Language of document : ECLI:EU:C:2014:1958

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 27 mars 2014 (1)

Affaire C‑67/13 P

Groupement des cartes bancaires (CB)

contre

Commission européenne

«Pourvoi – Ententes – Marché des cartes bancaires en France – Groupement des cartes bancaires (CB) – Mesures tarifaires applicables aux ‘nouveaux entrants’ du Groupement – Droit d’adhésion et mécanismes dits ‘de régulation de la fonction acquéreur’ et ‘de réveil des dormants’ – Existence d’une restriction de concurrence par objet – Pouvoirs d’injonction – Respect des principes de proportionnalité et de sécurité juridique»





1.        Par le présent pourvoi, le Groupement des cartes bancaires (CB) (ci-après le «Groupement») entend obtenir l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 29 novembre 2012, CB/Commission (2), par lequel ce dernier a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C (2007) 5060 final de la Commission, du 17 octobre 2007, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (COMP/D1/38606 – Groupement des cartes bancaires «CB») (ci-après la «décision litigieuse»).

2.        En l’occurrence, la Cour est principalement amenée à déterminer si le Tribunal pouvait, sans commettre d’erreur de droit, conclure que les mesures en cause avaient pour «objet» de restreindre la concurrence, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE (devenu article 101, paragraphe 1, TFUE), étant précisé que, en l’espèce, le Tribunal s’est dispensé d’en examiner les effets sur la concurrence, et ce à la différence de la Commission européenne, qui, dans la décision litigieuse, a constaté que ces mesures avaient, outre un tel objet, des effets anticoncurrentiels au terme d’une analyse approfondie (3).

3.        Il convient en particulier de répondre à la question de savoir si c’est à bon droit que le Tribunal a retenu et, le cas échéant, appliqué une conception plutôt extensive de la notion de «restriction par objet». Cette importante question, qui est certes loin d’être inédite, se présente dans le cadre très particulier du marché des cartes de paiement, dont la nature biface (4) et les caractéristiques très particulières n’ont, pour l’heure (5), pas encore été examinées par la Cour. Plus fondamentalement, la présente affaire offre à la Cour une nouvelle occasion d’affiner sa jurisprudence, quelque peu controversée, sur la notion de «restriction par objet», visée à l’article 81, paragraphe 1, CE.

I –    Les antécédents du litige

4.        Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent de l’arrêt attaqué, peuvent se résumer comme suit.

5.        Le requérant est un groupement d’intérêt économique de droit français, créé en 1984 par les principaux établissements bancaires français. Il a été créé afin de réaliser l’interopérabilité des systèmes de paiement et de retrait par cartes bancaires (ci-après les «CB») émises par ses membres. Cette interopérabilité se traduit en pratique par le fait qu’une CB émise par un membre du Groupement peut être utilisée pour effectuer des paiements auprès de tous les commerçants affiliés au système CB par l’intermédiaire de n’importe quel autre membre et/ou peut être utilisée pour effectuer des retraits dans les distributeurs automatiques de billets (ci-après les «DAB») exploités par tous les autres membres. Les membres du Groupement, dont le nombre s’élevait à 148 le 29 juin 2007, sont soit des établissements dits «chefs de file», soit des établissements rattachés à l’un des chefs de file. En vertu du contrat constitutif du Groupement, la BNP Paribas, la BPCE, anciennement la Caisse nationale des caisses d’épargne et de prévoyance (CNCEP), et la Société générale (ci-après la «SG») figurent parmi les onze chefs de file.

6.        Le 10 décembre 2002, le Groupement a notifié à la Commission, en vertu du règlement nº 17 (6), différentes nouvelles règles envisagées pour le système CB, consistant, notamment (7), en trois mesures tarifaires, qui peuvent être décrites de la manière suivante:

–        Un dispositif dénommé «MERFA» (8) qui, selon le Groupement, avait, en substance, pour objectifs, d’une part, d’inciter les membres davantage émetteurs qu’acquéreurs à développer leur activité d’acquisition et, d’autre part, de prendre en compte financièrement les efforts des membres dont l’activité d’acquisition est importante par rapport à leur activité d’émission. La formule prévue à cette fin consistait à comparer la part du membre dans le total des activités d’émission du système CB (mesurées en nombre de SIREN (9) et de DAB) par rapport à la part de ce membre dans le total des activités d’émission de ce système. Le MERFA devait s’appliquer lorsque le rapport entre les deux ratios était inférieur à 0,5. Les sommes perçues au titre du MERFA devaient être réparties entre les membres du Groupement qui n’étaient redevables d’aucune somme au même titre, au prorata de leur contribution à l’activité d’acquisition. Ces membres pouvaient utiliser librement les sommes perçues à ce titre.

–        Une réforme du droit d’adhésion au Groupement qui comprenait, outre un montant fixe de 50 000 euros perçu lors de l’adhésion, un droit par CB émise et active pendant les trois années suivant l’adhésion et, le cas échéant, un droit complémentaire d’adhésion applicable aux membres dont le nombre de CB en stock au cours ou à la fin de la sixième année suivant leur adhésion excède le triple de leur nombre de CB en stock à la fin de la troisième année suivant leur adhésion.

–        Un dispositif dénommé «réveil des dormants» consistant en un droit par CB émise applicable aux membres inactifs ou peu actifs avant la date d’entrée en vigueur des nouvelles mesures tarifaires, dont la part dans l’activité d’émission de CB de l’ensemble du système CB, au cours de l’une des années 2003, 2004 et 2005, aurait été plus de trois fois supérieure à leur part dans l’activité relative aux CB totale de l’ensemble du système CB au cours de l’exercice 2000, de l’exercice 2001 ou de l’exercice 2002.

7.        Le 6 juillet 2004, la Commission a adopté une première communication des griefs, adressée au Groupement et à neuf chefs de file ayant fait l’objet de vérifications, par laquelle elle leur reprochait d’avoir conclu un «accord secret anticoncurrentiel» ayant «globalement pour objet de limiter la concurrence entre les banques parties à l’accord ainsi que de freiner de manière concertée la concurrence des nouveaux entrants (notamment la grande distribution, les banques en ligne et les banques étrangères) sur le marché de l’émission de [CB]». Elle a estimé que «la notification [avait] été faite dans le but de dissimuler le véritable contenu de l’accord anticoncurrentiel». Elle envisageait de priver de tout effet la notification et d’infliger une amende aux destinataires de cette communication des griefs. Le Groupement a répondu à cette communication des griefs le 8 novembre 2004 et une audition s’est tenue les 16 et 17 décembre 2004.

8.        Le 17 juillet 2006, la Commission a adopté une seconde communication des griefs, adressée uniquement au Groupement. Elle y indiquait que la première communication des griefs devait être considérée comme retirée. Cette seconde communication des griefs portait sur une décision d’association d’entreprises instituant une série de mesures tarifaires ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel. Le Groupement a répondu à cette seconde communication des griefs le 19 octobre 2006 et une audition s’est tenue le 13 novembre 2006.

9.        Le 20 juillet 2007, le Groupement a présenté une proposition d’engagements en vertu de l’article 9 du règlement (CE) nº 1/2003 (10), qui a été considérée comme étant tardive et insatisfaisante par le directeur général de la direction générale de la concurrence de la Commission.

10.      La Commission a dès lors adopté la décision litigieuse, dans laquelle elle a considéré que le Groupement avait enfreint l’article 81 CE. Cette décision contient notamment les considérations suivantes:

–        le marché en cause a été défini comme étant celui de l’émission des cartes de paiement en France;

–        les mesures en cause constituent une décision d’association d’entreprises;

–        ces mesures ont un objet anticoncurrentiel. Cet objet ressort des formules mêmes prévues pour celles-ci et contredit les objectifs de ces mesures déclarés dans la notification. D’une part, ces mesures ne sont pas appropriées pour encourager l’acquisition et elles aboutissent soit à imposer un surcoût aux membres qui y sont soumis, soit à limiter l’activité d’émission des membres qui y auraient autrement été soumis. D’autre part, la fonction d’incitation de l’activité d’acquisition prêtée au MERFA est contredite par la fonction prêtée aux commissions interbancaires et par la fonction du droit complémentaire d’adhésion et du droit de réveil des dormants. Cet objet anticoncurrentiel correspond aux objectifs réels de ces mesures, exprimés par les chefs de file lors de leur préparation, à savoir la volonté d’entraver la concurrence des nouveaux entrants et de les pénaliser, la volonté de préserver les revenus des chefs de file et la volonté de limiter la réduction du prix des CB;

–        les mesures en cause ont également un effet restrictif de concurrence. En particulier, au cours de la période de leur application (entre le 1er janvier 2003 et le 8 juin 2004), ces mesures ont conduit à la réduction des plans d’émission de CB des nouveaux entrants et à la prévention de la baisse du prix des CB, tant des nouveaux entrants que des chefs de file;

–        les mesures en causes ne peuvent être considérées comme des restrictions accessoires échappant au champ d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, et

–        les conditions d’application de l’article 81, paragraphe 3, CE ne sont pas réunies. Notamment, la justification des mesures en cause, en particulier en ce qui concerne le MERFA, en tant que mécanisme d’équilibrage entre les fonctions d’acquisition et d’émission, ne pouvait être acceptée dès lors que la proportion de l’activité d’émission par rapport à l’activité d’acquisition de référence est celle des chefs de file et non celle d’un équilibre optimal pour le système CB.

11.      La Commission en a conclu que l’article 81, paragraphe 3, CE n’était pas applicable aux mesures en cause, que la décision du Groupement relative aux mesures en cause était contraire aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE et nulle de plein droit en application de l’article 81, paragraphe 2, CE et qu’elle était, dès lors, fondée à ordonner au Groupement de retirer les mesures en cause et de s’abstenir à l’avenir de tout accord, décision d’association d’entreprises ou pratique concertée ayant un objet ou un effet similaire.

12.      La décision litigieuse dispose:

«Article premier

Les mesures tarifaires adoptées par le [Groupement] par décisions des 8 et 29 novembre 2002 [du conseil de direction], à savoir le [MERFA], le droit d’adhésion par carte et le droit complémentaire d’adhésion, ainsi que le [droit de réveil des dormants] applicable aux membres du Groupement qui n’ont pas développé d’activité ‘CB’ significative depuis leur adhésion sont contraires à l’article 81 [CE].

Article 2

Le Groupement met fin immédiatement à l’infraction visée à l’article 1er en retirant les mesures tarifaires notifiées visées audit article, dans la mesure où il ne l’a pas déjà fait.

Le Groupement s’abstient, à l’avenir, de toute mesure ou [de] tout comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.»

II – La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

13.      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 décembre 2007, le requérant a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. La BNP Paribas, la BPCE et la SG sont intervenues au soutien du requérant.

14.      À l’appui de leur demande, le requérant, soutenu par les intervenantes ont soulevé six moyens. Le premier moyen était tiré de la violation de l’article 81 CE en raison d’erreurs dans la méthode d’analyse des mesures en cause et des marchés retenus, de la violation du principe d’égalité de traitement et d’un défaut de motivation. Le deuxième moyen était tiré de la violation de l’article 81, paragraphe 1, CE en raison d’erreurs de droit, de fait et d’appréciation dans l’examen de l’objet des mesures en cause. Le troisième moyen était tiré d’erreurs de droit, de fait et d’appréciation dans l’examen des effets des mesures en cause. Le quatrième moyen, soulevé à titre subsidiaire, était tiré de la violation de l’article 81, paragraphe 3, CE en raison d’erreurs de droit, de fait et d’appréciation dans l’examen de l’applicabilité de cette disposition aux mesures en cause. Le cinquième moyen était tiré de la violation du principe de bonne administration. Le sixième moyen était tiré de la violation des principes de proportionnalité et de sécurité juridique.

15.      Ayant écarté l’ensemble de ces moyens, le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité, condamné le Groupement à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission et condamné la BNP Paribas, la BPCE et la SG à leurs propres dépens.

III – Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

16.      Par son pourvoi, le requérant conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        annuler l’arrêt attaqué;

–        renvoyer l’affaire devant le Tribunal, à moins que la Cour considère être suffisamment informée pour annuler la décision litigieuse, et

–        condamner la Commission aux dépens supportés devant la Cour et le Tribunal.

17.      La BNP Paribas, la BPCE et la SG ont soumis des mémoires en réponse au soutien du requérant.

18.      La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation du requérant aux dépens.

19.      Les parties ont exposé leurs positions par écrit et oralement lors de l’audience du 22 janvier 2014.

IV – Appréciation des moyens du pourvoi

20.      Le requérant invoque trois moyens à l’appui de son pourvoi. Le premier moyen est tiré d’erreurs de droit dans l’application de la notion de «restriction de concurrence par objet». Le deuxième moyen est tiré d’erreurs de droit dans l’application de la notion de «restriction de concurrence par effet». Le troisième moyen est, quant à lui, pris de la violation des principes de proportionnalité et de sécurité juridique.

21.      À titre liminaire, le requérant avance que le Tribunal aurait manifestement occulté de la description des faits (points 1 à 48 de l’arrêt attaqué) des éléments essentiels, ce qui démontrerait qu’il ne s’est jamais départi de la position de la Commission et qu’il a omis d’exercer le contrôle approfondi de droit et de fait exigé par la Cour (11). Ces éléments consisteraient, d’une part, dans le fait que la Commission a radicalement changé de position lors de l’instruction (12), ce qui s’expliquerait par des erreurs fondamentales d’analyse que la Commission a omis de relever, et, d’autre part, dans l’ignorance des débats intervenus lors de l’audience tenue devant le Tribunal le 16 mai 2012 quant à la notion de restriction par objet, en rapport notamment avec l’interprétation devant être retenue de l’arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers (13).

22.      Il me semble que ces considérations liminaires, qui constituent la toile de fond des questions soulevées par la présente affaire, ne sauraient être analysées comme tendant à invoquer un ou des moyens distincts de ceux formellement exposés.

23.      Il convient donc d’examiner successivement les trois moyens formellement soulevés en insistant sur le premier qui, me semble-il, se situe au cœur des débats et qui présente, en outre, un intérêt tout particulier.

A –    Sur le premier moyen, pris d’erreurs de droit dans l’application de la notion de restriction par objet

24.      Le requérant, auquel se rallient la BNP Paribas, la BPCE et la SG, fait valoir que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit dans l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE. Il souligne que l’approche retenue par le Tribunal constitue un grave précédent, en ce qu’elle revient à interdire per se tout prix facturé par un opérateur à un autre. Le Groupement soutient, plus particulièrement, que le Tribunal a méconnu que la notion de restriction par objet ne peut recevoir une interprétation trop large et a occulté le cadre d’analyse généralement suivi par la Cour pour identifier une telle restriction.

25.      Avant d’examiner l’ensemble des griefs soulevés à l’encontre de la grille d’analyse des mesures en cause retenue par le Tribunal, il me semble indispensable d’exposer un certain nombre de considérations liminaires en rapport avec l’approche devant, me semble-t-il, être retenue lorsqu’il s’agit d’examiner l’existence d’une restriction de concurrence par objet au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

1.      Considérations générales sur les contours de la notion d’objet anticoncurrentiel au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE

26.      Il est bien acquis que tout système d’interdiction et de sanction des pratiques collusives vise les comportements qui ont une portée restrictive de concurrence (14).

27.      Aux fins d’identifier les comportements qui ont une portée restrictive de concurrence, deux voies méthodologiques sont généralement envisageables.

28.      La première consiste en une approche de nature casuistique, qui implique un examen circonstancié et approfondi des effets anticoncurrentiels, réels et potentiels, des comportements des entreprises. Une telle orientation, si elle a le grand avantage de viser précisément les pratiques qui ont clairement des effets restrictifs de concurrence, implique la mobilisation de ressources importantes et n’est pas gage d’économie procédurale. Ce faisant, elle peut, in fine, constituer un obstacle à la détection généralisée des comportements anticoncurrentiels.

29.      Ces inconvénients ont conduit à s’engager dans une seconde orientation, partiellement moins individualisée, par référence également aux comportements qui sont généralement considérés, au terme de l’analyse économique, comme ayant des effets nuisibles sur la concurrence.

30.      Dans un tel système, il n’y a pas de différence d’un point de vue substantiel entre les comportements des entreprises qui sont qualifiés de restrictifs de concurrence à l’issue d’un examen individuel et ceux qui le sont par application d’une approche standardisée – les deux sont prohibés. La distinction qu’il convient d’opérer repose avant toute chose sur des considérations d’ordre procédural en rapport avec la preuve des effets anticoncurrentiels qu’induisent les comportements incriminés.

31.      À titre illustratif, en droit antitrust américain, un certain nombre de comportements sont considérés comme des infractions per se. Les entreprises auteurs de tels comportements ne sont pas en mesure, que ce soit devant l’autorité en charge de la poursuite des infractions à la concurrence ou devant le juge, de mettre en cause la qualification d’entente restrictive de concurrence en établissant la preuve que lesdits comportements emportent peu d’effets préjudiciables, voire certains effets bénéfiques, sur la concurrence.

32.      La référence à l’article 81, paragraphe, 1, CE aux ententes ayant «pour objet d’empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun» emporte des conséquences comparables même si elles ne sont pas identiques.

33.      En premier lieu, dès lors qu’il est établi que les comportements des entreprises ont un «objet» anticoncurrentiel, ces comportements sont en principe interdits, sans qu’il y ait lieu d’en examiner les effets.

34.      En second lieu, si une mise en balance des effets pro et anticoncurrentiels est envisageable dans le cadre de l’application de l’article 81, paragraphe 3, CE, il n’en reste pas moins que le recours à la notion d’objet anticoncurrentiel, en ce qu’il simplifie l’établissement de l’impact restrictif de certaines pratiques suivies par les entreprises, présente un certain nombre d’avantages.

35.      Tout d’abord, il est indubitablement source de prévisibilité, et donc de sécurité juridique, pour les entreprises, en ce qu’il leur permet d’avoir connaissance des conséquences juridiques (en termes notamment d’interdictions et de sanctions) qu’entraîneront certaines de leurs actions, telles que, par exemple, la conclusion d’accords portant sur les prix, et d’adapter leurs comportements en conséquence. Ce faisant, l’identification d’ententes ayant un objet restrictif de concurrence a, ensuite, également un impact dissuasif et contribue à la prévention des comportements anticoncurrentiels. Enfin, elle est source d’économie procédurale en ce qu’elle permet aux autorités chargées de la concurrence, en présence de certaines formes de collusion, de conclure à leur impact anticoncurrentiel, sans qu’il soit besoin pour elles de procéder à l’examen, souvent complexe et fastidieux, de leurs effets potentiels ou réels sur le marché concerné.

36.      De tels avantages ne se manifesteront toutefois que si le recours à la notion de restriction par objet est clairement circonscrit, à défaut de quoi cela pourrait aboutir à englober des comportements dont les effets nocifs sur la concurrence ne sont pas clairement avérés.

37.      Ces considérations trouvent un appui plus concret dans les enseignements qui peuvent être tirés de la jurisprudence bien établie de la Cour.

38.      Premièrement et ainsi que la Cour l’a très tôt jugé dans son arrêt LTM (15), et rappelé de façon constante (16), le caractère alternatif de la condition tenant à l’existence d’un accord ayant «pour objet ou pour effet» de restreindre la concurrence visée à l’article 81, paragraphe 1, CE, marqué par la conjonction «ou», conduit d’abord à la nécessité de considérer l’objet même de l’accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué. La Cour a, à cet égard, précisé que, au cas cependant où «l’analyse des clauses de cet accord ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité» (italique ajouté par mes soins) à l’égard de la concurrence, il conviendrait alors d’en examiner les effets et, pour le frapper d’interdiction, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint ou faussé de façon sensible. Pour apprécier si un accord est prohibé par l’article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération de ses effets concrets est donc superflue lorsqu’il apparaît que celui-ci a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (17).

39.      Deuxièmement, la Cour a précisé que la distinction entre les «infractions par objet» et les «infractions par effet» tient à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (18). Des formes variées de coopération entre entreprises ont ainsi été considérées comme comportant, du fait de leur objet même, une restriction de concurrence par objet. Ont ainsi été jugées comme comportant un objet restrictif de concurrence non seulement des types de coopérations horizontales autres que celles visées à l’article 81, paragraphe 1, sous a) à e), CE (19), mais également un certain nombre d’accords verticaux (20).

40.      Troisièmement, l’appréciation plus standardisée à laquelle aboutit le recours à la notion de restriction par objet suppose un examen circonstancié et individuel de l’accord litigieux, qui toutefois doit être clairement distingué de l’examen des effets réels ou potentiels des comportements des entreprises incriminés.

41.      En ce sens, la Cour a, très tôt (21), précisé que l’examen de la question de savoir si un contrat avait un objet restrictif ne pouvait être déconnecté du contexte économique et juridique au vu duquel les parties l’avait conclu. Elle a, ensuite et de façon constante, rappelé que les clauses des accords en cause devaient effectivement être examinées à la lumière de leur contexte (22), l’idée sous-jacente étant que, dans l’examen de la compatibilité d’un comportement avec les dispositions du traité en matière d’ententes, des considérations purement théoriques et abstraites sont difficilement défendables (23).

42.      Pour illustrer mon propos, je me réfère à l’exemple d’une infraction, qui, au vu de l’expérience acquise, est présumée produire une des restrictions les plus graves de concurrence, à savoir un accord horizontal portant sur les prix d’une marchandise donnée. S’il est bien acquis qu’une telle entente est en général porteuse d’un degré élevé de nocivité pour la concurrence, cette conclusion ne s’impose pas dans le cas où, par exemple, les entreprises visées ne sont détentrices que d’une part infime du marché concerné.

43.      De même, c’est après un examen du contexte, que la Cour a dit pour droit qu’un accord de distribution, bien qu’il pouvait, prima facie, être jugé constitutif d’une restriction de concurrence, ne pouvait être considéré comme ayant pour objet, par sa nature même, de restreindre de manière sensible la concurrence (24).

44.      À mon sens, la prise en compte du contexte économique et juridique dans la recherche d’un objet anticoncurrentiel doit, au risque d’instaurer un glissement dommageable à la bonne lecture de l’article 81, paragraphe 1, CE – j’y reviendrai dans les développements qui suivent – être clairement distinguée de la démonstration des effets anticoncurrentiels en vertu de la seconde branche de l’alternative visée par cette disposition. La prise en compte du contexte dans l’identification de l’objet anticoncurrentiel ne peut venir que conforter ou neutraliser (25) l’examen des termes même de l’entente supposée. Elle ne peut nullement pallier l’absence d’identification effective d’un objet anticoncurrentiel par la démonstration des effets potentiels des mesures visées.

45.      En d’autres termes, et indépendamment des similarités conceptuelles existant entre les deux branches de cette alternative (26), le recours au contexte économique et juridique lorsqu’il s’agit d’identifier une restriction par objet ne peut aboutir à une qualification à charge des entreprises incriminées en présence d’un accord dont les termes ne révèlent pas de la nocivité du point de vue de la concurrence.

46.      Il apparaît que la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, tout en rappelant la distinction entre les deux types de restrictions envisagées par l’article 81, paragraphe 1, CE, a pu, dans une certaine mesure, être source d’interprétations divergentes, voire de confusion. Certaines orientations jurisprudentielles semblent, en effet, avoir rendu délicate la nécessaire distinction entre l’examen de l’objet anticoncurrentiel et l’analyse des effets concurrentiels des accords entre les entreprises.

47.      En effet, dans un certain nombre d’affaires, la prise en compte dudit contexte s’apparente à un réel examen des effets potentiels des mesures en cause.

48.      Ainsi, dans l’affaire GlaxoSmithKline Services/Commission (27), le Tribunal, amené à se prononcer sur l’objet anticoncurrentiel de dispositions d’un accord visant à limiter le commerce parallèle de médicaments, avait considéré, en substance, que le caractère anticoncurrentiel d’un accord ne pouvait être déduit de la seule lecture de ses termes, effectuée dans son contexte, mais qu’il fallait «nécessairement» aussi en envisager les effets. Cet arrêt laisse entendre que, pour retenir l’existence d’un objet anticoncurrentiel, il faudrait en toute hypothèse constater des effets concrets sur la concurrence (28).

49.      Il est légitimement permis de se demander si cette analyse, qui revient à évaluer les conséquences nécessaires des accords en question, s’apparente davantage à un examen de leurs effets restrictifs de concurrence qu’à une analyse de leur objet anticoncurrentiel.

50.      Plus récemment et de façon encore plus patente, la Cour a, dans l’arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a. (29), dit pour droit que des accords par lesquels des sociétés d’assurance automobile s’entendent bilatéralement soit avec des concessionnaires d’automobiles opérant en tant qu’ateliers de réparation, soit avec une association représentant ces derniers sur le taux horaire à payer par la société d’assurances pour la réparation de véhicules assurés par celle-ci, en prévoyant que ce taux dépendrait, entre autres, du nombre et de la proportion de contrats d’assurance que le concessionnaire a commercialisés en tant qu’intermédiaire pour cette société, pouvaient être considérés comme une restriction de concurrence «par objet» au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Tel est le cas si, à la suite d’un examen individuel et concret de la teneur et de l’objectif de ces accords ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’inscrivaient, il apparaissait que ceux-ci étaient, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence sur l’un des deux marchés concernés (30).

51.      Là encore, il est délicat de distinguer en quoi l’examen du contexte préconisé par la Cour, qui consiste en une évaluation du risque d’élimination ou de grave affaiblissement de la concurrence sur le marché en cause, eu égard notamment à «la structure de ce marché, [à] l’existence de canaux de distribution alternatifs et [à] leur importance restrictive ainsi [qu’au] pouvoir de marché des sociétés concernées», se distingue de celui portant sur les éventuels effets restrictifs de concurrence.

52.      Cependant et en dépit du fait que la jurisprudence ait pu, dans une certaine mesure, contribuer à rendre floue la ligne de démarcation entre les notions respectives de restrictions par objet ou par effet, je suis d’avis que le recours à cette notion doit être plus clairement encadré.

53.      En effet, le fait de qualifier un accord ou une pratique de restrictif de concurrence du fait de son objet même emporte des conséquences importantes, dont deux au moins méritent d’être soulignées.

54.      Tout d’abord, la démarche qui consiste à identifier un «objet anticoncurrentiel» repose sur une approche formaliste qui n’est pas sans danger du point de vue de la protection des intérêts généraux poursuivie par les règles du traité en matière de concurrence. Dès lors qu’il est établi qu’un accord à un objet restrictif de concurrence, l’interdiction qui en découle est de portée très générale, à savoir elle peut être prononcée à titre préventif et ainsi compromettre des prises de contacts futures (31), et ce indépendamment de l’évaluation des effets concrètement produits.

55.      Cette approche formaliste ne peut donc se concevoir qu’en présence de comportements qui présentent un risque intrinsèque d’effet préjudiciable particulièrement grave ou encore de comportements dont il peut être conclu que les effets défavorables à la concurrence l’emportent sur les effets proconcurrentiels. En décider autrement reviendrait à nier que certaines actions des opérateurs économiques sont potentiellement génératrices d’externalités positives du point de vue de la concurrence. À mon sens, ce n’est que dans le cas où l’expérience montre qu’une restriction, en conformité avec l’analyse économique, est constamment prohibée qu’il apparaît raisonnable de la sanctionner directement, dans un souci d’économie procédurale (32).

56.      Ne devraient donc être considérés comme restrictifs de concurrence par objet que les comportements dont le caractère nocif est, au vu de l’expérience acquise et de la science économique, avéré et facilement décelable, et non les accords qui, au vu du contexte dans lequel ils s’insèrent, présentent des effets ambivalents sur le marché ou qui sont porteurs d’effets restrictifs accessoires nécessaires à la poursuite d’un objectif principal non restrictif de concurrence.

57.      Ensuite, cette qualification dispense l’autorité poursuivante de la charge de prouver les effets anticoncurrentiels de l’accord ou de la pratique dont elle a à connaître. Une extension non contrôlée des comportements tombant sous le coup des restrictions par objet est dangereuse sous l’angle des principes devant, en principe, régir l’établissement et la charge de la preuve de comportements anticoncurrentiels.

58.      En raison de ces conséquences, la qualification d’entente restrictive par objet doit nécessairement être encadrée et ne viser, in fine, que celles qui présentent intrinsèquement un certain degré de nocivité. Cette notion ne devrait viser que des accords qui, intrinsèquement, c’est-à-dire sans qu’il y ait lieu d’en évaluer les effets réels ou potentiels, revêtent un degré de gravité ou de nocivité tel que leur impact négatif sur la concurrence apparaît très fort probable. En dépit du caractère ouvert de la liste des comportements pouvant être jugés restrictifs du fait de leur objet, il est proposé de maintenir une attitude relativement prudente dans la détermination d’une restriction de concurrence par objet.

59.      Cette prudence s’impose d’autant plus que la grille d’analyse que la Cour est amenée à dégager s’imposera tant à la Commission qu’aux autorités nationales chargées de la concurrence, dont la sensibilité et le niveau d’expertise reposent sur des paramètres variables.

60.      L’avantage en termes de prévisibilité et d’allègement de charge de preuve que comporte l’identification d’accords restrictifs par objet apparaît compromis si cette identification est, en définitive, tributaire d’un examen poussé des conséquences dudit accord sur la concurrence, qui va bien au-delà de l’examen circonstancié de l’accord.

61.      En tout état de cause, il est fait observer que la Cour, en dépit de l’élargissement apparent des comportements qualifiés de restrictifs par objet, a rappelé de façon constante, depuis l’arrêt LTM, précité, jusqu’à l’arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., précité, que l’analyse de l’objet devait révéler un «degré suffisant de nocivité» (33).

62.      Enfin, je souhaiterais rappeler qu’un tel encadrement ne revient pas à «immuniser» certains comportements, en les soustrayant à l’interdiction visée à l’article 81, paragraphe 1, CE. Dans le cas où il n’a pas été établi qu’un certain accord n’est pas concrètement – c’est-à dire en tenant compte de ses objectifs ainsi que du contexte juridique et économique dans lequel il s’inscrit – apte à empêcher, à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence sur le marché, seul le recours à la notion de restriction par objet est écarté. L’autorité chargée du contrôle de la concurrence sera toujours en mesure de le censurer à l’issue d’un examen plus poussé de ses effets anticoncurrentiels réels et potentiels sur le marché.

2.      Sur l’appréciation de l’existence d’une restriction par objet en l’espèce

63.      Il est fait observer que, par son premier moyen, le requérant critique, globalement, la vision non restrictive de la notion de restriction par objet retenue par le Tribunal. Il met en cause, plus spécifiquement, les erreurs ayant, selon lui, entaché l’examen par le Tribunal de la teneur, de l’objectif et du contexte d’élaboration des mesures en cause.

64.      En d’autres termes, il convient, tout d’abord, de déterminer si, d’une manière générale, le Tribunal était en droit, ainsi qu’il l’a fait aux points 124 et 146 de l’arrêt attaqué, de considérer qu’«il n’y a[vait] pas lieu d’interpréter la notion d’infraction par objet de manière restrictive». Il y aura lieu, ensuite, de déterminer si, indépendamment de cette affirmation, le Tribunal a pu, sans commettre d’erreurs de droit, confirmer l’existence en l’espèce d’une infraction par objet au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

a)      Interprétation restrictive ou extensive de la notion d’objet anticoncurrentiel?

65.      D’emblée, il faut souligner que la jurisprudence, qui est caractérisée par une ambivalence entre le souhait de ne pas viser une liste fermée de restrictions par objet et la nécessité de respecter la ratio legis de l’article 81, paragraphe 1, CE, qui exige notamment que les comportements visés présentent un certain degré de nocivité, ne répond pas toujours clairement à la question de savoir si la notion de restriction par objet doit ou non être interprétée de façon restrictive, et ce quand bien même certains avocats généraux se sont prononcés en faveur de l’une ou de l’autre approche (34).

66.      S’agissant, tout particulièrement, de l’arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité, c’est, à mon avis à tort que le Tribunal s’y réfère à l’appui de la conclusion selon laquelle il n’y a pas lieu d’interpréter la notion d’infraction par objet de manière restrictive.

67.      Certes, ainsi qu’il ressort du point 22 de cet arrêt, la Cour visait à répondre à l’argumentation développée par Beef Industry Development Society et Barry Brothers Ltd selon laquelle «la notion d’infraction par objet devrait être interprétée de manière restrictive» et que «seuls relèveraient de cette catégorie les accords ayant pour objet la fixation horizontale de prix, la limitation de la production ou la répartition des marchés, accords dont les effets anticoncurrentiels sont à ce point évidents qu’ils ne nécessitent aucune analyse économique».

68.      Je relève, cependant, que la réponse apportée par la Cour, au point 23 du même arrêt, selon laquelle «les types d’accords envisagés à l’article 81, paragraphe 1, sous a) à e), CE ne forment pas une liste exhaustive de collusions prohibées», si elle indique clairement que la notion de restriction de concurrence ne se limite pas aux restrictions les plus flagrantes de type cartels («hard core infringements») visées par cette disposition et ne peut être enfermée dans une liste limitative, elle ne préjuge pas nécessairement du caractère restrictif de l’interprétation devant être retenue de la notion de restriction de concurrence par objet.

69.      Un autre constat s’impose à la lecture de cet arrêt. En définitive, c’est l’examen des termes mêmes des accords en cause qui a conduit la Cour à conclure que ces derniers avaient pour objet de restreindre la concurrence.

70.      Il est exact que les accords en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité (ci-après les «accords BIDS»), présentaient des caractéristiques particulières, en ce qu’ils poursuivaient un objectif de rationalisation de la filière bovine en réduisant les surcapacités de production.

71.      Il n’en reste pas moins que ces accords étaient assimilables à des accords visant à limiter la production au sens de l’article 81, paragraphe 1, sous b), CE. C’est à la suite d’un examen circonstancié des termes des accords BIDS que la Cour a été amenée à conclure à leur objet anticoncurrentiel. Elle a notamment considéré que ces accords prévoyaient un mécanisme destiné à encourager la sortie d’entreprises concurrentes. Les éléments portés à la connaissance de la Cour auraient démontré que les accords BIDS poursuivaient deux objectifs principaux. Il s’agissait, d’une part, d’augmenter le degré de concentration du marché concerné en réduisant de manière significative le nombre d’entreprises offrant des services de transformation et, d’autre part, d’éliminer près de 75 % des capacités de production excédentaires (35). Les accords BIDS visaient donc essentiellement à permettre à plusieurs entreprises de mettre en œuvre une politique commune ayant pour objet de favoriser la sortie du marché de certaines d’entre elles et de réduire, par voie de conséquence, les surcapacités qui affectent leur rentabilité en les empêchant de réaliser des économies d’échelle (36).

72.      La Cour en a conclu que «ce type d’accords se heurte de manière patente à la conception inhérente aux dispositions du traité CE relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché». Selon elle, dans le cadre de la concurrence, les entreprises ayant souscrit aux accords BIDS n’auraient eu, en l’absence de ceux-ci, d’autres moyens pour améliorer leur rentabilité que d’intensifier leur rivalité commerciale ou de recourir à des opérations de concentration. Avec ces accords, il leur serait loisible d’éviter un tel processus et de mutualiser une partie importante des coûts nécessaires pour accroître le degré de concentration du marché grâce, notamment, au prélèvement de deux euros par unité produite par chacun des restants. En outre, relève la Cour, les moyens mis en œuvre pour atteindre l’objectif des accords BIDS comporteraient également des restrictions dont l’objet présente un caractère anticoncurrentiel (37).

73.      En définitive, les mesures en cause présentaient un degré de nocivité tel qu’il pouvait être conclu qu’elles avaient un objet anticoncurrentiel.

74.      Eu égard à l’ensemble de ces considérations, c’est à mon avis à tort que le Tribunal a, dans l’arrêt attaqué, affirmé que la notion d’objet ne devait pas être interprétée de façon restrictive.

75.      Il conviendra d’examiner si, nonobstant cette affirmation, le Tribunal a pu, sans commettre d’erreur de droit, confirmer la conclusion selon laquelle les mesures litigieuses avaient un objet anticoncurrentiel.

b)      Sur la grille d’analyse retenue en l’espèce pour conclure à l’existence d’une restriction par objet

76.      À titre liminaire, il me semble important de rappeler que si le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal. L’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (38).

77.      En l’occurrence, il me semble que le requérant entend principalement mettre en cause dans le cadre du présent moyen, d’une part, des erreurs de droit ayant, selon lui, entaché la qualification des mesures en cause de restriction par objet et, d’autre part, une dénaturation par le Tribunal des éléments de preuve produits devant lui. Ces questions ne sauraient, a priori, être soustraites du contrôle de la Cour.

78.      Il appartient en effet à la Cour de vérifier que le Tribunal a bien contrôlé que la Commission avait suffisamment établi, à la suite d’un examen individuel et concret de la teneur, de l’objectif et du contexte économique et juridique dans lequel elles s’inscrivaient, que les mesures en cause atteignaient un degré de nocivité tel que leurs effets négatifs sur la concurrence pouvaient être présumés.

79.      Pour ce faire, l’expérience acquise constitue une référence tout à fait pertinente. Cette «expérience» doit s’entendre de ce qui ressort traditionnellement de l’analyse économique, telle qu’elle a été entérinée par les autorités chargées de la concurrence, confortée, le cas échéant, par la jurisprudence.

80.      Dans le présent contexte, il y a lieu de constater que les mesures litigieuses présentent un caractère horizontal et que, a priori, elles pourraient être jugées plus aptes à comporter un objet restrictif de concurrence.

81.      Or, s’il est bien acquis que certains accords horizontaux entre les entreprises comportent des restrictions patentes de la concurrence comme la fixation des prix et la répartition du marché (39) et peuvent, dès lors, être considérés comme comportant une restriction de concurrence par objet, le caractère nocif à la concurrence des mesures litigieuses n’apparaît pas d’emblée.

82.      Il y a toutefois lieu d’examiner si c’est à bon droit que le Tribunal a confirmé la conclusion de la Commission quant à l’existence d’une restriction par objet, étant précisé que cette conclusion doit découler d’une appréciation d’ensemble de la teneur des mesures, lue, le cas échant, à la lumière des buts objectivement poursuivis et du contexte économique et juridique.

83.      En ce sens, l’articulation des branches du présent moyen, qui visent respectivement chacun des trois aspects pertinents pour qualifier une mesure de restrictive par objet, pourrait sembler artificielle.

84.      Il me semble toutefois opportun de les aborder successivement.

i)      Sur la première branche, relative à l’examen de la teneur des mesures du Groupement

85.      Le requérant, soutenu sur plusieurs aspects par la BNP Paribas, la BPCE et la SG, fait valoir que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit dans l’appréciation de la teneur des mesures en cause.

86.      Il soutient, en premier lieu, que le Tribunal a commis des erreurs dans l’analyse de l’objet «même» desdites mesures. Tout d’abord, le Tribunal n’aurait pas procédé à l’examen de la nocivité des mesures litigieuses en se référant à la teneur de celles-ci, mais se serait attaché aux intentions subjectives de certains membres du Groupement. Ainsi, le Tribunal aurait commis une erreur de droit, aux points 126 et 132 de l’arrêt attaqué, lorsqu’il a estimé qu’il ressort des formules mêmes des mesures en cause que ces mesures avaient un objet anticoncurrentiel consistant à entraver la concurrence émanant des nouveaux entrants sur le marché concerné. En outre, le requérant considère que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve en concluant qu’un certain nombre d’obstacles rendaient très difficile, dans la pratique, le développement de l’activité d’acquisition par un nouvel entrant, en s’appuyant sur les déclarations de la Commission et en s’écartant, sans explication valable, des éléments démontrant le contraire.

87.      En second lieu, le requérant soutient que le Tribunal a commis des erreurs dans la prise en compte, aux points 186 et 256 de l’arrêt attaqué, de la genèse précédant l’adoption des mesures en cause, telle qu’elle ressortait des documents saisis lors des vérifications effectuées dans les locaux du Groupement et dans ceux de certains de ses membres.

88.      Tout d’abord, ce serait à tort que le Tribunal a tenu compte des propos tenus par certains chefs de file préalablement à l’adoption des mesures en cause pour analyser l’objet de ces mesures, ces propos reflètent non pas l’expression de volonté du Groupement lui-même, mais seulement de certains de ses membres. Or, ce serait parce qu’une décision constitue l’expression fidèle de la volonté de son auteur qu’elle pourrait être appréhendée comme une décision d’association d’entreprises. En l’occurrence, les circonstances de la préparation et de l’adoption de la décision ne seraient pas pertinentes, puisque seules les mesures notifiées manifesteraient pleinement l’intention du Groupement. Par ailleurs, la genèse des mesures aurait été prise en compte en lieu et place d’une analyse approfondie du contenu des mesures.

89.      Ensuite, le requérant considère que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve, en opérant des sélections intempestives parmi les propos préparatoires, les documents saisis et les déclarations des nouveaux entrants. De l’avis du requérant, un certain nombre d’éléments, faisant notamment état de la nécessité de lutter contre le parasitisme et de la préoccupation de respecter le droit de la concurrence, attesteraient de l’existence d’un doute réel quant à la restriction de concurrence qui aurait dû être prise en considération par le Tribunal. Cette dénaturation serait d’autant plus manifeste que le Tribunal se serait fondé sur les mêmes éléments que ceux utilisés par la Commission sans se départir des conclusions de la première communication des griefs.

90.      Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu, en substance, que l’objet anticoncurrentiel des mesures en cause consistait à entraver la concurrence émanant des nouveaux entrants sur le marché français de l’émission des CB.

91.      Le Tribunal a ainsi repris à son compte la conclusion selon laquelle l’objet anticoncurrentiel des mesures litigieuses ressortait des formules de calcul qui avaient été prévues pour les mesures en cause (voir points 126 à 133 de l’arrêt attaqué). Il a également considéré que c’est uniquement à titre confirmatif que la Commission s’était appuyée sur les documents recueillis lors des vérifications concernant les propos tenus par les chefs de file lors de la préparation des mesures en cause (voir points 123 à 154 de l’arrêt attaqué).

92.      Or, s’agissant, premièrement, de l’examen des formules de calcul retenues dans les mesures litigieuses, et dans le prolongement de ce que j’ai précédemment indiqué, le Tribunal est resté, me semble-t-il, en défaut de contrôler que celles-ci étaient porteuses d’un dispositif anticoncurrentiel par nature.

93.      Certes, le Tribunal a relevé, au point 132 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait considéré, au vu des formules prévues par les mesures en cause et en raison de la difficulté de développer l’activité d’acquisition, que ces mesures imposaient aux membres du Groupement qui y étaient soumis soit de limiter leur activité d’émission, soit de supporter des coûts (liés à l’émission) qui n’étaient pas supportés par d’autres membres du Groupement, dont les chefs de file. Le Tribunal a également relevé que «[c]es formules limitaient ainsi la possibilité des membres y étant soumis de concurrencer (par les prix), sur le marché de l’émission, les membres du Groupement qui n’y étaient pas soumis. La Commission en a conclu que les mesures en cause avaient un objet anticoncurrentiel consistant à entraver la concurrence des nouveaux entrants (voir considérants 212, 213 et 222 de la décision litigieuse)».

94.      De même, le Tribunal a repris à son compte, au point 133 de l’arrêt attaqué, la conclusion de la Commission selon laquelle «la fonction prêtée par le Groupement au MERFA (incitation à développer l’acquisition) était contredite par l’existence de commissions interbancaires qui encourageaient l’émission (voir considérants 226 à 230 de la décision litigieuse) et par la circonstance que le droit complémentaire d’adhésion et le droit de réveil des dormants sanctionnaient les banques qui n’avaient pas émis suffisamment de cartes lors d’un passé récent (voir considérants 231 et 232 de la décision litigieuse)».

95.      Or, si ces constatations font très certainement état de la teneur des mesures en cause, qui, en substance, visent à imposer certains frais à certaines banques et à stimuler l’activité d’acquisition, il me semble que tant la Commission que le Tribunal sont restés en défaut de démontrer en quoi ces mesures étaient, du fait de leur libellé même, restrictives de concurrence. En effet, si l’on s’en tient aux termes des mesures notifiées, tels que rapportés par la Commission et examinés par le Tribunal, leur objet consiste à imposer une participation financière aux membres du Groupement destinée à financer les coûts de fonctionnement du système de paiement CB. Comme je l’indiquerai plus tard (voir, notamment, points 130 et 131 des présentes conclusions), le simple fait que certains membres du Groupement puissent être amenés, du fait de l’édiction des mesures en cause, soit à limiter leur activité d’émission, soit à supporter des coûts (liés à l’émission) qui ne sont pas supportés par d’autres membres du Groupement ne saurait être qualifié de restrictif par objet.

96.      Deuxièmement, en ce qui concerne la prise en compte de la «genèse», c’est-à-dire des propos tenus par les chefs de file contenus dans certains documents préparatoires des mesures en cause qui ont été recueillis lors des vérifications, le raisonnement retenu par le Tribunal est mis en cause, dans le cadre du présent pourvoi, sur plusieurs aspects.

97.      Il faut, en premier lieu, examiner si c’est sans commettre d’erreur que le Tribunal a imputé certains des propos tenus par ces chefs de file, en amont de l’élaboration des mesures en cause, au Groupement pris dans son ensemble. Il convient, en deuxième lieu, d’analyser l’importance accordée auxdits propos dans l’appréciation de la teneur des mesures et, en dernier lieu, leur pertinence aux fins de la détermination d’une restriction par objet.

98.      En premier lieu, s’agissant de la question de savoir si les propos émanant des chefs de file exprimaient effectivement la volonté du Groupement lui-même, l’argument selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur de droit en assimilant l’intention du Groupement aux propos tenus par les chefs de file me semble plutôt convaincant.

99.      À cet égard, j’observe que le Tribunal s’est limité à relever qu’«[é]tant donné que les chefs de file sont membres de l’instance informelle, à savoir le [comité d’orientation monétique], qui a préparé les mesures en cause et du conseil de direction qui les a adoptées, l’intention exprimée par les chefs de file correspond en substance à celle du Groupement en ce qui concerne l’adoption des mesures en cause» (point 256 de l’arrêt attaqué). Il en a conclu que la Commission ne s’était pas contredite en qualifiant les mesures en cause de décisions d’association d’entreprises et donc en reconnaissant, par une telle qualification, que les mesures en cause constituaient l’expression de la volonté du Groupement tout en s’appuyant sur les propos des chefs de file pour corroborer le fait qu’elles avaient pour objet d’exclure les nouveaux entrants (point 257 de l’arrêt attaqué).

100. Or, pour valider la conclusion à laquelle la Commission est parvenue quant à l’imputabilité des propos tenus par les chefs de file à l’ensemble du Groupement, il me semble que le Tribunal devait contrôler que les propos émanant de certains chefs de file exprimaient l’expression fidèle de la volonté du Groupement, à défaut de quoi ils ne peuvent être rattachés à la décision d’association d’entreprises en cause dans la présente affaire (40). Il importe de souligner à cet égard que, ainsi que le Tribunal l’a indiqué au point 7 de l’arrêt attaqué, le comité d’orientation monétique est une instance informelle, sans pouvoir de décision.

101. En deuxième lieu, en ce qui concerne l’importance accordée à l’intention exprimée par les propos tenus par les chefs de file dans la détermination de l’objet anticoncurrentiel des mesures en cause, la conclusion du Tribunal selon laquelle c’est seulement à titre confirmatif que la Commission s’est appuyée sur les documents recueillis lors des vérifications contenant les propos tenus par les chefs de file lors de la préparation des mesures en cause (points 134 et 267 de l’arrêt attaqué) est loin d’être évidente.

102. Certes, si l’on s’en tient à la structure de la partie consacrée, dans la décision litigieuse, à l’examen de l’existence d’une restriction de concurrence par objet (41), il apparaît que la Commission a, dans un premier temps, fait état de ce que la formule même des mesures contredisait les objectifs déclarés dans la notification (42) et, dans un second temps, exposé pour quelles raisons, selon elle, l’objectif restrictif de concurrence tel qu’il ressort de la formule même des mesures correspond parfaitement aux objectifs réels des mesures, exprimés par les propos tenus par les chefs de file durant leur préparation (43). De même, la Commission a indiqué que l’«objet anticoncurrentiel du MERFA était corroboré par les déclarations des chefs de file au cours de la période de préparation des mesures» (44).

103. Toutefois, il apparaît que la Commission semble, en définitive, avoir accordé autant d’importance aux documents issus de la «genèse» desdites mesures qu’à l’examen de la formule des mesures en cause.

104. Cela me semble ressortir assez clairement des considérants 193 et 198 de la décision litigieuse qui, synthétisant l’approche retenue par la Commission dans la détermination de l’objet anticoncurrentiel, font état des documents préparatoires. Par ailleurs, et ainsi d’ailleurs que la SG l’a notamment souligné dans ses écritures, la partie consacrée à l’examen des formules a pour objet d’apporter la preuve négative de ce que les mesures en cause ne correspondaient pas à l’objectif affiché. La preuve positive de l’objet anticoncurrentiel des mesures en cause étant en grande partie fondée sur les éléments matériels issus des documents préparatoires émanant des chefs de file (45).

105. De même, il semble que, aux fins d’interpréter la teneur des mesures en cause, le Tribunal a repris à son compte des considérations portant sur les formules retenues par lesdites mesures, lues à la lumière des documents recueillis lors des vérifications et faisant état des propos tenus par les chefs de file (46).

106. En tout état de cause, il apparaît indispensable de déterminer, en troisième lieu, si les propos tenus par les chefs de file, en tant qu’élément de la genèse des mesures en cause, pouvaient être considérés comme pertinents dans la détermination de l’existence d’une restriction par objet.

107. À cet égard, je suis d’avis que ces propos, même à supposer qu’ils soient effectivement représentatifs de l’intention du Groupement, ce qui me semble devoir être exclu (voir point 100 des présentes conclusions), ne pouvaient être jugés suffisants pour démontrer l’existence d’un accord anticoncurrentiel et, a fortiori, d’un accord comportant une restriction de concurrence par objet.

108. Certes, il ressort assez clairement de la jurisprudence que, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord, rien n’interdit tant aux autorités de la concurrence qu’aux juridictions nationales et de l’Union d’en tenir compte (47).

109. Cette possibilité de tenir compte de l’intention exprimée par les parties ne peut, me semble-t-il, se concevoir qu’à titre tout à fait surabondant ou complémentaire et non se substituer à un examen circonstancié des termes et des objectifs des comportements incriminés. De même que les parties à un accord ne sauraient se prévaloir de l’absence d’intention d’enfreindre l’interdiction de l’article 81, paragraphe 1, CE (48), il ne saurait suffire de faire état de l’existence d’une telle intention pour conclure que les mesures qu’elles ont prises comportent un objet anticoncurrentiel. L’intention exprimée par des parties ne devrait nullement entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’évaluer l’impact anticoncurrentiel des comportements des entreprises.

110. En effet, je suis d’avis que l’identification d’un «objet anticoncurrentiel» implique un examen proprement objectif, indépendant de la volonté des parties. Dès lors, j’estime que les intentions éventuellement exprimées par les participants à une entente supposée, pas plus d’ailleurs que les objectifs éventuellement légitimes poursuivis par ceux-ci, ne sont directement pertinents lorsqu’il s’agit d’examiner si ladite entente, quelque que soit la forme dans laquelle elle se présente, a un «objet» anticoncurrentiel.

111. Enfin, dans le cadre de la présente branche du présent moyen, le requérant a fait état de ce que le Tribunal aurait dénaturé les éléments de preuve produits. Cette dénaturation consisterait dans le fait que, en plus des documents attestant que le développement de l’activité d’acquisition n’était pas nécessairement difficile, la Commission aurait opéré des sélections intempestives parmi les propos des chefs de file.

112. À cet égard, il suffit de rappeler qu’il appartient, en principe, au seul Tribunal d’apprécier la valeur des éléments de preuve qu’il convient d’attribuer aux éléments de preuve qui lui sont soumis. Une dénaturation des éléments de preuve suppose que le Tribunal ait manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de ces éléments de preuve (49), ce qui doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation desdits éléments. Un requérant, lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, doit indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation (50).

113. En l’occurrence, la dénaturation des pièces alléguée ne ressort pas de manière manifeste des pièces du dossier. En outre, le requérant omet d’identifier précisément les documents qui, selon lui, attesteraient d’une telle dénaturation. Par son argumentation et bien qu’il invoque une dénaturation des éléments de preuve, il apparaît que le requérant vise en réalité à obtenir une nouvelle appréciation de ceux-ci, ce qui échappe à la compétence de la Cour.

114. Il résulte de l’ensemble de ces considérations, que si l’on s’en tient à l’examen des termes mêmes des mesures en cause, tels que rapportés par le Tribunal, la conclusion selon laquelle la Commission aurait démontré à suffisance de droit le caractère anticoncurrentiel par objet desdites mesures est difficilement compréhensible.

ii)    Sur la deuxième branche, relative à l’examen de l’objectif des mesures

115. Le requérant soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’appréciation des objectifs des mesures en cause. Ce serait ainsi à tort que le Tribunal, tout en reconnaissant que la lutte contre le parasitisme du système CB constitue un objectif légitime, a refusé d’apprécier cet objectif au regard de l’article 81, paragraphe 1, CE. Le Tribunal aurait dû reconnaître qu’une restriction de concurrence par objet est exclue, dès lors que les mesures du Groupement aboutissent à une stimulation de l’activité d’acquisition et à la recherche d’une optimisation entre les activités d’acquisition et d’émission. Ces mesures, conformément au principe de proportionnalité, seraient appropriées, dès lors qu’elles consistent en des mesures systémiques prises dans l’intérêt global du système CB, et équilibrées, dès lors qu’elles laissent le choix à chaque membre du Groupement de l’option adaptée à sa situation individuelle.

116. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, pour déterminer si un accord relève de l’interdiction énoncée à l’article 81, paragraphe 1, CE, il y a notamment lieu de s’attacher aux buts objectifs qu’il vise à atteindre (51).

117. Il me semble important de rappeler que ces buts objectifs, qui doivent ressortir clairement des mesures en cause, ne se confondent nullement avec les intentions subjectives de restreindre ou non la concurrence ou encore avec les objectifs légitimes éventuellement poursuivis par les entreprises visées. Il est bien établi qu’un accord peut donc être considéré comme ayant un objet restrictif de concurrence même s’il poursuit d’autres objectifs légitimes (52).

118. En l’occurrence, comment convenait-il d’appréhender les mesures tarifaires prises par le Groupement?

119. Contrairement à ce que la Commission a laissé sous-entendre lors de l’audience, il peut être difficilement affirmé que le dispositif MERFA présente une nocivité telle qu’il était assimilable à un cartel (53) portant sur les prix qui, en tant que tel, est porteur d’atteinte à la concurrence. De même, pour les raisons exposées précédemment, les mesures en cause en l’espèce, qui ne comportent pas de mécanisme destiné à favoriser la sortie de certains concurrents, me semblent difficilement comparables aux mesures de rationalisation du marché en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité.

120. Il ressort de l’arrêt attaqué que les mesures en cause visaient, pour l’essentiel, à instaurer des prélèvements à charge des membres du Groupement, qui, au stade tant de l’accès que de l’usage du système CB, se présentaient comme étant davantage émetteurs de CB (activité de délivrance des cartes de paiement et/ou retrait par les titulaires de cartes) qu’acquéreurs (activité d’affiliation de commerçants ayant un numéro SIREN et exploitation de DAB).

121. L’ensemble de ces mesures étaient, selon le Groupement, destinées à protéger le système CB des phénomènes de parasitisme économique résultant de l’activité des banques développant principalement une activité d’émission de cartes et profitant, sans contrepartie, des avantages découlant des investissements déployés par d’autres membres du système en matière d’acquisition.

122. Or, s’il est bien acquis, ce que d’ailleurs le Tribunal a reconnu (voir notamment points 76 et 77 de l’arrêt attaqué), que la lutte contre le parasitisme peut constituer un objectif légitime, une telle considération n’est pas directement pertinente dans la détermination de l’existence d’une restriction de concurrence par objet au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

123. En conséquence, je ne pense pas que le Tribunal se soit dans l’absolu mépris en concluant que l’objectif de lutte contre le parasitisme ne devait pas, de manière générale, être pris en compte au stade de l’examen des mesures au regard de l’article 81, paragraphe 1, CE, mais qu’il pouvait l’être dans l’examen du bénéfice éventuel d’une exemption en vertu de l’article 81, paragraphe 3, CE.

124. Cependant, cette conclusion ne me semble avoir de sens que lorsqu’il est clairement établi, à la suite d’un examen circonstancié, que les mesures litigieuses ont un objet anticoncurrentiel. C’est bien la circonstance qu’un comportement ait manifestement un objet anticoncurrentiel qui ôte toute pertinence au fait qu’il poursuive d’autres finalités.

125. Dans l’hypothèse contraire, c’est-à-dire en présence d’une restriction par objet qui n’est pas clairement établie – comme cela me semble être le cas en l’occurrence, il y aura lieu de passer à l’examen des effets anticoncurrentiels et, dans ce cadre, évaluer la nécessité et la proportionnalité des mesures visées eu égard à l’objectif poursuivi (54).

126. Or, je perçois difficilement en quoi les mesures en cause présentent le degré de nocivité requis par la jurisprudence.

127. Tout d’abord, il n’est nullement contesté que ces mesures ont été adoptées en vue de stimuler l’activité d’acquisition de CB au sein d’un système de paiement qui présentait deux faces liées par l’existence d’effets de réseau. Ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 102 de l’arrêt attaqué, la Commission a elle-même indiqué que les activités d’émission et d’acquisition étaient indispensables l’une à l’autre et au fonctionnement du système du paiement par CB en général, étant donné que, d’une part, les commerçants n’accepteraient pas de rejoindre le système de paiement par CB si le nombre des porteurs de cartes était insuffisant et, d’autre part, les consommateurs ne souhaiteraient pas posséder une carte si celle-ci n’était pas utilisable auprès d’un nombre suffisant de commerçants.

128. Ainsi, les mesures litigieuses visaient à obtenir une contribution financière de la part des membres qui tirent directement profit, au niveau de l’activité d’émission de cartes, de l’adhésion au système de paiement découlant des efforts déployés par d’autres membres au niveau du volet «acquisition». Ces mesures, notamment le MERFA, comportent, en substance, un dispositif destiné à demander une contribution financière aux membres peu actifs sur le volet «acquisition».

129. Or, l’imposition d’une contribution financière aux membres d’un réseau qui bénéficient, sans contrepartie, des efforts déployés par d’autres membres aux fins du développement du réseau ne me semble pas comporter un objet anticoncurrentiel.

130. En l’occurrence, certes, le niveau de redevance demandée ou les difficultés rencontrées par certains opérateurs pour développer l’activité d’acquisition peut induire un effet d’exclusion des opérateurs qui ne s’acquittent pas des droits imposés au titre des mesures en cause. Toutefois, sauf à se prévaloir de la théorie des «facilités essentielles» (55), nullement invoquée par la Commission en l’espèce (56) et, dont l’applicabilité me semble, en tout état de cause, douteuse (57), cela ne semble pas répréhensible du point de vue de la concurrence.

131. En tout état de cause, s’il ne peut être exclu que les mesures litigieuses auront pour résultat d’inciter certains membres du Groupement soit de limiter leur activités d’émission soit à accroître leurs activités d’acquisition, dernière option qui s’avérerait concrètement difficile et induirait donc leur exclusion du système, cette question relèverait, en tout état de cause, de l’examen des effets potentiellement anticoncurrentiels desdites mesures et non de leur objet. Je suis d’avis que les effets d’exclusion qu’impliquent des mesures tarifaires telles que celles en cause dans la présente affaire ne peuvent être examinés qu’au stade de l’examen de l’effet anticoncurrentiel.

132. Surtout, je dois avouer ma perplexité quant à la lecture faite tant par la Commission que par le Tribunal des mesures litigieuses adoptées par le Groupement à destination de l’ensemble des membres de celui-ci qui, ainsi que cela a été relevé, sont soit des chefs de file soit des membres rattachés ou affiliés aux chefs de file (58). Dans la mesure où les mesures tarifaires touchent directement ou indirectement l’ensemble des membres du Groupement, il m’est très difficile de comprendre en quoi celles-ci pouvaient être porteuses d’un dispositif par nature anticoncurrentiel et encore dans quelle mesure elles auraient été en quelque sorte paramétrées pour épargner les chefs de file (59).

133. Il résulte de ces considérations que, à l’instar des termes des mesures en cause, les objectifs qu’elles poursuivent n’étayent pas la conclusion selon laquelle c’est à bon droit que la Commission a conclu à l’existence en l’espèce d’une restriction par objet.

iii) Sur la troisième branche, relative à l’examen du contexte d’élaboration des mesures

134. Le requérant fait valoir que le Tribunal a commis plusieurs erreurs dans l’analyse du contexte dans lequel s’inséraient les mesures en cause.

135. En premier lieu, le requérant reproche au Tribunal d’avoir erronément pris en compte le contexte juridique, d’une part, en faisant une interprétation erronée de la jurisprudence relative aux restrictions de concurrence par objet, notamment de l’arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité, et, d’autre part, des questions appréhendées dans la pratique décisionnelle antérieure. À cet égard, l’arrêt attaqué serait notamment entaché d’une motivation contradictoire en ce que le Tribunal, aux points 94 et 99 dudit arrêt, aurait affirmé à la fois que les pratiques examinées dans les deux décisions «Visa» (60) sont sensiblement différentes de celles en cause dans la présente affaire et que ces deux décisions concernent «des situations similaires ou identiques». L’erreur d’analyse ressortirait également du fait que la Commission avait elle-même accepté de discuter d’éventuels engagements en vertu de l’article 9 du règlement nº 1/2003, c’est-à-dire de mesures «de nature à répondre [à ses] préoccupations» et ne caractérisant pas une quelconque infraction de concurrence en tant que telle.

136. En deuxième lieu, le requérant considère que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans la prise en compte du contexte économique, notamment en éludant le fonctionnement biface des systèmes de paiement par CB.

137. En troisième lieu, le requérant estime que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans la prise en compte du contexte économique en omettant d’exercer son contrôle sur les appréciations économiques complexes. En l’occurrence, le Tribunal n’aurait aucunement procédé à ce contrôle minimum et objectif des appréciations économiques contenues dans la décision litigieuse, mais il se serait contenté, aux points 320 et 321 de l’arrêt attaqué, d’écarter certaines études économiques produites par le Groupement au motif de leur prétendue contradiction avec d’autres études.

138. Il ressort de l’examen des deux premières branches du présent moyen que, si l’on s’en tient à la teneur des mesures en cause et de l’objectif qu’elles entendent poursuivre, l’existence d’une restriction de concurrence par objet au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE n’est pas établie.

139. Dans de telles circonstances, les éléments pris du contexte économique et juridique (61) entourant l’élaboration des mesures en cause ne devraient pas être de nature à établir à eux seuls l’existence d’un objet anticoncurrentiel. Ainsi que je l’ai indiqué précédemment, l’examen du contexte ne peut nullement pallier l’absence d’identification effective d’un objet anticoncurrentiel (voir point 44 des présentes conclusions).

140. Par souci de complétude, il convient toutefois de souligner ce qui suit.

141. S’agissant, premièrement, de la prise en compte du contexte juridique, ainsi que je l’ai précédemment mentionné, l’expérience acquise, entendue au sens large, est un paramètre dont il doit être tenu compte pour conclure à l’existence d’une restriction par objet (voir points 55 et suivants des présentes conclusions).

142. Cependant, si l’expérience acquise peut indubitablement venir conforter le caractère intrinsèquement préjudiciable à la concurrence de certains types de coopération dans le cas de restrictions patentes et/ou évidentes, qui ont, selon toutes probabilités, un impact sur le jeu de la concurrence, je ne suis pas convaincu qu’il puisse toujours être tiré un argument fort de la pratique décisionnelle de la Commission. Le fait que la Commission n’ait pas, dans le passé, estimé qu’un accord d’un type donné était, de par son objet même, restrictif de concurrence n’est en soi de nature à l’empêcher de le faire pour l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses.

143. En l’occurrence, les prises de positions antérieures de la Commission à l’égard des accords adoptés dans le cadre des systèmes de paiement, et tout particulièrement celles découlant des décisions Visa 2001 et Visa 2002, à supposer qu’elles visent des mesures sensiblement identiques à celles en cause dans la présente affaire, ne devraient pas nécessairement préjuger du caractère restrictif par objet desdites mesures.

144. Il n’en reste pas moins qu’il convenait de se montrer vigilant sur les motifs qui justifiaient de s’écarter des conclusions jusqu’alors retenues dans la pratique décisionnelle de la Commission portant sur le marché des systèmes de paiement. Il appartenait notamment au Tribunal de vérifier en quoi les mesures en cause étaient, à la différence des mesures adoptées sur le même marché, dont la similarité a, en partie, été reconnue par celui-ci (62), porteuses d’un degré de nocivité tel qu’elles pouvaient être analysées comme ayant un objet anticoncurrentiel.

145. Quant au précédent que constituerait en l’occurrence l’arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité, ainsi que je l’ai précédemment indiqué aux points 69 à 73 des présentes conclusions, je suis d’avis que cette affaire se distingue clairement de la présente affaire sur plusieurs aspects.

146. S’agissant, deuxièmement, de la prise en compte du contexte économique, le Groupement reproche, en substance, au Tribunal d’avoir éludé les caractéristiques du système CB et, tout particulièrement, la nature biface du système.

147. À cet égard, je suis d’avis que, même à supposer qu’il ait pu être déduit des termes et des objectifs poursuivis par les mesures en cause qu’elles avaient un objet anticoncurrentiel, les éléments de contexte sont de nature à affaiblir cette conclusion.

148. Sur ce point, je rappelle que, pour conclure à l’existence d’une restriction par objet, la Commission ne peut, en particulier en présence d’une restriction dont le caractère n’est pas manifeste, se limiter à un examen abstrait.

149. La prise en compte des interactions existantes entre le volet «émission» et le volet «acquisition», dans le cadre de l’examen du contexte d’élaboration des mesures aux fins de l’identification d’une restriction de concurrence par objet me semble bien distincte de celle qui porte sur la définition du marché pertinent. En effet, il est question non pas de remettre en cause l’affirmation selon laquelle les marchés de l’émission et de l’acquisition sont bien distincts, mais d’examiner si le contexte économique d’élaboration des mesures a suffisamment été pris en compte.

150. En l’occurrence, et ainsi que le requérant l’a évoqué devant le Tribunal, le bon fonctionnement du système CB exigeait que les activités d’émission et d’acquisition soient exercées de façon équilibrée. Dans cette perspective, il ne saurait être exclu que la contribution respective de chacun des membres au développement de chacune de ces fonctions puisse être prise en compte. En effet, qu’il soit d’ores et déjà membre ou nouvel entrant, le membre du Groupement, qui est actif principalement ou exclusivement dans le domaine de l’émission de CB, tire profit des investissements déployés en vue du développement de l’aspect «acquisition», ce dernier étant un pilier nécessaire à la pérennité du système.

3.      Conclusion

151. Pour conclure, il apparaît que le Tribunal a commis une erreur de droit, d’une part, en concluant et en retenant une interprétation non restrictive de la notion de restriction par objet et, d’autre part, en faisant précisément application d’une telle approche dans l’examen de la teneur, des objectifs et du contexte d’élaboration des mesures litigieuses.

152. Le Tribunal a en particulier omis de vérifier que la Commission était, eu égard aux termes, aux objectifs et au contexte d’élaboration des mesures en l’espèce, en droit de conclure que lesdites mesures présentaient un degré de nocivité tel que leurs effets anticoncurrentiels pouvaient être présumés.

153. L’arrêt attaqué encourt donc la censure sur ce point et pourrait, pour ce seul motif, être annulé.

154. Le Tribunal n’ayant pas estimé nécessaire d’examiner si lesdites mesures avaient un effet anticoncurrentiel, il conviendra de renvoyer la présente affaire devant le Tribunal.

155. Cependant et pour l’hypothèse où la Cour n’adhérerait pas à ma conclusion, j’examinerai ci-après brièvement les deuxième et troisième moyens soulevés par le requérant dans le cadre du présent pourvoi.

B –    Sur le deuxième moyen, tiré d’erreur de droit dans l’application de la notion de restriction par effet

156. Le requérant, soutenu par la BNP Paribas, fait observer que, sur les 455 points que comporte l’arrêt attaqué, seuls quatre sont consacrés à l’examen des effets des mesures en cause. Outre une erreur de droit dans son examen de l’existence d’une restriction de concurrence par effet, le Tribunal aurait omis de répondre à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par le requérant, et ce en violation de l’obligation de motivation qui s’impose à lui conformément aux dispositions combinées des articles 36 et 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. En particulier, la Commission ne serait pas parvenue à démontrer que les mesures en cause ont effectivement provoqué la sortie du marché de nouveaux entrants ou une limitation de leurs activités d’émission de CB.

157. En l’occurrence, le Tribunal n’ayant précisément pas recherché si les mesures litigieuses avaient des effets anticoncurrentiels, et dans l’hypothèse où il devrait être conclu, contrairement à ce que je suggère, que le Tribunal a pu, sans commettre d’erreur de droit, conclure que les mesures en cause avaient pour «objet» de restreindre la concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, le deuxième moyen doit être déclaré inopérant (63).

158. En effet, selon une jurisprudence constante (64) et dans le prolongement de ce que j’ai précédemment indiqué, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord est établi, il n’y a pas lieu d’en rechercher les effets anticoncurrentiels.

159. C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a conclu, aux points 269 à 272 de l’arrêt attaqué, au caractère inopérant du moyen pris d’erreurs de droit, de fait et d’appréciation dans l’examen des effets des mesures en cause, dès lors qu’il avait conclu que lesdites mesures avaient pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

160. Il ne saurait davantage être reproché au Tribunal d’avoir failli à son obligation de motivation sur ce point. En l’occurrence, le Tribunal ayant estimé opportun, ainsi que la jurisprudence l’y habilite, de s’en tenir à un examen de l’existence d’un objet anticoncurrentiel, il n’avait pas à exposer les raisons pour lesquelles les mesures litigieuses avaient, par ailleurs, des effets anticoncurrentiels.

161. En outre, dans le cadre de la présente procédure, il n’appartient pas à la Cour de se saisir de la question de savoir si, nonobstant l’éventuel objet anticoncurrentiel des mesures en cause, celles-ci pouvaient être considérées comme ayant des effets anticoncurrentiels. Il n’appartient notamment pas à la Cour de vérifier si la Commission est parvenue à démontrer que les mesures litigieuses ont provoqué la sortie du marché de nouveaux entrants ou une limitation de leur plan d’émission de CB. Il en est d’autant plus ainsi que, comme je l’ai précédemment mentionné (65), la Commission a consacré une partie substantielle de la décision litigieuse à l’examen des effets produits par les mesures en cause.

162. En définitive, je suis d’avis que ce moyen ne saurait, en tout état de cause, prospérer.

C –    Sur le troisième moyen, pris de ce que le Tribunal aurait violé les principes de proportionnalité et de sécurité juridique en omettant d’annuler l’injonction contenue à l’article 2, second alinéa, de la décision litigieuse

163. Le requérant, auquel se rallie la BNP Paribas, soutient que, en n’annulant pas l’injonction figurant à l’article 2, second alinéa, de la décision litigieuse, imposant au Groupement de s’abstenir à l’avenir de toute mesure ou tout comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire aux mesures en cause, le Tribunal a violé les principes de proportionnalité et de sécurité juridique.

164. S’agissant, en premier lieu, du principe de proportionnalité consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE, le requérant rappelle que, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement nº 1/2003, le Tribunal aurait dû constater que l’obligation imposée par la Commission n’était pas nécessaire par rapport au but recherché, c’est-à-dire «mettre fin à l’infraction constatée», dans la mesure où le Groupement avait, même avant l’adoption de la décision litigieuse, suspendu les mesures et où celle-ci impose, à son article 2, premier alinéa, de mettre fin immédiatement à l’infraction en retirant les mesures tarifaires notifiées. De même, le Tribunal aurait dû constater que l’injonction contestée est disproportionnée en ce qu’elle s’étend aux mesures ayant un effet «similaire». La nécessité de circonscrire plus étroitement l’injonction serait d’autant plus essentielle en l’espèce que les mesures en cause comportent des divergences d’analyse majeures entre le Tribunal et le Groupement.

165. Ensuite, concernant le principe de sécurité juridique, le requérant considère que le Tribunal aurait dû constater que la décision litigieuse recelait une ambiguïté majeure sur la portée de l’injonction prononcée, laquelle serait génératrice d’insécurité juridique pour le Groupement s’agissant des mesures qu’il est autorisé à adopter pour l’avenir pour assurer sa compétitivité et son développement. L’incertitude résiderait en l’espèce dans le caractère extrêmement général et imprécis de la qualification des mesures interdites au Groupement à l’avenir, laquelle est susceptible d’englober toute mesure de rééquilibrage jugée nécessaire à l’avenir pour renforcer la position concurrentielle du système CB ou assurer son développement. Le Groupement se trouverait, dès lors, empêché de prendre les mesures en vue de lutter contre les phénomènes de parasitisme dont ledit système serait victime.

166. Il est fait observer que, par son troisième moyen, le requérant entend critiquer la Commission pour ne pas avoir circonscrit plus étroitement la portée de l’injonction contenue au second alinéa de l’article 2 de la décision litigieuse, sans pour autant identifier une erreur de droit commise par le Tribunal, en rapport notamment avec l’interprétation devant être retenue de la jurisprudence de la Cour.

167. Force est de constater que ce moyen reprend donc en substance les arguments développés à l’appui du recours devant le Tribunal dans le cadre de la seconde branche du sixième moyen (66) et devrait, pour ce seul motif, être déclaré irrecevable.

168. Cela étant précisé, le présent moyen pose une problématique intéressante, intimement liée à l’examen du premier moyen, en rapport avec les pouvoirs d’injonction conférés à la Commission et le contrôle devant être opéré sur l’exercice de ceux-ci par le Tribunal.

169. En effet, si les parties s’accordent, me semble-t-il, pour conclure à l’applicabilité des principes de proportionnalité et de sécurité juridique, se pose la question de savoir quelle est la portée desdits principes lorsque la Commission a conclu à l’existence d’une entente restrictive «par objet», au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

170. S’agissant du respect du principe de proportionnalité, la nécessité de garantir l’effet utile d’une décision constatant l’existence d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE m’amène à conclure, qu’une fois clairement établie l’existence d’une restriction «par objet», la Commission est en droit d’enjoindre aux entreprises incriminées non seulement de suspendre et de retirer l’exécution des mesures litigieuses, mais également de s’abstenir à l’avenir de mettre en œuvre toute mesure ayant un objet similaire.

171. Encore faut-il que l’objet «anticoncurrentiel» dont sont prétendument dotées les mesures incriminées ait été clairement identifié et circonscrit, ce qui, ainsi que je l’ai mentionné dans le cadre de l’examen du premier moyen, me semble faire défaut.

172. Cette exigence me semble également valable sous l’angle du respect du principe de sécurité juridique.

173. Dès lors que l’objet anticoncurrentiel des mesures litigieuses est suffisamment identifié et identifiable, la Commission doit pouvoir être en droit d’enjoindre aux entreprises visées de s’abstenir de tout comportement similaire. La validité d’une telle approche me semble plus critiquable dans le cas où soit l’objet anticoncurrentiel n’est pas ou est insuffisamment défini, soit lorsque, comme en l’espèce, les entreprises sont conduites à identifier elles-mêmes l’ampleur de l’injonction visée.

V –    Conclusion

174. Au vu des considérations qui précèdent, il est proposé à la Cour de statuer de la manière suivante:

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 29 novembre 2012, CB/Commission (T‑491/07), est annulé.

2)      L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

3)      Les dépens sont réservés.


1 –      Langue originale: le français.


2 –      T‑491/07 (ci-après l’«arrêt attaqué»).


3 –      Voir points 252 à 358 de la décision litigieuse.


4 – Les marchés bifaces peuvent être définis comme des marchés dans lesquels le volume des transactions réalisées dépend non seulement du niveau général des prix payés par les membres, mais aussi de leur structure (Rochet, J.‑C., et Tirole, J., «Two-sided markets: a progress report», The RAND Journal of Economics, vol. 37, nº 3,‎ 2006, p. 645 à 667).


5 –      Il est toutefois à signaler que l’affaire MasterCard e.a./Commission (C–382/12 P), pendante devant la Cour (voir conclusions de l’avocat général Mengozzi présentées le 30 janvier 2014), porte sur l’examen de certaines décisions prises dans le cadre du système de paiement par cartes dit «ouvert» géré par MasterCard. Il apparaît que cette affaire, outre le fait qu’elle soulève des questions de droit distinctes de celles posées en l’espèce, concerne des mesures très différentes d’imposition de commissions multilatérales d’interchange (CMI).


6 –      Règlement du Conseil du 6 février 1962premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204).


7 –      Il ressort de la description des mesures que, en plus des mesures tarifaires, les mesures notifiées prévoyaient un réaménagement du mode de calcul des droits de vote des membres au sein du Groupement.


8 –      Mécanisme de régulation de la fonction acquéreur.


9 –      Système d’identification au répertoire des entreprises.


10 –      Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1).


11 –      Voir arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission (C‑272/09 P, Rec. p. I‑12789, point 102).


12 –      Le Groupement souligne que la Commission ne s’est aucunement départie des conclusions retenues dans la première communication des griefs datée du 6 juillet 2004. Or, à la suite d’une audition qui s’est tenue les 16 et 17 décembre 2004, la Commission aurait été contrainte de retirer cette communication des griefs, qui ne reposerait sur aucun fondement sérieux.


13 –      Arrêt du 20 novembre 2008 (C‑209/07, Rec. p. I‑8637).


14 –      Il est précisé que le terme «restriction» doit être entendu comme visant également les cas où la concurrence est «empêchée» ou «faussée». De même, la restriction dont il est ici question doit être comprise comme visant non seulement celle qui concerne la liberté d’action des entreprises sur le marché («restraint of trade»), mais également celle qui est relative au fonctionnement et à la structure du marché («restriction of competition»).


15 –      Arrêt du 30 juin 1966 (56/65, Rec. p. 337, 359).


16 –      Arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité (point 15).


17 –      Voir arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité (point 16 et jurisprudence citée).


18 –      Arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité (point 18).


19 –      Ont notamment été considérés comme comportant un tel objet anticoncurrentiel, des échanges d’informations destinés à coordonner les comportements des concurrents sur le marché (arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, Rec. p. I‑4529).


20 –      Voir, notamment, arrêts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, Rec. p. 429); du 1er février 1978, Miller International Schallplatten/Commission (19/77, Rec. p. 131) (accords de distribution interdisant le commerce parallèle entre les États membres et établissant une exclusivité territoriale); du 3 juillet 1985, Binon (243/83, Rec. p. 2015) (système de distribution sélective avec fixation de prix minimaux à la revente), ainsi que du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (C‑439/09, Rec. p. I‑9419) (système de distribution sélective interdisant, sauf justification objective, la vente de certains produits sur Internet).


21 –      Voir, notamment, arrêt Consten et Grundig/Commission, précité (p. 497).


22 –      Voir, notamment, arrêts Miller International Schallplatten/Commission, précité (point 7); du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission (29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, point 26), ainsi que du 6 avril 2006, General Motors/Commission (C‑551/03 P, Rec. p. I‑3173, point 66).


23 –      Voir, à cet égard, les conclusions de l’avocat général Roemer dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Consten et Grundig/Commission, précité (p. 525).


24 –      Arrêt du 28 avril 1998, Javico (C‑306/96, Rec. p. I‑1983, points 19 à 31).


25 –      Pour une illustration d’une telle neutralisation, voir arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C‑309/99, Rec. p. I‑1577, point 97).


26 –      En ce sens, plusieurs auteurs ont souligné que l’analyse de l’objet était une application de l’analyse des effets (voir, par exemple, Wish, R., introduction à la 4e table-ronde de la conférence New Frontiers of Antitrust du 10 février 2012 intitulée «Anticompetitive object vs. anticompetitive effect: does it really matter?», Concurrences, nº 2, 2012, p. 59 et suiv.


27 –      Arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006 (T‑168/01, Rec. p. II‑2969, point 147).


28 –      Si la Cour a été amenée, dans le cadre du pourvoi introduit dans cette affaire, à censurer l’analyse portant sur la nature anticoncurrentielle de l’objet des accords litigieux, elle ne l’a fait que dans la mesure où le Tribunal avait subordonné l’existence d’un objet anticoncurrentiel à la preuve que l’accord comportait des inconvénients pour les consommateurs finals (voir arrêt du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, Rec. p. I‑9291, points 63 et 64).


29 –      Arrêt du 14 mars 2013 (C‑32/11).


30 –      Voir arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., précité (point 48).


31 –      L’importance de ces conséquences a, d’ores et déjà, été soulignée par l’avocat général Cruz Villalón au point 64 de ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., précité.


32 –      La Commission semble avoir fait sienne cette approche dans les lignes directrices concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, CE (JO C 101, p. 97), du 27 avril 2004. Elle indique notamment que «[l]es accords ayant pour objet de restreindre le jeu de la concurrence sont ceux qui, par nature, ont la capacité de le faire. Il s’agit de restrictions qui, au regard des objectifs poursuivis par les règles communautaires de concurrence, sont tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la concurrence, qu’il est inutile, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, de démontrer qu’elles ont des effets concrets sur le marché. Cette présomption repose sur la gravité de la restriction et sur l’expérience qui montre que les restrictions de concurrence par objet sont susceptibles d’avoir des effets négatifs sur le marché et de mettre en péril les objectifs poursuivis par les règles communautaires de concurrence» (italique souligné par mes soins).


33 –      Cette exigence est constamment rappelée dans la jurisprudence la plus récente (voir arrêts Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité (point 15); T-Mobile Netherlands e.a., précité (point 28); GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., précité (point 55), ainsi que du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, Rec. p. I‑9083, point 135).


34 –      Il est à noter par exemple que, dans ses conclusions dans l’affaire ayant donné à l’arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a, précité, l’avocat général Cruz Villálon s’est prononcé en faveur d’une approche restrictive en concluant que la catégorie des restrictions de concurrence par objet devait être comprise de manière restrictive et se limiter aux cas dans lesquels il existe un risque intrinsèque d’effets préjudiciables particulièrement grave (voir point 65 desdites conclusions). Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt T-Mobile Netherlands e.a., précité, l’avocat général Kokott semble, en revanche, s’être prononcée en faveur d’une approche moins tranchée en indiquant que, «[c]ertes, une interprétation par trop extensive de la notion de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel est à éviter, en raison des conséquences radicales auxquelles les entreprises peuvent se trouver exposées en cas de violation de l’article 81, paragraphe 1, CE. Il ne faut cependant pas non plus donner de cette notion une interprétation excessivement stricte, qui supprimerait en pratique l’interdiction des ‘infractions par objet’ consacrée par le droit primaire et qui priverait ainsi l’article 81, paragraphe 1, CE d’une partie de son efficacité pratique» (voir point 44 de ces conclusions).


35 –      Voir arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité (points 31 et 32).


36 –      Voir arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité (point 33).


37 –      Voir arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité (points 34 à 36).


38 –      Voir, notamment, arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a. (C‑628/10 P et C‑14/11 P, points 84 et 85).


39 –      Arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission (C‑389/10 P, Rec. p. I‑13125, point 75).


40 –      Voir, en ce sens, arrêt Wouters e.a., précité (point 64).


41 –      Points 193 à 251 de la décision litigieuse.


42 –      Partie 10.2.1.1 correspondants aux points 199 à 234 de la décision litigieuse.


43 –      Partie 10.2.1.2 correspondants aux points 235 à 250 de la décision litigieuse.


44 –      Point 234 de la décision litigieuse.


45 –      Voir, également, présentation faite du contenu de la décision litigieuse aux points 35 et 36 de l’arrêt attaqué.


46 –      Voir, en particulier, point 186 de l’arrêt attaqué.


47 –      Voir, à cet égard, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., précité (point 37 et jurisprudence citée).


48 –      Voir, notamment, arrêt General Motors/Commission, précité (point 77 et jurisprudence citée).


49 –      Voir arrêts du 10 février 2011, Activision Blizzard Germany/Commission (C‑260/09 P, Rec. p. I‑419, point 57), ainsi que du 4 juillet 2013, Commission/Aalberts Industries e.a. (C‑287/11 P, point 52).


50 –      Voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 50).


51 –      Voir arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité (point 21).


52 –      Tels que notamment des objectifs légaux de politique commerciale (arrêt General Motors/Commission, précité, point 64) ou de protection de la santé publique et de la réduction du coût du contrôle de conformité (arrêt du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, point 25) ainsi que de mesures destinées à faire face à une crise sectorielle (arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité, point 21).


53 –      Il semble, en revanche, que l’assimilation des mesures en cause à un cartel entre le Groupement et ses chefs de file avait, dans un premier temps (voir point 7 des présentes conclusions), été retenue par la Commission, puis abandonnée en cours d’instruction.


54 –      Voir arrêts du 28 janvier 1986, Pronuptia de Paris (161/84, Rec. p. 353, points 15 à 17), et du 15 décembre 1994, DLG (C‑250/92, Rec. p. I‑5641).


55 –      Je rappelle que, en vertu de cette théorie, le détenteur d’une ressource ou d’une structure doit rendre celle-ci disponible à ses concurrents lorsque l’accès à cette structure est indispensable à l’exercice de leurs activités (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, IMS Health, C‑418/01, Rec. p. I‑5039).


56 –      Voir, à cet égard, arrêt attaqué (points 66 et 224).


57 –      Dans son XXXe rapport sur la politique de concurrence 2000, la Commission avait elle-même indiqué ce qui suit, à savoir «[l]a Commission considère que le système CB ne constitue pas une infrastructure essentielle et que, par conséquent, le Groupement peut déterminer s’il permet à ses concurrents d’y accéder (à condition de ne pas pratiquer de discriminations entre eux)» (point 207 de ce rapport).


58 –      Voir point 3 de l’arrêt attaqué qui reprend le point 29 de la décision litigieuse.


59 –      Voir point 130 de l’arrêt attaqué. La BNP Paribas a souligné, tant dans son mémoire en réponse que lors de l’audience, que ce serait notamment le postulat, selon elle erroné, selon lequel tous les chefs de file échapperaient aux mesures en cause, qui a justifié la caractérisation de l’infraction par objet. En entérinant ce postulat de base, le Tribunal aurait failli à son obligation de motivation.


60 –      Décisions de la Commission relatives à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 EEE, à savoir la décision 2001/782/CE, du 9 août 2001 (Affaire COMP/29.373 − Visa International) (JO L 293, p. 24, ci-après la «décision Visa 2001»), et la décision 2002/914/CE, du 24 juillet 2002 (Affaire COMP/29.373 − Visa International − Commission multilatérale d’interchange) (JO L 318, p. 17, ci-après la «décision Visa 2002»).


61 –      Bien que les griefs exposés par le requérant s’articulent en trois points, il me semble que le troisième, qui vise à critiquer le Tribunal d’avoir omis d’exercer son contrôle sur les appréciations économiques complexes, est aisément rattachable à celui portant sur l’examen du contexte économique.


62 –      Ceci quand bien même il semble exister une légère contradiction entre la conclusion retenue au point 94 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les mesures en cause dans les décisions Visa 2001 et Visa 2002 ne peuvent être considérées comme comparables, et celle, reprise au point 99 du même arrêt, selon laquelle «il ne saurait être déduit de l’obligation de motivation que la Commission doive, au-delà du fait de motiver sa décision par référence au dossier de l’affaire en cause, exposer spécifiquement les raisons pour lesquelles elle est arrivée à une conclusion différente de celle retenue dans une affaire précédente portant sur des situations similaires ou identiques ou ayant les mêmes acteurs économiques».


63 –      En ce sens, la Cour a notamment précisé que l’examen prioritaire des arguments relatifs à l’objet anticoncurrentiel d’un accord par rapport à ceux relatifs à son effet anticoncurrentiel se justifie d’autant plus que, si l’erreur de droit dans l’appréciation de l’objet dudit accord est avérée, il y aurait lieu de rejeter le pourvoi visant les motifs de l’arrêt attaqué relatifs à l’effet anticoncurrentiel de l’accord (voir arrêt GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., précité, point 56).


64 –      Voir arrêts précités LTM et Beef Industry Development Society et Barry Brothers (point 16).


65 –      Voir point 2 des présentes conclusions.


66 –      Voir points 435 à 452 de l’arrêt attaqué.