Language of document : ECLI:EU:F:2014:15

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (troisième chambre)

12 février 2014 (*)

« Fonction publique – Personnel de la BEI – Nature contractuelle de la relation de travail – Rémunération – Réforme du régime des primes de la BEI »

Dans l’affaire F‑83/12,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE,

Jean-Pierre Bodson, membre du personnel de la Banque européenne d’investissement, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), et sept autres membres du personnel de la Banque européenne d’investissement, dont les noms figurent en annexe, représentés par Me L. Levi, avocat,

parties requérantes,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par MM. C. Gómez de la Cruz, T. Gilliams et G. Nuvoli, en qualité d’agents, assistés de Me P. E. Partsch, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre),

composé de MM. S. Van Raepenbusch (rapporteur), président, R. Barents et K. Bradley, juges,

greffier : M. J. Tomac, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 juillet 2013,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 1er août 2012, les requérants demandent,

–        d’une part, l’annulation de la décision, contenue dans leurs bulletins de salaire d’avril 2012 relatifs aux récompenses, en ce qu’elle fait application de la décision, du 14 décembre 2010, du conseil d’administration de la Banque européenne d’investissement (BEI ou ci-après « la Banque ») et des décisions, du 9 novembre 2010 et du 16 novembre 2011, du comité de direction de celle-ci réformant le régime des primes, et,

–        d’autre part, la condamnation de la BEI à leur verser la différence entre les montants dus en application des décisions susmentionnées et le régime antérieur ainsi que des dommages et intérêts.

 Cadre juridique

2        Le cadre juridique général de la présente affaire peut être décrit de la manière suivante.

3        Conformément à l’article 308 TFUE, les statuts de la BEI sont établis par un protocole annexé à ce traité et au traité UE.

4        L’article 7, paragraphe 3, sous h), du protocole no 5 sur les statuts de la BEI prévoit l’approbation par le conseil des gouverneurs du règlement intérieur de la Banque. Selon l’article 11, paragraphe 7, du même protocole, « [l]e règlement intérieur [de la Banque] détermine l’organe compétent pour adopter les dispositions applicables au personnel ».

5        Le règlement intérieur de la BEI a été approuvé le 4 décembre 1958 et a subi plusieurs modifications. En vertu de l’article 31 dudit règlement, « [l]es règlements relatifs au personnel de la Banque sont fixés par le [c]onseil d’administration. Le [c]omité de direction en adopte les modalités d’application […] ».

6        Le conseil d’administration de la Banque a adopté, le 20 avril 1960, un règlement du personnel applicable aux agents de la BEI (ci-après le « règlement du personnel »). Pour ce qui concerne le présent litige, le règlement a été modifié, en dernier lieu, le 1er janvier 2009.

7        L’article 14 du règlement du personnel répartit le personnel de la Banque en catégories, selon la fonction exercée. Une première catégorie est celle du personnel de direction ; elle comporte le cadre de direction et la fonction C. Une deuxième catégorie est celle du personnel de conception et regroupe les fonctions D à F. Une troisième catégorie comprend le personnel d’exécution et, plus précisément, les fonctions G à K.

8        L’article 20, premier alinéa, du règlement du personnel énonce que « [l]e barème des traitements de base relatif aux catégories de fonctions définies à l’article 14 figure en [a]nnexe I au présent [r]èglement ». Selon le deuxième alinéa du même article, « [l]es traitements de base sont abondés d’indemnités, applicables à toutes ou à certaines catégories de personnel. La liste des indemnités figure en [a]nnexe II au présent [r]èglement ». L’annexe I du règlement du personnel prévoit ainsi que « [l]e barème des traitements de base fait l’objet de mises à jour régulières ». L’annexe II mentionne des « [p]rimes annuelles » parmi les « [i]ndemnités particulières et individuelles » susceptibles d’être allouées aux agents de la BEI.

9        Enfin, l’article 22 du règlement du personnel dispose que « [c]haque membre du personnel fait l’objet d’une appréciation annuelle qui lui est communiquée. La procédure à suivre pour cette appréciation est fixée par une décision [interne]. Pour les fonctions C à K, les avancements d’échelon résultent du mérite professionnel tel qu’il est exprimé par la note globale de l’appréciation annuelle ».

 Antécédents du litige

10      Les requérants sont des agents de la BEI.

11      Le régime pécuniaire des agents de la BEI prévoit l’octroi d’un traitement de base, de primes et de diverses indemnités et allocations. Les agents bénéficient, dans ce cadre, d’un avancement d’échelon au mérite.

12      Sachant que la note A correspond à une performance exceptionnelle dépassant les mérites, la note B+ à une très bonne performance, la note B à une performance répondant à toutes les attentes, la note C à une performance répondant à la plupart des attentes, avec des domaines nécessitant des améliorations, et la note D à une performance ne répondant pas aux attentes, trois grilles d’avancement d’échelon au mérite étaient prévues selon le tableau ci-dessous.

Note de mérite

A

B+ 

C

Avancement d’échelon

1er tiers

6

4

3

2

0

 

2ème tiers

5

3

2

1

0

 

3ème tiers

4

3

2

1

0


13      Dans une note au personnel du 12 octobre 2004, le président de la Banque exposait que « les frais de personnel [de la BEI] constitu[ai]ent, à eux seuls, plus des deux tiers du budget des frais administratifs [et que, s]ur base du système actuel et à effectif constant, ces frais augment[ai]ent de façon automatique d’environ 5 à 6 % par an sous l’effet combiné de l’ajustement annuel, du mérite et des promotions ». Il estimait que « [c]e taux d’augmentation n’[était] pas compatible avec une gestion budgétaire saine où le taux d’accroissement [sans mission nouvelle et à effectif constant] des coûts de la Banque ne devrait pas dépasser un taux proche de celui de l’inflation ».

14      Le 12 décembre 2006, le conseil d’administration de la BEI a décidé de limiter à 4,2 % le taux d’augmentation du budget des frais de personnel.

15      Le 31 janvier 2007, le comité de direction a fixé certaines règles régissant l’avancement d’échelon résultant du mérite professionnel. Cette décision prévoyait deux grilles d’avancement d’échelon au mérite.

16      La première grille d’avancement d’échelon au mérite, minimale et garantie (ci-après la « grille ‘2-2-1-0-0’ »), prévoyait ce qui suit :

Note de mérite

A (10 % [max.])

B+ (30 % [max.])

C

Avancement d’échelon

2

2

1

0

Perte du bénéfice résultant de l’ajustement annuel de la grille


17      Cependant, une seconde grille d’avancement d’échelon au mérite, transitoire pour l’année 2007 et applicable à tout le personnel de la Banque (ci-après la « grille ‘3-3-2-1-0’ »), prévoyait ce qui suit :

Note de mérite

A

(10 % [max.])

B+

(30 % [max.])

B

C

D

Avancement d’échelon

3

3

2

1

Perte du bénéfice résultant de l’ajustement annuel de la grille


18      Enfin, grâce à des disponibilités dans le budget affecté à la gestion des ressources humaines, la grille d’avancement d’échelon au mérite suivante a néanmoins été appliquée à l’appréciation des mérites des agents au cours des années 2006 à 2010 (ci-après la « grille ‘4-3-2-1-0’ ») :

Note de mérite

A

B+

B

C

D

Avancement d’échelons

4

3

2

1

0


19      La décision du conseil d’administration du 12 décembre 2006 et celle du comité de direction du 31 janvier 2007 ayant été contestées par de nombreux agents, un accord fixant le cadre procédural d’une procédure de conciliation a été signé, le 2 juin 2008, par le directeur des ressources humaines de la Banque et par le porte-parole des représentants du personnel. Dans le cadre de cette procédure de conciliation, un actuaire (ci-après l’« actuaire ») a été chargé de créer un outil informatique simulant les salaires et les pensions d’ancienneté avant et après la réforme en question, cela afin de s’assurer du caractère compensatoire des mesures proposées.

20      À la suite de cette procédure de conciliation, l’administration de la BEI, représentée par le directeur des ressources humaines, a conclu, le 18 mars 2009, un protocole d’accord avec les représentants du personnel prévoyant quatre mesures de nature à compenser globalement les principaux effets de la réforme de 2006/2007 (ci-après le « protocole d’accord »).

21      La première mesure compensatoire consistait en l’intégration d’une indemnité compensatrice et de l’indemnité de secrétariat dans le traitement de base au 1er janvier 2010 et donc dans la prise en compte de ces deux éléments dans l’assiette de la pension d’ancienneté. La deuxième mesure compensatoire avait trait à la possibilité, pour les membres du personnel, de verser chaque année jusqu’à 12 % de leur prime annuelle récompensant leurs performances à un fonds de pension complémentaire (ci-après le « RCVP »), la somme ainsi versée étant majorée du même montant par la Banque (ci-après l’« abondement »). La troisième mesure compensatoire résidait dans une bonification de l’intérêt crédité sur les capitaux du RCVP. Enfin, la quatrième mesure compensatoire prévoyait la mise en place d’un compte épargne-temps permettant de capitaliser les jours de congés non pris avec, à terme, la possibilité de capitaliser aussi les heures supplémentaires.

22      Le 18 mars 2009, le directeur des ressources humaines et le porte-parole des représentants du personnel ont également signé une lettre d’accompagnement, jointe au protocole d’accord (ci-après la « lettre d’accompagnement »). Cette lettre confirmait « l’engagement des parties de donner un caractère durable [au protocole d’accord] et en particulier à la compensation [pour les] membres du personnel en service au 31 décembre 2008 ». Elle précisait, toutefois, que « [c]eci ne signifi[ait] pas que les autorités compétentes de la Banque ne pourraient modifier les éléments ou modalités du système de rémunération [...] mis en œuvre ou ce système lui-même ainsi que le régime de pension tels qu’issus de la réforme », mais que cela « signifi[ait] seulement que, si de telles modifications devaient impacter substantiellement, dans un sens négatif, une large fraction du personnel, la question devrait être abordée dans le même esprit de collaboration que celui ayant présidé à l’élaboration du [p]rotocle [d’accord], avec pour objectif d’assurer le caractère durable des compensations [susmentionnées] ».

23      Avant la réforme du régime des primes, celui-ci reposait sur deux composantes : d’une part des primes régulières, ayant vocation à récompenser la réalisation des objectifs annuels de l’agent, en prenant en considération son rôle et ses responsabilités au sein de la Banque et, d’autre part, des primes exceptionnelles, visant à récompenser la contribution exceptionnelle de l’agent. L’octroi de ces primes était décidé au terme de l’exercice annuel d’évaluation.

24      Le 9 novembre 2010, le comité de direction de la BEI a approuvé le cadre d’une réforme du régime des primes tendant à récompenser différemment les performances (ci-après la « décision du 9 novembre 2010 »). Ce cadre a également été approuvé, le 14 décembre suivant, par le conseil d’administration de la Banque (ci-après la « décision du 14 décembre 2010 »). À cette occasion, le conseil d’administration a souligné que la réforme de l’ancien régime des primes s’imposait parce que celui-ci ne répondrait pas adéquatement aux besoins d’un organisme hautement performant.

25      La réforme du régime des primes issue des décisions du 9 novembre 2010 et du 14 décembre 2010 a suscité de nouvelles discussions avec les représentants du personnel. Ces discussions ont finalement abouti à une décision du comité de direction du 16 novembre 2011 fixant les modalités du nouveau système de récompense des performances (ci-après la « décision du 16 novembre 2011 »).

26      Le nouveau système de récompense des performances remplace l’ancien régime des primes. Le directeur des ressources humaines le décrit comme suit dans une note du 25 novembre 2011 :

« [Le nouveau système de récompense des performances] comprend deux éléments : la récompense pour l’ensemble de la Banque et la récompense individuelle. Les principes directeurs du système de récompense des performances consistent à rétribuer le personnel collectivement pour la réalisation, par la Banque, des principaux indicateurs de résultat (récompense pour l’ensemble de la Banque) et à distinguer les meilleures performances individuelles des membres du personnel par comparaison avec leurs pairs, en fonction des responsabilités et des objectifs atteints et de la manière dont le travail a été accompli (récompense individuelle) […]

[L]e budget [alloué aux récompenses des performances] est lié à un certain nombre de principaux indicateurs de résultat [...]

Le montant de l’enveloppe affectée aux récompenses des performances sera calculé chaque année en fonction de la réalisation d[e] quatre [...] indicateurs de résultat [...]

Les critères d’admissibilité à la récompense des performances sont les suivants :

1.       une note au titre du mérite égale ou supérieure à ‘[p]erformance répondant à la plupart des attentes, avec toutefois des domaines nécessitant des améliorations’ ;

[...]

L’attribution de la récompense individuelle fera l’objet d’une évaluation annuelle ; le fait de recevoir cette récompense une année ne constituera pas un droit à percevoir une quelconque récompense à l’avenir.

À l’entame de chaque nouvelle année, le département [des r]essources humaines publiera des fourchettes indicatives pour les récompenses individuelles par niveau fonctionnel, afin de fournir un cadre cohérent en la matière. Les directions pourront décider, à leur propre discrétion, du nombre d’agents qui recevront une récompense individuelle et du montant accordé. Ces montants sont susceptibles de varier chaque année en fonction du budget disponible et du nombre de bénéficiaires. »

27      Les lignes directrices de la procédure d’évaluation annuelle du personnel pour 2011, établies le 13 décembre 2011, précisent ce qui suit :

« La récompense des performances se compose de deux éléments :

–        [U]ne récompense pour l’ensemble de la Banque versée à tous les membres du personnel admissibles (à l’exception de ceux dont les performances ne répondent pas aux attentes) en reconnaissance de leur contribution collective aux résultats de la BEI. Le montant de la récompense pour l’ensemble de la Banque sera calculé par niveau fonctionnel [...]

–        [U]ne récompense individuelle perçue par certains agents très performants à l’aune de leurs objectifs, responsabilités et compétences. Le montant de la récompense individuelle sera laissée à la discrétion de la direction concernée et reposera à la fois sur la performance individuelle et sur une comparaison avec les agents de même catégorie. »

28      Enfin, une communication aux évaluateurs concernant les bonnes pratiques dans la conduite de l’évaluation annuelle pour 2011 mentionne que la récompense individuelle pourrait rétribuer la haute performance d’un agent en termes d’objectifs, de responsabilités et de compétences, au vu de ses performances individuelles et d’une comparaison avec ses pairs.

29      Le nouveau système de récompense des performances était appelé à être mis progressivement en vigueur sur une période de cinq ans venant à expiration en 2017. Il a été assorti de nouvelles mesures compensatoires. Le directeur des ressources humaines de la BEI a présenté comme suit ces nouvelles mesures dans sa note du 25 novembre 2011 déjà citée. La première de ces mesures a consisté en une allocation transitoire. Cette allocation est versée une fois par an à compter de l’année 2012 en même temps que les récompenses des performances. Elle est calculée sur la base de l’ancienneté des agents au 31 décembre 2011 et des primes ordinaires reçues par ceux-ci en principe au cours des années 2008, 2009 et 2010. Enfin, elle diminue de 20 % tous les ans. Une deuxième mesure compensatoire a résidé dans une nouvelle contribution de la BEI au RCVP atteignant, en 2017, 3 % du traitement brut des agents engagés avant le 31 décembre 2011. Une troisième mesure compensatoire a porté sur le RCVP. Ainsi, à partir de 2012, la contribution de 12 % au maximum des agents au RCVP a été appelée à s’appliquer à la fois aux récompenses des performances et à l’allocation transitoire susmentionnée. La contribution de la Banque au RCVP au titre de l’abondement en cas de versement, par un agent, d’une partie de la récompense de ses performances à ce fonds a, en outre, été augmentée pour atteindre désormais 18 %. Enfin, le plafonnement de l’abondement de la Banque au RCVP, initialement fixé à 50 % du traitement mensuel de base, a été supprimé. En vertu d’une quatrième mesure compensatoire, les agents ont pu bénéficier, à partir du 1er janvier 2013, d’un nouveau dispositif de prêt personnel reposant sur les contributions au RCVP. Enfin, selon une cinquième mesure compensatoire, le compte épargne-temps instauré par le protocole d’accord a été élargi.

30      Le 13 décembre 2011, le conseil d’administration de la BEI a approuvé le plan d’activité de la Banque pour les années 2012 à 2014 et a ainsi fixé à 2,8 % l’augmentation du budget des dépenses de personnel pour le personnel en fonction (ci-après la « décision du 13 décembre 2011 »).

31      Les lignes directrices de la procédure d’évaluation annuelle du personnel pour 2011, arrêtées également le 13 décembre 2011, ont fixé une nouvelle grille d’avancement d’échelon au mérite (ci-après la « grille ‘3-2-1-0-0’ »). Cette grille est établie comme suit :

Note de mérite

A

B+

B

C

D

Avancement d’échelon

3

2

1

0

0


32      Le 14 février 2012, le comité de direction de la BEI a adopté les mesures de mise en œuvre de la décision du 13 décembre 2011 (ci-après la « décision du 14 février 2012 »). Cette décision dispose comme suit :

« a. Les traitements du personnel (fonctions C à K) seront ajustés de 2,8 % pour tenir compte de l’inflation […].

b. Le nombre d’échelons accordés pour chaque note au titre du mérite sera diminué d’une unité […]. La grille d’avancement d’échelon au mérite se présentera par conséquent comme suit :

Note de mérite

A

B+

B

C

D

Avancement d’échelon

3

2

1

0

0


[...] »

33      Par ailleurs, le comité de direction de la BEI a ajouté à l’augmentation de 2,8 % des traitements des agents une hausse de 1,7 % financée par les réserves du département des ressources humaines et par la renonciation à engager douze personnes en 2012, portant ainsi le pourcentage global d’augmentation à 4,5 %.

34      L’exercice d’évaluation portant sur l’année 2011, mené en 2012, a conduit à l’application, pour la première fois, du nouveau système de récompense des performances. Cette application a débouché sur l’octroi d’une récompense figurant dans les bulletins de salaire des requérants relatifs aux récompenses.

35      Le 16 février 2012 s’est tenue une assemblée générale des représentants du personnel au cours de laquelle les requérants MM. Sutil et Von Blumenthal ont notamment présenté les conséquences que la réforme du régime des primes pourrait avoir.

36      Le 19 mars 2012, la BEI a diffusé au personnel par voie de courrier électronique un document intitulé « Exercice d’évaluation annuelle pour 2011 – prochaines étapes » (« Appraisal Exercise for 2011 – next steps »). Ce document informait notamment les agents que, à dater du 21 mars suivant, ils pourraient prendre connaissance du montant brut de leur récompense et de leur indemnité de transition sur l’intranet de la Banque par l’intermédiaire du système informatique « Peoplesoft ». Ce même document mentionnait en outre que les agents avaient jusqu’au 17 avril 2012 pour faire verser au RCVP jusqu’à 12 % du montant brut total de leur indemnité de transition, de la récompense pour l’ensemble de la Banque et de la récompense individuelle. Il était encore précisé qu’une telle contribution au RCVP, identique à celle de l’année précédente, serait automatiquement prélevée, mais que les agents qui le désiraient pouvaient en modifier le montant ou le pourcentage jusqu’au 17 avril 2012, moyennant l’activation d’un lien informatique figurant dans le document en question.

37      Le 21 mars 2012, le requérant M. Sutil a, au nom des représentants du personnel, informé l’ensemble des agents de la BEI par courrier électronique qu’ils « devr[aient] maintenant avoir accès à [leur] formulaire d’appréciation contenant [leur] note, [leur] augmentation de salaire ainsi que le montant de [leur récompense pour l’ensemble de la Banque] et [de leur récompense] individuelle ».

38      Le 22 mars 2012, les requérants MM. Bodson, Sutil et Von Blumenthal ont, en tant que représentants du personnel à temps plein, reçu un courrier leur communiquant le montant de la récompense individuelle qu’ils recevraient.

39      Le 26 avril 2012, un courrier électronique des services de la BEI a informé les agents du paiement, le 30 avril suivant, de leur indemnité de transition et de leur récompense en précisant qu’ils pouvaient « maintenant voir l’ensemble des détails » relatif à cette indemnité et à cette récompense via le système informatique « Peoplesoft ».

 Conclusions des parties et procédure

40      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision, contenue dans leurs bulletins de salaire d’avril 2012 relatifs aux récompenses, en ce qu’ils font application des décisions du 14 décembre 2010, du 9 novembre 2010 et du 16 novembre 2011 ;

–        partant,

–        condamner la BEI au paiement de la différence résultant des décisions susmentionnées et du régime antérieur des primes, augmentée d’intérêts de retard courant à compter du 22 avril 2012 jusqu’à apurement complet, au taux de la Banque centrale européenne (BCE) augmenté de trois points ;

–        condamner la BEI au paiement de dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison de la perte de pouvoir d’achat, ce préjudice étant évalué ex æquo et bono, et à titre provisionnel, à 1,5 % de la rémunération mensuelle de chaque requérant ;

–        le cas échéant, à défaut pour la BEI de les produire spontanément, inviter cette dernière, au titre de mesures d’organisation de la procédure, à produire les documents suivants :

–        le plan d’activité de la BEI pour les années 2012 à 2014 ;

–        les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration de la BEI des 14 décembre 2010 et 13 décembre 2011 ;

–        les notes du directeur des ressources humaines des 22 juin 2011, 20 octobre 2011 et 25 janvier 2012 ;

–        les procès-verbaux des réunions du comité de rémunérations du personnel des 10 mars, 5 mai, 14 juin, 13 juillet, 20 septembre et 15 novembre 2010 ;

–        condamner la BEI aux dépens.

41      Dans son exception d’irrecevabilité, la BEI demande à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant manifestement irrecevable ;

–        condamner les requérants aux dépens.

42      Par décision du 14 novembre 2012, le Tribunal a décidé de joindre l’exception d’irrecevabilité au fond.

43      Dans son mémoire en défense, la BEI demande à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

44      Les requérants, dans un courrier du 28 juin 2013, et la BEI, à l’audience, ont fait part de leurs observations sur le rapport préparatoire d’audience qui leur avait été communiqué antérieurement. Le présent arrêt en tient compte.

 Sur la demande tendant à faire écarter une pièce du dossier

45      Dans leur mémoire en réplique, les requérants demandent au Tribunal d’écarter des débats une consultation juridique que leur avocat avait adressée le 16 octobre 2006 au collège des représentants du personnel et que la BEI a déposée en annexe à son mémoire en défense. Ils demandent aussi qu’il ne soit pas tenu compte des arguments de la BEI faisant référence à cette consultation.

46      À défaut de disposition particulière applicable en l’espèce, le Tribunal estime devoir se référer à la jurisprudence rendue à ce sujet au vu, notamment, du principe du contradictoire. Il relève, à cet égard, que la correspondance entre le client et l’avocat non lié au client par un rapport d’emploi est confidentielle, pour autant qu’il s’agisse d’une correspondance échangée dans le cadre et aux fins du droit de la défense du client (arrêts de la Cour du 18 mai 1982, AM & S/Commission, 155/79, point 21, et du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, C‑550/07 P, point 41 ; ordonnance du Tribunal de première instance du 4 avril 1990, Hilti/Commission, T‑30/89, point 13).

47      En l’espèce, une consultation juridique rédigée dans un contexte de négociation collective entre les représentants du personnel et la direction de la BEI, en dehors de toute finalité répressive ou contentieuse, ne saurait constituer une correspondance échangée dans le cadre et aux fins du droit de la défense du client d’un avocat. De surcroît, les requérants ne contestent pas que la consultation litigieuse avait été remise spontanément à la Banque par les représentants du personnel au cours des négociations menées à l’occasion de la réforme du système des rémunérations intervenue en 2006.

48      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande des requérants d’écarter du dossier la consultation du 16 octobre 2006 et les arguments que la BEI en tire.

 Sur la recevabilité du recours

49      La BEI soulève trois exceptions d’irrecevabilité tirées de la tardiveté du recours, de l’absence d’acte faisant grief et de l’absence d’intérêt à agir.

1.     Sur l’exception d’irrecevabilité tirée de la tardiveté du recours

 Arguments des parties

50      La BEI fait observer que les requérants prétendent, dans leur requête, que les bulletins de salaire relatifs aux récompenses ont été portés à leur connaissance le 22 avril 2012, au plus tôt. Or, rien dans les écrits et les annexes produits par les requérants ne prouverait que ces bulletins n’ont effectivement été accessibles qu’à cette date, laquelle correspond à un dimanche.

51      En revanche, la BEI fait valoir que, à l’instar de tous les agents de la Banque, les requérants ont été informés, par la communication d’un courrier électronique du 19 mars 2012, du fait que le montant des récompenses qui allait leur être alloué leur serait accessible, à compter du 21 mars 2012, via le système informatique « Peoplesoft ». Le délai de recours aurait ainsi commencé à courir à compter de cette dernière date. La nécessité de prendre celui-ci comme point de départ du délai serait, d’ailleurs, confirmée par le courrier électronique de ce même 21 mars 2012 du requérant M. Sutil aux membres du personnel par lequel il leur aurait indiqué qu’ils avaient « maintenant » accès aux montants de leurs récompenses individuelles et au titre de l’ensemble de la Banque.

52      Selon la BEI, il serait irréaliste d’admettre que les représentants du personnel aient attiré l’attention de l’ensemble du personnel sur la possibilité de s’informer du montant de leurs récompenses le premier jour utile à cet effet, c’est-à-dire le 21 mars 2012, et qu’ils aient eux-mêmes attendu un mois et un jour pour prendre connaissance de celles-ci. L’auraient-ils fait, ils auraient commis une négligence grave qui leur serait entièrement imputable.

53      La BEI allègue également que la communication par courrier électronique du 19 mars 2012 mentionnait aussi que les agents de la Banque avaient jusqu’au 17 avril 2012 pour faire verser une partie de leur récompense au RCVP et que, s’ils désiraient modifier le montant du versement opéré l’année précédente, ils étaient invités à le faire jusqu’à ce 17 avril, moyennant l’activation d’un lien informatique.

54      Dans la mesure où, pour prendre leur décision sur une éventuelle modification de leur versement au RCVP, les agents devaient avoir connaissance du montant de leur récompense, la BEI soutient que les requérants ont nécessairement pris connaissance de celui-ci avant le 17 avril 2012. De surcroît, il ressortirait des bulletins de salaire déposés au dossier de la procédure que les requérants Mme Heger, MM. Evangelos, Sutil, Vanhoudt et Von Blumenthal ont effectivement demandé qu’une partie de leur récompense soit versée au RCVP, ce qui démontrerait qu’ils connaissaient au plus tard le 17 avril 2012 le montant des récompenses litigieuses.

55      Par ailleurs, la BEI relève que les requérants MM. Bodson, Sutil et Von Blumenthal, qui exercent à temps plein leurs fonctions de représentants du personnel, ont reçu, le 22 mars 2012, une lettre individuelle leur communiquant le montant de leur récompense.

56      Enfin, la BEI fait observer que, dans leur requête enregistrée sous la référence F‑73/12, dans l’affaire Bodson e.a./BEI alors pendante devant le Tribunal, les requérants ont prétendu avoir eu accès à leurs bulletins de salaire dès le 12 avril 2012.

57      Dans ces conditions, la BEI allègue que, par analogie avec les délais procéduraux applicables aux recours du personnel soumis au statut des fonctionnaires de l’Union européenne, le délai de recours contre un acte de la Banque est de trois mois, augmenté du délai de distance forfaitaire de 10 jours, de sorte que le délai de recours ayant expiré le 1er juillet 2012 et, au plus tard, le 27 juillet suivant, s’il est tenu compte de la date susmentionnée du 17 avril 2012, la requête, parvenue au Tribunal le 1er août 2012, est tardive.

58      Les requérants contestent la tardiveté de leur recours.

 Appréciation du Tribunal

59      Les requérants demandent l’annulation de la décision contenue dans leurs bulletins de salaire d’avril 2012 relatifs aux récompenses.

60      Il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante en matière de fonction publique européenne, un bulletin de salaire, par sa nature et son objet, ne présente pas les caractéristiques d’un acte faisant grief dès lors qu’il ne fait que traduire en termes pécuniaires la portée de décisions administratives antérieures relatives à la situation personnelle et juridique d’un fonctionnaire ou agent. Toutefois, dans la mesure où il fait apparaître clairement l’existence et le contenu d’une décision administrative de portée individuelle, passée jusqu’alors inaperçue, dès lors qu’elle n’avait pas été formellement notifiée à l’intéressé, le bulletin de salaire, contenant le décompte des droits pécuniaires, peut être considéré comme un acte faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours. Dans ces conditions, la communication du bulletin de salaire a pour effet de faire courir les délais de recours contre la décision administrative prise à l’égard du fonctionnaire ou de l’agent concerné et reflétée dans le bulletin (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2010, Lebedef et Jones/Commission, F‑29/09, point 33 et la jurisprudence citée).

61      En l’espèce, il y a lieu de relever d’emblée que l’invocation par la BEI de l’affirmation des requérants dans leur recours dans l’affaire F‑73/12, selon laquelle ils auraient eu accès à leurs bulletins de salaire dès le 12 avril 2012, est dépourvue de pertinence en l’espèce. En effet, ainsi qu’en a d’ailleurs convenu la BEI lors de l’audience, les bulletins de salaires contestés dans cette affaire ne sont pas ceux relatifs aux récompenses des performances ici attaqués.

62      Cela étant, la BEI invoque, en substance, des faits antérieurs à la notification des bulletins de salaire relatifs aux récompenses qui auraient révélé l’existence des décisions concernant les récompenses dues aux requérants. Elle estime que le délai de recours aurait commencé à courir à compter de ces faits.

63      Le système informatique « Peoplesoft » permettait effectivement aux agents de la BEI d’accéder, à compter du 21 mars 2012, au montant des récompenses qui allaient leur être allouées. L’invocation par les requérants de la circonstance que les agents n’ont pu prendre connaissance, à cette date, que des montants bruts de leur récompense individuelle, de leur récompense pour l’ensemble de la Banque et de leur indemnité de transition est à cet égard sans intérêt, dès lors que la BEI plaide, sans être contredite sur ce point, que le système de contribution au RCVP, qui est au centre des préoccupations des requérants, est fondé sur les montants bruts des primes. Au demeurant, les requérants n’ont jamais contesté la transparence du système selon lequel ils devaient décider de l’importance de leur contribution au RCVP sur la base, précisément, desdits montants bruts, de sorte qu’ils ne sauraient alléguer l’opacité de ces montants pour justifier la recevabilité de leur recours.

64      Toutefois, le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est aujourd’hui exprimé à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, requiert, à l’instar de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que l’application des règles relatives aux délais à respecter pour agir ne doit pas empêcher les justiciables d’utiliser une voie de recours disponible (voir, en ce sens, Cour eur. D. H., arrêt Vodárenská Akciová Společnost, S.A. c. République tchèque du 24 février 2004, no 73577/01, § 34). Aussi, les règles relatives à la computation des délais doivent-elles être claires et ne pas présenter de difficulté d’interprétation particulière (voir, en ce sens, Cour eur. D. H., arrêt de Geouffre de la Pradelle c. France du 16 décembre 1992, série A no 253‑B, § 33 à § 35). Par voie de conséquence, le point de départ des délais de recours doit pouvoir être déterminé avec certitude.

65      Par ailleurs, il découle de la jurisprudence que, lorsque, comme en l’espèce, aucune disposition du droit de l’Union n’a prévu le délai dans lequel un recours doit être introduit, les agents concernés sont en droit de s’attendre non pas à ce qu’un délai préfix de forclusion leur soit opposé, mais à ce qu’il soit fait application d’un délai raisonnable, lequel doit être apprécié en fonction de l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties en présence (arrêt de la Cour du 28 février 2013, Arango Jaramillo e.a./BEI, C‑334/12 RX‑II, points 28 à 44). Il s’ensuit, en général, que la notion de délai raisonnable ne peut être entendue comme un délai de forclusion spécifique et, en particulier, que le délai de trois mois prévu à l’article 91, paragraphe 3, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne ne peut s’appliquer par analogie en tant que délai de forclusion aux agents de la BEI lorsqu’ils introduisent un recours en annulation à l’encontre d’un acte émanant de cette dernière qui leur fait grief (arrêt de la Cour Arango Jaramillo e.a./BEI, précité, point 39 ; voir également arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 9 juillet 2013, Arango Jaramillo e.a./BEI, T‑234/11 P‑RENV-RX, point 31). Aussi des délais plus longs peuvent-ils être qualifiés de « raisonnables » au regard des circonstances (arrêt du Tribunal de l’Union européenne Arango Jaramillo e.a./BEI, précité, point 33).

66      Dans ces conditions, au vu de la jurisprudence constante concernant les fonctionnaires et agents de l’Union selon laquelle le délai de recours contre une décision relative au statut pécuniaire d’un fonctionnaire ou d’un agent prend cours à la notification du bulletin de salaire révélant cette décision et compte tenu de l’incertitude planant par conséquent sur la prise en considération d’une autre forme d’information préalable et du fait que les décisions fixant le montant des récompenses des performances des agents de la BEI constituaient les premières mesures d’application du nouveau régime des primes établi par les décisions des 9 novembre 2010, 14 décembre 2010 et 16 novembre 2011 au terme de longues discussions avec les représentants du personnel, il y a lieu d’observer, en toute hypothèse, qu’un délai de 4 mois et 10 jours ne saurait être considéré, en l’espèce, comme déraisonnable.

67      Au demeurant, pour contester la recevabilité du recours en raison de sa tardiveté, la BEI s’est fondée sur une application par analogie stricte du délai de trois mois fixé par l’article 91 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, augmenté du délai forfaitaire de distance de dix jours prévu par l’article 100, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal. Elle n’a donc pas établi que, compte tenu des circonstances, le délai que les requérants ont mis pour introduire leur action aurait été déraisonnable en l’espèce. Or, cette manière de procéder a été, ainsi que rappelé plus haut, expressément censurée par la Cour et le Tribunal de l’Union européenne dans leurs arrêts respectifs Arango Jaramillo e.a./BEI, précités.

68      Dans ces conditions, l’exception d’irrecevabilité tirée de la tardiveté du recours doit être rejetée.

2.     Sur l’exception d’irrecevabilité tirée de l’absence d’acte faisant grief

 Arguments des parties

69      La BEI soutient que le régime des récompenses de la BEI est un régime discrétionnaire et aléatoire au titre duquel les agents ne bénéficient d’aucun droit acquis. Le montant des primes annuelles ne serait pas déterminable avant l’intervention de la décision discrétionnaire des autorités compétentes de la Banque. Dans ces conditions, les décisions attaquées n’impliqueraient aucune modification de la situation juridique des requérants et ne seraient donc pas susceptibles de recours.

70      Les requérants considèrent, en revanche, que les bulletins de rémunération relatifs aux récompenses des performances sont l’expression d’actes faisant grief.

 Appréciation du Tribunal

71      L’argumentation développée par la BEI au soutien de l’exception d’irrecevabilité tirée de l’absence d’acte faisant grief relève du fond du litige, et est plus particulièrement liée à sa réponse au deuxième moyen, en ce que la BEI y prétend que le nouveau régime de récompense des performances est un régime discrétionnaire et aléatoire en vertu duquel les agents ne bénéficient d’aucun droit acquis.

72      Néanmoins, le caractère discrétionnaire d’une compétence n’est, en toute hypothèse, pas de nature à priver les fonctionnaires et agents d’une garantie aussi fondamentale que le droit à une protection juridictionnelle effective, mais limite seulement l’intensité du contrôle juridictionnel exercé par le juge, lequel ne peut substituer son appréciation à celle de l’administration.

73      L’exception d’irrecevabilité tirée de l’absence d’acte faisant grief doit par conséquent être rejetée.

3.     Sur l’exception d’irrecevabilité tirée de l’absence d’intérêt à agir

 Arguments des parties

74      La BEI fait valoir que les requérants n’ont pas d’intérêt personnel à agir. Il ressortirait ainsi de la requête que les requérants Mme Heger, MM. Bodson et Sutil ont vu leur récompense augmenter en 2012 par rapport à ce qu’elle aurait été si le régime des primes n’avait pas été modifié. S’appuyant sur une comparaison de l’ancien et du nouveau régime des primes, la BEI prétend que la réforme a également eu des effets positifs à l’égard des cinq autres requérants. De plus, il ressortirait de l’article 16, cinquième alinéa, et de l’annexe II du règlement du personnel, lesquels sont demeurés inchangés, que les « primes annuelles », appelées « récompenses » dans les décisions du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011, ne sont accordées que sur décision du président de la Banque. Il s’ensuivrait que tant le principe de leur octroi que leur montant auraient toujours été laissés à la discrétion de ce dernier. En conséquence, il ne saurait être affirmé que le nouveau régime des récompenses sera moins attrayant que l’ancien régime des primes.

75      Les requérants contestent n’avoir aucun intérêt au recours.

 Appréciation du Tribunal

76      Il est de jurisprudence constante que, pour qu’un fonctionnaire ou un agent soit recevable à demander l’annulation d’un acte lui faisant grief, il doit posséder, au moment de l’introduction du recours, un intérêt, né et actuel, à voir annuler cet acte, un tel intérêt supposant que la demande soit susceptible, par son résultat, de lui procurer un bénéfice (voir, par exemple, arrêt du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, point 42).

77      La jurisprudence sur l’intérêt à agir mentionnée au point précédent ne saurait toutefois être appliquée en faisant abstraction de la nature des actes attaqués. À cet égard, il convient d’observer que les bulletins de salaire litigieux matérialisent, pour la première fois, la mise en œuvre de nouveaux actes de portée générale concernant la fixation des droits pécuniaires des requérants.

78      En pareil cas, le premier bulletin de salaire faisant suite à l’entrée en vigueur d’un acte de portée générale, modifiant les droits pécuniaires d’une catégorie abstraite de fonctionnaires ou d’agents, traduit nécessairement, à l’égard de son destinataire, l’adoption d’une décision administrative de portée individuelle produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement ses intérêts. Aussi, à supposer même que de nouvelles décisions administratives de portée individuelle soient adoptées périodiquement quant à la fixation des droits pécuniaires en question, ces décisions successives ne seraient que confirmatives de la première décision ayant modifié la situation juridique de l’intéressé en application du nouvel acte de portée générale. Telle est la raison pour laquelle un fonctionnaire ou un agent ayant omis d’attaquer, dans le délai de recours, le bulletin de salaire matérialisant, pour la première fois, la mise en œuvre d’un acte de portée générale portant fixation de droits pécuniaires ne saurait valablement, après le dépassement dudit délai, attaquer les bulletins ultérieurs, en invoquant à leur encontre la même illégalité que celle dont serait entachée le premier d’entre eux (arrêt Lebedef et Jones/Commission, point 60 supra, points 34 à 36, et la jurisprudence citée).

79      Il découle de ce que les requérants ne seraient pas recevables à contester à l’avenir des bulletins de salaire relatifs aux récompenses fondés sur les décisions des 9 novembre 2010, 14 décembre 2010 et 16 novembre 2011 que leur intérêt à contester les bulletins litigieux ne saurait s’apprécier au vu des effets de la réforme du régime des primes pour la seule année 2011. Il en va d’autant plus ainsi que cette réforme est assortie d’une mesure compensatoire prenant la forme d’une allocation transitoire dont le bénéfice est appelé à disparaître en 2017. Il s’ensuit que ni le fait que les requérants ont admis dans leur acte introductif d’instance que trois d’entre eux ont obtenu en 2012 une récompense supérieure à ce qu’aurait été leur prime si le régime des primes n’avait pas été modifié ni le fait que, selon la BEI, la prime des cinq autres requérants aurait également évolué positivement cette année-là ne sont suffisants pour considérer que les requérants n’ont pas d’intérêt au recours.

80      S’agissant, précisément, des effets à long terme de la réforme du régime des primes, les requérants estiment que leur intérêt à agir est fondamentalement tiré de ce que les décisions du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011 auraient substitué un mécanisme de récompense des performances dépourvu de stabilité à un régime présentant un caractère constant, fixe et général, dans la mesure où, dorénavant, l’octroi d’une récompense dépendrait notamment d’indicateurs de résultat et du pourcentage maximal d’agents qui pourront en bénéficier, deux éléments dépendant des choix de la BEI. Il est d’ailleurs constant entre les parties que le nouveau régime des récompenses organisé par les décisions du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011 est discrétionnaire tant dans son principe que dans ses modalités d’application.

81      Or, la substitution d’un régime pécuniaire aléatoire à un régime stable suffit a priori à justifier un intérêt au recours.

82      Certes, la BEI conteste le caractère stable du régime des primes antérieur aux décisions du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011. Toutefois, elle soulève ainsi une question de fond qui sera examinée dans le cadre du deuxième moyen.

83      Par conséquent l’exception d’irrecevabilité tirée du défaut d’intérêt à agir doit être rejetée.

 Sur le fond

1.     Sur les conclusions en annulation

84      Les requérants prennent quatre moyens tirés,

–        premièrement, de la violation de l’article 11, paragraphe 3, du règlement intérieur de la BEI ;

–        deuxièmement, de la violation du protocole d’accord, de la violation des conditions fondamentales des contrats d’emploi et des droits acquis, ainsi que de la violation du principe de bonne foi dans les relations contractuelles ;

–        troisièmement, de la violation des principes de sécurité juridique, de non-rétroactivité et de prévisibilité, ainsi que, au vu des développements du moyen, du devoir de sollicitude ;

–        quatrièmement, d’une erreur manifeste d’appréciation, d’une erreur dans les motifs, d’une violation du principe de proportionnalité, ainsi que, au vu du mémoire en réplique, d’une méconnaissance du règlement du personnel.

85      Le Tribunal estime nécessaire d’entamer l’examen des mérites des conclusions en annulation par le deuxième moyen, dès lors qu’il a été observé au point 82 du présent arrêt que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la BEI et tirée de l’absence d’intérêt au recours soulevait une question en rapport avec celui-ci.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du protocole d’accord, de la violation des conditions fondamentales des contrats d’emploi et des droits acquis, ainsi que de la violation du principe de bonne foi dans les relations contractuelles

 Arguments des parties

86      Les requérants font valoir que la relation d’emploi entre la BEI et ses agents est de nature contractuelle et que la force obligatoire des contrats s’oppose à ce que la Banque en modifie unilatéralement les éléments essentiels.

87      Selon les requérants, ces éléments essentiels peuvent figurer soit dans le contrat ou dans la lettre d’engagement des agents soit même dans le cadre réglementaire adopté par la Banque. S’agissant de ce dernier, la modification de dispositions correspondant à des éléments essentiels des contrats nécessiterait l’accord des agents.

88      En l’espèce, la BEI aurait, dans le protocole d’accord, pris des engagements contractuels, correspondant à des éléments essentiels des relations d’emploi et ayant modifié les contrats individuels des requérants. Ces engagements contractuels auraient consisté, d’une part, en l’adoption et le maintien de mesures compensant les effets négatifs de la réforme des salaires de 2006/2007 et, d’autre part, dans un financement desdites mesures.

89      S’agissant du caractère compensatoire des mesures prévues dans le protocole d’accord et, plus particulièrement de la possibilité de verser chaque année au RCVP jusqu’à 12 % de la prime annuelle récompensant les performances, les requérants soutiennent que, lors de la mise au point par l’actuaire d’une simulation destinée à définir lesdites mesures compensatoires, il a été tenu compte de ce que, depuis 2005 au moins, pour 88 % du personnel, les primes ordinaires étaient en progression constante d’une année à l’autre, chaque fois que la note de performance restait la même ou s’améliorait. En effet, malgré les termes de l’article 16 du règlement du personnel, le pouvoir discrétionnaire du président de la BEI quant au principe même du paiement de la prime et quant à son montant aurait été réglementé par l’usage et celui-ci aurait créé, dans le chef des agents, un droit à l’octroi de primes croissantes pour ceux qui ne déméritaient pas. Ce droit aurait été acquis par l’usage né et entièrement réalisé sous le régime des primes antérieur à la réforme et la création de ce droit n’aurait pas dépendu des évaluations annuelles. Aussi, même si les requérants ne peuvent déterminer pour chaque agent le montant précis de la prime, le versement de celle-ci aurait été constant et général. Compte tenu des assurances résultant de la stabilité de la pratique en matière de primes, les agents auraient conçu une attente légitime dans la perception d’une prime annuelle équivalente à un ou deux mois de salaire.

90      En revanche, dans le nouveau régime des récompenses, l’octroi d’une récompense individuelle ne constituerait plus un droit.

91      Au vu de cette situation, la BEI aurait reconnu qu’il convenait de respecter les termes du protocole d’accord et que, dès lors que les éléments de celui-ci relatifs aux primes étaient modifiés, d’autres mesures compensatoires devaient être recherchées. Dans cette perspective, le département des ressources humaines de la BEI aurait envisagé de telles mesures sur lesquelles les représentants du personnel auraient marqué leur accord, mais le comité de direction ne les aurait pas toutes reprises dans sa décision du 16 novembre 2011. Les nouvelles mesures compensatoires ainsi arrêtées par la BEI ne seraient donc pas de nature à maintenir le caractère compensatoire de celles prévues dans le protocole d’accord sur la base du simulateur. Une projection fondée sur des paramètres raisonnables, déposée au dossier des requérants, le démontrerait.

92      Certes, la lettre d’accompagnement prévoyait que des éléments du protocole d’accord pouvaient faire l’objet de modifications. Toutefois, toute modification unilatérale aurait dû emporter la définition de mesures compensatoires additionnelles afin de respecter ledit protocole.

93      S’agissant du financement des mesures compensatoires de la réforme de 2006/2007, les requérants soutiennent que les parties s’étaient accordées sur une augmentation du budget des primes proportionnelle à celle du budget des salaires, afin de garantir une progression constante des primes. Cet alignement de la progression du budget des primes sur celui des salaires aurait été un élément fondamental du protocole d’accord, ainsi que cela ressortirait de la simulation déjà évoquée.

94      Il s’ensuivrait que les engagements pris dans le cadre du protocole d’accord auraient été doublement méconnus par la décision du 14 décembre 2010, ainsi que par les décisions du 9 novembre 2010 et du 16 novembre 2011 sur lesquelles les bulletins de salaire d’avril 2012 relatifs aux récompenses sont fondés.

95      La BEI conteste l’argumentation des requérants.

 Appréciation du Tribunal

96      Il importe de souligner d’emblée que, comme le soutiennent les requérants, une modification du régime des primes est a priori de nature à influencer les effets concrets du protocole d’accord dans la mesure où celui-ci prévoit un mécanisme de cotisation des agents au RCVP à concurrence de 12 % du montant de la prime annuelle, cette cotisation étant elle-même complétée par la Banque.

97      Il convient également d’observer que l’argumentation des requérants implique, en substance de répondre aux questions de savoir, premièrement, si le protocole d’accord comportait des éléments essentiels insusceptibles d’être modifiés sans le consentement des agents et, deuxièmement, si le régime des primes antérieur à la réforme a conféré aux agents un droit acquis ou a été constitutif d’attentes légitimes.

–       Sur la question de savoir si le protocole d’accord comportait des éléments essentiels insusceptibles d’être modifiés sans le consentement des agents

98      Selon l’article 13 du règlement du personnel, « [l]es relations entre la Banque et les membres de son personnel sont réglées en principe par des contrats individuels dans le cadre du présent règlement. Le règlement fait partie intégrante de ces contrats ». L’article 15 du même règlement prévoit, en outre, que « [l]es contrats individuels entre la Banque et les membres de son personnel prennent la forme de lettres d’engagement. Les personnes engagées contresignent leur lettre d’engagement ainsi qu’un exemplaire du présent règlement. La lettre d’engagement fixe la rémunération, la durée et les autres conditions de l’emploi ».

99      Selon les requérants, il découlerait de la nature contractuelle de la relation entre la Banque et son personnel que la BEI ne pouvait modifier les éléments essentiels des contrats sans l’accord des agents. Or, les mesures compensatoires prévues dans le protocole d’accord feraient partie de ces éléments essentiels en ce que celui-ci aurait modifié les contrats individuels des intéressés.

100    Les requérants empruntent tout d’abord la théorie des éléments essentiels à la jurisprudence du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail. Toutefois, il ressort de l’arrêt du Tribunal du 27 septembre 2011, Whitehead/BCE (F‑98/09, point 76) que cette jurisprudence ne constitue pas, en tant que telle, une source du droit de l’Union et que, par suite, elle ne saurait être invoquée autrement qu’au soutien d’une règle ou d’un principe reconnu par le droit de l’Union.

101    Il convient donc d’examiner si la théorie des éléments essentiels invoquée par les requérants trouve directement un fondement dans le droit de l’Union.

102    À titre liminaire, il importe de relever, à cet égard, que l’article 21 du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne dispose, comme disposait l’article 22 dudit protocole dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, que ledit protocole s’applique également à la Banque, aux membres de ses organes et à son personnel. À cet égard, le personnel de la Banque est placé dans une situation juridique spéciale, identique à celle du personnel des institutions de l’Union (arrêt de la Cour du 15 juin 1976, Mills/BEI, 110/75, points 11 et 13).

103    Dans cette perspective, les requérants invoquent l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 22 octobre 2002, Pflugradt/BCE (T‑178/00 et T‑341/00, point 53), dont il ressort que la force obligatoire des contrats s’oppose à ce que l’institution ou l’organisme, en tant qu’employeur, impose des modifications aux conditions d’exécution des contrats sans l’accord des agents concernés, lorsque ces conditions correspondent à des éléments essentiels desdits contrats. À l’audience, les requérants ont également fait observer qu’il résulterait a contrario de l’arrêt de la Cour du 22 décembre 2008, Centeno Mediavilla e.a./Commission (C‑443/07 P, point 60) que les droits et les obligations des agents sous contrat ne peuvent être modifiés à tout moment par le législateur.

104    Toutefois, dans son arrêt du 14 octobre 2004, Pflugradt/BCE (C‑409/02 P, point 34), la Cour, statuant sur pourvoi contre l’arrêt Pflugradt/BCE, précité, a jugé que, quand les contrats sont conclus avec un organisme de l’Union, chargé d’une mission d’intérêt général et habilité à prévoir, par voie de règlement, les dispositions applicables à son personnel, la volonté des parties à un tel contrat trouve nécessairement ses limites dans les obligations de toute nature qui découlent de cette mission particulière et qui s’imposent tant aux organes de direction de cet organisme qu’à ses agents. En l’espèce en vertu de l’article 31 de son règlement intérieur, la BEI est habilitée à prévoir, par voie de règlement, les dispositions applicables à son personnel. De ce fait, les relations de la BEI avec son personnel contractuel sont essentiellement de nature réglementaire.

105    À cet égard, selon l’article 13 du règlement du personnel, les contrats individuels doivent s’inscrire dans le cadre dudit règlement et donc être conclus en conformité avec celui-ci. Dès lors, en contresignant la lettre d’engagement prévue à l’article 15 du règlement du personnel, les agents adhèrent à ce dernier, dont ils doivent d’ailleurs contresigner un exemplaire, sans pouvoir en négocier individuellement aucun des éléments. L’accord de volontés se trouve ainsi singulièrement limité à l’acceptation des droits et obligations prévus par ledit règlement (voir, en ce sens, à propos des conditions d’emploi en vigueur à la BCE, arrêt de la Cour Pflugradt/BCE, précité, point 35). En particulier, il ressort de l’article 20, premier et deuxième alinéas, du règlement du personnel et des annexes I et II de celui-ci, que les traitements de base et leurs compléments sont fixés par voie réglementaire.

106    Certes, il n’est pas exclu que les contrats des membres du personnel de la BEI puissent contenir d’autres éléments que ceux couverts par le règlement du personnel. Toutefois, l’existence de tels éléments ne fait pas, en soi, obstacle à l’exercice, par les organes de direction de la BEI, du pouvoir d’appréciation dont ils disposent pour mettre en œuvre les mesures qu’impliquent les obligations d’intérêt général découlant de la mission particulière impartie à la Banque. Les organes de direction de la BEI peuvent être ainsi contraints, pour faire face à de telles exigences du service, et notamment pour permettre à celui-ci de s’adapter à de nouveaux besoins, de prendre des décisions ou des mesures unilatérales susceptibles de modifier, notamment, les conditions d’exécution des contrats, cela nonobstant les actes juridiques de nature contractuelle qui sont à la base des relations de travail entre la BEI et ses agents (arrêt de la Cour Pflugradt/BCE, point 104 supra, point 36).

107    Il découle de ce qui précède que les relations entre les requérants et la BEI, même si elles ont une origine contractuelle, relèvent essentiellement d’un régime réglementaire. En ce sens, la Banque dispose, pour poursuivre la mission d’intérêt général qui lui incombe, d’un pouvoir d’appréciation pour organiser ses services et fixer unilatéralement la rémunération de son personnel, cela nonobstant les actes juridiques de nature contractuelle qui sont à la base desdites relations de travail (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Léger sous l’arrêt de la Cour Pflugradt/BCE, point 104 supra, points 34 et 36).

108    Dans ces conditions, et sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la valeur en soi du protocole d’accord, en adoptant les décisions du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011, la BEI n’a méconnu ni le caractère contractuel de la situation juridique des membres de son personnel ni les droits qui auraient résulté dudit protocole et qui auraient été prétendument intangibles sans leur accord.

109    La lettre d’accompagnement s’inscrit, au demeurant, dans la perspective que les éléments figurant dans le protocole d’accord ne constituent pas des éléments essentiels qui ne sauraient être modifiés sans le consentement des agents de la BEI. En effet, si, en termes de bonne gestion des ressources humaines, elle confirme la volonté des parties de préserver l’esprit de collaboration ayant présidé à l’élaboration du protocole d’accord et de lui donner un caractère durable, elle mentionne néanmoins que « les autorités [...] de la Banque » demeurent compétentes pour modifier « les éléments ou modalités du système de rémunération [...] ou ce système lui-même », alors même que ces modifications affecteraient le contenu dudit protocole.

110    La conclusion figurant au point 108 ci-dessus n’est pas davantage infirmée par l’argument des requérants selon lequel le protocole d’accord serait basé sur une simulation réalisée par l’actuaire, elle-même fondée sur le caractère constant, fixe et général de l’ancien régime des primes instauré par la BEI.

111    Contrairement à ce que soutient la BEI, la simulation en question doit être prise en considération pour préciser la teneur des mesures compensatoires figurant dans le protocole d’accord, ainsi que cela résulte du point 61 de l’arrêt rendu ce jour par le Tribunal dans l’affaire Bodson e.a./BEI (F‑73/12). Toutefois, en raison du caractère en toute hypothèse unilatéralement modifiable du protocole d’accord (voir point 109 ci-dessus), la BEI n’a pas violé celui-ci, ni non plus les prétendues conditions fondamentales des contrats d’emploi et le principe de bonne foi dans les relations contractuelles en remplaçant un régime de primes présentant une certaine constance par un régime caractérisé par sa variabilité (voir également point 118 ci-après).

–       Sur la question de savoir si le régime des primes antérieur à la réforme a conféré aux agents un droit acquis ou a été constitutif d’attentes légitimes

112    Au soutien de leur deuxième moyen, les requérants prétendent également que, s’il ne leur est pas possible de déterminer pour chaque agent le montant précis de la prime, il ressortait d’un usage que le régime des primes antérieur aux décisions du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011 était tel que les agents qui ne déméritaient pas avaient acquis un droit à l’octroi de primes en constante augmentation d’une année à l’autre et qu’ils avaient au moins pu concevoir une attente légitime en la matière.

113    Les requérants plaident ainsi l’existence d’un droit acquis ou d’une légitime confiance au respect, non pas d’un droit individuel, mais d’un régime de primes déterminé.

114    L’article 16, cinquième alinéa, du règlement du personnel dispose cependant que, « [p]ar rémunération au sens de l’alinéa précédent [relatif au préavis], on entend le traitement de base abondé des indemnités prévues à l’annexe II, [points] 1, 2 et 4 et, lorsque le [p]résident le décide, de celles prévues au [point] 3 [...] ». L’annexe II, point 3, dudit règlement fait référence aux « primes annuelles ». Interrogée par le Tribunal quant au point de savoir si le régime des primes antérieur aux décisions des 9 novembre 2010, 14 décembre 2010 et 16 novembre 2011 reposait sur d’autres textes, la BEI a répondu que l’article 16, cinquième alinéa, et l’annexe II, point 3, du règlement du personnel étaient les seuls fondements de ces primes. Il résulte en outre de l’historique du régime des primes de la BEI que leur octroi avait été conçu comme étant discrétionnaire, qu’il n’était pas garanti et que leur montant était variable d’une année à l’autre. Par ailleurs le règlement du personnel ne reconnaît pas l’usage comme source du droit en la matière. Enfin, les lettres d’engagement des agents de la BEI ne font pas mention du régime des primes et n’ont ni pour objet ni pour effet de le contractualiser.

115    Le dossier révèle encore que, dans ses travaux basés sur des données fournies notamment par le département des ressources humaines et au vu d’hypothèses, fixées en accord avec celui-ci et « représentatives de la situation moyenne constatée sur l’ensemble des [agents] », l’actuaire a effectivement observé que les primes accordées selon l’ancien régime des primes faisaient partie de l’élément variable de la rémunération et, plus précisément, qu’elles variaient d’une année à l’autre avec la fonction et la note de mérite obtenue. Force est aussi de constater, à l’instar de la BEI, que des observations reposant sur des hypothèses « représentatives de la situation moyenne constatée sur l’ensemble des [agents] » ne sont pas révélatrices d’un régime en vertu duquel le calcul des primes des agents serait automatique et son résultat déterminable à l’avance.

116    Toutefois, l’actuaire a aussi relevé que, pour un agent ayant toujours la même note, la prime augmentait chaque année de 3 à 5 % à due proportion de la rémunération de base et, le cas échéant, de la fonction et que le seul cas où la prime pouvait diminuer était celui où la note de mérite d’une année était inférieure à celle obtenue l’année précédente. Selon l’actuaire, ce constat se vérifiait pour au moins 88 % du personnel depuis l’année 2005.

117    Par ailleurs, il ressort d’un document soumis au conseil d’administration lors de sa réunion du 14 décembre 2010 que, en septembre 2009, celui-ci avait reconnu que, en raison d’une longue pratique, une partie des primes régulières devait être considérée comme un élément de la rémunération dans la mesure où elle était fondée sur l’ancienneté. En outre, il ressort du procès-verbal des réunions du comité de rémunérations du personnel des 10 mars, 5 mai, 14 juin, 13 juillet, 20 septembre et 15 novembre 2010, ainsi que du procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du 14 décembre 2010 qu’un des objectifs poursuivis par la réforme du régime des primes était de réduire le caractère automatique de leur allocation et de limiter les risques de « réémergence » d’attentes légitimes ou de droits acquis dans les années à venir, ce qui laisse supposer que telle était la manière, à tort ou à raison, selon laquelle l’ancien régime des primes était perçu.

118    Il découle de ce qui précède que l’ancien régime des primes avait été conçu comme discrétionnaire et variable, mais que la pratique suivie lui avait de facto conféré une stabilité significative quant aux conditions générales de l’octroi des primes et quant à leur ordre de grandeur.

119    La situation décrite au point précédent n’implique cependant pas que les requérants auraient acquis un droit s’opposant à la réforme de l’ancien régime des primes.

120    En effet, le fait qu’un organisme de l’Union ait, pendant une longue période, suivi une politique déterminée ne crée pas, pour les intéressés, un droit au maintien des avantages que cette politique a pu leur valoir (voir, en ce sens, dans le domaine de la politique agricole commune, arrêt de la Cour du 17 décembre 1981, Ludwigshafener Walzmühle Erling e.a./Conseil et Commission, 197/80 à 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, point 40). En conséquence, l’autorité est libre d’apporter à tout moment au régime de travail du personnel les modifications, pour l’avenir, qu’elle estime conformes à l’intérêt du service, même dans un sens défavorable aux agents (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 25 novembre 2008, Bosman/Conseil, F‑145/07, point 41). Il en va a fortiori ainsi s’agissant d’une simple pratique.

121    Les requérants soutiennent, enfin, que la stabilité du régime des primes avant la réforme a suscité dans leur chef une confiance légitime dans le maintien de celui-ci.

122    Toutefois, dans un domaine où l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation, une simple pratique, aussi courante soit-elle, n’équivaut pas à des renseignements précis, inconditionnels et concordants desquels une attente légitime pourrait réellement découler (voir, s’agissant du régime des pensions des fonctionnaires, arrêt du Tribunal de première instance du 29 novembre 2006, Campoli/Commission, T‑135/05, point 70 ; voir également en ce sens, dans le domaine de la concurrence, arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 8 septembre 2010, Deltafina/Commission, T‑29/05, points 292, 426 et 435, et du 5 octobre 2011, Transcatab/Commission, T‑39/06, point 291).

123    Les requérants peuvent d’autant moins se prévaloir en l’espèce d’une confiance légitime que la Banque avait annoncé à plusieurs reprises depuis 2004 une refonte du régime des primes.

124    En toute hypothèse, il ressort de la jurisprudence que, en présence d’une réglementation qu’elle entend modifier ou supprimer, l’autorité ne viole pas une attente légitime quant à son maintien si elle assortit les nouvelles dispositions d’une période transitoire d’une durée suffisante (arrêts de la Cour du 16 mai 1979, Tomadini, 84/78, point 20 ; du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, points 147 à 149, et du 14 octobre 2010, Nuova Agricast et Cofra/Commission, C‑67/09 P, point 69 ; arrêt du Tribunal du 13 avril 2011, Vakalis/Commission, F‑38/10, point 70).

125    Or, il est constant que la BEI a assorti la modification du régime des primes de dispositions transitoires s’étendant sur une période de cinq ans. Les requérants contestent, certes, cette période transitoire, mais ils le font dans le cadre du troisième moyen à l’examen duquel il est renvoyé pour l’examen de ladite contestation.

–       Conclusions quant au deuxième moyen

126    Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il apparaît que le deuxième moyen n’est pas fondé.

127    Compte tenu du constat opéré au point 125 ci-dessus, il convient d’examiner maintenant le troisième moyen de la requête et de reporter après celui-ci l’examen, déjà différé (voir point 85 ci-dessus), du premier moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation des principes de sécurité juridique, de non-rétroactivité et de prévisibilité, ainsi que de la méconnaissance du devoir de sollicitude 

 Arguments des parties

128    Les requérants soutiennent que les décisions des 9 novembre 2010, 14 décembre 2010 et 16 novembre 2011 méconnaissent le principe de sécurité juridique et de prévisibilité en ce qu’elles ont modifié unilatéralement le protocole d’accord deux ans après sa signature, alors que les parties avaient voulu lui donner un caractère durable. De plus, cette modification ne serait pas justifiée par des circonstances impérieuses. En effet, l’objectif de la Banque aurait été de réaliser des économies à charge de son personnel, ce qui ne constituerait pas un motif régulier et admissible et violerait le devoir de sollicitude. Les motifs du conseil d’administration de la BEI auraient été de pure opportunité en ce qu’il aurait entendu faire preuve d’une forme de solidarité avec la situation de certains États membres, alors qu’il lui appartiendrait de défendre les intérêts de la Banque et non des intérêts nationaux.

129    Par ailleurs, si l’autorité compétente peut apporter à tout moment au cadre réglementaire les modifications qu’elle estime conformes à l’intérêt du service et adopter des dispositions statutaires moins favorables pour les agents concernés, elle ne pourrait le faire que pour l’avenir et moyennant une période transitoire d’une durée suffisante.

130    Or, bien que prévoyant une période de transition, le nouveau régime de récompense des performances serait déjà partiellement entré en vigueur puisque 17 % du budget consacré aux primes le financerait déjà. Ce nouveau régime tendant à récompenser les performances des agents durant l’année 2011 s’appliquerait ainsi de façon rétroactive, alors qu’il eût convenu d’appliquer la grille « 4-3-2-1-0 » pour les performances de ladite année.

131    Enfin, le nouveau régime de récompense des performances serait pleinement applicable en 2017, au bout de cinq années, de sorte que la période transitoire instituée serait relativement limitée au regard de l’importance de la réforme et de la stabilité du régime antérieur.

132    La BEI conteste les griefs allégués par les requérants.

 Appréciation du Tribunal

133    S’agissant du respect du principe de sécurité juridique, il y a lieu d’observer qu’il ressort, en toute hypothèse, de l’examen du deuxième moyen que la Banque n’a pas garanti l’immuabilité du régime des rémunérations du personnel ni spécialement celle des dispositions figurant dans le protocole d’accord. Il s’ensuit qu’il ne saurait être inféré du fait que les décisions des 9 novembre 2010, 14 décembre 2010 et 16 novembre 2011 auraient prétendument rompu l’équilibre établi par ce protocole que la BEI aurait méconnu ce dernier et qu’elle aurait, partant, violé le principe de sécurité juridique en adoptant lesdites décisions.

134    Par ailleurs, comme le Tribunal l’a rappelé au point 120 ci-dessus, la jurisprudence est fixée en ce sens que l’autorité est libre d’apporter à tout moment au régime de travail du personnel les modifications, pour l’avenir, et ce même dans un sens défavorable aux agents. De plus, il y a lieu de rappeler que les possibilités budgétaires sont un des facteurs dont l’administration tient compte dans la politique du personnel (voir, pour ce qui concerne les institutions de l’Union, arrêt de la Cour du 17 décembre 1981, Bellardi-Ricci e.a./Commission, 178/80, point 19 ; arrêt du Tribunal du 9 octobre 2007, Bellantone/Cour des comptes, F‑85/06, point 64). Par conséquent, la volonté de réaliser des économies à charge du personnel n’est pas en soi un motif irrégulier et ne méconnaît pas non plus par elle-même le devoir de sollicitude. De surcroît, la modification du régime de travail du personnel est seulement subordonnée à la condition qu’elle trouve sa justification dans l’intérêt du service sans devoir pour autant correspondre à des circonstances impérieuses comme les requérants le suggèrent.

135    Les requérants soutiennent néanmoins que la réforme du régime des primes s’expliquerait par un souci de la Banque de témoigner une forme de solidarité avec la situation de certains États membres, alors qu’il ne lui appartient pas de défendre des intérêts nationaux.

136    Dans le présent recours, les requérants ne produisent toutefois aucun élément de nature à étayer leur assertion. En revanche, il ressort des extraits du plan d’activité de la Banque pour les années 2012 à 2014 produits par la BEI que la Banque avait pour objectif de continuer à allouer prioritairement ses ressources à ses activités opérationnelles dans un effort durable pour assurer que les objectifs stratégiques de financement de la Banque soient réalisés tant en termes qualitatifs que quantitatifs. Plus précisément, la réforme du régime des primes a été voulue par la Banque pour respecter « les meilleures pratiques [bancaires] » et pour tenir compte des « connotations négatives [...] associées à la notion de prime » dans le secteur bancaire, alors que le régime antérieur des primes ne répondait pas adéquatement aux besoins d’une organisation hautement performante en ce qu’il était notamment fondé sur l’ancienneté. Le plan d’activité de la Banque pour les années 2012 à 2014 évoque également, succinctement, le fait que des circonstances économiques et politiques ont influencé le budget 2012.

137    Enfin, il est constaté au point 82 de l’arrêt de ce jour Bodson e.a./BEI, précité, que, si le souci de tenir compte des mesures d’austérité adoptées dans de nombreux États membres n’était pas absent des préoccupations de la Banque, la décision du 13 décembre 2011 arrêtant le plan d’activité de celle-ci pour les années 2012 à 2014, notamment, était aussi dictée par la volonté de maîtriser l’augmentation du budget consacré au personnel et de s’aligner sur les bonnes pratiques du secteur bancaire dans le contexte général de crise économique et financière, ainsi que de défiance du public envers les institutions bancaires.

138    Dans ces conditions, il ne peut être soutenu que les décisions des 9 novembre 2010, 14 décembre 2010 et 16 novembre 2011 ne seraient pas justifiées par l’intérêt du service et qu’elles violeraient le principe de sécurité juridique ainsi que le devoir de sollicitude.

139    Par ailleurs, à supposer même que les agents puissent se prévaloir d’une attente légitime dans le maintien ou la stabilité du régime des primes antérieur, la réforme de ce régime a été assortie d’une période transitoire de cinq ans et cette période apparaît suffisante au regard de la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 mars 1982, Grogan/Commission, 127/80, point 34 ; arrêt Campoli/Commission, point 122 supra, points 10, 86 et 87). De plus, la circonstance que le régime transitoire ne respecte pas de manière intégrale, et à l’identique, l’ancien régime des primes ne saurait être critiquée, car la nature même d’une période transitoire est précisément d’organiser le passage progressif d’un régime à un autre. Exiger, comme semblent le faire les requérants, que le régime transitoire respecte l’ancien régime aurait pour conséquence de priver la réforme de toute portée pratique durant la période transitoire et de rendre brutal le passage au nouveau régime.

140    Enfin, la réforme du régime des primes, et notamment la décision du 16 novembre 2011, ne présente pas un caractère rétroactif.

141    Il y a lieu de rappeler qu’il n’y a pas de rétroactivité lorsque les dispositions modificatives s’appliquent aux effets futurs des situations nées sous l’empire des anciennes dispositions.

142    Comme le plaide la BEI, l’article 16 du règlement du personnel confère un pouvoir discrétionnaire au président de la Banque en matière de primes, tant dans le principe de l’octroi de ces primes qu’en ce qui concerne leur montant. Néanmoins, au vu des informations communiquées au Tribunal par les requérants, il apparaît que le fait générateur des primes régulières et des primes exceptionnelles résidait, respectivement, dans la reconnaissance de la réalisation des objectifs annuels des agents et dans la reconnaissance de leurs contributions exceptionnelles et que l’une et l’autre de ces reconnaissances ne pouvaient intervenir qu’au terme de l’exercice annuel d’évaluation. La BEI soutient dès lors avec raison que le changement de régime de primes a défini les critères d’allocation des nouvelles récompenses en prenant en compte la performance des agents et leur notation, avant même que leur évaluation ait eu lieu, puisque cette réforme résulte des décisions des 9 novembre 2010, 14 décembre 2010 et 16 novembre 2011 et que l’attribution des récompenses litigieuses est intervenue durant le premier trimestre 2012. Il convient, en effet, de distinguer entre, d’une part, l’évaluation des performances des agents compte étant tenu de la charge et de la qualité de leur travail, ainsi que de leurs éventuelles actions spécifiques et, d’autre part, la traduction de ces performances en primes ou récompenses qui constitue un effet futur d’une situation née sous l’empire de l’ancien régime des primes.

143    Le troisième moyen doit, par conséquent, être rejeté.

144    Après les deuxième et troisième moyens dont l’examen constituait un préalable en raison des circonstances de la cause, il convient maintenant d’examiner le premier moyen puis le quatrième, conformément à l’ordre retenu par les requérants.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 11, paragraphe 3, du règlement intérieur de la BEI

 Arguments des parties

145    Les requérants font valoir que l’article 11, paragraphe 3, du règlement intérieur de la BEI impose la consultation du comité de rémunérations du personnel. Or, en l’espèce, ce comité n’aurait pas été sollicité préalablement à la décision de modifier la grille « 4-3-2-1-0 » et avant de remettre en cause le protocole d’accord par la voie de la réforme du régime des primes. Dans leur mémoire en réplique, les requérants soutiennent, plus précisément, que le comité de rémunérations du personnel n’a pas été consulté sur l’adoption des nouvelles mesures compensatoires ou transitoires.

146    Compte tenu du rôle du comité de rémunérations du personnel, le fait pour celui-ci de ne pas avoir soumis toutes les informations nécessaires au conseil d’administration aurait pu affecter le contenu des décisions du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011 ainsi, partant, que les bulletins de salaire litigieux.

147    La BEI conteste le bien-fondé de cette argumentation.

 Appréciation du Tribunal

148    L’article 11, paragraphe 3, du règlement intérieur de la BEI dispose que, « [d]ans le cadre de ses compétences et conformément à l’article 18 du présent règlement, il est constitué au sein du [c]onseil d’administration un [c]omité de rémunérations du personnel en charge de sujets préalablement identifiés afin d’exprimer des avis non contraignants au [c]onseil d’administration en vue de faciliter la procédure de décision [...] »

149    Selon une décision du conseil d’administration, du 10 juin 2008, le comité de rémunérations du personnel est ainsi compétent pour émettre des avis sur la méthode d’adaptation des salaires, sur la révision générale du système de rémunération et sur celle du régime des pensions.

150    Premièrement, force est de constater que le grief selon lequel le comité de rémunérations du personnel n’aurait pas été consulté préalablement à la décision de modifier la grille « 4-3-2-1-0 » est inopérant. La grille en question concerne, en effet, l’avancement d’échelon au mérite, tandis que les décisions du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011 affectent l’octroi de primes, ou de récompenses selon la nouvelle terminologie de la BEI.

151    Selon la communication relative aux bonnes pratiques en matière d’évaluation pour l’année 2011 (point 28 supra), il existe, certes, un lien entre la grille d’avancement d’échelon au mérite et la récompense individuelle. Une cohérence doit être recherchée entre cette récompense et l’appréciation des mérites d’un agent, en particulier en ce qui concerne la manière selon laquelle il a atteint ses objectifs. En d’autres termes, une cohérence doit exister entre la récompense individuelle et la note A, B+, B, C, ou D que l’agent reçoit, sous la réserve, néanmoins, de la prise en compte de la comparaison des mérites de l’intéressé avec ceux de ses collègues. Cependant, la modification de la grille visée en l’espèce par les requérants a concerné le nombre d’échelons d’avancement, à savoir le passage de la grille « 4-3-2-1-0 » à la grille « 3-2-1-0-0 », attachés respectivement aux notes A, B+, B, C et D, lesquelles sont demeurées inchangées. Ainsi, la modification de la grille d’avancement d’échelon au mérite n’a fait que réduire le nombre d’échelons, et non les notes caractérisant l’appréciation finale des agents.

152    De toute manière, il a été constaté au point 110 de l’arrêt de ce jour Bodson e.a./BEI, précité, que la modification de la grille d’avancement d’échelon au mérite pour l’année 2011 ne figurait pas parmi les « sujets préalablement identifiés » visés à l’article 11, paragraphe 3, du règlement intérieur de la BEI et arrêtés par le conseil d’administration dans sa décision du 10 juin 2008.

153    Deuxièmement, en ce qui concerne le point de savoir si le comité de rémunérations du personnel devait être consulté avant de remettre en cause le protocole d’accord par la voie de la réforme du régime des primes et avant l’adoption des nouvelles mesures compensatoires ou transitoires, il y a lieu d’observer que cette réforme n’entrait pas dans les prévisions de l’article 11, paragraphe 3, du règlement intérieur de la BEI, telles que précisées par le conseil d’administration dans sa décision du 10 juin 2008. En effet, la Banque n’a pas procédé, en l’espèce, à une réforme de la méthode d’adaptation des salaires ni à une révision générale du système de rémunération ou du régime des pensions.

154    En toute hypothèse, le comité de rémunérations du personnel a bel et bien donné un avis sur la réforme du régime des primes. Il a pris en considération le protocole d’accord et a, en particulier, souligné que les mesures transitoires envisagées devraient respecter celui-ci, spécialement quant à la contribution au RCVP. Il a préconisé trois options, lesquelles ont conduit la BEI à augmenter le taux de sa contribution au RCVP et à supprimer le plafond de la contribution fixée initialement à 50 % du traitement mensuel de base. Le comité de rémunérations du personnel n’était pas tenu de procéder à une analyse détaillée de la situation des agents concernés par la réforme du régime des primes. En donnant son avis sur le projet de réforme et en mentionnant les points essentiels auxquels il fallait avoir égard, il a satisfait, en tout état de cause, aux exigences de l’article 11, paragraphe 3, du règlement intérieur de la BEI.

155    Il y a, en conséquence, lieu de rejeter le premier moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, d’une erreur dans les motifs, ainsi que d’une violation du principe de proportionnalité et du règlement du personnel

156    Au vu des développements consacrés par les requérants au quatrième moyen, il y a lieu de considérer qu’il se subdivise en deux branches, la première tirée d’une erreur manifeste d’appréciation, d’une erreur dans les motifs et d’une violation du principe de proportionnalité, la seconde d’une violation du règlement du personnel.

 Quant à la première branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation, d’une erreur dans les motifs et d’une violation du principe de proportionnalité

–       Arguments des parties

157    Les requérants font valoir que le comité de direction a rejeté une partie des mesures compensatoires complémentaires qui lui avaient été proposées par le département des ressources humaines et qui avaient le soutien des représentants du personnel. Ce faisant, le comité de direction n’aurait pas pris en considération le fait que ces mesures visaient à maintenir le niveau de compensation du protocole d’accord et qu’il s’était, lui-même, interrogé sur l’impact de la réforme du régime des primes sur le protocole d’accord lorsqu’il a demandé, le 9 novembre 2010, au même département des ressources humaines de discuter d’un éventuel nouveau protocole avec les représentants du personnel. Le comité de direction n’aurait, en outre, « nullement » tenu compte de l’intérêt des agents. Partant, la décision du comité de direction du 16 novembre 2011 reposerait sur un motif manifestement irrégulier et sur une appréciation manifestement erronée.

158    La décision du 16 novembre 2011 serait également contraire au principe de proportionnalité, en ce que les mesures écartées, et qui auraient été nécessaires pour maintenir le niveau de compensation du protocole d’accord, n’emportaient qu’un coût marginal pour la Banque, dont la situation financière serait excellente, voire n’avaient aucun impact sur son budget administratif.

159    La BEI conteste ces arguments et soutient que le moyen n’est pas fondé.

–       Appréciation du Tribunal

160    Il ressort des antécédents du litige que les décisions du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011 tendaient à réformer l’ancien régime des primes parce que celui-ci ne répondait pas adéquatement aux besoins d’un organisme hautement performant, d’une part, en récompensant mieux les performances les plus significatives des agents et, d’autre part, en limitant l’évolution du budget administratif de la Banque, notamment en ce qui concerne les frais de personnel.

161    Or, un organisme, telle la BEI, dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans la définition de sa politique de gestion du personnel et dans la détermination des modalités de cette politique. De plus, la réponse à des préoccupations budgétaires implique la prise en compte d’évolutions économiques et de variables financières dans le cadre de laquelle la Banque dispose également d’un large pouvoir d’appréciation. En conséquence, le contrôle juridictionnel que le Tribunal exerce en la matière ne peut qu’être restreint. Aussi le Tribunal doit-il se limiter à examiner si les appréciations de la Banque sont entachées d’une erreur manifeste ou si elle n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 juin 2005, HLH Warenvertrieb et Orthica, C‑318/03, point 75).

162    Or, une erreur peut seulement être qualifiée de manifeste lorsqu’elle est aisément perceptible et peut être détectée à l’évidence (arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 mai 2013, Canga Fano/Conseil, T‑281/11 P, point 127), à l’aune des critères auxquels l’exercice du pouvoir décisionnel en question est subordonné. En conséquence, afin d’établir que l’administration a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des faits qui soit de nature à justifier l’annulation d’une décision, les éléments de preuve, qu’il incombe à la partie requérante d’apporter, doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations retenues par l’administration. En d’autres termes, le moyen tiré de l’erreur manifeste doit être rejeté si, en dépit des éléments avancés par le requérant, l’appréciation mise en cause peut être admise comme étant toujours vraie ou valable (arrêt du Tribunal du 29 septembre 2011, AJ/Commission, F‑80/10, point 35).

163    Il revient au Tribunal d’examiner les griefs des requérants au vu des éléments qui précèdent.

164    En premier lieu, force est de rappeler qu’il ressort de l’examen du deuxième moyen que les instances dirigeantes de la BEI ne se sont pas engagées juridiquement à ne pas modifier le protocole d’accord et donc à compenser toute altération de son économie. De plus, le fait, pour le comité de direction, de ne pas reprendre toutes les propositions présentées par le département des ressources humaines en accord avec les représentants du personnel ne saurait en lui-même être constitutif d’une erreur dans les motifs et encore moins d’une erreur manifeste d’appréciation. Une telle assertion reviendrait, en effet, à lier en ce cas la compétence pourtant discrétionnaire des autorités de la BEI. Or, il convient de rappeler que le droit des représentants du personnel d’être consultés laisse intactes les prérogatives de décision de l’employeur (arrêt du Tribunal de première instance du 6 mars 2001, Dunnett e.a./BEI, T‑192/99, point 89).

165    Les requérants ne démontrent d’ailleurs pas l’insuffisance des mesures compensatoires décidées le 9 novembre 2010, le 14 décembre 2010 et le 16 novembre 2011 d’une manière susceptible d’établir l’existence, en l’espèce, d’une erreur manifeste d’appréciation.

166    En effet, les requérants produisent une simulation dont il résulte que, sur une carrière entière, le nouveau régime des récompenses serait bénéfique pour les requérants Mme Heger, MM. Bodson et Sutil et désavantageux pour les cinq autres requérants, quoique de manière peu significative pour trois d’entre eux. Les décisions critiquées du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011 ayant une portée générale, il ne saurait dès lors être inféré de cette simulation que celles-ci seraient entachées d’une erreur manifeste d’appréciation.

167    Plus fondamentalement, l’affirmation, par les requérants eux-mêmes, que le nouveau régime de récompense des performances est dépourvu de stabilité nuit, comme telle, à la crédibilité de la simulation que ceux-ci produisent. En effet, ce nouveau régime dépend non seulement d’indicateurs de résultats nécessairement variables, mais aussi des disponibilités budgétaires, du nombre de bénéficiaires des récompenses individuelles fixé discrétionnairement par les instances dirigeantes de la BEI et de la comparaison des performances de chacun avec celles des autres agents de même catégorie (points 26 et 27 du présent arrêt). Dès lors que le nouveau régime de récompense est caractérisé par son caractère discrétionnaire et sa variabilité, la simulation sur laquelle les requérants se basent est nécessairement trop aléatoire pour étayer, au vu des résultats de cette simulation, l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation dans le chef de la Banque. De surcroît, bien qu’invités dans le rapport préparatoire d’audience à expliciter par écrit la simulation susmentionnée en précisant notamment les données sur lesquelles elle se fondait, les requérants se sont limités à renvoyer à la liste des annexes de leur requête et à leur mémoire en réplique, alors que la Banque contestait précisément les éléments figurant dans ces documents. Ainsi la Banque observait-elle, s’agissant des paramètres utilisés dans la simulation, premièrement, que la bonification d’intérêts avait atteint 183,3 points de base en moyenne de 2009 à 2012, alors que les requérants retenaient seulement le nombre de 100 points de base, deuxièmement, que la Banque avait atteint en moyenne, durant les mêmes années, 108,25 % des indicateurs de performance de l’entreprise (Corporate Performance Indicators), alors que les requérants se fondaient sur un résultat de 90 % et, troisièmement, que l’augmentation moyenne du barème des traitements de base avait été de 2,34 % sur la période allant de 2006 à 2011, alors que les requérants se basaient sur une augmentation de 2 %.

168    En deuxième lieu, dans sa décision du 9 novembre 2010, le comité de direction s’est limité à demander au département des ressources humaines de discuter avec les représentants du personnel de l’étendue d’un éventuel nouveau protocole d’accord après avoir pris connaissance de la position de ces derniers. Le fait que le comité de direction ait finalement décidé de ne pas adopter toutes les mesures compensatoires suggérées par le département des ressources humaines ne saurait, dans ce contexte, établir une erreur dans les motifs ou une erreur manifeste d’appréciation.

169    En troisième lieu, l’affirmation des requérants selon laquelle le comité de direction n’aurait « nullement » pris en compte l’intérêt des agents est insuffisamment étayée pour prospérer. Le caractère absolu de cette affirmation est d’ailleurs démenti par les discussions menées par le département des ressources humaines avec les représentants du personnel, ainsi que par l’existence même de mesures compensatoires assortissant précisément la réforme du régime des primes.

170    En quatrième lieu, l’argument des requérants selon lequel l’économie résultant du rejet de certaines mesures compensatoires qui avaient été proposées serait trop marginale pour être utile n’est pas étayé de preuves. De plus, la BEI soutient, sans être contredite, que ses bénéfices doivent être prioritairement affectés à ses missions d’intérêt général, lesquelles sont appelées à se développer davantage en période de crise bancaire, budgétaire et économique. Les requérants ne contestent pas davantage sérieusement que l’obligation pour la Banque de respecter un ratio de ressources propres déterminant sa capacité de financement, ainsi que des « pratiques bancaires » l’astreignant au respect de ratios de capital lui imposent de dégager un montant élevé de ressources disponibles, nécessitant une maîtrise des coûts internes, notamment de personnel. En toute hypothèse, les décisions du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011 ne doivent pas uniquement s’apprécier d’un point de vue budgétaire, mais aussi au regard de l’objectif de gestion du personnel tendant à mieux récompenser que par le passé les performances les plus significatives des agents, spécialement dans le contexte général de crise et de défiance envers le secteur bancaire.

171    Il s’ensuit que la première branche du quatrième moyen n’est pas fondée.

 Quant à la seconde branche, tirée d’une violation du règlement du personnel

–       Arguments des parties

172    Dans leur mémoire en réplique, les requérants font, enfin, valoir qu’en limitant à 2,8 % le budget dédié à la progression salariale, la BEI n’aurait pas permis le financement des primes, de l’avancement d’échelon et des promotions en violation des articles 20, 22 et 23 du règlement du personnel, ainsi que de ses annexes I et II.

173    La BEI conteste tant la recevabilité que le bien-fondé de cette branche du moyen.

–       Appréciation du Tribunal

174    Force est de constater que les griefs avancés par les requérants sont, en l’espèce, irrecevables en ce qu’ils constituent des moyens nouveaux et en ce qu’ils ne sont pas développés.

175    En toute hypothèse, les décisions du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011 ne concernent ni les traitements de base, ni l’appréciation annuelle des agents et l’avancement d’échelon, ni les promotions. De surcroît, les articles 20, 22 et 23 du règlement du personnel, ainsi que les annexes I et II de ce règlement ne fixent pas par eux-mêmes le montant des récompenses et ne comportent aucune disposition dont il pourrait être inféré une interdiction, pour les autorités de la BEI, d’adopter en ce domaine des règles moins favorables qu’antérieurement.

176    La seconde branche et, au vu de tout ce qui précède, l’ensemble du quatrième moyen doivent par conséquent être rejetés.

2.     Sur les conclusions tendant au versement d’une rémunération complémentaire et à la condamnation de la BEI au paiement de dommages et intérêts

 Arguments des parties

177    Les requérants demandent, en conséquence de l’annulation des décisions attaquées, le paiement de la différence résultant, d’une part, des décisions du 9 novembre 2010, du 14 décembre 2010 et du 16 novembre 2011 et, d’autre part, du précédent régime des primes, augmentée d’un intérêt de retard calculé, à compter du 22 avril 2012, au taux de la BCE augmenté de trois points. Ils prétendent, en outre, avoir subi un préjudice consistant en la perte d’un pouvoir d’achat, à défaut d’avoir disposé des récompenses auxquelles ils avaient droit. Ils évaluent ce préjudice ex æquo et bono, et à titre provisionnel, à 1,5 % de leur rémunération mensuelle.

178    La BEI conteste ces demandes.

 Appréciation du Tribunal

179    Le Tribunal constate que les conclusions des requérants tendant au versement d’une récompense complémentaire et à la condamnation de la BEI au paiement de dommages et intérêts sont étroitement liées aux conclusions en annulation, de sorte qu’elles doivent être écartées par voie de conséquence au rejet de ces dernières.

 Sur les mesures d’organisation de la procédure sollicitées par les requérants

180    Dans leurs conclusions, et pour le cas où la BEI ne les produirait pas spontanément, les requérants demandent au Tribunal, au titre de mesures d’organisation de la procédure, d’inviter cette dernière à déposer son plan d’activité pour les années 2012 à 2014, les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration des 14 décembre 2010 et 13 décembre 2011, les notes du département des ressources humaines des 22 juin 2011, 20 octobre 2011 et 25 janvier 2012, ainsi que les procès-verbaux des réunions du comité de rémunérations du personnel des 10 mars, 5 mai, 14 juin, 13 juillet, 20 septembre et 15 novembre 2010, tous documents qui seraient, selon eux, nécessaires à la compréhension de leur recours.

181    La Banque a produit des extraits de son plan d’activité pour les années 2012 à 2014 en annexe à son mémoire en duplique et les requérants n’ont pas contesté le fait que ce document n’ait pas été communiqué dans sa totalité. La Banque a également produit en annexe à son mémoire en défense le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du 14 décembre 2010, ainsi que les procès-verbaux des réunions du comité de rémunérations du personnel des 10 mars, 5 mai, 14 juin, 13 juillet, 20 septembre et 15 novembre 2010.

182    En revanche, la Banque n’a pas produit le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du 13 décembre 2011 et les notes établies par le département des ressources humaines le 22 juin 2011, le 20 octobre 2011 et le 25 janvier 2012.

183    Les requérants ont toutefois décrit dans leurs écrits de procédure la substance du contenu du procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du 13 décembre 2011 et des projets établis par le département des ressources humaines les 22 juin et 20 octobre 2011 sans que ces descriptions soient contestées par la Banque.

184    De plus, les requérants sont restés en défaut d’expliquer en quoi la communication des documents susmentionnés était indispensable, alors que pour permettre au Tribunal de déterminer s’il est utile au bon déroulement de la procédure d’ordonner la production de certains documents, la partie qui en fait la demande doit, non seulement identifier les documents sollicités, mais aussi fournir au moins un minimum d’éléments accréditant l’utilité de ces documents pour les besoins de l’instance (arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, point 93 ; arrêt du Tribunal de première instance du 18 janvier 2005, Entorn/Commission, T‑141/01, point 132).

185    Il n’y a, par conséquent, pas lieu de faire droit à la demande de mesures d’organisation de la procédure formulée par les requérants.

 Sur les dépens

186    Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

187    Il résulte des motifs énoncés ci-dessus que les requérants ont succombé en leur recours. En outre, la BEI a, dans ses conclusions, expressément demandé que les requérants soient condamnés aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, les requérants doivent supporter leurs propres dépens et sont condamnés à supporter les dépens exposés par la BEI.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Bodson et les sept autres requérants dont les noms figurent en annexe supportent leurs propres dépens et sont condamnés à supporter les dépens exposés par la Banque européenne d’investissement.

Van Raepenbusch

Barents

Bradley

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 février 2014.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       S. Van Raepenbusch

ANNEXE

Dalila Bundy, demeurant à Cosnes-et-Romain (France),

Didier Dulieu, demeurant à Roussy-le-Village (France),

Marie-Christel Heger, demeurant à Nospelt (Luxembourg),

Evangelos Kourgias, demeurant à Senningerberg (Luxembourg),

Manuel Sutil, demeurant à Luxembourg,

Patrick Vanhoudt, demeurant à Gonderange (Luxembourg),

Henry von Blumenthal, demeurant à Bergem (Luxembourg).


* Langue de procédure : le français.