Language of document : ECLI:EU:C:2013:748

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

7 novembre 2013 (*)

«Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Procédures d’insolvabilité – Effets de la procédure d’insolvabilité sur l’instance en cours – Disposition nationale prévoyant la suspension d’une affaire en cas d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité – Décision d’une juridiction nationale statuant en dernière instance qui ne respecte pas cette exigence – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à un recours effectif – Mise en œuvre du droit de l’Union – Absence – Incompétence manifeste de la Cour»

Dans l’affaire C‑371/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Sibiu (Roumanie), par décision du 28 mars 2013, parvenue à la Cour le 2 juillet 2013, dans la procédure

SC Schuster & Co Ecologic SRL

contre

Direcţia Generală a Finanţelor Publice a Judeţului Sibiu – Activitatea de Inspecţie Fiscală,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. A. Borg Barthet, président de la sixième chambre, faisant fonction de président de chambre, M. E. Levits et Mme M. Berger (rapporteur), juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SC Schuster & Co Ecologic SRL (ci-après «SC Schuster») à la Direcţia Generală a Finanţelor Publice a Judeţului Sibiu – Activitatea de Inspecţie Fiscală (direction générale des finances publiques de Sibiu – activité de contrôle fiscal, ci-après la «DGFPS»), au sujet de la légalité d’un avis d’imposition et d’une décision ordonnant des mesures conservatoires portant sur les biens de la requérante au principal (ci‑après les «décisions litigieuses»).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 15 du règlement (CE) nº 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO L 160, p. 1), intitulé «Effets de la procédure d’insolvabilité sur les instances en cours», dispose:

«Les effets de la procédure d’insolvabilité sur une instance en cours concernant un bien ou un droit dont le débiteur est dessaisi sont régis exclusivement par la loi de l’État membre dans lequel cette instance est en cours.»

 Le droit roumain

4        L’article 243, paragraphe 1, point 5, du code de procédure civile prévoit:

«L’instance est suspendue d’office: [...] par l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à l’égard du requérant, en vertu d’une décision de justice irrévocable.»

5        L’article 315 du code de procédure civile dispose:

«(1)      En cas de cassation, les décisions de la juridiction du pourvoi concernant les questions de droit sur lesquelles il a été statué, ainsi que la nécessité d’administrer des preuves, sont obligatoires pour les juges du fond.

[...]

(3)      Après cassation, la juridiction du fond se prononcera à nouveau, en tenant compte de tous les moyens invoqués devant la juridiction dont la décision a été cassée.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

6        SC Schuster a demandé l’annulation des décisions litigieuses dans le cadre d’un recours contentieux administratif, en matière fiscale, devant la juridiction de renvoi.

7        Après l’introduction du recours par cette société, une procédure d’insolvabilité a été ouverte à son encontre par jugement civil et, en conséquence, l’instance au principal a été suspendue en application de l’article 243, paragraphe 1, point 5, du code de procédure civile, par décision de la juridiction de renvoi du 20 octobre 2011. Cette décision a toutefois été cassée par la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia), saisie sur pourvoi de la DGFPS, et l’affaire a été renvoyée devant la juridiction de renvoi.

8        Dans le cadre de la procédure d’insolvabilité, la DGFPS, en tant que créancier, a demandé l’admission de sa créance et l’inscription du montant de celle-ci dans le tableau préliminaire des créances. Cette demande a fait l’objet d’une contestation de la part de SC Schuster.

9        La juridiction de renvoi relève que, à la suite de la décision rendue par la Curtea de Apel Alba Iulia sur pourvoi de la DGFPS, la légalité de l’avis d’imposition émis par la DGFPS est examinée dans le cadre de deux procédures distinctes, à savoir l’une devant le juge administratif, en matière fiscale, et l’autre devant le juge civil, dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, lesquelles, en raison d’impératifs de compétence matérielle, ne peuvent être jointes.

10      À cet égard, la juridiction de renvoi considère que la décision de la Curtea de Apel Alba Iulia a été rendue en violation de l’article 243, paragraphe 1, point 5, du code de procédure civile, selon lequel l’instance est suspendue ipso facto par l’ouverture d’une procédure de réorganisation judiciaire ou de faillite en vertu d’une décision judiciaire définitive, et, partant, en violation de l’article 15 du règlement nº 1346/2000. Cependant, en vertu de l’article 315 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi serait liée par les appréciations portées par la juridiction supérieure.

11      Dans ces conditions, la juridiction de renvoi considère que le droit de SC Schuster à un procès équitable au sens de l’article 47, paragraphe 2, de la Charte est susceptible d’avoir été violé.

12      C’est dans ces conditions que le Tribunalul Sibiu (tribunal de grande instance de Sibiu) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 47, paragraphe 2, de la [Charte] et l’article 15 du règlement [nº 1346/2000] peuvent-ils être interprétés comme s’opposant à une décision rendue par une juridiction nationale qui statue en dernière instance et qui ne respecte pas les exigences imposées par le droit interne applicable, en violant manifestement le droit à un procès équitable de l’une des parties?»

 Sur la compétence de la Cour

13      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour d’interpréter l’article 47, paragraphe 2, de la Charte, lu en combinaison avec l’article 15 du règlement nº 1346/2000.

14      À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à l’Union européenne (voir ordonnances du 22 juin 2011, Vino, C‑161/11, points 25 et 37, ainsi que du 14 décembre 2011, Corpul Naţional al Poliţiştilor, C‑434/11, point 13).

15      S’agissant des exigences découlant de la protection des droits fondamentaux, il est de jurisprudence constante qu’elles lient les États membres dans tous les cas où ils sont appelés à appliquer le droit de l’Union (voir arrêt du 11 octobre 2007, Möllendorf et Möllendorf-Niehuus, C‑117/06, Rec. p. I‑8361, point 78; ordonnances du 12 novembre 2010, Asparuhov Estov e.a., C‑339/10, Rec. p. I‑11465, point 13, ainsi que du 1er mars 2011, Chartry, C‑457/09, Rec. p. I‑819, point 22).

16      Toutefois, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, les dispositions de celle-ci s’adressent «aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union» et que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, TUE, qui attribue une valeur contraignante à la Charte, celle-ci ne crée aucune compétence nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences de cette dernière.

17      Or, il ressort de la décision de renvoi que la procédure au principal concerne l’annulation des décisions litigieuses et que, à la suite de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’encontre de leur destinataire, la légalité de l’avis d’imposition en cause au principal est analysée dans le cadre de deux procédures distinctes devant les juridictions nationales, à savoir l’une devant le juge administratif, en matière fiscale, et l’autre devant le juge civil, dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité.

18      En ce qui concerne l’article 15 du règlement nº 1346/2000, auquel se réfère la juridiction de renvoi, il y a lieu de constater que celui-ci n’est manifestement pas pertinent pour la solution du litige au principal et aucun élément dans la décision de renvoi ne permet de considérer que les dispositions du code de procédure civile citées par la juridiction de renvoi viseraient à mettre en œuvre cet article. En effet, ledit article contient une règle pour la détermination du droit applicable dans l’hypothèse d’un conflit entre les législations de plusieurs États membres. Or, le cas d’espèce est uniquement régi par le droit roumain, dont l’applicabilité n’est pas contestée.

19      Il s’ensuit que la compétence de la Cour pour répondre à la présente demande de décision préjudicielle n’est pas établie.

20      Dans ces conditions, il y a lieu de constater, sur le fondement de l’article 53, paragraphe 2, de son règlement de procédure, que la Cour est manifestement incompétente pour répondre à la question posée par le Tribunalul Sibiu.

 Sur les dépens

21      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne:

La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre à la question posée par le Tribunalul Sibiu (Roumanie).

Signatures


* Langue de procédure: le roumain.