que la réponse du Tribunal aux arguments des parties avancés dans le cadre des troisième et quatrième moyens détermine, dans une large mesure, l’analyse des autres moyens, le Tribunal estime utile de commencer l’examen par ceux-ci.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des règles relatives à l’imputation de la responsabilité du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère

 Sur la première branche, concernant la constatation prétendument erronée selon laquelle la Commission n’est pas tenue de produire des éléments corroborant la présomption d’exercice d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement de sa filiale

26      À titre liminaire, il convient de rappeler que la circonstance qu’une filiale a une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la société mère (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, Rec. p. 619, point 132).

27      En effet, le droit de la concurrence de l’Union européenne vise les activités des entreprises et la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, point 54, et la jurisprudence citée).

28      Le juge de l’Union a également précisé que la notion d’entreprise devait être comprise, dans ce contexte, comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique était constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir arrêts de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm Gerätebau, 170/83, Rec. p. 2999, point 11, et Akzo Nobel e.a./Commission, point 27 supra, point 55, et la jurisprudence citée ; arrêt du Tribunal du 29 juin 2000, DSG/Commission, T‑234/95, Rec. p. II‑2603, point 124). Il a ainsi souligné que, aux fins de l’application des règles de la concurrence, la séparation formelle entre deux sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, n’était pas déterminante, ce qui s’imposait étant l’uniformité ou non de leur comportement sur le marché. Il peut donc s’avérer nécessaire de déterminer si deux sociétés ayant des personnalités juridiques distinctes forment ou relèvent d’une seule et même entreprise ou entité économique qui déploie un comportement unique sur le marché (arrêt Imperial Chemical Industries/Commission, point 26 supra, point 140, et arrêt du Tribunal du 15 septembre 2005, DaimlerChrysler/Commission, T‑325/01, Rec. p. II‑3319, point 85).

29      Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 27 supra, point 56, et la jurisprudence citée).

30      L’infraction au droit de la concurrence de l’Union doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes et la communication des griefs doit être adressée à cette dernière. Il importe également que la communication des griefs indique en quelle qualité une personne juridique se voit reprocher les faits allégués (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 27 supra, point 57, et la jurisprudence citée).

31      Ainsi, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a./Commission, C‑294/98 P, Rec. p. I‑10065, point 27 ; du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 117, et Akzo Nobel e.a./Commission, point 27 supra, point 58, et la jurisprudence citée).

32      En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 27 ci-dessus. Ainsi, le fait qu’une société mère et sa filiale constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 27 supra, point 59).

33      Dans le cas d’espèce, la Commission a considéré, aux considérants 332 et 333 de la décision attaquée, que le seul fait que la société mère détenait la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale permettait de présumer l’exercice effectif d’une influence déterminante sur la politique commerciale de ladite filiale et, dès lors, d’imputer le comportement anticoncurrentiel de cette dernière à la société mère. Selon la décision attaquée, si l’application de cette présomption ne nécessite pas que la Commission apporte des indices supplémentaires à son soutien, une telle présomption peut cependant être renversée dans le cas où les sociétés concernées apportent les preuves démontrant que la filiale détermine d’une façon autonome sa politique commerciale.

34      La requérante fait valoir que la jurisprudence de l’Union ne permet pas d’imputer à une société mère la responsabilité d’une infraction commise par sa filiale sur le seul fondement du niveau de détention du capital de celle-ci, même lorsque la filiale est contrôlée à 100 %, comme dans le cas d’espèce. La jurisprudence imposerait que la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur sa filiale contrôlée à 100 % soit toujours confortée par des indices concrets attestant une telle influence.

35      Il y a lieu de rappeler que, dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 27 supra, points 60 et 61, et la jurisprudence citée).

36      S’il est vrai que, dans sa jurisprudence antérieure à l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 27 supra, la Cour a évoqué, hormis la détention de 100 % du capital de la filiale, d’autres circonstances attestant l’exercice d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement commercial de la filiale, il n’en demeure pas moins que la mise en œuvre de la présomption mentionnée au point 35 ci-dessus n’est pas subordonnée à la production d’indices supplémentaires relatifs à l’exercice effectif d’une telle influence de la société mère (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 27 supra, point 62, et la jurisprudence citée ; arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, Rec. p. II‑2567, point 57).

37      Dès lors, la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que la seule détention de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de la filiale par la société mère permettait de présumer que cette dernière exerçait une influence déterminante sur la politique commerciale de la filiale et, dès lors, d’imputer le comportement anticoncurrentiel de cette dernière à la société mère.

38      Les autres arguments de la requérante ne sauraient remettre en cause cette conclusion.

39      En premier lieu, la requérante soutient que la position de la Commission n’est pas acceptable « compte tenu des graves entorses aux droits fondamentaux et à la charge de la preuve [qu’elle] induit au cours d’une procédure assimilable à une procédure pénale ». Elle se réfère à cet égard notamment à l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »). En particulier, il ne pourrait être admis que la présomption d’innocence puisse être arbitrairement renversée par une « présomption irréfragable de responsabilité ».

40      À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une présomption, même difficile à renverser, demeure dans des limites acceptables tant qu’elle est proportionnée au but légitime poursuivi, qu’existe la possibilité d’apporter la preuve contraire et que les droits de la défense sont assurés, ce qui est le cas de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante sur le comportement commercial de la filiale par sa société mère détenant la totalité ou la quasi-totalité de son capital.

41      De plus, l’application d’une telle présomption se justifie par le fait que, lorsque la société mère est l’unique actionnaire de la filiale, elle dispose de tous les instruments possibles pour assurer l’alignement du comportement commercial de la filiale sur le sien. En particulier, c’est l’actionnaire unique qui définit en principe l’étendue de l’autonomie de la filiale par l’établissement du statut de celle-ci, qui choisit ses gestionnaires et qui prend ou approuve les décisions commerciales stratégiques de la filiale, le cas échéant par la présence de ses représentants au sein des organes de celle-ci. De même, l’unité économique entre la société mère et sa filiale est habituellement davantage sauvegardée par des obligations résultant du droit des sociétés des États membres, telles que la tenue de comptes consolidés, l’obligation pour la filiale de rendre compte périodiquement de ses activités à la société mère, ainsi que par l’approbation des comptes annuels de la filiale par l’assemblée générale constituée par la seule société mère, ce qui implique nécessairement que la société mère suive, au moins dans les grandes lignes, les activités commerciales de la filiale.

42      Ensuite, il y a lieu de souligner que, dans le cas d’une filiale détenue à 100 %, ou presque, par une seule société mère, il y a en principe un seul intérêt commercial et les membres des organes de la filiale sont désignés et nommés par le seul actionnaire, qui peut leur donner des instructions au moins de façon informelle et leur imposer des critères de performance. Dès lors, dans un tel cas, il existe nécessairement une relation de confiance entre les dirigeants de la filiale et ceux de la société mère et lesdits dirigeants agissent nécessairement en représentant et en promouvant le seul intérêt commercial existant, à savoir celui de la société mère. Ainsi, l’unicité de comportement sur le marché de la société mère et de sa filiale est assurée en dépit de toute autonomie accordée aux dirigeants de la filiale en ce qui concerne la direction opérationnelle de cette dernière, laquelle relève de la définition de la politique commerciale stricto sensu de celle-ci. De plus, en règle générale, c’est l’actionnaire unique qui définit seul et selon ses propres intérêts les modalités de prise de décision de la filiale et qui décide de l’étendue de l’autonomie opérationnelle de celle-ci, ce qu’il peut changer de sa propre volonté en modifiant les règles régissant le fonctionnement de la filiale ou dans le cadre d’une restructuration, voire par la création de structures informelles de prise de décision.

43      Ainsi, l’application de la présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de sa filiale est justifiée dans la mesure où elle recouvre des situations caractéristiques en ce qui concerne les relations entre une filiale et sa seule société mère, en prévoyant que la détention de la totalité ou la quasi-totalité du capital de la filiale par une seule société mère implique en principe l’unicité de comportement de celles-ci sur le marché.

44      Il n’en reste pas moins que les sociétés intéressées ont, à la suite de la communication des griefs, pleinement l’occasion de démontrer que les mécanismes décrits aux points 41 et 42 ci-dessus, conduisant habituellement à l’alignement du comportement commercial de la filiale sur celui de sa société mère, n’ont pas fonctionné ordinairement, de sorte que l’unité économique du groupe a été rompue.

45      Dès lors, la présomption dont l’application est contestée par la requérante n’est ni arbitraire ni irréfragable.

46      En deuxième lieu, la requérante fait valoir que la position de la Commission exprimée aux considérants 332 et 333 de la décision attaquée est radicalement opposée à la solution retenue dans la plupart des États membres et aux États-Unis.

47      À cet égard, il suffit de relever que le droit de l’Union est un système juridique autonome, ce qui implique que l’absence, à supposer qu’elle soit vérifiée, de la présomption en cause dans les autres systèmes juridiques, invoqués par la requérante, n’implique pas qu’elle soit également absente du droit de l’Union. Ainsi, cet argument de la requérante est dénué de pertinence.

48      En troisième lieu, la requérante considère que la présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de sa filiale est contraire aux solutions retenues dans d’autres branches du droit de l’Union, à savoir en droit des concentrations et en droit des aides d’État.

49      Premièrement, selon la requérante, dans le domaine du contrôle des concentrations, la Commission aurait admis que l’immixtion des sociétés mères dans la conduite de leur filiale sur le marché n’était pas corrélée avec un niveau déterminé de détention de capital de la filiale et pouvait exister même lorsque les sociétés mères ne détenaient qu’une faible proportion du capital de leur filiale, ainsi qu’il ressortirait de la communication de la Commission concernant la notion de concentration au sens du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1998, C 66, p. 5, point 14).

50      Il y a lieu de relever que, selon le point 54 de la communication juridictionnelle codifiée de la Commission concernant le règlement (CE) du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises n° 139/2004 (JO 2008, C 95, p. 1, rectificatif JO 2009, C 43, p. 10), il y a prise de contrôle exclusif lorsqu’une entreprise peut exercer, seule, une influence déterminante sur une autre entreprise. Selon le même point, l’entreprise exerçant le contrôle exclusif détient le pouvoir d’arrêter les décisions commerciales stratégiques de l’autre entreprise et ce pouvoir est typiquement obtenu par l’acquisition d’une majorité des droits de vote.

51      La communication susmentionnée indiquant que la majorité des votes donne déjà – sauf en cas d’exigence de la majorité qualifiée des votes dans les statuts – une possibilité de contrôle, il est entièrement conforme à cette communication de constater que la détention de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de la filiale donne la possibilité d’exercer une influence déterminante sur le comportement de cette dernière.

52      Au demeurant, il y a lieu de constater que la question de l’exercice effectif du pouvoir de contrôle, visé par la jurisprudence citée au point 35 ci-dessus, est dénuée de pertinence en droit des concentrations. En effet, en matière de contrôle des opérations de concentration, il y a lieu d’effectuer une analyse prospective, de sorte que ce qui compte est la possibilité d’exercer le contrôle, tandis que l’exercice effectif du pouvoir de contrôle demeure une notion utilisée dans le domaine des infractions aux articles 81 CE et 82 CE, dominé par une analyse rétrospective, qui consiste à déterminer si une responsabilité peut être imputée pour des infractions commises dans le passé.

53      Dès lors, l’argument de la requérante, tiré du fait que la détermination de la possibilité de contrôle peut requérir, dans des cas où la participation de la société mère est très loin de la totalité du capital de la filiale, voire est limitée à une participation minoritaire, la prise en compte de facteurs autres que les liens capitalistiques entre les sociétés, est dépourvu de toute pertinence du point de vue de l’examen de la présomption en cause, qui concerne l’exercice effectif du contrôle en présence de la détention de la totalité du capital.

54      Deuxièmement, la requérante s’appuie sur les points 93 à 95 de l’arrêt du Tribunal du 26 juin 2008, SIC/Commission (T‑442/03, Rec. p. II‑1161, points 93 à 95). Selon ledit arrêt, pour que des avantages puissent être qualifiés d’aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, ils doivent, d’une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, être imputables à l’État. En outre, l’imputabilité d’une mesure à l’État ne peut être déduite de la seule circonstance que la mesure en cause a été prise par une entreprise publique. En effet, même si l’État est en mesure de contrôler une entreprise publique et d’exercer une influence dominante sur les opérations de celle-ci, l’exercice effectif de ce contrôle dans un cas concret ne saurait être automatiquement présumé. Une entreprise publique peut agir avec plus ou moins d’indépendance, en fonction du degré d’autonomie qui lui est laissé par l’État. Dès lors, le seul fait qu’une entreprise publique soit sous contrôle étatique ne suffit pas pour imputer des mesures prises par celle-ci à l’État. Il est encore nécessaire d’examiner si les autorités publiques doivent être considérées comme ayant été impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’adoption de ces mesures.

55      Selon la requérante, étant donné que, en vertu de l’article 295 CE, le traité ne préjuge pas du régime de la propriété, l’actionnaire privé d’un groupe de sociétés ne saurait, au nom du principe d’égalité de traitement, être moins bien traité que l’actionnaire public.

56      Ainsi que la Commission le fait valoir à juste titre, la jurisprudence citée par la requérante n’est pas utile aux fins de la présente analyse, puisqu’elle concerne l’imputation d’une mesure d’aide à l’État et non la question de l’entité économique unique que constitue la société mère et sa filiale au sens du droit de la concurrence de l’Union.

57      En effet, il ne saurait être retenu que l’État, en tant que tel, défende nécessairement les mêmes intérêts commerciaux que les entreprises publiques qu’il détient, à la différence d’une société mère détenant la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale (conclusions de l’avocat général Mme Kokott sous l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 27 supra, Rec. p. I‑8241, point 73). De même, les mesures d’aides accordées par les entreprises publiques ne visent pas la maximalisation du profit de ladite entreprise ou de l’État. Au contraire, elles servent généralement un intérêt public local ou national et constituent une charge financière pour l’entreprise publique ou l’État. Dès lors, la ratio legis ainsi que les intérêts, les motivations et les ambitions des acteurs en matière de contrôle des aides d’État – l’État et ses entreprises publiques – sont tellement différents de ceux qui prévalent en matière d’interdiction des ententes illicites que l’interprétation de la notion d’« imputabilité » ne saurait être interprétée sur la base des mêmes critères.

58      Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la première branche du troisième moyen.

 Sur la seconde branche, tirée d’une violation du « principe d’autonomie économique de la personne morale »

59      La requérante fait valoir que, en appliquant la présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de la filiale sur le marché, la Commission a violé le « principe d’autonomie économique de la personne morale ». Le droit des sociétés consacrerait un tel principe, y compris en ce qui concerne les filiales de groupes de sociétés, et ce même si elles sont contrôlées à 100 % par leur société mère. Une capacité juridique et un patrimoine propre permettraient à la personne morale, et donc également à une filiale contrôlée à 100 %, de s’engager à l’égard des tiers et d’être pleinement responsable de ses agissements, y compris des conséquences de son activité économique sur le marché. L’autonomie juridique impliquerait, dès lors, aussi une « autonomie économique de principe » de la filiale.

60      Selon la requérante, ce n’est que par exception au « principe d’autonomie économique de la personne morale » que la société mère d’une telle filiale fait partie du « périmètre de l’’entreprise’ ». Dès lors, comme il s’agirait d’une exception, la Commission devrait dûment justifier son application, sur le fondement d’un faisceau d’indices, en démontrant que la société mère exerce effectivement son influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale. L’application d’une telle présomption irait à l’encontre du « principe d’autonomie juridique et économique de la filiale » et risquerait de « mettre en péril » la cohérence du droit de la concurrence de l’Union au sein du réseau européen de concurrence.

61      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus, la notion d’entreprise, visée à l’article 81 CE, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. En revanche, la séparation formelle entre deux sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, est indifférente, seule l’uniformité ou non de leur comportement sur le marché étant déterminante.

62      En premier lieu, la requérante relève que l’« autonomie économique de principe de la filiale » est consacrée par le droit de la concurrence de l’Union, ainsi qu’il ressortirait de l’arrêt SIC/Commission, point 54 supra (point 100), et de l’arrêt de la Cour du 16 mai 2002, France/Commission (C‑482/99, Rec. p. I‑4397, point 57).

63      Il y a lieu d’observer que les arrêts auxquels la requérante se réfère concernent l’imputabilité d’une mesure d’aide prise par une entreprise publique à l’État, de sorte que cette jurisprudence ne saurait permettre de déroger à la jurisprudence spécifique relative à l’imputation à une société mère de la responsabilité des infractions à l’article 81 CE commises par sa filiale dont elle détient la totalité ou la quasi-totalité du capital (voir point 57 ci-dessus).

64      En deuxième lieu, il convient de noter que la requérante ne se réfère à aucune règle de droit concrète pour étayer son allégation selon laquelle il existe une « autonomie économique de principe » de la filiale en droit de la concurrence de l’Union. En revanche, la jurisprudence constante citée au point 28 ci-dessus, selon laquelle la notion d’entreprise doit être comprise, dans le contexte du droit de la concurrence, comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales, permet clairement d’invalider le raisonnement de la requérante selon lequel la personnalité juridique distincte des filiales implique une « autonomie économique de principe » desdites filiales.

65      Ainsi, l’argument de la requérante, tiré de ladite autonomie, est non fondé.

66      Par conséquent, il y lieu de rejeter également la seconde branche du troisième moyen et, dès lors, le troisième moyen dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation

 Sur la première branche, concernant la nomination des membres du conseil d’administration de Total France par la requérante

67      La requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en affirmant, au considérant 560 de la décision attaquée, que la présomption d’exercice par la requérante d’une influence déterminante sur sa filiale était renforcée en l’espèce par le fait que les membres du conseil d’administration de Total France étaient nommés lors de l’assemblée des actionnaires, l’actionnaire majoritaire étant la requérante. Elle expose qu’il découle du droit des sociétés que toute société mère, en tant qu’actionnaire de sa filiale, nomme les administrateurs de cette dernière, de sorte que ce constat ne saurait renforcer la présomption appliquée par la Commission. Au demeurant, la Commission ne saurait sanctionner, par le renversement de la charge de la preuve et la suppression de la présomption d’innocence, une société mère pour avoir « respecté la loi ».

68      À cet égard, il suffit de relever que l’application de la présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de la filiale sur le marché était en soi suffisante pour imputer la responsabilité des agissements de Total France à la requérante, dès lors qu’une telle présomption n’avait pas été renversée par cette dernière. Ainsi, même à supposer que la Commission ait commis une erreur en considérant que les modalités de la nomination des membres du conseil d’administration renforçaient la présomption appliquée, cela ne saurait compromettre la légalité de la décision.

69      Ainsi, la présente branche doit être rejetée comme inopérante.

 Sur la seconde branche, concernant l’appréciation des indices apportés par la requérante afin de renverser la présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de la filiale sur le marché

70      La requérante fait valoir que l’analyse contenue au considérant 578 de la décision attaquée est erronée et que, en raison de la gestion décentralisée des filiales au sein du groupe Total, elle ne pouvait pas exercer une influence déterminante sur la politique commerciale de Total France.

71      À cet égard, il y a lieu de considérer que, selon la jurisprudence, afin de renverser la présomption appliquée par la Commission, il incombait à la requérante de soumettre tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques existant entre elle et Total France qu’elle considérait comme étant de nature à démontrer que ces deux sociétés ne constituaient pas une entité économique unique. Lors de son appréciation, le Tribunal doit en effet tenir compte de l’ensemble des éléments soumis, dont le caractère et l’importance peuvent varier selon les caractéristiques propres à chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑112/05, Rec. p. II‑5049, point 65, confirmé par arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 27 supra).

72      La présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de la filiale sur le marché repose sur le constat selon lequel, d’une part, sauf circonstances tout à fait exceptionnelles, une société détenant la totalité ou la quasi-totalité du capital d’une filiale peut, au vu de cette seule détention de capital, exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, l’absence d’exercice effectif de ce pouvoir d’influence peut normalement le plus utilement être recherchée dans la sphère des entités à l’encontre desquelles la présomption opère.

73      Dans le cas d’espèce, au considérant 578 de la décision attaquée, la Commission a affirmé ce qui suit :

« L’exercice d’une influence déterminante sur la politique commerciale d’une filiale ne requiert pas une intervention quotidienne dans la gestion de l’exploitation de la filiale. La gestion d’une filiale peut très bien être confiée à la filiale elle-même, ce qui n’exclut pas que la société mère soit en mesure d’imposer des objectifs et des politiques qui affectent les performances du groupe ainsi que sa cohérence, et de sanctionner tout comportement contraire auxdits objectifs et politiques. De fait, [la requérante] admet jouer un rôle de coordination institutionnelle et de contrôle des orientations stratégiques et disposer du pouvoir d’approuver ou de désapprouver les investissements les plus importants ou toute modification majeure des activités au sein du groupe. Cela prouve que [la requérante], en tant que société mère, dispose d’un intérêt et joue un rôle vis-à-vis de ses filiales en tant qu’actionnaire désireux de protéger ses intérêts financiers de propriétaire et ses intérêts en matière de stratégie commerciale. [La requérante] dresse également la liste de certains autres sujets, tels que la politique applicable aux ressources humaines, la tenue des comptes consolidés, la détermination de la politique fiscale du groupe, et certaines autres tâches opérationnelles horizontales, telles que la sécurité industrielle, l’environnement, la gestion des fonds dans des conditions respectueuses de l’éthique, les activités de financement, etc., se trouvant dans les mains de [la requérante] pour le compte de l’ensemble du groupe. »

74      La requérante estime que la Commission a rejeté à tort les éléments qu’elle avait avancés afin de démontrer l’absence d’exercice d’influence déterminante par elle sur le comportement commercial de Total France. Ces éléments seraient l’absence de chevauchement dans le cadre de la direction de ces deux sociétés, la définition autonome par Total France de sa stratégie commerciale, l’autonomie financière de Total France, la faible proportion des ventes de cires de paraffine dans le chiffre d’affaires de Total France ainsi que le fait que Total France ne l’aurait pas informée de son activité sur le marché concerné, n’aurait pas été subordonnée à ces instructions et aurait agi en son propre nom et pour son propre compte.

–       Sur l’absence de chevauchement de la direction de la requérante et de celle de Total France

75      Dans la décision attaquée, la Commission n’a pas examiné si des dirigeants de Total France et de la requérante étaient présents dans les organes de ces deux sociétés. Elle s’est bornée à affirmer, au considérant 579 de la décision attaquée, que « [l]’absence de chevauchement des responsabilités de direction ne p[ouvait] pas être considérée, dans les présentes circonstances, comme un facteur important, encore moins déterminant, permettant de renverser la présomption ».

76      La requérante fait valoir que la Commission a ainsi méconnu le fait que l’existence de membres communs aux organes de direction de la société mère et de ceux de sa filiale était généralement prise en compte par elle et par le juge de l’Union.

77      À cet égard, il y a lieu de relever que la Commission peut valablement prendre en compte le cumul de postes, par les mêmes personnes physiques, dans la direction de la société mère et celle de sa filiale, dans le cadre de l’examen des liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. Ainsi, un tel cumul de postes constitue un des indices qui peut servir à la démonstration de ce que la société mère et sa filiale appartiennent à une seule entreprise au sens de l’article 81 CE.

78      Cependant, en l’espèce, la requérante détenant directement près de 100 % du capital de Total France, la Commission n’avait pas besoin de procéder à une démonstration par faisceau d’indices, l’unité économique entre ces sociétés pouvant être valablement établie sur la base de la présomption fondée sur les liens capitalistiques’.

79      En outre, le seul fait que la Commission est en droit de prendre en compte, dans certains cas, le cumul des postes dans la direction de la filiale et dans celle de sa société mère comme indice de l’existence d’une unité économique entre les deux n’implique nullement que, dans un cas où la Commission retient l’existence d’une telle unité économique sur la seule base des liens capitalistiques unissant les deux sociétés, en application de la présomption en cause, l’absence dudit cumul soit susceptible de renverser ladite présomption.

80      À titre surabondant, il convient de noter que, ainsi qu’il ressort des éléments fournis par la requérante et Total France lors de la procédure administrative, une personne a occupé le poste d’administrateur à la fois dans le conseil d’administration de la requérante et dans celui de Total France durant une partie de la période litigieuse. De même, durant ladite période, plusieurs personnes appartenant à la direction de Total France étaient simultanément membres du comité exécutif ou du comité directeur du groupe Total, dont la société faîtière est la requérante.

81      Dans ces circonstances, il convient de rejeter les arguments de la requérante présentés à cet égard.

–       Sur la prétendue définition autonome par Total France de sa stratégie commerciale

82      Selon la requérante, la Commission a erronément ignoré son argument, exprimé dans la réponse à la communication des griefs, selon lequel Total France avait disposé de tous les instruments centraux (organisationnels, juridiques et financiers) nécessaires à la définition de la stratégie commerciale des activités liées au raffinage et au marketing et avait effectivement géré ses activités. En outre, elle invoque l’organisation de type « matricielle-fonctionnelle » du groupe Total.

83      En premier lieu, force est de constater que la requérante n’explique pas en quoi sa structure interne serait différente de l’organisation habituelle des groupes de sa taille. En tout état de cause, le Tribunal a déjà jugé, dans son arrêt du 30 septembre 2009, Arkema/Commission (T‑168/05, non publié au Recueil, points 76), dans le contexte d’une autre branche du groupe Total, que même le fait que la société mère est un holding non opérationnel n’est, en soi, pas susceptible de renverser la présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de la filiale sur le marché.

84      En deuxième lieu, il y a lieu de rappeler que la requérante a admis, dans la réponse à la communication des griefs, qu’elle avait joué un rôle de coordination institutionnelle, de contrôle de la cohérence des orientations stratégiques et de contrôle des investissements les plus importants à l’intérieur du groupe.

85      En troisième lieu, à le supposer établi, le fait qu’une filiale dispose de sa propre direction locale et de ses propres moyens ne prouve pas, en soi, qu’elle définisse son comportement sur le marché de manière autonome par rapport à sa société mère. La division des tâches entre les filiales et leurs sociétés mères, et, en particulier, le fait de confier la gestion des activités courantes à la direction locale d’une filiale à 100 %, est une pratique habituelle des entreprises de grande taille et composées d’une multitude de filiales détenues, ultimement, par la même société faîtière. Dès lors, dans le cas de la détention de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de la filiale directement impliquée dans l’infraction, les éléments de preuve apportés à cet égard ne sont pas susceptibles de renverser la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante sur le comportement de la filiale par la société mère et par la société faîtière.

86      En quatrième lieu, la Commission a constaté, au considérant 578 de la décision attaquée, que la requérante « dress[ait] également la liste de certains autres sujets, tels que la politique applicable aux ressources humaines, la tenue des comptes consolidés, la détermination de la politique fiscale du groupe, et certaines autres tâches opérationnelles horizontales, telles que la sécurité industrielle, l’environnement, la gestion des fonds dans des conditions respectueuses de l’éthique, les activités de financement, etc., se trouvant dans les mains de [la requérante] pour le compte de l’ensemble du groupe ». Ces éléments affaiblissent encore davantage la position de la requérante selon laquelle Total France jouissait d’une autonomie organisationnelle complète au sein du groupe.

87      Dès lors, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a considéré que les éléments relatifs à la structure organisationnelle du groupe et à la définition prétendument autonome de la politique commerciale de Total France n’avaient pas permis de renverser la présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de la filiale sur le marché.

–       Sur la prétendue « pleine autonomie financière » de Total France et la faible proportion des ventes de cires de paraffine dans le chiffre d’affaires de celle-ci

88      En premier lieu, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte de la « pleine autonomie financière » de Total France.

89      À cet égard, il y a lieu d’observer que l’affirmation de la requérante selon laquelle elle « revoyait » les projets d’investissements les plus importants à effectuer par ses filiales est en soi suffisante pour remettre en cause son allégation selon laquelle Total France jouissait d’une « pleine autonomie financière ». Le seul fait que le but de l’affirmation de la requérante était de convaincre la Commission de l’intensité très limitée de son contrôle sur ses filiales ne saurait priver cette dernière de la possibilité de prendre en compte cet élément dans un autre contexte et d’en déduire une conclusion différente.

90      En outre, ainsi qu’il a été considéré au point 85 ci-dessus, le fait qu’une filiale dispose de sa propre direction locale et de ses propres moyens ne prouve pas, en soi, qu’elle définisse son comportement sur le marché de manière autonome par rapport à sa société mère.

91      En second lieu, la requérante relève que l’activité « cires et paraffine » ne représente qu’une très faible proportion du chiffre d’affaires de Total France et qu’elle représente une proportion encore plus faible du chiffre d’affaires du groupe Total.

92      Cependant, selon la jurisprudence, le fait que le domaine ou l’activité affectée par l’infraction ne représente qu’un faible pourcentage de l’ensemble des activités du groupe ou de la société mère n’est pas de nature à prouver l’autonomie de ladite filiale à l’égard de sa société mère et, dès lors, est sans incidence sur l’application de la présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de la filiale sur le marché (arrêt Arkema/Commission, point 83 supra, point 79 ; voir également, en ce sens, arrêts du Tribunal du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T‑314/01, Rec. p. II‑3085, et du 26 avril 2007, Bolloré/Commission, T‑109/02, T‑118/02, T‑122/02, T‑125/02, T‑126/02, T‑128/02, T‑129/02, T‑132/02 et T‑136/02, Rec. p. II‑947, point 144).

93      Il s’ensuit que les arguments de la requérante tirés d’une prétendue « pleine autonomie financière » de Total France et de la faible proportion de l’activité « cires et paraffines » dans le chiffre d’affaires de celle-ci doivent être rejetés comme non fondés ou comme dépourvus de pertinence.

–       Sur les allégations selon lesquelles Total France n’informait pas la requérante de son activité sur le marché

94      La requérante relève que Total France ne l’informait pas de son activité sur le marché et ne lui rendait des comptes qu’en termes très généraux. En outre, elle n’aurait pas eu connaissance des infractions en cause. Ainsi, l’appréciation faite à cet égard par la Commission, au considérant 581 de la décision attaquée, serait erronée.

95      À cet égard, il suffit de relever que le Tribunal a rejeté des arguments identiques dans son arrêt Arkema/Commission, point 83 supra (points 77 et 78). Il a rappelé que ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale, ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés. Or, l’absence de politique spécifique d’information sur le marché des cires de paraffine, au profit de la requérante, ou l’ignorance de l’infraction par cette dernière, ne saurait démontrer l’autonomie de Total France.

96      Par conséquent, il y a également lieu de rejeter les arguments de la requérante à cet égard.

–       Sur les allégations selon lesquelles Total France n’était pas subordonnée aux instructions de la requérante et agissait en son propre nom et pour son propre compte

97      La requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ne prenant pas en compte le fait que Total France n’était pas subordonnée à ses instructions, avait plein pouvoir de passer des contrats et agissait en son nom et pour son propre compte. De même, Total France aurait librement défini la gamme des produits ou des services qu’elle commercialisait sur le marché, ses objectifs de ventes et ses marges brutes et n’aurait pas été présente sur les marchés sur lesquels la requérante était active.

98      À cet égard, il convient de considérer que les éléments évoqués par la requérante sont, dans une large mesure, des corollaires du fait que Total France est dotée d’une personnalité juridique distincte, qu’elle est chargée, selon la répartition des tâches au sein du groupe, de la branche « raffinage et marketing » et que sa direction a été dotée d’une autonomie en ce qui concerne la gestion des affaires courantes dans ce domaine. Si ces éléments, qui sont des caractéristiques habituelles du fonctionnement d’une filiale au sein d’un groupe de taille comparable à celle de la requérante, suffisaient pour renverser la présomption appliquée par la Commission en prouvant que la société mère ne pouvait pas exercer une influence déterminante sur sa filiale, cela viderait de son sens non seulement une telle présomption, mais également le concept même d’unité économique entre société mère et filiale et, en fin de compte, la notion d’entreprise telle que définie par la jurisprudence.

99      En outre, il y a lieu de relever que des arguments identiques ont été rejetés par le Tribunal dans son arrêt Arkema/Commission, point 83 supra (points 76 et 80), étant donné qu’il s’agissait d’éléments qui ne sont pas susceptibles de renverser la présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de la filiale sur le marché.

100    Dès lors, les présents arguments doivent également être rejetés pour les mêmes motifs.

101    Enfin, à titre surabondant, il convient de souligner qu’aucun des arguments avancés par la requérante afin de renverser la présomption en cause n’est susceptible de démontrer que les mécanismes décrits aux points 41 et 42 ci-dessus, conduisant habituellement à l’alignement du comportement commercial de la filiale sur celui de sa société mère, n’ont pas fonctionné ordinairement et que l’unité économique du groupe a été rompue.

102    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que c’est à bon droit que la Commission a considéré que la requérante n’était pas parvenue à renverser la présomption selon laquelle elle exerçait une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale et, dès lors, celles-ci formaient une entreprise au sens de l’article 81 CE.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense de la requérante et du principe de la présomption d’innocence

 Sur la première branche, tirée d’une erreur concernant le champ d’application ratione personae du principe du respect des droits de la défense et du principe de la présomption d’innocence

103    La requérante fait valoir que la Commission a erronément considéré que les droits de la défense et la présomption d’innocence bénéficiaient aux entreprises au sens de l’article 81 CE. Elle estime que la protection accordée par ces principes vise individuellement chacune des sociétés disposant d’une personnalité juridique autonome et appartenant au groupe des sociétés.

–       Sur la violation du principe des droits de la défense

104    Selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense exige que l’intéressé ait été mis en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction au traité (arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 10, et du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C‑310/93 P, Rec. p. I‑865, point 21).

105    L’article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 constitue une application de ce principe dans la mesure où il prévoit l’envoi aux entités visées par la procédure menée par la Commission d’une communication des griefs, qui doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 67), pour leur permettre de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission et de faire valoir utilement leur défense avant que celle-ci n’adopte une décision définitive. Cette exigence est respectée dès lors que ladite décision ne met pas à la charge des intéressées des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressées ont eu l’occasion de s’expliquer (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 109, et la jurisprudence citée).

106    Toutefois, cette indication peut être donnée de manière sommaire et la décision ne doit pas nécessairement être une copie de la communication des griefs (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, point 104 supra, point 14), car cette communication constitue un document préparatoire dont les appréciations de fait et de droit ont un caractère purement provisoire (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84 et 156/84, Rec. p. 4487, point 70). Pour cette raison, la Commission peut, et même doit, tenir compte des éléments résultant de la procédure administrative, pour, notamment, abandonner des griefs qui se seraient révélés mal fondés (voir arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 105 supra, point 67, et la jurisprudence citée).

107    Enfin, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence citée au point 30 ci-dessus, l’infraction au droit de la concurrence de l’Union doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes et la communication des griefs doit être adressée à cette dernière. Il importe également que la communication des griefs indique en quelle qualité une personne juridique se voit reprocher les faits allégués.

108    À cet égard, il y a lieu de souligner que la requérante était destinataire de la communication des griefs. Dans ce document, sous le titre « Destinataires de la présente procédure », la Commission a d’abord présenté en détail, aux points 228 à 232, les principes relatifs à l’imputation de la responsabilité de l’infraction à l’article 81 CE qu’elle entendait appliquer, y compris la présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de sa filiale détenue à 100 % ou presque, telle qu’elle apparaitra ultérieurement dans la décision attaquée. Ensuite, aux points 335 à 338, elle a indiqué qu’elle entendait présumer que la requérante exerçait une influence déterminante et un contrôle effectif sur Total France sur la base de sa détention du capital de cette dernière à près de 100 %. Elle a enfin indiqué qu’elle avait l’intention de tenir la requérante pour solidairement responsable avec Total France du paiement de l’amende, puisqu’elles faisaient partie de l’entreprise qui avait commis l’infraction et que chacune des entités juridiques avait été destinataire de la communication des griefs.

109    Il s’ensuit que la requérante a effectivement eu connaissance du grief retenu contre elle et était en mesure d’y répondre tant dans le cadre de la réponse à la communication des griefs que lors de l’audition auprès du conseiller-auditeur. En particulier, elle avait la possibilité, au cours de la procédure administrative, de présenter tous ses arguments et éléments de preuve visant à démontrer que sa filiale, Total France, déterminait sa politique commerciale de façon autonome, de sorte qu’elle ne constituait pas, avec celle-ci, une entité économique unique et, par conséquent, une seule entreprise au sens de l’article 81 CE.

110    Ainsi, dès lors que la requérante a été mise en mesure de répondre à tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission s’est fondée dans la décision attaquée, que les motifs d’imputation de la responsabilité présentés dans la communication des griefs étaient parfaitement cohérents avec ceux apparaissant dans la décision attaquée et que, sur le plan formel, elle était destinataire de la communication des griefs, il y a lieu de conclure qu’elle n’a démontré aucune violation de ses droits de la défense, selon la jurisprudence reprise aux points 104 à 107 ci-dessus.

111    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments de la requérante.

112    La requérante fait valoir que la Commission a « effacé », dès le début de la décision attaquée, les différentes personnes morales appartenant aux différents groupes et les aurait réunies sous une dénomination unique, comme en témoigneraient le texte de la décision attaquée. En outre, la requérante critique, en particulier, la constatation effectuée au considérant 75, selon laquelle, « [l]es 28 et 29 avril 2005, la Commission a mené des inspections dans les locaux de Sasol (Allemagne), [de] H&R-Tudapetrol (Allemagne), [d’]Esso-ExxonMobil (Pays-Bas et Allemagne), [de] Total (France), [de] Repsol (Espagne), [de l’]ENI (Italie) et [de] MOL (Hongrie) », et celle effectuée au considérant 83, selon laquelle, « préalablement à la communication des griefs, la Commission a envoyé plusieurs demandes de renseignements aux entreprises concernées par la présente décision ». La requérante fait observer que les inspections et les demandes de renseignements n’ont été effectuées qu’à l’égard de certaines sociétés appartenant à ces groupes.

113    Dès lors, selon la requérante, la Commission a considéré que, une fois qu’elle avait pris des mesures d’instruction à l’égard d’une partie de l’entreprise en lui appliquant les garanties procédurales, ces mesures avaient été prises et les garanties procédurales étaient censées avoir été respectées à l’égard de toute l’entreprise et de chacune des personnes physiques ou morales la composant.

114    À cet égard, il convient de souligner que la requérante n’invoque aucune règle de droit qui aurait interdit à la Commission de regrouper diverses sociétés appartenant à un groupe sous une dénomination commune, aux fins de la rédaction de la communication des griefs et de la décision attaquée. Ce qui importe, c’est la motivation de l’imputation de la responsabilité de l’infraction à l’égard de chacune des sociétés, ainsi que la Commission l’a dûment fait dans le cas d’espèce.

115    De même, la requérante ne saurait valablement alléguer que la Commission a accordé des droits de la défense à l’entreprise, au sens du droit de la concurrence, et non aux sociétés qui la constituent. À cet égard, il suffit de rappeler que la requérante et Total France ont été toutes deux destinataires de la communication des griefs et que leur représentation distincte au cours de la procédure administrative a été assurée.

116    Il s’ensuit que le grief de la requérante, tiré de la violation de ses droits de la défense, doit être rejeté.

–       Sur la violation de la présomption d’innocence

117    Selon le considérant 101 de la décision attaquée, « [t]outes les entreprises auxquelles la […] décision [attaquée a été …] adressée ont généralement reconnu que les réunions avaient eu lieu et ont confirmé leurs dates et lieux respectifs sans toutefois donner forcément un avis sur la nature des décisions ».

118    La requérante relève que la conséquence du regroupement des diverses sociétés sous un nom de groupe est que, même si elle n’a pas reconnu les faits litigieux et n’a pas participé à l’infraction, la Commission lui a étendu la portée de l’affirmation de Total France, qui a reconnu sa participation aux réunions.

119    Une telle approche constituerait une grave atteinte à la présomption d’innocence à l’égard de la requérante dès lors qu’elle n’aurait jamais reconnu les faits litigieux, que ses salariés n’auraient jamais participé aux réunions pour son compte et qu’elle n’aurait même pas eu connaissance desdits faits.

120    De même, le regroupement sous la dénomination commune « Total » des sociétés autonomes que seraient la requérante et Total France démontrerait que la Commission avait préjugé de leur appartenance à une seule entreprise.

121    Il y a lieu de rappeler que la présomption d’innocence implique que toute personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Elle s’oppose ainsi à tout constat formel, et même à toute allusion, ayant pour objet la responsabilité d’une personne accusée d’une infraction donnée dans une décision mettant fin à l’instance, sans que cette personne ait pu bénéficier de toutes les garanties inhérentes à l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une procédure suivant son cours normal et aboutissant à une décision sur le bien-fondé de la contestation (arrêt du Tribunal du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission, T‑474/04, Rec. p. II‑4225, point 76).

122    Il convient également de relever que l’application du principe de la présomption d’innocence en matière de droit de la concurrence doit être adaptée au fait que, contrairement à la procédure pénale visant nécessairement une personne juridique (personne physique ou personne morale), le droit de la concurrence s’applique à l’entreprise, qui désigne une unité économique constituée, le cas échéant, de plusieurs personnes morales. De plus, les sociétés en tête de groupe sont libres de réorganiser leurs structures internes, notamment en créant des sociétés dotées d’une personnalité morale distincte pour certaines activités.

123    Dans de telles circonstances, afin de préserver l’effet utile du droit de la concurrence de l’Union, le seul fait pour une société mère d’avoir une filiale détenue à 100 %, ou presque, qui a participé directement à l’infraction peut suffire à la Commission pour fonder sa responsabilité. Une fois ce grief communiqué par la Commission, il appartient à la société mère d’apporter les preuves contraires afin de démontrer l’absence d’unité économique entre elle et sa filiale. La Commission a suivi cette approche dans le cas d’espèce, en examinant attentivement les preuves avancées par la requérante, et a ainsi respecté le principe de la présomption d’innocence.

124    Au demeurant, il y a lieu de relever que la participation directe de Total France aux réunions techniques de l’entente peut être établie sur la base des preuves documentaires et des déclarations des sociétés participantes, y compris Total France. Dès lors, le seul fait que la Commission aurait prétendument attribué une telle admission également à la requérante, en utilisant la dénomination commune « Total », ne saurait avoir d’incidence sur la légalité de la décision attaquée, de sorte que cet argument doit être rejeté comme étant inopérant.

125    Ensuite, la requérante ne saurait valablement prétendre que la Commission a préjugé de l’existence d’une unité économique entre elle et Total France en utilisant ladite dénomination commune, qui figurait déjà dans la communication des griefs.

126    En effet, la Commission a envoyé séparément à la requérante et à Total France la communication des griefs, dans laquelle les raisons pour lesquelles elle entendait conclure à l’unité économique entre ces deux sociétés étaient indiquées. Ainsi, la Commission a donné pleinement l’occasion à la requérante de démontrer l’absence d’unité économique entre la requérante et Total France (voir point 123 ci-dessus). Le prétendu préjugé auquel se réfère la requérante n’est en réalité rien d’autre que l’application d’une présomption, dont la légalité a été confirmée par le juge de l’Union (voir le point 35 ci-dessus).

127    Dès lors, les arguments avancés par la requérante ne démontrent aucune violation de la présomption d’innocence pouvant affecter la légalité de la décision attaquée.

128    Par conséquent, le second grief doit être également rejeté et, dès lors, la première branche du premier moyen dans son ensemble.

 Sur la deuxième branche, tirée d’une violation des droits de la défense de la requérante résultant de l’existence d’irrégularités procédurales commises au cours de la phase d’instruction

129    La requérante estime que des irrégularités procédurales ont été commises à son détriment pendant la phase d’instruction de la procédure administrative.

130    En premier lieu, elle reproche à la Commission de ne pas lui avoir notifié la décision d’inspection du 18 avril 2005. Elle estime que la Commission aurait dû l’informer, dès le 18 avril 2005, qu’elle était, avec sa filiale Total France, l’objet de son enquête et qu’elle suspectait sa participation à une infraction à l’article 81 CE. Une telle information préalable aurait été d’autant plus nécessaire que la politique de la Commission concernant l’imputation des infractions aux sociétés mères avait connu une évolution fondamentale, marquée, pour la première fois, par sa décision du 19 janvier 2005, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/ E-1/37.773 – AMCA).

131    En deuxième lieu, la requérante fait valoir qu’elle a été laissée dans l’ignorance du déroulement de la procédure administrative et, en particulier, qu’elle n’a reçu aucune demande de renseignements avant l’envoi de la communication des griefs. Or, en l’absence de demandes de renseignements, elle aurait été privée de la possibilité de s’exprimer sur l’organisation sociale de Total France et de ses rapports avec elle.

132    Ainsi qu’il a été rappelé aux points 104 et suivants, le respect des droits de la défense exige que l’intéressé ait été mis en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation concernant l’existence d’une infraction au traité et l’article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 constitue une application de ce principe dans la mesure où il prévoit l’envoi aux entités visées par la procédure menée par la Commission d’une communication des griefs qui doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure.

133    En outre, la Cour a déjà jugé que le principe de la responsabilité personnelle ne s’opposait pas à ce que la Commission envisage d’abord de sanctionner la société auteur d’une infraction aux règles de la concurrence avant d’explorer si, éventuellement, l’infraction peut être imputée à sa société mère (arrêt de la Cour du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 82).

134    Ainsi, dans la mesure où le destinataire d’une communication des griefs est mis en mesure de faire utilement connaître son point de vue au cours de la procédure administrative contradictoire sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués par la Commission, cette dernière n’est pas en principe tenue, contrairement à ce que soutient la requérante, d’adresser une mesure d’enquête à ce destinataire préalablement à l’envoi de la communication des griefs.

135    Or, dans le cas d’espèce, la requérante a été en mesure de faire utilement connaître son point de vue au cours de la procédure administrative en ce qui concerne sa responsabilité pour l’infraction commise par Total France. S’agissant de la prétendue évolution de la pratique de la Commission en cette matière, il suffit de rappeler que la Commission a exposé sa position à cet égard en détail aux points 228 à 235 de la communication des griefs, de sorte que la requérante a été mise en mesure de présenter tous ses arguments dans la réponse à la communication des griefs.

136    Au demeurant, il y a lieu d’observer que l’objet de la décision d’inspection est d’ordonner à la société visée de se soumettre à ladite inspection, en donnant accès à ses locaux et à son système informatique. La requérante n’invoque aucune règle de droit qui obligerait la Commission à envoyer une copie de ladite décision dans un cas où elle déciderait de ne pas effectuer une telle inspection dans ses locaux.

137    Dès lors, la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée.

 Sur la troisième branche, tirée d’une violation des droits de la défense de la requérante en raison du prétendu « raisonnement circulaire » de la Commission

138    La requérante fait valoir que la Commission a utilisé un « raisonnement circulaire ». En effet, cette dernière lui aurait imputé l’infraction sur la base d’une présomption fondée sur les seuls liens capitalistiques l’unissant à Total France. Ensuite, elle aurait écarté ses arguments visant au renversement de ladite présomption par la démonstration de son rôle limité au sein du groupe Total. Cela indiquerait qu’il s’agissait d’une « présomption de culpabilité irréfragable ».

139    À cet égard, il suffit de rappeler que l’application de la présomption d’innocence doit être adaptée au droit de la concurrence, qui s’applique à l’entreprise, composée, le cas échéant, de plusieurs personnes morales. Dès lors, le seul fait, pour une société mère, d’avoir une filiale détenue à 100 %, ou presque, qui a participé directement à l’infraction peut suffire à la Commission pour fonder sa responsabilité. Une fois ce grief communiqué par la Commission, il appartient à la société mère d’apporter les preuves contraires afin de démontrer l’absence d’unité économique entre elle et sa filiale (voir le point 123 ci-dessus).

140    Afin de renverser une telle présomption, il convient d’établir que les mécanismes conduisant habituellement à l’alignement du comportement commercial de la filiale sur celui de sa seule société mère n’ont pas fonctionné. Le seul fait que la requérante n’ait pas été en mesure de renverser la présomption dans le cas d’espèce ne démontre nullement que celle-ci aurait été irréfragable (voir points 41 à 44 et 101 ci-dessus).

141    Au vu de ce qui précède, la troisième branche du premier moyen doit également être rejetée et, dès lors, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une contradiction de motifs dans la décision attaquée

 Sur la première branche, tirée d’une prétendue contradiction de motifs quant à la nécessité de vérifier l’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de la filiale sur le marché

142    La requérante soulève que, aux considérants 332 et 333 de la décision attaquée, la Commission a affirmé qu’elle n’était pas tenue de vérifier si une société mère avait effectivement exercé une influence déterminante sur sa filiale alors que, au considérant 576, elle a reconnu que, « dans le cas de sociétés mères, la responsabilité [était] établie sur la base de leur exercice d’un contrôle effectif de la politique commerciale des filiales » incriminées.

143    À cet égard, il y lieu de relever que, selon le considérant 143 de la décision attaquée, « il suffit à la Commission de prouver que l’intégralité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère et que cette situation crée une présomption que la société mère exerce une influence déterminante sans qu’il soit nécessaire d’apporter quelque indice supplémentaire ». Dès lors, il ressort de la décision attaquée que l’exercice du contrôle effectif, visé par le considérant 576, peut être établi par application d’une présomption, décrite au considérant 333.

144    Dès lors, il n’existe pas de contradiction entre le considérant 576 de la décision attaquée, d’une part, et les considérants 332 et 333 de cette même décision, d’autre part.

145    La requérante fait également valoir que, aux considérants 370 et 574 de la décision attaquée, la Commission a affirmé qu’elle identifiait les entités d’une entreprise responsables d’une infraction sur la base d’une appréciation au cas par cas. La Commission aurait pourtant adopté un « raisonnement circulaire » identique pour tous les groupes de sociétés, lequel reposerait notamment sur les considérants 332 et 333 de la décision attaquée.

146    Force est de constater que le caractère suffisant de la détention par les sociétés mères de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de leurs filiales pour fonder la présomption de responsabilité des sociétés mères justifie également que la Commission n’a procédé à une analyse au cas par cas que dans la mesure où les différents destinataires de la décision attaquée avaient avancé des éléments afin de renverser ladite présomption.

147    Partant, il y a lieu de conclure qu’une interprétation correcte de la présomption en cause permet de constater la cohérence des considérants de la décision attaquée opposés par la requérante, de sorte qu’il n’existe pas non plus de contradiction à cet égard.

148    Ainsi, il convient de rejeter la première branche du deuxième moyen.

 Sur la seconde branche, tirée d’une prétendue contradiction quant à la teneur du contrôle de l’établissement de l’imputabilité de l’infraction à la société mère

149    En premier lieu, la requérante relève que, aux considérants 333, 577, 578 et 580 de la décision attaquée, la Commission a soutenu qu’il ne suffisait pas, pour renverser la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement commercial de sa filiale, d’établir l’autonomie de la filiale en matière de politique commerciale, et en particulier dans le domaine spécifique ayant fait l’objet de l’infraction. Pourtant, au considérant 331 de la décision attaquée, la Commission serait partie du principe selon lequel, « [s]i une filiale ne détermine pas de façon autonome son propre comportement sur le marché, la société responsable de sa politique commerciale forme une entité économique unique avec la filiale », reconnaissant ainsi que c’est bien en ce qui concerne la politique commerciale appliquée sur les marchés affectés par l’infraction que la société mère doit établir l’autonomie de sa filiale.

150    En second lieu, la requérante relève que, selon le considérant 332 de la décision attaquée, la société mère peut renverser la présomption d’exercice d’influence déterminante « en produisant des preuves suffisantes montrant que la filiale a ‘déterminé de façon autonome son comportement sur le marché au lieu d’appliquer les instructions de sa société mère’ ». En application de ce principe, la Commission aurait dû examiner avec attention tout élément à décharge tiré de l’absence d’instructions de la requérante à Total France quant aux marchés concernés. Pourtant, au considérant 580 de la décision attaquée, la Commission aurait rejeté essentiellement comme inopérant l’argument de la requérante selon lequel elle n’avait jamais donné d’instructions à sa filiale concernant la mise en œuvre de sa politique commerciale sur les marchés des cires de paraffine et du gatsch.

151    Il y a lieu de relever que la requérante fonde, en substance, son argumentation sur la prémisse que, afin de renverser la présomption appliquée par la Commission en l’espèce, il lui incombait d’apporter la preuve de l’autonomie de Total France en ce qui concerne la politique commerciale stricto sensu, et ce, de surcroît, s’agissant du marché des produits cartellisés.

152    Or, il convient de rappeler que ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise telle que décrite par la jurisprudence citée au point 27 ci-dessus, qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés. Ainsi, la démonstration du fait que la politique commerciale stricto sensu et la gestion quotidienne de la filiale sont entièrement confiées aux organes et gestionnaires de celle-ci ne suffit pas pour renverser la présomption (arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, point 71 supra, points 58 et 83).

153    La requérante n’ayant donc démontré aucune contradiction dans la décision attaquée à cet égard, il y a lieu de rejeter la seconde branche et, dès lors, l’ensemble du deuxième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation des principes de responsabilité personnelle, d’individualité des peines et des sanctions et de légalité des délits et des peines

 Sur la première branche, tirée d’une violation des principes de responsabilité personnelle et d’individualité des peines et des sanctions

154    La requérante soutient que la Commission a violé le principe d’individualité des peines et des sanctions. Elle fait valoir que rien dans la décision attaquée, hormis la constatation objective qu’elle détient près de 100 % du capital de sa filiale Total France, ne permet de caractériser, à son égard, « un rôle et un comportement dirigistes » privant ladite filiale d’autonomie au sein de la prétendue entreprise formée par ces deux sociétés. Elle considère qu’il n’existe aucune circonstance propre à la présente espèce qui démontre qu’elle a exercé un contrôle effectif sur la politique commerciale de sa filiale.

155    En vertu du principe d’individualité des peines et des sanctions, qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en vertu des règles de la concurrence de l’Union, une entreprise ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T‑45/98 et T‑47/98, Rec. p. II‑3757, point 63).

156    Toutefois, ce principe doit se concilier avec la notion d’entreprise et avec la jurisprudence selon laquelle le fait que la société mère et sa filiale constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés. Ainsi, il doit être constaté que la requérante a été personnellement sanctionnée pour l’infraction qu’elle est censée avoir commise elle-même en raison des liens économiques et juridiques étroits qui l’unissait à Total France, résultant de la détention de la quasi-totalité du capital de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt Metsä-Serla e.a./Commission, point 31 supra, point 34).

157    Il ressort de ce qui précède que la Commission a pu constater, sur la base de la présomption en cause, non renversée dans le cas d’espèce, que la requérante faisait partie de l’« entreprise » qui avait enfreint l’article 81 CE. Dès lors, les principes de la responsabilité personnelle et d’individualité des peines et des sanctions ont été respectés, de sorte que la présente branche doit être rejetée.

 Sur la seconde branche, tirée d’une violation du principe de légalité des délits et des peines

158    La requérante fait valoir que la Commission a violé le principe de légalité des délits et des peines en retenant sa responsabilité au seul motif qu’elle aurait formé une entreprise avec sa filiale Total France.

159    Le principe de légalité des délits et des peines exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (arrêt de la Cour 22 mai 2008, Evonik Degussa/Commission, C‑266/06 P, non publié au Recueil, point 39).

160    Il convient de relever que, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises qui commettent notamment une infraction aux dispositions de l’article 81 CE.

161    En l’espèce, eu égard aux dispositions précitées et dans la mesure où il a été considéré que la requérante et sa filiale, Total France, formaient une entreprise, au sens de l’article 81 CE, c’est sans violer le principe de légalité des délits et des peines que la Commission a tenu la requérante pour solidairement responsable du paiement de l’amende infligée en vertu de l’article 2, sous c), de la décision attaquée.

162    Au demeurant, il y a lieu d’ajouter que la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement commercial de sa filiale détenue à 100 %, ou presque, existe dans l’ordre juridique de l’Union au moins depuis l’arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission (107/82, Rec. p. 3151). En conséquence, il convient de rejeter la présente branche et, dès lors, le cinquième moyen dans son ensemble.

 Sur le sixième moyen, tiré d’une violation des principes de sécurité juridique et de bonne administration

 Sur la première branche, concernant le principe de sécurité juridique

163    Selon la requérante, la position de la Commission contenue dans la décision attaquée met « gravement en péril » la sécurité juridique à laquelle elle pouvait légitimement prétendre sur la base de la jurisprudence qu’elle cite dans le cadre du troisième moyen. En effet, le fait de lui imputer l’infraction qu’aurait commise sa filiale reposerait sur un « critère nouveau » qui serait fondé sur la seule structure de détention du capital.

164    En premier lieu, il convient de relever que la requérante admet elle-même que la présomption appliquée par la Commission l’avait déjà été avant l’adoption de la décision attaquée, notamment dans la décision de la Commission du 19 janvier 2005 (voir point 130 ci-dessus), dont étaient notamment destinataires certaines filiales de la requérante.

165    En second lieu, ainsi qu’il a été précisé aux points 60 et 61 de l’arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 27 supra, la présomption appliquée par la Commission ressort de la jurisprudence antérieure à l’adoption de la décision attaquée (en particulier de l’arrêt AEG-Telefunken/Commission, point 162 supra, point 50, et de l’arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, points 28 et 29).

166    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas violé le principe de sécurité juridique en imputant à la requérante la responsabilité des infractions commises par sa filiale, Total France.

 Sur la seconde branche, concernant le principe de bonne administration

167    La requérante fait valoir que, durant la procédure administrative, la Commission a violé à plusieurs égards le principe de bonne administration.

168    En premier lieu, elle relève que le principe de bonne administration imposait à la Commission d’examiner avec soin et impartialité la situation de chacune des sociétés mères impliquées dans la présente affaire, et plus particulièrement les éléments à décharge qu’elle lui avait soumis. Or, en l’espèce, la Commission ne se serait nullement préoccupée des circonstances caractérisant les relations intragroupe de chacune des parties impliquées dans la présente affaire. Au contraire, elle aurait fondé la décision attaquée pour toutes les parties sur le même « raisonnement circulaire ». Sur cette base, elle aurait refusé d’apprécier la situation au cas par cas.

169    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans les cas où les institutions de l’Union disposent d’un pouvoir d’appréciation afin d’être en mesure de remplir leurs fonctions, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figure notamment l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec. p. I‑5469, point 14, et arrêt du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T‑44/90, Rec. p. II‑1, point 86).

170    Dans le cas d’espèce, la requérante ne saurait valablement reprocher à la Commission une absence d’examen au cas par cas des éléments pouvant établir l’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement commercial de sa filiale. Ainsi qu’il a été relevé au point 146 ci-dessus, un tel examen n’était pas nécessaire, au vu du caractère suffisant de la détention de la totalité ou de la quasi-totalité du capital des filiales pour fonder la présomption, de sorte que la Commission pouvait légitimement limiter son examen aux éléments avancés afin de renverser la présomption.

171    En second lieu, selon la requérante, le principe de bonne administration exigeait que, à la suite de la demande formulée dans la réponse à la communication des griefs, la Commission suspende la procédure dans l’attente des décisions dans les affaires pendantes devant le Tribunal concernant certaines décisions de la Commission appliquant la présomption en cause, notamment la décision AMCA (voir point 130 ci-dessus).

172    À cet égard, le Tribunal considère que l’accomplissement de la mission de la Commission en matière de concurrence ne saurait être entravé simplement parce que sa décision risque d’être annulée par le juge de l’Union. Par ailleurs, si la Commission avait accédé à la demande de la requérante, elle aurait risqué de se voir appliquer la prescription en matière d’amendes, étant donné que la procédure juridictionnelle concernant une décision adoptée dans une autre affaire n’entraîne pas la suspension de ladite prescription.

173    En conséquence, il convient de rejeter la présente branche et, dès lors, le sixième moyen dans son ensemble.

 Sur le septième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

174    La requérante estime que, en lui imputant la responsabilité de l’entente litigieuse et en la condamnant à une amende solidairement avec sa filiale, la Commission a détourné les pouvoirs qu’elle détenait en vertu du règlement n° 1/2003, en particulier en vertu de l’article 23, paragraphe 2, de celui-ci. En effet, les sanctions qui lui ont été imposées auraient été détournées de leur objectif légitime, à savoir sanctionner une entreprise donnée pour une infraction aux règles de la concurrence qu’elle a commise. La Commission aurait poursuivi un autre objectif, celui de « maximiser » la sanction de sa filiale, Total France, ce qui aurait été rendu possible par l’imputation de la responsabilité de l’infraction commise par la filiale à la société mère, dont le chiffre d’affaires devait dès lors être pris en compte pour le calcul du montant de l’amende.

175    À cet égard, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (voir arrêt du Tribunal du 16 septembre 1998, IECC/Commission, T‑133/95 et T‑204/95, Rec. p. II‑3645, point 188, et la jurisprudence citée).

176    Il y a également lieu de rappeler que, conformément aux sanctions prévues à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises qui commettent une infraction à l’article 81 CE. Il est établi que les sanctions prévues à l’article 23 du règlement n° 1/2003 ont pour but de réprimer des comportements illicites aussi bien que d’en prévenir le renouvellement (voir arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑497, point 218, et la jurisprudence citée).

177    Dès lors, dans la mesure où la requérante et Total France forment une entreprise au sens de l’article 81 CE, que ladite entreprise a participé à une entente sur les marchés de paraffine et de gatsch et s’est vu infliger à ce titre une amende en vertu de la décision attaquée, le pouvoir d’imposer ladite amende n’a en rien été détourné de sa finalité.

178    Ainsi, le septième moyen doit également être rejeté.

 Sur l’exception d’illégalité soulevée contre le règlement n° 1/2003 par la requérante à l’audience

179    À l’audience, la requérante a soulevé que le règlement n° 1/2003 n’est pas compatible avec l’article 41 de la charte des droits fondamentaux, puisqu’il prévoit que la Commission détient et exerce simultanément les pouvoirs d’enquête, de poursuite et de sanction. Un tel cumul de pouvoirs dans la main d’un seul organe serait incompatible avec l’exigence de traitement impartial des affaires, établie à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux.

180    La Commission estime que ce moyen est irrecevable, puisqu’il n’a pas été soulevé dans la requête.

181    Selon la jurisprudence, le juge de l’Union européenne est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond un moyen, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C-23/00 P, Rec. p. I-1873, points 51 et 52, et du 23 mars 2004, France/Commission, C‑233/02, Rec. p. I‑2759, point 26 ; arrêt du Tribunal du 18 mars 2010, KEK Diavlos/Commission, T‑190/07, non publié au Recueil, point 32).

182    Selon l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union.

183    En outre, il y a lieu de souligner que le droit de la concurrence a, certes, un caractère quasi pénal, mais qu’il ne fait toutefois pas partie du « cœur » du droit pénal (voir Cour eur. D. H., arrêt Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006, n° 73053/01, Recueil des arrêts et des décisions, 2006-XIV, § 43).

184    Or, en dehors du « noyau dur » du droit pénal, les garanties en matière pénale consacrées à l’article 6 de la CEDH n’ont pas nécessairement vocation à s’appliquer dans toute leur rigueur.

185    En matière de droit de la concurrence, cela signifie que les amendes réprimant des infractions au droit des ententes ne doivent pas obligatoirement être infligées par une juridiction indépendante, mais que, au contraire, la compétence pour le faire peut, en principe, être transférée également à une autorité administrative. Cela répond aux exigences de l’article 6 de la CEDH et de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux dans la mesure où l’entreprise concernée peut soumettre toute décision infligeant une amende au contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction.

186    Or, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au points 188 et 189 ci-après, le Tribunal a le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision de la Commission infligeant des amendes pour la violation de l’article 81 CE.

187    Dès lors, l’exception d’illégalité soulevée par la requérante doit être rejetée comme non fondée.

2.     Sur les moyens soulevés au soutien des conclusions en réformation

188    Il convient de rappeler que le contrôle de légalité des décisions adoptées par la Commission est complété par la compétence de pleine juridiction, qui est reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement n° 1/2003, conformément à l’article 229 CE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée. Le contrôle prévu par les traités implique donc, conformément aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective figurant à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, que le juge de l’Union exerce un contrôle tant de droit que de fait et qu’il a le pouvoir d’apprécier les preuves, d’annuler la décision attaquée et de modifier le montant des amendes (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331, points 60 à 62, et arrêt du Tribunal du 21 octobre 2003, General Motors Nederland et Opel Nederland/Commission, T‑368/00, Rec. p. II‑4491, point 181).

189    Il appartient, dès lors, au Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, d’apprécier, à la date où il adopte sa décision, si la partie requérante s’est vu infliger une amende dont le montant reflète correctement la gravité et la durée de l’infraction en cause, de sorte que ladite amende revête un caractère proportionné par rapport aux critères prévus à l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, Aristrain/Commission, T‑156/94, Rec. p. II‑645, points 584 à 586, et du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 93).

190    Il importe cependant de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et de rappeler que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire.

 Sur le huitième moyen, tiré de la violation des lignes directrices de 2006 et du caractère disproportionné du montant de l’amende

191    À titre subsidiaire, la requérante demande la suppression de l’amende qui lui a été infligée.

192    Elle estime que la Commission a violé les lignes directrices de 2006 ainsi que l’exigence relative au caractère proportionné du montant de l’amende, puisque le montant final de l’amende qui lui a été infligée à elle et à Total France serait « totalement déconnecté » de la valeur des ventes des produits concernés par la prétendue infraction. La Commission aurait estimé que la valeur des ventes en cause pour Total France était de 31 133 865 euros, tandis que l’amende infligée solidairement à Total France et à la requérante serait de 128 163 000 euros, c’est-à-dire plus de 410 % de la valeur des ventes annuelles des produits en cause.

193    En premier lieu, selon les lignes directrices de 2006, pour le calcul du montant de l’amende, le montant de base de l’amende doit être lié à une proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction. En règle générale, la proportion de la valeur des ventes prise en compte doit être fixée à un niveau pouvant aller jusqu’à 30 % (paragraphes 19 et 21 des lignes directrices de 2006).

194    En outre, indépendamment de la durée de la participation d’une entreprise à l’infraction, la Commission doit inclure dans le montant de base une somme comprise entre 15 et 25 % de la valeur des ventes, afin de dissuader les entreprises de même participer à des accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production (paragraphe 25 des lignes directrices de 2006).

195    Il s’ensuit que la requérante ne saurait valablement reprocher à la Commission d’avoir fixé un montant d’amende « totalement déconnecté » de la valeur des ventes annuelles, puisque, aux fins du calcul du montant de base de l’amende, il convient d’utiliser un coefficient multiplicateur correspondant à la durée de l’infraction.

196    En effet, dans le cas d’espèce, pour la valeur des ventes du groupe Total des produits concernés par l’infraction, la Commission a retenu un chiffre d’affaires de 31 133 865 euros (considérant 640 de la décision attaquée). Le coefficient multiplicateur a été fixé à treize, eu égard à la durée de participation du groupe Total à l’infraction de douze ans et sept mois (considérant 656 de la décision attaquée).

197    En application des critères retenus dans les lignes directrices de 2006, le montant de base a été calculé sur la base d’une proportion de respectivement 18 et 15 % de la valeur des ventes pour la paraffine et le gatsch, multipliée par le nombre d’années d’infraction, et majorée d’un montant additionnel de respectivement 18 et 15 % au titre de l’effet dissuasif, en application du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006 (considérants 653 et 661 de la décision attaquée).

198    Dès lors, le calcul effectué par la Commission dans la décision attaquée est entièrement conforme aux lignes directrices de 2006.

199    En second lieu, il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence citée au point 189 ci-dessus, le montant de l’amende doit être proportionné par rapport à la gravité et à la durée de l’infraction à laquelle la requérante a participé.

200    En outre, selon la jurisprudence, l’effet dissuasif des amendes serait amoindri si les entreprises ayant commis une infraction au droit de la concurrence pouvaient espérer que leur comportement soit puni d’une amende d’un montant inférieur au profit susceptible d’être tiré dudit comportement (arrêts du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487, point 456, et du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑497, point 227).

201    Or, si la thèse de la requérante était retenue, et s’il y avait lieu d’examiner la proportionnalité du montant final de l’amende par rapport à la valeur des ventes des produits concernés d’une seule année, cela impliquerait que, par l’application dudit principe, le montant de l’amende pouvant être infligée demeurerait inchangé malgré l’augmentation du nombre d’années de participation à l’entente, tandis que le profit indûment tiré de l’infraction augmenterait linéairement avec l’augmentation du nombre d’années. Ainsi, plus la durée de participation à l’entente serait longue, plus le montant de l’amende auquel les participants pourraient s’attendre par rapport au profit indu qu’ils en tirent deviendrait négligeable. Dès lors, l’application de l’exigence de proportionnalité du montant de l’amende, telle que préconisée par la requérante, viderait les sanctions infligées au titre du règlement n° 1/2003 de tout effet utile dans le cas d’infractions de longue durée, comme celle de l’espèce.

202    De plus, l’approche préconisée par la requérante empêcherait la Commission et le Tribunal d’assurer, conformément à l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, que le montant de l’amende infligée aux participants à l’entente soit proportionné non seulement à la gravité, mais aussi à la durée de l’infraction commise.

203    Il s’ensuit que la valeur annuelle des ventes ne saurait, en soi, être prise en compte comme fondement pour l’examen du caractère proportionné du montant de l’amende, surtout dans le cas d’une infraction de longue durée, comme celle de l’espèce, à laquelle la requérante a participé pendant plus de douze ans et demi.

204    Partant, le huitième moyen doit être rejeté.

 Sur le neuvième moyen, tiré de la détermination prétendument erronée de la gravité et de la durée des pratiques alléguées et d’une « violation caractérisée » des droits de la défense de la requérante

 Sur la première branche, tirée de la détermination prétendument erronée de la gravité et de la durée des pratiques alléguées

205    À titre encore plus subsidiaire, la requérante demande la réduction significative du montant de l’amende qui lui a été infligée.

206    Elle considère que le montant de l’amende fixé par la Commission dans la décision attaquée doit être réduit au motif que les pratiques alléguées n’ont eu ni la gravité ni la durée que la Commission entend leur attribuer.

207    La Commission considère que la présente branche est irrecevable, étant donné qu’elle n’est pas suffisamment développée.

208    En premier lieu, la requérante critique l’affirmation figurant dans la décision attaquée selon laquelle les réunions auxquelles a participé Total France avaient pour objectif la fixation des prix ainsi que la répartition des marchés et des clients. En ce qui concerne le gatsch, la Commission aurait prétendu que l’infraction en cause était une entente sur les prix appliqués aux clients finaux en Allemagne. Cette analyse serait erronée, puisque les pièces invoquées par la Commission permettraient uniquement de retenir à l’encontre de Total France le grief d’échange d’informations lors de « réunions techniques ». S’agissant du gatsch, quand bien même une telle infraction serait caractérisée, son impact géographique extrêmement limité rendrait très relative sa gravité.

209    Il y a lieu de relever que la Commission est arrivée à ces conclusions au terme d’une analyse extrêmement détaillée de 60 pages des éléments de preuve qu’elle a recueillis au cours de son enquête (considérants 98 à 178 de la décision attaquée). La requérante ne précise aucun passage en particulier de la décision attaquée où figurerait une erreur de fait ou d’appréciation. De même, elle n’apporte aucune preuve et ne fait référence à aucune règle de droit au soutien de sa contestation des constatations de la Commission.

210    Dès lors, ce grief de la requérante est dépourvu de tout fondement.

211    En deuxième lieu, s’agissant de la mise en œuvre de l’infraction, la requérante estime que la motivation de la décision attaquée est insuffisante et que l’absence d’effets des pratiques alléguées sur le marché pertinent devrait être prise en compte aux fins du calcul du montant de base de l’amende.

212    Bien que le présent grief a été soulevé au soutien d’une conclusion en réformation, il convient de relever qu’il contient des arguments portant sur l’insuffisance de motivation de la décision attaquée. Or, l’examen à cet égard relève du contrôle de la légalité de la décision attaquée que le Tribunal exerce en vertu de l’article 230 CE. En tout état de cause, dans un souci d’exhaustivité, il convient à répondre au grief de la requérante tel qu’il a été présenté dans la requête.

213    À cet égard, il y a lieu une nouvelle fois de souligner que la Commission a effectué une analyse extrêmement détaillée des éléments de preuve qu’elle a recueillis au cours de son enquête (considérants 98 à 178 de la décision attaquée). Cette analyse démontre que les pratiques collusoires concernaient, en l’espèce, notamment la fixation des prix et que les réunions au cours desquelles des hausses de prix ont été discutées ou déterminées ont souvent abouti à des annulations de prix vis-à-vis des clients et à des annonces de hausses, les prix ainsi annoncés ayant servi de base pour la fixation des prix pratiqués lors de transactions individuelles (voir les considérants 113 et 299 de la décision attaquée). De même, lorsque, eu égard aux conditions du marché, les participants à l’entente sont convenus d’un maintien du niveau des prix, celui-ci est également à considérer comme faisant partie de la mise en œuvre de l’infraction unique, complexe et continue de l’espèce.

214    Dès lors, le Tribunal estime que les constatations de la décision attaquée relatives à la mise en œuvre de l’infraction sont suffisamment motivées. En outre, la requérante n’avance aucune argumentation spécifique pour remettre en cause le bien-fondé desdites constatations. Par conséquent, il y a lieu de rejeter son grief portant sur la mise en œuvre de l’infraction.

215    En troisième lieu, la requérante fait valoir que, en ce qui concerne Total France, la Commission a erronément retenu comme date de fin de participation à l’infraction relative aux cires de paraffine le 28 avril 2005. En effet, Total France aurait cessé de participer aux « réunions techniques » après la réunion des 11 et 12 mai 2004. Par ailleurs, la Commission aurait dû aussi prendre en considération la prétendue interruption de la participation à l’infraction de Total France entre la réunion des 25 et 26 mai 2000 et celle des 26 et 27 juin 2001.

216    Pour ce qui est du volet de l’infraction relatif au gatsch, il ressortirait des pièces du dossier de la Commission et de l’analyse des prétendues réunions litigieuses que la participation de Total France à ce volet de l’infraction ne peut être retenue que pour la réunion du 12 mai 2004.

217    Le Tribunal constate que, dans la décision attaquée, la Commission a expliqué en détail, aux considérants 101 et 102 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles l’interruption de la participation de Total France alléguée par la requérante n’affectait pas son appréciation. En outre, la décision attaquée contient également une analyse détaillée relative à la notion d’infraction unique et continue (considérants 257 à 265) et à son application au cas d’espèce (considérants 266 à 298). Quant à la participation de Total France à l’entente postérieurement à la réunion technique des 11 et 12 mai 2004, la décision attaquée expose en détail, au considérant 602, les raisons pour lesquelles la Commission a considéré que la participation de la requérante n’a pas pris fin avant les inspections.

218    Il y a lieu de relever que la requérante ne spécifie aucun passage particulier qui serait entaché d’une erreur ni n’avance d’argument précis ou de preuve contraire susceptibles d’invalider les conclusions de la Commission.

219    Dans ces circonstances, le Tribunal conclut que la requérante n’a pas démontré l’existence d’une erreur de la Commission qui justifierait de devoir reconsidérer la gravité et la durée de l’infraction commise directement par Total France et imputée à la requérante.

220    Dès lors, la première branche du neuvième moyen doit être rejetée.

 Sur la seconde branche, tirée d’une « violation caractérisée » des droits de la défense de la requérante

221    La requérante fait valoir qu’elle a démontré que des irrégularités procédurales avaient été commises pendant la phase d’instruction de la procédure administrative, qu’elles avaient sérieusement affecté ses possibilités ultérieures de défense et que l’approche adoptée par la Commission avait porté atteinte à sa présomption d’innocence en rendant irréfragable la présomption d’influence déterminante. Dès lors, elle devrait bénéficier d’une réduction significative du montant de l’amende qui lui a été imposée par la Commission dans la décision attaquée.

222    À cet égard, il y a lieu de rappeler l’analyse effectuée dans le cadre des premier et deuxième moyens, dont il ressort que la requérante n’a démontré aucune violation de ses droits de la défense ni du principe de la présomption d’innocence.

223    Par conséquent, il convient de rejeter également la seconde branche du neuvième moyen et, dès lors, le neuvième moyen dans son ensemble.

224    S’agissant de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal conclut que la requérante n’a démontré aucune erreur ou irrégularité dans la décision attaquée qui justifierait la suppression de l’amende qui lui a été infligée ou la réduction du montant de celle-ci. Il estime également que, au regard de toutes les circonstances de l’espèce, en particulier de la gravité et de la durée de l’infraction commise par la requérante, le montant de l’amende infligée à cette dernière est approprié.

225    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.



 Sur les dépens

226    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Total SA supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Czúcz

Labucka

O’Higgins

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 septembre 2013.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige et décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

1.  Sur les moyens soulevés au soutien des conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée en ce qu’elle concerne la requérante

Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des règles relatives à l’imputation de la responsabilité du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère

Sur la première branche, concernant la constatation prétendument erronée selon laquelle la Commission n’est pas tenue de produire des éléments corroborant la présomption d’exercice d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement de sa filiale

Sur la seconde branche, tirée d’une violation du « principe d’autonomie économique de la personne morale »

Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation

Sur la première branche, concernant la nomination des membres du conseil d’administration de Total France par la requérante

Sur la seconde branche, concernant l’appréciation des indices apportés par la requérante afin de renverser la présomption d’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de la filiale sur le marché

–  Sur l’absence de chevauchement de la direction de la requérante et de celle de Total France

–  Sur la prétendue définition autonome par Total France de sa stratégie commerciale

–  Sur la prétendue « pleine autonomie financière » de Total France et la faible proportion des ventes de cires de paraffine dans le chiffre d’affaires de celle-ci

–  Sur les allégations selon lesquelles Total France n’informait pas la requérante de son activité sur le marché

–  Sur les allégations selon lesquelles Total France n’était pas subordonnée aux instructions de la requérante et agissait en son propre nom et pour son propre compte

Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense de la requérante et du principe de la présomption d’innocence

Sur la première branche, tirée d’une erreur concernant le champ d’application ratione personae du principe du respect des droits de la défense et du principe de la présomption d’innocence

–  Sur la violation du principe des droits de la défense

–  Sur la violation de la présomption d’innocence

Sur la deuxième branche, tirée d’une violation des droits de la défense de la requérante résultant de l’existence d’irrégularités procédurales commises au cours de la phase d’instruction

Sur la troisième branche, tirée d’une violation des droits de la défense de la requérante en raison du prétendu « raisonnement circulaire » de la Commission

Sur le deuxième moyen, tiré d’une contradiction de motifs dans la décision attaquée

Sur la première branche, tirée d’une prétendue contradiction de motifs quant à la nécessité de vérifier l’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur le comportement commercial de la filiale sur le marché

Sur la seconde branche, tirée d’une prétendue contradiction quant à la teneur du contrôle de l’établissement de l’imputabilité de l’infraction à la société mère

Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation des principes de responsabilité personnelle, d’individualité des peines et des sanctions et de légalité des délits et des peines

Sur la première branche, tirée d’une violation des principes de responsabilité personnelle et d’individualité des peines et des sanctions

Sur la seconde branche, tirée d’une violation du principe de légalité des délits et des peines

Sur le sixième moyen, tiré d’une violation des principes de sécurité juridique et de bonne administration

Sur la première branche, concernant le principe de sécurité juridique

Sur la seconde branche, concernant le principe de bonne administration

Sur le septième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

Sur l’exception d’illégalité soulevée contre le règlement n° 1/2003 par la requérante à l’audience

2.  Sur les moyens soulevés au soutien des conclusions en réformation

Sur le huitième moyen, tiré de la violation des lignes directrices de 2006 et du caractère disproportionné du montant de l’amende

Sur le neuvième moyen, tiré de la détermination prétendument erronée de la gravité et de la durée des pratiques alléguées et d’une « violation caractérisée » des droits de la défense de la requérante

Sur la première branche, tirée de la détermination prétendument erronée de la gravité et de la durée des pratiques alléguées

Sur la seconde branche, tirée d’une « violation caractérisée » des droits de la défense de la requérante

Sur les dépens


* Langue de procédure : le français.