Language of document : ECLI:EU:T:2014:547

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre élargie)

12 juin 2014 (*) (1)

« Concurrence – Abus de position dominante – Marché des microprocesseurs – Décision constatant une infraction à l’article 82 CE et à l’article 54 de l’accord EEE – Rabais de fidélité – Restrictions ‘non déguisées’ – Qualification de pratique abusive – Analyse du concurrent aussi efficace – Compétence internationale de la Commission – Obligation d’instruction pesant sur la Commission – Limites – Droits de la défense – Principe de bonne administration – Stratégie d’ensemble – Amendes – Infraction unique et continue – Lignes directrices de 2006 pour le calcul du montant des amendes »

Dans l’affaire T‑286/09,

Intel Corp., établie à Wilmington, Delaware (États-Unis), représentée initialement par Mme K. Bacon, barrister, MM. M. Hoskins, N. Green, QC, S. Singla, barrister, I. Forrester, QC, A. Parr, R. Mackenzie, solicitors, et D. Piccinin, barrister, puis par MM. I. Forrester, A. Parr, R. Mackenzie et D. Piccinin,

partie requérante,

soutenue par

Association for Competitive Technology, Inc., établie à Washington, DC (États-Unis), représentée par Me J.‑F. Bellis, avocat,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Christoforou, V. Di Bucci, N. Khan et M. Kellerbauer, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Union fédérale des consommateurs – Que choisir (UFC – Que choisir), établie à Paris (France), représentée initialement par Me J. Franck, puis par Me E. Nasry, avocats,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2009) 3726 final de la Commission, du 13 mai 2009, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/C-3/37.990 – Intel), ou, à titre subsidiaire, une demande d’annulation ou de réduction du montant de l’amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie),

composé de M. A. Dittrich (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka, MM. M. Prek, J. Schwarcz et Mme M. Kancheva, juges,

greffier : M. E. Coulon et Mme J. Weychert, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 au 6 juillet 2012,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, Intel Corp., est une société de droit américain qui assure la conception, le développement, la fabrication et la commercialisation de microprocesseurs (ci-après les « CPU »), « chipsets » (jeux de puces) et autres composants semi-conducteurs ainsi que de solutions pour plates-formes dans le cadre du traitement des données et des dispositifs de communication.

2        À la fin de 2008, Intel employait environ 94 100 personnes à travers le monde. En 2007, les recettes nettes d’Intel s’élevaient à 38 334 millions de dollars des États-Unis (USD) et son bénéfice net à 6 976 millions de USD. En 2008, ses recettes nettes s’élevaient à 37 586 millions de USD et son bénéfice net à 5 292 millions de USD.

I –  Procédure administrative

3        Le 18 octobre 2000, Advanced Micro Devices, Inc. (ci-après « AMD ») a soumis à la Commission des Communautés européennes une plainte formelle au titre de l’article 3 du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), qu’elle a complétée en avançant de nouveaux faits et de nouvelles allégations, dans le cadre d’une plainte complémentaire du 26 novembre 2003.

4        En mai 2004, la Commission a lancé une série d’investigations portant sur certains éléments contenus dans la plainte complémentaire d’AMD. Dans le cadre de cette enquête et avec l’appui de plusieurs autorités nationales de la concurrence, conformément à l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), la Commission a procédé, en juillet 2005, à des inspections sur quatre sites d’Intel, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie et en Espagne, ainsi que sur les sites de plusieurs clients d’Intel, en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni.

5        Le 17 juillet 2006, AMD a déposé une plainte auprès du Bundeskartellamt (office fédéral des ententes allemand), dans laquelle elle a affirmé qu’Intel avait instauré, notamment, des pratiques commerciales d’éviction avec Media-Saturn-Holding GmbH (ci-après « MSH »), distributeur européen d’appareils microélectroniques et premier distributeur européen d’ordinateurs de bureau. Le Bundeskartellamt a échangé des informations avec la Commission sur cette affaire, en application de l’article 12 du règlement n° 1/2003.

6        Le 23 août 2006, la Commission a tenu une réunion avec M. D1, [confidentiel] (2) de Dell Inc., un client d’Intel. La Commission n’a pas versé la liste indicative des thèmes de cette réunion (ci-après la « liste indicative des thèmes ») au dossier de l’affaire et elle n’en a pas établi de procès-verbal. Un membre de l’équipe en charge du dossier au sein de la Commission a rédigé une note concernant cette réunion qui a été qualifiée d’interne par la Commission (ci-après la « note interne »). Le 19 décembre 2008, la Commission a fourni à la requérante une version non confidentielle de cette note.

7        Le 26 juillet 2007, la Commission a notifié à la requérante une communication des griefs (ci-après la « communication des griefs de 2007 ») relative à son comportement à l’égard de cinq grands équipementiers informatiques (Original Equipment Manufacturer, ci-après les « OEM »), à savoir Dell, la Hewlett-Packard Company (HP), Acer Inc., NEC Corp. et International Business Machines Corp. (IBM). Intel y a répondu le 7 janvier 2008 et une audition a eu lieu les 11 et 12 mars 2008. Intel a eu accès au dossier à trois reprises, en l’occurrence le 31 juillet 2007, le 23 juillet et le 19 décembre 2008.

8        La Commission a procédé à plusieurs actes d’instruction concernant les allégations d’AMD, y compris des inspections sur les sites de plusieurs vendeurs d’ordinateurs au détail et sur des sites d’Intel, en février 2008. Elle a, en outre, adressé plusieurs demandes écrites de renseignements, en vertu de l’article 18 du règlement n° 1/2003, à divers grands OEM.

9        Le 17 juillet 2008, la Commission a notifié à la requérante une communication des griefs complémentaire relative à son comportement à l’égard de MSH. Cette communication des griefs (ci-après la « communication des griefs complémentaire de 2008 ») portait également sur le comportement d’Intel à l’égard de Lenovo Group Ltd (ci-après « Lenovo ») et comportait de nouveaux éléments de preuve concernant le comportement d’Intel à l’égard de certains des OEM concernés par la communication des griefs de 2007, que la Commission avait obtenus après la publication de cette dernière.

10      La Commission a d’abord accordé à Intel un délai de huit semaines pour présenter sa réponse à la communication des griefs complémentaire de 2008. Le 15 septembre 2008, ce délai a été prorogé jusqu’au 17 octobre 2008 par le conseiller-auditeur.

11      Intel n’a pas répondu à la communication des griefs complémentaire de 2008 dans le délai imparti. Le 10 octobre 2008, elle a, en revanche, déposé un recours auprès du Tribunal, inscrit sous la référence T‑457/08, lui demandant, premièrement, d’annuler deux décisions de la Commission relatives à la fixation du délai pour répondre à la communication des griefs complémentaire de 2008 et au refus de la Commission de se procurer plusieurs catégories de documents émanant notamment du dossier du contentieux privé opposant Intel et AMD dans l’État américain du Delaware et, deuxièmement, de prolonger le délai pour le dépôt de sa réponse à la communication des griefs complémentaire de 2008 afin de disposer d’un délai de 30 jours à compter du jour où elle obtiendrait l’accès aux documents pertinents.

12      Intel a en outre introduit une demande en référé, inscrite sous la référence T‑457/08 R, visant à obtenir la suspension de la procédure de la Commission dans l’attente du jugement relatif à sa requête sur le fond ainsi que la suspension du délai fixé pour le dépôt de sa réponse à la communication des griefs complémentaire de 2008 et, subsidiairement, l’octroi d’un délai de 30 jours à compter de la date dudit jugement pour répondre à la communication des griefs complémentaire de 2008.

13      Le 19 décembre 2008, la Commission a envoyé à Intel une lettre attirant son attention sur un certain nombre d’éléments de preuve qu’elle avait l’intention d’utiliser dans une éventuelle décision finale (ci-après la « lettre factuelle »). Intel n’a pas répondu à cette lettre dans le délai fixé au 23 janvier 2009.

14      Le 27 janvier 2009, le président du Tribunal a rejeté la demande en référé (ordonnance du président du Tribunal du 27 janvier 2009, Intel/Commission, T‑457/08 R, non publiée au Recueil). À la suite de cette ordonnance, Intel a, le 29 janvier 2009, proposé de soumettre sa réponse à la communication des griefs complémentaire de 2008 et à la lettre factuelle dans les 30 jours à compter de l’ordonnance du président du Tribunal.

15      Le 2 février 2009, la Commission a informé Intel par courrier du fait que ses services avaient décidé de ne pas lui accorder de prolongation du délai imparti pour répondre à la communication des griefs complémentaire de 2008 ou à la lettre factuelle. La lettre du 2 février 2009 indiquait également que les services de la Commission étaient néanmoins disposés à envisager l’éventuelle pertinence d’un mémoire tardif pour autant qu’Intel soumette ses observations pour le 5 février 2009. Enfin, la Commission a estimé qu’elle n’était pas tenue de faire droit à une demande d’audition déposée hors délai et que ses services considéraient que le bon déroulement de la procédure administrative ne nécessitait pas l’organisation d’une audience.

16      Le 3 février 2009, Intel s’est désistée de son recours au principal dans l’affaire T-457/08 et l’affaire a été radiée du registre par ordonnance du président de la cinquième chambre du Tribunal du 24 mars 2009.

17      Le 5 février 2009, Intel a soumis un mémoire comprenant des observations relatives à la communication des griefs complémentaire de 2008 ainsi qu’à la lettre factuelle, qu’elle a qualifiées de « réponse à la communication des griefs complémentaire [de 2008] » et de « réponse à [la lettre factuelle] ».

18      Le 10 février 2009, Intel a écrit au conseiller-auditeur pour obtenir une audition sur la communication des griefs complémentaire de 2008. Le conseiller-auditeur a rejeté cette demande par lettre du 17 février 2009.

19      Le 13 mai 2009, la Commission a adopté la décision C (2009) 3726 final, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/C-3/37.990 – Intel) (ci-après la « décision attaquée »), dont un résumé figure au Journal officiel de l’Union européenne (JO C 227, p. 13).

II –  Décision attaquée

20      Selon la décision attaquée, Intel a commis une violation unique et continue de l’article 82 CE et de l’article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), entre octobre 2002 et décembre 2007, en mettant en œuvre une stratégie visant à exclure un concurrent, à savoir AMD, du marché des CPU d’architecture x86 (ci-après les « CPU x86 »).

A –  Marché en cause

21      Les produits en cause dans la décision attaquée sont des CPU. Le processeur est un composant essentiel de tout ordinateur, tant pour les performances générales du système que pour son coût global. Il est souvent considéré comme le « cerveau » de l’ordinateur. La fabrication de CPU requiert des installations de pointe coûteuses.

22      Les CPU utilisés dans les ordinateurs peuvent être regroupés en deux catégories, à savoir les CPU x86 et les CPU basés sur une autre architecture. L’architecture x86 est une norme conçue par Intel pour ses CPU. Elle permet le fonctionnement des systèmes d’exploitation Windows et Linux. Windows est principalement lié à l’ensemble des instructions x86. Avant 2000, on comptait plusieurs fabricants de CPU x86. La plupart ont toutefois depuis quitté le marché. La décision attaquée relève que depuis cette date Intel et AMD sont pratiquement les deux seules entreprises à fabriquer encore des CPU x86.

23      Dans son enquête, la Commission est parvenue à la conclusion selon laquelle le marché de produits en cause n’était pas plus large que le marché des CPU x86. La décision attaquée ne se prononce pas sur la question de savoir s’il existe un marché unique des CPU x86 pour tous les ordinateurs ou s’il convient de faire la distinction entre trois marchés séparés des CPU x86, à savoir celui pour les ordinateurs de bureau, celui pour les ordinateurs portables et celui pour les serveurs. Selon la décision attaquée, au vu des parts de marché d’Intel pour chaque segment, les conclusions relatives à la position dominante ne différeraient pas.

24      Le marché géographique a été défini comme étant de taille mondiale.

B –  Position dominante

25      Dans la décision attaquée, la Commission constate que, au cours de la période de dix années qui a été examinée (1997 à 2007), Intel a toujours détenu des parts de marché d’environ 70 % ou plus. De surcroît, il existe, selon la décision attaquée, des barrières importantes à l’entrée et à l’expansion sur le marché des CPU x86. Ces barrières résulteraient des investissements irrécupérables dans la recherche et le développement, la propriété intellectuelle et les installations de production nécessaires à la fabrication de CPU x86. Par conséquent, tous les concurrents d’Intel, à l’exception d’AMD, auraient quitté le marché ou ne détiendraient plus qu’une part de marché négligeable.

26      S’appuyant sur les parts de marché détenues par Intel et sur les barrières à l’entrée et à l’expansion sur le marché en cause, la décision attaquée conclut qu’Intel a occupé une position dominante sur ledit marché au moins au cours de la période couverte par ladite décision, soit d’octobre 2002 à décembre 2007.

C –  Comportement abusif et amende

27      La décision attaquée décrit deux types de comportement adoptés par Intel à l’égard de ses partenaires commerciaux, à savoir les rabais conditionnels et les « restrictions non déguisées » (naked restrictions).

28      Premièrement, selon la décision attaquée, Intel a accordé des rabais à quatre OEM, en l’occurrence Dell, Lenovo, HP et NEC, à la condition qu’ils achètent auprès d’elle la totalité ou la quasi-totalité de leurs CPU x86. De même, Intel aurait octroyé des paiements à MSH, à la condition que ce dernier vende exclusivement des ordinateurs équipés de CPU x86 d’Intel.

29      La décision attaquée conclut que les rabais conditionnels accordés par Intel constituent des rabais de fidélité. En ce qui concerne les paiements conditionnels d’Intel à MSH, la décision attaquée constate que le mécanisme économique de ces paiements est équivalent à celui des rabais conditionnels accordés aux OEM.

30      De plus, la décision attaquée fournit également une analyse économique portant sur la capacité des rabais d’évincer un concurrent qui serait aussi efficace qu’Intel (as efficient competitor test, ci-après le « test AEC ») sans occuper pour autant une position dominante. Concrètement, l’analyse établit le prix auquel un concurrent aussi efficace qu’Intel aurait dû proposer ses CPU afin d’indemniser un OEM pour la perte d’un rabais que lui aurait accordé Intel. Une analyse du même type a été réalisée pour les paiements octroyés par Intel à MSH.

31      Sur la base des éléments de preuve qu’elle a rassemblés, la Commission parvient à la conclusion selon laquelle les rabais conditionnels et les paiements octroyés par Intel ont eu pour conséquence d’assurer la fidélité des OEM stratégiques et de MSH. Ces pratiques auraient eu des effets complémentaires, en ce sens qu’elles auraient sensiblement réduit la capacité des concurrents de se livrer une concurrence fondée sur les mérites de leurs CPU x86. Le comportement anticoncurrentiel d’Intel aurait contribué ainsi à réduire le choix offert aux consommateurs ainsi que les incitations à l’innovation.

32      Deuxièmement, en ce qui concerne les restrictions non déguisées, la Commission soutient qu’Intel a octroyé des paiements à trois OEM, à savoir HP, Acer et Lenovo, à la condition que ceux-ci reportent ou annulent le lancement de produits équipés de CPU provenant d’AMD (ci-après les « CPU AMD »), et/ou imposent des restrictions à la distribution de ces produits. La décision attaquée conclut que ce comportement d’Intel a également causé un préjudice direct à la concurrence et ne relève pas d’une concurrence normale, fondée sur les mérites.

33      La Commission conclut dans la décision attaquée que chacun des comportements litigieux d’Intel à l’égard des OEM susmentionnés et de MSH constitue un abus au sens de l’article 82 CE, l’ensemble de ces abus s’inscrivant cependant également dans le cadre d’une stratégie d’ensemble visant à évincer AMD, le seul concurrent important d’Intel, du marché des CPU x86. Ces abus formeraient donc une infraction unique au sens de l’article 82 CE.

34      En appliquant les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »), la Commission a infligé à la requérante une amende de 1,06 milliards d’euros (en ce qui concerne le calcul de l’amende, voir points 1554 à 1558 ci-après).

D –  Dispositif

35      Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :

« Article premier

Intel […] a commis une infraction unique et continue à l’article 82 [CE] et à l’article 54 de l’accord EEE, entre octobre 2002 et décembre 2007, en mettant en œuvre une stratégie visant à évincer des concurrents du marché des CPU x86 qui a consisté en les éléments suivants :

a)      accorder des rabais à Dell entre décembre 2002 et décembre 2005 dont le niveau était conditionné au fait que Dell achetât la totalité de ses CPU x86 auprès d’Intel ;

b)      accorder des rabais à HP entre novembre 2002 et mai 2005 dont le niveau était conditionné au fait que HP achetât au moins 95 % des CPU x86 destinés à ses ordinateurs de bureau pour entreprises auprès d’Intel ;

c)      accorder des rabais à NEC entre octobre 2002 et novembre 2005 dont le niveau était conditionné au fait que NEC achetât au moins 80 % des CPU x86 destinés à ses PC clients auprès d’Intel ;

d)      accorder des rabais à Lenovo entre janvier 2007 et décembre 2007 dont le niveau était conditionné au fait que Lenovo achetât la totalité des CPU x86 destinés à ses ordinateurs portables auprès d’Intel ;

e)      accorder des paiements à [MSH] entre octobre 2002 et décembre 2007 dont le niveau était conditionné au fait que [MSH] ne vendît que des ordinateurs équipés des CPU x86 d’Intel ;

f)      accorder des paiements à HP entre novembre 2002 et mai 2005 à condition que : i) HP oriente les ordinateurs de bureau de HP équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises vers les petites et moyennes entreprises et les clients du secteur gouvernemental, éducatif et médical plutôt que vers les grandes entreprises ; ii) HP interdise à ses partenaires de distribution de stocker les ordinateurs de bureau de HP équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises de façon que ces ordinateurs soient uniquement disponibles pour les clients en les commandant à HP (soit directement, soit par le biais de partenaires de distribution de HP exerçant une fonction d’agents commerciaux) ; iii) HP retarde de six mois le lancement de son ordinateur de bureau équipé d’un CPU x86 d’AMD destiné aux entreprises dans la région [Europe, Moyen-Orient et Afrique] ;

g)      accorder des paiements à Acer entre septembre 2003 et janvier 2004 à condition qu’Acer retarde le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU x86 d’AMD ;

h)      accorder des paiements à Lenovo entre juin 2006 et décembre 2006 à condition que Lenovo retarde et annule finalement le lancement de ses ordinateurs portables équipés de CPU x86 d’AMD.

Article 2

Pour l’infraction mentionnée à l’article 1er, une amende d’un montant de 1 060 000 000 d’euros est infligée à Intel […]

Article 3

Intel […] doit mettre fin immédiatement à l’infraction mentionnée à l’article 1er si ce n’est déjà le cas.

Intel […] doit s’abstenir de réitérer les agissements ou comportements visés à l’article 1er ainsi que de tout agissement ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou équivalent.

[…] »

 Procédure et conclusions des parties

36      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 juillet 2009, la requérante a introduit le présent recours.

37      Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 14 octobre 2009, AMD a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien de la Commission. Toutefois, le 16 novembre 2009, AMD a informé le Tribunal qu’elle retirait sa demande d’intervention dans cette affaire. Par conséquent, par ordonnance du président de la huitième chambre du Tribunal du 5 janvier 2010, AMD a été radiée de l’affaire en tant que demanderesse en intervention.

38      Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 30 octobre 2009, l’Union fédérale des consommateurs – Que choisir (UFC – Que choisir) (ci-après l’« UFC ») a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien de la Commission. Par ordonnance du 7 juin 2010, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis cette intervention. Par lettre enregistrée au greffe du Tribunal le 22 septembre 2010, l’UFC a informé le Tribunal qu’elle renonçait au dépôt d’un mémoire en intervention, mais qu’elle présenterait des observations orales lors de l’audience.

39      Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 2 novembre 2009, l’Association for Competitive Technology (ci-après l’« ACT ») a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien d’Intel. Par ordonnance du 7 juin 2010, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis cette intervention. L’ACT a déposé son mémoire en intervention dans le délai imparti et les parties principales ont présenté leurs observations sur celui-ci.

40      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur ayant été affecté à la septième chambre, la présente affaire a, par conséquent, été attribuée à cette dernière.

41      Par décision du 18 janvier 2012, le Tribunal a renvoyé l’affaire devant la septième chambre élargie en application de l’article 14, paragraphe 1, et de l’article 51, paragraphe 1, de son règlement de procédure.

42      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé des questions écrites aux parties et a demandé à la requérante et à la Commission de produire certains documents. La requérante, la Commission et l’ACT ont répondu aux questions écrites et ont produit les documents demandés dans le délai imparti.

43      La réponse de l’UFC à une question écrite du Tribunal étant parvenue au greffe du Tribunal en dehors du délai imparti, par décision du 1er juin 2012, le président de la septième chambre a décidé que cette réponse serait tout de même versée au dossier.

44      Par ordonnance du 16 avril 2012, le Tribunal a enjoint à la Commission, conformément à l’article 65, sous b), l’article 66, paragraphe 1, et l’article 67, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure, de produire la version confidentielle de la note interne concernant la réunion entre des agents de la Commission et M. D1, [confidentiel] de Dell, ayant eu lieu le 23 août 2006. La Commission y a déféré dans le délai imparti. Dans un premier temps, ce document n’a été communiqué ni à la requérante ni aux intervenantes.

45      Intel et la Commission ont demandé que certains éléments confidentiels contenus dans leurs écrits et leurs annexes, en ce compris des réponses aux questions écrites du Tribunal, fussent exclus de la communication aux parties intervenantes. La communication aux parties intervenantes desdits écrits et annexes a été limitée aux versions non confidentielles produites par la requérante et la Commission. Les parties intervenantes n’ont pas soulevé d’objections à ce sujet.

46      Le 7 juin 2012, la requérante, la Commission et l’ACT ont assisté à une réunion informelle concernant le traitement confidentiel de certaines données et l’organisation de l’audience en présence des cinq membres de la septième chambre élargie.

47      Par lettre enregistrée au greffe du Tribunal le 2 juillet 2012, la requérante a indiqué que les divers OEM concernés ainsi que MSH et AMD marquaient leur accord pour la divulgation des données les concernant antérieurement identifiées comme confidentielles lors de la partie de l’audience qui se déroulerait publiquement ainsi que dans la version publique du futur arrêt, sous réserve de certaines exceptions.

48      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée, pour partie, à huis clos, du 3 au 6 juillet 2012.

49      Par ordonnance du 29 janvier 2013, la procédure orale a été rouverte. Dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure, la Commission, qui avait à son tour consulté Dell, ayant été entendue et n’ayant pas soulevé d’objections, le Tribunal a communiqué à la requérante et aux parties intervenantes la version intégrale de la note interne concernant la réunion avec M. D1, [confidentiel] de Dell, et les a invitées à présenter leurs observations sur les parties de ladite note qui ne leur avaient pas été transmises antérieurement. La requérante ainsi que l’ACT ont déféré à cette demande dans le délai imparti. L’UFC n’a pas présenté d’observations dans le délai imparti. Le Tribunal a alors invité la Commission à présenter ses observations sur les observations de la requérante. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti. Le Tribunal a également invité la requérante et la Commission à présenter leurs observations sur les observations de l’ACT. Celles-ci ont déféré à cette demande dans le délai imparti. La procédure orale a ensuite été clôturée le 6 mai 2013.

50      La requérante, soutenue par l’ACT, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler entièrement ou partiellement la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler ou réduire substantiellement le montant de l’amende imposée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

51      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens ;

–        condamner l’ACT aux dépens liés à son intervention.

52      L’UFC se rallie, en substance, aux conclusions de la Commission et conclut à ce que la requérante soit condamnée aux dépens.

 En droit

I –  Sur la recevabilité de certaines annexes

53      La Commission fait valoir que certains documents produits par la requérante en annexe à la requête, qui correspondent à des témoignages faits devant le tribunal du Delaware devant lequel la procédure américaine a été engagée (ci-après le « tribunal du Delaware », voir point 11 ci-dessus), sont irrecevables en vertu de l’article 43, paragraphe 5, du règlement de procédure, selon lequel « [s]i, en raison du volume d’une pièce ou d’un document, il n’en est annexé à l’acte que des extraits, la pièce ou le document entier, ou une copie complète, est déposé au greffe ».

54      La Commission souligne que la requérante n’a ni fourni ni inscrit au registre les annexes aux dépositions faites devant le tribunal du Delaware. La Commission souligne en outre que, pour une partie de ces témoignages, la requérante a fourni seulement des extraits du transcript au lieu du transcript complet.

55      Il convient de rejeter d’emblée l’argumentation de la Commission pour autant qu’elle concerne les témoignages dont le transcript a été produit dans son intégralité, mais sans leurs annexes. En effet, selon l’article 43, paragraphe 5, du règlement de procédure, il suffit de déposer le document complet au greffe. Cet article n’exige pas que tous les autres documents auxquels fait référence un document annexé à un acte de procédure soient également déposés au greffe. Au cas où certaines parties des témoignages sur lesquels s’appuie la requérante ne seraient pas compréhensibles sans avoir accès aux documents auxquels les témoins se réfèrent, cela ne concernerait que la valeur probante des parties des témoignages concernés. Cependant, cela ne peut pas remettre en cause la recevabilité des témoignages produits par la requérante en annexe à sa requête.

56      En ce qui concerne les témoignages pour lesquels la requérante a seulement produit des extraits en annexe à ses mémoires, il convient de relever ce qui suit.

57      Même si l’on devait interpréter l’article 43, paragraphe 5, du règlement de procédure en ce sens qu’il impose aux parties une obligation de déposer au greffe une version complète de tout document dont elles produisent des extraits en annexe à un acte de procédure, une violation de cette obligation pourrait en tout état de cause être régularisée.

58      À cet égard, il y a lieu d’observer que, selon le paragraphe 57, sous d), des instructions pratiques aux parties adoptées par le Tribunal le 5 juillet 2007 (JO L 232, p. 7), telles que modifiées, même l’absence de production d’annexes mentionnées dans le bordereau est régularisable. La production d’un seul extrait d’un document par une partie au lieu du document complet constitue à plus forte raison un vice régularisable.

59      En l’espèce, le Tribunal a demandé à la requérante, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, de produire les versions intégrales de la totalité des témoignages dont elle n’avait produit que des extraits et dont elle n’avait pas déposé au greffe une version complète. La requérante a déféré à cette demande dans le délai imparti et le Tribunal a donné à la Commission l’occasion de présenter ses observations sur ces documents par écrit.

60      Il y a donc lieu de rejeter l’argument de la Commission selon lequel certains documents présentés par la requérante sont irrecevables en vertu de l’article 43, paragraphe 5, du règlement de procédure.

II –  Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

A –  Questions horizontales concernant les appréciations juridiques effectuées par la Commission

1.     Sur la charge de la preuve et le niveau de preuve requis

61      La requérante se réfère à la jurisprudence du juge de l’Union européenne et souligne, notamment, que les affaires de concurrence de la même nature que celle de l’espèce revêtent un caractère pénal, ce qui signifierait qu’elles exigent un niveau de preuve élevé et que la présomption d’innocence s’applique.

62      Selon l’article 2 du règlement n° 1/2003, dans toutes les procédures d’application de l’article 82 CE, la charge de la preuve d’une violation de cet article incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue, à savoir, en l’espèce, à la Commission. En outre, selon une jurisprudence bien établie, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende (arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, ci-après l’« arrêt JFE », point 177, et du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission, T‑112/07, Rec. p. II‑3871, point 58).

63      En effet, dans cette dernière situation, il est nécessaire de tenir compte du principe de la présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950, et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, points 149 et 150, et Montecatini/Commission, C‑235/92 P, Rec. p. I‑4539, points 175 et 176 ; arrêt JFE, point 62 supra, point 178).

64      S’il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence, ainsi que le retient la jurisprudence concernant la mise en œuvre de l’article 81 CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, points 513 à 523). Ce principe s’applique également dans des affaires concernant la mise en œuvre de l’article 82 CE (arrêt du Tribunal du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, Rec. p. II‑2805, ci-après l’« arrêt AstraZeneca », point 477).

65      S’agissant de la force probante des éléments de preuve retenus par la Commission, il convient de distinguer entre deux situations.

66      D’une part, lorsque la Commission constate une infraction aux règles de concurrence en se fondant sur la supposition que les faits établis ne peuvent pas être expliqués autrement qu’en fonction de l’existence d’un comportement anticoncurrentiel, le juge de l’Union sera amené à annuler la décision en question lorsque les entreprises concernées avancent une argumentation qui donne un éclairage différent aux faits établis par la Commission et qui permet ainsi de substituer une autre explication plausible des faits à celle retenue par la Commission pour conclure à l’existence d’une infraction. En effet, dans un tel cas, il ne saurait être considéré que la Commission a apporté la preuve de l’existence d’une infraction au droit de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, point 16, et du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, Rec. p. I‑1307, points 126 et 127).

67      D’autre part, lorsque la Commission se fonde sur des éléments de preuve qui sont, en principe, suffisants pour démontrer l’existence de l’infraction, il ne suffit pas à l’entreprise concernée d’évoquer la possibilité qu’une circonstance s’est produite qui pourrait affecter la valeur probante de ces éléments de preuve pour que la Commission supporte la charge de prouver que cette circonstance n’a pas pu affecter la valeur probante de ceux-ci. Au contraire, sauf dans les cas où une telle preuve ne pourrait pas être fournie par l’entreprise concernée en raison du comportement de la Commission elle-même, il appartient à l’entreprise concernée d’établir à suffisance de droit, d’une part, l’existence de la circonstance qu’elle invoque et, d’autre part, que cette circonstance met en cause la valeur probante des éléments de preuve sur lesquels se fonde la Commission (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 décembre 2010, E.ON Energie/Commission, T‑141/08, Rec. p. II‑5761, point 56, et la jurisprudence citée).

68      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’examiner si la Commission a prouvé à suffisance de droit les circonstances retenues dans la décision attaquée eu égard aux moyens de la requérante.

2.     Sur la qualification juridique des rabais et des paiements accordés en contrepartie d’un approvisionnement exclusif

69      Au considérant 924 de la décision attaquée, la Commission a constaté que le montant des rabais octroyés à Dell, HP, NEC et Lenovo était de facto lié à la condition que ces entreprises se fournissent auprès d’Intel pour la totalité ou la quasi-totalité de leurs besoins en CPU x86, au moins dans un segment déterminé, et que, par conséquent, la liberté de choix de ces entreprises était restreinte. En ce qui concerne les paiements accordés à MSH, la Commission a constaté, au même considérant, que ces paiements étaient soumis à la condition que MSH vende uniquement des ordinateurs comportant des CPU x86 d’Intel et qu’ils ont donc limité la liberté de choix de MSH. La Commission a relevé, au considérant 925 de la décision attaquée, que, en l’absence d’une justification objective, ces constats suffisaient à démontrer une infraction à l’article 82 CE.

70      La requérante conteste la qualification juridique des paiements accordés telle qu’elle est faite par la Commission. En substance, elle fait valoir que la Commission était tenue de procéder à une appréciation du contexte factuel global en vue de déterminer si les rabais et les paiements incriminés étaient susceptibles de restreindre le jeu de la concurrence. Avant de conclure qu’un octroi de rabais est contraire à l’article 82 CE, la Commission devrait démontrer que ces rabais ont effectivement la capacité d’évincer des concurrents du marché, au détriment des consommateurs. Lorsque le comportement relève du passé, la Commission devrait prouver que les accords incriminés ont effectivement conduit à l’éviction de concurrents.

71      La Commission fait valoir que les rabais en cause constituaient des « rabais de fidélité au sens de la jurisprudence Hoffmann-La Roche » telle qu’elle est issue de l’arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, Rec. p. 461, ci-après l’« arrêt Hoffmann-La Roche »). Elle estime que, pour ce type de pratique, il n’est pas nécessaire d’établir au cas par cas des effets d’éviction réels ou potentiels.

a)     Sur les rabais accordés aux OEM en contrepartie d’un approvisionnement exclusif ou quasi exclusif

 1) Sur la qualification juridique

72      Selon une jurisprudence constante, le fait, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, de lier – fût-ce à leur demande – des acheteurs par une obligation ou promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 82 CE, soit que l’obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu’elle trouve sa contrepartie dans l’octroi de rabais (arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, point 89, et arrêt du Tribunal du 9 septembre 2010, Tomra Systems e.a./Commission, T‑155/06, Rec. p. II‑4361, ci-après l’« arrêt du Tribunal Tomra », point 208).

73      Il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu d’accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un régime de rabais de fidélité, c’est-à-dire de remises liées à la condition que le client – quel que soit par ailleurs le montant, considérable ou minime, de ses achats – s’approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante (arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, point 89, et arrêt de la Cour du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C‑549/10 P, non encore publié au Recueil, ci-après l’« arrêt de la Cour Tomra », point 70).

74      S’agissant plus particulièrement de la qualification d’abusif de l’octroi de rabais par une entreprise en position dominante, il y a lieu de distinguer trois catégories de rabais (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, ci-après l’« arrêt Michelin I », points 71 à 73, et du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C‑95/04 P, Rec. p. I‑2331, ci-après l’« arrêt de la Cour British Airways », points 62, 63, 65, 67 et 68).

75      Premièrement, les systèmes de rabais quantitatifs (ci-après les « rabais de quantité »), liés exclusivement au volume des achats effectués auprès d’une entreprise en position dominante, sont généralement considérés ne pas avoir un effet de forclusion interdit par l’article 82 CE. Si l’augmentation de la quantité fournie se traduit par un coût inférieur pour le fournisseur, celui-ci est, en effet, en droit de faire bénéficier son client de cette réduction par le biais d’un tarif plus favorable. Les rabais de quantité sont donc censés refléter des gains d’efficience et des économies d’échelle réalisées par l’entreprise en position dominante (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, ci-après l’« arrêt Michelin II », point 58, et la jurisprudence citée).

76      Deuxièmement, il existe des rabais dont l’octroi est lié à la condition que le client s’approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante. Ce type de rabais, auquel la Commission se réfère par l’expression « rabais de fidélité au sens de la jurisprudence Hoffmann-La Roche », sera dénommé par la suite « rabais d’exclusivité ». Il y a lieu de souligner que cette expression sera également utilisée pour des rabais qui ne sont pas liés à une condition d’approvisionnement à 100 %, mais à la condition que le client s’approvisionne pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante.

77      De tels rabais d’exclusivité, appliqués par une entreprise en position dominante, sont incompatibles avec l’objectif d’une concurrence non faussée dans le marché commun parce qu’ils ne reposent pas – sauf circonstances exceptionnelles – sur une prestation économique justifiant cet avantage financier, mais tendent à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement et à barrer l’accès au marché aux autres producteurs (voir, en ce sens, arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, point 90, et arrêt du Tribunal Tomra, point 72 supra, point 209). En effet, de tels rabais tendent à empêcher, par la voie de l’octroi d’un avantage financier, l’approvisionnement des clients auprès des producteurs concurrents (arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, point 90, et arrêt du Tribunal Tomra, point 72 supra, point 210).

78      Troisièmement, il existe d’autres systèmes de rabais où l’octroi d’une incitation financière n’est pas directement lié à une condition d’un approvisionnement exclusif ou quasi exclusif auprès de l’entreprise en position dominante, mais où le mécanisme de l’octroi du rabais peut aussi revêtir un effet fidélisant (ci-après les « rabais relevant de la troisième catégorie »). Cette catégorie de rabais inclut notamment des systèmes de rabais dépendant de la réalisation d’objectifs de ventes individuels qui ne constituent pas des rabais d’exclusivité, car ils ne comportent aucun engagement d’exclusivité ou de couverture d’une certaine quotité de leurs besoins auprès de l’entreprise en position dominante. Afin d’examiner si l’application d’un tel rabais constitue un abus d’une position dominante, il y a lieu d’apprécier l’ensemble des circonstances, notamment les critères et les modalités de l’octroi du rabais, et d’examiner si ce rabais tend, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement, à barrer l’accès du marché aux concurrents ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée (voir, en ce sens, arrêts Michelin I, point 74 supra, point 73 ; de la Cour British Airways, point 74 supra, points 65 et 67, et Tomra, point 73 supra, point 71).

79      Les rabais accordés à Dell, HP, NEC et Lenovo dont la Commission a fait état, notamment à l’article 1er, sous a) à d), de la décision attaquée, sont des rabais qui entrent dans la deuxième catégorie, à savoir des rabais d’exclusivité. En effet, selon les constatations de la Commission qui apparaissent dans la décision attaquée, il s’agissait de rabais qui étaient liés à la condition que le client s’approvisionnât auprès d’Intel, au moins dans un segment déterminé, soit pour la totalité de ses besoins en CPU x86, en ce qui concernait Dell et Lenovo, soit pour une partie importante de ses besoins, en l’occurrence 95 % pour HP et 80 % pour NEC.

80      Il convient de relever que, contrairement à ce que prétend la requérante, la qualification d’abusif d’un rabais d’exclusivité ne dépend pas d’une analyse des circonstances de l’espèce visant à établir un effet potentiel d’éviction.

81      En effet, il résulte de l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra (points 89 et 90), que ce type de rabais constitue un abus de position dominante s’il n’existe pas de justification objective à son octroi. La Cour n’a pas exigé la démonstration d’une capacité de restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce.

82      De plus, il résulte de l’arrêt Michelin I, point 74 supra, et de l’arrêt de la Cour British Airways, point 74 supra, qu’il est nécessaire d’apprécier l’ensemble des circonstances de l’espèce seulement dans le cas de rabais relevant de la troisième catégorie. En effet, au point 71 de l’arrêt Michelin I, point 74 supra, la Cour a rappelé la jurisprudence selon laquelle un rabais tendant à empêcher, par la voie de l’octroi d’avantages financiers, l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents constituait un abus au sens de l’article 82 CE. Ensuite, la Cour a constaté, au point 72 de cet arrêt, que le système de rabais en cause dans cette affaire ne constituait ni un simple rabais de quantité, ni un système comportant un engagement d’exclusivité ou de couverture d’une certaine quotité des besoins auprès de l’entreprise en position dominante. La Cour a enfin relevé, au point 73 de ce même arrêt, qu’il y avait « donc » lieu d’apprécier l’ensemble des circonstances, et notamment les critères et les modalités de l’octroi du rabais.

83      Dans l’arrêt de la Cour British Airways, point 74 supra, cette dernière a, dans un premier temps, rappelé, au point 62, la jurisprudence issue de l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, et, dans un second temps, relevé la différence entre les faits à la base de ce dernier arrêt et les faits à l’origine de l’arrêt Michelin I, point 74 supra, en soulignant, au point 65, que cet arrêt concernait des rabais qui ne comportaient, de la part des clients de l’entreprise en position dominante, aucun engagement d’exclusivité ou de couverture d’une certaine quotité de leurs besoins auprès de cette entreprise. Ensuite, elle a relevé, au point 67, qu’il résultait de la jurisprudence qu’il fallait apprécier l’ensemble des circonstances afin de déterminer si une entreprise en position dominante avait abusé de cette position en appliquant un système de rabais « tel que celui décrit au point 65 du présent arrêt ». Enfin, au point 68, la Cour a relevé que la nécessité de vérifier si des rabais pouvaient produire un effet d’éviction concernait un système de rabais ou primes « qui ne constitu[ai]ent ni des rabais ou primes de quantité ni des rabais ou primes de fidélité au sens de l’arrêt Hoffmann-La Roche ».

84      Il s’ensuit que, selon la jurisprudence, c’est uniquement dans le cas des rabais relevant de la troisième catégorie qu’il est nécessaire d’apprécier l’ensemble des circonstances, et non dans le cas des rabais d’exclusivité relevant de la deuxième catégorie.

85      Cette approche se justifie par le fait que les rabais d’exclusivité accordés par une entreprise en position dominante ont par leur nature même la capacité de restreindre la concurrence.

86      En effet, la capacité de lier les clients à l’entreprise en position dominante est inhérente aux rabais d’exclusivité. Le fait, pour une entreprise en position dominante, d’octroyer un rabais en contrepartie d’un approvisionnement exclusif ou portant sur une partie importante des besoins du client implique que l’entreprise en position dominante octroie un avantage financier tendant à empêcher l’approvisionnement des clients auprès des producteurs concurrents. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les circonstances de l’espèce afin de déterminer si ce rabais tend à empêcher les clients de s’approvisionner auprès des concurrents.

87      Il y a en outre lieu de souligner que les rabais d’exclusivité accordés par une entreprise en position dominante disposent par leur nature même de la capacité d’évincer des concurrents. En effet, un avantage financier accordé en vue d’inciter un client à s’approvisionner pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante implique une incitation pour ce client à ne pas s’approvisionner, pour la partie de sa demande qui est concernée par la condition d’exclusivité, auprès des concurrents de l’entreprise en position dominante.

88      Dans ce cadre, il y a lieu de relever qu’un effet d’éviction ne se produit pas uniquement lorsque l’accès au marché est rendu impossible pour les concurrents, mais également lorsque cet accès est rendu plus difficile (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Michelin I, point 74 supra, point 85 ; du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C‑52/09, Rec. p. I‑527, ci-après l’« arrêt TeliaSonera », point 63, et arrêt Michelin II, point 75 supra, point 244). Une incitation financière accordée par une entreprise en position dominante en vue d’inciter un client à ne pas s’approvisionner, pour la partie de sa demande qui est concernée par la condition d’exclusivité, auprès de ses concurrents est par sa nature même capable de rendre plus difficile l’accès au marché pour ces concurrents.

89      Bien que des conditions d’exclusivité puissent, en principe, présenter des effets bénéficiaires pour la concurrence, de sorte qu’en situation normale d’un marché concurrentiel il convient d’apprécier leurs effets sur le marché dans leur contexte spécifique (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 février 1991, Delimitis, C‑234/89, Rec. p. I‑935, points 14 à 27), ces considérations ne sauraient être admises dans le cas d’un marché où, du fait précisément de la position dominante détenue par l’un des opérateurs, la concurrence est déjà restreinte (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C‑310/93 P, Rec. p. I‑865, ci-après l’« arrêt de la Cour BPB Industries et British Gypsum », point 11, et conclusions de l’avocat général M. Léger sous cet arrêt, Rec. p. I‑867, points 42 à 45).

90      Cette solution se justifie par la responsabilité particulière qui incombe à l’entreprise en position dominante de ne pas porter atteinte à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun et par le fait que, lorsqu’un opérateur dispose d’une forte position sur le marché, des conditions de fourniture exclusive concernant une proportion importante des achats d’un client constituent une entrave inacceptable à l’accès au marché (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T‑65/89, Rec. p. II‑389, ci-après l’« arrêt du Tribunal BPB Industries et British Gypsum », points 65 à 68). En effet, dans un tel cas, l’exclusivité d’approvisionnement a pour effet de porter une atteinte supplémentaire à la structure concurrentielle du marché. Ainsi, la notion d’exploitation abusive revient en principe à tout engagement d’approvisionnement exclusif au profit d’une entreprise en position dominante (voir, en ce sens, arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, points 120, 121 et 123, arrêt de la Cour BPB Industries et British Gypsum, point 89 supra, point 11, et conclusions de l’avocat général M. Léger sous cet arrêt, point 89 supra, points 46 et 47).

91      Par ailleurs, il y a également lieu de souligner qu’il est inhérent à une position dominante forte, telle que celle occupée par la requérante, que, pour une bonne part de la demande, il n’existe pas de substitut adéquat au produit fourni par l’entreprise qui détient la position dominante. Le fournisseur en position dominante est donc, dans une large mesure, un partenaire commercial incontournable (voir, en ce sens, arrêts Hoffmann-La Roche, point 71 supra, point 41 ; de la Cour British Airways, point 74 supra, point 75, et arrêt du Tribunal Tomra, point 72 supra, point 269). En l’espèce, la requérante ne conteste pas les constatations faites dans la décision attaquée selon lesquelles sa position sur le marché lors de la période de l’infraction retenue dans la présente affaire était celle d’un partenaire commercial incontournable.

92      Il résulte de la position de partenaire commercial incontournable que les clients s’approvisionneront de toute façon pour une partie de leurs besoins auprès de l’entreprise en position dominante (ci-après la « part non disputable »). Le concurrent d’une entreprise en position dominante n’est donc pas en mesure d’entrer en concurrence pour l’approvisionnement total d’un client, mais seulement pour la quotité de la demande excédant la part non disputable (ci-après la « part disputable »). La part disputable est ainsi la partie des besoins d’un client qui peut, de façon réaliste, être transférée à un concurrent de l’entreprise en position dominante dans une période de référence, ainsi que le relève la Commission au considérant 1009 de la décision attaquée. L’octroi de rabais d’exclusivité par une entreprise en position dominante rend plus difficile pour un concurrent la fourniture de ses propres produits aux clients de celle-ci. En effet, si un client de l’entreprise en position dominante s’approvisionne auprès d’un concurrent en ne respectant pas la condition d’exclusivité ou de quasi-exclusivité, il risque de perdre non seulement les rabais pour les unités qu’il a transférées à ce concurrent, mais la totalité du rabais d’exclusivité.

93      Pour soumettre une offre attrayante, il ne suffit donc pas pour le concurrent d’une entreprise en position dominante d’offrir des conditions attrayantes pour les unités qu’il peut lui-même fournir au client, mais il doit également offrir à ce client une compensation pour la perte du rabais d’exclusivité. Afin de soumettre une offre attrayante, le concurrent doit donc répartir le rabais que l’entreprise en position dominante accorde pour la totalité ou la quasi-totalité des besoins du client, y compris la part non disputable, sur la seule part disputable. Ainsi, l’octroi d’un rabais d’exclusivité par un partenaire commercial incontournable rend structurellement plus difficile la possibilité pour un concurrent de soumettre une offre à un prix attrayant et donc d’accéder au marché. L’octroi de rabais d’exclusivité permet à l’entreprise en position dominante d’utiliser son pouvoir économique sur la part non disputable de la demande du client comme un levier afin de s’assurer également la part disputable, rendant ainsi l’accès au marché plus difficile pour un concurrent.

94      Enfin, il convient de noter qu’il reste loisible à l’entreprise dominante de justifier l’emploi d’un système de rabais d’exclusivité, en particulier en démontrant que son comportement est objectivement nécessaire ou que l’effet de forclusion potentiel qu’il entraîne peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également aux consommateurs (voir, en ce sens, arrêts Hoffmann-La Roche, point 71 supra, point 90 ; de la Cour British Airways, point 74 supra, points 85 et 86, et de la Cour du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, non encore publié au Recueil, ci-après l’« arrêt Post Danmark », points 40 et 41, et la jurisprudence citée). Or, dans le cas d’espèce, la requérante n’avance aucun argument à cet égard.

 2) Sur les arguments de la requérante


 2.1) Sur les arguments selon lesquels la Commission est tenue d’effectuer une analyse des circonstances de l’espèce afin d’établir au moins un effet potentiel d’éviction

95      La requérante fait valoir que la Commission est tenue d’effectuer une analyse des circonstances de l’espèce afin d’établir au moins un effet potentiel d’éviction.

96      En premier lieu, la requérante s’appuie sur le point 73 de l’arrêt Michelin I, point 74 supra, et sur le point 67 de l’arrêt de la Cour British Airways, point 74 supra. Ces points concernent cependant des rabais relevant de la troisième catégorie et ne sont donc pas pertinents en ce qui concerne des rabais d’exclusivité.

97      À cet égard, il y a lieu d’écarter l’argument de la requérante, soulevé lors de l’audience, selon lequel la Cour aurait abandonné la distinction entre les rabais d’exclusivité et les rabais relevant de la troisième catégorie dans l’arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra. Certes, au point 70 de cet arrêt, la Cour a, dans un premier temps, rappelé la formule citée au point 73 ci-dessus, selon laquelle l’application d’un régime de rabais de fidélité par une entreprise en position dominante constituait un abus, puis a ajouté, au point 71, que, « [à] cet égard, il conv[enait] d’apprécier l’ensemble des circonstances […] ». Toutefois, comme la Commission l’a relevé à juste titre, il découle du contexte de l’arrêt que, ce faisant, la Cour n’a pas étendu le champ d’application de l’analyse des circonstances de l’espèce aux rabais d’exclusivité. En effet, les considérations figurant aux points 70 et 71 de cet arrêt dans lesquelles la Cour a rappelé la jurisprudence se trouvent dans l’examen du troisième moyen, qui ne concernait pas un système de rabais d’exclusivité, mais un système de rabais relevant de la troisième catégorie, à savoir un système de rabais rétroactifs individualisés (arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra, points 73, 74, 77 et 78, et conclusions de l’avocat général M. Mazák sous cet arrêt, non encore publiées au Recueil, point 27).

98      En second lieu, la requérante invoque les arrêts de la Cour du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C‑280/08 P (Rec. p. I‑9555, ci-après l’« arrêt de la Cour Deutsche Telekom », point 175), TeliaSonera, point 88 supra (point 28), et Post Danmark, point 94 supra (point 26). Dans ces arrêts, la Cour a jugé que, « afin de déterminer si l’entreprise occupant une position dominante [avait] exploité de manière abusive cette position par l’application de ses pratiques tarifaires, il y [avait] lieu d’apprécier l’ensemble des circonstances […] ».

99      Toutefois, la portée de cette jurisprudence est limitée à des pratiques tarifaires et n’affecte pas la qualification juridique des rabais d’exclusivité. En effet, l’arrêt de la Cour Deutsche Telekom, point 98 supra, et l’arrêt TeliaSonera, point 88 supra, concernaient des pratiques relatives à la compression des marges et l’arrêt Post Danmark, point 94 supra, concernait des pratiques relatives à des prix bas, de sorte que ces trois affaires avaient pour objet des pratiques tarifaires. Or, la présente affaire ne traite pas d’une pratique tarifaire. En ce qui concerne les rabais octroyés aux différents OEM, le reproche fait à la requérante dans la décision attaquée ne repose pas sur le montant exact des rabais et donc sur les prix appliqués par la requérante, mais sur le fait que leur octroi était soumis à la condition d’un approvisionnement exclusif ou quasi exclusif. Un traitement différent des rabais d’exclusivité et des pratiques tarifaires se justifie par le fait que, à la différence d’une incitation à un approvisionnement exclusif, le niveau d’un prix ne saurait être considéré comme illicite en soi.

100    À cet égard, il convient également de rejeter l’argument de la requérante, soulevé lors de l’audience, selon lequel l’arrêt Post Danmark, point 94 supra, traite de rabais de fidélité comparables à ceux du cas d’espèce. En effet, dans cette affaire, la procédure devant la Cour concernait la pratique de Post Danmark à l’égard des anciens clients de son concurrent principal consistant en une tarification différente de celle appliquée à sa clientèle existante, sans que Post Danmark ait pu justifier ces différences considérables dans ses conditions tarifaires et de rabais par des considérations relatives à ses coûts, ladite pratique étant qualifiée par l’autorité danoise de concurrence de « discrimination principale par les prix » (arrêt Post Danmark, point 94 supra, point 8). Or, cette présentation des pratiques anticoncurrentielles ne contient aucune référence à un système de rabais d’exclusivité. Au contraire, la procédure ayant donné lieu au renvoi préjudiciel concernait uniquement l’existence d’un abus en raison de prix bas et sélectifs (arrêt Post Danmark, point 94 supra, points 15 à 17). Ainsi, en réponse à la question préjudicielle qui lui a été posée, la Cour a seulement répondu à la question de savoir dans quelles conditions une politique de prix bas devait être considérée comme constitutive d’une pratique d’éviction abusive contraire à l’article 82 CE (arrêt Post Danmark, point 94 supra, point 19).

101    Il y a donc lieu de rejeter cette argumentation de la requérante.

 2.2) Sur l’argument selon lequel la Commission est tenue de démontrer des effets d’éviction concrets

102    La requérante avance que, lorsque le comportement en cause relève du passé, la Commission est tenue de démontrer des effets d’éviction concrets. La Commission se serait à tort abstenue de prendre en considération l’absence d’effets anticoncurrentiels concrets de ses pratiques. En outre, la requérante fait valoir que la Commission doit établir un lien de causalité entre les pratiques incriminées et des effets sur le marché.

103    Tout d’abord, force est de constater que, même dans le cadre d’une analyse des circonstances de l’espèce, la Commission doit seulement démontrer la capacité d’une pratique de restreindre la concurrence (voir, en ce sens, arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra, point 68, et arrêt TeliaSonera, point 88 supra, point 64). Le mécanisme d’un rabais d’exclusivité octroyé par une entreprise en position dominante qui est un partenaire commercial incontournable lui permet d’utiliser la part non disputable de la demande du client comme levier afin de s’assurer également la part disputable (voir point 93 ci-dessus). En présence d’un tel instrument commercial, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse des effets concrets des rabais sur la concurrence (voir, en ce sens, arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra, point 79).

104    Ensuite, étant donné qu’il n’est pas nécessaire de démontrer des effets concrets des rabais, il en résulte nécessairement que la Commission n’est pas non plus tenue de démontrer un lien de causalité entre les pratiques incriminées et des effets concrets sur le marché. Ainsi, la circonstance alléguée par la requérante selon laquelle les clients se sont approvisionnés exclusivement auprès d’elle pour des raisons commerciales parfaitement indépendantes des rabais, à la supposer avérée, ne s’oppose pas à ce que ces rabais aient été susceptibles d’inciter les clients à un approvisionnement exclusif.

105    Enfin, il y a lieu de souligner que, à plus forte raison, la Commission n’est tenue de démontrer ni un préjudice immédiat aux consommateurs ni un lien de causalité entre un tel préjudice et les pratiques mises en cause dans la décision attaquée. En effet, il ressort de la jurisprudence que l’article 82 CE ne vise pas seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective (arrêt de la Cour British Airways, point 74 supra, point 106).

 2.3) Sur l’argument tiré de l’absence d’obligations formelles

106    La requérante fait valoir que les rabais en cause dans la présente affaire ne comportaient pas d’obligations d’exclusivité formelles ou contraignantes. Or, il découle de l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra (point 89), qu’une entreprise en position dominante abuse de cette position si elle applique un système de rabais d’exclusivité même « sans lier les acheteurs par une obligation formelle ». À cet égard, la Commission souligne à juste titre que l’incitation anticoncurrentielle des rabais d’exclusivité ne découle pas de l’imposition d’une obligation formelle de s’approvisionner exclusivement ou quasi exclusivement auprès de l’entreprise dominante, mais des avantages financiers obtenus ou des désavantages financiers évités en effectuant ces achats. Ainsi, il suffit que l’entreprise en position dominante signale de manière crédible à son client que l’octroi d’un bénéfice financier dépend d’un approvisionnement exclusif ou quasi exclusif.

 2.4) Sur l’argument tiré de la pertinence du montant du rabais

107    La requérante affirme que la Commission a omis de tenir compte de l’ampleur des rabais octroyés par Intel aux OEM en contrepartie de l’approvisionnement exclusif ou quasi exclusif et qu’il est illogique de condamner des rabais d’un montant très faible (1 USD par exemple) qu’AMD aurait pu surpasser.

108    Or, comme le relève la Commission à juste titre, ce n’est pas le niveau des rabais qui est en cause dans la décision attaquée, mais l’exclusivité en contrepartie de laquelle ils ont été octroyés. Ainsi, le rabais doit seulement pouvoir inciter le client à un approvisionnement exclusif, indépendamment de la question de savoir si le fournisseur concurrent aurait pu offrir une compensation au client pour la perte du rabais en cas de changement de fournisseur.

109    Il n’est donc pas nécessaire d’examiner la question de savoir si, dans l’exemple purement théorique d’un rabais d’un montant de 1 USD seulement tel qu’avancé par la requérante, un tel rabais minime est susceptible de constituer un incitant pour le client à respecter la condition d’exclusivité. En effet, dans le cas d’espèce, la Commission a démontré à suffisance de droit que la requérante avait accordé des rabais aux OEM qui s’élevaient à des millions de USD par an. La Commission a, en outre, démontré à suffisance de droit que ces rabais étaient accordés, du moins en partie, en contrepartie d’une exclusivité (voir points 444 à 584, 673 à 798, 900 à 1017, 1145 à 1208 et 1381 à 1502 ci-après). Ces éléments suffisent pour qu’il soit permis de conclure que les rabais d’exclusivité en cause dans la décision attaquée étaient susceptibles d’inciter les OEM à un approvisionnement exclusif.

 2.5) Sur l’argument tiré de la pertinence de la durée

110    Selon la requérante, il convient de tenir compte de la courte durée de ses contrats de fourniture ainsi que du fait que certains de ces contrats pouvaient être résiliés dans un délai de 30 jours.

111    Cet argument doit également être écarté. À cet égard, il convient de rappeler que, en principe, toute incitation financière à un approvisionnement exclusif constitue une atteinte supplémentaire à la structure concurrentielle d’un marché et doit dès lors être considérée comme abusive pour autant qu’elle est mise en œuvre par une entreprise en position dominante (voir point 90 ci-dessus).

112    S’agissant de l’argument tiré de la possibilité de résilier certains contrats dans un court délai, il y a lieu de souligner que le droit de résiliation d’un contrat ne fait nullement obstacle à son application effective, aussi longtemps qu’il n’a pas été fait usage de la faculté de résiliation (arrêt du Tribunal BPB Industries et British Gypsum, point 90 supra, point 73).

113    Par ailleurs, il convient de relever que, en l’espèce, pour la totalité des OEM et pour MSH, la durée totale pendant laquelle des rabais d’exclusivité ont été appliqués n’a pas été courte. En effet, cette durée allait d’environ un an, en ce qui concernait Lenovo, jusqu’à plus de cinq ans, en ce qui concernait MSH. Dans ce cadre, il convient de relever que l’incitation des clients à s’approvisionner pour la totalité ou la quasi-totalité de leurs besoins auprès de l’entreprise en position dominante subsiste aussi longtemps que cette dernière accorde des rabais d’exclusivité, et cela indépendamment de la question de savoir si un contrat de longue durée a été conclu ou si plusieurs contrats de plus courte durée se succèdent (voir, également, point 195 ci-après).

 2.6) Sur l’argument tiré de la faible partie du marché concernée par le comportement incriminé

114    La requérante fait valoir que la Commission aurait dû prendre en considération le fait que les pratiques mises en causes dans la décision attaquée concernaient seulement une faible partie du marché des CPU x86, à savoir entre 0,3 et 2 % par an.

115    Il convient de relever de manière liminaire que, pour les raisons qui seront exposées aux points 187 à 194 ci-après, un tel argument manque en fait, la méthode de calcul utilisée par la requérante pour aboutir à ces chiffres revêtant un caractère erroné.

116    De plus, le caractère éventuellement faible des parts de marché concernées par les pratiques en cause ne saurait constituer un argument pertinent. En effet, s’agissant de comportements d’une entreprise en position dominante sur le marché où de ce fait la structure concurrentielle est déjà affaiblie, toute restriction supplémentaire de cette structure concurrentielle est susceptible de constituer une exploitation abusive de position dominante (arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, point 123). La Cour a donc rejeté l’application d’un critère de « sensibilité » ou d’un seuil de minimis aux fins d’une application de l’article 82 CE (conclusions de l’avocat général M. Mazák sous l’arrêt de la Cour Tomra, point 97 supra, point 17).

117    En outre, les clients qui se trouvent dans la partie verrouillée du marché devraient avoir la possibilité de profiter de tout degré de concurrence qui est possible sur le marché et les concurrents devraient pouvoir se livrer une concurrence par les mérites pour l’ensemble du marché et pas seulement pour une partie de celui-ci (arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra, points 42 et 46). Une entreprise dominante ne peut donc pas justifier l’octroi de rabais d’exclusivité à certains clients par la circonstance que les concurrents restent libres d’approvisionner les autres clients.

118    Il s’ensuit qu’il convient de rejeter l’argumentation de la requérante.

119    Ce résultat n’est pas remis en question par la circonstance que, dans l’arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra (points 41 à 45), cette dernière a entériné la considération du Tribunal selon laquelle la partie du marché qui avait été verrouillée dans cette affaire était « significative ». En effet, cette considération ne confirme pas la thèse selon laquelle il ne peut pas y avoir un effet d’éviction lorsque la partie verrouillée du marché n’est pas significative. À cet égard, il y a lieu de relever qu’il résulte de l’arrêt du Tribunal Tomra, point 72 supra (point 243), que le Tribunal a constaté que, « même en admettant la thèse des requérantes selon laquelle le verrouillage d’une faible portion de la demande serait sans importance, cette portion était loin d’être faible en l’espèce ». Le Tribunal n’a donc pas pris position sur la question de savoir si cette thèse était correcte.

120    Il était suffisant pour la Cour d’entériner le constat du Tribunal selon lequel, dans cette affaire, une partie significative du marché avait été verrouillée, sans que cette circonstance doive être comprise en ce sens que la Cour aurait estimé que le verrouillage d’une partie significative du marché constituait une condition nécessaire au constat d’un abus. En outre, la Cour a expressément constaté, dans son arrêt Tomra, point 73 supra (point 46), que la détermination d’un seuil précis de verrouillage du marché au-delà duquel les pratiques en cause devaient être considérées comme abusives n’était pas nécessaire aux fins de l’application de l’article 82 CE et que, « en tout état de cause », il avait été démontré à suffisance de droit que le marché avait été fermé à la concurrence par les pratiques en cause.

121    Ce résultat n’est pas non plus remis en cause par l’arrêt du Tribunal du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission (T‑65/98, Rec. p. II‑4653, point 160), qui est invoqué par la requérante et l’ACT. En effet, cet arrêt ne concernait pas une pratique par laquelle une incitation financière était directement liée à la condition que le client s’approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante. Dans cette affaire, l’entreprise en position dominante avait mis à la disposition de détaillants de glace irlandais des congélateurs à titre gratuit, à condition qu’ils soient utilisés uniquement pour stocker les glaces fournies par l’entreprise en position dominante. Les détaillants restaient toutefois libres de vendre des glaces fournies par des concurrents, s’ils les stockaient dans leurs propres congélateurs ou dans des congélateurs mis à disposition par d’autres fabricants de glace.

122    C’est dans ces circonstances que la Commission a considéré que constituait un abus de position dominante le fait que l’entreprise en position dominante a incité les détaillants irlandais ne disposant pas de leur propre congélateur ni de congélateur(s) provenant d’autres fabricants de glace à devenir parties à des accords de fourniture de congélateurs soumis à une condition d’exclusivité, en leur proposant de leur fournir des congélateurs pour le stockage de glaces en conditionnement individuel destinées à une consommation immédiate et d’en assurer la maintenance, sans que cela n’occasionne aucun frais direct pour eux (arrêt Van den Bergh Foods/Commission, point 121 supra, point 23). La Commission avait également constaté, dans cette affaire, que dans quelque 40 % de l’ensemble des points de vente en Irlande, le ou les seuls congélateurs destinés au stockage de glace pour consommation immédiate installés dans le point de vente avaient été fournis par l’entreprise en position dominante (arrêt Van den Bergh Foods/Commission, point 121 supra, point 19).

123    C’est dans ces circonstances que le Tribunal a constaté, dans l’arrêt Van den Bergh Foods/Commission, point 121 supra (point 160), que « [l]e fait, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, de lier de facto – fût-ce à leur demande – 40 % des points de vente du marché de référence par une clause d’exclusivité, qui opère en réalité comme une exclusivité imposée à ces points de vente, constitu[ait] l’exploitation abusive d’une position dominante ».

124    Il y a lieu de relever que, dans cette affaire, ce n’était que pour ces 40 % des points de vente que la condition liée au stockage des seuls produits fournis par l’entreprise en position dominante opérait de facto comme une condition d’exclusivité, car les autres points de vente disposaient d’autres congélateurs dans lesquels ils pouvaient stocker des glaces fournies par d’autres fabricants. Il ne saurait donc être déduit de cet arrêt que, pour des rabais qui sont directement liés à la condition d’un approvisionnement exclusif ou quasi exclusif, il est nécessaire de procéder à la détermination de la partie du marché qui est verrouillée.

 2.7) Sur l’argument tiré de l’absence de couverture, par les conditions d’exclusivité alléguées, d’une partie importante des besoins de certains OEM

125    La requérante souligne que, en ce qui concerne certains OEM, à savoir HP, NEC et Lenovo, la condition d’exclusivité dont fait état la Commission dans la décision attaquée ne concernait pas l’intégralité de la demande de ces OEM en CPU x86, mais, dans le cas de HP, seulement une quotité de 95 % de ses besoins en CPU x86 destinés à ses ordinateurs de bureau, eux-mêmes destinés aux entreprises, dans le cas de NEC, seulement 80 % de ses besoins en CPU x86 destinés à ses PC « clients », à savoir les ordinateurs de bureau et les ordinateurs portables, à l’exception des serveurs, et, dans le cas de Lenovo, uniquement ses besoins en CPU x86 destinés aux ordinateurs portables.

126    Lors de l’audience, la requérante a ajouté que les besoins de HP en CPU x86 pour les ordinateurs de bureau destinés aux entreprises correspondaient seulement à 30 % des besoins totaux de HP en CPU x86. La condition alléguée n’ayant couvert que 95 % des besoins de HP en CPU x86 pour les ordinateurs de bureau destinés aux entreprises, elle n’aurait concerné qu’environ 28 % des besoins totaux de HP en CPU x86 et ne pourrait donc être considérée comme une condition d’exclusivité.

127    Par cet argument, la requérante fait en substance valoir que les rabais accordés à HP, NEC et Lenovo ne peuvent être considérés comme des rabais d’exclusivité, car la condition n’aurait pas concerné « la totalité ou une part considérable », au sens de l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra (point 89), des besoins de ces OEM en CPU x86.

128    Il y a lieu de rejeter cette argumentation.

129    S’agissant des rabais accordés à HP, il convient de souligner que le comportement en cause n’est pas lié à la condition selon laquelle HP devait acheter au moins 28 % de ses besoins totaux en CPU x86 auprès d’Intel, mais à la condition selon laquelle HP devait acheter, sur un segment déterminé du marché, 95 % de ses besoins totaux en CPU x86 auprès d’Intel. La condition selon laquelle HP devait se fournir, dans un secteur déterminé, pour 95 % de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante n’est ni identique ni comparable à une condition hypothétique selon laquelle HP aurait dû se fournir pour 28 % de ses besoins dans tous les segments auprès de celle-ci.

130    La liberté de HP de se fournir auprès d’AMD pour ses besoins en CPU x86 pour ordinateurs de bureau destinés aux entreprises était susceptible d’être limitée en raison des rabais d’exclusivité accordés par Intel. En effet, si HP avait décidé de s’approvisionner pour plus de 5 % de ses besoins en CPU x86 pour ordinateurs de bureau destinés aux entreprises auprès d’AMD et donc de ne pas respecter la condition de quasi-exclusivité, elle aurait risqué de perdre le rabais d’exclusivité et pas seulement pour les unités achetées auprès d’AMD. Ainsi, pour pouvoir fournir plus de 5 % des CPU x86 pour les ordinateurs de bureau destinés aux entreprises dont HP avait besoin, AMD aurait dû non seulement fournir une offre plus attrayante pour les CPU x86 dans la part disputable de la demande de HP, mais également offrir une compensation à HP pour la perte du rabais d’exclusivité. Tel est précisément le mécanisme anticoncurrentiel des rabais d’exclusivité.

131    Ce mécanisme n’était pas neutralisé en raison du fait qu’AMD pouvait fournir HP pour ses besoins en CPU x86 pour tous les ordinateurs destinés aux particuliers ainsi que pour les ordinateurs portables destinés aux entreprises. En effet, la circonstance que la liberté de choix de HP n’était pas limitée dans ces segments du marché ne remet pas en cause le fait que la liberté de choix de HP était susceptible d’être limitée dans le segment des ordinateurs de bureau destinés aux entreprises.

132    Dans ce cadre, il convient de rappeler que les concurrents de l’entreprise en position dominante doivent pouvoir se livrer une concurrence par les mérites pour l’ensemble du marché et pas seulement pour une partie de celui-ci (arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra, point 42). Une entreprise en position dominante ne peut donc pas justifier l’octroi de rabais d’exclusivité à certains clients par la circonstance que ses concurrents sont libres de fournir les autres clients (voir point 117 ci-dessus). De même, une entreprise en position dominante ne peut pas justifier l’octroi de rabais sous condition d’un approvisionnement quasi exclusif par un client sur un segment déterminé d’un marché par la circonstance que ce client reste libre de s’approvisionner auprès des concurrents pour ses besoins dans les autres segments.

133    Dans ce cadre, est dénuée de pertinence la circonstance, invoquée par l’ACT lors de l’audience, selon laquelle, dans le cadre de la définition du marché de produits en cause, la Commission n’a pas fait de distinction entre les CPU utilisés dans les ordinateurs destinés aux professionnels et ceux destinés aux particuliers, ainsi qu’il résulterait du considérant 831, point 2, de la décision attaquée. En effet, le mécanisme anticoncurrentiel des rabais d’exclusivité appliqués en l’espèce fonctionne indépendamment de la question de savoir si les CPU utilisés dans les ordinateurs destinés aux professionnels et ceux destinés aux particuliers sont interchangeables ou non. En l’espèce, la condition a été formulée par rapport aux besoins de HP pour ses ordinateurs de bureau destinés aux entreprises. HP a donc dû utiliser des CPU d’Intel (ci-après les « CPU Intel ») dans 95 % des ordinateurs de bureau destinés aux entreprises contenant des CPU x86 qu’elle produisait. La question de savoir si ces CPU sont différents des CPU x86 utilisés pour les ordinateurs destinés aux particuliers n’est pas pertinente dans ce cadre, car, même s’ils étaient interchangeables, HP n’aurait pas pu utiliser des CPU des concurrents dans plus de 5 % de ses ordinateurs de bureau destinés aux entreprises sans enfreindre la condition du rabais d’exclusivité.

134    Il s’ensuit que les rabais accordés à HP doivent être considérés comme des rabais d’exclusivité, même si la condition de quasi-exclusivité ne concernait qu’un segment des besoins de HP.

135    S’agissant des rabais accordés à NEC, il convient de relever que le pourcentage de 80 % couvert par la condition d’exclusivité est suffisant pour constituer une « part considérable » de ses besoins au sens de l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra (point 89). Dans ce cadre, il convient de relever que, dans cet arrêt, les comportements en cause incluaient des obligations d’achat qui portaient notamment sur 80 % ou 75 % des besoins d’un client (arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, point 83).

136    S’agissant de la circonstance selon laquelle la condition d’exclusivité ne concernait que les ordinateurs de bureau et les ordinateurs portables, à l’exception des serveurs, elle est sans incidence. À cet égard, les considérations faites aux points 130 à 132 ci-dessus s’appliquent mutatis mutandis.

137    Enfin, s’agissant des rabais accordés à Lenovo, la circonstance selon laquelle la condition d’exclusivité ne concernait que les ordinateurs portables est pour les mêmes raisons sans incidence.

 2.8) Sur l’argument tiré de la puissance d’achat des clients

138    La requérante affirme que la puissance d’achat des clients exclut l’abus. En l’espèce, les clients auraient utilisé leur puissance d’achat comme levier pour obtenir des rabais plus élevés.

139    Il y a lieu de rejeter cet argument. En effet, la circonstance, à la supposer établie, que les rabais octroyés par la requérante constituaient une réponse aux demandes et à la puissance d’achat des clients ne justifie pas de les soumettre à la condition d’un approvisionnement exclusif (voir, en ce sens, arrêts Hoffmann-La Roche, point 71 supra, point 89 ; du Tribunal BPB Industries et British Gypsum, point 90 supra, point 68, et du 25 juin 2010, Imperial Chemical Industries/Commission, T‑66/01, Rec. p. II‑2631, point 305). Ainsi que la Cour l’a relevé, dans l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra (point 120), la circonstance que le cocontractant de l’entreprise en position dominante est lui-même une entreprise puissante et que le contrat n’est manifestement pas le résultat d’une pression exercée par l’entreprise en position dominante sur son partenaire n’exclut pas l’existence d’une exploitation abusive de position dominante, car cette exploitation consiste dans l’atteinte supplémentaire portée par l’exclusivité d’approvisionnement à la structure concurrentielle d’un marché dans lequel, à la suite de la présence d’une entreprise en position dominante, le degré de concurrence est déjà affaibli. Par ailleurs, la puissance d’achat des OEM ne change rien à la circonstance qu’ils dépendaient de la requérante en tant que partenaire commercial incontournable sur le marché des CPU x86.

 2.9) Sur l’argumentation concernant la pertinence du test AEC

140    La requérante soutient que le test AEC (voir point 30 ci-dessus) est un facteur important quand il s’agit d’établir l’effet potentiel d’éviction des rabais en cause. Le test AEC constituerait le seul élément de preuve que la Commission a présenté dans la décision attaquée pour démontrer que les rabais d’Intel étaient susceptibles d’exercer un effet d’éviction anticoncurrentiel. La Commission contesterait toutefois que le test AEC fasse partie de l’analyse juridique de la décision attaquée. Il s’ensuit, selon la requérante, que l’appréciation juridique effectuée par la Commission dans la décision attaquée n’a pas établi la capacité d’éviction des rabais en cause. En outre, selon la requérante, la Commission a commis de nombreuses erreurs dans l’application de ce test. Selon elle, une application correcte du test AEC démontre que les rabais accordés par Intel n’avaient pas une capacité d’éviction.

141    Il convient de relever, de manière liminaire, que le test AEC effectué dans la décision attaquée prend comme point de départ la circonstance, relevée au point 93 ci-dessus, selon laquelle un concurrent aussi efficace, qui cherche à décrocher la part disputable des commandes jusque-là satisfaites par une entreprise dominante qui est un partenaire commercial incontournable, doit offrir une compensation au client pour le rabais d’exclusivité qu’il perdrait s’il achetait une part moindre que celle définie par la condition d’exclusivité ou de quasi-exclusivité. Le test AEC vise à déterminer si le concurrent aussi efficace que l’entreprise en position dominante, qui subit les mêmes coûts que celle-ci, peut toujours couvrir ses coûts dans ce cas.

142    Quant à la pertinence du test AEC concernant les rabais d’exclusivité, il convient de relever ce qui suit.

143    Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que le constat d’illégalité d’un rabais d’exclusivité ne nécessite pas un examen des circonstances de l’espèce (voir points 80 à 93 ci-dessus). La Commission n’est donc pas tenue de démontrer la capacité d’éviction des rabais d’exclusivité au cas par cas.

144    Ensuite, il résulte de la jurisprudence que, même dans le cas de rabais relevant de la troisième catégorie, pour lesquels un examen des circonstances de l’espèce est nécessaire, il n’est pas indispensable d’effectuer un test AEC. Ainsi, dans l’arrêt Michelin I, point 74 supra (points 81 à 86), la Cour s’est appuyée sur le mécanisme fidélisant des rabais en cause, sans exiger la preuve, au moyen d’un test quantitatif, que les concurrents avaient été contraints de vendre à perte afin de pouvoir compenser les rabais relevant de la troisième catégorie accordés par l’entreprise en position dominante.

145    En outre, il résulte de l’arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra (points 73 et 74), que, afin de constater des effets anticoncurrentiels, il n’est pas nécessaire qu’un système de rabais force un concurrent aussi efficace à facturer des prix « négatifs », c’est-à-dire des prix au-dessous du prix de revient. Afin d’établir un effet anticoncurrentiel potentiel, il suffit de démontrer l’existence d’un mécanisme de fidélisation (voir, en ce sens, arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra, point 79).

146    Il s’ensuit que, à supposer même qu’une appréciation des circonstances de l’espèce soit nécessaire afin de démontrer les effets anticoncurrentiels potentiels des rabais d’exclusivité, il ne serait quand même pas nécessaire de démontrer ceux-ci au moyen d’un test AEC.

147    Par ailleurs, l’argument de la requérante selon lequel le test AEC est le seul élément de preuve que la Commission aurait présenté dans la décision attaquée afin de démontrer la capacité d’éviction des rabais en cause manque en fait (voir les points 173 à 175 ci-après).

148    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel elle aurait démontré par la voie d’un test AEC effectué de manière correcte que les rabais en cause n’avaient pas une capacité d’éviction, il convient de relever ce qui suit.

149    Tout d’abord, il y a lieu de rappeler qu’un effet d’éviction ne se produit pas uniquement lorsque l’accès au marché est rendu impossible pour les concurrents. En effet, il suffit que cet accès soit rendu plus difficile (voir point 88 ci-dessus).

150    Or, force est de constater qu’un test AEC permet seulement de vérifier l’hypothèse d’un accès au marché rendu impossible et non d’écarter l’éventualité d’un accès rendu plus difficile audit marché. Certes, un résultat négatif implique qu’il est économiquement impossible pour un concurrent aussi efficace de s’assurer la part disputable de la demande d’un client. En effet, afin d’offrir au client une compensation pour la perte du rabais d’exclusivité, ledit concurrent serait contraint de vendre ses produits à un prix qui ne lui permettrait même pas de couvrir ses coûts. Toutefois, un résultat positif signifie seulement qu’un concurrent aussi efficace est en mesure de couvrir ses coûts (dans le cas du test AEC tel qu’il est effectué dans la décision attaquée et proposé par la requérante, uniquement les coûts évitables moyens). Cette circonstance ne signifie cependant pas qu’il n’existe pas d’effet d’éviction. En effet, le mécanisme des rabais d’exclusivité, tel qu’il est décrit au point 93 ci-dessus, reste de nature à rendre plus difficile l’accès au marché pour les concurrents de l’entreprise en position dominante, même si cet accès n’est pas économiquement impossible (voir, concernant cette différenciation, le point 54 des conclusions de l’avocat général M. Mazák sous l’arrêt de la Cour Tomra, point 97 supra).

151    Il résulte de ce qui précède qu’il n’est pas nécessaire d’examiner si la Commission a effectué le test AEC dans les règles de l’art et qu’il n’est pas non plus nécessaire d’examiner la question de savoir si les calculs alternatifs proposés par la requérante ont été effectués de manière correcte. En effet, même un résultat positif d’un test AEC ne serait pas de nature à exclure l’effet potentiel d’éviction qui est inhérent au mécanisme décrit au point 93 ci-dessus.

152    Ce résultat n’est pas remis en question par l’arrêt TeliaSonera, point 88 supra, l’arrêt de la Cour Deutsche Telekom, point 98 supra, et l’arrêt Post Danmark, point 94 supra. La requérante estime qu’il résulte de ces arrêts que le critère clé est le point de savoir si un concurrent aussi efficace que l’entreprise en position dominante pourrait continuer à la concurrencer. Il y a lieu toutefois de rappeler que ces affaires concernaient des pratiques de ciseaux tarifaires (TeliaSonera et Deutsche Telekom) ou de prix bas (Post Danmark). L’obligation résultant de ces arrêts d’effectuer des analyses des prix et des coûts s’explique par le fait qu’il est impossible d’apprécier le caractère abusif d’un prix sans le comparer à d’autres prix et coûts. Un prix ne saurait être illicite en soi. En revanche, dans le cas d’un rabais d’exclusivité, c’est la condition d’un approvisionnement exclusif ou quasi exclusif à laquelle son octroi est soumis plutôt que le montant du rabais qui fonde son caractère abusif.

153    Par ailleurs, il résulte de l’arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra (points 73, 74 et 80), qui est postérieur aux arrêts cités au point précédent, qu’il n’est pas indispensable d’examiner si un système de rabais contraint un concurrent aussi efficace à facturer des prix négatifs, et cela même en présence de rabais appartenant à la troisième catégorie. À plus forte raison, il n’est pas nécessaire de le faire en ce qui concerne des rabais d’exclusivité.

154    Le résultat n’est pas non plus remis en cause par la communication de la Commission intitulée « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 [CE] aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes » (JO 2009, C 45, p. 7, ci-après les « orientations article 82 »).

155    Selon le paragraphe 2 des orientations article 82, « [l]e présent document définit les priorités qui guideront l’action de la Commission lorsqu’elle appliquera l’article 82 [CE] ». Ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 916 de la décision attaquée, les orientations article 82 visant à déterminer les priorités dans le choix des cas sur lesquels la Commission se concentrera dans le futur, elles n’ont pas vocation à s’appliquer à une procédure que la Commission avait déjà ouverte avant leur publication. La décision d’ouverture de la procédure par la Commission datant du 26 juillet 2007, cette dernière n’était donc en toute hypothèse pas tenue de suivre les orientations article 82 en l’espèce.

156    La circonstance selon laquelle la publication des orientations article 82 a eu lieu avant l’adoption de la décision attaquée ne signifie pas qu’elles étaient applicables. En effet, le fait que la Commission donne des indications sur les priorités qui guideront son action dans le futur ne saurait l’obliger à reconsidérer la question de savoir si elle traite comme prioritaire une affaire qu’elle avait déjà décidé de traiter comme prioritaire et dont, en plus, le traitement se trouve à un stade avancé.

157    Il n’est donc pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la décision attaquée est conforme aux orientations article 82.

158    La seule circonstance que la Commission a indiqué, au considérant 916 de la décision attaquée, qu’elle considérait cependant que ladite décision était conforme aux orientations article 82 n’est pas de nature à remettre en cause l’absence de pertinence des orientations article 82 pour la présente affaire. En effet, il s’agit clairement d’une considération que la Commission a présentée à titre surabondant, après avoir expliqué que les orientations article 82 n’étaient pas applicables en l’espèce.

159    S’agissant de la circonstance, invoquée par la requérante, selon laquelle le membre de la Commission en charge de la concurrence à l’époque avait indiqué, dans un discours du 17 juillet 2009, que, dans l’affaire Intel, la Commission avait appliqué le test AEC suivant la méthodologie définie dans les orientations article 82, il convient de relever qu’il résulte clairement de la décision attaquée, qui a été adoptée par le collège des commissaires, que la Commission avait considéré que les orientations article 82 n’étaient pas applicables et que le test AEC ne constituait pas un élément nécessaire afin de démontrer l’illégalité des pratiques en cause. C’est donc à titre surabondant que la Commission a effectué un test AEC et relevé que la décision attaquée était conforme aux orientations article 82. La circonstance que le membre de la Commission en charge de la concurrence a fait un discours après l’adoption de la décision attaquée dans lequel il a indiqué que la Commission avait mis en œuvre un test AEC dans l’affaire Intel, sans préciser dans ce cadre que ce test avait été effectué à titre surabondant, n’est pas de nature à modifier l’interprétation qu’il convient de donner à la décision attaquée.

160    En réponse à une question posée lors de l’audience, la requérante a indiqué que son raisonnement relatif à la pertinence du test AEC, qui aurait joué un rôle important lors de la procédure administrative, devait être compris en ce sens qu’elle se fondait également sur le principe de la confiance légitime.

161    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit de réclamer la protection de la confiance légitime, qui constitue un des principes fondamentaux de l’Union, s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants et émanant de sources autorisées et fiables. En revanche, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration (voir arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, Innova Privat-Akademie/Commission, T‑273/01, Rec. p. II‑1093, point 26, et la jurisprudence citée).

162    En l’espèce, la requérante n’a pas fait état de l’existence d’une assurance précise fournie lors de la procédure administrative selon laquelle le test AEC serait essentiel pour la Commission afin d’établir une infraction à l’article 82 CE. Au contraire, ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre lors de l’audience, il résulte du point II 1, deuxième alinéa, du rapport final du conseiller-auditeur dans la présente affaire (JO 2009, C 227, p. 7) que, « pendant l’audition, la Commission a précisé à Intel, qui l’a bien compris, que l’appréciation économique n’était pas une condition indispensable à la constatation d’un abus ».

163    La requérante a ensuite précisé, lors de l’audience, qu’elle avait bien compris les propos du conseiller-auditeur. Elle a fait valoir qu’il résulterait pourtant du point 340 de la communication des griefs de 2007 que, dans l’hypothèse où la preuve d’une capacité d’éviction serait nécessaire, la Commission s’appuierait uniquement sur le test AEC afin de prouver cette capacité.

164    Il y a toutefois lieu d’observer que la seule circonstance que la Commission a indiqué, au point 340 de la communication des griefs de 2007, qu’elle établirait que les rabais en cause avaient un effet d’éviction, car ils ont empêché un concurrent aussi efficace d’offrir une compensation à l’OEM pour la perte du rabais potentiel, ne saurait être considérée comme une assurance précise que la Commission ne se baserait sur aucun autre fondement pour établir la capacité d’éviction. Par ailleurs, il résulte des points 260 et 329 de la communication des griefs complémentaire de 2008 que, dans son analyse, la Commission ne s’est pas fondée exclusivement sur le test AEC, mais également sur d’autres preuves qualitatives et quantitatives.

165    La Commission n’a donc pas violé le principe de confiance légitime par l’approche qu’elle a suivie dans la décision attaquée.

166    Il résulte de ce qui précède que les arguments avancés par la requérante ne sont de nature à remettre en cause ni la conclusion selon laquelle il n’est pas nécessaire d’examiner si la Commission a effectué le test AEC dans les règles de l’art ou d’examiner en détail les arguments de la requérante quant aux erreurs que la Commission aurait commises lors de sa mise en œuvre, ni la conclusion selon laquelle il n’est pas davantage nécessaire d’examiner les calculs alternatifs proposés par la requérante (voir point 151 ci-dessus).

b)     Sur les paiements accordés à MSH

167    La Commission constate en substance, au considérant 1000 de la décision attaquée, que l’effet des paiements accordés à MSH à condition qu’elle vende exclusivement des produits de la requérante était équivalent à celui d’un rabais d’exclusivité et que ces paiements remplissaient donc les conditions établies par la jurisprudence pour les qualifier d’abusifs.

168    Lors de l’audience, la requérante a fait valoir, en substance, que la Commission avait à tort appliqué le même test pour la qualification juridique des rabais d’exclusivité octroyés aux OEM et pour la qualification des paiements octroyés à MSH. Elle a avancé notamment que, contrairement aux OEM, MSH était un acteur qui était présent sur le marché de détail. Aux fins d’examiner si un producteur concurrent se voit exclu de l’accès au marché de détail, la jurisprudence exigerait une analyse des effets cumulatifs produits par un réseau de relations d’exclusivité. Or, lors de la période en cause, MSH n’aurait détenu qu’une partie très faible du marché mondial pertinent, à savoir environ 1 %.

169    Il convient de constater que l’argument de la requérante revient à affirmer que la Commission aurait dû procéder à une analyse des circonstances de l’espèce sur le marché de détail pour démontrer la capacité des pratiques de la requérante vis-à-vis de MSH de restreindre la concurrence. Cet argument ne saurait toutefois être retenu. En effet, comme la Commission l’a observé à juste titre lors de l’audience, le mécanisme anticoncurrentiel des pratiques de la requérante vis-à-vis des OEM et vis-à-vis de MSH était le même, la seule différence étant que le paiement d’exclusivité accordé à MSH ne tendait pas à empêcher l’approvisionnement d’un client direct de la requérante auprès d’un concurrent, mais la vente de produits concurrents par un détaillant situé plus en aval dans la chaîne d’approvisionnement. En effet, les OEM incorporent des CPU dans des ordinateurs qui sont ensuite vendus aux consommateurs par des détaillants comme MSH. En incitant un détaillant à vendre des ordinateurs exclusivement équipés de CPU provenant d’Intel, la requérante privait donc les OEM d’un canal de distribution pour les ordinateurs équipés de CPU des entreprises concurrentes. Ainsi, en privant MSH de sa liberté de choix concernant ses ventes, elle a restreint la liberté de choix des OEM concernant leurs canaux de distribution. Étant donné que cette restriction était susceptible d’avoir des répercussions sur la demande des OEM en CPU AMD, le fait d’inciter MSH à une vente exclusive tendait à rendre plus difficile l’accès d’AMD au marché des CPU x86. Dans les deux situations, la requérante a utilisé son pouvoir économique sur la part non disputable de la demande comme un levier pour s’assurer également la part disputable de la demande, rendant ainsi l’accès au marché plus difficile pour AMD (voir point 93 ci-dessus).

170    S’il est vrai que, dans le cadre de l’article 81 CE, la Cour a jugé que, en situation normale du marché concurrentiel, il convenait d’apprécier les relations d’exclusivité entre un fournisseur et un détaillant dans leur contexte spécifique, ce qui impliquait en particulier une analyse de l’effet cumulatif d’un réseau de telles relations, force est cependant de constater que ces considérations ne sauraient être admises dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 82 CE, qui porte sur des marchés dans lesquels, du fait précisément de la position dominante détenue par l’un des opérateurs, la concurrence est déjà restreinte (voir point 89 ci-dessus).

171    Partant, également en ce qui concerne les paiements octroyés à MSH, la Commission n’était pas tenue d’examiner les circonstances de l’espèce, mais elle devait seulement démontrer l’octroi, par la requérante, d’une incitation financière soumise à une condition d’exclusivité.

c)     Analyse de la capacité des rabais de restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

172    À titre surabondant, pour ce qui concerne la question de savoir si, dans la décision attaquée, la Commission a établi la capacité des rabais et des paiements d’exclusivité accordés à Dell, HP, NEC, Lenovo et MSH de restreindre la concurrence également à la suite d’une analyse des circonstances de l’espèce, il y a lieu de relever ce qui suit.

173    À titre liminaire, il convient d’observer que, au considérant 924 de la décision attaquée, la Commission a considéré que les rabais et les paiements d’exclusivité accordés à Dell, HP, NEC, Lenovo et MSH faisaient partie d’une stratégie d’ensemble à long terme visant à évincer des concurrents du marché. Au considérant 925 de la décision attaquée, la Commission a relevé qu’elle avait démontré, aux points VII.4.2.3 à VII.4.2.6 de ladite décision, que, en plus de remplir les conditions définies par la jurisprudence, les pratiques d’Intel étaient en mesure ou susceptibles de produire un effet d’éviction. Bien que non indispensable à la démonstration d’une infraction à l’article 82 CE, une possibilité de démontrer que les pratiques d’Intel étaient en mesure ou susceptibles de provoquer l’éviction de concurrents serait de procéder à une analyse du concurrent aussi efficace (voir point VII.4.2.3 de la décision attaquée). En se fondant sur les résultats de cette analyse et sur les preuves qualitatives et quantitatives (voir points VII.4.2.4 et VII.4.2.5 de la décision attaquée) ainsi que sur l’absence de justification objective et l’absence de gains d’efficacité (voir point VII.4.2.6 de la décision attaquée), la Commission a conclu, au considérant 925 de la décision attaquée, que les rabais conditionnels octroyés par Intel à Dell, HP, NEC et Lenovo ainsi que les paiements d’Intel à MSH constituaient une pratique abusive qui méritait l’attention particulière de la Commission.

174    Par ailleurs, il y a lieu d’observer que d’autres parties de la décision attaquée, notamment celles concernant la présentation des produits concernés et du comportement mis en cause dans ladite décision, aux points V. et VI. de ladite décision, celles concernant la définition du marché, aux points VII.1 et VII.2 de ladite décision, et la position dominante de la requérante, au point VII.3 de ladite décision, ainsi que les parties concernant la qualification juridique des paiements d’exclusivité, au point VII.4.2.2 de ladite décision, doivent être considérées comme le fondement de la conclusion de la Commission selon laquelle les paiements en cause avaient la capacité de restreindre la concurrence.

175    Contrairement à ce que prétend la requérante, le test AEC ne constitue donc pas le seul élément de preuve présenté dans la décision attaquée pour démontrer la capacité des paiements d’exclusivité de restreindre la concurrence (voir point 147 ci-dessus).

176    En ce qui concerne l’appréciation de la capacité des rabais et des paiements d’exclusivité mis en cause dans la présente affaire de restreindre la concurrence, il est à noter que, dans le cadre d’une analyse des circonstances de l’espèce, la Commission doit examiner, notamment au regard des critères et des modalités de l’octroi des paiements d’exclusivité, si ces rabais et ces paiements tendent, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement, à barrer l’accès du marché aux concurrents ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra, point 71).

177    Il y a lieu de préciser que, même dans le cadre d’une analyse des circonstances de l’espèce, la Commission n’est pas tenue de démontrer l’existence d’un effet concret. La Commission peut se contenter d’établir la capacité des comportements incriminés de restreindre la concurrence (voir point 103 ci-dessus).

178    À cet égard, il convient d’observer que, même dans le cas où il serait considéré que l’octroi d’un rabais ou d’un paiement d’exclusivité par une entreprise en position dominante ne revêt pas, en soi, la capacité de restreindre la concurrence, il reste que l’octroi d’une telle incitation financière par un partenaire commercial incontournable, tel que la requérante, constitue au moins un indice de sa capacité de restreindre la concurrence. En effet, dès lors qu’il est octroyé par un partenaire commercial incontournable, un rabais d’exclusivité permet à ce dernier d’utiliser son pouvoir économique sur la part non disputable de la demande comme un levier pour s’assurer également la part disputable, rendant ainsi plus difficile pour le concurrent l’accès au marché (voir points 91 et 92 ci-dessus).

179    Cette capacité inhérente aux rabais et aux paiements d’exclusivité de rendre plus difficile l’accès au marché pour un concurrent est, dans le cas d’espèce, confirmée par les constatations faites au considérant 893 de la décision attaquée selon lesquelles les rabais étaient pour les OEM un élément important à prendre en considération en raison de la forte concurrence sur le marché des OEM et de leurs faibles marges opérationnelles. La requérante ne conteste pas ces caractéristiques particulières du marché sur lequel opèrent les OEM. Or, l’importance particulière des rabais pour leurs bénéficiaires renforce l’incitation pour ces derniers à respecter les conditions d’un approvisionnement exclusif ou quasi exclusif et contribue ainsi à la capacité des rabais de restreindre la concurrence.

180    De plus, la preuve que l’incitation financière a effectivement été prise en considération lors de la décision par ses bénéficiaires de s’approvisionner pour la totalité ou la quasi-totalité de leurs besoins auprès de l’entreprise en position dominante ou de ne pas vendre de produits concurrents constitue un élément confirmant la capacité de cette incitation financière de restreindre la concurrence. Dans la présente affaire, la Commission a démontré que les rabais et les paiements d’exclusivité accordés par la requérante ont au moins été un élément qui a été pris en considération par Dell, HP, NEC et Lenovo, dans leur décision de s’approvisionner pour la totalité ou la quasi-totalité de leurs besoins auprès de la requérante, et par MSH dans sa décision de ne pas vendre de produits concurrents (voir points 592 à 599, 882 à 890, 1027 à 1030, 1215 à 1220 et 1513 à 1521 ci-après).

181    En outre, la capacité des rabais et des paiements d’exclusivité accordés aux quatre OEM et à MSH de restreindre la concurrence est, dans le cas d’espèce, confirmée par les constatations auxquelles il est procédé dans la décision attaquée, selon lesquelles la requérante a mis en œuvre deux différents types d’abus, à savoir, d’une part, les rabais et les paiements d’exclusivité et, d’autre part, les restrictions non déguisées. Ainsi que l’a constaté à juste titre la Commission aux considérants 917, 1681, lu en combinaison avec la note en bas de page n° 1999 (n° 1990 dans la version publique), et 1747 de la décision attaquée, ces deux types de pratiques se complètent et se renforcent mutuellement.

182    Par ailleurs, il convient de relever que la circonstance qu’une entreprise en position dominante s’efforce de lier des clients importants constitue également un indice qui peut être pris en considération lors de l’appréciation du caractère anticoncurrentiel de son comportement (voir, en ce sens, arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra, point 75). Il est à noter que, selon la décision attaquée, notamment Dell et HP se distinguent d’autres OEM par leurs parts de marché plus élevées, leur présence forte dans le segment du marché plus profitable et leur pouvoir de légitimer un nouveau CPU x86 sur le marché. Dans la décision attaquée, la Commission a constaté, au considérant 1597, que le fait de viser ces entreprises, revêtant une importance stratégique particulière pour l’accès au marché, avait un impact sur le marché global qui était plus important que celui qui correspondait à leurs seules parts de marché cumulées, ce que la requérante n’a pas contesté. Par conséquent, la Commission pouvait, à juste titre, conclure que les rabais d’exclusivité ont concerné des OEM importants.

183    S’agissant de MSH, il sera démontré plus en détail aux points 1507 à 1511 ci-après que cette entreprise revêtait une importance stratégique particulière en ce qui concernait la distribution des ordinateurs équipés de CPU x86 destinés aux consommateurs en Europe.

184    Enfin, il doit être constaté que le fait que les pratiques mises en cause dans la décision attaquée s’inscrivent dans une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants constitue également une circonstance qui confirme la capacité des rabais et des paiements d’exclusivité de restreindre la concurrence (voir, en ce sens, arrêt de la Cour Tomra, point 73 supra, points 19 et 20). Il sera démontré plus en détail aux points 1523 à 1552 ci-après que la Commission a prouvé l’existence d’une telle stratégie d’ensemble à suffisance de droit.

185    Premièrement, la requérante s’efforce de réfuter la capacité de ses pratiques de restreindre la concurrence en faisant valoir que, au cours de la période de référence, AMD a remporté le plus gros succès commercial de son histoire, enregistré un taux de croissance inégalé auprès des OEM réputés être la cible d’un comportement abusif, dû faire face à des contraintes de capacité de production qui l’ont empêchée de répondre aux demandes de CPU et accru ses investissements en matière de recherche et de développement. En outre, le prix ajusté en fonction de la qualité des CPU aurait chuté de 36,1 % chaque année au cours de la période visée par la décision attaquée.

186    Ces arguments ne sauraient être retenus. Lorsqu’une entreprise en position dominante met effectivement en œuvre des pratiques ayant la capacité de restreindre la concurrence, la circonstance que cette capacité ne se réalise pas en des effets concrets ne suffit pas à écarter l’application de l’article 82 CE (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 17 décembre 2003, British Airways/Commission, T‑219/99, Rec. p. II‑5917, point 297, ci-après l’« arrêt du Tribunal British Airways »). Or, le fait qu’AMD ait, au cours de la période visée par la décision attaquée, remporté un grand succès commercial et, consécutivement, subi des contraintes de capacité pourrait tout au plus démontrer que les pratiques de la requérante n’ont pas produit d’effets concrets. Cela ne saurait cependant suffire à réfuter la capacité des pratiques mises en œuvre par la requérante de restreindre la concurrence. Au demeurant, ni la croissance des parts de marché d’AMD et de ses investissements en matière de recherche et de développement ni la baisse du prix des CPU x86 au cours de la période visée par la décision attaquée ne signifient que les pratiques de la requérante ont été dénuées d’effet. En l’absence de ces pratiques, il est permis de considérer que l’augmentation des parts de marché du concurrent et de ses investissements en matière de recherche et de développement ainsi que la baisse du prix des CPU x86 auraient pu être plus importantes (voir, en ce sens, arrêt Michelin II, point 75 supra, point 245, et arrêt du Tribunal British Airways, précité, point 298). Par conséquent, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les affirmations de la Commission selon lesquelles les arguments de la requérante concernant l’augmentation des parts de marché d’AMD et la baisse du prix des CPU x86 sont erronés en fait.

187    Deuxièmement, la requérante ne saurait tirer aucun argument du fait que les pratiques mises en cause dans la décision attaquée n’auraient concerné qu’une faible partie du marché global des CPU x86, à savoir entre 0,3 et 2 % par an. En plus des arguments énoncés aux points 116 à 124 ci-dessus, il y a lieu de constater que la requérante s’appuie sur une méthode de calcul erronée pour arriver à la conclusion selon laquelle ses pratiques n’affectaient qu’entre 0,3 et 2 % du marché des CPU x86. En effet, ces chiffres ont été calculés en prenant en compte la seule part disputable (voir point 92 ci-dessus) en ce qui concernait les OEM concernés et MSH et non la part de marché intégrale que ces entreprises détenaient.

188    Une telle méthode de calcul a pour effet de diminuer artificiellement le résultat, car la partie du marché qui est verrouillée par un rabais d’exclusivité ne se limite pas à la part disputable. Au contraire, la partie des besoins d’un client qui est liée par un rabais d’exclusivité est verrouillée dans son intégralité à l’égard des concurrents.

189    Il s’ensuit que, afin de déterminer la partie du marché affectée par le comportement de l’entreprise en position dominante, il n’est pas possible de se limiter à prendre en considération la part disputable de la demande des clients.

190    En l’espèce, la part de marché de Dell était de 14,58 % au premier trimestre de 2003 et elle a augmenté pour atteindre 16,34 % au quatrième trimestre de 2005, ainsi qu’il résulte du considérant 1580 de la décision attaquée. Étant donné que, selon ladite décision, Intel a accordé des rabais à Dell, soumis à la condition que Dell s’approvisionne auprès d’elle pour la totalité de ses besoins en CPU x86, cela signifie qu’entre 2003 et 2005 Intel avait déjà verrouillé entre 14,58 et 16,34 % du marché par les seuls rabais accordés à Dell.

191    Cette partie du marché doit être considérée comme significative, en prenant en considération la circonstance que les concurrents de l’entreprise en position dominante sont en droit de profiter d’une concurrence par les mérites sur la totalité du marché et non seulement sur une partie de celui-ci.

192    Pendant les années 2006 et 2007, la part du marché affectée a été plus faible, car les comportements dont fait état la Commission dans la décision attaquée ne concernaient que MSH, par des paiements d’exclusivité, et Lenovo, par des restrictions non déguisées entre juin 2006 et décembre 2006 et des rabais d’exclusivité pendant l’année 2007.

193    À cet égard, il convient de relever que la Commission a conclu à juste titre à l’existence d’une infraction unique et continue, ainsi qu’il sera exposé plus en détail aux points 1561 à 1563 ci-après. En présence d’une infraction unique et continue, il ne saurait être exigé que, pendant la totalité de la période couverte, une partie significative du marché ait été affectée par le comportement en cause. Il suffit à cet égard d’effectuer une appréciation globale de la moyenne de la partie du marché qui a été verrouillée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal Tomra, point 72 supra, point 243).

194    En l’espèce, le rapport d’expert que la requérante a fourni en annexe à la réplique et qui porte la référence C.1 indique, au point 48, que la part du marché global concerné par le comportement dont fait état la décision attaquée était en moyenne d’environ 14 % pendant la durée totale de l’infraction retenue par la Commission, si le calcul n’est pas limité à la seule part disputable de la demande des clients concernés. Il y a lieu de relever qu’une telle part doit être considérée comme significative.

195    S’agissant, ensuite, de l’argument de la requérante selon lequel ses contrats de fourniture n’étaient que d’une courte durée ou pouvaient être résiliés moyennant un délai de 30 jours, il convient de constater que le critère pertinent n’est pas la durée du délai de résiliation d’un contrat ou la durée déterminée d’un contrat individuel s’insérant dans une série de contrats consécutifs, mais la durée totale pendant laquelle la requérante applique des rabais et des paiements d’exclusivité vis-à-vis d’un client (voir points 112 et 113 ci-dessus). Cette durée s’élevait, en l’espèce, à environ cinq ans en ce qui concernait MSH, à environ trois ans en ce qui concernait Dell et NEC, à plus de deux ans en ce qui concernait HP et à environ un an en ce qui concernait Lenovo. L’octroi de rabais et de paiements d’exclusivité pendant de telles périodes est généralement susceptible de restreindre la concurrence. Cela vaut d’autant plus sur un marché comme celui des CPU, qui est caractérisé par un fort dynamisme et de courts cycles de vie des produits.

196    Enfin, s’agissant des arguments de la requérante concernant le défaut d’obligations d’exclusivité formelles, la puissance d’achat des OEM et la pertinence du test AEC pour l’appréciation des paiements d’exclusivité, il convient de faire référence respectivement aux points 106, 138 et 139 ainsi qu’aux points 140 à 166 ci-dessus.

197    Partant, sur la base des considérations qui précèdent, il est permis de conclure que, dans la décision attaquée, la Commission a démontré à suffisance de droit et selon une analyse des circonstances de l’espèce que les rabais et les paiements d’exclusivité accordés par la requérante à Dell, HP, NEC, Lenovo et MSH étaient susceptibles de restreindre la concurrence.

3.     Sur la qualification juridique des pratiques dites de « restrictions non déguisées »

198    Dans la décision attaquée, la Commission a qualifié d’abus trois pratiques qu’elle a dénommées « restrictions non déguisées ». Selon elle, ces trois pratiques avaient un trait commun, à savoir que la requérante aurait octroyé des paiements aux OEM afin qu’ils retardent, annulent ou restreignent d’une manière ou d’une autre la commercialisation de certains produits équipés de CPU AMD. Plus particulièrement, l’octroi des paiements était soumis aux conditions suivantes :

–        premièrement, HP devait orienter ses ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU x86 d’AMD vers les petites et moyennes entreprises (PME) et les clients du secteur gouvernemental, éducatif et médical (ci-après les « GEM »), plutôt que vers les grandes entreprises ;

–        deuxièmement, HP devait interdire à ses partenaires de distribution de stocker les ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU x86 d’AMD, de façon que ces ordinateurs soient uniquement disponibles pour les clients en les commandant à HP soit directement, soit par le biais de partenaires de distribution de HP exerçant une fonction d’agents commerciaux ;

–        troisièmement, Acer, HP et Lenovo devaient reporter ou annuler le lancement d’ordinateurs équipés de CPU AMD.

199    Afin de fournir une motivation à la qualification des restrictions non déguisées d’abusives, la Commission s’est appuyée, aux considérants 1643 et 1671 de la décision attaquée, sur l’arrêt du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission (T‑228/97, Rec. p. II‑2969, ci-après l’« arrêt Irish Sugar »). De plus, elle a constaté, au considérant 1643, qu’une violation de l’article 82 CE pouvait également résulter de l’objet des pratiques poursuivi par une entreprise en position dominante. En outre, la Commission a exposé, aux considérants 1670, 1672, 1678 et 1679 de la décision attaquée, que les restrictions non déguisées avaient eu un effet sur le processus décisionnel des OEM, puisque ces derniers avaient reporté, annulé ou restreint d’une manière ou d’une autre la commercialisation de leurs ordinateurs équipés de CPU AMD, en dépit de la demande des consommateurs pour ces produits. Enfin, au considérant 1642 de la décision attaquée, la Commission a relevé que les restrictions s’inséraient dans une stratégie unique visant à évincer AMD du marché.

200    La requérante fait valoir, premièrement, que la Commission est tenue de démontrer la capacité des pratiques de restreindre la concurrence « en des termes économiques ». Deuxièmement, les pratiques mises en cause dans le cas d’espèce seraient distinctes de celles ayant donné lieu à l’arrêt Irish Sugar, point 199 supra. Troisièmement, la Commission, en condamnant des restrictions non déguisées, aurait à tort créé un nouveau type d’abus relevant de l’article 82 CE.

201    Tout d’abord, il y a lieu de rappeler qu’un effet d’éviction ne se produit pas uniquement lorsque l’accès au marché est rendu impossible pour les concurrents, mais également lorsque cet accès est rendu plus difficile (voir point 88 ci-dessus).

202    Dans le cas d’espèce, l’octroi de paiements soumis aux trois conditions énoncées au point 198 ci-dessus était susceptible de rendre plus difficile l’accès au marché pour AMD. En effet, l’octroi de paiements soumis à la première de ces conditions était susceptible de rendre plus difficile la commercialisation de produits AMD, dès lors qu’il a fourni une incitation à HP à ne pas proposer de manière proactive des ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU x86 d’AMD à un groupe prédéfini de clients. L’octroi de paiements soumis à la deuxième de ces conditions était susceptible de rendre plus difficile la commercialisation de produits AMD, étant donné qu’il a fourni une incitation à HP à ne pas vendre d’ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU x86 d’AMD par le biais de ses partenaires de distribution, sauf si ces derniers agissaient en qualité d’agents commerciaux. Enfin, l’octroi de paiements soumis à la troisième de ces conditions était susceptible de rendre plus difficile la commercialisation de produits AMD, parce qu’il a fourni à HP, Lenovo et Acer une incitation à s’abstenir de toute vente d’un certain type d’ordinateur équipé de CPU x86 d’AMD, et ce au moins pendant une certaine période et, dans le cas de HP, dans une certaine région, à savoir la région Europe, Moyen-Orient et Afrique (ci-après la « région EMOA »). Le comportement de la requérante, consistant à soumettre l’octroi de paiements auxdites conditions, était donc susceptible de rendre plus difficile la commercialisation d’ordinateurs équipés de CPU x86 d’AMD pour les OEM concernés. Étant donné que ces OEM étaient des clients d’AMD, le comportement était en même temps susceptible de rendre plus difficile l’accès au marché pour AMD, portant ainsi une atteinte à la structure concurrentielle du marché des CPU x86 où, compte tenu précisément de la position de la requérante, le degré de concurrence était déjà affaibli.

203    Ensuite, il convient de souligner que, aux fins de l’application de l’article 82 CE, la démonstration de l’objet et de l’effet anticoncurrentiel peut, le cas échéant, se confondre. S’il est démontré que l’objet poursuivi par le comportement d’une entreprise en position dominante est de restreindre la concurrence, ce comportement sera également susceptible d’avoir un tel effet (voir arrêt du Tribunal du 30 janvier 2007, France Télécom/Commission, T‑340/03, Rec. p. II‑107, point 195, et la jurisprudence citée).

204    Tel est le cas en l’espèce. En effet, la portée des trois conditions énoncées au point 198 ci-dessus était limitée à des produits AMD, de sorte que cette entreprise doit être considérée comme la cible individualisée des pratiques de la requérante. Or, le seul intérêt que peut avoir une entreprise en position dominante d’empêcher de manière ciblée la commercialisation de produits équipés d’un produit d’un concurrent déterminé est de nuire à ce concurrent. Par conséquent, en mettant en œuvre des restrictions non déguisées vis-à-vis de HP, Lenovo et Acer, la requérante a poursuivi un objet anticoncurrentiel.

205    Enfin, il convient de souligner qu’il incombe à une entreprise en position dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par un comportement étranger à la concurrence par les mérites, à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun (voir, en ce sens, arrêt AstraZeneca, point 64 supra, point 355, et la jurisprudence citée). Or, le fait d’octroyer des paiements à des clients en contrepartie de restrictions imposées à la commercialisation de produits équipés d’un produit d’un concurrent déterminé ne relève clairement pas d’une concurrence par les mérites.

206    Partant, il est permis de conclure que la mise en œuvre de chacune des pratiques dites de « restrictions non déguisées » constituait un abus de position dominante au sens de l’article 82 CE.

207    Cette conclusion est également confirmée par l’arrêt Irish Sugar, point 199 supra. Aux points 226 et 233 de cet arrêt, le Tribunal a conclu qu’il existait un abus, dès lors que l’entreprise dominante avait convenu avec un grossiste et un détaillant d’échanger le sucre au détail concurrent contre son propre produit. Le Tribunal a constaté que la requérante avait porté atteinte à la structure de la concurrence qu’aurait pu acquérir le marché concerné par le biais de l’entrée d’un nouveau produit, en procédant à l’échange des produits concurrents sur un marché dont elle détenait plus de 80 % du volume des ventes. Le raisonnement sous-jacent de cet arrêt est également applicable au cas d’espèce. En effet, une restriction de la commercialisation qui vise les produits d’un concurrent porte atteinte à la structure de la concurrence, dès lors qu’elle entrave de manière ciblée la mise sur le marché de produits de ce concurrent.

208    Les arguments de la requérante ne sauraient remettre en cause ce résultat.

209    Premièrement, il y a lieu d’écarter l’argument de la requérante selon lequel la Commission est tenue de démontrer la capacité de restreindre la concurrence « en des termes économiques ». À cet égard, il convient de relever que la requérante ne précise même pas ce qu’elle entend par « termes économiques ». Dès lors que les trois pratiques dites de « restrictions non déguisées » ne relèvent clairement pas d’une concurrence par les mérites (voir point 205 ci-dessus), la Commission n’était pas tenue de démontrer leur capacité de restreindre la concurrence plus en détail. En outre, il convient d’observer que, en s’appuyant sur l’arrêt Irish Sugar, point 199 supra, et l’objet anticoncurrentiel des pratiques, la Commission a exposé leur caractère abusif à suffisance de droit.

210    À cet égard, il y a lieu de rejeter également l’argument de la requérante selon lequel la Commission était tenue de démontrer la possibilité ou la probabilité d’une éviction de la concurrence, plutôt que de se référer à l’objet anticoncurrentiel des pratiques. Dès lors que l’objet anticoncurrentiel se confond dans le cas d’espèce avec l’effet potentiel des pratiques dites de « restrictions non déguisées » (voir points 203 et 204 ci-dessus), il y a lieu de considérer que la Commission n’a commis aucune erreur en s’appuyant sur leur objet anticoncurrentiel.

211    En outre, il convient de noter que, dans la décision attaquée, la Commission ne s’est pas exclusivement fondée sur l’objet anticoncurrentiel des trois restrictions non déguisées. En plus de la référence faite à l’arrêt Irish Sugar, point 199 supra, elle s’est appuyée sur des circonstances supplémentaires confirmant la capacité des restrictions non déguisées de restreindre la concurrence, bien que la mention de telles circonstances ne soit pas indispensable pour les qualifier d’abusives au titre de l’article 82 CE.

212    En premier lieu, la Commission a démontré à suffisance de droit que les paiements qui étaient soumis aux conditions énoncées au point 198 ci-dessus avaient été un facteur qui avait été pris en compte par HP (voir points 882 à 890 ci-après), Lenovo (voir points 1215 à 1220 ci-après) et Acer (voir points 1367 à 1369 ci-après) dans leurs décisions de reporter, annuler ou restreindre d’une autre manière la commercialisation de leurs ordinateurs équipés de CPU AMD. Ce fait confirme la capacité de ces paiements à restreindre la concurrence. Dans ce cadre, il convient de souligner que la qualification d’une restriction non déguisée d’abusive dépend seulement de la capacité de restreindre la concurrence, de sorte qu’elle ne nécessite la démonstration ni d’un effet concret sur le marché ni d’un lien de causalité (voir, en ce qui concerne les rabais d’exclusivité, points 103 et 104 ci-dessus).

213    En second lieu, la Commission a établi que les restrictions non déguisées faisaient partie d’une stratégie d’ensemble à long terme visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants d’un point de vue stratégique (voir points 1523 à 1552 ci-après).

214    Enfin, dans la mesure où la requérante avance, aux points 307 à 311 de la requête, que les paiements concernant la restriction non déguisée mise en œuvre vis-à-vis de Lenovo obtiennent un résultat positif au test AEC, il y a lieu de constater que le test AEC ne constitue pas un instrument qui est susceptible de réfuter le caractère anticoncurrentiel d’une restriction non déguisée. À supposer que la requérante réussisse à démontrer que la restriction non déguisée appliquée vis-à-vis de Lenovo obtiendrait un résultat positif au test AEC, cela ne priverait cette pratique ni de son objet anticoncurrentiel ni de sa capacité de rendre plus difficile l’accès au marché pour le concurrent.

215    Deuxièmement, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel les restrictions non déguisées mises en cause dans la décision attaquée sont trop distinctes de la pratique relevée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Irish Sugar, point 199 supra, pour que la Commission puisse les qualifier d’abusives. En effet, les différences invoquées par la requérante entre l’affaire Irish Sugar et la présente affaire sont dénuées de pertinence en droit.

216    Tout d’abord, s’il est vrai que l’arrêt Irish Sugar, point 199 supra, porte sur l’arrivée d’un nouveau produit d’une nouvelle entreprise sur le marché, il n’en reste pas moins que l’article 82 CE interdit, de manière générale, les pratiques abusives susceptibles de limiter les débouchés, que la mise sur le marché de nouveaux produits d’une nouvelle entreprise soit empêchée ou que des produits existants d’un concurrent établi soient désavantagés. Dans la présente affaire, même si AMD devait être considérée comme un concurrent déjà établi et même si les produits concernés par les restrictions non déguisées ne pouvaient pas être qualifiés de nouveaux, ces circonstances ne changeraient en rien la capacité des pratiques de rendre plus difficile l’accès au marché pour AMD. Elles ne remettraient pas non plus en cause la manière dont les pratiques concernées ciblaient AMD. Ni la capacité de rendre plus difficile l’accès au marché pour AMD ni l’objet anticoncurrentiel des restrictions non déguisés ne dépendent de la question de savoir si ces restrictions concernent un nouveau produit d’une nouvelle entreprise sur le marché.

217    Ensuite, dans la mesure où la requérante fait valoir que, dans l’arrêt Irish Sugar, point 199 supra, le Tribunal s’est basé sur des menaces financières expresses, il convient de constater que le fait que la requérante a fait savoir aux OEM qu’ils risquaient de perdre des rabais préférentiels, dans le cas de HP et d’Acer, ou qu’elle refuserait d’augmenter le financement, dans le cas de Lenovo, en cas de violation des conditions anticoncurrentielles énoncées au point 198 ci-dessus suffit pour conclure que les annonces de la requérante étaient de nature à inciter les OEM concernés à respecter ces conditions.

218    Enfin, la requérante soutient que l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Irish Sugar, point 199 supra, se distingue du cas d’espèce dans la mesure où, dans ce dernier, AMD n’aurait pas été contrainte de quitter le marché et aurait même augmenté sa part de marché. Le fait qu’AMD n’ait pas eu davantage de succès était, selon la requérante, dû à ses propres limites. Or, la question de savoir si les restrictions non déguisées mises en œuvre par la requérante avaient la capacité de restreindre la concurrence ne dépend pas de l’éviction effective d’AMD. En effet, afin de démontrer cette capacité, la démonstration d’un effet concret sur le marché n’est pas nécessaire (voir point 212 ci-dessus). En outre, il convient d’observer que les différentes voies de commercialisation qui étaient concernées par les restrictions non déguisées étaient barrées pour les CPU AMD lors des périodes concernées. Au demeurant, pour autant que la requérante invoque le succès commercial d’AMD ainsi que les limitations commerciales de cette entreprise, son argumentation doit être rejetée pour les raisons énoncées au point 186 ci-dessus.

219    Troisièmement, il y a lieu d’écarter l’argument de la requérante selon lequel l’emploi de la notion de « restriction non déguisée » constitue un nouveau type d’abus. Force est de constater que la qualification juridique d’une pratique en matière d’abus ne dépend pas de sa dénomination, mais des critères de fond retenus à cet égard. Ainsi, le seul emploi de la notion de « restriction non déguisée » ne saurait suffire pour pouvoir conclure que les critères de fond retenus sont nouveaux. En ce qui concerne les critères de fond appliqués en l’espèce, il découle du libellé de l’article 82, alinéa 2, sous b), CE que la limitation des débouchés constitue un abus. En outre, il n’est pas nouveau en droit de la concurrence qu’une pratique qui ne relève clairement pas de la concurrence par les mérites soit considérée comme illégale (voir, en ce sens, arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, point 91, et arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 70).

220    Enfin, même si la qualification d’abusives des pratiques en cause était effectivement « nouvelle », cela ne remettrait pas en cause le pouvoir de la Commission de les interdire. En effet, même dans le domaine du calcul des amendes, le Tribunal a déjà constaté que le fait qu’un comportement présentant les mêmes caractéristiques n’ait pas encore été examiné dans des décisions antérieures n’exonère pas l’entreprise de sa responsabilité (voir, en ce sens, arrêts Michelin I, point 74 supra, point 107, et AstraZeneca, point 64 supra, point 901).

B –  Sur la compétence de la Commission

1.     Arguments des parties

221    La requérante, soutenue par l’ACT, relève que le champ d’application territorial des articles 81 CE et 82 CE n’est pas illimité et que, dès lors, afin de se déclarer compétente aux fins de l’appréciation d’un comportement adopté en dehors de l’Union, la Commission devrait établir un lien de causalité direct avec le territoire de l’Union, en fournissant des preuves solides que la mise en œuvre effective des pratiques en cause produit un effet substantiel sur la concurrence au sein de l’Union. Il serait également établi que, en présence d’échanges commerciaux avec des pays tiers, et ce même lorsque la mise en œuvre des pratiques en cause est effectuée à l’intérieur de l’Union, la Commission doit aussi prouver que leurs effets dans l’Union sont immédiats, substantiels, directs et prévisibles.

222    La requérante fait valoir que, à titre d’exemple, la décision attaquée ne satisfait pas aux critères énoncés au point précédent en contestant l’accord conclu avec Lenovo au deuxième semestre de l’année 2006 concernant un ordinateur portable destiné au marché intérieur chinois.

223    Même si l’approche de la Commission selon laquelle, concernant les rabais et les restrictions non déguisées en cause, elle pourrait établir un abus de position dominante sans démontrer les effets de ces derniers était correcte, la Commission serait néanmoins tenue de démontrer l’existence d’un effet de ceux-ci dans l’Union pour établir sa compétence. En effet, la question de la compétence territoriale serait une question séparée et distincte, découlant du droit international public.

224    Lors de la procédure écrite, la requérante a fait valoir que, concernant l’ensemble des accords impliquant des entités situées en dehors de l’Union, en l’occurrence Dell, HP, NEC, Acer et Lenovo, la décision attaquée n’établissait pas la compétence de la Commission.

225    Lors de l’audience, la requérante a déclaré limiter ce moyen aux seuls comportements vis-à-vis d’Acer et de Lenovo, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

226    Concernant Acer et Lenovo, la requérante a souligné que leurs installations de production se trouvaient en dehors de l’EEE et qu’elles n’achetaient de CPU dans l’EEE ni auprès d’Intel ni auprès d’AMD. Le comportement en cause aurait concerné des ventes de CPU à des clients situés en Asie, à savoir à Taïwan en ce qui concernait Acer et en Chine en ce qui concernait Lenovo, et sa mise en œuvre aurait eu lieu en Asie. La circonstance qu’un certain nombre d’ordinateurs d’Acer et de Lenovo ont ensuite pu être vendus au sein de l’EEE ne serait pas pertinente pour la question de la mise en œuvre du comportement incriminé.

227    Étant donné que le comportement d’Intel envers Acer et Lenovo aurait concerné des ventes de CPU en Asie, les effets immédiats de ce comportement seraient ressentis en Asie et non dans l’EEE. Les ventes d’ordinateurs, qui seules auraient pu concerner l’EEE, seraient effectuées par des parties tierces, à savoir Acer et Lenovo, qui ne seraient pas contrôlées par Intel.

228    Le volume d’ordinateurs concerné aurait été très faible et l’effet dans l’EEE ne pourrait pas être considéré comme substantiel.

229    Lors de l’audience, la requérante a également fait valoir que le comportement en cause n’était pas susceptible d’affecter le commerce entre les États membres.

230    La Commission s’oppose aux arguments de la requérante et de l’ACT.

2.     Appréciation du Tribunal

a)     Observations liminaires

231    Tout d’abord, il convient de souligner que, dans la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, deux voies ont été suivies afin d’établir que la compétence de la Commission était justifiée au regard des règles du droit international public.

232    La première approche s’appuie sur le principe de territorialité. Cette approche a été suivie dans l’arrêt de la Cour du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, Rec. p. 5193, ci-après l’« arrêt Pâte de bois »). Au point 16 de cet arrêt, la Cour a relevé qu’il convenait de distinguer deux éléments de comportement, à savoir la formation de l’entente et sa mise en œuvre. Faire dépendre l’applicabilité des interdictions édictées par le droit de la concurrence du lieu de la formation d’une entente aboutirait à l’évidence à fournir aux entreprises un moyen facile de se soustraire auxdites interdictions. La Cour a donc constaté que ce qui était déterminant était le lieu où l’entente était mise en œuvre.

233    La seconde approche s’appuie sur les effets qualifiés des pratiques dans l’Union. Cette approche a été suivie dans l’arrêt du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission (T‑102/96, Rec. p. II‑753, ci-après l’« arrêt Gencor »). Au point 90 de cet arrêt, le Tribunal relève que, lorsqu’il est prévisible qu’une concentration projetée produise un effet immédiat et substantiel dans l’Union, l’application du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1), tel que rectifié (JO 1990, L 257, p. 13), est justifiée au regard du droit international public.

234    En soutenant qu’en présence d’échanges commerciaux avec des pays tiers, même lorsque la mise en œuvre des pratiques en cause est effectuée à l’intérieur de l’Union, la Commission doit aussi prouver l’existence d’effets immédiats, substantiels, directs et prévisibles dans l’Union, le raisonnement de la requérante revient à affirmer que la mise en œuvre et les effets qualifiés dans l’Union sont des conditions cumulatives.

235    La Commission a souligné, lors de l’audience, que, en l’espèce, sa compétence était justifiée, d’une part, en vertu de la théorie de la mise en œuvre des pratiques en cause dans l’EEE, suivie dans l’arrêt Pâte de bois, point 232 supra, et, d’autre part, en vertu de la théorie des effets, suivie dans l’arrêt Gencor, point 233 supra.

236    À cet égard, il convient de relever que le fait de démontrer la mise en œuvre des pratiques en cause dans l’EEE ou le fait de démontrer des effets qualifiés sont des voies alternatives et non cumulatives afin d’établir que la compétence de la Commission est justifiée au regard des règles du droit international public.

237    En effet, dans l’arrêt Pâte de bois, point 232 supra, la Cour s’est uniquement appuyée sur la mise en œuvre du comportement en cause sur le territoire de l’Union.

238    La requérante ne saurait tirer aucun argument du fait que l’avocat général M. Darmon a indiqué, dans ses conclusions sous l’arrêt Pâte de bois, point 232 supra (Rec. p. 5214, point 82), qu’il appartiendrait à la Cour, « pour déterminer si la Commission a, à juste titre, exercé sa compétence à l’encontre des requérantes, de rechercher si les effets du comportement par elle allégué étaient substantiels, directs et prévisibles ». En effet, l’avocat général a proposé à la Cour de se fonder sur les effets du comportement en cause sur le territoire de l’Union afin de constater la compétence de la Commission. La Cour n’a pas suivi la proposition de l’avocat général et s’est fondée sur la mise en œuvre de l’entente dans l’Union. Il résulte ainsi de l’arrêt de la Cour dans cette affaire que, lorsque la compétence de la Commission peut être constatée sur le fondement de la mise en œuvre du comportement en cause dans l’Union, il n’est pas nécessaire d’examiner l’existence des effets pour établir la compétence de la Commission.

239    La requérante s’appuie dans ce cadre également sur l’arrêt Gencor, point 233 supra.

240    Pourtant, dans l’arrêt Gencor, point 233 supra (points 89 à 101), le Tribunal s’est uniquement fondé sur les effets qualifiés afin d’établir que la compétence de la Commission était justifiée au regard des règles du droit international public.

241    Il est certes exact que, au point 87 de cet arrêt, le Tribunal a rappelé que, selon l’arrêt Pâte de bois, point 232 supra, le critère de la mise en œuvre de l’entente était satisfait par la simple vente dans l’Union. Pourtant, ledit point 87 s’inscrit dans le raisonnement du Tribunal par lequel celui-ci a relevé que le règlement n° 4064/89 ne privilégiait pas, aux fins de la délimitation de son domaine d’application territorial, les activités de production par rapport aux activités de vente (arrêt Gencor, point 233 supra, points 85 à 88). Dans ce cadre, le Tribunal a rejeté un argument de la requérante tiré de l’arrêt Pâte de bois, point 232 supra, en relevant que, selon cet arrêt, le critère de la mise en œuvre de l’entente était satisfait par de simples ventes. Le Tribunal a donc rejeté l’argument de la requérante selon lequel il résulterait de l’arrêt Pâte de bois, point 232 supra, que les activités de production seraient privilégiées par rapport aux activités de vente.

242    Ensuite, le Tribunal a examiné, dans l’arrêt Gencor, point 233 supra (points 89 à 101), si l’application du règlement n° 4064/89 dans cette affaire était conforme au droit international public. Dans ce cadre, le Tribunal s’est limité à examiner si les critères de l’effet immédiat, substantiel et prévisible étaient réunis.

243    Il résulte donc de l’arrêt Gencor, point 233 supra, que, pour justifier la compétence de la Commission selon les règles du droit international public, il suffit que les critères de l’effet immédiat, substantiel et prévisible dans l’Union soient réunis.

244    Il résulte de ce qui précède que, pour justifier la compétence de la Commission au regard du droit international public, il suffit d’établir soit les effets qualifiés de la pratique, soit sa mise en œuvre dans l’Union.

245    Par ailleurs, il y a lieu de relever que, dans la décision attaquée, la Commission ne traite pas de manière explicite la question de savoir si la compétence de la Commission est justifiée au regard des règles du droit international public. À cet égard, la Commission souligne qu’elle a traité, aux considérants 1749 à 1753 de la décision attaquée, la question de l’affectation du commerce entre les États membres.

246    En outre, la Commission souligne, sans être contredite sur ce point par la requérante, que, lors de la procédure administrative, la requérante n’a jamais remis en question la compétence internationale de la Commission.

247    Dans ce cadre, il y a lieu de souligner que le libellé de l’article 82 CE contient deux éléments qui concernent un lien avec le territoire de l’Union. Premièrement, l’article 82 CE exige l’existence d’une position dominante « sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ». Deuxièmement, il exige que le commerce entre États membres soit susceptible d’être affecté par le comportement en cause. Dans la décision attaquée, la Commission a constaté l’existence d’une position dominante de la requérante au niveau mondial, ce qui inclut le marché commun. En outre, aux considérants 1749 à 1753 de ladite décision, elle a examiné de manière explicite l’affectation du commerce entre les États membres.

248    Certes, la question de savoir si la compétence de la Commission est justifiée au regard du droit international public constitue une question distincte de celle des critères prévus par l’article 82 CE. À cet égard, il convient de relever que le critère de l’affection du commerce entre les États membres vise à délimiter la sphère d’application des règles communautaires par rapport aux législations nationales (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, point 31).

249    Néanmoins, au vu des faits, d’une part, que la Commission s’est prononcée dans la décision attaquée sur les deux critères prévus par l’article 82 CE et qui concernent un lien avec le territoire de l’Union et, d’autre part, que la requérante n’a pas remis en question, lors de la procédure administrative, la compétence internationale de la Commission, il n’était pas indispensable pour la Commission de fournir dans la décision attaquée une motivation explicite quant à cette question (voir également, en ce qui concerne l’obligation de motiver la compétence de la Commission, arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, Rec. p. 619, points 143 à 145). La requérante a d’ailleurs précisé, lors de l’audience, que son moyen ne concernait pas une absence de motivation, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

b)     Sur les effets qualifiés

 1) Observations liminaires

250    La requérante fait valoir que le défaut d’examen par la Commission de l’existence d’effets substantiels, directs et prévisibles dans l’Union est particulièrement grave lorsque la Commission déclare, au considérant 1685 de la décision attaquée, qu’elle n’est pas tenue d’« établir les effets concrets d’un abus en vertu de l’article 82 [CE] ».

251    À cet égard, il y a lieu de souligner que la Commission n’est pas obligée d’établir l’existence d’effets concrets afin de justifier sa compétence au regard du droit international public. Les critères de l’effet immédiat, substantiel et prévisible ne signifient pas que l’effet doive également être concret. En effet, il incombe à la Commission d’assurer la protection de la concurrence au sein du marché commun contre les menaces à son fonctionnement effectif.

252    Dans ces circonstances, il ne saurait être considéré que la Commission doit se limiter à poursuivre et à sanctionner des comportements abusifs qui ont atteint le résultat escompté et pour lesquels la menace envers le fonctionnement de la concurrence s’est réalisée. La Commission ne saurait être condamnée à une position passive dans le cas de l’existence d’une menace pesant sur la structure de la concurrence effective dans le marché commun et peut donc intervenir également dans des cas dans lesquels la menace ne s’est pas ou pas encore réalisée.

253    À cela s’ajoute le fait que, en l’espèce, le comportement vis-à-vis d’Acer et de Lenovo était destiné à produire des effets au sein du marché commun.

254    En effet, le comportement vis-à-vis d’Acer a consisté à accorder des paiements à la condition qu’Acer retarde le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU AMD dans le monde entier. Une telle incitation financière visait à ce que, pendant une certaine période, un certain modèle d’ordinateur d’Acer ne soit disponible sur le marché nulle part dans le monde, y compris dans l’EEE.

255    Le comportement vis-à-vis de Lenovo a consisté, d’une part, à lui accorder des paiements à la condition qu’il retarde et finalement annule le lancement de ses ordinateurs portables équipés de CPU x86 d’AMD. Ce comportement visait donc à ce que des modèles d’ordinateur de Lenovo équipés de CPU AMD ne soient disponibles nulle part dans le monde, y compris dans l’EEE. D’autre part, le comportement vis-à-vis de Lenovo a consisté à accorder des rabais dont le niveau était conditionné au fait que Lenovo achetât la totalité des CPU x86 destinés à ses ordinateurs portables auprès d’Intel. Ce comportement visait à ce qu’aucun ordinateur portable de Lenovo équipé d’un CPU AMD ne soit disponible sur le marché, y compris dans l’EEE. Le comportement d’Intel visait donc à produire des effets également dans l’EEE. Dans ces circonstances, la question de savoir si la requérante a atteint le résultat escompté est sans pertinence dans le cadre de l’examen de la justification de la compétence de la Commission au regard du droit international public.

256    Par ailleurs, il convient de relever que la requérante elle-même s’appuie sur l’arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Haladjian Frères/Commission (T‑204/03, Rec. p. II‑3779), et notamment sur son point 167, dans lequel le Tribunal a relevé ce qui suit :

« [P]our justifier l’application des règles de concurrence à un accord concernant des produits achetés aux États-Unis pour être vendus dans la Communauté, cet accord doit, sur la base d’un ensemble d’éléments de fait et de droit, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence plus qu’insignifiante sur la concurrence dans la Communauté et le commerce entre États membres (voir, en ce sens, arrêt [de la Cour du 28 avril 1998,] Javico, [C‑306/96, Rec. p. I‑1983], points 16 et 18). Le simple fait qu’un comportement produise certains effets, quels qu’ils soient, sur l’économie de la Communauté ne constitue pas en soi un lien suffisamment étroit pour permettre de fonder la compétence communautaire. Pour pouvoir être pris en compte, il faut que cet effet soit substantiel, c’est-à-dire sensible et non négligeable. »

257    Cet arrêt n’exige donc pas l’existence d’effets concrets sur la concurrence dans l’Union, mais seulement qu’il soit suffisamment probable que l’accord en cause puisse y exercer une influence plus qu’insignifiante. Dans ce cadre, il convient de relever que cette considération ne concernait pas explicitement la question de la justification de la compétence de la Commission au regard du droit international public, mais qu’elle a été effectuée dans le cadre de l’examen de la question de savoir si les critères prévus à l’article 81 CE étaient remplis. Néanmoins, cet arrêt qui est invoqué par la requérante constitue un élément confirmant la circonstance que les effets d’un comportement sur la concurrence ne doivent pas nécessairement être concrets pour constituer un lien suffisamment étroit avec l’Union de nature à fonder la compétence de la Commission.

258    Il convient donc d’examiner si les trois critères de l’effet substantiel, immédiat et prévisible sont réunis dans le cas d’espèce.

 2) Acer


 2.1) Effet substantiel

259    La requérante fait valoir que le report dont fait état la Commission dans la décision concernait un modèle d’ordinateur portable équipé d’un CPU AMD à technologie 64 bits. Elle souligne que, au quatrième trimestre de 2003, seulement 100 000 CPU de ce type étaient disponibles à l’échelle mondiale. Selon elle, Acer aurait pu en acheter au maximum 4 000 unités environ, et la plupart des ordinateurs d’Acer concernés par le report du lancement auraient de toute façon été vendus en dehors de l’EEE. Les effets dans l’EEE n’auraient donc en aucun cas pu être substantiels.

260    La Commission conteste le chiffre de 4 000 unités. Pourtant, elle a admis lors de l’audience que la quantité d’ordinateurs concernés était modeste. Elle a toutefois souligné lors de cette audience que, en présence d’une stratégie d’ensemble visant à évincer le seul concurrent important d’Intel et d’une infraction unique et continue, il n’y avait pas lieu de considérer les effets des divers comportements de manière isolée.

261    Quant au caractère substantiel des effets, il y a lieu de souligner, tout d’abord, qu’il n’est pas nécessaire que l’Union ou l’EEE soient plus affectés que d’autres régions du monde (voir, en ce sens, arrêt Gencor, point 233 supra, point 98).

262    Par ailleurs, l’EEE constitue une partie importante du marché mondial. À titre d’illustration, il convient de relever que, selon le considérant 1775 de la décision attaquée, les ventes d’ordinateurs équipés d’un CPU x86 d’Intel dans la région EMOA correspondaient à environ 32 % des ventes mondiales. En outre, la Commission a relevé que la valeur des ventes d’Intel à des entreprises établies dans l’EEE correspondait à environ 80 % des ventes dans la région EMOA.

263    Il y a en outre lieu de souligner qu’il résulte des éléments de preuve cités dans la décision attaquée, notamment du courriel cité au point 1240 ci-après, qu’Acer avait envisagé de vendre en Europe le modèle concerné par le report du lancement. Il y a donc lieu de rejeter l’argument invoqué par la requérante lors de l’audience selon lequel il se peut que les ordinateurs en cause auraient tous été vendus en dehors de l’EEE.

264    Le fait d’accorder une incitation financière, en vue d’encourager un client à reporter à l’échelle mondiale le lancement d’un ordinateur équipé d’un CPU d’un concurrent et dont des ventes étaient envisagées en Europe, est susceptible d’avoir des effets au moins potentiels dans l’EEE.

265    L’ACT a fait valoir qu’il résultait du courriel cité au point 1240 ci-après que la restriction non déguisée alléguée par la Commission ne concernait que des limitations des ventes d’Acer vers des pays situés en dehors de l’Europe.

266    À cet égard, il suffit de constater qu’Acer s’est finalement engagée à reporter le lancement de l’ordinateur en cause partout dans le monde (voir points 1246, 1247, 1268 et 1269 ci-après). L’argument de l’ACT selon lequel la Commission a retenu une infraction qui concernait seulement des ventes d’Acer vers des pays situés en dehors de l’Europe manque donc en fait.

267    Par ailleurs, il y a lieu de relever que la Commission a à juste titre conclu que les divers comportements dont faisait état la décision attaquée faisaient partie d’une infraction unique et continue (voir points 1561 à 1563 ci-après).

268    Afin d’examiner si les effets sont substantiels, il n’y a pas lieu de considérer de manière isolée les divers comportements faisant partie d’une infraction unique et continue. Il suffit au contraire que l’infraction unique, prise dans son ensemble, soit susceptible d’avoir des effets substantiels.

269    En ce qui concerne l’affectation du commerce entre les États membres au sens de l’article 82 CE, il résulte de la jurisprudence qu’il y a lieu de prendre en considération les conséquences d’un abus de position dominante pour la structure de la concurrence effective dans le marché commun (voir arrêt de la Cour du 25 octobre 1979, Greenwich Film Production, 22/79, Rec. p. 3275, point 11, et la jurisprudence citée). La Cour a également précisé que, pour examiner si l’article 82 CE était applicable, l’exécution de certains contrats ne saurait être appréciée isolément, mais devait l’être à la lumière de l’ensemble des activités de l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt Greenwich Film Production, précité, point 12). En ce qui concerne le critère de l’affectation du commerce entre les États membres, la Cour a donc explicitement constaté qu’il n’y avait pas lieu de considérer certains contrats de manière isolée.

270    La même solution s’impose, en présence d’une infraction unique et continue, quand il s’agit d’examiner si la compétence de la Commission est justifiée au regard du droit international public. En effet, il ne saurait être permis aux entreprises de se soustraire à l’application des règles de concurrence en combinant plusieurs comportements poursuivant un objectif identique, dont chacun pris isolément n’est pas susceptible de produire un effet substantiel dans l’Union, mais qui, pris ensemble, sont susceptibles de produire un tel effet.

271    En l’espèce, il convient de rappeler que l’infraction unique et continue, prise dans son ensemble, a affecté en moyenne, selon les calculs effectués par le conseil de la requérante, environ 14 % du marché mondial, dans l’hypothèse où ces calculs ne sont pas limités à la seule part disputable, ce qui doit être considéré comme une part significative du marché (voir point 194 ci-dessus).

272    Cette circonstance suffit pour constater que les effets potentiels des pratiques de la requérante étaient substantiels.

273    En outre, il y a lieu de relever que la Commission a démontré à suffisance de droit que la requérante avait poursuivi une stratégie d’ensemble à long terme visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants d’un point de vue stratégique (voir points 1523 à 1552 ci-après).

274    Il résulte de la jurisprudence que, par rapport au critère de l’affectation du commerce entre les États membres, il y a lieu de prendre en considération les répercussions sur la structure de la concurrence effective dans le marché commun résultant de l’élimination d’un concurrent (voir, en ce sens, arrêt Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, point 248 supra, point 33, et arrêt du Tribunal du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T‑24/93 à T‑26/93 et T‑28/93, Rec. p. II‑1201, point 203). Des modifications de la structure du marché doivent également être prises en considération lorsqu’il s’agit de déterminer l’existence d’effets substantiels au sein de l’EEE dans le cadre de l’examen de la question de savoir si la compétence de la Commission est justifiée au regard du droit international public (voir, en ce sens, arrêt Gencor, point 233 supra, points 94 et 96).

275    Dans ce cadre, il y a lieu de souligner que non seulement l’élimination d’un concurrent est susceptible d’avoir des répercussions sur la structure de la concurrence dans le marché commun, mais qu’un comportement susceptible d’affaiblir le seul concurrent important de la requérante au niveau mondial, en lui barrant l’accès aux canaux de vente les plus importants, comme le comportement en cause en l’espèce, est également capable d’avoir des répercussions sur la structure de la concurrence effective dans le marché commun. Dès lors, le constat selon lequel les effets potentiels du comportement de la requérante doivent être considérés comme substantiels se justifie également en raison des effets potentiels sur la structure de la concurrence effective dans le marché commun.

276    Il résulte de ce qui précède que les effets potentiels du comportement de la requérante doivent être considérés comme substantiels.

 2.2) Effet immédiat

277    Le comportement d’Intel visait à et était susceptible de produire un effet immédiat dans l’EEE.

278    En effet, ce comportement visait à et était susceptible d’inciter Acer à reporter le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU AMD partout dans le monde, y compris dans l’EEE. Le report du lancement signifie que, pendant un certain temps, un certain modèle d’ordinateur à CPU AMD n’est pas disponible, y inclus dans l’EEE. Il s’agit d’un effet direct et pas seulement d’un effet par ricochet.

279    Contrairement à ce que soutiennent la requérante et l’ACT, la circonstance qu’Intel n’a pas vendu de CPU à Acer dans l’EEE ne signifie pas que l’effet dans l’EEE du comportement d’Intel n’a pu être qu’indirect. En effet, la condition à laquelle étaient soumis les paiements, à savoir le report du lancement d’un certain modèle d’ordinateur partout dans le monde, y compris dans l’EEE, concernait de manière directe les ventes d’ordinateurs par Acer.

280    En outre, l’infraction unique et continue commise par la requérante, prise dans son ensemble, était susceptible d’avoir pour effet immédiat d’affaiblir le seul concurrent important de la requérante en lui barrant l’accès aux canaux de vente les plus importants et donc de modifier la structure de la concurrence effective dans le marché commun.

 2.3) Effet prévisible

281    L’effet qu’un certain modèle d’ordinateur équipé d’un CPU AMD ne soit pas disponible pendant la durée du report, y compris dans l’EEE, était prévisible pour la requérante. En effet, il s’agit de l’effet qui était envisagé par son comportement.

282    De même, l’affaiblissement du seul concurrent important de la requérante était prévisible pour elle et envisagé par elle.

 3) Lenovo


 3.1) Sur les restrictions non déguisées


 i) Sur le report du lancement concernant le marché chinois

283    La requérante fait valoir que le premier report du lancement allégué par la Commission dans la décision attaquée a trait au lancement retardé de deux modèles d’ordinateurs portables équipés d’un CPU AMD en Chine (voir à cet égard les points 1035 et 1037 ci-après). Cet accord aurait uniquement affecté le marché chinois et n’aurait pas été mis en œuvre dans l’Union.

284    À cet égard, il suffit de constater que la Commission n’établit pas, dans la décision attaquée, l’existence d’une infraction à l’article 82 CE concernant le report du lancement des ordinateurs portables équipés d’un CPU AMD en Chine (voir point 1042 ci-après). L’argumentation de la requérante quant à l’absence de compétence de la Commission pour sanctionner ce comportement est donc inopérante.

 ii) Sur le report du lancement concernant le marché mondial

285    Le report du lancement en cause dans la décision attaquée concerne le lancement retardé desdits modèles d’ordinateur sur le plan mondial. À cet égard, la requérante a souligné, lors de l’audience, qu’il résultait de l’annexe A.120 de la requête que, pour les deux modèles d’ordinateur concernés par le report du lancement, le niveau des ventes qui était envisagé était très faible.

286    À cet égard, il convient de relever qu’il résulte de cette annexe que, au 1er juin 2006, les chiffres de ventes projetés dans la région EMOA pour le quatrième trimestre de 2006 pour les deux modèles d’ordinateur portable concernés par le report du lancement étaient de 5 400 et de 4 250 unités.

287    Lors de l’audience, la requérante a suggéré qu’il était possible que la totalité de ces ordinateurs aient été destinés à des zones de la région EMOA en dehors de l’EEE.

288    À cet égard, il convient de relever qu’il s’agit d’une simple spéculation de la part de la requérante à l’appui de laquelle elle n’a avancé aucun argument. Certes, le volume exact des ventes envisagées dans l’EEE ne résulte pas de l’annexe A.120 de la requête. Il convient toutefois de relever que l’EEE est une partie très importante de la région EMOA.

289    Il résulte clairement de l’annexe A.120 de la requête que Lenovo avait envisagé des ventes dans la région EMOA. Cette circonstance suffit pour constater des effets au moins potentiels dans l’EEE, en l’absence d’indices concrets qui pourraient laisser supposer que la totalité des ventes envisagées aurait concerné des parties de la région EMOA en dehors de l’EEE.

290    Certes, le nombre d’unités concernées dans la région EMOA était modeste. Pourtant, il y a lieu de relever que le comportement vis-à-vis de Lenovo faisait partie d’une infraction unique et continue et qu’il est suffisant que cette infraction, prise dans son ensemble, ait été susceptible d’avoir des effets substantiels, ce qui est le cas en l’espèce (voir points 267 à 276 ci-dessus).

291    Quant au caractère immédiat de l’effet et à sa prévisibilité, les considérations figurant aux points 277 à 282 ci-dessus s’appliquent mutatis mutandis.

 3.2) Sur les rabais d’exclusivité

292    Selon la décision attaquée, Intel a accordé des rabais à Lenovo entre janvier 2007 et décembre 2007 dont le niveau était subordonné à l’achat, par Lenovo, de tous les CPU x86 destinés à ses ordinateurs portables auprès d’Intel.

293    La décision attaquée fait donc état d’une incitation financière accordée par Intel à Lenovo afin de l’encourager à utiliser exclusivement des CPU x86 produits par Intel dans ses ordinateurs portables. Ce comportement était susceptible d’avoir pour effet immédiat qu’aucun ordinateur portable de Lenovo équipé d’un CPU x86 d’un concurrent d’Intel n’était disponible nulle part dans le monde, y compris dans l’EEE. La circonstance qu’Intel vend des CPU, alors que Lenovo vend des ordinateurs, ne signifie pas que l’effet ne peut être qu’indirect. En effet, si Lenovo s’approvisionne pour la totalité de ses besoins en CPU x86 destinés à ses ordinateurs portables auprès d’Intel, cela signifie directement et nécessairement qu’elle ne peut fabriquer ni vendre aucun ordinateur portable équipé d’un CPU x86 provenant d’un concurrent.

294    Cet effet était prévisible pour Intel et même envisagé par elle.

295    Quant au caractère substantiel de l’effet, il suffit de rappeler que les rabais d’exclusivité faisaient partie d’une infraction unique et continue qui, prise dans son ensemble, était susceptible d’avoir des effets substantiels sur le territoire de l’Union et de l’EEE, ce qui est suffisant (voir points 267 à 276 ci-dessus). Il n’est donc pas nécessaire d’examiner la question de savoir si les rabais d’exclusivité accordés à Lenovo, pris isolément, étaient susceptibles d’avoir un effet substantiel sur ledit territoire.

296    Il résulte de ce qui précède que le comportement d’Intel dont la Commission fait état dans la décision attaquée était susceptible d’avoir un effet substantiel, immédiat et prévisible au sein de l’EEE. Il s’ensuit que la compétence de la Commission pour sanctionner ce comportement est justifiée au regard des règles du droit international public.

297    C’est donc à titre surabondant que sera examinée, par la suite, la mise en œuvre du comportement en cause sur le territoire de l’EEE.

c)     Sur la mise en œuvre

298    La requérante fait valoir que, selon la jurisprudence, des ventes directes vers l’Union par l’entreprise elle-même des produits couverts par le comportement concerné sont exigées pour établir la compétence de la Commission. En l’espèce, la Commission n’établirait pas que chacun des actes d’abus allégués couvrait des ventes directes du produit pertinent, à savoir des CPU x86, par Intel à des acheteurs au sein de l’Union ou de l’EEE.

299    La requérante souligne qu’elle n’a pas vendu de CPU x86 à Acer ni à Lenovo dans l’EEE. Acer et Lenovo n’auraient pas vendu les produits concernés par la décision attaquée, à savoir les CPU x86, mais des ordinateurs équipés de CPU x86.

300    La Commission s’oppose aux arguments de la requérante.

 1) Acer

301    Il convient de rappeler que la mise en œuvre des pratiques en cause dans l’Union est suffisante pour justifier la compétence de la Commission au regard du droit international public (voir, en ce sens, arrêt Pâte de bois, point 232 supra, point 16).

302    Il est vrai que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Pâte de bois, point 232 supra (points 12, 13, 16 et 17), la Cour a constaté que la mise en œuvre de l’entente en cause dans le marché commun avait eu lieu par des ventes directes, à des prix effectivement coordonnés, par les participants à l’entente à des acheteurs établis dans l’Union.

303    Pourtant, il n’en résulte pas que les ventes directes effectuées par les destinataires de la décision attaquée de la Commission sont l’unique moyen de mise en œuvre d’une pratique dans l’Union. La seule circonstance que la requérante n’a pas vendu de CPU à des filiales d’Acer et de Lenovo situées dans l’EEE n’exclut donc pas la mise en œuvre dans l’EEE des pratiques en cause.

304    En l’espèce, la Commission n’a pas fait état, dans la décision attaquée, d’une action entamée par la requérante elle-même sur le territoire de l’EEE en vue de mettre en œuvre la restriction non déguisée concernant Acer.

305    Pourtant, l’abus de position dominante a consisté en l’espèce à accorder une incitation financière en vue d’encourager Acer à reporter le lancement d’un certain modèle d’ordinateur portable partout dans le monde. La condition à laquelle étaient soumis les paiements accordés par Intel, à savoir le report d’un certain modèle d’ordinateur portable équipé d’un CPU AMD, était donc destinée à être mise en œuvre par Acer partout dans le monde, y compris dans l’EEE.

306    Dans un tel cas de figure, il serait artificiel de se limiter à prendre en considération la mise en œuvre des pratiques en cause par l’entreprise en position dominante elle-même. Au contraire, il convient de prendre également en considération leur mise en œuvre par le client de celle-ci.

307    Dans ce cadre, le fait pour le client de l’entreprise en position dominante de s’abstenir de vendre un certain modèle d’ordinateur dans l’EEE pendant un certain temps doit être considéré comme une mise en œuvre de la restriction non déguisée.

308    En outre, il résulte des éléments de preuve cités dans la décision attaquée qu’Acer a entrepris des actions dans la région EMOA afin de reporter le lancement de l’ordinateur en cause. En effet, il résulte du courriel cité au point 1247 ci-après, invoqué dans ce contexte par la Commission lors de l’audience, que le [confidentiel] au sein d’Acer a reçu l’instruction de « laisser tomber » le CPU AMD concerné pour 2003, et qu’il mettra en œuvre cette instruction dans la région EMOA.

309    Il résulte de ce qui précède que la compétence de la Commission était justifiée également en raison de la mise en œuvre de l’infraction dans le territoire de l’Union et de l’EEE.

 2) Lenovo

310    En ce qui concerne les restrictions non déguisées, à savoir les rabais accordés à la condition que Lenovo reporte le lancement de deux modèles d’ordinateurs, il convient de relever qu’elles étaient destinées à être mises en œuvre par Lenovo partout dans le monde, y compris dans l’EEE. Il s’ensuit que la compétence de la Commission était justifiée également en raison de la mise en œuvre de l’infraction dans ledit territoire. À cet égard, les considérations faites aux points 304 à 307 ci-dessus s’appliquent mutatis mutandis.

311    Quant aux rabais d’exclusivité, la contrepartie de ces rabais, à savoir l’approvisionnement exclusif de Lenovo auprès d’Intel pour les CPU x86 destinés à ses ordinateurs portables, était destinée à être mise en œuvre par Lenovo dans le monde entier, y compris dans l’EEE, en vendant exclusivement des ordinateurs portables équipés de CPU x86 d’Intel. Dans ce cadre, il y a lieu de souligner que la destination des CPU, à savoir leur utilisation par Lenovo dans des ordinateurs portables, faisait partie de la contrepartie telle qu’elle avait été définie. Dans ces circonstances, la requérante ne saurait tirer aucun argument du fait que le marché en cause concernait des CPU x86, alors que Lenovo ne vendait pas de CPU, mais des ordinateurs incorporant des CPU. En effet, la contrepartie telle qu’elle avait été définie a établi un lien direct avec les ordinateurs qui seraient produits et vendus par Lenovo.

312    Le comportement de la requérante visait à ce que la contrepartie de Lenovo soit mise en œuvre partout où Lenovo vendait des ordinateurs portables, y compris dans l’EEE.

313    Étant donné que la contrepartie, telle qu’elle avait été définie, concernait de manière spécifique les CPU destinés à être utilisés pour un certain type de produits, à savoir les ordinateurs portables, la requérante ne saurait utilement faire valoir qu’elle-même n’aurait pas d’influence sur l’utilisation faite par Lenovo des CPU Intel. Par ailleurs, la requérante n’a pas fait valoir qu’elle ignorait le fait que Lenovo était présente sur le marché commun et vendait ses ordinateurs portables sur celui-ci.

314    Il résulte de ce qui précède que, concernant le comportement de la requérante vis-à-vis de Lenovo, la compétence de la Commission est également justifiée en raison de la mise en œuvre de l’infraction sur le territoire de l’Union et de l’EEE.

d)     Sur l’affectation du commerce entre les États membres

315    Lors de l’audience, la requérante a également fait valoir que le comportement en cause n’était pas susceptible d’affecter le commerce entre les États membres.

316    En ce qui concerne le critère de l’affectation du commerce entre les États membres, la Commission a relevé, au considérant 1750 de la décision attaquée, que les abus qui avaient une influence sur la structure de la concurrence dans plus d’un État membre étaient par nature capables d’affecter le commerce entre les États membres.

317    Selon la jurisprudence, pour être susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, une décision, un accord ou une pratique doivent, sur la base d’un ensemble d’éléments de fait et de droit, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, et cela de manière à faire craindre qu’ils puissent entraver la réalisation d’un marché unique entre États membres. Il faut, en outre, que cette influence ne soit pas insignifiante (voir arrêt Javico, point 256 supra, point 16, et la jurisprudence citée).

318    En l’espèce, la requérante n’a pas fait valoir que son comportement vis-à-vis d’Acer et de Lenovo n’avait concerné que le territoire d’un seul État membre. Afin de contester l’affectation du commerce entre les États membres, la requérante s’est plutôt appuyée sur la circonstance que les effets se seraient fait sentir sur des territoires en dehors de l’EEE et que, en tout état de cause, le volume d’ordinateurs concernés aurait été très faible, de sorte que les effets n’auraient en aucun cas pu être significatifs.

319    Pourtant, ainsi qu’il a été relevé au point 269 ci-dessus, il n’y a pas lieu de considérer les effets du comportement de la requérante vis-à-vis d’Acer et de Lenovo de manière isolée. L’infraction unique commise par la requérante, prise dans son ensemble, était susceptible d’avoir un effet substantiel au sein de l’Union et de l’EEE.

320    Il y a donc lieu de rejeter l’argumentation de la requérante visant à contester l’affectation des échanges entre les États membres.

321    Il résulte de tout ce qui précède que l’argumentation de la requérante visant à contester la compétence de la Commission doit être rejetée.

C –  Vices de procédure

1.     Sur le refus de la Commission d’accorder une seconde audition à la requérante

322    La requérante, soutenue par l’ACT, prétend que la Commission a refusé à tort la tenue d’une seconde audition afin d’entendre Intel sur la communication des griefs complémentaire de 2008 (voir point 9 ci-dessus) et sur la lettre factuelle (voir point 13 ci-dessus), bien que ces documents aient fait état de toutes nouvelles allégations concernant, notamment, les rabais conditionnels et les restrictions non déguisées, impliquant Lenovo, et l’octroi de rabais à MSH.

323    Conformément à l’article 10, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 [CE] (JO L 123, p. 18), lors de la notification de la communication des griefs, la Commission donne aux parties concernées la possibilité de l’informer par écrit de leur point de vue dans un délai qu’elle fixe. La Commission n’est pas tenue de prendre en considération les observations écrites reçues après l’expiration de ce délai.

324    Conformément à l’article 12 du règlement n° 773/2004, la Commission donne aux parties auxquelles elle a adressé une communication des griefs l’occasion de développer leurs arguments lors d’une audition, si elles en font la demande dans leurs observations écrites.

325    En ce qui concerne la communication des griefs complémentaire de 2008, il est constant entre les parties que la requérante avait, en principe, droit à une seconde audition en vertu des dispositions susmentionnées. La Commission a reconnu l’existence de ce droit dans la lettre d’accompagnement de la communication des griefs complémentaire de 2008. Toutefois, force est de constater que la requérante n’a pas demandé la tenue d’une seconde audition en temps utile. En effet, dans la communication des griefs complémentaire de 2008, la Commission avait d’abord accordé à la requérante un délai de huit semaines pour présenter ses observations. Le 15 septembre 2008, ce délai a été prorogé jusqu’au 17 octobre 2008 par le conseiller-auditeur (voir point 10 ci-dessus). La requérante n’a pas répondu à la communication des griefs complémentaire de 2008 dans ce dernier délai, s’abstenant en même temps de demander une seconde audition. Par conséquent, elle était forclose en ce qui concerne son droit à une seconde audition.

326    Cette conclusion, qui découle déjà du libellé de l’article 10, paragraphe 2, et de l’article 12 du règlement n° 773/2004, est confirmée par l’objet même de ces dispositions. L’obligation, sous peine de forclusion, pour le destinataire d’une communication des griefs, de demander une audition dans le délai fixé par la Commission se justifie par des raisons d’économie de la procédure. En effet, la préparation d’une audition implique un effort de coordination non négligeable de la part de la Commission en raison du fait qu’à une audition assistent non seulement le destinataire de la communication des griefs et les services de la Commission, mais, le cas échéant, également des tiers et des représentants des États membres. En outre, la Commission doit disposer de suffisamment de temps pour pouvoir prendre en considération les observations faites lors d’une audition dans une décision finale.

327    S’agissant, ensuite, de la lettre factuelle, force est de constater que le droit à une audition prévu par l’article 12 du règlement n° 773/2004 n’existe qu’à la suite de l’émission, par la Commission, d’une communication des griefs. La requérante n’avait donc aucun droit à une audition en ce qui concerne la lettre factuelle. En tout état de cause, il convient de constater que, également en ce qui concerne cette lettre, la requérante n’a pas demandé d’audition en temps utile, étant donné qu’elle n’a pas répondu à cette lettre dans le délai fixé au 23 janvier 2009.

328    Par conséquent, la Commission a, à bon droit, refusé la tenue d’une audition en ce qui concerne tant la communication des griefs complémentaire de 2008 que la lettre factuelle. Les arguments de la requérante et de l’ACT ne sont pas susceptibles de remettre en cause cette conclusion.

329    Premièrement, la requérante fait valoir que, dans sa lettre du 2 février 2009 (voir point 15 ci-dessus), la Commission a expressément accepté de prendre en considération les observations écrites de la requérante sur la communication des griefs complémentaire de 2008 et la lettre factuelle, sous réserve qu’elles fussent communiquées avant le 5 février 2009. Selon la requérante, la Commission aurait ainsi prorogé le délai pour le dépôt d’une demande d’audition jusqu’au 5 février 2009.

330    Cette affirmation doit être rejetée. La Commission relève à juste titre que, au cours de la procédure administrative, tout comme dans la décision attaquée, elle a exclu explicitement d’accepter le mémoire tardif d’Intel comme une réponse formulée en temps utile, de même qu’elle a exclu que l’on puisse interpréter la prise en compte de ces observations comme une prorogation du délai. En effet, notamment dans la lettre du 2 février 2009, sur laquelle la requérante s’appuie pour fonder son argumentation, la Commission a constaté qu’elle n’était pas tenue de faire droit à une demande d’audition déposée hors délai et que ses services considéraient que le bon déroulement de la procédure administrative ne nécessitait pas l’organisation d’une audition. Contrairement à ce que prétend la requérante, dans la lettre du 2 février 2009, la Commission n’a donc pas prorogé le délai pour le dépôt d’une demande d’audition jusqu’au 5 février 2009.

331    Deuxièmement, la requérante soutient qu’elle n’a pas adressé sa réponse à la communication des griefs complémentaire de 2008 et à la lettre factuelle avant le 5 février 2009, parce qu’elle introduisait alors un recours auprès du Tribunal afin d’obtenir l’annulation de la décision du conseiller-auditeur du 15 septembre 2008 et l’édiction d’une ordonnance provisoire visant à suspendre l’expiration du délai fixé.

332    Or, force est de constater que la requérante aurait pu soumettre à la Commission, à titre conservatoire, ses observations sur la communication des griefs complémentaire de 2008, tout en exerçant son droit d’accès au Tribunal. Comme le président du Tribunal l’a relevé dans l’ordonnance Intel/Commission, point 14 supra (point 87), la requérante n’était nullement empêchée, par l’introduction de son recours en annulation et de sa demande en référé, de préparer et de déposer, en temps utile, sa réponse à la communication des griefs complémentaire de 2008 sur la base des éléments dont elle disposait, à tout le moins à titre conservatoire, et ce d’autant plus qu’elle avait obtenu, de la part du conseiller-auditeur, une prorogation de délai de quatre semaines. En tout état de cause, Intel aurait pu demander une audition dans le délai fixé par le conseiller-auditeur, c’est-à-dire avant le 17 octobre 2008, puisque cette demande ne dépendait pas d’informations supplémentaires.

333    Le même raisonnement s’applique également en ce qui concerne la lettre factuelle, sans préjudice du fait que l’article 12 du règlement n° 773/2004 ne prévoit pas d’audition à la suite de l’envoi d’une lettre factuelle (voir point 327 ci-dessus). La requérante n’a été empêchée de demander une audition en temps utile ni par son recours en annulation ni par sa demande en référé.

334    Troisièmement, il est vrai que, dans les conditions prévues à l’article 10, paragraphe 2, et à l’article 12 du règlement n° 773/2004, la Commission ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire concernant le droit à une audition. L’article 12 du règlement n° 773/2004 dispose que la Commission « donne » aux parties auxquelles elle a adressé une communication des griefs l’occasion de développer leurs arguments lors d’une audition, si elles en font la demande dans leurs observations écrites. Toutefois, la requérante n’a pas soumis de demande en temps utile, de sorte que cette disposition n’est pas applicable.

335    Quatrièmement, la requérante avance que la décision du conseiller-auditeur du 17 février 2009, par laquelle celui-ci a rejeté une nouvelle demande de la requérante pour obtenir une audition sur la communication des griefs complémentaire de 2008, est déraisonnable et disproportionnée.

336    À cet égard, il doit être rappelé que la requérante n’a pas demandé la tenue d’une audition sur la communication des griefs complémentaire de 2008 en temps utile. Or, comme le conseiller-auditeur l’a souligné à juste titre, dans sa décision du 17 février 2009, un droit subjectif à la tenue d’une audition existe jusqu’à la fin du délai accordé pour répondre à la communication des griefs. Après l’expiration de ce délai, aucune obligation d’organiser une audition n’incombe à la Commission.

337    En admettant que le conseiller-auditeur possédait néanmoins un pouvoir discrétionnaire pour accorder une audition, la Commission n’a donc pas méconnu l’article 12 du règlement n° 773/2004, mais a interprété ledit règlement de manière favorable à la requérante. Au demeurant, le conseiller-auditeur a exposé les motifs de son refus d’accorder une seconde audition de manière détaillée dans sa lettre du 17 février 2009. La requérante se borne, à cet égard, à avancer que la tenue d’une audition n’aurait pas porté préjudice à la Commission, étant donné que, selon la requérante, le retard dans le déroulement de la procédure administrative en raison d’une seconde audition aurait été « minime ». Or, force est de constater que le conseiller-auditeur n’a commis aucune erreur en constatant, en substance, qu’un retard indu dans le déroulement de la procédure administrative aurait risqué de porter préjudice non seulement aux droits des parties tierces intéressées par la procédure concernant la requérante, mais également aux droits d’autres parties dans des procédures parallèles, qui avaient demandé des auditions en temps utile.

338    Cinquièmement, l’ACT soutient, en substance, que, en dépit du fait que l’article 12 du règlement n° 773/2004 ne prévoit la tenue d’une audition qu’à la suite de l’émission, par la Commission, d’une communication des griefs, la Commission était toutefois tenue d’accorder une audition à la suite de l’envoi de la lettre factuelle en raison du droit fondamental de la requérante au respect de ses droits de la défense. Cet argument ne saurait convaincre. Tout d’abord, il y a lieu d’observer que le chapitre V du règlement n° 773/2004, intitulé « Exercice du droit d’être entendu », qui comporte les dispositions de l’article 10, paragraphe 2, et de l’article 12 dudit règlement, constitue une concrétisation des droits de la défense de la requérante. Ni la requérante ni l’ACT n’ont avancé d’arguments concernant une éventuelle illégalité de ces dispositions. Pour autant que l’ACT avance que la Commission ne saurait invoquer des limitations qu’elle fixe elle-même dans ses propres règlements pour justifier une violation du droit fondamental d’une partie à être entendue, force est de constater que, conformément à l’article 33, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1/2003, la Commission est autorisée à arrêter les modalités des auditions. Ensuite, il convient de noter, à titre surabondant, que, même en supposant que les droits de la défense puissent, dans des circonstances particulières, imposer à la Commission la tenue d’une audition à la suite de l’envoi d’une lettre factuelle, il n’en reste pas moins que ce droit hypothétique ne serait pas illimité. Il pourrait être restreint par la Commission par la fixation de délais pour le dépôt d’une demande d’audition. Or, dans le cas d’espèce, la requérante n’a pas répondu à la lettre factuelle en temps utile (voir point 327 ci-dessus).

339    Il résulte de tout ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur de droit et sans méconnaître les dispositions du règlement n° 773/2004 que la Commission a pu refuser la tenue d’une audition afin d’entendre Intel sur la communication des griefs complémentaire de 2008 et la lettre factuelle.

2.     Sur le refus de la Commission de se procurer certains documents d’AMD

a)     Antécédents du litige et positions des parties

340    Le 21 mai 2008, à la suite d’une publication en ligne des mémoires préparatoires rédigés par la requérante et AMD dans le cadre de la procédure les opposant dans l’État du Delaware (voir point 11 ci-dessus), la Commission a demandé tant à la requérante qu’à AMD de lui faire parvenir tous les documents rédigés ou reçus par ces dernières et qui étaient cités dans leurs mémoires préparatoires respectifs.

341    Par lettre du 6 août 2008, la requérante a indiqué qu’elle estimait que l’enquête menée par la Commission était incomplète. Elle a invité la Commission à demander à AMD de produire tous les documents pertinents au regard des allégations contenues dans la communication des griefs complémentaire de 2008. En outre, elle a souligné qu’une ordonnance conservatoire (protective order) du tribunal saisi de l’affaire dans l’État du Delaware du 26 septembre 2006 (ci-après « l’ordonnance conservatoire ») l’empêchait d’utiliser les documents produits par AMD dans le cadre de la procédure dans l’État du Delaware en dehors cette procédure.

342    En annexe à une lettre du 4 septembre 2008, la requérante a envoyé à la Commission une liste de 87 points, correspondant à des documents ou à des catégories de documents qu’elle invitait la Commission à se procurer auprès d’AMD (ci-après la « Liste »).

343    Par lettre du 6 octobre 2008, la Commission a indiqué à la requérante qu’elle avait décidé de demander à AMD la production des documents en cause pour autant qu’ils étaient décrits dans la Liste d’une manière qui permettait de les identifier de manière précise et elle a envoyé à la requérante une liste indiquant les sept documents qu’elle avait demandé à AMD de lui faire parvenir.

344    Aux considérants 61 à 74 de la décision attaquée, la Commission explique pourquoi elle ne s’estimait pas obligée de se procurer les autres documents répertoriés dans la Liste, en soulignant que la demande de la requérante n’était pas suffisamment précise, qu’elle était disproportionnée, que la requérante n’avait pas établi avoir épuisé tous les moyens à sa disposition afin de fournir davantage de documents de la procédure dans l’État du Delaware à la Commission et que les documents que la requérante avait invité la Commission à se procurer n’étaient pas à décharge.

345    La requérante estime que les documents qu’elle avait invité la Commission à se procurer auprès d’AMD revêtaient un intérêt particulier pour sa défense pour démontrer notamment que, même en l’absence du comportement qui lui était reproché, les OEM n’auraient pas acheté davantage de CPU AMD et qu’AMD était confrontée à des contraintes de capacité de production. En refusant de se procurer ces documents supplémentaires auprès d’AMD, la Commission n’aurait pas analysé des éléments de preuve pertinents et aurait violé une obligation procédurale substantielle. Ainsi, la Commission aurait violé les droits de la défense d’Intel.

346    La requérante soutient que les sept documents que la Commission a demandé à AMD de lui fournir n’étaient pas les seuls clairement identifiés dans la Liste. En réponse à une question écrite posée par le Tribunal, elle a en outre fait valoir qu’elle n’aurait pas été en mesure d’identifier les documents en cause de manière plus précise qu’elle l’avait fait dans la Liste sans enfreindre l’ordonnance conservatoire.

347    La Commission rétorque que la demande de la requérante ne reposait sur aucune base juridique, car les documents en cause ne figuraient pas au dossier d’instruction.

348    Par ailleurs, les éléments avancés par la requérante n’auraient pas pu la disculper. Il ne serait nécessaire de prouver, pour établir l’illégalité du comportement d’Intel, ni l’éviction effective de la concurrence, ni les limitations d’AMD sur le plan des capacités, ni les performances commerciales ou techniques d’AMD, ni un éventuel préjudice pour les consommateurs.

b)     Sur les conditions dans lesquelles la Commission peut être obligée de se procurer certains documents

 1) Jurisprudence existante

349    La requérante s’appuie sur la jurisprudence concernant l’accès au dossier, selon laquelle il n’appartient pas à la seule Commission de décider quels sont les documents utiles à la défense des entreprises impliquées dans une procédure d’infraction aux règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T‑30/91, Rec. p. II‑1775, ci-après l’« arrêt Solvay », point 81).

350    Selon une jurisprudence constante, le droit d’accès au dossier, corollaire du principe des droits de la défense, implique que la Commission doit donner à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C‑199/99 P, Rec. p. I‑11177, points 125 à 128, et arrêt Solvay, point 349 supra, point 81).

351    Il convient toutefois de souligner que cette jurisprudence concerne le droit d’accès aux documents faisant partie du dossier d’instruction de la Commission. Certes, il résulte clairement de la jurisprudence que la Commission est obligée d’accorder aux parties l’accès à la totalité des documents se trouvant dans le dossier administratif, à l’exception des documents internes ou confidentiels, et que la Commission n’est pas autorisée à examiner à elle seule quels sont les documents pouvant être utiles à la défense des entreprises. Toutefois, l’obligation d’accorder l’accès à tous les documents figurant dans le dossier administratif ne signifie pas que la Commission est obligée de se procurer tout type de documents qui pourrait potentiellement être à décharge.

352    La jurisprudence s’est déjà prononcée quant aux conditions d’accès à des documents qui sont en la possession de la Commission, mais qui ne font pas partie du dossier d’instruction proprement dit. Ainsi, en ce qui concerne les réponses à la communication des griefs par les autres parties à une procédure, il résulte de la jurisprudence que, s’agissant de documents ne faisant pas partie du dossier constitué au moment de la notification de la communication des griefs, la Commission n’est tenue de divulguer lesdites réponses à d’autres parties concernées que s’il s’avère qu’elles contiennent de nouveaux éléments à charge ou à décharge (arrêt du Tribunal du 16 juin 2011, Heineken Nederland et Heineken/Commission, T‑240/07, Rec. p. II‑3355, point 242) ou si ces réponses sont indispensables afin de mettre la requérante en mesure de contester les chiffres utilisés par la Commission dans la communication des griefs (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 juin 2011, Ziegler/Commission, T‑199/08, Rec. p. II‑3507, point 118).

353    Dans ce cadre, la jurisprudence a eu l’occasion de préciser que la considération résultant de l’arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 126), selon laquelle il ne saurait appartenir à la seule Commission de déterminer les documents utiles à la défense de l’entreprise concernée est relative aux documents relevant du dossier de la Commission et ne saurait s’appliquer à des réponses données par d’autres parties concernées aux griefs communiqués par la Commission (arrêt Heineken Nederland et Heineken/Commission, point 352 supra, point 254).

354    Dans l’arrêt du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission (T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491), invoqué par la requérante, le Tribunal a examiné toute une série d’arguments tirés de ce que la Commission n’avait pas accordé l’accès à des documents qui auraient, selon les entreprises concernées, été utiles pour la préparation de leur défense au cours de la procédure administrative. Il s’agissait, outre les réponses à la communication des griefs d’autres destinataires de celle-ci, des procès-verbaux des auditions relatives aux ententes nationales, d’un dossier de la Commission relatif à la notification d’un certain système, du dossier de la Commission relatif à certaines aides d’État, de quelques notes internes de la Commission et des mémoires en défense dans les autres affaires concernant le même cartel (point 380 de cet arrêt). Il s’agissait de documents qui, bien que ne faisant pas partie du dossier d’instruction, étaient en la possession de la Commission.

355    La présente situation se distingue toutefois de celle à la base de la jurisprudence citée aux points 349 à 354 ci-dessus. En effet, en l’espèce, il s’agit de documents qui n’étaient même pas en la possession de la Commission. La question soulevée ne concerne donc pas l’étendue du droit d’accès au dossier.

356    La requérante fait valoir que le raisonnement suivi par la jurisprudence concernant le droit d’accès à des documents à décharge déjà versés au dossier d’instruction doit s’appliquer a fortiori quand la Commission ne s’est pas seulement abstenue de communiquer, mais s’est même abstenue de se procurer des documents à décharge pertinents. La logique de cette argumentation semble être que, s’il ne peut être accepté que seule la Commission vérifie quels documents contenus dans le dossier peuvent être utiles à la défense des entreprises concernées, la situation serait encore plus grave si certains documents ne figurent pas du tout dans le dossier, de sorte que même la Commission n’est pas en mesure de vérifier s’ils contiennent des éléments à décharge.

357    Cette argumentation ne saurait convaincre. En effet, une telle logique ne prend pas en compte le fait que l’idée à la base de la jurisprudence quant au droit d’accès au dossier complet est celle que l’égalité des armes exige que l’entreprise concernée ait une connaissance du dossier utilisé dans la procédure égale à celle dont dispose la Commission (voir, en ce sens, arrêt Solvay, point 349 supra, point 83). S’agissant des documents que la Commission n’a elle-même pas en sa possession, il n’y a aucun risque que cette dernière s’appuie sur des éléments à charge figurant dans ces documents et omette de prendre suffisamment en compte les éléments à décharge. La disparité relevée au point 83 de l’arrêt Solvay, point 349 supra, à savoir que la Commission a pu décider seule d’utiliser ou non des documents contre la requérante, alors que la requérante n’y avait pas eu accès et n’avait donc pas pu prendre la décision correspondante de les utiliser ou non pour sa défense, n’existe pas en l’espèce. Ne se pose donc pas le même problème d’égalité des armes que dans le cas de documents figurant dans le dossier administratif de la Commission.

358    La question qui se pose en l’espèce est en réalité celle du respect par la Commission de son obligation d’instruire le dossier avec diligence et impartialité.

359    À cet égard, il convient d’observer que, parmi les garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives, figure notamment le principe de bonne administration, consacrée par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux, auquel se rattache l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 404, et la jurisprudence citée).

360    Il convient cependant de relever que, en principe, il appartient à la Commission de décider de la manière dont elle souhaite mener l’instruction dans une affaire de concurrence et de décider quels documents elle doit recueillir afin d’avoir une image suffisamment complète de l’affaire.

361    Il n’y a pas lieu d’imposer à la Commission une obligation de se procurer un maximum de documents afin de s’assurer d’obtenir tout élément potentiel à décharge. En effet, mis à part le fait que les ressources de la Commission sont limitées, il serait impossible pour la Commission de s’assurer qu’aucun élément potentiel à décharge ne lui échappe.

362    Si une entreprise faisant l’objet d’une procédure pouvant aboutir à l’imposition d’une amende pour violation du droit de la concurrence demande à la Commission de se procurer certains documents, il appartient à la Commission d’examiner cette demande. Elle dispose d’une marge d’appréciation pour trancher la question de savoir s’il convient de se procurer les documents en question. Les parties à une procédure ne disposent pas d’un droit inconditionnel à ce que la Commission se procure certains documents, car il appartient à cette dernière de décider la manière dont elle mène l’instruction d’une affaire.

363    À cet égard, il résulte de la jurisprudence que l’on ne saurait exiger de la Commission qu’elle effectue des enquêtes supplémentaires, lorsqu’elle estime que l’instruction de l’affaire a été suffisante (arrêts de la Cour du 16 mai 1984, Eisen und Metall/Commission, 9/83, Rec. p. 2071, point 32, et du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 110).

364    Cela n’exclut pas que, dans certaines circonstances, il puisse exister une obligation pour la Commission d’instruire un certain aspect du dossier.

365    Ainsi, dans l’arrêt Thyssen Stahl/Commission, point 363 supra, le Tribunal a constaté au point 97 qu’il découlait des principes de bonne administration et d’égalité des armes que la Commission avait l’obligation d’instruire de façon sérieuse les allégations de la requérante selon lesquelles les fonctionnaires relevant d’une autre direction générale de la Commission l’avaient incitée à mettre en œuvre les pratiques qui lui ont été reprochées dans la décision, tout en précisant qu’il appartenait à la Commission et non aux requérantes de décider de la manière de procéder à une telle instruction. Le Tribunal s’est fondé sur les circonstances selon lesquelles, d’une part, la Commission s’était trouvée confrontée à des allégations qui avaient une importance certaine pour la défense des entreprises concernées et, d’autre part, la Commission était dans une position privilégiée pour en établir la véracité ou la fausseté, car il s’agissait du comportement de ses propres services (arrêt Thyssen Stahl/Commission, point 363 supra, point 96). Il y a lieu de souligner que cet arrêt a uniquement constaté que la Commission était obligée d’instruire un certain aspect du dossier en menant une enquête interne. Cet arrêt ne concernait pas une obligation pour la Commission de se procurer certains documents.

366    Il résulte de la jurisprudence citée aux points 363 et 365 ci-dessus que la Commission a la maîtrise de l’enquête. Premièrement, elle peut, en principe, décider à quel moment l’instruction de l’affaire a été suffisante. Deuxièmement, même dans une situation dans laquelle la Commission a l’obligation d’instruire un certain aspect du dossier, il lui appartient de décider de la manière de procéder à une telle instruction (voir, en ce sens, arrêt Thyssen Stahl/Commission, point 363 supra, point 97).

367    La requérante invoque également au soutien de son argumentation l’arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Avebe/Commission (T‑314/01, Rec. p. II‑3085).

368    Il résulte du point 70 de l’arrêt cité au point précédent que, dans l’affaire en cause, Avebe a soumis un échange de correspondance entre ses conseils et les services du Department of Justice des États-Unis dont il ressortait qu’Avebe avait tenté à plusieurs reprises d’obtenir auprès de ceux-ci copie d’une prétendue déclaration d’une autre entreprise devant les autorités américaines qui, selon Avebe, était à sa décharge. Avebe avait désiré la soumettre à la Commission dans le cadre de la procédure administrative. Toutefois, selon cet échange de correspondance, ces services ont rejeté ces demandes en indiquant que, le cas échéant, ils seraient disposés à fournir le document en question à la Commission si celle-ci devait présenter une telle requête.

369    Dans cet arrêt, le Tribunal a rejeté l’argumentation d’Avebe selon laquelle la Commission était tenue de se procurer copie du document en cause auprès des autorités compétentes des États-Unis, en se fondant sur la circonstance qu’Avebe n’avait pas formulé, lors de la procédure administrative, une demande expresse à la Commission de se procurer ce document (point 72 de cet arrêt). Le Tribunal a expressément constaté, au point 71 de cet arrêt, qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si la Commission devait prendre des mesures appropriées afin de se procurer copie de la prétendue déclaration devant les autorités américaines.

370    Le Tribunal n’a donc, dans cet arrêt, pas défini les conditions dans lesquelles la Commission pouvait être tenue de se procurer certains documents auprès d’un tiers. Il pouvait se limiter à définir une seule condition tenant en l’occurrence à l’existence d’une demande expresse en ce sens lors de la procédure administrative, cette condition n’ayant en tout état de cause pas été remplie dans l’affaire concernée.

 2) Définition des conditions

371    Il y a lieu de relever que, dans certaines circonstances, il peut exister une obligation pour la Commission de se procurer certains documents à la demande d’une entreprise visée par une enquête. Une telle obligation pour la Commission doit toutefois être limitée à des circonstances exceptionnelles, car, en principe, il appartient à la Commission et non aux entreprises concernées de décider de la manière dont celle-ci mène l’instruction d’une affaire.

372    Lorsqu’une entreprise visée par une enquête a eu connaissance de l’existence d’un document à décharge, mais qu’elle ne peut pas se le procurer elle-même ou qu’elle est empêchée de le soumettre à la Commission, alors que cette dernière peut se procurer ce document et l’utiliser, il est possible dans certaines circonstances que la Commission soit obligée de se procurer ce document à la suite d’une demande expresse en ce sens de la part de l’entreprise concernée. En effet, il appartient à la Commission de mener une enquête de manière diligente et impartiale, de sorte qu’elle ne saurait se limiter à recueillir des documents à charge en fermant les yeux sur l’existence d’éléments à décharge.

373    Pourtant, il est nécessaire de mettre en balance l’obligation de la Commission d’instruire une affaire avec diligence et impartialité, d’une part, et la prérogative de la Commission de décider de la manière dont elle souhaite mener ses instructions et déployer ses ressources afin d’assurer de manière efficace le respect du droit de la concurrence, d’autre part.

374    Une obligation pour la Commission de se procurer certains documents à la demande d’une entreprise doit donc être soumise, outre la condition d’une demande en ce sens lors de la procédure administrative (voir les points 369 et 370 ci-dessus), au moins aux conditions cumulatives définies aux points 375 à 382 ci-après.

375    Une telle obligation est, tout d’abord, soumise à la condition qu’il soit effectivement impossible pour l’entreprise concernée de se procurer elle-même les documents en question ou de les divulguer à la Commission. En effet, étant donné que la Commission a la maîtrise de ses enquêtes, une telle obligation doit être limitée à des cas exceptionnels, dans lesquels l’entreprise visée par l’enquête est confrontée à un obstacle qu’elle ne peut contourner seule, car elle a connaissance de l’existence d’un élément à décharge, mais ne peut pas l’obtenir ou le divulguer à la Commission.

376    Il appartient donc à l’entreprise concernée d’établir qu’elle a entrepris toutes les démarches afin de se procurer les documents en cause et/ou d’obtenir la permission de les utiliser dans l’enquête de la Commission.

377    En outre, il lui appartient d’identifier les documents qu’elle demande à la Commission d’obtenir de manière aussi précise qu’il lui est possible. En effet, le fait d’établir de manière exceptionnelle une obligation pour la Commission de se procurer certains documents à la demande d’une entreprise visée par une enquête présuppose une coopération de la part de cette entreprise.

378    Ensuite, une obligation pour la Commission de se procurer certains documents à la demande d’une entreprise visée par une enquête est soumise à la condition que les documents en cause revêtent probablement une importance considérable pour la défense de l’entreprise concernée.

379    À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il appartient en principe à la Commission de décider quand son dossier est suffisamment complet pour adopter sa décision finale (voir, en ce sens, arrêts Eisen und Metall/Commission, point 363 supra, point 32, et Thyssen Stahl/Commission, point 363 supra, point 110). Le seul fait que certains documents soient susceptibles de contenir des éléments à décharge ne suffit pas pour établir une obligation pesant sur la Commission de les obtenir à la demande d’une partie concernée par l’enquête. Dès lors que la Commission estime que l’instruction de l’affaire a été suffisante, elle n’est pas tenue de poursuivre l’enquête afin d’obtenir une image encore plus complète de l’affaire. En effet, dans les enquêtes concernant des infractions au droit de la concurrence, il existe souvent une quantité extrèmement importante de documents qui peuvent potentiellement contenir des éléments à décharge et il est toujours possible d’éclairer encore davantage certains aspects d’un dossier, mais les ressources de la Commission sont limitées.

380    La Commission dispose d’une marge d’appréciation afin de décider si l’importance de prétendus éléments à décharge justifie qu’elle se les procure et elle peut, par exemple, rejeter une demande au motif que les éléments potentiellement à décharge concernent des questions qui ne sont pas au centre des constatations nécessaires pour établir une infraction.

381    Il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel, dans ses conclusions sous l’arrêt de la Cour du 19 mai 1994, SEP/Commission (C‑36/92 P, Rec. p. I‑1911, I‑1914, point 21), l’avocat général M. Jacobs aurait décrit le critère correct comme étant la question de savoir si « la Commission [peut] raisonnablement supposer, au moment de la demande, que le document l’aidera à déterminer l’existence de l’infraction alléguée ». En effet, ce passage concerne les conditions dans lesquelles la Commission est en droit de demander la communication d’un document et non la question très différente de savoir dans quelles conditions la Commission est obligée de se procurer certains documents.

382    Enfin, il y a lieu de relever que la Commission peut notamment rejeter une demande si le volume des documents en cause est disproportionné par rapport à l’importance que les documents peuvent avoir dans le cadre de l’enquête. Dans ce cadre, il est loisible à la Commission de prendre en considération, le cas échéant, le fait que l’obtention et l’analyse des documents en cause peuvent retarder de manière substantielle l’instruction de l’affaire. La Commission est en droit de mettre en balance le volume des documents sollicités et le retard que l’obtention et l’étude de ces documents pourront occasionner pour l’instruction de l’affaire, d’une part, et le degré de pertinence potentiel pour la défense de l’entreprise, d’autre part.

c)     Examen des conditions dans le cas d’espèce

383    Il convient d’examiner si les conditions cumulatives telles que définies ci-dessus sont remplies en l’espèce pour les documents qui avaient été produits par AMD dans le cadre de la procédure dans l’État du Delaware et qui étaient identifiés dans la Liste mentionnée au point 342 ci-dessus (ci-après les « documents AMD du Delaware »).

 1) Sur l’obligation d’Intel d’entreprendre toutes les mesures afin d’obtenir la permission d’utiliser les documents AMD du Delaware dans l’enquête de la Commission


 1.1) Sur la décision attaquée et les arguments des parties

384    Au considérant 67 de la décision attaquée, la Commission observe que la requérante n’a pas établi avoir épuisé tous les moyens à sa disposition afin de lui fournir plus de documents provenant de la procédure dans l’État du Delaware, la requérante ayant pourtant pu lui fournir rapidement des documents produits par Dell dans le cadre de ladite procédure.

385    Dans le mémoire en défense, la Commission fait valoir que la requérante était elle-même en position d’obtenir l’autorisation d’utiliser les documents AMD du Delaware dans le cadre de la procédure en cours devant elle.

386    La Commission souligne en outre que l’ordonnance conservatoire se fonde sur un accord de confidentialité conclu entre la requérante et AMD et accepté par la requérante dans son propre intérêt. Elle relève que, au titre de l’ordonnance conservatoire, toutes les informations produites par AMD et la requérante dans la procédure dans l’État du Delaware ont été a priori classées comme confidentielles, mais sans préjudice du droit des parties d’obtenir le consentement que lesdits documents soient « utilisés à toute fin légale ». Elle souligne que, conformément au point 16 de l’ordonnance conservatoire, Intel aurait pu demander à AMD l’autorisation de divulguer à la Commission les documents qu’AMD avait produits dans le cadre de la procédure dans l’État du Delaware, le tribunal américain jouant un rôle d’arbitre en cas de refus d’AMD. La Commission fait valoir que, à partir du 26 septembre 2006, à savoir la date de l’ordonnance conservatoire, la requérante disposait d’un mécanisme afin d’obtenir l’autorisation d’utiliser les documents AMD du Delaware dans le cadre de la procédure administrative de la Commission, mais que la requérante n’a même pas tenté d’introduire une telle demande.

387    En outre, selon la Commission, AMD aurait été favorable à une demande d’autorisation d’Intel aux fins d’utiliser les documents AMD du Delaware au cours de l’enquête de la Commission, car cela aurait permis à AMD de demander une autorisation réciproque concernant des documents d’Intel qui auraient pu étayer sa propre plainte.

388    En réponse à cette argumentation, la requérante fait valoir qu’il est exclu qu’AMD, son adversaire dans la procédure dans l’État du Delaware et plaignante devant la Commission, eût donné son accord pour assister Intel dans la procédure devant la Commission, alors que le procès dans l’État du Delaware était encore en cours, et qu’une demande auprès du tribunal du Delaware de lever la qualification de ces documents comme confidentiels n’aurait eu aucune chance de succès. En outre, la requérante soutient que, en l’absence d’une disposition légale exigeant l’épuisement des voies de recours administratives, imposer une telle exigence limiterait de manière inappropriée les droits de la défense, et elle cite à cet égard les conclusions de l’avocat général M. Mazák sous l’arrêt de la Cour du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission (C‑407/08 P, Rec. p. I‑6375, I‑6380, point 38).

389    Dans le cadre des réponses aux questions écrites posées par le Tribunal, la requérante a en outre fait valoir qu’AMD n’avait pas d’intérêt à la réciprocité avant l’adoption de la décision attaquée, car le dossier de la Commission contenait un grand nombre de documents d’Intel, mais très peu de documents d’AMD. La Commission n’apporterait aucune preuve contemporaine pour étayer son hypothèse selon laquelle AMD aurait été favorable à une demande d’Intel au cours de l’enquête, sous réserve de réciprocité.

 1.2) Appréciation du Tribunal

390    En l’espèce, la requérante n’a pas établi qu’il lui était impossible d’obtenir de la part d’AMD l’autorisation d’utiliser les documents AMD du Delaware.

391    Tout d’abord, il y a lieu de souligner que, en réponse à une question du Tribunal posée lors de l’audience, la requérante a admis qu’elle n’avait pas demandé à AMD de lui accorder une telle autorisation.

392    Pourtant, il n’était nullement exclu qu’AMD lui eût accordé une telle autorisation, si la requérante le lui avait demandé. En effet, AMD était liée tout comme la requérante par l’ordonnance conservatoire et n’a pas pu fournir à la Commission les documents présentés par Intel dans le cadre de la procédure dans l’État du Delaware sans que leur statut de documents confidentiels eût été levé. Il est donc tout à fait possible qu’AMD aurait autorisé la requérante à utiliser les documents AMD du Delaware sous réserve que la requérante lui accorde l’autorisation réciproque d’utiliser les documents de la procédure dans l’État du Delaware provenant d’Intel dans le cadre de la procédure administrative de la Commission.

393    Il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel AMD n’avait pas d’intérêt à la réciprocité avant l’adoption de la décision attaquée, car le dossier de la Commission aurait contenu un grand nombre de documents d’Intel mais très peu de documents d’AMD.

394    Dans ce cadre, il convient de relever que, selon les propos d’Intel, cette dernière avait fourni l’équivalent électronique de plus de 145 millions de pages dans le cadre de la procédure dans l’État du Delaware. De toute évidence, la circonstance que le dossier administratif de la Commission contenait « un grand nombre » de documents d’Intel ne permet pas d’établir que, parmi les plus de 145 millions de pages fournies par Intel dans le cadre de la procédure dans l’État du Delaware, il n’existait pas de documents qu’AMD aurait souhaité invoquer en tant qu’éléments à charge.

395    À titre surabondant, il convient de relever que la requérante a indiqué, lors de l’audience, que, si elle avait demandé à AMD au cours de l’enquête de la Commission l’autorisation d’utiliser une catégorie pertinente de documents, AMD aurait de manière presque inévitable indiqué que, si Intel voulait certains documents d’AMD, cette dernière souhaitait alors produire pour le dossier de la Commission un grand nombre de documents additionnels pour étayer sa plainte. Cette déclaration n’est cependant pas en conformité avec l’affirmation de la requérante, dans le cadre des réponses aux questions écrites, selon laquelle AMD n’avait pas d’intérêt à la réciprocité avant l’adoption de la décision attaquée.

396    La requérante ne saurait pas davantage reprocher utilement à la Commission de n’avoir apporté aucune preuve contemporaine pour étayer son hypothèse selon laquelle AMD aurait été favorable à une demande d’Intel au cours de l’enquête, sous réserve de réciprocité. En effet, il n’appartient pas à la Commission d’établir qu’AMD aurait donné l’autorisation à Intel d’utiliser les documents AMD du Delaware, mais il appartient à la requérante d’établir qu’elle n’a pas pu obtenir cette autorisation, bien qu’elle eût entrepris toutes les démarches en ce sens.

397    Étant donné qu’il n’était pas exclu qu’AMD eût accordé à la requérante l’autorisation d’utiliser les documents AMD du Delaware, il appartenait à cette dernière de solliciter une telle autorisation. De toute évidence, la seule circonstance qu’AMD aurait pu demander une autorisation réciproque ne saurait exempter la requérante de cette obligation. La requérante reproche à la Commission d’avoir adopté la décision attaquée sur la base d’un dossier incomplet. À cet égard, il convient de relever que le dossier de la Commission aurait été encore plus complet s’il avait contenu, outre les documents AMD du Delaware dont la requérante estimait qu’ils étaient à décharge, les documents fournis par Intel dans le cadre de la procédure dans l’État du Delaware dont AMD estimait qu’ils étaient à charge. La requérante ne peut pas, d’une part, bénéficier de l’ordonnance conservatoire en ce sens qu’AMD ne peut pas fournir à la Commission d’éventuels documents à charge parmi les documents présentés par Intel dans le cadre de la procédure dans l’État du Delaware et, d’autre part, éviter de subir les désavantages de cette ordonnance en exigeant de la Commission qu’elle se procure auprès d’AMD les éventuels éléments à décharge parmi les documents qu’AMD avait produits dans le cadre de la procédure dans l’État du Delaware.

398    La requérante fait encore valoir que, en l’absence d’une disposition légale exigeant l’épuisement des voies de recours administratives, imposer une telle exigence limiterait de manière inappropriée les droits de la défense, et elle cite à cet égard les conclusions de l’avocat général M. Mazák sous l’arrêt Knauf Gips/Commission, point 388 supra (point 38).

399    Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Commission avait refusé à une requérante l’accès aux réponses à la communication des griefs d’autres parties à la procédure. Ladite requérante a fait valoir une violation du droit d’accès au dossier. La Commission a estimé que la requérante ne pouvait pas valablement faire valoir une violation de ses droits de la défense. À cet égard, la Commission s’est appuyée sur la circonstance que la requérante dans cette affaire n’avait pas épuisé les voies de recours à l’encontre du refus de lui accorder l’accès sollicité, car elle n’avait pas fait appel au conseiller-auditeur. L’avocat général M. Mazák a proposé de rejeter cette argumentation et il a considéré que, en l’absence d’une quelconque disposition légale imposant spécifiquement à une partie intéressée d’épuiser toutes les voies de recours dont elle dispose pendant la procédure administrative devant la Commission, imposer une telle condition limiterait indûment les droits de la défense de cette partie et la priverait d’un accès complet à la justice (conclusions de l’avocat général M. Mazák sous l’arrêt Knauf Gips/Commission, point 388 supra, point 38).

400    La Commission souligne que la position de l’avocat général M. Mazák a été contredite par une autre jurisprudence, à savoir l’arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission (T‑44/00, Rec. p. II‑2223, points 51 à 53).

401    En l’espèce, il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir s’il convient de suivre l’argumentation de l’avocat général M. Mazák. En effet, les faits à la base de la présente procédure sont différents de ceux à la base de l’affaire Knauf Gips. Dans cette dernière affaire, se posait la question de savoir si la requérante avait l’obligation d’épuiser les voies de recours dont elle disposait pendant la procédure administrative devant la Commission à l’encontre d’un refus de la Commission d’accorder l’accès à certains documents qu’elle avait en sa possession, à savoir les réponses d’autres parties à la communication des griefs.

402    En l’espèce, la question qui se pose n’est pas celle de l’épuisement des voies de recours contre une décision de la Commission, mais celle de savoir si une éventuelle obligation pour la Commission de se procurer les documents AMD du Delaware était conditionnée par des efforts de la requérante pour obtenir elle-même l’autorisation auprès d’AMD d’utiliser ces documents. Tel était effectivement le cas, car l’obligation pour la Commission de se procurer certains documents à la demande d’une entreprise visée par une enquête doit être limitée à des cas exceptionnels, et il est nécessaire que l’entreprise concernée soit dans l’impossibilité de divulguer elle-même lesdits documents à la Commission (voir point 375 ci-dessus).

403    Il convient de souligner qu’il n’est pas question ici de restreindre un droit dont dispose la requérante, en vertu de ses droits de la défense, en exigeant l’épuisement des voies de recours contre un refus de la Commission d’accorder ce droit. Il s’agit au contraire de définir l’étendue d’un éventuel droit de la requérante à ce que la Commission procède à des mesures d’instruction déterminées en se procurant certains documents.

404    Étant donné qu’il n’était pas exclu qu’AMD eût accordé à Intel l’autorisation de fournir les documents AMD du Delaware à la Commission, le cas échéant sous réserve de réciprocité, il appartenait à Intel d’essayer d’obtenir cette autorisation. Il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si, en plus, une demande de la part d’Intel de lever la confidentialité de ces documents auprès du tribunal du Delaware aurait eu une chance d’aboutir favorablement.

405    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’était pas obligée de se procurer les documents AMD du Delaware, car la requérante n’a pas établi qu’il lui était impossible d’obtenir de la part d’AMD l’autorisation d’utiliser ces documents.

 2) Sur l’importance des documents pour la défense de la requérante

406    Il résulte de la Liste que les documents ou les catégories de documents que la requérante a invité la Commission à se procurer concernent les contraintes de capacité d’AMD (points 1 à 9 de la Liste), ses manquements dans le processus d’exécution (points 10 à 33 et 85 de la Liste), sa stratégie de prix élevés en Europe (points 34 et 35 de la Liste), ses faibles performances techniques et commerciales et son manque de crédibilité comme fournisseur (points 36 à 57, 83 et 84 de la Liste), les pratiques courantes dans l’industrie (points 58 à 63 de la Liste), le fait qu’Intel et AMD se sont livrées concurrence (points 64 à 82 de la Liste) et des données concernant le test AEC (points 86 et 87 de la Liste).

407    Il convient de relever que des documents qui concernent les contraintes de capacité d’AMD, ses manquements dans le processus d’exécution, sa stratégie de prix élevés en Europe et ses faibles performances techniques et commerciales, tels qu’allégués par la requérante, auraient pu être pertinents pour démontrer que les clients de cette dernière avaient des motifs commerciaux valables de s’approvisionner auprès d’Intel plutôt que d’AMD. Il y a toutefois lieu de relever que l’existence de tels motifs commerciaux valables, à la supposer avérée, n’est pas de nature à permettre de réfuter les preuves invoquées dans la décision attaquée pour établir l’existence des rabais d’exclusivité et des restrictions non déguisées (voir points 540 à 543 et 1096 à 1101 ci-après). En outre, s’agissant de la qualification des pratiques dont fait état la décision attaquée d’abusives, force est de constater que la Commission n’est tenue de démontrer ni d’effets concrets de ces pratiques ni un lien de causalité entre celles-ci et les décisions commerciales des OEM (voir points 104 et 212 ci-dessus).

408    Par ailleurs, il convient de rappeler que le fait que d’autres motifs ont pu favoriser le choix de s’approvisionner de manière exclusive ou quasi exclusive auprès de la requérante n’exclut pas que les pratiques de cette dernière faisant l’objet de la décision attaquée aient pu également être prises en compte par les clients dans leur décision.

409    Il s’ensuit que, par rapport aux catégories de documents énumérés au point 407 ci-dessus, la condition selon laquelle il doit être probable que les documents que l’entreprise demande à la Commission de se procurer soient d’une importance considérable pour sa défense n’est pas remplie.

410    Dans ce cadre, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante tiré de ce qu’une entreprise visée par une enquête peut choisir elle-même la manière de se défendre. En effet, l’utilité pour la défense de l’entreprise doit être évaluée de manière objective et, si c’est à tort qu’une entreprise visée par une enquête estime que certains arguments sont très pertinents pour sa défense, la Commission ne saurait être obligée de se procurer des documents qui, selon cette entreprise, peuvent étayer ces arguments.

411    En ce qui concerne les pratiques courantes dans l’industrie alléguées par Intel, il convient de relever ce qui suit.

412    Les points 58 à 60 de la Liste concernent les pratiques courantes dans l’industrie relatives aux accords de support financier conclus entre des producteurs de CPU et des détaillants d’ordinateurs. À cet égard, il y a lieu de souligner que ce qui est reproché à Intel dans la décision attaquée n’est pas le fait d’avoir conclu avec MSH des accords de support financier, mais le fait que l’incitation financière était soumise à une condition d’exclusivité. Des documents démontrant que les accords de support financier sont courants dans l’industrie n’auraient donc pas été à décharge pour la requérante. Le fait que d’autres détaillants ont pu conclure des accords de support financier en même temps avec Intel et AMD n’aurait pas pu remettre en cause la circonstance que les éléments de preuve sur lesquels s’appuie la Commission dans la décision attaquée démontrent l’existence d’une condition d’exclusivité dans les accords conclus entre Intel et MSH (voir point 1487 ci-après).

413    Les points 61 à 63 de la Liste concernaient des documents qui étaient, selon l’indication figurant dans la rubrique « Pertinence des documents manquants pour la [communication des griefs de 2007/communication des griefs complémentaire de 2008] », pertinents au titre des tactiques agressives d’AMD qui étaient « révélatrices du climat concurrentiel acharné et qui contribu[aient] à clarifier le fait que les stratégies concurrentielles d’Intel relevaient d’une concurrence normale par les mérites dans un marché commercial fortement concurrentiel ». À cet égard, il y a lieu de relever que le fait que des tactiques agressives aient pu être normales dans l’industrie des CPU ne pourrait remettre en cause ni la preuve de l’existence des rabais d’exclusivité et des restrictions non déguisées ni leur qualification d’abusifs. Tel est également le cas de l’existence d’un « climat compétitif ». Ce fait pourrait tout au plus démontrer l’absence d’éviction réelle. En revanche, il ne saurait ni réfuter l’existence des pratiques mises en causes dans la décision attaquée, ni remettre en cause leur capacité de restreindre la concurrence.

414    En ce qui concerne le fait qu’Intel aurait fait face à la concurrence (points 64 à 82 de la Liste), il convient de relever ce qui suit.

415    Le point 64 de la Liste concerne la situation d’un OEM par rapport auquel aucune infraction n’a été retenue dans la décision attaquée. Les documents qui pourraient démontrer, selon la requérante, qu’AMD n’a pas été empêchée de livrer concurrence à Intel par rapport à cet OEM n’auraient donc pas pu être à décharge pour Intel.

416    Les points 65 à 71 de la Liste concernent des documents qui, selon la requérante, auraient été pertinents pour démontrer qu’« AMD et Intel se livraient concurrence du mieux qu’elles pouvaient pour faire des affaires avec Lenovo, ce qui démontre l’existence d’une concurrence normale par les mérites sur un marché fortement concurrentiel ». La requérante a demandé à la Commission de se procurer auprès d’AMD des documents concernant les offres qu’AMD avait soumises à Lenovo et concernant les négociations entre ces entreprises. À cet égard, il convient de relever que le fait qu’AMD ait également soumis des offres à Lenovo et qu’elle ait négocié avec celle-ci n’est de nature à remettre en cause ni la preuve de l’existence des pratiques d’Intel concernant Lenovo dont fait état la décision attaquée, ni leur capacité de restreindre la concurrence. En effet, le seul fait que Lenovo ait négocié avec AMD n’exclut ni que Lenovo ait reçue des incitations financières soumises aux conditions de reporter le lancement de produits équipés de CPU AMD et de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante ni que ces incitations aient eu une influence sur les décisions commerciales de Lenovo (voir les points 530 et 1089 ci-après).

417    Les points 72 à 82 de la Liste concernent des documents qui, selon la requérante, auraient été pertinents pour démontrer qu’« AMD et Intel se livraient concurrence pour faire des affaires avec MSH, AMD bénéficiant de conditions équivalentes pour rivaliser afin d’obtenir le marché si elle souhaitait le faire ». La requérante a demandé à la Commission de se procurer auprès d’AMD des documents concernant les offres d’AMD à la société allemande Media Markt de 2002 et 2004, relatifs à l’intérêt de MSH pour l’achat de produits équipés de CPU AMD et aux offres correspondantes d’AMD, ainsi que des documents relatifs aux offres d’AMD à d’autres détaillants. À cet égard, il y a lieu de constater que la circonstance qu’AMD a également fait des offres à Media Markt et la circonstance que MSH a considéré la possibilité d’acheter des produits équipés de CPU AMD ne remettent en cause ni la preuve de l’existence des pratiques d’Intel concernant MSH dont fait état la décision attaquée, ni leur capacité de restreindre la concurrence. En effet, le seul fait qu’AMD a fait des offres à Media Markt et que MSH a considéré la possibilité d’acheter des produits équipés de CPU AMD n’exclut ni que MSH ait reçu des incitations financières soumises à la condition qu’elle vende exclusivement des produits équipés de CPU Intel, ni que ces incitations aient eu une influence sur les décisions commerciales de MSH (voir points 530 et 1089 ci-après). Les offres faites par AMD à d’autres détaillants ne sauraient remettre en cause les conclusions de la décision attaquée pour les raisons exposées au point 412 ci-dessus.

418    Quant aux données concernant le test AEC (points 86 et 87 de la Liste), il suffit de rappeler l’absence de pertinence du test AEC en l’espèce (voir points 142 à 166 ci-dessus).

419    Il résulte de ce qui précède qu’aucun des documents ou des catégories de documents indiqués dans la Liste ne revêtait une importance telle pour la défense de la requérante que la Commission aurait pu être obligée de les obtenir.

420    La requérante s’appuie en outre sur des documents nouveaux qu’elle a produits, après le règlement de l’affaire dans l’État du Delaware entre elle-même et AMD, en annexe à la réplique et qu’elle a cités aux points 298 à 304 de celle-ci, lesdits documents étant selon la requérante à décharge. Ces documents ne sont pourtant pas susceptibles de remettre en cause le résultat auquel est parvenu la Commission, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur leur recevabilité, qui est contestée par la Commission.

421    À cet égard, il convient de relever que le critère d’appréciation n’est pas la question de savoir si certains des documents AMD du Delaware étaient à décharge, car la question qui se pose en l’espèce ne concerne pas un refus de donner accès au dossier, mais l’obligation pour la Commission de mener l’instruction de manière diligente et impartiale. L’existence d’une obligation pour la Commission de se procurer certains documents doit être examinée en fonction des conditions définies aux points 374 à 382 ci-dessus, notamment en fonction de la condition qu’il devait être probable, lors de la procédure administrative, que les documents en cause aient revêtu une importance considérable pour la défense de l’entreprise concernée.

422    À titre surabondant, il convient de relever ce qui suit quant au contenu de ces documents.

423    La requérante fait valoir qu’il résulte de ces documents, notamment, qu’AMD n’enregistrait pas de succès auprès de Dell, car cette dernière aurait été préoccupée par le fait qu’AMD n’avait pas tenu ses promesses en matière de performance, qu’AMD avait reconnu que Dell avait des raisons commerciales valables pour ne pas s’approvisionner auprès d’elle et que Dell a persisté à poursuivre des rapports avec AMD. À cet égard, il y a lieu de souligner que la circonstance selon laquelle Dell a pu avoir également d’autres motifs pour ne pas s’approvisionner auprès d’AMD n’exclut ni la preuve de l’existence des rabais d’exclusivité ni leur capacité de restreindre la concurrence (voir points 540 à 546 ci-après). De même, le fait que Dell ait poursuivi des rapports avec AMD et ait constamment évalué la possibilité de s’approvisionner auprès de celle-ci ne remet pas en cause l’existence d’un rabais d’exclusivité (voir point 530 ci-après).

424    La requérante fait également valoir qu’il résulte de l’un des documents en cause que le [confidentiel] de HP a indiqué à AMD que « les échecs [d’AMD auprès de HP] n’avaient rien à voir avec Intel ». À cet égard, il y a lieu de constater que la Commission a prouvé l’existence des rabais d’exclusivité et des restrictions non déguisées à suffisance de droit, ainsi qu’il résulte des points 673 à 873 ci-après. Le document cité par Intel peut seulement démontrer la circonstance que HP a nié, au cours d’une réunion avec AMD, que les échecs d’AMD auprès de HP aient eu un lien avec le comportement d’Intel. Cette circonstance ne peut pas remettre en cause les éléments de preuve qui démontrent clairement l’existence des rabais d’exclusivité et des restrictions non déguisées. Dans ce cadre, il convient de souligner que HP avait un intérêt à ne pas divulguer à AMD les conditions non écrites des accords entre elle et Intel.

425    De même, les réflexions internes d’AMD quant aux raisons de ses échecs ainsi que les courriels internes d’AMD concernant la qualité de ses produits et sa réputation ne peuvent pas remettre en cause l’existence des rabais d’exclusivité et des restrictions non déguisées. Ils pourraient tout au plus démontrer la circonstance que les clients ont pu avoir également d’autres motifs pour s’approvisionner auprès d’Intel.

 3) Sur la proportionnalité de la demande

426    Il convient de relever que la plupart des points dans la Liste ne concernent pas des documents précis, mais des catégories de documents.

427    La Commission souligne à juste titre que, si elle avait fait droit à la totalité de la demande de la requérante et demandé à AMD de fournir toutes les catégories de documents énumérées dans la Liste, AMD aurait pu fournir une quantité énorme de documents. Il convient de relever que, selon les propres dires de la requérante, AMD avait fourni environ 45 millions de pages de preuve dans le cadre de la procédure dans l’État du Delaware. Si la Commission lui avait demandé, par exemple, de fournir « tous les documents d’AMD relatifs aux contraintes de capacité d’AMD » (points 1 à 3 de la Liste), AMD aurait pu fournir une quantité potentiellement énorme de documents à la Commission. Il en va de même en ce qui concerne, par exemple, « tous les documents d’AMD en rapport avec les prévisions de vente et les chiffres de vente d’AMD » (points 6 à 9 de la Liste), « tous les documents d’AMD en rapport avec ses manquements en matière de livraison et de conception » (points 10 à 12, 16 à 24, 33 et 52 à 56 de la Liste), « tous les documents d’AMD en rapport avec ses performances et la perception de ses clients dans le segment entreprise » (points 13, 37 à 43 et 57 de la Liste) ou « dans le segment des portables » (points 48 à 49 et 51 de la Liste).

428    L’enquête de la Commission aurait pu être retardée de manière considérable si elle avait demandé la production de tous les documents inclus dans ces larges catégories, étudié les documents fournis, donné accès à ceux-ci à la requérante et recueilli les observations de celle-ci à leur sujet.

429    La Commission pouvait donc valablement considérer que la demande d’Intel, prise dans son ensemble, était disproportionnée par rapport à la valeur ajoutée potentielle que ces documents auraient pu apporter à ceux qui étaient déjà en sa possession.

430    La Commission pouvait également prendre en compte la circonstance que la procédure se trouvait à un stade avancé au moment où la requérante lui a demandé de se procurer des documents supplémentaires et que l’adoption de la décision attaquée risquait d’être retardée de manière considérable si elle avait fait droit à la demande de la requérante.

431    Ainsi que la Commission le souligne, l’argumentation de la requérante revient à conférer à l’entreprise faisant l’objet de l’enquête plutôt qu’à la Commission un pouvoir discrétionnaire sur la manière de déployer des ressources pour assurer une application efficace du droit de la concurrence.

432    Enfin, il y a lieu de rappeler que, par lettre du 21 mai 2008, à la suite d’une publication en ligne des mémoires préparatoires rédigés par la requérante et AMD dans le cadre de la procédure dans l’État du Delaware, la Commission a demandé aussi bien à la requérante qu’à AMD de lui faire parvenir tous les documents qu’elles avaient rédigés ou reçus et qui étaient cités dans leurs mémoires préparatoires respectifs (voir point 340 ci-dessus).

433    Ainsi que la Commission le souligne, une ordonnance du tribunal du Delaware du 28 mars 2008 indiquait que ces mémoires préparatoires devaient contenir pour les deux parties « les principaux éléments de fait au soutien de chacun des éléments de leurs allégations ou de leur défense ».

434    La Commission était donc en droit d’estimer qu’elle avait obtenu les preuves que les parties considéraient comme les plus pertinentes, tant à charge qu’à décharge. La Commission a pu estimer avoir fait le nécessaire pour avoir une vision suffisamment complète de l’affaire en ayant demandé à Intel et à AMD de produire les documents qui étaient cités dans leurs mémoires préparatoires respectifs.

435    Dans ce cadre, il convient de rappeler que la question qui se pose en l’espèce est celle du respect par la Commission de son obligation d’instruire le dossier avec diligence et impartialité (voir point 358 ci-dessus). La Commission ayant réclamé la totalité des documents cités par la requérante et par AMD dans leurs mémoires préparatoires respectifs, on ne saurait reprocher à la Commission d’avoir mené une enquête partiale.

d)     Conclusion sur ce grief

436    Il résulte de tout ce qui précède que le grief tenant au refus de la Commission de se procurer certains documents d’AMD doit être rejeté. En effet, la requérante aurait dû essayer d’obtenir l’autorisation d’AMD de divulguer à la Commission les documents AMD du Delaware. La circonstance que la requérante ne l’a pas fait suffit pour rejeter ce grief, car les conditions définies aux points 374 à 382 ci-dessus sont cumulatives. En outre, la Commission n’était pas obligée de se procurer les documents AMD du Delaware, car il n’était pas probable qu’ils aient été d’une importance considérable pour la défense de la requérante. De plus, la Commission a pu valablement considérer que la demande d’Intel, prise dans son ensemble, était disproportionnée par rapport à la valeur ajoutée potentielle que les documents auraient pu apporter par rapport à ceux qui étaient déjà en la possession de la Commission. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la requérante aurait pu identifier de manière plus précise les documents qu’elle a demandé à la Commission de se procurer.

D –  Erreurs d’appréciation concernant les pratiques à l’égard des divers OEM et de MSH

1.     Dell

437    Selon l’article 1er, sous a), de la décision attaquée, Intel a accordé des rabais à Dell entre décembre 2002 et décembre 2005 dont le niveau était conditionné au fait que Dell achetât la totalité de ses CPU x86 auprès d’Intel.

438    Au considérant 182 de la décision attaquée, la Commission constate que, jusqu’en 2006, Dell produisait exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel. En mai 2006, Dell aurait annoncé qu’elle produirait des ordinateurs équipés de CPU AMD pour la première fois. Dell aurait livré ses premiers ordinateurs de bureau équipés de CPU AMD en septembre 2006 et ses premiers serveurs équipés de CPU AMD en octobre 2006.

439    La décision attaquée expose, en substance, que, lors de la période mise en cause, plusieurs types de rabais étaient octroyés par Intel en vertu d’un programme d’alignement sur la concurrence (Meet Competition Programme, ci-après le « MCP »). Ce programme aurait également été dénommé la « mère de tous les programmes » (Mother of all programmes, ci-après le « MOAP »). Il n’existerait pas d’accord complet et écrit regroupant tous les termes du MCP. Tant les termes exacts des rabais relatifs au MCP que leur mode de calcul auraient changé au fil du temps. Lors de la période mise en cause, le montant total des rabais octroyés par Intel à Dell en vertu du MCP (ci-après les « rabais MCP ») se serait situé entre 110 et 479 millions de USD par trimestre.

440    Dans la décision attaquée, la Commission ne conclut pas à l’existence d’une obligation formelle d’approvisionnement exclusif. Cependant, aux considérants 927 et 950 de ladite décision, elle souligne que le niveau des rabais MCP était de facto soumis à une condition d’exclusivité.

441    À cet égard, au considérant 323 de la décision attaquée, la Commission arrive, entre autres considérations, à la conclusion que, lors de la période mise en cause, Intel a signalé à Dell, y compris au plus haut niveau, que ses rabais MCP diminueraient de manière significative si Dell mettait fin à sa relation d’exclusivité avec Intel. Dell aurait été convaincue que le niveau de ses rabais MCP était fondé sur son statut de vendeur exclusif d’Intel.

442    Au considérant 221 de la décision attaquée, la Commission constate que Dell était incertaine du montant (une grande partie ou même l’intégralité) des rabais MCP qui aurait été supprimés si Dell avait transféré une part de son approvisionnement à un fournisseur concurrent. Cette incertitude aurait également porté sur la question de savoir si ces rabais seraient attribués à un OEM concurrent. En tout état de cause, Dell en aurait invariablement conclu qu’elle perdrait le rabais MCP ou au moins une grande partie de celui-ci.

443    En outre, selon les considérants 933 et 950 de la décision attaquée, les rabais MCP ont eu une influence sur la décision de Dell de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante lors de la période mise en cause dans ladite décision. Ils auraient donc eu pour effet de restreindre la liberté de Dell de choisir sa source d’approvisionnement en CPU x86 et d’empêcher des concurrents de fournir Dell.

a)     Appréciation des preuves présentées dans la décision attaquée pour établir l’existence d’une communication d’Intel à Dell indiquant que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité

444    Dans la décision attaquée, la Commission s’est appuyée notamment, afin de prouver que, entre décembre 2002 et décembre 2005, la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité, sur les éléments de preuve suivants :

–        des documents internes d’Intel ;

–        la réponse de Dell, en date du 17 avril 2007, à une demande de renseignements de la Commission au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003 (ci-après la « réponse de Dell au titre de l’article 18 ») ;

–        des documents internes de Dell ;

–        un courriel du 7 décembre 2004 de M. I1, [confidentiel], à M. D1, [confidentiel] de Dell.

445    En substance, la requérante conteste, d’une part, que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité et, d’autre part, avoir communiqué ce fait à Dell. Il convient donc de présenter le contenu des éléments de preuve susmentionnés et d’examiner s’ils établissent à suffisance de droit que, d’une part, le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité et, d’autre part, la requérante a communiqué ce fait à Dell. Enfin, il convient d’examiner les autres arguments de la requérante.

 1) Sur la preuve de ce que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité


 1.1) Sur les documents internes d’Intel


 i) Sur le contenu

446    La Commission constate, au considérant 239 de la décision attaquée, que, dans une présentation du 10 janvier 2003, M. I1, le [confidentiel], a exposé une liste d’objectifs à atteindre par Intel lors d’une réunion entre des cadres de haut niveau de Dell et d’Intel. La liste comprenait l’objectif qui suit : « Faire comprendre clairement à [M. D4] [confidentiel] notre processus d’alignement sur la concurrence et la façon dont il s’applique à Dell ; en d’autres termes, s’ils accueillent AMD dans leur arsenal, ils seront moins exposés à un alignement sur la concurrence et recevront donc moins de dollars au titre de l’alignement sur la concurrence, avec le risque que les dollars au titre de l’alignement sur la concurrence que nous avons accordés à Dell aillent ailleurs […] ». Selon la décision attaquée, cet objectif a été répété dans une présentation du 5 février 2003 qui a servi de « briefing » lors d’un dîner avec des dirigeants de Dell et dont les termes étaient les suivants :

« D’une manière ou d’une autre, nous devons faire comprendre avec finesse à [M. D4] que, si Dell ajoute AMD à sa ligne de produits, ils ne seront plus exposés à un alignement sur la concurrence – Nous sommes exposés à un alignement sur la concurrence de telle sorte que nous devons accorder un ordre de priorité aux opportunités au cas par cas. »

447    Au considérant 240 de la décision attaquée, la Commission expose que, le 17 février 2006, M. I1 a rapporté à M. I2, le [confidentiel], que Dell avait annoncé ne pas planifier de s’approvisionner auprès d’AMD en constatant ce qui suit : « Enfin quelque chose de positif […] ». Selon la décision attaquée, dans un courriel daté du même jour, M. I2 a répondu ce qui suit :

« Le meilleur ami que l’argent puisse acheter […] »

448    Enfin, au considérant 241 de la décision attaquée, la Commission relève que, dans un courriel du 18 juin 2006, M. I2 a écrit au [confidentiel] de Lenovo, M. L1, sur les conséquences de la décision de Dell d’introduire des ordinateurs équipés de CPU AMD dans les termes suivants : « [T]out programme d’alignement sur la concurrence que nous avons pu avoir avec Dell sera annulé puisqu’ils introduisent la concurrence. »

 ii) Sur la valeur probante

449    La requérante avance, en substance, que ses documents internes ne démontrent pas que ses rabais étaient soumis à une condition d’exclusivité. Aux considérants 306 et 311 de la décision attaquée, la Commission aurait déclaré que la question pertinente était celle de savoir si Dell aurait subi une réduction « disproportionnée » des rabais si elle s’était approvisionnée auprès d’AMD. Pour que sa théorie de la conditionnalité soit défendable, la Commission devrait donc prouver que, si Dell avait reporté au moins une partie de ses achats sur AMD, l’ampleur de la perte aurait été disproportionnée. Or, la Commission ne serait pas parvenue à prouver cette disproportionnalité.

450    Selon la requérante, la présentation de M. I1 en date du 10 janvier 2003, mentionnée au point 446 ci-dessus, indique simplement que Dell aurait été moins exposée à un alignement sur la concurrence et aurait donc reçu moins de dollars au titre de l’alignement sur la concurrence si elle s’était approvisionné auprès d’AMD. Cela ne signifierait cependant pas que la réponse d’Intel aurait été « disproportionnée ». La prémisse contraire retenue par la Commission ignorerait le fait que les rabais MCP visaient aussi à contrecarrer les menaces concurrentielles pesant sur Dell et émanant d’autres OEM. Ainsi, Intel aurait déterminé le montant total ou le pourcentage à offrir en se fondant en partie sur une appréciation des menaces concurrentielles auxquelles étaient confrontés certains produits ou programmes de Dell. Dès lors que Dell aurait très probablement reporté sur AMD l’achat des CPU soumis à la plus importante exposition concurrentielle en aval, ce transfert aurait été susceptible d’avoir une influence sur le niveau du MCP adéquat, indépendamment des volumes d’achat concernés et sans que cela constitue une sanction. Si Dell s’était approvisionnée auprès d’AMD, ses besoins en MCP auraient été moindres, car le nouvel ensemble de CPU acheté par Dell à Intel aurait fait face (en moyenne) à un niveau réduit de concurrence en aval. Selon la requérante, tant la présentation du 10 janvier 2003 que celle du 5 février 2003 n’indiquent donc pas une réduction disproportionnée des rabais, mais plutôt une réduction proportionnée, étant donné que les rabais seraient réduits en fonction de l’exposition réduite aux produits équipés de CPU AMD des concurrents de Dell.

451    Interrogée sur ce point par le Tribunal lors de l’audience, la requérante a confirmé, en substance, que les rabais accordés à Dell n’augmentaient ou ne diminuaient pas exactement en fonction du volume d’achat. Elle a expliqué ce fait en affirmant que les rabais ont été négociés de manière plus intense pour les parties du marché s’inscrivant dans un environnement plus concurrentiel sur le marché en aval. Elle a soutenu que le concept de réduction disproportionnée ne devait pas être compris comme faisant référence seulement au volume d’achat. Il serait d’une importance fondamentale pour la théorie de la Commission que le concept de réduction disproportionnée signifie la même chose que le concept de conditionnalité. Selon la requérante, une réduction de rabais ne peut être considérée comme disproportionnée que dans la mesure où un concurrent aussi efficace n’est pas en mesure d’offrir une compensation au client pour la perte du montant des rabais perdus.

452    Premièrement, il y a lieu d’observer qu’il ressort de la décision attaquée que l’abus reproché à la requérante concernant Dell repose sur la « conditionnalité » de facto des rabais MCP et donc sur le fait qu’Intel a donné l’impression à Dell qu’au moins une partie de ces rabais n’aurait pas été octroyée en cas de décision de Dell de ne pas s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante (voir considérants 927, 940 et 941 de la décision attaquée). En outre, il ressort de ladite décision que la Commission a également décrit cette « conditionnalité » de facto en faisant référence à une réduction « disproportionnée » des rabais MCP en cas de passage partiel de Dell chez AMD (voir considérants 306, 310 et 311 de cette décision). Selon la terminologie utilisée dans la même décision, la perte « disproportionnée » de rabais ne vise rien d’autre que la partie de rabais qui est octroyée en contrepartie d’une condition d’exclusivité.

453    Étant donné que l’abus reproché à la requérante repose donc sur l’existence d’un rabais d’exclusivité, il y a lieu de rappeler que ce n’est pas le niveau des rabais MCP qui est mis en cause dans la décision attaquée, mais l’exclusivité en contrepartie de laquelle ils ont été octroyés (voir point 108 ci-dessus). En conséquence, la Commission n’était pas tenue de quantifier de manière exacte le niveau de la partie de ces rabais qui constituait la contrepartie de l’exclusivité. Elle pouvait se contenter de prouver qu’une partie quelconque de ces rabais était soumise à une condition d’exclusivité.

454    Il est vrai que la preuve de ce que les rabais MCP ne variaient pas exclusivement en fonction du volume d’achat ne suffit pas en tant que telle afin de démontrer qu’au moins une partie de ces rabais était soumise à une condition d’exclusivité. Toutefois, cette dernière circonstance doit être considérée comme établie s’il est démontré que la décision de Dell de ne pas s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante aurait impliqué une réduction des rabais MCP qui ne s’explique complètement ni par la réduction correspondante du volume d’achat ni par une autre condition d’octroi que celle liée à une exclusivité.

455    Force est de constater que les documents internes d’Intel sur lesquels la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée démontrent à suffisance de droit qu’un passage partiel de Dell chez un concurrent aurait impliqué une réduction des rabais MCP qui ne s’explique complètement ni par une réduction correspondante du volume d’achat ni par une autre condition d’octroi que celle liée à une exclusivité.

456    En effet, la requérante ne soutient même pas que la réduction des rabais MCP qui est évoquée dans ces documents aurait été proportionnelle uniquement à la réduction du volume d’achat auprès d’elle en cas de passage partiel de Dell chez AMD. Elle reproche plutôt à la Commission d’avoir ignoré que ses rabais MCP variaient également en fonction de l’« exposition concurrentielle » de certains produits ou programmes de Dell. Par conséquent, la requérante n’affirme pas que les rabais MCP doivent être qualifiés de simples rabais de quantité, qui sont généralement considérés comme n’ayant pas d’effet de forclusion interdit par l’article 82 CE (voir point 75 ci-dessus).

457    Or, dans la mesure où la requérante s’efforce d’expliquer la réduction des rabais MCP prévue en cas de passage partiel de Dell chez AMD, qui est énoncée dans les documents internes d’Intel, également par un changement dans l’« exposition concurrentielle » de certains produits ou programmes de Dell, son argumentation ne saurait prospérer.

458    En effet, dans la mesure où des documents internes d’Intel indiquent que la requérante a fait comprendre à Dell qu’une rupture de sa relation d’exclusivité existante aurait impliqué la disparition de l’intégralité de cette prétendue « exposition concurrentielle », et donc une perte totale de la partie des rabais MCP qui était prétendument octroyée en contrepartie de l’exposition concurrentielle, l’argument de la requérante selon lequel les rabais MCP variaient également en fonction de l’« exposition concurrentielle » est un euphémisme signifiant qu’au moins une partie des rabais MCP était soumise à une condition d’exclusivité. En effet, dès lors qu’une entreprise en position dominante fait comprendre à son client que l’introduction d’un produit quelconque du concurrent de l’entreprise dominante entraînera toujours la même réduction, à savoir en l’espèce la perte totale, de la partie d’un rabais qui est prétendument octroyée en fonction de l’« exposition concurrentielle » d’un certain produit ou programme, cette partie du rabais varie, en réalité, non pas en fonction d’une « exposition concurrentielle », mais selon que le client s’approvisionne exclusivement ou pas auprès de l’entreprise dominante.

459    Dans le cas d’espèce, il découle de la présentation du 5 février 2003 que la requérante envisageait de faire comprendre à Dell que l’« exposition concurrentielle » de Dell disparaîtrait complètement si Dell décidait de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD, comme l’indiquent les termes suivants : « [… S]i Dell ajoute AMD à sa ligne de produits, ils ne seront plus exposés à un alignement sur la concurrence […] » (voir point 446 ci-dessus). Selon cette présentation, même en cas d’approvisionnement minime auprès d’AMD, Dell aurait perdu l’intégralité de la partie des rabais MCP qui, selon les observations de la requérante, était accordée en contrepartie de l’« exposition concurrentielle ».

460    De même, le courriel du 18 juin 2006, dans lequel M. I2 a écrit que « tout programme d’alignement sur la concurrence que nous avons pu avoir avec Dell sera annulé puisqu’ils introduisent la concurrence », démontre également sans équivoque que la condition cruciale pour l’octroi des rabais MCP était non pas un prétendu degré variable de l’« exposition concurrentielle » de certains produits ou programmes de Dell, mais simplement le fait pour Dell de s’abstenir d’introduire un produit équipé d’un CPU AMD. Selon le contenu de ce courriel, la seule introduction par Dell d’un produit concurrent aurait entraîné l’annulation totale du programme d’alignement sur la concurrence.

461    Il est vrai que la présentation du 10 janvier 2003, selon laquelle M. I1 voulait faire comprendre à Dell que, « s’ils accueillent AMD dans leur arsenal, ils seront moins exposés à un alignement sur la concurrence et recevront donc moins de dollars au titre de l’alignement sur la concurrence », n’implique pas nécessairement une perte totale des rabais MCP en cas de rupture de la relation d’exclusivité existant entre Dell et Intel. Toutefois, la requérante n’avance aucune explication concernant la manière exacte dont une prétendue réduction de l’« exposition concurrentielle » de certains produits ou programmes de Dell se serait traduite en une réduction des rabais MCP. En l’absence d’une explication plus concrète à cet égard, il est permis de conclure que la partie des rabais MCP qui variait, selon la requérante, en fonction de l’« exposition concurrentielle » d’un certain produit ou programme de Dell variait, en réalité, non pas en fonction d’une « exposition concurrentielle », mais selon que Dell s’approvisionnait exclusivement auprès de la requérante ou pas. Le fait que, selon la présentation du 5 février 2003, la requérante envisageait de procéder non pas ouvertement, mais « avec finesse », confirme cette conclusion.

462    Deuxièmement, l’argument de la requérante selon lequel une réduction de rabais ne peut être considérée comme disproportionnée que dans la mesure où un concurrent aussi efficace n’est pas en mesure de compenser pour le client la perte du montant des rabais perdus ne saurait davantage être retenu. En effet, la question de savoir si un concurrent aussi efficace est en mesure de compenser pour un client la perte de la partie d’un rabais qui est octroyée en contrepartie d’une condition d’exclusivité est distincte de la question logiquement préalable de savoir si un rabais a, au moins en partie, été soumis à une condition d’exclusivité. Ainsi, le fait qu’un concurrent aussi efficace soit en mesure de compenser pour un client la perte disproportionnée de rabais n’est pas susceptible de remettre en cause le fait que ce rabais a été soumis à une condition d’exclusivité. Au demeurant, il convient de rappeler que, pour les raisons énoncées aux points 140 à 166 ci-dessus, la qualification d’un rabais d’exclusivité d’élément constitutif d’un abus de position dominante ne nécessite pas l’application d’un test AEC.

463    Troisièmement, s’agissant du courriel de M. I2, cité au point 448 ci-dessus, la requérante avance, d’une part, que ce courriel date d’après la fin de la période mise en cause dans la décision attaquée, à savoir de décembre 2005. Le fait que ce courriel a été écrit après la fin de la période mise en cause dans ladite décision ne le prive cependant pas de sa valeur probante. En effet, ce courriel indique que « tout programme d’alignement sur la concurrence que nous avons pu avoir avec Dell sera annulé puisqu’ils introduisent la concurrence ». En employant le passé (« que nous avons pu avoir »), ce courriel fait référence à une période située avant sa rédaction. Au vu des autres éléments de preuve retenus dans la décision attaquée, il est clair que cette référence inclut la période mise en cause dans ladite décision.

464    D’autre part, la requérante allègue qu’elle n’a jamais annulé son MCP et qu’elle n’a pas pris de mesures de représailles après la décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD en 2006. Or, force est de constater que ce dernier argument est dépourvu de pertinence, ainsi qu’il sera expliqué plus en détail aux points 548 à 552 ci-après.

465    Il résulte de tout ce qui précède que les présentations du 10 janvier et du 5 février 2003 ainsi que le courriel du 18 juin 2006 constituent des preuves précises et concordantes du fait que, selon le point de vue d’Intel, l’octroi d’une partie au moins des rabais MCP était conditionné au fait que Dell s’approvisionnât pour la totalité de ses besoins en CPU x86 auprès de la requérante. L’existence de cette condition est par ailleurs confirmée par le courriel du 17 février 2006, dans lequel M. I2 a réagi à l’annonce de Dell selon laquelle elle ne s’approvisionnerait pas auprès d’AMD en écrivant ce qui suit : « Le meilleur ami que l’argent puisse acheter […] ». En effet, ce courriel confirme que le [confidentiel] de la requérante considérait que la décision de Dell de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante était due aux paiements qu’elle avait versés à Dell.

 1.2) Sur la réponse de Dell au titre de l’article 18


 i) Sur le contenu

466    Aux considérants 233 et 234 de la décision attaquée sont contenus les extraits suivants de la réponse de Dell au titre de l’article 18. Dell a déclaré que « l’accord MCP n’était pas explicitement subordonné à une exclusivité ou à un engagement sur des volumes minimaux » et que, « dans le même temps, il a été négocié dans le contexte historique de produits [de] Dell basés uniquement sur des [CPU] Intel ». En outre, à propos de ses évaluations sur le transfert d’une partie de son approvisionnement d’Intel vers AMD, Dell a déclaré ce qui suit : « [Elle] supposait que transférer certains achats auprès d’AMD entraînerait une réduction du MCP. Toutefois, Dell ne savait pas précisément dans quelle mesure le MCP diminuerait, ni de quelle manière ou sur quelle période de temps. Dell comprenait qu’Intel n’accueillerait pas favorablement une telle décision, car elle serait perçue comme une variation significative dans la relation historique entre les sociétés. Comme il a été indiqué dans les documents, l’équipe de Dell a cherché à prévoir cette incidence négative par le biais d’une série de scénarios potentiels, y compris certains scénarios prévoyant une réduction substantielle, et n’excluait pas la possibilité qu’une telle réduction puisse être disproportionnée par rapport à la réduction en volume des achats de Dell auprès d’Intel ».

 ii) Sur la valeur probante

467    La requérante avance que, dans sa réponse au titre de l’article 18, Dell n’aurait jamais expressément déclaré avoir craint une perte disproportionnée de rabais. Selon la requérante, le transfert d’une partie des achats de Dell au profit d’AMD devait se traduire dans le cadre normal des affaires par une certaine réduction du total des rabais puisque le volume des achats de Dell auprès d’Intel serait inférieur. Il s’agirait là du jeu normal de la concurrence, à des lieues de tout élément de preuve d’une réduction disproportionnée des rabais. La déclaration selon laquelle Dell « n’excluait pas la possibilité qu’une telle réduction puisse être disproportionnée par rapport à la réduction en volume des achats de Dell auprès d’Intel » constituerait tout au plus une simple spéculation qui tendrait à indiquer que Dell « n’excluait pas » ce cas de figure.

468    Or, force est de constater que la requérante ignore totalement le contexte de la réponse de Dell au titre de l’article 18 lorsqu’elle insiste sur ce point. Dell a déclaré que l’accord sur les rabais MCP n’était pas « explicitement subordonné à une exclusivité ou à un engagement sur des volumes minimaux », mais qu’il avait « été négocié dans le contexte historique de produits [de] Dell basés uniquement sur des [CPU] Intel ». À cet égard, il convient de souligner la manière dont Dell a mis en exergue que les rabais MCP avaient été « négocié[s] dans le contexte historique de produits [de] Dell basés uniquement sur des [CPU] d’Intel » et qu’elle « comprenait qu’Intel n’accueillerait pas favorablement [une éventuelle décision de Dell de reporter une partie de son approvisionnement vers AMD], car elle serait perçue comme une variation significative dans la relation historique entre les sociétés. » Il convient d’ajouter qu’en indiquant que l’accord sur les rabais MCP n’était pas « explicitement » subordonné à une relation d’exclusivité Dell a expressément nuancé sa déclaration concernant l’existence d’une condition d’exclusivité. Une telle nuance n’aurait pas été nécessaire si Dell avait voulu indiquer de manière générale que les rabais MCP n’étaient soumis à aucune condition d’exclusivité. Cette nuance est donc conforme à la thèse de la Commission, selon laquelle les rabais MCP étaient « de facto » soumis à une condition d’exclusivité.

469    Lue dans ce contexte, la réponse de Dell au titre de l’article 18 donne donc l’impression que Dell estimait que c’était la rupture de la relation existante d’exclusivité, et non pas la réduction des chiffres du volume d’achat, qui susciterait un impact négatif. Même si le caractère disproportionné de la perte de rabais par rapport à la réduction du volume d’achat ne découle pas sans équivoque du libellé de la réponse de Dell au titre de l’article 18, une vue globale de ce document donne l’impression que Dell supposait que les rabais octroyés par Intel n’étaient pas calculés sur le volume d’achat, mais octroyés comme une récompense pour un approvisionnement exclusif. Le fait que Dell se soit exprimée avec beaucoup de précaution en déclarant que l’accord sur les rabais MCP n’était pas « explicitement subordonné à une exclusivité ou à un engagement sur des volumes minimaux » et qu’elle « n’excluait pas la possibilité qu’une telle réduction puisse être disproportionnée par rapport à la réduction en volume des achats de Dell auprès d’Intel » ne remet pas en cause cette conclusion.

470    En outre, il convient de constater que la requérante agit de manière contradictoire dès lors qu’elle affirme que la déclaration selon laquelle Dell « n’excluait pas la possibilité qu’une telle réduction puisse être disproportionnée par rapport à la réduction en volume des achats de Dell auprès d’Intel » constitue tout au plus une simple spéculation. En effet, en ce qui concerne les documents internes d’Intel, la requérante a expressément admis que les rabais accordés à Dell ne variaient pas exclusivement en fonction du volume d’achat, mais également en fonction de l’« exposition concurrentielle » de certains produits ou programmes de Dell (voir points 450 et 451 ci-dessus). En conséquence, si la requérante devait inférer de la réponse de Dell au titre de l’article 18 que les rabais accordés à Dell étaient exclusivement liés au volume d’achat, force est de constater qu’un tel argument serait contredit par les propres observations de la requérante concernant les documents internes d’Intel. Tant la réponse de Dell au titre de l’article 18 que les propres allégations de la requérante concernant les documents internes d’Intel confirment de manière concordante que les rabais MCP ne constituaient pas des simples rabais de quantité (voir point 456 ci-dessus).

471    Au demeurant, la requérante n’avance aucun argument susceptible de démontrer comment la réponse de Dell au titre de l’article 18 pourrait venir au soutien de sa théorie d’une variation graduelle des rabais MCP en fonction du degré de l’« exposition concurrentielle » à laquelle étaient prétendument confrontés certains produits ou programmes de Dell. En effet, la réponse de Dell au titre de l’article 18 indique seulement que la prémisse sous-jacente à l’octroi des rabais MCP était de « rendre des produits Intel aussi ou plus concurrentiels que des alternatives disponibles ». Cette déclaration s’applique de manière égale à tous les produits d’Intel et n’implique pas de distinction selon certains produits ou programmes de Dell. Le fait que Dell se soit ainsi abstenue de mettre en exergue une prétendue relation entre l’« exposition concurrentielle » de certains de ses produits et programmes et le niveau des rabais MCP démontre que Dell n’estimait pas qu’il était nécessaire d’expliciter une telle relation auprès de la Commission. Cette abstention constitue donc un autre indice confirmant que ce n’était pas la prétendue variation graduelle de l’« exposition concurrentielle » de certains produits ou programmes de Dell qui aurait entraîné les variations des rabais MCP.

472    Enfin, lors de l’audience, la requérante a fait valoir que, dans sa réponse au titre de l’article 18, Dell a également déclaré qu’il existait deux écoles de pensée auprès d’elle. Tandis qu’une partie des membres de son personnel aurait estimé qu’une décision de sa part de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD aboutirait à une perte de rabais, d’autres auraient pensé qu’une telle décision déclencherait une guerre des prix globale et que la requérante devrait augmenter ses rabais pour continuer à recevoir des commandes. Toutefois, il découle seulement de la réponse de Dell au titre de l’article 18 qu’une partie des membres du personnel de Dell supposait qu’une telle décision pourrait – à long terme – déclencher une concurrence renforcée sur les prix, voire une guerre des prix, ce qui permettrait finalement à Dell de compenser les pertes de rabais MCP infligées à court terme. Contrairement à ce que prétend la requérante, il ne découle donc pas de la réponse de Dell au titre de l’article 18 qu’une partie des membres du personnel de Dell estimait qu’une décision de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD ne déclencherait pas de réduction de rabais MCP, voire conduirait à leur augmentation immédiate. Au contraire, la réponse de Dell au titre de l’article 18 démontre clairement que même les membres du personnel de Dell ayant le point de vue le plus optimiste arrivaient à la conclusion que, à la suite d’une telle décision, le comportement de la requérante nuirait à Dell au moins à court terme (voir considérant 266 de la décision attaquée).

473    Partant, on peut donc retenir que la réponse de Dell au titre de l’article 18 est un élément de preuve confirmant que Dell supposait que les rabais MCP étaient de facto soumis à la condition d’un approvisionnement exclusif.

 1.3) Sur les documents internes de Dell


 i) Sur le contenu

474    Aux considérants 222 à 227, 229 et 231 de la décision attaquée, la Commission expose le contenu de certains documents internes de Dell. Ladite décision expose, en substance, les faits qui suivent.

475    Dans une présentation interne du 23 décembre 2002, Dell remarque que la « réponse concurrentielle d’Intel » à un accord avec AMD impliquerait ce qui suit :

« [Les] MOAP $ sont réduits à zéro à l’exception des programmes tactiques limités (< 10 millions de dollars/trimestre) – Intel donnera les MOAP $ à d’autres pour s’assurer qu’il n’y ait pas de déplacement de l’ensemble du marché accessible vers Dell/AMD. »

476    Dans une présentation interne de Dell du 26 février 2003, Dell remarque que, pour tout scénario d’un approvisionnement auprès d’AMD, « les réductions du MOAP à titre de rétorsion pourraient être importantes et prolongées, produisant un effet sur toutes les branches d’activité ». Dans la même présentation, Dell a calculé qu’elle perdrait 103 millions de USD du support MOAP par trimestre de son année fiscale de 2004 si elle « transférait une partie de ses dépenses de [CPU] vers AMD ».

477    Dans une présentation interne de Dell du 17 mars 2003, Dell a constaté ce qui suit : « La réaction anticipée d’Intel efface tous les [revenus d’exploitation] potentiels à la hausse résultant du passage à AMD. » Une autre page de la même présentation contenant une « analyse d’AMD » est intitulée « Financement d’Intel menacé ». La page 14 de la même présentation, sous le titre « Principales hypothèses du modèle commercial », pose la question suivante :

« Les fonds MOAP d’Intel – Quelle proportion du financement d’Intel disparaîtrait si nous transférons une partie de nos achats de [CPU] vers AMD ? »

478    Dans un courriel interne de Dell du 21 juillet 2003, rédigé par M. D2, il est constaté ce qui suit :

« En fin de compte, je ne vois pas comment AMD apporterait quelque chose de positif à Dell. L’issue de la partie est inévitable, le coût du soutien à AMD est trop élevé ; la perte de concentration va à l’encontre de notre modèle traditionnel et de nos forces et la perte nette du MCP dépassera largement tout bénéfice que nous obtiendrions d’une expérience limitée avec quelques plates-formes serveur. »

479    Dans une présentation interne du 17 février 2004 intitulée « Appréciation de statut MAID », Dell envisage deux scénarios, dont l’un est intitulé « Option AMD » et l’autre « Option MCP renforcée ». Selon le premier scénario, sous le titre « Réponse Intel », Dell envisageait de perdre 293 millions de USD de support financier d’Intel en comparaison avec le niveau effectif du support financier MCP de l’époque. Selon le second scénario, sous le titre « À la hausse », Dell s’imaginait recevoir 150 millions de USD de support financier supplémentaire de la part d’Intel, en comparaison avec le niveau effectif du support financier MCP de l’époque. Cela est décrit de manière plus détaillée dans la même présentation. Dans une page intitulée « MCP renforcé », Dell constate ce qui suit :

« On s’attend à un montant supplémentaire de MCP par an ne dépassant pas 150 millions de USD dans le cadre de cette approche ; il est peu probable d’atteindre un montant plus élevé en raison des préoccupations juridiques d’Intel. »

480    Dans un courriel interne de Dell du 26 février 2004, rédigé par M. D2, il est indiqué ce qui suit :

« Patron, voici un aperçu du cadre dont nous avons discuté avec Intel. […] Ils sont prêts à envoyer [M. I2] [confidentiel]/[M. I3] [confidentiel]/[M. I4] [confidentiel] pour rencontrer [M. D3] [confidentiel]/[M. D4] [confidentiel]/vous-même [M. D1] [confidentiel]. […] Contexte : *[M. I2]/[M. I5] [confidentiel] sont prêts à une [guerre totale] si Dell rejoint l’exode vers AMD. Nous ne recevrons AUCUN MCP durant au moins un trimestre pendant qu’Intel ‘examine les détails’ […] Nous devrons même nous battre pour garder 50 % et également nous engager à ne PAS effectuer de livraisons aux entreprises. Si nous réalisons l’Opti, ils réduiront à moins de 20 % et utiliseront le MCP supplémentaire pour nous faire concurrence. »

481    Dans un courriel interne de Dell du 27 février 2004, rédigé par M. D2, il est indiqué ce qui suit :

« Il semble quasi certain qu’Intel réduira le MCP à ZÉRO pendant au moins un trimestre ‘le temps qu’ils réexaminent l’ensemble des chiffres et des implications’ […] Il est probable qu’Intel réduira le MCP à moins de 25 % par rapport aux niveaux actuels À MOINS que nous n’acceptions par avance de ne pas effectuer de livraisons aux entreprises. Si nous acceptons, nous serons en mode de ‘détente’ et nous pourrons garder le MCP à un niveau de 50 %. Toutefois, nous ne respectons pas les modalités et conditions de [M. C1], [confidentiel]. Par conséquent, je m’attendrais à un MCP d’un niveau inférieur à 20 % si nous utilisons AMD dans les segments des serveurs et de l’Optiplex comme le souhaite AMD. »

482    Il y a lieu de relever que, sauf le courriel du 21 juillet 2003 et la présentation interne du 17 février 2004, ces documents figuraient avec d’autres documents dans une annexe à la réponse de Dell au titre de l’article 18.

 ii) Sur la valeur probante

483    En substance, la requérante fait valoir que l’interprétation de Dell concernant ces documents est donnée dans la réponse de Dell au titre de l’article 18. Selon la requérante, cette réponse ne fournit aucune preuve à l’appui de l’allégation de la Commission selon laquelle Dell savait ou croyait qu’elle subirait une réduction disproportionnée de ses rabais si elle décidait de s’approvisionner auprès d’AMD. De toute façon, les documents susmentionnés refléteraient uniquement les « ruminations » de simples employés de Dell, qui seraient dépourvues de toute valeur probante quant à la vision d’entreprise de Dell lorsqu’ils ne concordent pas avec le témoignage sous serment des dirigeants de Dell. En effet, la plupart des documents internes de Dell sur lesquels la Commission s’appuie seraient rédigés par M. D2, un employé de Dell qui n’aurait pas participé aux réunions clés sur la politique tarifaire entre Intel et Dell.

484    À titre liminaire, il convient de rappeler que, contrairement à ce que prétend la requérante, la réponse de Dell au titre de l’article 18 confirme que Dell estimait que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité (voir points 468 à 473 ci-dessus).

485    Ensuite, force est de constater que les documents susmentionnés corroborent de manière convaincante les observations faites par Dell dans sa réponse au titre de l’article 18.

486    D’une part, il convient de constater que ces documents n’indiquent pas que Dell estimait que les rabais MCP variaient exclusivement en fonction du volume d’achat. Si la requérante inférait toutefois de ces documents que les rabais accordés à Dell étaient exclusivement liés au volume d’achat, force est de constater qu’un tel argument serait en outre contredit par les propres observations de la requérante concernant les documents internes d’Intel, selon lesquelles les rabais MCP ne variaient pas exclusivement en fonction du volume d’achat, mais également en fonction de l’« exposition concurrentielle » de certains produits ou programmes de Dell (voir points 450 et 451 ci-dessus).

487    D’autre part, force est de constater que l’explication de la requérante selon laquelle les rabais MCP variaient également en fonction de l’« exposition concurrentielle » de certains produits ou programmes de Dell ne saurait prospérer.

488    Il découle des courriels du 26 et du 27 février 2004 qui ont été rédigés par M. D2 (voir points 480 et 481 ci-dessus) que les estimations de Dell allaient jusqu’à supposer que, en cas d’approvisionnement partiel auprès d’AMD, Dell perdrait la totalité des rabais MCP, au moins pour un trimestre. Une telle perte totale ne saurait refléter une variation graduelle en fonction du degré de l’« exposition concurrentielle » à laquelle étaient prétendument confrontés certains produits ou programmes de Dell. Pour autant que les courriels de M. D2 impliquent que celui-ci projetait une perte totale des rabais MCP, au moins pour un trimestre, l’explication de la requérante selon laquelle les rabais MCP variaient en fonction de l’« exposition concurrentielle » est donc un euphémisme pour exprimer que ces rabais MCP étaient soumis à une condition d’exclusivité (voir point 458 ci-dessus).

489    Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que M. D2 a, dans ses courriels du 26 et du 27 février 2004, décrit la période pendant laquelle il estimait que les rabais MCP seraient réduits à zéro comme un temps dont Intel aurait besoin pour réexaminer les détails concernant les conséquences d’une décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD. En effet, la manière dont M. D2 a employé des guillemets dans les deux courriels lorsqu’il parlait d’une période de réexamen des détails concernant les conséquences d’une décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD donne l’impression qu’il ne croyait pas que la perte totale temporaire des rabais MCP serait due à un réexamen de ces détails. L’emploi des guillemets donne plutôt l’impression que M. D2 estimait que la prétendue nécessité d’une période de réexamen ne constituait qu’un prétexte pour masquer le fait que, en réalité, les rabais MCP seraient réduits à zéro en raison de la rupture de la condition d’exclusivité, et non pas en raison du besoin de réexaminer les détails concernant les implications d’un approvisionnement partiel de Dell auprès d’AMD pour la prétendue « exposition concurrentielle ».

490    Au demeurant, dans la mesure où les estimations de Dell n’arrivaient pas à une perte totale des rabais MCP, la requérante n’a avancé aucun argument pour démontrer comment exactement ces estimations devraient venir au soutien de sa théorie d’une variation graduelle de ces rabais en fonction du degré d’« exposition concurrentielle » à laquelle étaient prétendument confrontés certains produits ou programmes de Dell. En l’absence d’une explication plus concrète à cet égard, il est permis de conclure que la partie des rabais MCP qui variait, selon la requérante, prétendument en fonction de l’« exposition concurrentielle » d’un certain produit ou programme de Dell variait, en réalité, non pas en fonction d’une « exposition concurrentielle », mais selon que Dell s’approvisionnait ou pas exclusivement auprès de la requérante. Cette conclusion est confirmée par le fait que, selon les propres observations de la requérante, les documents susmentionnés doivent être interprétés à la lumière de la réponse de Dell au titre de l’article 18. Or, dans cette réponse, Dell s’est abstenue de mettre en avant qu’elle estimait que les rabais MCP variaient graduellement en fonction d’une « exposition concurrentielle » de certains de ses produits ou programmes. Dans cette réponse, Dell a plutôt souligné le contexte de la relation historique d’exclusivité qu’elle entretenait avec la requérante (voir points 468, 469 et 471 ci-dessus).

491    Il s’ensuit que les documents susmentionnés confirment que Dell estimait que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité. Tel est en particulier le cas des courriels des 26 et 27 février 2004 rédigés par M. D2.

492    Les autres arguments avancés par la requérante à cet égard ne sauraient remettre en cause cette conclusion.

493    Il convient d’observer que la requérante ne fait pas référence de manière directe à tous les documents internes de Dell susmentionnés. Elle présente seulement des observations concernant le contenu de la présentation du 17 février 2004 (voir point 479 ci-dessus). Au demeurant, elle s’efforce avant tout d’affaiblir la valeur probante des documents rédigés par M. D2. De manière générale, elle avance que Dell a déclaré, dans une autre réponse au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003, en date du 19 décembre 2005, que « seuls les hauts dirigeants de Dell [avaient] connaissance des détails des négociations entre Dell et Intel ».

494    S’agissant, en premier lieu, de la présentation du 17 février 2004, la requérante soutient que la décision attaquée ne reconnaît pas que cette présentation prévoit également qu’en dépit de la réduction supposée de 50 % des rabais MCP l’« option AMD » a été projetée pour fournir un bénéfice net sur quatre ans. Or, cet argument ne permet pas de réfuter la conclusion selon laquelle Dell estimait que le montant des rabais MCP était soumis à la condition d’un approvisionnement exclusif. En effet, un client peut raisonnablement estimer que les avantages liés à la décision de s’approvisionner partiellement chez un concurrent seraient plus élevés que les inconvénients liés à une rupture de la relation d’exclusivité. S’il est vrai que Dell estimait, dans la présentation du 17 février 2004, qu’une décision de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD aboutirait à des profits à long terme, il n’en reste pas moins que Dell s’attendait également à ce que ce changement impliquât des pertes à court terme. Cela est confirmé par la réponse de Dell au titre de l’article 18 (voir point 472 ci-dessus). Ainsi, la présentation du 17 février 2004 donne plutôt l’impression que Dell estimait qu’en raison de la perte escomptée des rabais MCP d’Intel il aurait fallu trois ans pour effacer l’effet du passage à AMD et quatre ans pour renforcer considérablement la rentabilité.

495    En ce qui concerne, en deuxième lieu, la valeur probante des documents rédigés par M. D2, l’affirmation de la requérante selon laquelle M. D2 n’a pas participé à des réunions « clés » manque en fait. En effet, le courriel de M. D2 daté du 26 février 2004 démontre qu’il avait très récemment participé à une réunion avec Intel au cours de laquelle la relation entre Intel et Dell avait été abordée, puisqu’il débute ce message avec les mots suivants : « Chef, voici une présentation du cadre dont nous avons discuté avec Intel. » En outre, aux considérants 251 à 254 de la décision attaquée, la Commission expose que M. D2 a eu des contacts informels directs et fréquents avec les cadres clés d’Intel qui portaient sur les relations entre Dell et Intel. La requérante ne conteste pas ces constatations. Or, la question de savoir si M. D2 a ou non participé à toutes les négociations qui ont eu lieu entre Intel et Dell n’est pas pertinente en l’espèce, car il est vraisemblable que les réunions auxquelles il a participé ont été organisées en vue de préparer les rencontres au plus haut niveau. En revanche, il n’est pas plausible que de telles réunions se soient tenues entre des employés qui ne connaissaient pas les aspects pertinents de la relation entre les deux entreprises. Il s’ensuit que M. D2 doit être considéré comme étant bien au courant des discussions relatives aux rabais et à la fixation des prix qui ont eu lieu entre Intel et Dell au cours de la période de l’infraction.

496    L’argument de la requérante selon lequel M. D2 a quitté Dell le 8 octobre 2004 ne saurait davantage prospérer. En effet, les trois courriels mentionnés aux points 478, 480 et 481 ci-dessus, qui ont été rédigés par M. D2, datent tous d’avant le départ de ce dernier. Ils constituent donc des éléments de preuve fiables en ce qui concerne la période d’infraction mise en cause dans la décision attaquée.

497    Il y a lieu de rejeter également l’argument de la requérante selon lequel M. D2 faisait état d’un point de vue extrêmement pessimiste au sein de Dell, qui n’était cependant pas partagé par les cadres de gestion de Dell. En effet, le seul fait que d’autres personnes aient eu une vision plus optimiste que M. D2 des conséquences d’une décision de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD ne change rien au fait que, selon la réponse de Dell au titre de l’article 18, même les estimations les plus optimistes de Dell arrivaient à la conclusion que la requérante nuirait à Dell, au moins à court terme (voir point 472 ci-dessus). En outre, la Commission soutient à juste titre que, au vu de l’incertitude maintenue par Intel concernant les conséquences exactes d’un report d’approvisionnement, Dell était forcée d’élaborer des scénarios différents. Une bonne décision commerciale ne pouvait pas uniquement se fonder sur des scénarios optimistes. Enfin, il convient de relever que Dell a annexé les documents rédigés par M. D2, sauf le courriel du 21 juillet 2003 (voir point 478 ci-dessus), comme étant pertinents pour la question des conséquences de l’introduction par Dell d’ordinateurs équipés de CPU AMD. Par conséquent, il semble peu probable que les scénarios de M. D2 n’aient pas du tout été pris en compte au sein de Dell.

498    Lors de l’audience, la requérante s’est appuyée sur deux courriels de M. D2 qui étaient également annexés à la réponse de Dell au titre de l’article 18 et qui, selon la requérante, constituaient des éléments à décharge que la Commission aurait dû prendre en considération. Dans le premier, datant du 11 août 2003, M. D2 écrivait ce qui suit : « Nous pourrions faire un mouvement décisif vers AMD et revenir vers Intel en 2006 sans préjudice et faute. » Or, comme l’a soutenu, à juste titre, la Commission, ce courriel ne concerne pas la question de savoir si les rabais MCP auraient ou non été réduits en cas de décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD avant de revenir vers Intel. Dans le second courriel, datant du 7 mars 2004, M. D2 comparait le scénario d’un approvisionnement « agressif » auprès d’AMD au scénario d’un approvisionnement « agressif » auprès d’Intel. Pour le scénario d’un approvisionnement « agressif » auprès d’AMD, M. D2 s’attendait à ce que « Dell puisse prendre le pas sur HP ». Or, ce courriel ne concerne pas non plus la question de savoir si les rabais MCP auraient ou non été réduits en cas de décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD et, s’ils l’avaient été, dans quelle mesure. Par conséquent, les deux courriels ne remettent pas en cause la conclusion selon laquelle les estimations de M. D2 doivent être comprises en ce sens que celui-ci estimait qu’au moins une partie des rabais MCP était soumise à la condition d’un approvisionnement exclusif (voir les points 488 et 490 ci-dessus).

499    En troisième lieu, il convient de souligner que seuls trois des documents susmentionnés (voir points 475 à 481 ci-dessus) ont été rédigés par M. D2 : les courriels internes de Dell du 21 juillet 2003, du 26 et du 27 février 2004. En revanche, dans les présentations internes du 26 février 2003, du 17 mars 2003 et du 17 février 2004, soit d’autres personnes sont mentionnées comme auteurs, soit aucun auteur n’est indiqué. Elles ne peuvent donc pas être attribuées à M. D2. S’agissant de la présentation interne du 23 décembre 2002, la requérante avance seulement qu’il apparaît que M. D2 a également rédigé la partie pertinente d’une version précédente de cette présentation. Étant donné que la requérante limite son argument au « projet » de la présentation, elle admet donc implicitement que M. D2 n’était pas responsable de la version finale de cette présentation.

500    En plus de ses arguments concernant la valeur probante des documents rédigés par M. D2, la requérante fait valoir de manière générale que la décision attaquée omet de mentionner qu’il est expliqué dans une autre réponse de Dell au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003, en date du 19 décembre 2005, que « seuls les hauts dirigeants de Dell [avaient] connaissance des détails des négociations entre Dell et Intel » et que seuls « quelques employés de Dell, travaillant tous au siège social de Dell à Austin au Texas [États-Unis], sont impliqués directement avec Intel dans le cadre de ces négociations de prix ». Dell aurait également expliqué que les documents émanant d’employés non impliqués directement dans ces négociations « reflétaient inévitablement un aperçu partiel (et souvent erroné) des réalités commerciales » entre les deux sociétés.

501    Or, cet argument ne saurait affaiblir la valeur probante des documents annexés à la réponse de Dell au titre de l’article 18, ni en ce qui concerne les documents qui ont été rédigés par M. D2, ni en ce qui concerne les autres documents. En effet, la Commission relève que la réponse de Dell au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003, en date du 19 décembre 2005, a été déposée à la suite de l’inspection menée par la Commission sur le site de Dell au Royaume-Uni. La Commission a demandé à Dell de commenter les documents qui y ont été découverts. Dell a expliqué à la Commission que son personnel au Royaume-Uni était susceptible de ne savoir que peu de choses au sujet des négociations tarifaires entre elle et Intel, qui étaient menées par le personnel de son siège central à Austin. La déclaration de Dell selon laquelle ses collaborateurs « ne comprennent pas les tenants et aboutissants de ces négociations » ne s’applique donc pas à M. D2, qui est établi à Austin. La requérante ne conteste pas ces constatations. En ce qui concerne les documents qui n’ont pas été rédigés par M. D2, la requérante n’avance pas non plus que leurs auteurs appartiennent au personnel de Dell qui est basé au Royaume-Uni. Par conséquent, la requérante n’a pas démontré que la déclaration de Dell dans sa réponse au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003, en date du 19 décembre 2005, sur laquelle elle s’appuie, s’applique aux documents susmentionnés qui n’ont pas été rédigés par M. D2. En outre, il convient d’observer que Dell a identifié précisément les documents qui ont été annexés à la réponse de Dell au titre de l’article 18 comme étant pertinents pour la question des conséquences de l’introduction par Dell d’ordinateurs équipés de CPU AMD.

502    Il y a donc lieu d’observer, d’une part, que les documents du 23 décembre 2002, du 26 février 2003, du 17 mars 2003 et du 17 février 2004 (voir points 475, 476, 477 et 479 ci-dessus) confirment la valeur probante des courriels de M. D2 dans la mesure où l’ensemble de ces documents démontre que Dell prévoyait une perte de rabais en cas de décision de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD pour laquelle il n’existe aucune explication plausible, à part celle selon laquelle le montant des rabais était soumis à une condition d’exclusivité. D’autre part, à supposer même que la valeur probante des courriels rédigés par M. D2 soit faible, voire totalement nulle, il n’en reste pas moins que les autres documents prouveraient à suffisance de droit que Dell estimait que le montant des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité.

503    Partant, dans la décision attaquée, la Commission a, à juste titre, inféré des documents internes de Dell que celle-ci était convaincue que le niveau de ses rabais MCP était fondé sur son statut de vendeur exclusif d’Intel.

 2) Sur la preuve qu’Intel a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité

504    La requérante fait valoir que la Commission n’a pas prouvé qu’Intel a signalé à Dell que les rabais étaient soumis à une condition d’exclusivité. La décision attaquée ne relèverait que quatre documents d’Intel, à savoir les documents mentionnés aux points 446 à 448 ci-dessus, à l’appui de sa conclusion selon laquelle Intel avait « prévenu Dell » que ses remises diminueraient d’une manière disproportionnée si Dell s’approvisionnait auprès d’AMD. Cependant, aucun de ces documents n’impliquerait une communication d’Intel à Dell. La requérante souligne en particulier que le courriel de M. I2 du 18 juin 2006 était adressé à Lenovo et non pas à Dell.

505    À cet égard, il y a lieu de souligner la coïncidence entre, d’un côté, le contenu des documents internes d’Intel et, de l’autre, celui des documents internes de Dell. Cette coïncidence découle du fait que, en cas de rupture de la relation d’exclusivité existant entre la requérante et Dell, les documents internes d’Intel et de Dell indiquent de manière concordante soit une disparition de l’intégralité de la prétendue « exposition concurrentielle » ou une perte totale des rabais MCP, soit au moins une réduction de la prétendue « exposition concurrentielle » ou des rabais MCP pour laquelle il n’existe aucune explication plausible, à part que le montant des rabais MCP était soumis à une condition exclusivité.

506    En effet, dans la mesure où, d’une part, certains des documents internes d’Intel et, d’autre part, certains des documents internes de Dell impliquent une disparition de l’intégralité de la prétendue « exposition concurrentielle » ou une perte totale des rabais MCP en cas de rupture de la relation d’exclusivité existant entre la requérante et Dell, ces documents contiennent des indices concordants de ce que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité (voir points 458 et 488 ci-dessus).

507    Il est vrai que l’un des deux documents internes d’Intel qui indiquent une disparition de l’intégralité de la prétendue « exposition concurrentielle » ou une perte totale des rabais MCP en cas de rupture de la relation d’exclusivité, à savoir le courriel de M. I2 du 18 juin 2006 (voir point 448 ci-dessus), n’a pas été adressé à Dell, mais à Lenovo. Ce courriel ne constitue donc pas une preuve directe de ce que la requérante a communiqué à Dell le fait que la prétendue « exposition concurrentielle » disparaîtrait complètement ou que les rabais MCP seraient réduits à zéro en cas de rupture de la relation d’exclusivité.

508    Toutefois, dans la présentation interne d’Intel du 5 février 2003, M. I1 envisageait de « faire comprendre » à Dell « avec finesse » que, « si Dell ajoute AMD à sa ligne de produits, ils ne seront plus exposés à un alignement sur la concurrence ». Cela doit être compris comme impliquant que la requérante entendait signaler à Dell que la prétendue « exposition concurrentielle » disparaîtrait complètement au cas où Dell « ajoute[rait] AMD à sa ligne de produits » (voir points 446 et 459 ci-dessus).

509    S’agissant des documents internes de Dell, les courriels de M. D2 des 26 et 27 février 2004 impliquent une perte totale des rabais MCP pour au moins un trimestre en cas de décision de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD (voir points 480, 481 et 488 ci-dessus). Le fait que M. D2 a commencé son courriel du 26 février par les mots « Patron, voici un aperçu du cadre dont nous avons discuté avec Intel » confirme qu’il faisait référence aux faits qui lui avaient été communiqués par la requérante.

510    Au vu de ces derniers éléments de preuve, le courriel de M. I2 confirme de manière indirecte que les communications entre la requérante et Dell incluaient des scénarios dans lesquels la seule introduction par Dell d’un produit concurrent aurait entraîné l’annulation totale du MCP. S’il est vrai que ce courriel ne constitue pas une preuve directe de l’existence d’une communication entre la requérante et Dell, il constitue toutefois un indice de la manière dont le [confidentiel] de la requérante présentait le fonctionnement du MCP.

511    Au demeurant, dans la mesure où les documents internes d’Intel ainsi que les documents internes de Dell n’impliquent pas une disparition complète de la prétendue « exposition concurrentielle » ou une perte totale de rabais MCP en cas d’une rupture de la relation d’exclusivité existant entre la requérante et Dell, force est de constater que la requérante ne soutient même pas que les rabais MCP ont varié exclusivement en fonction du volume d’achat. Dans la mesure où la requérante s’efforce de justifier la réduction des rabais MCP en cas de décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD par une variation graduelle de l’exposition concurrentielle, force est de constater que ni les documents internes d’Intel ni les documents internes de Dell ne contiennent de preuves de ce que la requérante a communiqué à Dell la manière exacte dont une réduction de l’exposition concurrentielle se serait traduite en une réduction des rabais MCP. En l’absence d’explication plus concrète à cet égard, il est permis de conclure que la requérante a signalé à Dell qu’au moins une partie des rabais MCP était soumise à une condition d’exclusivité (voir points 461 et 490 ci-dessus).

512    Il s’ensuit que les éléments trouvés dans les documents internes d’Intel et de Dell coïncident et démontrent que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité.

513    En plus de cette coïncidence, l’existence d’une telle communication est confirmée par un courriel du 7 décembre 2004, exposé au considérant 313 de la décision attaquée, dans lequel M. I1 d’Intel transmet expressément à M. D1 de Dell le message qui suit :

« Je dois passer des cycles supplémentaires à évaluer comment notre programme d’alignement sur la concurrence évoluerait si [l’utilisation par Dell de l’Opteron d’AMD] était inévitable […] Des changements dans l’exposition concurrentielle = des changements dans le support concurrentiel. »

514    Il découle du contenu de ce courriel que les rabais MCP auraient été réduits en cas de décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD. En ce qui concerne le montant précis de la réduction, le courriel démontre que le niveau des rabais MCP ne variait pas exclusivement en fonction du volume d’achat, mais surtout en fonction de la prétendue « exposition concurrentielle ». Certes, le courriel n’indique pas que l’intégralité de cette prétendue « exposition concurrentielle », et donc l’intégralité de la partie des rabais MCP qui était prétendument octroyée en contrepartie de l’exposition concurrentielle, aurait disparu en cas de décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD. Toutefois, en l’absence d’une explication plus concrète sur la manière exacte dont une réduction de l’exposition concurrentielle se serait traduite en une réduction des rabais MCP, il est permis de conclure que la requérante a signalé à Dell qu’au moins une partie des rabais MCP était soumise à une condition d’exclusivité (voir points 461 et 490 ci-dessus).

515    Partant, il est permis de conclure que la Commission a prouvé à suffisance de droit que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était de facto soumis à une condition d’exclusivité.

 3) Sur les autres arguments de la requérante


 3.1) Sur l’argument tiré de ce que les documents sur lesquels s’appuie la Commission ne couvrent que les quinze premiers mois de la période infractionnelle

516    La requérante relève que les documents sur lesquels s’appuie la Commission ne couvrent que les quinze premiers mois de la période infractionnelle, à savoir la période allant de décembre 2002 à mars 2004. Le fait d’attacher une importance primordiale à des éléments de preuve portant sur les quinze premiers mois d’une période de trois ans serait arbitraire et illégal.

517    À cet égard, il convient de relever, premièrement, que, dans sa réponse au titre de l’article 18, Dell a fourni des documents internes émanant des quinze premiers mois pour illustrer l’évaluation des conséquences d’une décision de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD qu’elle a réalisée « au cours de la période de référence 2003-2005 ». Deuxièmement, le courriel du 7 décembre 2004, exposé au considérant 313 de la décision attaquée (voir point 513 ci-dessus), constitue un autre élément de preuve attestant que, en décembre 2004, la requérante signalait toujours à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité. Troisièmement, le courriel de M. I2 au [confidentiel] de Lenovo (voir point 448 ci-dessus), indiquant que « tout programme d’alignement sur la concurrence que nous avons pu avoir avec Dell sera annulé puisqu’ils introduisent la concurrence », date du 18 juin 2006. L’utilisation du futur (« sera annulé ») semble indiquer que, à ce moment-là, le MCP n’était pas encore terminé ou était en train de prendre fin.

518    Au vu des forts indices concernant la persistance des pratiques anticoncurrentielles pendant l’intégralité de la période, la requérante aurait dû avancer des éléments de preuve pour remettre en cause ces indices, ce qu’elle n’a pas fait. Il s’ensuit que la Commission a prouvé à suffisance de droit que, entre décembre 2002 et décembre 2005, la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité.

 3.2) Sur l’argument tiré de ce que la Commission ne peut pas s’appuyer sur des projections internes d’un client pour établir une infraction au titre de l’article 82 CE

519    La requérante, soutenue par l’ACT, fait valoir que, dans la décision attaquée, la Commission s’est, à tort, fondée sur des projections internes de Dell. Selon la requérante, l’affirmation selon laquelle Dell était convaincue que le niveau des rabais MCP était fondé sur son statut de vendeur exclusif d’Intel est juridiquement dénuée de pertinence en vertu du principe de sécurité juridique. La responsabilité de l’entreprise en position dominante ne saurait être fondée sur ce que ses clients croyaient. Lors de l’audience, la requérante a précisé à cet égard, en substance, qu’il est impossible d’inférer l’existence d’un comportement propre à la partie requérante sur la base des projections internes d’un client, car ces projections pourraient être déraisonnables.

520    L’ACT a fait valoir, lors de l’audience, que le fait que la Commission a fondé sa théorie de l’existence d’un abus sur des estimations internes de Dell est confirmé par la circonstance selon laquelle le comportement de la requérante n’a changé ni au début de la période d’infraction mise en cause dans la décision attaquée ni à la fin de celle-ci. Selon l’ACT, la Commission s’est appuyée uniquement sur le début et la fin de l’existence de spéculations internes au sein de Dell sur les conséquences d’une décision de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD afin de conclure au début et à la fin de la période d’infraction. Interrogée sur son argument par le Tribunal, l’ACT a précisé ne pas soutenir que la durée de l’infraction retenue dans la décision attaquée devait être réduite, mais seulement que la théorie de l’existence d’un abus élaborée par la Commission reposait sur des spéculations internes de Dell.

521    Il convient de relever que, dans la présente affaire, en l’absence de condition formelle d’exclusivité, la Commission s’est appuyée sur des projections internes de Dell pour établir que la requérante a de facto signalé à Dell lors de la période mise en cause que le niveau des rabais MCP était soumis à une telle condition. Cette approche, par laquelle la Commission a tenu compte des attentes d’un client de la requérante uniquement afin d’établir la preuve d’un comportement propre à la requérante, ne saurait être critiquée.

522    Il est vrai que, dans l’arrêt de la Cour Deutsche Telekom, point 98 supra (points 198 et 202), et dans l’arrêt TeliaSonera, point 88 supra (points 41 et 44), la Cour a confirmé que, afin d’apprécier la licéité de la politique de prix appliquée par une entreprise dominante, il convient, en principe, de se référer à des critères de prix fondés sur les coûts encourus par l’entreprise dominante elle-même et qu’une telle approche est d’autant plus justifiée qu’elle est également conforme au principe général de sécurité juridique dès lors que la prise en compte des coûts des prix de l’entreprise dominante permet à celle-ci d’apprécier la légalité de ses propres comportements.

523    Toutefois, cette jurisprudence, qui limite les critères juridiques susceptibles d’être pris en compte lors de l’appréciation de la licéité d’une politique de prix, n’empêche pas la Commission de s’appuyer, sur le plan factuel, sur des attentes internes d’un client afin d’établir la preuve d’un comportement propre à l’entreprise en position dominante. Dans le cas d’espèce, le reproche juridique de l’existence d’un abus de position dominante repose sur la circonstance selon laquelle la requérante a appliqué un système de rabais dont le niveau était de facto soumis à une condition d’exclusivité. Ce reproche repose donc exclusivement sur un comportement propre à la requérante dont celle-ci devait avoir connaissance. En revanche, il ne repose pas sur les projections internes de Dell, dont la Commission s’est servie uniquement pour établir la preuve factuelle de la pratique mise en cause.

524    Pour les mêmes raisons, il y a lieu d’écarter l’argument de l’ACT selon lequel la Commission s’est appuyée uniquement sur le début et la fin de l’existence de spéculations internes au sein de Dell sur les conséquences d’une décision de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD afin de conclure au début et à la fin de la période d’infraction. En effet, dès lors que, dans la décision attaquée, la Commission a mis en cause un comportement propre à la requérante, rien ne s’opposait à ce qu’elle s’appuie sur des projections internes de Dell afin de conclure au début et à la fin de ce comportement.

525    Enfin, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel il est impossible d’inférer l’existence d’un comportement propre à la requérante sur la base des projections internes d’un client, car ces projections pourraient être déraisonnables. Il est vrai qu’il est, en principe, loisible à la requérante de réfuter la preuve apportée par la Commission dans la décision attaquée en démontrant que les projections internes de Dell, sur la base desquelles la Commission a inféré la mise en œuvre d’un rabais d’exclusivité par la requérante, étaient déraisonnables et qu’elles n’ont donc pas été causées par le comportement de la requérante. Toutefois, dans le cas d’espèce, la requérante n’a pas démontré ce fait. Au contraire, le fait que les projections internes de Dell coïncident avec le contenu des documents internes d’Intel et celui du courriel du 7 décembre 2004 (voir points 505 à 515 ci-dessus) confirme que ces projections n’étaient pas déraisonnables, mais reposaient justement sur ce qui avait été signalé à Dell par la requérante.

 3.3) Sur l’argument tiré de ce que la Commission devrait établir que les rabais MCP auraient effectivement été réduits de manière disproportionnée en cas de décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD

526    La requérante fait valoir, en substance, que la Commission s’est, à tort, abstenue d’établir que les rabais MCP auraient effectivement été réduits de manière disproportionnée en cas de décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD. En particulier, les documents internes de Dell ne tiendraient pas compte des modifications effectivement apportées aux rabais de Dell. Ils contiendraient plutôt des hypothèses sur ce qui aurait pu se passer si Dell avait décidé de s’approvisionner auprès d’AMD.

527    Il y a lieu de constater que la capacité anticoncurrentielle d’un rabais d’exclusivité repose sur le fait qu’il est susceptible d’inciter le client à un approvisionnement exclusif (voir, en ce sens, arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, point 90, et arrêt de la Cour British Airways, point 74 supra, point 62). Or, l’existence d’une telle incitation ne dépend pas de la question de savoir si le rabais est effectivement réduit ou supprimé en cas de violation de la condition d’exclusivité à laquelle son octroi est soumis (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal Tomra, point 72 supra, point 300). En effet, il suffit à cet égard que l’entreprise dominante donne l’impression au client que tel serait le cas. Ce qui importe, ce sont les circonstances auxquelles le client devait s’attendre au moment où il a passé les commandes, conformément à ce qui lui a été signalé par l’entreprise en position dominante, et non la réaction effective de cette dernière à la décision du client de changer sa source d’approvisionnement.

528    Dans la présente affaire, la Commission a démontré à suffisance de droit que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était de facto soumis à une condition d’approvisionnement exclusif auprès d’elle (voir points 446 à 515 ci-dessus). La question de savoir si la requérante aurait effectivement réduit le rabais MCP est donc dépourvue de pertinence. S’il est vrai que, aux considérants 306 et 311 de la décision attaquée, il est constaté qu’un passage chez AMD « aurait » provoqué une perte disproportionnée des rabais, il découle toutefois clairement du contexte de ladite décision que la Commission n’a pas reproché à la requérante qu’elle aurait effectivement réduit les rabais en raison d’une rupture de la relation d’exclusivité existant entre elle et Dell, mais plutôt qu’elle avait communiqué ce fait à Dell. L’argument de la requérante selon lequel le mémoire en défense tente de modifier la théorie d’abus retenue dans la décision attaquée ne saurait, dès lors, prospérer.

 3.4) Sur l’argument tiré de ce que l’évaluation constante de Dell de la possibilité de s’approvisionner auprès d’AMD serait incompatible avec la théorie élaborée dans la décision attaquée

529    La requérante fait valoir que la stratégie de Dell consistant à évaluer constamment la possibilité de s’approvisionner auprès d’AMD n’est pas compatible avec la théorie élaborée dans la décision attaquée, selon laquelle Dell craignait de se voir infliger une sanction disproportionnée si elle s’approvisionnait auprès d’AMD. Dell n’aurait logiquement pas consacré de temps ni d’investissements considérables pour tester et évaluer les CPU AMD si elle avait pensé que le fait de s’approvisionner auprès d’AMD n’aurait pas été rentable parce que cela aurait entraîné une réduction disproportionnée des rabais accordés par Intel. Selon la requérante, l’évaluation continue par Dell d’un approvisionnement partiel auprès d’AMD réfute directement tant le fait que Dell ait estimé qu’elle subirait des réductions disproportionnées de rabais si elle migrait vers AMD que le fait qu’Intel ait donné « l’impression » que Dell subirait de telles réductions.

530    Il y a lieu de constater que la rupture d’une relation d’exclusivité peut être rentable pour un client en dépit de la perte d’un rabais d’exclusivité. En effet, rien ne s’oppose à ce que, du point de vue du client, les avantages liés à une décision de s’approvisionner partiellement auprès d’un concurrent dépassent l’inconvénient lié à la suppression de l’incitation financière qui est octroyée en contrepartie de l’approvisionnement exclusif. Le fait que Dell ait constamment évalué la possibilité de s’approvisionner auprès d’AMD ne remet donc pas en cause le fait que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à la condition d’un approvisionnement exclusif. Par conséquent, l’argument de la requérante doit être écarté.

 3.5) Sur l’argument tiré de ce que le manque de transparence du système des rabais MCP ne pourrait fonder la responsabilité de la requérante

531    Il convient de relever que, aux considérants 942 à 949 de la décision attaquée, la Commission a pris en considération l’absence de critères transparents et objectifs pour l’octroi des rabais MCP comme un facteur renforçant l’effet de la condition d’exclusivité.

532    Selon la requérante, le fait qu’on lui attribue une responsabilité fondée sur cette incertitude n’a aucune base en droit et n’est pas étayée par les éléments de preuve avancés par la Commission.

533    En l’espèce, il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si cette incertitude constitue un facteur qui renforçait l’incitation à un approvisionnement exclusif. En effet, en tout état de cause, les arguments de la requérante ne sauraient remettre en cause la preuve de ce que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité.

534    D’une part, la requérante fait valoir que, dans la décision attaquée, la Commission ne prétend pas que Dell ne connaissait pas le niveau des rabais qu’Intel lui accorderait dans le cadre d’un trimestre donné si elle s’approvisionnait auprès d’AMD. La Commission soutiendrait que l’absence de transparence concernant le niveau des rabais au cours des périodes ultérieures, pour lesquelles le volume et la répartition entre les différents CPU que Dell aurait achetés à Intel étaient encore inconnus, constitue en soi un élément de preuve de la conditionnalité.

535    Cet argument ne saurait convaincre. En effet, selon l’article 1er, sous a), du dispositif de la décision attaquée, le constat d’un abus concernant le comportement de la requérante vis-à-vis de Dell ne repose pas sur le manque de transparence du système des rabais MCP, mais sur le fait que le niveau de ces rabais était soumis à une condition d’exclusivité. Afin de prouver cette conditionnalité, la Commission ne s’est pas appuyée sur le manque de transparence du système des rabais MCP. Elle a plutôt prouvé la conditionnalité de ces rabais moyennant les éléments de preuve examinés aux points 444 à 515 ci-dessus, qui démontrent à suffisance de droit que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était de facto soumis à une condition d’exclusivité. En revanche, la Commission a pris en considération le manque de transparence du système des rabais MCP seulement comme un facteur qui renforçait l’effet de fidélisation de ces rabais (voir considérant 945 de la décision attaquée). L’affirmation de la requérante selon laquelle la Commission soutient que le manque de transparence du système des rabais MCP constitue en soi un élément de preuve de la conditionnalité est donc erronée.

536    En tout état de cause, pour ce qui concerne le prétendu manque de transparence du système des rabais MCP, la question pertinente est justement celle de savoir si Dell pouvait, à un moment donné, prévoir pour des périodes ultérieures dans quelle mesure les rabais MCP changeraient en cas d’approvisionnement auprès d’AMD pour un volume d’achat déterminé ou certains produits ou programmes. Tel n’était cependant pas le cas en l’espèce. À cet égard, il convient de rappeler que, dans sa réponse au titre de l’article 18, Dell a expressément mentionné qu’elle « ne savait pas précisément dans quelle mesure le MCP diminuerait, ni de quelle manière ou sur quelle période de temps ». Dell a, en outre, expliqué qu’elle avait cherché à prévoir l’incidence négative d’un approvisionnement partiel auprès d’AMD par le biais d’une série de scénarios potentiels (voir point 466 ci-dessus). Ces circonstances sont confirmées par des documents internes de Dell (voir points 474 à 481 ci-dessus). En conséquence, la Commission a démontré à suffisance de droit que Dell ne connaissait pas la partie exacte des rabais MCP qui aurait été supprimée en cas de rupture de la relation d’exclusivité existant entre elle et la requérante.

537    D’autre part, la requérante soutient que la tentative de la Commission de mettre en cause la responsabilité d’Intel par rapport aux prétendues attentes internes de ses puissants clients ou à leurs incertitudes n’aurait aucune base juridique. À cet égard, il y a lieu de rappeler que le constat d’un manque de transparence du système des rabais MCP n’est pas indispensable pour fonder le dispositif de la décision attaquée. Contrairement à ce que prétend la requérante, la responsabilité d’Intel mise en cause dans ladite décision ne dépend pas de la preuve d’une incertitude de Dell concernant la partie exacte des rabais MCP qui aurait été supprimée en cas de rupture de la relation d’exclusivité. En tout état de cause, force est de constater que, dans ladite décision, la Commission s’est appuyée sur cette incertitude afin de démontrer seulement le manque de transparence du système des rabais MCP. Or, ce manque de transparence constitue une qualité objective du système des rabais MCP, dont la requérante devait avoir connaissance. Étant donné que la Commission s’est donc appuyée sur cette incertitude afin d’établir seulement la preuve d’une circonstance objective dont la requérante devait avoir connaissance, l’approche de la Commission ne saurait être critiquée (voir points 521 à 525 ci-dessus).

538    À titre surabondant, il y a lieu de constater que le fait que Dell ne connaissait pas la partie exacte des rabais MCP qui aurait été supprimée en cas de rupture de la relation d’exclusivité existant entre la requérante et Dell ne saurait priver ces rabais de leur capacité d’inciter Dell à s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante. Il y a lieu de rappeler à cet égard que le caractère anticoncurrentiel des pratiques mises en cause dans la décision attaquée ne dépend pas du montant précis de la partie des rabais MCP qui était soumise à la condition d’exclusivité. Il dépend plutôt de l’exclusivité en contrepartie de laquelle ces rabais ont été octroyés (voir point 108 ci-dessus). Dans le cas d’espèce, la Commission a exposé, au considérant 216 de la décision attaquée, que, lors de la période mise en cause dans ladite décision, le montant total des rabais octroyés par Intel à Dell en vertu du MCP s’est élevé entre 110 et 479 millions de USD par trimestre. La requérante ne conteste pas ces chiffres. De plus, la Commission a prouvé à suffisance de droit que la requérante a signalé à Dell qu’au moins une partie de ces rabais était de facto soumise à une condition d’exclusivité. Même si Dell ne connaissait pas la partie exacte des rabais MCP qui aurait été supprimée en cas de rupture de la relation d’exclusivité, ces constatations suffisent pour qu’il soit permis de conclure que les pratiques de la requérante vis-à-vis de Dell étaient susceptibles d’inciter Dell à s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante (voir point 109 ci-dessus).

 3.6) Sur l’argument tiré de ce que Dell se serait approvisionnée exclusivement auprès de la requérante pour des raisons parfaitement indépendantes de toute crainte de réduction disproportionnée des rabais en cas d’approvisionnement auprès d’AMD

539    La requérante fait valoir que Dell s’est approvisionnée exclusivement auprès d’elle pour des raisons parfaitement indépendantes de toute crainte de réduction disproportionnée des rabais en cas d’approvisionnement auprès d’AMD. Premièrement, Dell aurait choisi d’acheter des CPU à titre exclusif auprès d’Intel du fait de son modèle commercial à bas coût et en raison du coût plus faible d’un approvisionnement exclusif auprès d’Intel. Deuxièmement, Dell aurait estimé que les CPU Intel étaient, en général, d’une qualité supérieure à celle des CPU AMD et qu’Intel était dotée de capacités supérieures en tant que fournisseur. Troisièmement, Dell aurait été inquiète quant au « caractère durable de la feuille de route [d’AMD] et de la santé de l’écosystème des chipsets [d’AMD] ». Quatrièmement, Dell aurait douté de la fiabilité d’AMD en tant que fournisseur. Cinquièmement, Dell aurait conclu que le fait de s’approvisionner auprès d’AMD allait entraîner des problèmes importants de logistique. Sixièmement, Dell aurait nourri des inquiétudes quant à l’incapacité d’AMD de satisfaire ses exigences de volumes importants.

540    À cet égard, force est de constater, premièrement, que les arguments de la requérante sont inopérants pour autant qu’ils visent à réfuter la preuve de ce que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité.

541    En effet, par ses arguments, la requérante s’efforce d’expliquer l’existence d’une relation d’exclusivité entre elle et Dell lors de la période mise en cause en évoquant des raisons autres que l’octroi des rabais d’exclusivité. Or, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas inféré l’existence des rabais d’exclusivité sur la base de la seule existence d’une relation d’exclusivité entre la requérante et Dell, de sorte que, pour réfuter cette preuve, la requérante aurait pu se limiter à fournir une explication alternative. Au contraire, en s’appuyant, en particulier, sur les documents internes d’Intel et de Dell ainsi que sur la réponse de Dell au titre de l’article 18 et sur le courriel du 7 décembre 2004, la Commission a établi moyennant des preuves précises et concordantes que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’approvisionnement exclusif (voir points 446 à 515 ci-dessus). Les arguments de la requérante concernant les prétendus motifs indépendants de Dell pour son approvisionnement exclusif ne concernent cependant pas directement les preuves retenues dans la décision attaquée. Ils se bornent plutôt à les remettre en cause de manière indirecte en offrant une explication alternative concernant l’existence d’une relation d’exclusivité entre la requérante et Dell lors de la période mise en cause. Une telle contestation indirecte ne saurait aucunement suffire pour réfuter la valeur probante des éléments de preuve retenus dans la décision attaquée.

542    En outre, il ressort de la jurisprudence que, lorsque la Commission se fonde sur des éléments de preuve qui sont en principe suffisants pour démontrer l’existence de l’infraction, il ne suffit pas à l’entreprise concernée d’évoquer la possibilité qu’une circonstance s’est produite qui pourrait affecter la valeur probante desdits éléments de preuve pour que la Commission supporte la charge de prouver que cette circonstance n’a pas pu affecter la valeur probante des éléments de preuve. Au contraire, sauf dans les cas où une telle preuve ne pourrait pas être fournie par l’entreprise concernée en raison du comportement de la Commission elle-même, il appartient à l’entreprise concernée d’établir à suffisance de droit, d’une part, l’existence de la circonstance qu’elle invoque et, d’autre part, que cette circonstance met en cause la valeur probante des éléments de preuve sur lesquels se fonde la Commission (arrêt E.ON Energie/Commission, point 67 supra, point 56).

543    Or, force est de constater qu’en fournissant une explication alternative concernant l’existence d’une relation d’exclusivité entre la requérante et Dell la requérante ne remet pas en cause le fait que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité. Même à supposer que la requérante réussisse à prouver que Dell s’est approvisionnée auprès d’elle uniquement pour les raisons invoquées par la requérante, cette circonstance ne mettrait pas en cause la valeur probante des éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est fondée afin d’établir l’existence d’un rabais d’exclusivité. En effet, la preuve envisagée par la requérante permettrait seulement de réfuter le lien de causalité entre le rabais d’exclusivité, dont l’existence a été prouvée à suffisance de droit dans la décision attaquée, et la décision de Dell de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante. Elle ne permettrait pas cependant de réfuter l’existence d’un rabais d’exclusivité en tant que telle.

544    Il s’ensuit que les arguments de la requérante sont inopérants pour autant qu’ils visent à réfuter la preuve de ce que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité.

545    Deuxièmement, il convient de constater que les arguments de la requérante sont également inopérants pour autant qu’ils visent à remettre en cause la qualification juridique de pratiques abusives donnée aux rabais d’exclusivité. À cet égard, il convient de rappeler que la qualification d’un rabais d’exclusivité d’abusif ne nécessite la démonstration ni d’un effet concret sur le marché ni d’un lien de causalité (voir points 103 et 104 ci-dessus). Un tel rabais est illégal en raison de sa capacité de restreindre la concurrence. À supposer même que la requérante ait réussi à réfuter l’existence d’un lien de causalité entre l’octroi des rabais d’exclusivité et la décision de Dell de s’approvisionner exclusivement auprès d’elle, cela ne remettrait pas en cause la capacité inhérente aux rabais MCP à restreindre la concurrence. En effet, tout avantage financier dont l’octroi est soumis à une condition d’exclusivité est nécessairement susceptible d’inciter le client à un approvisionnement exclusif, sans qu’il soit pertinent de savoir si le client se serait approvisionné exclusivement auprès de l’entreprise dominante également en l’absence d’un rabais d’exclusivité.

546    Partant, il y a lieu de conclure que les arguments de la requérante concernant l’existence d’autres raisons pour lesquelles Dell s’est approvisionnée exclusivement auprès d’elle lors de la période mise en cause dans la décision attaquée sont inopérants. Ils ne sont aucunement à même de réfuter la preuve de l’existence d’un rabais d’exclusivité, ni sa qualification juridique d’abusif. Par conséquent, ces arguments doivent être écartés sans qu’il soit nécessaire d’en examiner le bien-fondé et de se prononcer sur la question de savoir si la requérante a établi à suffisance de droit que Dell s’est approvisionnée exclusivement auprès de la requérante uniquement pour des raisons autres que l’existence d’un rabais d’exclusivité.

 3.7) Sur l’argument tiré de ce que la réaction d’Intel à la décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD en 2006 réfuterait les conclusions de la décision attaquée

547    La requérante soutient que sa réaction à la décision de Dell de 2006 de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD (ci-après la « décision de Dell de 2006 ») réfute les conclusions de la Commission. Selon la requérante, Dell n’aurait pas pris sa décision de 2006 si elle avait craint que cette décision n’entraînât une réaction disproportionnée. En outre, aucune perte de rabais disproportionnée n’aurait suivi cette décision. La requérante affirme que, s’il est vrai que Dell a connu une réduction de ses rabais au cours de 2006, cette réduction ne serait absolument pas liée à l’approvisionnement de Dell auprès d’AMD, mais essentiellement à une réduction sensible des prix catalogue d’Intel visant à les aligner davantage sur les prix transactionnels et à une réduction substantielle du nombre de CPU achetés par Dell auprès d’Intel.

548    Tout d’abord, il y a lieu d’écarter l’argument de la requérante selon lequel Dell n’aurait pas pris sa décision de 2006 si elle avait craint que cette décision n’entraînât une réaction disproportionnée. En effet, rien ne s’oppose à ce que, du point de vue du client, les avantages liés à la décision de s’approvisionner partiellement auprès d’un concurrent dépassent l’inconvénient lié à la suppression de l’incitation financière qui est octroyée en contrepartie de l’approvisionnement exclusif (voir point 530 ci-dessus). Ainsi, le seul fait que Dell se soit finalement décidé, en 2006, à ne pas continuer de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante n’est pas susceptible de réfuter le fait qu’avant cette décision la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité.

549    Ensuite, s’agissant de l’argument selon lequel aucune perte de rabais disproportionnée n’a été observée après la décision de Dell de 2006, il convient de relever ce qui suit.

550    Premièrement, force est de constater que cet argument de la requérante est dépourvu de pertinence en droit pour autant que la qualification juridique d’un rabais d’exclusivité ne dépend pas de la question de savoir si ce rabais a effectivement été réduit ou supprimé en cas de décision du client de s’approvisionner partiellement auprès du concurrent (voir point 527 ci-dessus).

551    Deuxièmement, l’argument de la requérante doit également être écarté pour autant qu’il vise à réfuter la preuve de ce que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité lors de la période d’infraction mise en cause dans la décision attaquée. Il doit être rappelé que cette période s’étend, pour ce qui concerne Dell, de décembre 2002 à décembre 2005. À supposer même que la requérante parvienne à prouver que la réduction des rabais MCP en 2006 s’explique complètement par sa réduction des prix catalogue et par la réduction du volume de CPU que Dell achetait auprès d’elle, il n’en reste pas moins que cette preuve concernerait uniquement la réaction effective de la requérante à la décision de Dell de 2006. Force est de constater que cette réaction revêt tout au plus une très faible valeur probante en ce qui concerne la question de savoir quel contenu a été communiqué par la requérante à Dell lors de la période mise en cause dans la décision attaquée. En effet, étant donné que le marché des CPU x86 est caractérisé par un fort dynamisme, il ne saurait être exclu que les circonstances du marché ont changé de manière importante entre la fin de la période d’infraction mise en cause dans la décision attaquée et la décision de Dell de 2006. En conséquence, plusieurs raisons commerciales raisonnables peuvent expliquer pourquoi, après la décision de Dell de 2006, la requérante n’a pas jugé opportun de mettre à exécution son annonce antérieure de réduire les rabais MCP en raison du seul fait que Dell a introduit un produit concurrent. En raison de cette faible valeur probante, même à la supposer établie, la preuve envisagée par la requérante n’est aucunement susceptible de réfuter les preuves précises et concordantes qui démontrent que, lors de la période mise en cause dans la décision attaquée, la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité.

552    À titre surabondant, il y a lieu d’observer que l’argument de la requérante par lequel elle s’efforce d’expliquer la part de la réduction des rabais MCP en 2006 qui n’est pas justifiée par la réduction du volume d’achat par une baisse de ses prix catalogue est inopérant. En effet, la Commission expose, à juste titre, au considérant 288 de la décision attaquée, qu’une baisse généralisée des prix ne saurait compenser une réduction des rabais puisqu’une telle baisse n’équivaut pas à un rabais. La transformation d’un rabais accordé uniquement à Dell en une baisse des prix pour tous les clients d’Intel constituait une perte de l’avantage concurrentiel nette pour Dell en comparaison avec la situation qui était la sienne lorsqu’elle honorait son obligation d’exclusivité. La décision attaquée souligne à cet égard, sans que cela soit contesté par la requérante, que les OEM agissent dans un environnement de haute concurrence. Le prix relatif de leurs intrants (inputs) est donc aussi important que le prix absolu de ceux-ci, notamment en ce qui concerne des composants tels que les CPU x86, qui représentent la proportion la plus significative du coût d’un ordinateur.

 3.8) Sur l’argument tiré de ce que les dépositions faites lors de la procédure devant le tribunal du Delaware et lors de la procédure devant l’US FTC réfuteraient les conclusions de la décision attaquée

553    La requérante fait valoir que la valeur probante des éléments de preuve retenus dans la décision attaquée est remise en cause par des dépositions qui ont été faites par trois dirigeants de Dell, à savoir M. D3, [confidentiel], M. D1, [confidentiel], et M. D2, [confidentiel], lors de la procédure devant le tribunal du Delaware en 2009. De plus, elle s’appuie sur une déposition de M. D1 devant la Federal Trade Commission (agence fédérale de la concurrence, ci-après l’« US FTC ») en 2003 qui avait lieu dans le cadre d’une enquête entamée par cette dernière concernant les pratiques commerciales d’Intel.

 i) Sur la valeur probante des dépositions invoquées par la requérante vis-à-vis de la réponse de Dell au titre de l’article 18

554    La requérante avance qu’en droit américain la déposition sous serment de hauts dirigeants d’une entreprise est censée revêtir une force probante supérieure à celle de simples observations de l’entreprise formulées sans prêter serment.

555    À cet égard, il convient de constater, tout d’abord, que, selon l’article 23, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1/2003, le fait de fournir une réponse inexacte ou dénaturée à une demande simple de renseignement est passible d’amende. En fournissant, dans sa réponse au titre de l’article 18, des informations inexactes à la Commission, Dell aurait donc risqué l’imposition d’une amende de la part de la Commission.

556    En outre, il y a lieu d’observer que l’exactitude de la réponse de Dell au titre de l’article 18 est confirmée par les documents qui y sont annexés et que Dell a jugé pertinents pour répondre à la question soulevée par la Commission (voir point 501 ci-dessus).

557    Enfin, il ressort de la jurisprudence que des réponses données au nom d’une entreprise en tant que telle revêtent une crédibilité surpassant celle que pourrait avoir la réponse donnée par un membre de son personnel (voir arrêt JFE, point 62 supra, point 205, et la jurisprudence citée).

558    Par conséquent, les dépositions invoquées par la requérante ne revêtent pas en tant que telles une valeur probante supérieure à celle de la réponse de Dell au titre de l’article 18.

 ii) Sur les déclarations contenues dans les dépositions faites devant le tribunal du Delaware par lesquelles la requérante vise à affaiblir la valeur probante des documents rédigés par M. D2

559    La requérante avance que M. D2 a déclaré qu’il « n’étai[t] pas dans le secret concernant les tactiques de négociation » que les décideurs de Dell adoptaient dans le cadre de leurs transactions avec Intel, que « les détails et les mécanismes de… d’une transaction auraient été négociés directement avec le service des achats » et qu’il « n’aurai[t] pas été impliqué ». Il aurait témoigné n’avoir « jamais rencontré directement [M. D3] ». De plus, M. D2 aurait déclaré sous serment qu’il visait à être « la voix de l’avocat du diable dans le scénario le plus pessimiste qu’il soit possible d’imaginer », qu’il « avai[t] pour ambition personnelle de contrebalancer la… la diversité des opinions au sein de Dell » et que, « [d]onc, comme certains affichaient un réel optimisme, [il avait] toujours mis en avant le ‘pire’ des scénarios ». De plus, il aurait déclaré que ses prévisions quant à la réaction d’Intel dans le cas où Dell déciderait de s’approvisionner auprès d’AMD étaient « hautement spéculatives ». M. D1 aurait témoigné qu’il considérait M. D2 comme un « partisan d’un approvisionnement exclusif auprès d’Intel » et que, « en conséquence […] il présentait les choses de manière un petit peu plus grave qu’elles ne l’étaient en réalité ». M. D3, à son tour, aurait témoigné qu’il n’arrivait pas à « se souvenir d’une réunion spécifique à laquelle [il avait] assisté et à laquelle [M. D2] était présent ».

560    En ce qui concerne l’emploi de l’expression [guerre totale] dans le courriel du 26 février 2004, la requérante fait valoir que M. D2 a lui-même relativisé l’emploi de cette expression. Devant le tribunal du Delaware, il aurait déclaré que cette métaphore visait à illustrer la situation qui suit : « [J]’agissais un peu comme un franc-tireur quand je considérais le pire des scénarios, que je présentais sous la forme de la constatation d’un fait. » En outre, il aurait déclaré ce qui suit : « Je suis parfaitement certain qu’ils n’ont jamais dit qu’Intel déclarerait une [guerre totale]. » Concernant ce courriel, M. D3 aurait indiqué ce qui suit : « Tout cela me semble être, vous savez, les opinions de ce type, [M. D2]. Je ne sais pas s’ils sont bien au courant ou, vous savez, je n’avais lu qu’une partie de cela, mais je pouvais certainement être en désaccord avec une grande partie de ce que j’avais lu. » De même, lorsqu’il lui a été demandé s’il était en désaccord avec l’« analyse entière » de M. D2 dans son courriel, M. D1 aurait répondu ce qui suit : « [J]e dirais que je suis en désaccord. »

561    Force est de constater que ces extraits des dépositions faites devant le tribunal du Delaware ne suffisent même pas à ébranler la valeur probante des trois documents énoncés aux points 478, 480 et 481 ci-dessus, qui ont été rédigés par M. D2. À plus forte raison, ils ne sauraient réfuter l’ensemble des preuves précises et concordantes sur lesquelles la Commission s’est appuyée pour démontrer que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité.

562    Dans un premier temps, pour autant que la requérante affirme que M. D2 n’était pas au courant des négociations entre elle et Dell sur les rabais MCP, il y a lieu de rappeler que le courriel de M. D2 daté du 26 février 2004 démontre qu’il avait très récemment participé à une réunion avec Intel au cours de laquelle la relation entre Intel et Dell avait été abordée (voir points 480 et 495 ci-dessus). Concernant ce courriel, la question suivante a été posée à M. D2 lors de sa déposition devant le tribunal du Delaware : « [C]omment saviez-vous que [M. I2] et [M. I5] étaient prêts pour la [guerre totale] ? Avez-vous obtenu ces informations auprès de [M. I1] et/ou de [M. I4] ? » M. D2 a répondu ce qui suit : « Je peux imaginer qu’il y ait eu des discussions avec [MM. I1 et I4] quant à la manière dont [MM. I2 et I5] … quant à la manière dont les dirigeants d’Intel réagissaient face à AMD. » Plus tard, à la question de savoir s’il avait eu des consultations avec MM. I1 et I4 quant aux scénarios mentionnés dans le courriel, M. D2 a répondu ce qui suit : « Il y a bien eu cette discussion informelle, lors d’un dîner, sur leurs projets, sur la pire chose qui pourrait se produire, et une discussion mutuelle sur les différents scénarios. » Interrogé sur la question de savoir si ses patrons au sein de Dell savaient qu’il entretenait des lignes de communication avec MM. I1 et I4, M. D2 a répondu ce qui suit : « Lorsque je leur communiquais des informations que j’avais reçues [desdits individus], ils auraient clairement su d’où elles prov[enaient]. » En outre, lors de sa déposition devant le tribunal du Delaware, M. D1 a confirmé qu’il savait que M. D2 avait des contacts directs avec M. I1 et qu’il se servait de M. D2 pour échanger des informations avec Intel.

563    À cet égard il convient de rappeler que MM. I1 et I4 étaient les cadres d’Intel impliqués dans les négociations au plus haut niveau. M. I1 était [confidentiel] chez Intel. M. I4 était d’abord [confidentiel] et puis, depuis 2005, [confidentiel] d’Intel. Les dépositions de MM. D2 et D1 confirment donc que M. D2 avait des contacts avec des cadres d’Intel, qui étaient eux-mêmes impliqués dans les négociations au plus haut niveau. La déposition de M. D1 implique que Dell s’est servie de M. D2 pour échanger des informations avec Intel.

564    En outre, dans sa déposition devant le tribunal du Delaware, M. D1 a confirmé la pertinence des scénarios pessimistes pour la prise de décisions chez Dell, tout en soulignant qu’il ne les partageait pas lui-même, en indiquant ce qui suit : « Lorsque nous négociions, nous voulions nous assurer que, si le pire des scénarios devait se concrétiser, nous serions néanmoins en mesure de bénéficier d’avantages lorsque nous aurions décidé de la direction à suivre. Est-ce que je l’ai cru ? Non. » En ce qui concerne, à cet égard, l’emploi de l’expression [guerre totale], la Commission soutient, à juste titre, que, bien que cette expression puisse avoir été utilisée pour ajouter un peu de piment à la discussion, elle indique néanmoins la perception qu’avait M. D2 de la forte réaction négative qu’aurait Intel en cas de passage à la concurrence.

565    Les dépositions devant le tribunal du Delaware ne sont donc pas de nature à démontrer de manière univoque ni le fait que M. D2 n’était pas au courant des négociations entre Intel et Dell sur les rabais MCP ni le fait que ses projections n’étaient pas prises au sérieux au sein de Dell. Prises isolément, les dépositions devant le tribunal du Delaware doivent tout au plus être considérées comme ambiguës à cet égard. Elles ne sauraient donc priver les documents rédigés par M. D2 de leur valeur probante.

566    À cet égard il convient de rappeler que les réponses données au nom d’une entreprise en tant que telle revêtent une crédibilité surpassant celle que pourrait avoir la réponse donnée par un membre de son personnel (voir point 557 ci-dessus). Il y a lieu de rappeler également que deux documents rédigés par M. D2 figuraient dans l’annexe de la réponse de Dell au titre de l’article 18 contenant les documents que Dell a identifiés comme pertinents pour la question des conséquences de l’introduction par Dell d’ordinateurs équipés de CPU AMD (voir point 501 ci-dessus). Au vu de ces considérations, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel les documents rédigés par M. D2 sont dépourvus de toute valeur probante quant à la vision d’entreprise de Dell dès lors qu’ils ne concordent pas avec le témoignage sous serment des dirigeants de Dell.

567    Dans un second temps, il convient de rappeler que, à supposer même que la valeur probante des courriels rédigés par M. D2 soit faible, voire totalement nulle, il n’en reste pas moins que les documents internes d’Intel, la réponse de Dell au titre de l’article 18 ainsi que les autres documents internes de Dell susmentionnés prouveraient à suffisance de droit qu’Intel a signalé à Dell que le montant des rabais MCP était soumis à la condition d’un approvisionnement exclusif (voir point 502 ci-dessus).

 iii) Sur les déclarations contenues dans les dépositions faites devant le tribunal du Delaware par lesquelles la requérante vise à établir que Dell n’estimait pas que le niveau des rabais était soumis à une condition d’exclusivité

568    Selon la requérante, les dirigeants clés de Dell qui étaient dotés du pouvoir de décision ont déclaré sous serment que les rabais accordés à Dell au cours de la période 2002-2005 n’étaient soumis à aucune condition d’exclusivité, qu’Intel n’avait jamais menacé Dell de réduire les rabais de manière disproportionnée si elle décidait de s’approvisionner auprès d’AMD et que Dell n’avait en aucun cas rejeté AMD de peur de subir des « sanctions » d’Intel.

 Sur les déclarations selon lesquelles les rabais accordés à Dell au cours de la période 2002-2005 n’étaient soumis à aucune condition d’exclusivité

569    Il est vrai que, dans sa déposition devant le tribunal du Delaware, M. D3 a déclaré : « Je ne crois pas que nous ayons jamais eu un accord avec Intel qui était exclusif ou monogame. » Dans sa déposition devant le tribunal du Delaware, M. D1 a déclaré ce qui suit :

« Il n’y a jamais eu d’accord entre Intel et Dell pour dire que nous avions un accord d’exclusivité. Nous conservions toujours, lors des négociations et en ce qui concerne la considération supplémentaire, le droit de décider. »

570    Toutefois, il convient de rappeler que le reproche fait à la requérante dans la décision attaquée ne repose pas sur une obligation formelle d’exclusivité ou un accord conclu entre Intel et Dell. Il repose plutôt sur la preuve que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était de facto soumis à une condition d’exclusivité. Or, à cet égard, les déclarations faites par M. D1 dans ses dépositions devant l’US FTC et devant le tribunal du Delaware et par M. D3 devant le tribunal du Delaware ne permettent pas de réfuter les conclusions tirées aux points 446 à 515 ci-dessus concernant les éléments de preuve retenus dans la décision attaquée.

 Sur les déclarations selon lesquelles Intel n’a jamais menacé Dell de réduire les rabais de manière disproportionnée si elle décidait de s’approvisionner auprès d’AMD

571    La requérante s’efforce de démontrer que MM. D3 et D1 ne croyaient pas en une perte disproportionnée de rabais en cas de décision de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD en s’appuyant, en particulier, sur les extraits suivants des témoignages de ces deux personnes.

572    La requérante fait valoir que M. D1 a déclaré dans sa déposition devant l’US FTC en 2003 ce qui suit : « Intel ne nous verse aucun dollar en vue de nous inciter à ne pas utiliser les produits de leurs concurrents. »

573    Toutefois, il convient de relever que, au considérant 263 de la décision attaquée, la Commission expose le contexte de cette déclaration. Immédiatement après sa déclaration, il a été demandé à M. D1 ce qui suit : « Alors, le support que vous recevez d’Intel ne changerait pas si vous commenciez à vendre un produit incluant un [CPU] AMD ? » M. D1 a répondu : « Si la menace concurrentielle change, alors la réponse concurrentielle peut changer effectivement. » Prié d’expliquer ce que sa réponse voulait dire, il a déclaré ce qui suit : « Certains des programmes que nous avons établis sont des réponses concurrentielles à un chipset ou un [CPU] alternatif. Si nous devions utiliser ce chipset ou [CPU], il n’y aurait pas de réponse concurrentielle de la part d’Intel. » Au considérant 265 de la décision attaquée, la Commission a donc conclu, à juste titre, que M. D1 a ainsi réduit l’importance de sa déclaration selon laquelle « Intel ne nous verse aucun dollar en vue de nous inciter à ne pas utiliser les produits de leurs concurrents » en disant que les dollars disparaîtraient si Dell choisissait de s’approvisionner auprès d’un concurrent.

574    De plus, la Commission expose, au considérant 312 de la décision attaquée, que, dans sa déposition devant le tribunal du Delaware, M. D1 a déclaré ce qui suit : « Bon, nous comprenions que, si vous aviez un programme d’alignement sur la concurrence et que vous aviez introduit de la concurrence, il n’y avait plus réellement de besoin pour un alignement sur la concurrence […] et je ne m’étais jamais inquiété qu’il y aurait une rétorsion ou que tout disparaîtrait, mais certainement une partie était exposée à un risque. » Au même considérant de la décision attaquée, la Commission expose que M. D1 a également déclaré ce qui suit : « [T]oute la considération qu’on recevait sur une technologie de produit ou quoi que ce soit pour lequel nous croyions qu’une alternative concurrentielle existait, si vous aviez introduit l’alternative concurrentielle, nous croyions, et nous l’avions modélisé, que vous n’auriez plus eu la considération sur cette série de produits. Non pas que c’était un tout ou rien. » En outre, au considérant 313 de la décision attaquée, celle-ci expose que M. D1 a confirmé que le courriel du 7 décembre 2004 (voir point 513 ci-dessus) signifiait que, si Dell décidait de s’approvisionner auprès d’AMD, Intel reverrait son support concurrentiel, c’est-à-dire donnerait moins d’argent à Dell.

575    Les dépositions de M. D1 démontrent donc clairement que celui-ci avait compris que le niveau des rabais n’était pas exclusivement lié au volume d’achat. Les dépositions indiquent plutôt qu’au moins une partie des rabais MCP était liée à l’« exposition concurrentielle » des produits que Dell aurait reportés d’Intel vers AMD. Il est vrai que les dépositions de M. D1 n’impliquent pas qu’il estimait lui-même que l’intégralité de cette « exposition concurrentielle » aurait disparu en cas de rupture par Dell de sa relation historique d’approvisionnement exclusif avec la requérante. Toutefois, la requérante ne démontre pas la manière exacte dont les prétendus changements en « exposition concurrentielle » auraient dû se traduire en des changements des rabais MCP selon les propres estimations de M. D1. En l’absence d’une explication plus concrète à cet égard, il est permis de conclure que la partie des rabais MCP qui variait, selon la déclaration de M. D1, en fonction de l’« exposition concurrentielle » d’un certain produit ou programme de Dell, variait, en réalité, non pas en fonction d’une « exposition concurrentielle », mais selon que Dell s’approvisionnait exclusivement auprès de la requérante ou pas (voir points 461, 490 et 511 ci-dessus).

576    En outre, il convient de rappeler que M. D1 a confirmé la pertinence des scénarios pessimistes pour la prise de décisions chez Dell, tout en soulignant qu’il ne les partageait pas lui-même (voir point 564 ci-dessus). Les scénarios pessimistes incluaient les projections de M. D2, selon lesquelles l’intégralité des rabais MCP aurait été perdue au moins pour un trimestre en cas d’approvisionnement partiel auprès d’AMD. Dans ces scénarios, l’expression « exposition concurrentielle » qui est employée doit donc être considérée comme un euphémisme pour indiquer que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité (voir point 488 ci-dessus). Par conséquent, les déclarations de M. D1 ne sont pas incompatibles avec la constatation effectuée dans la décision attaquée, selon laquelle Dell, en tant qu’entreprise, estimait que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité.

577    Par ailleurs, la requérante s’appuie, en particulier, sur les passages qui suivent de la déposition de M. D3 devant le tribunal du Delaware pour démontrer que celui-ci ne croyait pas en une perte disproportionnée de rabais en cas de décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD.

578    M. D3 aurait déclaré ce qui suit : « Non […] Je ne crois pas qu’ils [Intel] nous aient versé une prime pour rester 100 % Intel […] Jamais. »

579    Toutefois, cette déclaration est compatible avec la thèse selon laquelle les rabais MCP ne constituaient pas une « prime » d’exclusivité, mais plutôt une « réponse » à l’« exposition concurrentielle » de certains produits ou programmes de Dell. Au vu de l’ensemble des preuves retenues dans la décision attaquée concernant la relation entre Dell et la requérante lors de la période mise en cause, il est probable que M. D3 ait nié l’existence d’une « prime » d’exclusivité en supposant implicitement que les rabais ne constituaient pas une prime d’exclusivité, mais une « réponse » à l’« exposition concurrentielle ». La requérante n’avance cependant aucun argument susceptible de démontrer que M. D3 a, dans ses dépositions, expliqué de façon plus précise la manière exacte dont les prétendus changements en matière d’exposition concurrentielle auraient dû se traduire par des changements dans l’octroi des rabais MCP. Par conséquent, la déclaration de M. D3 n’est pas incompatible avec la constatation de la décision attaquée selon laquelle Dell, en tant qu’entreprise, estimait que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité.

580    La requérante s’appuie, en outre, sur le fait que M. D3 a déclaré qu’il « ne savai[t] pas si » le fait de s’approvisionner auprès d’AMD « aurait des retombées positives ou négatives » sur le niveau des rabais d’Intel et qu’il « estimai[t] qu’il y avait une vraie chance qu’Intel se démène pour conserver le plus grand nombre de nos commandes et que par conséquent elle offrirait des rabais plus importants » au cas où Dell choisirait de s’approvisionner auprès d’AMD.

581    Toutefois, interrogé sur la question de savoir si certaines personnes chez Dell pensaient que les ristournes de Dell étaient susceptibles d’augmenter dans l’hypothèse où Dell aurait acheté des [CPU] AMD, M. D1 a répondu ce qui suit : « Je ne le pense pas. Peut-être certains ont-ils envisagé que cela puisse être le cas dans le long terme, mais pas dans un premier temps. » Lorsqu’il lui a été demandé s’il se souvenait de conversations avec M. D3 pendant lesquelles ce dernier aurait indiqué que les rabais pourraient augmenter, M. D1 a répondu par la négative. En outre, il convient de constater que M. D3 s’est abstenu de dire s’il estimait que la requérante offrirait des rabais plus importants à court ou à long terme. Par conséquent, sa réponse doit être envisagée à la lumière de la réponse de Dell au titre de l’article 18, selon laquelle certains membres du personnel de Dell supposaient qu’une décision de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD pourrait – à long terme – déclencher une concurrence renforcée sur les prix, voire une guerre des prix, ce qui permettrait finalement à Dell de recouvrir les pertes de rabais MCP à court terme (voir point 472 ci-dessus).

582    La requérante souligne que M. D3 a également répondu « oui » à la question de savoir s’il aurait pu annoncer en octobre 2003 que « Dell commencerait à utiliser un CPU AMD pour un produit ou deux sans craindre une réaction de la part d’Intel. » Toutefois, cette déclaration n’est pas compatible avec la théorie de la requérante, selon laquelle le niveau des rabais MCP variait en fonction de l’« exposition concurrentielle ». En effet, selon cette théorie, même l’utilisation d’un CPU AMD pour « un produit ou deux » aurait dû amener à un changement de l’« exposition concurrentielle » et donc déclencher une réaction de la part d’Intel. Elle est, en outre, contredite par la réponse de Dell au titre de l’article 18, dans laquelle Dell, en tant qu’entreprise, a déclaré que même les plus optimistes au sein de l’entreprise étaient arrivés à la conclusion que, en cas de décision de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD, la requérante nuirait à Dell au moins à court terme (voir point 472 ci-dessus). Par conséquent, cette déclaration de M. D3 n’est pas crédible.

 Sur les déclarations selon lesquelles Dell n’a pas décliné les offres d’AMD de peur de subir des « sanctions » d’Intel

583    Pour étayer son argument selon lequel Dell n’a pas perçu les modifications apportées à ses rabais comme une « sanction », la requérante s’appuie sur les déclarations de MM. D1 et D3 devant le tribunal du Delaware selon lesquelles ces derniers ne croyaient pas qu’Intel ait pris des mesures de représailles vis-à-vis de Dell à la suite de la décision de Dell de 2006. Pour les raisons énoncées aux points 547 à 552 ci-dessus, ces déclarations ne permettent pas de réfuter les constatations de la décision attaquée selon lesquelles Dell estimait, lors de la période mise en cause dans ladite décision, que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité.

 4) Conclusion sur la preuve que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité

584    À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il doit être conclu que la décision attaquée a établi, selon des preuves précises et concordantes, que la requérante a signalé à Dell, lors de la période mise en cause dans ladite décision, que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité. Au vu des considérations énoncées aux points 69 à 166 ci-dessus, cette preuve suffit pour qualifier ces rabais d’abusifs au titre de l’article 82 CE.

b)     Analyse de la capacité des rabais à restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

585    Il convient de rappeler que, afin de constater l’illégalité des rabais d’exclusivité, la Commission n’est pas tenue de procéder à une analyse de la capacité de ces pratiques à restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce (voir points 80 à 94 ci-dessus).

586    À titre surabondant, il convient de constater que, dans la décision attaquée, la Commission a établi la capacité des rabais MCP à restreindre la concurrence également selon une analyse des circonstances de l’espèce.

587    À cet égard, il y a lieu de rappeler de manière générale que le fait que les rabais conditionnels octroyés par la requérante à Dell s’inscrivaient dans une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants et le fait que cette stratégie comprenait deux types d’infractions qui se complétaient et se renforçaient mutuellement rendent le comportement de la requérante susceptible de restreindre la concurrence (voir points 181, 184 et 213 ci-dessus).

588    Par ailleurs, il convient de rappeler que le fait que les rabais et les paiements conditionnels de la requérante ont été accordés à certains bénéficiaires particulièrement importants constitue également un élément qui est susceptible de fonder la capacité de ces paiements à restreindre la concurrence (voir point 182 ci-dessus).

589    Il y a lieu de relever que la Commission expose à cet égard, au considérant 182 de la décision attaquée, que Dell était dans un passé récent le vendeur d’ordinateurs et de serveurs le plus important en termes de ventes totales d’ordinateurs, même si HP avait récemment dépassé Dell. La requérante ne conteste pas ces constats. Ainsi, le comportement de la requérante vis-à-vis de Dell était susceptible de rendre plus difficile pour AMD l’accès à un client particulièrement important. Il était donc capable de produire un effet particulièrement néfaste sur la structure de la concurrence.

590    En outre, il y a lieu de rappeler que les rabais et les paiements conditionnels étaient pour les OEM un élément important à prendre en considération en raison de la forte concurrence sur le marché des OEM et de leurs faibles marges opérationnelles (voir point 179 ci-dessus). De plus, le fait que ces rabais et ces paiements ont effectivement été pris en considération pour des décisions commerciales de leurs bénéficiaires constitue également un élément qui est susceptible de fonder la capacité de ces paiements à restreindre la concurrence (voir points 180 et 212 ci-dessus).

591    Il convient de constater que les rabais accordés à Dell en vertu des accords MCP revêtaient une grande importance pour Dell. Le montant total des rabais octroyés par Intel à Dell en vertu du MCP se situait entre 110 et 479 millions de USD par trimestre. Il y a lieu d’observer que le niveau de ces rabais, dont au moins une partie était soumise à une condition d’exclusivité, a eu un impact important sur le choix d’approvisionnement de Dell lors de la période mise en cause dans la décision attaquée.

592    À cet égard, il convient de souligner que, aux considérants 234 et 933 de la décision attaquée, la Commission se fonde sur les passages qui suivent de la réponse de Dell au titre de l’article 18 pour conclure que les rabais MCP ont eu un impact non négligeable sur la décision de Dell de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante :

« Une partie importante de cette évaluation [les avantages et les inconvénients de l’adoption d’une stratégie de double fournisseur] était la prise en compte de l’incidence financière sur Dell du changement potentiel de la stratégie au niveau des [CPU…] il y avait un consensus général [au sein de Dell sur le fait] qu’un tel changement [passer à une stratégie de double fournisseur] aurait pour résultat une réduction du MCP, ce qui aurait un impact financier négatif sur Dell, et que cela devait être pris en compte dans l’évaluation des bénéfices tirés d’un changement aussi fondamental de stratégie. »

593    En outre, aux considérants 183 à 186 de la décision attaquée, la Commission constate que, pendant toute la période d’infraction mise en cause dans ladite décision, Dell a constamment envisagé la possibilité de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD. Aux considérants 931 et 932 de ladite décision, la Commission expose que, tout en ayant constamment envisagé la possibilité de s’approvisionner auprès d’AMD, Dell aurait décidé de rester chez Intel en raison des rabais octroyés par Intel. Cela découlerait des analyses de Dell, selon lesquelles tout avantage que permettrait le fait de s’approvisionner auprès d’AMD serait plus que neutralisé par la perte ou la réduction des rabais d’Intel. Cela découlerait également des documents internes d’Intel.

594    En ce qui concerne les documents de Dell, il suffit de renvoyer à cet égard à la présentation interne de Dell du 17 mars 2003, dans laquelle Dell a constaté que « la réaction anticipée d’Intel efface tous les [revenus d’exploitation] potentiels à la hausse résultant du passage à AMD », et au courriel de M. D2 du 21 juillet 2003, dans lequel celui-ci a constaté ce qui suit : « En fin de compte, je ne vois pas comment AMD apporterait quelque chose de positif à Dell. L’issue de la partie est inévitable, le coût du soutien à AMD est trop élevé ; la perte de concentration va à l’encontre de notre modèle traditionnel et de nos forces et la perte nette du MCP dépassera largement tout bénéfice que nous obtiendrions d’une expérience limitée avec quelques plates-formes serveur. » Ces documents démontrent que Dell envisageait des scénarios dans lesquels tout avantage lié à un approvisionnement auprès d’AMD serait plus que neutralisé par la perte ou la réduction des rabais MCP de la requérante.

595    S’agissant des documents internes d’Intel, il convient de rappeler l’échange des courriels du 17 février 2006. Le fait que M. I2 supposait avoir « acheté » Dell démontre que la requérante estimait que ses rabais MCP avaient eu un impact sur la décision de Dell de s’approvisionner exclusivement auprès d’elle.

596    Certes, la requérante s’efforce de réfuter l’existence d’un lien de causalité entre le fait que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité et l’approvisionnement exclusif de Dell auprès d’Intel en faisant valoir que Dell s’est approvisionnée exclusivement auprès d’elle pour des raisons parfaitement indépendantes de toute crainte de réduction disproportionnée des rabais en cas d’approvisionnement auprès d’AMD (voir points 539 et 541 ci-dessus).

597    Or, force est de constater que les arguments de la requérante ne sont aucunement à même d’exclure toute influence du fait que le montant des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité sur la décision de Dell de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante. En effet, la décision d’un client de s’approvisionner auprès d’un fournisseur plutôt qu’auprès d’un autre est nécessairement une décision multicausale. Tant qu’il existe en l’espèce des éléments de preuve qui démontrent que le rabais d’exclusivité a eu un impact sur le choix d’approvisionnement de Dell (voir points 592 à 595 ci-dessus), ces éléments de preuve ne sauraient être réfutés par le seul fait que d’autres raisons ont également eu une influence sur ce choix. L’existence d’une influence d’un rabais d’exclusivité sur le choix d’approvisionnement du client n’est pas incompatible avec l’influence d’autres raisons.

598    Il s’ensuit que la Commission a inféré de preuves précises et concordantes que les rabais MCP ont eu un impact sur le choix d’approvisionnement de Dell. Il découle de la réponse de Dell au titre de l’article 18 que cet impact a même été « important ».

599    Cette importance est en outre confirmée par le fait que les documents internes d’Intel et de Dell indiquent que la requérante a signalé à Dell que les rabais que Dell perdrait en cas de décision de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD seraient attribués à un OEM concurrent. Selon la présentation interne d’Intel du 10 janvier 2003, M. I1 visait à « [f]aire comprendre clairement à [M. D4] [responsable de Dell] notre processus d’alignement sur la concurrence et la façon dont il s’applique à Dell […] avec le risque que les dollars au titre de l’alignement sur la concurrence que nous avons accordés à Dell aillent ailleurs […] » (voir point 446 ci-dessus). Selon la présentation interne de Dell du 23 décembre 2002, en cas d’accord avec AMD, il adviendra ce qui suit : « […] Intel donnera les MOAP $ à d’autres pour s’assurer qu’il n’y ait pas de déplacement de l’ensemble du marché accessible vers Dell/AMD » (voir point 475 ci-dessus). Selon le courriel interne de Dell du 26 février 2004, Intel « utiliser[a] le MCP supplémentaire pour nous faire concurrence » (voir point 480 ci-dessus). Eu égard à l’environnement de haute concurrence dans lequel agissent les OEM et à leurs faibles marges opérationnelles (voir point 552 ci-dessus), du point de vue de Dell, le transfert des rabais à l’un de ses concurrents aurait été encore pire que la seule perte de ces rabais.

600    Dans ces circonstances, il y a lieu de relever que les rabais MCP avaient la capacité de restreindre la concurrence selon une analyse des circonstances de l’espèce. Ils étaient donc de nature à restreindre la liberté de choix de Dell en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement et à barrer l’accès d’AMD au marché.

c)     Réunion avec M. D1 de Dell

 1) Arguments des parties et procédure

601    La requérante reproche à la Commission d’avoir violé ses droits de la défense en s’abstenant d’établir un procès-verbal adéquat de la réunion qui s’est tenue le 23 août 2006 entre des membres des services de la Commission et le [confidentiel], M. D1. La Commission aurait admis l’organisation de cette réunion seulement après que la requérante lui aurait démontré l’existence de la liste indicative des thèmes, tout en niant le fait qu’un procès-verbal ait été établi. Quelques mois plus tard, le conseiller-auditeur aurait admis l’existence de la note interne, tout en déclarant qu’il s’agissait d’un document interne auquel la requérante n’avait pas le droit d’accéder. La Commission aurait finalement transmis « par courtoisie » à Intel le 19 décembre 2008 une copie de la note interne dont de nombreux passages avaient été occultés.

602    Selon la requérante, il découle tant de la liste indicative des thèmes que de la note interne que la réunion entre la Commission et M. D1 a porté sur des questions clés concernant Dell. Il serait probable que M. D1 ait fourni des éléments susceptibles de disculper Intel.

603    La requérante s’appuie notamment sur une décision du Médiateur européen du 14 juillet 2009. Dans cette décision, le Médiateur aurait conclu que la réunion du 23 août 2006 eût dû être qualifiée d’entretien au sens de l’article 19 du règlement n° 1/2003, qu’il ne pouvait pas être exclu qu’elle eût porté sur des éléments de preuve susceptibles d’être à décharge et que l’absence d’un procès-verbal adéquat de cette réunion constituait un cas de mauvaise administration de la part de la Commission.

604    Par ordonnance du 16 avril 2012, conformément à l’article 65, sous b), à l’article 66, paragraphe 1, et à l’article 67, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal a enjoint à la Commission de produire la version confidentielle de la note interne, tout en prévoyant que cette version ne serait pas communiquée à la requérante et aux parties intervenantes à ce stade. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti.

605    Lors de l’audience, la requérante a fait valoir que la Commission s’était abstenue d’établir des procès-verbaux adéquats non seulement de la réunion entre la Commission et M. D1, mais également de réunions entre la Commission et d’autres témoins et de centaines d’entretiens téléphoniques. Il s’agirait d’une erreur systématique de la part de la Commission.

606    Par ordonnance du 29 janvier 2013, la procédure orale a été rouverte. Dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure et la Commission, qui avait à son tour consulté Dell, ayant été entendue et n’ayant pas soulevé d’objections, le Tribunal a communiqué à la requérante et aux parties intervenantes la version intégrale de la note interne et les a invitées à présenter leurs observations sur les passages qui ne leur avaient pas été transmis antérieurement. La requérante ainsi que l’ACT ont déféré à cette demande les 6 et 14 mars 2013. L’UFC n’a pas présenté d’observations dans le délai imparti. Le Tribunal a alors invité la Commission à présenter ses observations sur les observations de la requérante. La Commission a déféré à cette demande le 25 mars 2013. Le Tribunal a également invité la requérante et la Commission à présenter leurs observations sur les observations de l’ACT. Celles-ci ont déféré à cette demande le 12 avril 2013. La procédure orale a ensuite été close le 6 mai 2013.

607    Dans ses observations du 6 mars 2013, la requérante a, en substance, maintenu son argumentation antérieure selon laquelle la Commission aurait violé ses droits de la défense en s’abstenant d’établir un procès-verbal adéquat de la réunion entre la Commission et M. D1. De plus, elle a avancé que l’omission de la Commission de révéler à Intel au cours de la procédure administrative des éléments à décharge qui étaient repris dans les parties occultées de la note interne constituait également une violation de ses droits de la défense.

608    La Commission réfute les arguments de la requérante. De surcroît, elle est d’avis que l’argument concernant l’existence d’une prétendue erreur systématique constitue un grief nouveau, présentant comme tel un caractère tardif.

 2) Appréciation du Tribunal

609    Tout d’abord, il y a lieu de constater que les allégations de la requérante selon lesquelles la Commission a commis une erreur systématique en s’abstenant d’établir des procès-verbaux adéquats d’une multitude de réunions et d’entretiens téléphoniques avec d’autres témoins constituent un grief nouveau qui doit être déclaré tardif et qui est donc irrecevable en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. En effet, comme l’a relevé la Commission à bon droit lors de l’audience, la requérante s’est bornée dans sa requête à dénoncer l’absence de procès-verbal adéquat de la réunion du 23 août 2006 entre la Commission et M. D1. L’allégation de la requérante selon laquelle la Commission s’est abstenue d’établir des procès-verbaux adéquats d’une multitude de réunions et d’entretiens téléphoniques avec d’autres témoins ne saurait être considérée comme une ampliation de ce grief, étant donné que ces autres réunions et ces entretiens téléphoniques ne possèdent pas de lien suffisamment étroit avec la réunion ayant eu lieu entre la Commission et M. D1.

610    Ensuite, il convient de relever qu’il est constant entre les parties que la réunion n’a pas donné lieu à l’établissement d’un document destiné à figurer parmi les documents auxquels la requérante aurait pu demander à avoir accès selon les règles concernant l’accès au dossier. S’il est vrai que la Commission avance qu’elle a consigné d’une manière adéquate le contenu de la réunion en établissant la note interne, il n’en reste pas moins qu’elle souligne également que la note interne ne devait servir qu’à des fins internes et que celle-ci n’était pas destinée à faire partie des preuves résultant de l’enquête menée par la Commission. De même, la requérante souligne que la note interne ne peut pas être considérée comme un procès-verbal adéquat puisqu’il s’agissait d’un simple aide-mémoire pour l’un des gestionnaires du dossier.

611    En outre, il est également constant entre les parties que, dans la décision attaquée, la Commission ne s’est pas appuyée sur des informations obtenues lors de la réunion avec M. D1 pour mettre en cause la requérante. Cette dernière fait seulement valoir que M. D1 a fourni des éléments à décharge à la Commission que cette dernière aurait dû consigner dans un procès-verbal adéquat accessible par la requérante.

 2.1) Sur l’existence d’une irrégularité procédurale

612    S’agissant de la question de savoir si la Commission a entaché la procédure administrative d’une irrégularité, il y a lieu de constater, premièrement, que la Commission n’a pas violé l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3 du règlement n° 773/2004. En effet, la Commission n’était pas tenue d’organiser la réunion avec M. D1 en tant qu’interrogatoire formel au sens de ces dernières dispositions.

613    L’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 prévoit que la Commission peut interroger toute personne physique ou morale qui accepte d’être interrogée aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête. L’article 3 du règlement n° 773/2004 soumet les interrogatoires fondés sur cette dernière disposition au respect de certaines formalités. Conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 773/2004, la Commission indique, au début de l’entretien, sur quelle base juridique celui-ci est fondé ainsi que son objectif et elle en rappelle le caractère volontaire. Elle informe aussi la personne interrogée de son intention d’enregistrer l’entretien. Selon le paragraphe 3 dudit article, la Commission peut enregistrer sous toute forme les déclarations faites par les personnes interrogées. Une copie de tout enregistrement est mise à la disposition de la personne interrogée pour approbation. La Commission fixe, au besoin, un délai dans lequel la personne interrogée peut communiquer toute correction à apporter à la déclaration.

614    Or, il convient de constater que le champ d’application de l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3 du règlement n° 773/2004, ne s’étend pas à tous les entretiens relatifs à l’objet d’une enquête effectuée par la Commission. En effet, il y a lieu de distinguer les interrogatoires formels effectués par la Commission en vertu desdites dispositions des entretiens informels. Les besoins pratiques du bon fonctionnement de l’administration ainsi que l’intérêt d’une protection efficace des règles de concurrence justifient que la Commission dispose de la possibilité d’effectuer des entretiens qui ne sont pas soumis aux formalités prévues par l’article 3 du règlement n° 773/2004. Tant des raisons d’économie de la procédure que les potentiels effets dissuasifs que peut avoir un interrogatoire formel sur la propension d’un témoin à fournir des informations s’opposent à l’existence d’une obligation générale pour la Commission de soumettre tout entretien aux formalités prévues par l’article 3 du règlement n° 773/2004. Si la Commission entend utiliser, dans sa décision, un élément à charge qui lui a été transmis lors d’un entretien informel, elle doit le rendre accessible aux entreprises destinataires de la communication des griefs, le cas échéant, en créant à cette fin un document écrit destiné à figurer dans son dossier (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal Atlantic Container Line e.a./Commission, point 359 supra, point 352, et du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 67). Toutefois, la Commission peut se servir d’informations obtenues lors d’un entretien informel, notamment pour obtenir des éléments de preuve plus solides, tout en ne rendant pas les informations obtenues lors d’un entretien informel accessibles à l’entreprise en cause.

615    Il ressort du libellé de l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, selon lequel la Commission « peut interroger » une personne « aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête », que la Commission jouit d’un pouvoir discrétionnaire pour décider si elle soumet un entretien aux exigences formelles de l’article 3 du règlement n° 773/2004. Cette interprétation du libellé est confirmée par le but de l’article 19 du règlement n° 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3 du règlement n° 773/2004. Il découle de l’obligation pour la Commission de mettre tout enregistrement à la disposition de la personne interrogée pour approbation que les formalités prévues par l’article 3 du règlement n° 773/2004 visent, en plus de protéger la personne interrogée, surtout à augmenter la fiabilité des déclarations obtenues. Ainsi, lesdites dispositions ne s’appliquent pas à tout entretien relatif à l’objet d’une enquête, mais seulement aux cas pour lesquels la Commission poursuit l’objectif de collecter des informations, tant à charge qu’à décharge, sur lesquelles elle pourra s’appuyer comme élément de preuve dans sa décision clôturant une investigation donnée. En revanche, ces dispositions n’ont pas pour but de restreindre la possibilité pour la Commission de recourir à des entretiens informels.

616    Cette interprétation de l’article 19 du règlement n° 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3 du règlement n° 773/2004, résulte également du considérant 25 du règlement n° 1/2003. Celui-ci constate que, la détection des infractions aux règles de concurrence devenant de plus en plus difficile, il est nécessaire, pour protéger efficacement la concurrence, de compléter les pouvoirs d’enquête de la Commission. Ce considérant constate en outre que la Commission doit notamment pouvoir interroger toute personne susceptible de disposer d’informations utiles et pouvoir enregistrer ses déclarations. L’objectif de l’article 19 du règlement n° 1/2003 est donc de « compléter » les autres pouvoirs d’enquête dont dispose la Commission et de lui accorder le « pouvoir » d’interroger et d’enregistrer. Cependant, ladite disposition ne vise pas à restreindre le recours par la Commission à des pratiques informelles en lui imposant une obligation générale de soumettre tout entretien portant sur des informations relatives à l’objet d’une enquête aux exigences formelles de l’article 3 du règlement n° 773/2004 et à mettre un enregistrement à la disposition de l’entreprise inculpée.

617    Cette interprétation de l’article 19 du règlement n° 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3 du règlement n° 773/2004, ne signifie pas que la Commission peut décider de manière arbitraire, lors d’un entretien, quelles informations elle consigne. En effet, il ressort de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 773/2004 que, lorsque la Commission procède à un interrogatoire aux termes de l’article 19 du règlement n° 1/2003, elle doit informer la personne interrogée, au début de l’entretien, de la base juridique et de l’objectif de l’entretien ainsi que de son intention de l’enregistrer. Il s’ensuit que la Commission doit décider, au début de tout entretien, si elle souhaite procéder à un interrogatoire formel. Si la Commission décide, avec le consentement de la personne interrogée, de procéder à un tel interrogatoire, elle ne saurait s’abstenir d’en enregistrer certains aspects. Dans ce cas, elle est plutôt tenue d’enregistrer l’interrogatoire dans son intégralité, sans préjudice du fait que la première phrase de l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 773/2004 laisse le choix à la Commission sur la forme de l’enregistrement. Toutefois, en l’espèce, la Commission a relevé, sans être contredite sur ce point par la requérante, que la réunion n’avait pas pour but de collecter des preuves sous la forme d’un compte rendu contresigné ou de déclarations au titre de l’article 19 du règlement n° 1/2003, mais seulement d’examiner s’il existait suffisamment d’indications d’atteintes au droit à la concurrence concernant les pratiques commerciales d’Intel à l’égard de Dell et d’explorer de nouvelles mesures d’instruction à l’égard de Dell. La réunion entre les services de la Commission et M. D1 ne constituait donc pas un interrogatoire formel au sens de l’article 19 du règlement n° 1/2003.

618    Étant donné que la réunion entre les services de la Commission et M. D1 ne constituait pas un interrogatoire formel au sens de l’article 19 du règlement n° 1/2003 et que la Commission n’était pas non plus tenue de procéder à un tel interrogatoire, l’article 3 du règlement n° 773/2004 n’est pas applicable en l’espèce, de sorte que l’argument tiré d’une prétendue violation des formalités prescrites par cette dernière disposition est inopérant.

619    Deuxièmement, s’agissant du principe de bonne administration consacré par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux, il ressort d’une jurisprudence constante que ce principe impose une obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêts du Tribunal Atlantic Container Line e.a./Commission, point 359 supra, point 404, et du 22 mars 2012, Slovak Telekom/Commission, T‑458/09 et T‑171/10, non encore publié au Recueil, point 68). S’il n’existe aucune obligation générale, pour la Commission, d’établir des enregistrements des discussions qu’elle a eues avec des plaignants ou d’autres parties au cours de réunions ou d’entretiens téléphoniques avec ceux-ci (voir, en ce sens, arrêts Atlantic Container Line e.a./Commission, point 359 supra, points 351 et 385, et Groupe Danone/Commission, point 614 supra, point 66), il n’en demeure pas moins que le principe de bonne administration peut, en fonction des circonstances particulières de l’espèce, imposer à la Commission une obligation de consigner les déclarations qu’elle a reçues (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑497, point 501).

620    À cet égard, il y a lieu de préciser que l’existence d’une obligation pour la Commission de consigner les informations qu’elle reçoit au cours de réunions ou d’entretiens téléphoniques ainsi que la nature et l’étendue d’une telle obligation dépendent du contenu de ces informations. La Commission est tenue d’établir une documentation adéquate, dans le dossier auquel les entreprises concernées ont accès, sur les aspects essentiels relatifs à l’objet d’une enquête. Cette conclusion vaut pour tous les éléments revêtant une certaine importance et possédant un lien objectif avec l’objet d’une enquête indépendamment de leur caractère inculpant ou à décharge.

621    Dans le cas d’espèce, il ressort notamment de la note interne que les sujets abordés lors de la réunion ne concernaient pas des questions purement formelles, telles que, par exemple, la confidentialité de certaines données, mais des questions ayant un lien objectif avec le fond de l’investigation. Par ailleurs, M. D1 était l’un des plus hauts dirigeants du plus grand client d’Intel. Enfin, comme il a été relevé par Intel lors de l’audience et dans ses observations du 6 mars 2013, la réunion a duré cinq heures. Ces circonstances conféraient une importance à la réunion qui imposait à la Commission une obligation de verser au dossier au moins une note succincte contenant, sous réserve d’éventuelles demandes de confidentialité, le nom des participants ainsi qu’un bref résumé des sujets abordés. Étant donné que la Commission s’est abstenue d’établir un tel document destiné à figurer dans le dossier auquel la requérante aurait pu demander accès, force est de constater qu’elle a enfreint le principe de bonne administration.

622    Toutefois, en mettant à la disposition de la requérante, lors de la procédure administrative, la version non confidentielle de la note interne et en lui offrant la possibilité de soumettre ses commentaires sur ce document, la Commission a corrigé cette lacune initiale de la procédure administrative, de sorte que celle-ci n’est pas entachée d’irrégularité. Le fait que la note interne a été établie dans le but de servir d’aide-mémoire aux membres des services de la Commission et que seule une version dans laquelle certains passages ont été occultés a été transmise à la requérante ne remet pas en cause cette conclusion. En effet, la version de la note interne qui a été transmise à la requérante lors de la procédure administrative contient les informations que la Commission aurait dû consigner dans un document destiné à figurer dans le dossier auquel la requérante aurait pu demander accès. Elle comporte le nom des participants ainsi qu’un bref résumé des sujets abordés.

623    Troisièmement, l’argument de la requérante, soulevé dans ses observations du 6 mars 2013, selon lequel la Commission a commis une irrégularité procédurale en s’abstenant de lui révéler au cours de la procédure administrative également les parties de la note interne traitées comme confidentielles doit être rejeté. En effet, conformément à l’article 27, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 et à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 773/2004, le droit d’accès au dossier ne s’étend pas aux documents internes de la Commission. Cette restriction est justifiée par la nécessité d’assurer le bon fonctionnement de l’institution concernée dans le domaine de la répression des infractions aux règles de concurrence du traité (voir, en ce sens, arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 359 supra, point 394). La note concernant la réunion entre la Commission et M. D1 constitue un document de nature interne exempté du droit à l’accès au dossier. Elle contient des informations provenant d’autres sources que M. D1 ainsi que des appréciations et des conclusions personnelles de son auteur (voir également les considérants 108 et 109 de la décision du Médiateur). En conséquence, la Commission n’était pas obligée de divulguer les parties occultées de la note interne à la requérante.

624    Certes, dans la présente affaire, la communication de la version non confidentielle de la note interne à la requérante a permis à la Commission de remédier à la lacune initiale de la procédure découlant du fait que la Commission s’était abstenue d’établir une note concernant sa réunion avec M. D1 destinée à figurer dans le dossier auquel la requérante aurait pu demander accès. Toutefois, cette régularisation de la procédure administrative ne nécessitait pas la communication de l’intégralité de la note interne à la requérante. Étant donné que la version de la note interne qui a été transmise à la requérante ne constituait que le substitut de la note qui aurait dû figurer dans le dossier et qu’elle contenait les informations que la Commission aurait dû consigner dans cette note, la Commission n’était pas tenue d’accorder à la requérante un accès plus étendu à la note interne.

625    Il résulte de tout ce qui précède que la procédure administrative n’est pas entachée d’une irrégularité.

 2.2) Sur les éventuelles conséquences d’une irrégularité procédurale sur la légalité de la décision attaquée


 i) Observations liminaires

626    À titre surabondant, il convient d’examiner si une hypothétique irrégularité de la procédure administrative, qui découlerait d’une violation de l’article 19 du règlement n° 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3 du règlement n° 773/2004, d’une absence de régularisation de l’infraction au principe de bonne administration ou d’une violation du droit d’accès au dossier, serait susceptible d’avoir des répercussions sur la légalité de la décision attaquée. À cet égard, il y a lieu de constater qu’une irrégularité procédurale ne saurait conduire à l’annulation de la décision attaquée que dans la mesure où elle est de nature à affecter concrètement les droits de la défense de la partie requérante et, de la sorte, le contenu de ladite décision (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 9 septembre 2008, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑75/06, Rec. p. II‑2081, point 131). Tel est également le cas lorsque l’irrégularité consiste en une violation du principe de bonne administration (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 décembre 2009, Evropaïki Dynamiki/Commission, C‑476/08 P, non publié au Recueil, point 35).

627    S’agissant d’une violation du droit d’accès au dossier, il ressort de la jurisprudence que, lorsque l’accès au dossier, et plus particulièrement à des documents à décharge, est assuré au stade de la procédure juridictionnelle, l’entreprise concernée doit démontrer non pas que, si elle avait eu accès aux documents non communiqués, la décision de la Commission aurait eu un contenu différent, mais seulement que lesdits documents auraient pu être utiles pour sa défense (voir arrêt de la Cour du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑110/10 P, Rec. p. I‑10439, point 52, et la jurisprudence citée). En pareille hypothèse, il appartient à l’entreprise concernée de fournir un premier indice de l’utilité, pour sa défense, des documents non communiqués (voir, en ce sens, arrêt Heineken Nederland et Heineken/Commission, point 352 supra, point 256). À cet égard, lorsque la Commission se fonde sur des preuves documentaires directes pour établir une infraction, l’entreprise doit démontrer que des éléments demeurés inaccessibles au cours de la procédure administrative contredisent la teneur de ces preuves ou, à tout le moins, leur donnent un éclairage différent (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 353 supra, point 133).

628    Dans la mesure où la requérante soutient que la Commission a violé ses droits de la défense en s’abstenant de lui transmettre les passages de la note interne qui avaient été traités de manière confidentielle lors de la procédure administrative, cette jurisprudence est directement applicable au cas d’espèce. Étant donné que la version intégrale de la note interne a été communiquée à la requérante au stade de la procédure juridictionnelle, celle-ci avait la possibilité de fournir un premier indice de l’utilité, pour sa défense, des éléments repris dans les passages traités antérieurement comme confidentiels.

629    Au demeurant, dans la mesure où la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir établi de procès-verbal adéquat de la réunion, force est de constater que, au moins dans les circonstances de l’espèce, les critères pertinents afin d’examiner la question de savoir si une éventuelle irrégularité procédurale concernant ce sujet serait de nature à affecter concrètement les droits de la défense de la requérante sont les mêmes que ceux exigés par la jurisprudence concernant l’accès au dossier. La requérante doit donc fournir un premier indice du fait que la Commission s’est abstenue de consigner des éléments à décharge qui contredisent la teneur des preuves documentaires directes sur lesquelles la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée ou, à tout le moins, leur donnent un éclairage différent. Il ne suffit cependant pas qu’une telle hypothèse ne puisse pas être exclue.

630    En effet, dans la présente affaire, même en l’absence du procès-verbal réclamé par la requérante, le contenu de l’entretien entre la Commission et M. D1 peut être reconstitué à suffisance de droit à partir d’autres sources, à savoir notamment la note interne et un document contenant des réponses écrites de Dell à des questions orales qui ont été posées à M. D1 lors de la réunion (ci-après le « document de suivi »). Cette circonstance distingue la présente affaire de celle ayant donné lieu à l’arrêt Solvay/Commission, point 627 supra (points 61 à 63), invoquée par la requérante lors de l’audience et dans ses observations ultérieures, dans laquelle la Cour a conclu à une violation des droits de la défense résultant de ce que, après avoir refusé à la requérante l’accès au dossier pendant la procédure administrative, la Commission avait perdu un certain nombre de sous-dossiers entiers dont le contenu ne pouvait pas être reconstitué, de sorte qu’il ne pouvait pas être exclu que ces sous-dossiers aient pu contenir des éléments à décharge qui auraient pu être pertinents pour la défense de la requérante.

631    La conclusion selon laquelle la note interne constitue un des éléments à partir desquels le contenu de l’entretien entre la Commission et M. D1 peut être reconstitué n’est pas remise en cause par la fonction de la note interne qui est de servir d’aide-mémoire à la Commission. En effet, en tant que telle, la note interne poursuivait un double objectif. D’un côté, elle avait pour but de fixer de manière objective les circonstances qui revêtaient une importance pour la Commission en tant qu’autorité responsable de l’instruction. Ainsi, elle poursuivait des objectifs propres à une documentation de nature objective. D’un autre côté, la note interne permettait aux membres des services de la Commission ayant participé à la réunion de conserver leurs évaluations subjectives. Toutefois, ces évaluations subjectives complètent la documentation objective contenue dans la note interne et ne la remettent pas en cause. En outre, la note ayant été rédigée comme un aide-mémoire destiné à être utilisé seulement à des fins internes pour la Commission, il n’y a aucune raison de penser qu’elle fait l’impasse sur une discussion qui a bien eu lieu.

 ii) Appréciation des documents sur lesquels la requérante s’est appuyée comme indices du fait que M. D1 a fourni à la Commission des éléments à décharge qu’elle aurait pu utiliser pour sa défense

632    Dans la requête et la réplique, la requérante s’est appuyée sur la liste indicative des thèmes et sur les parties non occultées de la note interne comme indices du fait que M. D1 a fourni à la Commission des éléments à décharge qu’elle aurait pu utiliser pour sa défense. Lors de l’audience, en réponse à une question posée par le Tribunal, la requérante a, par ailleurs, soutenu que le document de suivi indiquait également que, lors de la réunion, M. D1 a fourni des éléments à décharge à la Commission. Selon la requérante, il ressort de ces trois documents que l’entretien a couvert des questions clés concernant Dell, notamment les allégations de la Commission concernant l’existence d’une exclusivité de facto, le modèle commercial de Dell de fournisseur unique, les différences en termes de performances entre Intel et AMD, la capacité d’Intel à « prendre des mesures de rétorsion » si Dell migrait vers AMD, la migration effective de Dell vers AMD qui a eu lieu à l’époque de la réunion, ainsi que le témoignage de M. D1 en 2003 devant l’US FTC à propos de certains de ces différents points.

633    S’agissant du contenu précis des documents sur lesquels la requérante s’appuie afin de démontrer que la Commission s’est abstenue de consigner des éléments à décharge que la requérante aurait pu utiliser pour sa défense, il convient de relever ce qui suit.

 Sur la liste indicative des thèmes

634    En ce qui concerne la liste indicative des thèmes, il est certes vrai que celle-ci mentionne, inter alia, des sujets concernant des griefs sur lesquels la Commission a fondé la décision attaquée. Toutefois, il ressort tant du titre de la liste indicative des thèmes que de son objectif que celle-ci constituait seulement une énumération « indicative » des sujets à aborder lors de la réunion. Étant donné que la note interne et le document de suivi contiennent des indications plus concrètes et plus actuelles du contenu de l’entretien entre la Commission et M. D1, la liste indicative des thèmes n’a pas de valeur probante autonome par rapport à ces derniers documents.

 Sur la note interne

635    La note interne contient des indications concrètes sur le contenu de l’entretien entre la Commission et M. D1. À cet égard, elle doit donc être considérée comme un élément de preuve décisif. Elle est divisée en trois grandes parties, intitulées respectivement « Discussions sur le témoignage de [M. D1] devant l’US FTC », « Informations concernant la nouvelle stratégie de Dell » et « Intel/AMD concurrence sur prix/performances ». Ces grandes parties sont précédées d’un sommaire exécutif et suivies d’une conclusion.

636    Premièrement, il y a lieu de relever que la première partie de la note interne, intitulée « Discussions sur le témoignage de [M. D1] devant l’US FTC », expose ce qui suit :

« Les questions et réponses se sont concentrées sur le témoignage de [M. D1] devant l’US FTC et notamment sur

–        La stratégie de produits de Dell : le modèle de fournisseur unique

–        L’exclusivité de facto entre Dell et Intel – la manière dont elle est récompensée par le système des rabais MOAP

–        La capacité d’Intel à appliquer des mesures de représailles

–        Explications concernant la manière dont AMD est devenu un participant important sur le marché des serveurs avec AMD 64 (grâce à l’adoption par Linux OS d’une extension 64 bits, l’avantage de performance d’AMD, avantage thermique, et dès mi-2005 le lancement du double cœur) et

–        La raison pour laquelle [AMD] constituait une offre moins attractive pour les PC ([Microsoft] a seulement adopté un [système d’exploitation] avec une extension 64 bits en août 2005 et les [vendeurs indépendants des logiciels] ne programmaient pas d’applications exécutant des extensions 64 bits). »

637    Il y a lieu de relever que la requérante a eu accès à l’intégralité de cette partie lors de la procédure administrative. Dans la requête et la réplique, la requérante s’est bornée à avancer à cet égard que, devant l’US FTC, M. D1 avait fourni des éléments de preuve à décharge hautement pertinents. Celui-ci aurait confirmé que les rabais qu’Intel accordait à Dell n’étaient soumis à aucune condition d’exclusivité, que Dell ne craignait aucune mesure de représailles de la part d’Intel du fait de son utilisation des produits AMD, puisqu’elle brandissait la menace de se tourner vers AMD pour bénéficier de rabais plus importants auprès d’Intel, que Dell considérait qu’AMD n’était pas un fournisseur fiable et que la structure et la base des rabais d’Intel étaient parfaitement transparentes pour Dell.

638    Or, force est de constater que ces allégations ne constituent pas un premier indice du fait que, lors de la réunion, M. D1 a fourni à la Commission de nouveaux éléments à décharge que la requérante aurait pu utiliser pour sa défense. En effet, au cours de la procédure administrative, la requérante disposait du témoignage de M. D1 devant l’US FTC et rien ne l’empêchait de l’utiliser pour sa défense. La requérante s’était déjà appuyée sur le témoignage de M. D1 devant l’US FTC dans sa réponse du 7 janvier 2008 à la communication des griefs de 2007. Au demeurant, il a déjà été démontré ci-dessus que le témoignage de M. D1 devant l’US FTC ne peut pas être considéré comme un élément à décharge et que, en tout état de cause, ce témoignage n’est pas en mesure de remettre en cause les preuves documentaires directes retenues dans la décision attaquée (voir points 572 à 576 ci-dessus).

639    Dans ses observations du 6 mars 2013, la requérante avance, en substance, que la première partie de l’entretien entre la Commission et M. D1 n’était pas limitée à la période qui a précédé la déposition de ce dernier devant l’US FTC en 2003. À cet égard, elle fait valoir, d’une part, que les deux derniers éléments repris dans la première partie de la note interne visent en particulier les développements qui ont eu lieu en 2005. D’autre part, elle invoque un passage du sommaire exécutif de la note interne. Ce passage, qui avait été occulté vis-à-vis de la requérante lors de la procédure administrative, a le contenu suivant : « [M. D1] a fourni des explications très détaillées sur la stratégie de Dell à l’égard d’Intel et à propos de sa décision de s’en tenir à une stratégie de fournisseur unique jusqu’à très récemment. » La requérante fait valoir que la première partie de la note interne consigne les sujets discutés, mais pas ce que M. D1 a dit à propos de la façon dont Dell était prétendument « récompensée » pour son « exclusivité de facto » et sur « la capacité d’Intel à appliquer des mesures de représailles ». Tandis que la Commission l’aurait certainement noté si M. D1 avait fourni des éléments à charge à la Commission, la note interne ne contiendrait aucune indication à cet égard. En conséquence, les explications « très détaillées » que la Commission se serait abstenue de consigner devraient nécessairement être à décharge.

640    Cette argumentation ne saurait convaincre.

641    Il est vrai que l’observation de l’auteur de la note interne, mentionnée dans le sommaire exécutif, selon laquelle M. D1 a fourni des explications très détaillées à propos de la décision de Dell de s’approvisionner exclusivement auprès d’Intel « jusqu’à très récemment » ainsi que les deux derniers éléments repris dans la première partie de la note interne indiquent que la première partie de l’entretien entre la Commission et M. D1 ne portait pas seulement sur la période qui a précédé sa déposition devant l’US FTC en 2003, mais sur une période allant jusqu’au changement de stratégie d’approvisionnement de Dell à la moitié de l’année 2006. Toutefois, rien n’indique que, lors de la partie de l’entretien qui est évoquée dans la première partie de la note interne, M. D1 ait fourni de nouveaux éléments à décharge à la Commission qui auraient pu permettre à la requérante de mieux étayer son argumentation développée sur la base des éléments de preuve se trouvant en sa possession, voire de faire valoir de nouveaux arguments.

642    À cet égard, il convient de constater d’emblée que, contrairement à ce que la requérante et l’ACT soutiennent dans leurs observations du 12 avril et du 14 mars 2013, les deux derniers éléments repris dans la première partie de la note interne n’indiquent pas que M. D1 a fourni de nouveaux éléments à décharge à la Commission. En effet, ces éléments indiquent que la partie en question de l’entretien portait sur les performances d’AMD. Les informations fournies par M. D1 concernent donc les arguments de la requérante selon lesquels Dell s’est approvisionnée auprès d’elle pour des raisons commerciales autres que l’existence d’un rabais d’exclusivité. Or, il y a lieu de rappeler que ces arguments sont sans incidence sur la légalité de la décision attaquée (voir points 540 à 546 et 597 ci-dessus). Par ailleurs, dans sa requête, la requérante cite une multitude d’éléments de preuve se trouvant en sa possession à l’appui de son argument selon lequel Dell a estimé que les CPU Intel étaient, en général, d’une qualité supérieure à celle des CPU AMD. Parmi ces éléments de preuve figurent notamment la déposition de M. D3 devant le tribunal du Delaware en 2009 ainsi qu’une présentation de Dell intitulée « AMD – Pourquoi et pourquoi pas ». Ces deux exemples démontrent que la requérante disposait d’éléments de preuve à l’appui de son argumentation selon laquelle ses CPU étaient, généralement, d’une qualité supérieure à celle des CPU AMD. Rien n’indique que M. D1 ait fourni des informations à la Commission concernant les performances d’AMD qui auraient pu permettre à la requérante de mieux étayer cette argumentation, voire de faire valoir de nouveaux arguments.

643    S’agissant, ensuite, des trois premiers éléments repris dans la première partie de la note interne, à savoir la stratégie de produits de Dell, la façon dont l’exclusivité de facto entre Dell et Intel était récompensée par le système des rabais MOAP ainsi que la capacité d’Intel à appliquer des mesures de représailles, il convient de relever ce qui suit.

644    En premier lieu, force est de constater que l’argumentation de la requérante selon laquelle la Commission s’est abstenue de consigner des éléments à décharge à propos de ces sujets repose sur la prémisse erronée selon laquelle la note interne ne contiendrait pas d’indications que M. D1 ait fourni des éléments à charge à la Commission. En effet, d’une part, les formulations neutres utilisées dans la première partie de la note interne, selon lesquelles l’entretien a porté sur « la stratégie de produits de Dell : le modèle de fournisseur unique » et sur « la capacité d’Intel à appliquer des mesures de représailles », doivent être examinées dans leur contexte avec le passage suivant de la deuxième partie de la note interne, qui concerne la nouvelle stratégie d’approvisionnement de Dell à partir de la moitié de l’année 2006 : « [M. D1] a expliqué que Dell a maintenant décidé d’abandonner le modèle de fournisseur unique […]. Aujourd’hui, Dell est moins inquiète à propos du pouvoir de représailles d’Intel que par le passé et ne s’attend pas à des rabais plus bas (en valeur) de la part d’Intel après sa décision d’offrir des produits équipés d’AMD. […] [M. D1] a expliqué que la situation est actuellement plus favorable pour les vendeurs d’ordinateurs que dans le passé en raison d’une surcapacité sur le marché des CPU (en particulier du côté d’Intel). » D’autre part, il convient de souligner que le deuxième élément repris dans la première partie de la note interne fait état du fait que l’entretien a porté sur « l’exclusivité de facto entre Dell et Intel – la manière dont elle est récompensée par le système des rabais MOAP ».

645    Pris ensemble, ces passages de la note interne constituent plutôt des éléments à charge que des éléments à décharge. Ils donnent l’impression que M. D1 a expliqué à la Commission que, jusqu’à la décision de Dell de changer sa stratégie d’approvisionnement à partir de la moitié de l’année 2006, la stratégie de produits de Dell, qui consistait en un modèle de fournisseur unique ou, en d’autres termes, en une « exclusivité de facto » avec Intel, a été « récompensée » par le système des rabais MOAP et qu’une des raisons pour lesquelles Dell a décidé d’abandonner sa stratégie de fournisseur unique était que, en raison de l’apparition d’une surcapacité sur le marché des CPU notamment du côté d’Intel, elle ne devait plus s’attendre à une réduction disproportionnée des rabais MOAP après sa décision d’introduire des produits équipés d’AMD.

646    Certes, les passages de la note interne qui fondent cette impression sont brefs et ne permettent pas d’appréciation détaillée de ce que M. D1 a effectivement dit. Au vu de leur faible valeur probante, la Commission s’est donc à bon droit abstenue de les utiliser comme éléments à charge dans la décision attaquée. Toutefois, ces passages suffisent pour réfuter l’argument de la requérante selon lequel rien dans la note interne n’indique que M. D1 a fourni des éléments à charge à la Commission.

647    En deuxième lieu, il convient de constater que, à supposer même que rien dans la note interne n’indiquerait que M. D1 a fourni des éléments à charge à la Commission, la conclusion de la requérante selon laquelle cette circonstance signifie nécessairement que M. D1 a fourni des éléments à décharge à la Commission est erronée. En effet, d’une part, il ne saurait être exclu que M. D1 ait fourni des éléments à charge à la Commission que cette dernière s’est abstenue de consigner de manière plus détaillée du fait qu’ils n’apportaient rien de nouveau par rapport aux éléments dont elle disposait. À cet égard, la Commission avance, à juste titre, qu’au moment de la réunion, elle disposait déjà d’une grande partie des éléments de preuve sur lesquels elle s’est appuyée dans la décision attaquée afin d’établir la conditionnalité des rabais. D’autre part, il ne saurait être exclu que M. D1 ait fourni à la Commission des informations neutres qui ne sauraient être considérées ni comme des éléments à charge ni comme des éléments à décharge.

648    En troisième lieu, force est de constater que, en tout état de cause, rien n’indique que M. D1 ait fourni des informations à la Commission à propos des trois premiers éléments repris dans la première partie de la note interne qui auraient été nouvelles par rapport aux éléments de preuve dont la requérante pouvait se prévaloir et notamment par rapport aux dépositions de M. D1 devant l’US FTC et à sa déposition devant le tribunal de Delaware. Étant donné que la valeur probante des preuves documentaires directes sur lesquelles la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée afin d’établir la conditionnalité des rabais MCP n’est pas remise en cause par ces dépositions, il n’est pas plausible que, lors de son entretien avec la Commission, M. D1 ait fait des déclarations qui auraient pu permettre à la requérante de donner un éclairage différent aux preuves sur lesquelles la Commission s’est appuyée.

649    En quatrième lieu, l’observation de l’auteur de la note interne, reprise dans le sommaire exécutif, selon laquelle « [M. D1] a fourni des explications très détaillées sur la stratégie de Dell à l’égard d’Intel et à propos de sa décision de s’en tenir à une stratégie de fournisseur unique jusqu’à très récemment » ne signifie pas non plus que M. D1 a fourni de nouveaux éléments à décharge à la Commission qui auraient été de nature à donner un éclairage différent à l’argumentation de la requérante développée sur la base des éléments en sa possession. En effet, en tant que telle, cette observation ne permet pas de savoir si les « explications très détaillées » de M. D1 constituaient des éléments à charge, à décharge ou bien des informations neutres, et si ces explications différaient des éléments de preuve auxquels la requérante a eu accès. Toutefois, il a été constaté aux points précédents que, lus dans leur contexte, les trois premiers éléments de la première partie de la note interne constituent plutôt des éléments à charge que des éléments à décharge et qu’ils n’indiquent pas, en tout état de cause, que M. D1 a fourni de nouveaux éléments à décharge à la Commission. En conséquence, pour autant que l’observation dans le sommaire exécutif concernant les « explications très détaillées » constitue le résumé de ces éléments, elle ne saurait non plus être considérée comme un indice du fait que M. D1 a fourni de nouveaux éléments à décharge à la Commission dont la requérante aurait pu se prévaloir pour sa défense.

650    Deuxièmement, il convient d’observer que la deuxième partie de la note interne, intitulée « Informations concernant la nouvelle stratégie de Dell », indique que la partie en question de l’entretien a porté sur la décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD à partir de la moitié de l’année 2006. Dans ses observations du 6 mars 2013, la requérante, soutenue par l’ACT, s’est appuyée sur des passages de la deuxième partie de la note interne et du sommaire exécutif qui indiquent que Dell a décidé « d’adopter largement les trois produits d’AMD » et « de se séparer d’Intel et d’avoir AMD en tant que seul fournisseur » sur certains segments de marché. La requérante invoque également le passage suivant : « Selon [M. D1], il est peu probable qu’Intel réduira le niveau actuel des rabais, étant donné qu’elle souffre de surcapacités significatives et qu’elle a donc intérêt à réduire son surplus de production. » Selon la requérante, ces passages démontrent que Dell ne redoutait pas de représailles d’Intel, même en réponse à une décision de s’approvisionner uniquement auprès d’AMD pour certains segments.

651    Toutefois, il doit être rappelé que, selon la décision attaquée, la période d’infraction s’étend, pour ce qui concerne Dell, de décembre 2002 à décembre 2005. Les circonstances entourant la décision de Dell de 2006 revêtent tout au plus une très faible valeur probante en ce qui concerne les pratiques de la requérante lors de la période mise en cause dans la décision attaquée. Il a déjà été démontré aux points 547 à 552 ci-dessus que les arguments de la requérante concernant la décision de Dell de 2006 ne sont pas susceptibles de remettre en cause les preuves documentaires directes sur lesquelles la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée. En outre, la déclaration de M. D1 selon laquelle Dell ne craignait pas de représailles au moment de la réunion entre la Commission et M. D1 en raison des surcapacités significatives d’Intel doit être lue en combinaison avec le passage selon lequel « Dell est moins inquiète [aujourd’hui] à propos du pouvoir de représailles d’Intel que par le passé et ne s’attend pas à des rabais plus bas (en valeur) de la part d’Intel après sa décision d’offrir des produits équipés d’AMD » (voir point 644 ci-dessus). Dans ce contexte, le passage invoqué par la requérante constitue plutôt un élément à charge qu’un élément à décharge. Enfin, il convient de rappeler que, dans sa requête, la requérante s’est appuyée sur les déclarations de MM. D1 et D3 devant le tribunal du Delaware selon lesquelles ces derniers ne croyaient pas qu’Intel ait pris des mesures de représailles vis-à-vis de Dell à la suite de la décision de Dell de 2006 (voir point 583 ci-dessus). En conséquence, les passages de la deuxième partie de la note interne sur lesquels s’appuie la requérante n’indiquent pas que M. D1 a fourni de nouveaux éléments à décharge à la Commission qui auraient pu permettre à la requérante de mieux étayer son argumentation développée sur la base des éléments de preuve se trouvant en sa possession, voire de faire valoir de nouveaux arguments.

652    La requérante avance en outre que deux passages de la deuxième partie de la note interne qui ont été traités de manière confidentielle lors de la procédure administrative sont hautement pertinents pour le test AEC effectué dans la décision attaquée. Toutefois, il convient de rappeler que, dans ladite décision, la Commission s’est appuyée, à titre principal, sur les critères dégagés par la jurisprudence dans l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra afin de constater l’illégalité des rabais d’exclusivité octroyés à Dell (voir points 69, 72 et 73 ci-dessus). En revanche, elle a fondé cette décision sur le test AEC seulement à titre surabondant (voir points 173 et 175 ci-dessus). Il y a lieu de rappeler que l’application d’un test AEC n’est pas nécessaire aux fins d’établir l’illégalité de la pratique de la requérante vis-à-vis de Dell et qu’un tel test ne saurait non plus constituer un refuge fiable pour la requérante afin d’exclure toute infraction (voir points 140 à 166 ci-dessus). À supposer même que les passages invoqués par la requérante aient pu lui permettre de modifier son argumentation concernant le test AEC, développée sur la base des éléments de preuve déjà en sa possession, force est de constater que cette nouvelle argumentation n’aurait pas été de nature à donner un éclairage différent aux preuves documentaires directes sur lesquelles la Commission s’est appuyée afin d’établir la conditionnalité des rabais MCP. En conséquence, les passages invoqués par la requérante n’auraient pas pu être utiles pour sa défense.

653    Troisièmement, il y a lieu de relever que la troisième partie de la note interne, intitulée « Intel/AMD concurrence sur prix/performances », indique que la partie en question de l’entretien a porté sur la concurrence entre Intel et AMD sur les prix et les performances. Cette partie de l’entretien se réfère donc aux arguments de la requérante selon lesquels Dell s’est approvisionnée auprès d’elle pour des raisons commerciales autres que l’existence d’un rabais d’exclusivité. Or, il y a lieu de rappeler que, d’une part, ces arguments sont sans incidence sur la légalité de la décision attaquée et que, d’autre part, la requérante disposait d’éléments de preuve pour faire valoir son argumentation selon laquelle ses CPU étaient, généralement, d’une qualité supérieure à celle des CPU AMD (voir point 642 ci-dessus). Les arguments de la requérante et de l’ACT selon lesquels M. D1 a fourni à la Commission des informations concernant les déficiences de performance d’AMD que cette dernière se serait abstenue de consigner ne sauraient, dès lors, prospérer.

654    Par conséquent, il y a lieu de conclure, d’une part, que la Commission n’a pas violé les droits de la défense de la requérante en s’abstenant de lui révéler les parties de la note interne qui ont été occultées lors de la procédure administrative. D’autre part, force est de constater que, en ce qui concerne la note interne, la requérante n’a avancé aucun premier indice de nature à démontrer que la Commission s’est abstenue de consigner de nouveaux éléments à décharge que la requérante aurait pu utiliser pour sa défense.

 Sur le document de suivi

655    Il découle du document de suivi que les questions dont il fait état avaient déjà été abordées par la Commission et M. D1 lors de la réunion du 23 août 2006. Le document de suivi doit donc être considéré comme un indice supplémentaire du contenu de l’entretien qui a eu lieu entre la Commission et M. D1.

656    Il convient de relever que, parmi les huit sections de ce document, les quatre premières ainsi que la sixième constituent des réponses à des questions liées au témoignage de M. D1 devant l’US FTC contenant des détails techniques concernant les performances d’Intel et d’AMD. Ces questions et ces réponses se chevauchent donc avec les sujets de la première partie de la note interne et donnent ainsi un indice supplémentaire du contenu de cette partie de l’entretien. La septième section concerne les commandes que Dell envisageait de passer auprès d’AMD à partir de septembre 2006. Elle aborde donc le même sujet que la deuxième partie de la note interne, à savoir celle portant sur la nouvelle stratégie de Dell. Les cinquième et huitième sections ne sont pas pertinentes pour les constats de la décision attaquée. Il y a lieu de constater que la requérante a eu accès à l’intégralité de ce document lors de la procédure administrative.

657    Toutefois, dans ses mémoires écrits, la requérante ne s’est pas appuyée sur le document de suivi afin de démontrer que M. D1 a fourni des nouveaux éléments à décharge à la Commission qu’elle aurait pu utiliser pour sa défense. Lors de l’audience, en réponse à une question qui lui a été posée par le Tribunal, la requérante s’est limitée à faire valoir, en substance, qu’il découlait des questions faisant référence à la déposition de M. D1 devant l’US FTC que la Commission avait interrogé M. D1 sur les prétendues meilleures performances d’Intel. Toutefois, elle n’a présenté aucun premier indice découlant du document de suivi qui démontrerait que, lors de la réunion, M. D1 a fourni des informations nouvelles sur les performances d’AMD à la Commission qui auraient pu permettre à la requérante de mieux étayer son argumentation concernant les performances d’AMD, voire de faire valoir de nouveaux arguments à cet égard. En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que les prétendues meilleures performances de la requérante sont sans incidence sur la légalité de la décision attaquée (voir point 642 ci-dessus).

658    De plus, force est de constater que les informations techniques détaillées relatives aux performances d’Intel et d’AMD contenues dans le document de suivi permettent de comprendre pourquoi l’auteur de la note interne a indiqué dans le sommaire exécutif que « [M. D1] a fourni des explications très détaillées sur la stratégie de Dell à l’égard d’Intel et à propos de sa décision de s’en tenir à une stratégie de fournisseur unique jusqu’à très récemment ». En effet, au vu des détails techniques contenus dans le document de suivi, il est plausible que l’auteur de la note visait les explications de M. D1 relatives aux performances d’AMD et donc les deux derniers éléments repris dans la première partie de la note interne, lorsqu’il faisait référence à des « explications très détaillées ». Toutefois, le fait que les performances d’AMD constituaient le point essentiel de la première partie de l’entretien ne signifie ni que M. D1 s’est abstenu de fournir des éléments à charge à la Commission en ce qui concerne la conditionnalité des rabais MCP ni qu’il lui a fourni de nouveaux éléments à décharge à cet égard.

659    En ce qui concerne le reste du document de suivi, force est de constater que la requérante n’a également rien avancé de nature à indiquer que, lors de la réunion, M. D1 a fourni de nouveaux éléments à décharge à la Commission qu’elle aurait pu utiliser pour sa défense. À cet égard, elle s’est bornée, lors de l’audience, à faire valoir que la réponse à la septième question du document de suivi concernait la décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD en 2006. Toutefois, elle n’a présenté aucun premier indice du fait que M. D1 a fourni à la Commission des informations nouvelles sur cette décision qui auraient pu donner un éclairage différent à l’argumentation de la requérante développée sur la base des éléments de preuve en sa possession. En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que, contrairement à ce que prétend la requérante, la décision de Dell de 2006 ne constitue pas un élément à décharge que la requérante aurait pu utiliser pour sa défense (voir points 547 à 552 ci-dessus).

 Conclusion sur les documents invoqués par la requérante

660    Partant, force est de constater qu’aucun des documents invoqués par la requérante ne lui a permis de fournir un premier indice laissant supposer que la Commission s’est abstenue de consigner de nouveaux éléments à décharge qui auraient été de nature à donner un éclairage différent aux preuves documentaires directes retenues dans la décision attaquée afin d’établir la conditionnalité des rabais MCP.

 iii) Sur les autres circonstances relatives à la question de savoir si la Commission s’est abstenue de consigner de nouveaux éléments à décharge que la requérante aurait pu utiliser pour sa défense

661    Pour contester les éléments à charge retenus dans la décision attaquée, la requérante s’appuie dans une large mesure sur la déposition faite en 2009 par M. D1 devant le tribunal du Delaware. Cependant, elle ne fait pas valoir que cette déposition indiquerait que, lors de la réunion du 23 août 2006, M. D1 a fourni à la Commission des éléments à décharge dont elle n’avait pas connaissance et qu’elle aurait pu utiliser pour sa défense. Or, comme l’a relevé à juste titre la Commission lors de l’audience, lors de sa déposition de 2009, M. D1 aurait eu l’occasion de soulever les éléments à décharge prétendument fournis à la Commission lors de la réunion en 2006. En effet, lors de cette déposition, M. D1 a été interrogé sur une réponse de Dell à une demande de renseignements de la Commission au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003. Le troisième jour de la déposition, à savoir le 20 février 2009, M. D1 a été interrogé par un conseiller de la requérante. Étant donné que la version non confidentielle de la note interne avait déjà été communiquée à la requérante le 19 décembre 2008, le conseiller de la requérante aurait pu interroger M. D1 sur cette note et les éléments à décharge prétendument fournis à la Commission lors de la réunion en 2006. Le fait qu’il se soit abstenu de le faire constitue un indice du fait que la requérante n’attribuait aucune importance particulière à la réunion de 2006 à l’époque de la déposition de M. D1 devant le tribunal du Delaware. Contrairement à ce que la requérante a avancé lors de l’audience et dans ses observations du 6 mars 2013, la circonstance que la réunion entre la Commission et M. D1 n’a pas été abordée lors de la déposition de ce dernier devant le tribunal du Delaware ne s’explique pas simplement par le fait que la réunion entre la Commission et M. D1 n’était pas pertinente pour la procédure devant le tribunal du Delaware. En effet, dans la note en bas de page n° 59 de ses observations du 6 mars 2013, la requérante admet que les sujets qui ont été abordés lors de la réunion entre la Commission et M. D1 étaient importants pour les sujets en question dans la procédure devant le tribunal du Delaware et que ces sujets ont été abordés en détail lors de la déposition devant ce tribunal. Étant donné que la valeur probante des preuves documentaires directes sur lesquelles la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée afin d’établir la conditionnalité des rabais MCP n’est pas remise en cause par la déposition de M. D1 devant le tribunal du Delaware, cette observation confirme qu’il n’est pas plausible que, lors de son entretien avec la Commission, M. D1 ait fait des déclarations qui auraient pu être utiles à la requérante.

662    En outre, la Commission a relevé, lors de l’audience, sans être contredite sur ce point par la requérante, qu’entre la date de la réunion du 23 août 2006 et la date de la communication des griefs de 2007 Dell a encore fourni à la Commission des réponses à plusieurs autres mesures d’instruction, auxquelles la requérante a eu accès. Or, en ce qui concerne tant ces réponses que le reste du dossier auquel la requérante a eu accès, elle n’avance rien de nature à indiquer que, lors de la réunion, M. D1 a fourni de nouveaux éléments à décharge à la Commission qu’elle aurait pu utiliser pour sa défense.

663    Enfin, pour autant que la requérante s’appuie sur la décision du Médiateur, force est de constater que la conclusion de ce dernier, selon laquelle il ne pouvait pas être exclu que, du moins en partie, la réunion du 23 août 2006 ait porté sur des éléments susceptibles d’être à décharge pour la requérante, repose sur une qualification erronée des prétendues meilleures performances de la requérante d’élément susceptible d’être à décharge. En effet, au considérant 127 de sa décision, le Médiateur a constaté que la note interne implique que M. D1 estimait que les performances d’AMD dans le segment des entreprises étaient « très médiocres ». Selon le Médiateur, cette déclaration pourrait corroborer l’affirmation de la requérante selon laquelle Dell avait décidé de ne pas acheter des produits AMD en raison d’inquiétudes quant aux performances d’AMD, de sorte que la nature de la déclaration de M. D1 serait susceptible de disculper Intel. Or, il a déjà été constaté au point 642 ci-dessus que, dans le cas d’espèce, les prétendues meilleures performances d’Intel ne constituent pas un élément à décharge qui aurait pu être utile pour la défense de la requérante.

 2.3) Conclusion sur la réunion avec M. D1

664    Partant, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas violé les droits de la défense de la requérante.

d)     Conclusion

665    Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter la totalité des griefs invoqués par la requérante relatifs aux rabais d’exclusivité concernant Dell.

2.     HP

666    Selon l’article 1er, sous b), de la décision attaquée, Intel a accordé « des rabais à HP entre novembre 2002 et mai 2005 dont le niveau était conditionné au fait que HP achetât au moins 95 % des CPU x86 destinés à ses ordinateurs de bureau pour entreprises auprès d’Intel ».

667    En outre, selon l’article 1er, sous f), de la décision attaquée, Intel a accordé « des paiements à HP entre novembre 2002 et mai 2005 à condition que : i) HP oriente les ordinateurs de bureau de HP équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises vers les [PME] et les [GEM] plutôt que vers les grandes entreprises ; ii) HP interdise à ses partenaires de distribution de stocker les ordinateurs de bureau de HP équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises de façon que ces ordinateurs soient uniquement disponibles pour les clients en les commandant à HP (soit directement, soit par le biais de partenaires de distribution de HP exerçant une fonction d’agents commerciaux) ; iii) HP retarde de six mois le lancement de son ordinateur de bureau équipé d’un CPU x86 d’AMD destiné aux entreprises dans la région EMOA ».

668    La décision attaquée expose que HP et Intel ont conclu entre novembre 2002 et mai 2005 deux accords, connus respectivement sous les noms de HP Alliance Agreement 1 et HP Alliance Agreement 2 (ci-après « HPA1 » et « HPA2 » ou, pris ensemble, « HPA »).

669    En vertu de l’accord HPA1, Intel octroyait à HP un rabais de 32,5 millions de USD à la fin de chaque trimestre. L’accord HPA1 a été conclu à la fin de l’année 2002 pour une période d’une année qui a commencé le 1er novembre 2002. Chaque partie était libre de résilier cet accord moyennant un préavis de 30 jours. Après l’expiration de l’accord HPA1 le 31 octobre 2003, les parties ont continué à exécuter cet accord sur une base mensuelle jusqu’au mois de mai 2004.

670    Ensuite, Intel et HP ont conclu l’accord HPA2, également pour une période d’une année. Selon l’accord HPA2, Intel accordait à HP des rabais de 43 millions de USD par trimestre.

671    Selon la décision attaquée, les rabais accordés en vertu des accords HPA étaient soumis à plusieurs conditions non écrites. Il s’agissait, premièrement, d’une condition non écrite selon laquelle HP devait acheter auprès d’Intel au moins 95 % des CPU x86 nécessaires à ses ordinateurs de bureau destinés aux entreprises (ci-après la « condition de 95 % »). Deuxièmement, il s’agissait des trois conditions énumérées à l’article 1er, sous f), de la décision attaquée (voir point 667 ci-dessus).

672    Il convient d’examiner la légalité de la décision attaquée, en premier lieu, en ce qui concerne les constats relatifs à la condition de 95 % (rabais d’exclusivité) et, en second lieu, en ce qui concerne les trois autres conditions (restrictions non déguisées).

a)     Sur les rabais d’exclusivité

 1) Appréciation des preuves de la conditionnalité des rabais présentées dans la décision attaquée

673    En ce qui concerne la condition de 95 %, la décision attaquée se fonde notamment sur les éléments de preuve suivants :

–        la réponse de HP du 23 décembre 2005 à une demande de renseignements de la Commission au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003 (ci-après la « réponse de HP au titre de l’article 18 ») ;

–        plusieurs courriels datant de juillet 2002 ;

–        un document comportant une présentation interne de HP datant du 17 octobre 2002 ;

–        des courriels internes de HP datant de septembre 2004 ;

–        le fait qu’AMD ait offert à HP un million de CPU à titre gratuit, mais que HP n’en ait finalement accepté que 160 000.

674    Il convient de présenter le contenu de chacun de ces éléments de preuve et d’en examiner la valeur probante.

 1.1) Réponse de HP au titre de l’article 18


 i) Contenu

675    Ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 348 de la décision attaquée, HP a déclaré dans sa réponse au titre de l’article 18 que « HPA1 était soumis à plusieurs conditions, dont quelques-unes seulement apparaissaient dans l’accord HPA1 ».

676    HP a précisé que :

« Intel accordait les [rabais HPA1] sous réserve des exigences non écrites suivantes :

a)       HP devait acheter auprès d’Intel au minimum 95 % des CPU pour les systèmes d’ordinateurs de bureau destinés aux entreprises ;

b)       le modèle de distribution de HP […] pour les ordinateurs de bureau destinés aux entreprises à CPU AMD devait :

i)       orienter les ordinateurs de bureau de HP équipés de CPU AMD destinés aux entreprises vers les [PME] et les [GEM], plutôt que vers les principaux clients professionnels (ou ‘entreprises’) et

ii)       interdire aux partenaires de distribution de HP de stocker des ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU AMD, de façon que ces ordinateurs soient uniquement disponibles pour les clients en les commandant à HP (soit directement, soit par le biais de partenaires de distribution de HP exerçant une fonction d’agents commerciaux). Cette pratique est connue au sein de HP comme étant un modèle de commercialisation [dénommé] direct/‘top config’ ;

c)       HP devait reporter de six mois le lancement de son ordinateur de bureau destiné aux entreprises et équipé d’un processeur AMD dans la région [EMOA] »

677    Les conditions non écrites des accords HPA que la Commission a retenues dans la décision attaquée correspondent à celles dont fait état la réponse de HP au titre de l’article 18. La condition sous a), mentionnée au point précédent, concerne les rabais d’exclusivité et sera examinée par la suite. Les conditions sous b) et c), également mentionnées au point précédent, correspondent aux « restrictions non déguisées » que la Commission a retenues dans la décision attaquée et qui seront examinées aux points 799 à 873 ci-après.

678    La Commission a indiqué, au considérant 349 de la décision attaquée, que HP avait précisé que MM. I6, I7 et I2 d’Intel avaient indiqué, lors de réunions avec HP au cours des négociations, que les conditions non écrites mentionnées au point 676 ci-dessus faisaient partie intégrante de l’accord HPA1.

679    Ensuite, la Commission a relevé, au considérant 350 de la décision attaquée, que HP avait également indiqué que l’accord HPA2 « était soumis aux mêmes conditions non écrites » et qu’« Intel [avait] déclaré à HP lors des négociations que les rabais HPA2 étaient soumis à la condition que HP se conform[ât] à ces conditions non écrites ». HP a en outre précisé que, « comme sous l’accord HPA1, [Mme H1] [confidentiel] se souv[enait] de ce que durant [les réunions mensuelles des cadres] elle et [M. I7] [d’Intel avaient] discuté du respect par HP de l’exigence d’alignement Intel à 95 % ».

 ii) Valeur probante


 Sur la fiabilité inhérente à la réponse de HP au titre de l’article 18

680    Il convient de relever que la réponse de HP au titre de l’article 18 indique de manière expresse et non équivoque que les accords HPA étaient soumis à certaines conditions non écrites, inter alia la condition de 95 %.

681    Il y a lieu de souligner que HP était une entreprise tierce, à savoir ni la plaignante ni une entreprise visée par l’enquête de la Commission.

682    Il convient en outre de relever que, en l’espèce, il n’apparaît pas que HP ait eu un quelconque intérêt à fournir à cet égard des informations inexactes à la Commission et à accuser Intel à tort.

683    Dans ce cadre, il y a lieu de souligner qu’il est possible qu’un client d’une entreprise en position dominante visée par une enquête ait intérêt à ne pas divulguer un comportement illégal de celle-ci par crainte d’éventuelles représailles. Ainsi, dans l’arrêt de la Cour BPB Industries et British Gypsum, point 89 supra (point 26), cette dernière a relevé la possibilité qu’une entreprise en position dominante fût susceptible d’adopter des mesures de rétorsion à l’encontre des clients qui ont collaboré à l’instruction menée par la Commission et en a conclu que la Commission pouvait traiter des réponses à des demandes de renseignements comme étant confidentielles.

684    Toutefois, un client d’une entreprise en position dominante n’a normalement aucun intérêt à accuser cette dernière à tort d’un comportement anticoncurrentiel. Au contraire, le client d’une entreprise en position dominante qui accuse à tort cette dernière d’un comportement anticoncurrentiel dans le cadre d’une enquête de la Commission peut risquer de s’exposer à des mesures de rétorsion de la part de cette entreprise.

685    En l’espèce, il est très improbable que HP, pour laquelle Intel était un partenaire commercial incontournable, ait donné des informations inexactes à la Commission qui pouvaient être retenues par celle-ci afin d’établir une infraction à l’article 82 CE commise par Intel.

686    Interrogée sur cette question lors de l’audience, Intel a indiqué qu’elle ne faisait pas valoir que HP avait un intérêt à fournir des informations inexactes ni que HP avait agi de mauvaise foi en fournissant sa réponse au titre de l’article 18. Intel a en outre fait valoir, lors de l’audience, qu’il n’y avait pas lieu de lire la réponse de HP au titre de l’article 18 en ce sens qu’elle l’accusait d’un comportement anticoncurrentiel. Elle a ajouté qu’il n’existait pas de condition de 95 %, mais seulement une attente que HP atteigne un taux de 95 % et que, même si le terme « conditions » avait été utilisé dans la réponse de HP au titre de l’article 18, il n’en resterait pas moins possible que deux parties à un contrat comprennent la même chose et utilisent une terminologie différente.

687    Pourtant, il résulte de manière non équivoque de la réponse de HP au titre de l’article 18 que la condition de 95 % était une véritable condition et ne correspondait pas à une simple attente. En effet, HP a non seulement utilisé à plusieurs reprises le terme « condition », dans la version originale en anglais de sa réponse au titre de l’article 18, mais a également utilisé, en particulier dans les réponses aux questions n° 2.5, 2.8 et 2.13, les expressions anglaises « unwritten requirements » (exigences non écrites) et « unwritten obligations » (obligations non écrites). L’emploi de ces termes démontre sans ambiguïté que HP ne considérait pas que la condition de 95 % correspondait en réalité à une simple attente non contraignante. Il est donc exclu que HP se soit tout simplement mal exprimée en utilisant le terme « condition ».

688    Par ailleurs, plusieurs déclarations dans la réponse de HP au titre de l’article 18 sont clairement incompatibles avec l’existence d’une simple attente qui ne correspondrait pas à une condition. Il convient de rappeler que HP a précisé que des cadres d’Intel avaient indiqué, lors de réunions avec HP au cours des négociations, que les conditions non écrites faisaient partie intégrante de l’accord HPA1 (voir point 678 ci-dessus). Selon HP, Intel lui a déclaré lors des négociations que les rabais HPA2 étaient soumis à la condition que HP se conformât aux conditions non écrites (voir point 679 ci-dessus). En outre, selon HP, il a été discuté du respect par elle de la condition de 95 % lors de réunions mensuelles des cadres (voir point 679 ci-dessus). Ces déclarations sont incompatibles avec l’existence d’une simple attente et ne peuvent pas s’expliquer simplement par l’utilisation d’une terminologie inexacte par HP.

689    Il s’ensuit que, dans sa réponse au titre de l’article 18, HP a fait état sans ambiguïté de l’existence de plusieurs conditions non écrites des accords HPA, dont la condition de 95 %. Il était évident pour HP que cette information était susceptible d’être utilisée par la Commission à l’encontre d’Intel dans le cadre de l’enquête qui était en cours.

690    Il convient en outre de relever que, selon l’article 23, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1/2003, des renseignements inexacts fournis par une entreprise sont passibles d’amendes. En fournissant des informations inexactes à la Commission, HP aurait donc également risqué l’imposition d’amendes de la part de la Commission.

691    Enfin, ainsi qu’il a été rappelé au point 557 ci-dessus, il résulte de la jurisprudence que des réponses données au nom d’une entreprise en tant que telle sont revêtues d’une crédibilité surpassant celle que pourrait avoir la réponse donnée par un membre de son personnel (arrêt JFE, point 62 supra, point 205).

692    Il y a donc lieu de constater que les indications très claires et précises de HP doivent être considérées comme particulièrement fiables, parce que HP n’avait aucun intérêt à fournir des informations inexactes qui pouvaient être utilisées par la Commission afin d’établir une infraction à l’article 82 CE commise par Intel et que HP aurait subi des risques importants en fournissant des informations inexactes à la Commission.

 Sur les arguments de la requérante visant à remettre en cause la fiabilité de la réponse de HP au titre de l’article 18

693    Dans la réplique, la requérante fait valoir que la réponse de HP au titre de l’article 18 est très suspecte et peu fiable. Selon elle, cette réponse a très certainement été préparée sans obtenir les informations de la part des réels décideurs au sein de HP, qui avaient quitté l’entreprise avant la date de la réponse de HP au titre de l’article 18. Cela serait particulièrement flagrant compte tenu du fait que HP a fourni à la Commission un certain nombre de mémoires, qui ont été élaborés alors que ces personnes travaillaient encore pour cette société, et qu’aucun de ces mémoires ne faisait état de la moindre restriction. La réponse de HP au titre de l’article 18 contiendrait de nombreuses autres affirmations dont l’inexactitude pourrait être démontrée.

694    La Commission observe que la requérante a répondu à la réponse de HP au titre de l’article 18 et mis en question sa fiabilité tardivement et pour la première fois dans la réplique.

–       Observations liminaires sur la recevabilité

695    Tout d’abord, en ce qui concerne la circonstance que la requérante n’aurait pas évoqué certains arguments en réponse à la communication des griefs, il convient de relever que celle-ci n’est pas susceptible de limiter la possibilité pour la requérante d’évoquer ces arguments lors de la procédure juridictionnelle. En effet, dans l’arrêt de la Cour Knauf Gips/Commission, point 388 supra, celle-ci a souligné que, s’agissant de l’application des articles 81 CE et 82 CE, aucune disposition du droit de l’Union n’imposait au destinataire de la communication des griefs de contester les différents éléments de fait ou de droit contenus dans celle-ci au cours de la procédure administrative, sous peine de ne plus pouvoir le faire ultérieurement au stade de la procédure juridictionnelle. La Cour a en outre relevé que la reconnaissance explicite ou implicite d’éléments de fait ou de droit par une entreprise durant la procédure administrative devant la Commission ne saurait limiter l’exercice même du droit de recours devant le Tribunal dont dispose une personne physique ou morale en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, et qu’une telle limitation serait contraire aux principes fondamentaux de légalité et de respect des droits de la défense (arrêt Knauf Gips/Commission, point 388 supra, points 90 et 91 ; voir également arrêt du Tribunal du 15 septembre 2011, Koninklijke Grolsch/Commission, T‑234/07, Rec. p. II‑6169, points 37 à 38).

696    Ensuite, la présentation de ces arguments au stade de la réplique n’est pas non plus contraire à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. En effet, la requérante a déjà fait valoir dans la requête que la Commission n’avait pas démontré l’existence de la condition de 95 %. En outre, dans la requête, la requérante a fait valoir que la Commission « préfér[ait] la réponse [de HP au titre de l’article 18] aux éléments de preuve datant de la période des faits ». La présentation d’arguments nouveaux tendant à mettre en doute la crédibilité de la réponse de HP au titre de l’article 18 ne saurait être considérée comme un moyen nouveau au sens de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. Il s’agit d’arguments pouvant être rattachés au moyen tiré d’erreurs dans l’appréciation de la conditionnalité des rabais qui a été présenté au stade de la requête.

697    Enfin, il y a lieu de rejeter l’argument de la Commission selon lequel les éléments de preuve présentés en annexe à la réplique sous les références C.30 et C.31 sont irrecevables en vertu de l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure. En effet, dans le cas où un nouvel argument présenté au stade de la réplique est recevable, la partie qui le soulève ne peut pas être empêchée de produire des moyens de preuve à l’appui de cet argument (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, Ufex e.a./Commission, T‑60/05, Rec. p. II‑3397, point 123).

698    S’agissant du bien-fondé de ces arguments de la requérante, il convient de relever ce qui suit.

–       Sur l’argument selon lequel la réponse de HP au titre de l’article 18 aurait été préparée sans obtenir les informations de la part des réels décideurs au sein de HP

699    En ce qui concerne l’argument de la requérante tiré de ce que les responsables concernés, à savoir MM. H2, H3 et H4, auraient quitté HP au moment où cette dernière a envoyé sa réponse au titre de l’article 18, la Commission a produit, en annexe D.18 à la duplique, une page additionnelle de la réponse de HP au titre de l’article 18 dont il résulte que HP avait interrogé, inter alia, M. H5, Mme H1 et M. H2.

700    La présentation de cet élément de preuve au stade de la duplique doit être considérée comme recevable selon l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, car le retard dans la présentation de cet élément de preuve est suffisamment motivée par le fait, premièrement, qu’il s’agit d’une réponse à un argument qui a été présenté pour la première fois au stade de la réplique et, deuxièmement, que la version présentée en annexe à la défense était expurgée des noms des personnes interrogées pour des raisons de confidentialité et que HP a entre-temps accepté que les noms soient divulgués, ainsi que la Commission l’a relevé dans la note en bas de page n° 244 de la duplique.

701    Il s’ensuit que la supposition de la requérante selon laquelle HP n’a pas interrogé M. H2 avant de préparer sa réponse au titre de l’article 18 manque en fait. Selon la requérante, celui-ci était « le [confidentiel] en charge du [confidentiel] de HP, qui était le décideur ultime qui a signé HPA1 et qui a approuvé la signature de HPA2 ». Il résulte de ce qui précède qu’il a parfaitement pu éclairer HP sur l’existence de conditions non écrites dans ces accords.

702    En outre, selon le point 2.1 de la réponse de HP au titre de l’article 18, l’accord HPA1 a été négocié pour HP principalement par Mme H1, M. H5 et M. H6. Mme H1 et M. H5, qui ont été interrogés par HP (voir point 699 ci-dessus), ont donc également pu éclairer cette dernière à ce sujet.

703    La supposition de la requérante selon laquelle la réponse de HP au titre de l’article 18 a très certainement été préparée sans obtenir les informations de la part des réels décideurs au sein de HP manque donc en fait. Le seul fait que HP n’a pas interrogé la totalité des personnes qui étaient responsables à l’époque des faits, et dont certaines avaient quitté la société au moment de la réponse de HP au titre de l’article 18, n’est pas susceptible de remettre en cause la fiabilité de cette réponse.

–       Sur l’argument selon lequel les mémoires antérieurs de HP ne feraient état d’aucune restriction

704    En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel les mémoires de HP antérieurs à la réponse de HP au titre de l’article 18 ne feraient état d’aucune restriction, il convient de relever, tout d’abord, que la requérante indique que le seul mémoire antérieur de HP qui abordait les accords HPA était sa réponse datant du 6 août 2004 à une demande de renseignements de la Commission. Il s’ensuit que le fait que HP n’ait pas mentionné de restrictions liées aux accords HPA dans les autres mémoires qu’elle a envoyés à la Commission est sans pertinence pour la crédibilité de la réponse de HP au titre de l’article 18 dans laquelle elle a pour la première fois mentionné des conditions non écrites.

705    Dans la réponse datant du 6 août 2004 à une demande de renseignements de la Commission, HP a fourni en annexe les accords écrits HPA1 et HPA2, en indiquant qu’il s’agissait de « copies des conditions de ces rabais, avec lesquelles Intel [avait] marqué son accord afin d’égaler une offre concurrentielle réelle/attendue d’AMD ».

706    La Commission répond qu’il n’y a pas d’incohérence entre le mémoire datant du 6 août 2004 et la réponse de HP au titre de l’article 18, car, dans le mémoire du 6 août 2004, HP n’aurait pas prétendu dresser « la liste des conditions écrites et tacites des accords HPA ». La Commission aurait réagi en envoyant une autre demande de renseignements et en demandant à HP si les rabais étaient subordonnés au respect par HP de conditions supplémentaires, écrites ou non écrites, formelles ou informelles, ne figurant pas dans l’accord. Cette question directe aurait reçu une réponse tout aussi directe de HP.

707    Il y a lieu de constater que, ainsi que le relève la Commission, il n’existe pas de contradictions entre les diverses réponses de HP aux demandes de renseignements que la Commission lui a adressées. Il est vrai que, en principe, HP aurait pu indiquer l’existence de conditions non écrites dès le stade de sa réponse du 6 août 2004. En effet, la Commission avait demandé à HP de décrire toutes les conditions liées aux rabais, ainsi que cela résulte de la question n° 11, sous b), de la demande de renseignements dont la formulation était : « Veuillez s’il vous plaît inclure une description détaillée spécifique de toutes les conditions qui sont liées à l’octroi de tels rabais et/ou ristournes. » Toutefois, le fait que HP a fourni, dans un premier temps, une réponse incomplète qui n’a pas couvert les conditions non écrites n’est pas susceptible de remettre en cause la fiabilité de la réponse explicite qui a été donnée ultérieurement à la suite d’une question expresse de la Commission se référant aux éventuelles conditions non écrites.

708    Au contraire, la circonstance que HP a présenté ces éléments à charge seulement après une demande expresse de la Commission quant aux conditions non écrites démontre que HP n’avait aucune volonté d’incriminer Intel. Il s’agit donc plus d’un élément qui renforce la crédibilité de la réponse de HP au titre de l’article 18 qui fait état de l’existence de conditions non écrites des accords HPA que d’un élément susceptible de remettre en cause cette crédibilité.

–       Sur l’argument selon lequel la réponse de HP au titre de l’article 18 contiendrait des affirmations dont l’inexactitude pourrait être démontrée

709    En ce qui concerne son argument selon lequel la réponse de HP au titre de l’article 18 contiendrait de nombreuses autres affirmations dont l’inexactitude pourrait être démontrée, la requérante précise que c’est à tort que, dans sa réponse au titre de l’article 18, HP affirme que MM. I6 et I7 d’Intel étaient responsables au premier chef de la négociation de l’accord HPA2.

710    Selon la requérante, aucune de ces deux personnes n’a joué le moindre rôle dans les négociations de l’accord HPA2, qui se sont déroulées au printemps de l’année 2004. M. I6 aurait quitté Intel en avril 2003 pour devenir [confidentiel] de la société [confidentiel]. M. I7 n’aurait pas non plus exercé la moindre responsabilité pour les ventes ou la commercialisation de CPU en 2004, car il aurait quitté la division des CPU en novembre 2003, deux mois avant l’expiration de l’accord HPA1.

711    De même, selon la requérante, c’est à tort que la réponse de HP au titre de l’article 18 mentionne que Mme H1 de HP a participé à des réunions de cadres avec M. I7 alors que l’accord HPA2 était en vigueur (juin 2004 à mai 2005), au cours desquelles M. I7 aurait prétendument discuté du respect de la condition de 95 %. M. I7 aurait quitté la division CPU d’Intel en 2003, six mois avant que l’accord HPA2 n’ait été conclu, et aurait totalement quitté Intel au cours de l’été de 2004, peu après le début de l’accord HPA2.

712    Il convient de constater que, même à supposer établie que la réponse de HP au titre de l’article 18 contienne une inexactitude quant à l’identité des personnes qui ont négocié l’accord HPA2 pour Intel, une telle erreur ne serait pas susceptible de remettre en cause la valeur probante de la réponse de HP au titre de l’article 18 dans son ensemble. À cet égard, il convient de souligner que la question de l’identité de ces personnes n’était un point central ni dans la réponse de HP au titre de l’article 18 ni pour le constat d’une infraction. Une erreur concernant un détail ne saurait remettre en cause la fiabilité d’une réponse comportant 19 pages à une demande de renseignements de la Commission dans son ensemble.

713    En ce qui concerne l’affirmation relative à la discussion du respect de la condition de 95 % au cours des réunions mensuelles des cadres, HP a expressément indiqué se fonder sur le souvenir de Mme H1, ainsi qu’il résulte des points 2.8 et 3.3 de la réponse de HP au titre de l’article 18. Même si Mme H1 s’était trompée sur ce point, cela ne signifierait pas que ses souvenirs ne sont pas fiables de manière générale. Dans ce cadre, il convient de relever que la requérante ne conteste pas que M. I7 ait participé aux réunions mensuelles des cadres concernant l’accord HPA1. Une éventuelle erreur de la part de Mme H1 concernant la personne qui a représenté Intel dans les réunions mensuelles des cadres pour l’accord HPA2 pourrait s’expliquer par la circonstance que, dans le cadre de l’accord HPA1, c’était M. I7 qui était présent. Une éventuelle inexactitude dans la réponse de HP au titre de l’article 18 à cet égard ne saurait donc pas non plus remettre en cause la fiabilité de celle-ci de manière générale.

–       Sur l’argument selon lequel la réponse de HP au titre de l’article 18 serait contredite par un témoignage sous serment

714    En ce qui concerne l’allégation de la requérante selon laquelle, par rapport à la prétendue restriction concernant les canaux de distribution de certains ordinateurs, la réponse de HP au titre de l’article 18 est contredite par le témoignage sous serment de M. H3, [confidentiel] de HP, devant l’US FTC, il y a lieu de constater que, en réalité, une telle contradiction n’existe pas, ainsi qu’il résulte des points 859 à 864 ci-après.

715    La requérante ne saurait donc utilement évoquer le témoignage sous serment de M. H3 pour mettre en cause la fiabilité de la réponse de HP au titre de l’article 18.

716    Il résulte de tout ce qui précède que la réponse de HP au titre de l’article 18 doit être considérée comme un élément de preuve particulièrement fiable.

 Importance de la réponse de HP au titre de l’article 18 pour démontrer l’existence des conditions non écrites

717    Quant à la question de savoir si la réponse de HP au titre de l’article 18 pourrait, le cas échéant, suffire à elle seule pour démontrer l’exactitude des faits retenus dans la décision attaquée quant à l’existence des conditions non écrites des accords HPA, il convient de relever ce qui suit.

718    Le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves. Le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité (arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, Rec. p. I‑829, point 63).

719    La jurisprudence a également précisé, par rapport à un document utilisé en tant que preuve d’une infraction à l’article 81 CE, qu’aucun principe de droit de l’Union ne s’opposait à ce que la Commission se fondât sur une seule pièce, pourvu que la valeur probante de celle-ci ne fît pas de doute et pour autant que, à elle seule, ladite pièce attestât de manière certaine l’existence de l’infraction en question (arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 354 supra, point 1838).

720    Quant aux infractions à l’article 81 CE, la jurisprudence a établi la règle selon laquelle la déclaration d’une entreprise inculpée pour avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs autres entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante de l’existence d’une infraction commise par ces dernières sans être étayée par d’autres éléments de preuve (voir arrêt JFE, point 62 supra, point 219, et la jurisprudence citée). Il a également été précisé dans la jurisprudence que, dans le cas d’une entente impliquant deux parties seulement, la contestation du contenu de la déclaration d’une des entreprises par l’autre entreprise suffit à ce qu’il soit exigé que d’autres éléments de preuve viennent l’étayer (arrêt Groupe Danone/Commission, point 614 supra, point 285).

721    Il n’y a cependant pas lieu d’appliquer une telle règle également à la déclaration d’une entreprise tierce, qui n’est ni le plaignant ni l’entreprise visée par l’enquête, faisant état d’un comportement constituant une violation de l’article 82 CE par une autre entreprise, lorsque l’entreprise en position dominante visée par l’enquête contredit le contenu de cette déclaration.

722    À cet égard, il convient de souligner que le fait d’établir une règle générale constitue une exception au principe de la libre administration des preuves. Dans le cas d’une entreprise qui déclare avoir participé à une entente contraire à l’article 81 CE, une telle règle est justifiée, car une entreprise visée par une enquête, ou se manifestant auprès de la Commission afin de bénéficier d’une immunité ou d’une réduction d’amende, peut avoir tendance à atténuer sa propre responsabilité dans une infraction et à mettre en exergue la responsabilité d’autres entreprises.

723    La situation est différente en ce qui concerne les déclarations d’une entreprise tierce comme HP qui est, en substance, un témoin. Certes, une telle entreprise peut, dans certains cas, avoir intérêt à ne pas divulguer l’infraction, par peur de mesures de rétorsion que l’entreprise en position dominante pourrait adopter à son égard (voir point 683 ci-dessus). Mais il est très improbable qu’une entreprise telle que HP, pour laquelle l’entreprise en position dominante est un partenaire commercial incontournable, accuse cette entreprise à tort d’un comportement constituant une infraction à l’article 82 CE, lorsqu’il n’existe pas de circonstances exceptionnelles en raison desquelles cette entreprise tierce pourrait avoir un intérêt à le faire.

724    Il n’y a donc pas lieu d’établir une règle générale selon laquelle la déclaration d’une entreprise tierce, indiquant qu’une entreprise en position dominante a adopté un certain comportement, ne peut jamais suffire à elle seule pour démontrer les faits constituant une infraction à l’article 82 CE.

725    Dans des cas comme celui de l’espèce, dans lesquels il n’apparaît pas que l’entreprise tierce a un quelconque intérêt à incriminer à tort l’entreprise en position dominante, la déclaration de l’entreprise tierce peut, en principe, suffire à elle seule pour démontrer l’existence d’une infraction.

726    En tout état de cause, la réponse de HP au titre de l’article 18 est corroborée par plusieurs autres éléments de preuve, ainsi qu’il sera expliqué ci-dessous.

727    Dans ce cadre, il y a lieu de souligner que, même si l’on considérait qu’une corroboration de la réponse de HP au titre de l’article 18 était nécessaire, le degré de corroboration requis ne serait pas élevé, aussi bien en termes de précision qu’en termes d’intensité, en raison de la fiabilité intrinsèque de cette réponse (voir, en ce sens, arrêt JFE, point 62 supra, point 220).

 1.2) Sur les éléments de preuve corroborant la réponse de HP au titre de l’article 18


 i) Sur les courriels de juillet 2002


 Contenu

728    La décision attaquée se fonde sur plusieurs courriels datant de juillet 2002 en tant que preuves de l’infraction.

729    Il s’agit, premièrement, d’un courriel de M. H5, [confidentiel] de HP, datant du 14 juillet 2002, cité au considérant 352 de la décision attaquée et intitulé « Résumé de l’accord Intel », dans lequel M. H5 a résumé les conditions attachées au contrat qui était en cours de négociation. Il a écrit ce qui suit :

« Engagements de HP envers Intel

1. Pour la durée du contrat, HP achètera au minimum 95 % (sur la base d’une moyenne annuelle) de ses CPU compatibles IA-32 pour les produits ordinateurs de bureau destinés aux entreprises auprès d’Intel.

2. Si HP vend des produits ordinateurs de bureau destinés aux entreprises en utilisant un processeur compatible IA-32 non Intel :

–        ces produits ne seront pas vendus sous la marque EVO ;

–        ces produits ne seront vendus que directement ou en réponse à une DO [demande d’offres] spécifique ;

–        ces produits seront positionnés pour le marché des [PME].

[…]

3. Si Intel peut raisonnablement démontrer que HP ne remplit pas les engagements susmentionnés, une réunion de haut niveau réunissant la direction de HP et celle d’Intel sera organisée afin d’étudier ce désaccord et d’en débattre. Si les cadres de HP et d’Intel conviennent que HP n’a pas respecté ses engagements, HP se verra accorder un délai raisonnable pour résoudre le problème. Si HP ne remédie pas audit problème, Intel se réserve le droit de résilier l’accord. En cas de résiliation, aucun autre paiement ne sera dû à HP au-delà du trimestre précédant celui qui a vu surgir le problème non résolu. Les paiements effectués en faveur de HP pour les trimestres qui suivent cette date seront remboursés à Intel. »

730    Au considérant 353 de la décision attaquée, la Commission s’est également fondée sur le fait que, au point 2.7, sous a), de la réponse de HP au titre de l’article 18, cette dernière a indiqué que, bien que l’accord qui était en négociation au début de l’été 2002 n’ait pas été signé en tant que tel, ces conditions ont été maintenues dans le cadre de l’accord HPA1.

731    Deuxièmement, au considérant 354 de la décision attaquée, la Commission s’est appuyée sur un courriel du 15 juillet 2002 adressé par Mme H1 à plusieurs cadres de HP, dans lequel elle a écrit ce qui suit :

« PRIÈRE DE NE PAS… faire savoir aux régions, aux membres de votre équipe ou à AMD que nous sommes limités à 5 % d’AMD en poursuivant l’accord avec Intel. »

732    Troisièmement, la Commission s’est fondée, aux considérants 385 à 389 de la décision attaquée, sur un courriel interne d’Intel, datant du 9 juillet 2002, concernant l’évolution des négociations de l’accord HPA1, dans lequel il était écrit, inter alia :

« Dernière proposition de HP donnant la possibilité à Intel d’entrer en concurrence pour 95 % des achats totaux de HP dans le segment des ordinateurs de bureau destinés aux entreprises (y compris les PME et les grandes entreprises). »

733    Ensuite, dans ce courriel, étaient présentées les trois options envisagées par Intel aux fins des négociations. La première option était de fournir la « meilleure offre » au cas où HP accepterait une condition d’exclusivité à 100 % pour les ordinateurs de bureau destinés aux entreprises. La deuxième option était de fournir une « certaine assistance » si HP n’acceptait qu’une exclusivité à 95 %. La troisième option était de ne pas donner suite à l’accord.

 Valeur probante

734    Intel fait valoir que ces courriels, datant d’avant la conclusion de l’accord HPA1, sont dénués de toute valeur probante, car les négociations initiales se sont soldées par un échec.

735    À cet égard, il y a lieu de relever que, certes, le seul fait que les parties à un accord aient discuté de certaines conditions lors des négociations ne signifie pas que ces conditions fassent partie intégrante de l’accord final. Il s’ensuit que les courriels datant de juillet 2002 ne peuvent pas suffire à eux seuls à démontrer l’existence de conditions non écrites dans l’accord HPA1.

736    Mais, contrairement à ce qu’estime la requérante, il n’y a pas lieu de dénier toute valeur probante à ces courriels. En effet, dans le cadre du faisceau d’indices que la Commission peut présenter afin de démontrer une infraction aux règles de concurrence, il n’est pas nécessaire que chaque élément suffise à lui seul pour apporter la preuve de l’infraction (voir point 64 ci-dessus).

737    Les courriels de juillet 2002 démontrent que certaines conditions, notamment celle de 95 %, ont été discutées lors des négociations ayant eu lieu à l’été 2002.

738    Les courriels de juillet 2002 doivent être considérés en combinaison avec la déclaration de HP, telle qu’elle figure au point 2.7, sous a), de sa réponse au titre de l’article 18, selon laquelle l’accord HPA1 remplaçait l’accord négocié à l’été 2002 qui n’avait jamais été signé et selon laquelle la condition non écrite de 95 % et celles concernant le modèle de distribution d’ordinateurs équipés de CPU AMD avaient été maintenues dans le cadre de l’accord HPA1.

739    Bien que les courriels de juillet 2002 aient concerné l’accord négocié à l’été 2002, ils constituent un élément de preuve de nature à corroborer la réponse de HP au titre de l’article 18, car ils confirment au moins que HP et Intel ont discuté de certaines conditions non écrites, inter alia la condition de 95 %, dans le cadre des négociations sur un accord, au cours de l’été qui a précédé la signature de l’accord HPA1.

740    Il serait possible de dénier toute force probante à ces courriels uniquement si la requérante avait pu démontrer que l’accord négocié à l’été 2002 n’avait pas été signé précisément en raison de doutes quant à la compatibilité des conditions non écrites avec le droit de la concurrence.

741    La requérante fait valoir, à cet égard, que, en août 2002, le [confidentiel] d’Intel a informé le [confidentiel] de HP qu’Intel avait « des inquiétudes en matière de droit de la concurrence et des inquiétudes de nature commerciale » et ne pouvait accepter l’accord proposé. Le [confidentiel] de HP aurait répondu qu’il « consulterait ses avocats pour s’assurer qu’il n’existait aucun problème de droit de la concurrence ». À cet égard, la requérante s’appuie sur un courriel interne d’Intel du 23 août 2002. La requérante a également présenté, dans les annexes A.165 et A.166 de la requête, l’échange de courriels entre les avocats de HP et d’Intel qui a suivi.

742    Il résulte de ces courriels que la discussion entre les avocats ne portait pas sur l’éventuelle illégalité des conditions non écrites qui étaient prévues, mais sur la question de savoir si l’offre d’Intel signifiait que celle-ci proposait un prix plus bas pour ses CPU qu’AMD. À cet égard, la Commission a expliqué, dans la note en bas de page n° 464 de la décision attaquée (n° 457 dans la version publique), que, « [d]ans certains cas, le droit des États-Unis d’Amérique autoris[ait] une société disposant d’une puissance de marché à fixer des prix à un niveau inférieur aux coûts dans la mesure où l’offre de cette société correspond[ait] à l’offre d’un concurrent mais ne l’emport[ait] pas sur celle-ci ». La Commission a relevé à juste titre, au considérant 381 de la décision attaquée, que les « inquiétudes en matière de droit de la concurrence » ne concernaient pas la conditionnalité des rabais.

743    La requérante n’a donc pas apporté la preuve qu’elle avait rejeté l’accord en négociation à l’été 2002 en raison d’inquiétudes quant à la légalité des conditions non écrites.

744    Par ailleurs, l’existence d’un lien entre les négociations qui se sont déroulées en juillet 2002 et celles qui ont été reprises après l’interruption est confirmée par une présentation interne de HP du 17 octobre 2002 qui sera examinée aux points 746 à 752 ci-après.

745    Il résulte de ce qui précède que la Commission a, à juste titre, pu s’appuyer sur les courriels de juillet 2002 en tant qu’éléments de preuve corroborant la réponse de HP au titre de l’article 18.

 ii) Sur la présentation interne de HP datant du 17 octobre 2002


 Contenu

746    Au considérant 371 de la décision attaquée, la Commission cite une présentation interne de HP datant du 17 octobre 2002 intitulée « Mise à jour Intel ».

747    Ainsi que la Commission l’a relevé dans la décision attaquée, la dixième page de cette présentation décrit, sous l’intitulé « Historique », ce qui suit :

« 1. HP est parvenue à un accord avec Intel et AMD à la mi-juillet au niveau des conditions […]

2. Intel a bloqué les négociations contractuelles jusqu’au lancement HP-AMD

3. Intel a réagi de manière très négative au lancement HP-AMD et a mis fin aux négociations. »

748    Ensuite, à la page suivante de la présentation, l’état des négociations en cours au moment de cette présentation, à savoir à la mi-octobre 2002, a été décrit sous l’intitulé « État ». Il y est indiqué : « Les négociations avec Intel ont repris. »

 Valeur probante

749    Au considérant 371 de la décision attaquée, la Commission cite cette présentation interne de HP à l’appui de son allégation selon laquelle HP et Intel, quelques mois après que les négociations initiales ont été bloquées, ont repris les mêmes négociations au point où elles avaient été interrompues.

750    À cet égard, il convient de relever que, effectivement, cette présentation démontre l’existence d’une certaine relation entre les négociations de l’été 2002 et celles précédant directement la conclusion de l’accord HPA1. Ainsi, cette présentation est un élément corroborant la réponse de HP au titre de l’article 18.

751    Il convient en outre de relever que, dans ses réponses aux questions écrites posées par le Tribunal, la requérante a expliqué que la phrase contenue dans la onzième page de cette même présentation selon laquelle, « [e]n signe de bonne foi, HP a agi en conformité avec la plupart des conditions escomptées d’un accord potentiel » se référerait à la circonstance selon laquelle, avant d’aboutir à un accord avec Intel, HP a appliqué unilatéralement son plan concentrant l’offre de ses nouveaux ordinateurs de bureau destinés aux entreprises basés sur AMD sur les PME et le canal de distribution direct.

752    À cet égard, il convient de relever qu’il s’agit de deux conditions qui étaient mentionnées dans le courriel du 14 juillet 2002 cité au point 729 ci-dessus. Dans la présentation du 17 octobre 2002, HP a fait référence à des « conditions escomptées d’un accord potentiel ». Selon l’explication donnée par la requérante elle-même, HP a donc fait référence à deux des conditions mentionnées dans le courriel du 14 juillet 2002 en tant que « conditions escomptées d’un accord potentiel » dans une présentation du 17 octobre 2002. Cette circonstance démontre l’existence d’un lien entre les négociations qui se sont déroulées en juillet 2002 et celles qui ont repris après l’interruption des négociations, ce qui confirme la valeur probante des courriels de juillet 2002 en tant qu’éléments corroborant la réponse de HP au titre de l’article 18.

 iii) Sur les courriels internes de HP de septembre 2004


 Contenu

753    La Commission relève, au considérant 359 de la décision attaquée, que, le 3 septembre 2004, M. H7 [confidentiel] a interrogé M. H2 sur la façon dont les ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU AMD pourraient être commercialisés dans la région EMOA. Il a écrit le courriel suivant :

« [M. H2], une brève question : au lieu de demander à [confidentiel] d’ajouter un pavillon localisé pour certains pays ISE (Pologne, Turquie…), pouvons-nous envisager d’utiliser la ligne commerciale d’AMD dans le canal [de distribution] dans ces pays ou bien pensez-vous que nous devrions au minimum changer le Bezel et l’appeler Presario (ce qui signifiera une complexité supplémentaire et impliquera par conséquent des ressources supplémentaires) ? Sinon, je pourrais faire l’essai avec 2 ou 3 pays (du moins pour voir si cela fonctionne) et laisser Intel réagir s’ils découvrent la situation ? »

754    Le même jour, M. H2 a répondu, ainsi que cela est mentionné au considérant 360 de la décision attaquée, comme suit :

« Vous ne pouvez PAS utiliser la ligne commerciale d’AMD dans le canal [de distribution], quel que soit le pays ; cela doit se faire directement. Si vous le faites et si nous sommes pris (et nous le serons), les fonds d’Intel (chaque mois) s’envoleront (ils mettraient fin à l’accord). Le risque est trop grand. Sans les fonds, nous ne nous en sortirions pas financièrement. »

755    Ainsi que la Commission le relève, au considérant 360 de la décision attaquée, M. H7 a ensuite informé M. H8, membre de son équipe de vente, que HP EMOA ne pouvait pas mettre à disposition son ordinateur « Presario » équipé de CPU AMD par le biais de son partenaire de distribution. Dans un courriel du 6 septembre 2004, il a écrit : « Nous ne pouvons pas faire ce dont nous avons parlé. »

 Valeur probante

756    Il y a lieu de relever que les courriels internes de HP de septembre 2004 sont des éléments de preuve très forts quant à l’existence d’une restriction concernant les canaux de distribution des ordinateurs de bureau de HP destinés aux entreprises et équipés de CPU AMD (voir, à cet égard, points 822 à 824 ci-après).

757    Il convient de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission a fait état de l’existence de quatre conditions non écrites dans les accords HPA. Il s’agissait, d’une part, de la condition de 95 %, et d’autre part, de trois conditions que la Commission a considérées comme étant des « restrictions non déguisées ».

758    Dans ce cadre, il convient de relever qu’il résulte de la jurisprudence que, si le faisceau d’indices concordants, invoqué par la Commission, permet d’établir l’existence et certains aspects spécifiques d’un accord évoqué dans une déclaration faite au nom d’une entreprise, cette déclaration pourrait suffire à elle seule pour attester d’autres aspects de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt JFE, point 62 supra, point 334). En l’espèce, il n’y a aucune raison de supposer que HP a effectué des affirmations inexactes par rapport à la condition de 95 %, alors que d’autres éléments de preuve corroborent ses affirmations concernant l’existence de la condition non écrite par rapport aux canaux de distribution (voir, en ce sens, arrêt JFE, point 62 supra, point 335). Dans ce cadre, il y a lieu de souligner que sont en cause des conditions non écrites des mêmes accords.

759    À supposer même que la réponse de HP au titre de l’article 18 doive, en principe, être corroborée par d’autres éléments de preuve, un élément corroborant de manière très nette l’existence de l’une des quatre conditions non écrites dont fait état la réponse de HP au titre de l’article 18 doit également être considéré comme un élément corroborant ladite réponse par rapport à l’existence des autres conditions.

760    Les courriels internes de HP de septembre 2004 sont donc des éléments corroborant la réponse de HP au titre de l’article 18, et ce même par rapport à la condition de 95 %.

 iv) Sur le fait que HP n’a pas profité de l’offre d’un million de CPU gratuits


 Constatations faites dans la décision attaquée

761    La Commission a relevé, au considérant 956 de la décision attaquée, que, par courriel du 11 juillet 2002, AMD avait offert à HP un million de CPU x86 à titre gratuit. HP n’en a finalement accepté que 160 000.

762    La Commission a relevé, au considérant 957 et dans la note en bas de page n° 1292 de la décision attaquée (n° 1283 dans la version publique), que le fait que HP n’a pas profité de l’offre était une conséquence des conditions non écrites de l’accord HPA1. À cet égard, la décision attaquée cite la réponse de HP au titre de l’article 18, dans laquelle HP a indiqué ce qui suit :

« HP peut confirmer que les mesures d’incitation d’Intel (en particulier les rabais globaux) ont joué un rôle déterminant dans l’accord de HP sur les conditions non écrites. En conséquence :

[…]

c) HP […] n’a pas profité du million de CPU AMD gratuits : HP n’a pris qu’un petit nombre de ceux-ci, parce que le modèle d’une distribution restreinte adopté pour le D315 et les autres exigences du HPA1 signifiaient que HP ne produisait pas le D315 à des volumes significatifs. »

763    L’ordinateur « D315 » ou « Compaq D315 » (ci-après le « D315 ») est un ordinateur de bureau destiné aux entreprises et équipé d’un CPU AMD que HP a lancé sur le marché des États-Unis le 19 août 2002. Le D315 n’a finalement pas été lancé dans la région EMOA (voir point 846 ci-après).

 Valeur probante

764    Dans sa réponse au titre de l’article 18, HP a clairement indiqué que le fait que le D315 n’avait pas été produit en quantités significatives était lié aux conditions non écrites dans l’accord HPA1. Le fait que HP a seulement accepté une petite quantité des CPU offerts à titre gratuit, considéré en combinaison avec l’explication donnée par HP dans sa réponse au titre de l’article 18, constitue un indice supplémentaire de l’existence de conditions non écrites dans l’accord HPA1.

765    La requérante fait valoir que HP a certainement rejeté l’offre d’AMD pour la simple raison que la demande en systèmes équipés de CPU AMD était insuffisante.

766    À cet égard, il convient de relever que, en théorie, il n’est certes pas exclu qu’une entreprise n’accepte qu’une petite quantité de produits offerts à titre gratuit en raison d’une faible demande. En l’espèce, il résulte toutefois de manière explicite de la réponse de HP au titre de l’article 18 que la raison de l’attitude de HP en cause résidait dans les conditions non écrites de l’accord HPA1.

767    Il y a lieu d’observer que, la circonstance que HP n’a pas accepté la totalité des CPU offerts par AMD à titre gratuit devant être considérée conjointement avec l’explication donnée par HP afin d’exclure qu’elle s’explique par une faible demande, la valeur de cette circonstance en tant qu’élément de preuve corroborant la réponse de HP au titre de l’article 18 est plutôt limitée.

768    Pourtant, il n’est pas possible de nier toute force probante à cette circonstance, car il semble pour le moins inhabituel qu’AMD ait offert un tel nombre de CPU à titre gratuit et que HP n’en ait accepté qu’une petite quantité, et parce que l’explication donnée par HP dans sa réponse au titre de l’article 18 est plausible.

769    Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a présenté, dans la décision attaquée, un faisceau d’indices suffisant de nature à démontrer que les accords HPA contenaient la condition non écrite de 95 %.

 2) Sur les arguments de la requérante


 2.1) Absence d’une obligation contraignante

770    La requérante fait valoir que HP n’était pas liée par une condition de 95 % susceptible d’exécution. Elle souligne que, en vertu du droit américain, qui régissait les accords HPA, une disposition qui est débattue, mais qui n’apparaît pas dans l’accord signé, ne fait pas partie du contrat et son exécution ne peut être poursuivie en justice. Il s’ensuivrait que HP n’était pas soumise à une quelconque exigence juridiquement contraignante d’attribuer 95 % de ses besoins à Intel.

771    À cet égard, il convient de rappeler que l’illégalité des rabais d’exclusivité ne présuppose pas que les clients de l’entreprise en position dominante soient liés par des obligations formelles (voir point 106 ci-dessus). Au vu de la jurisprudence existante en matière de rabais d’exclusivité, l’hypothèse qu’une entreprise dominante poursuive un client en justice afin de lui faire respecter une condition d’exclusivité semble d’ailleurs plutôt théorique.

 2.2) Absence d’une conditionnalité de facto

772    La requérante fait valoir que la Commission n’a pas apporté d’éléments de preuve à l’appui de son allégation de conditionnalité de facto, qui repose sur le postulat selon lequel HP redoutait de subir, et aurait effectivement subi, une diminution disproportionnée des rabais si elle se fournissait davantage auprès d’AMD. La Commission n’identifierait pas davantage une communication de la part d’Intel menaçant HP d’une réduction disproportionnée de rabais.

773    À cet égard, il convient de rappeler, tout d’abord, que la Commission n’est nullement tenue de démontrer que HP aurait effectivement subi une diminution disproportionnée des rabais si elle n’avait pas respecté la condition de 95 % (voir point 527 ci-dessus).

774    En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la Commission n’a pas prouvé que HP redoutait une perte totale ou une diminution disproportionnée des rabais, il convient de relever, tout d’abord, que la question pertinente est celle de savoir si HP devait s’attendre, à l’époque, à ce que les rabais soient annulés ou diminués de manière disproportionnée si elle ne respectait pas la condition de 95 %, et non si HP l’a effectivement cru (voir point 527 ci-dessus).

775    À cet égard, ainsi qu’il a déjà été relevé, la Commission a démontré à suffisance de droit que les accords HPA étaient soumis à la condition non écrite de 95 %. Le fait pour une entreprise en position dominante d’accorder des rabais à un client, à la condition que ce client s’approvisionne auprès de cette entreprise pour 95 % de ses besoins sur un certain segment, tombe sous le coup de la définition d’un rabais de fidélité abusif telle qu’elle est donnée par la Cour au point 89 de l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra.

776    Dans ces circonstances, il n’existait aucune obligation pour la Commission de démontrer, en plus de l’existence de la condition non écrite d’exclusivité, que les parties étaient expressément convenues, ou qu’Intel avait expressément informé HP, que les rabais seraient, au moins en partie, supprimés si HP ne respectait pas la condition de 95 %. En effet, le seul fait de se mettre d’accord sur l’octroi d’un rabais sous réserve du respect d’une condition d’exclusivité implique que ce rabais peut être supprimé ou diminué de manière disproportionnée si l’acheteur ne respecte pas cette condition. Le seul fait pour une entreprise en position dominante de se mettre d’accord avec son acheteur sur l’octroi de rabais soumis à une condition d’exclusivité suffit donc pour inciter l’acheteur à respecter cette condition et pour limiter sa liberté de choisir à tout moment son fournisseur sur le seul fondement d’une concurrence basée sur les mérites.

777    Par ailleurs, il y a lieu de relever que les accords HPA prévoyaient une clause selon laquelle chaque partie pouvait résilier le contrat moyennant un préavis de 30 jours, sans être obligée de fournir une justification.

778    Pour un contrat qui prévoit des conditions non écrites et une possibilité de résiliation à court terme sans justification, il est évident qu’il existe la possibilité que, en cas de non-respect des conditions non écrites par une partie, l’autre partie lui adresse un préavis de résiliation. Cette menace est inhérente à l’existence de conditions non écrites, peu importe si elle est communiquée de manière expresse ou non.

779    Par ailleurs, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 963 de la décision attaquée, HP a expressément confirmé, dans sa réponse au titre de l’article 18, qu’elle considérait la possibilité qu’il soit mis fin aux accords moyennant un préavis de 30 jours comme une circonstance l’ayant incitée à respecter les conditions non écrites des accords HPA.

780    À titre surabondant, il convient de souligner qu’il résulte clairement du courriel du 3 septembre 2004 (voir point 754 ci-dessus) que M. H2, [confidentiel], craignait qu’Intel mette fin à l’accord et que les paiements soient perdus si HP ne respectait pas la condition non écrite concernant la limitation des canaux de distribution. Il ne serait pas plausible que HP ait redouté la perte des rabais uniquement en cas de non-respect de la condition non écrite concernant la limitation des canaux de distribution et non en cas de non-respect de la condition de 95 %.

781    La requérante fait encore valoir que les éléments de preuve contenus dans le dossier contredisent l’allégation de la Commission selon laquelle HP redoutait de subir une diminution disproportionnée des rabais si elle se fournissait davantage auprès d’AMD. Selon elle, la décision unilatérale de HP de transférer à AMD au moins 5 % de ses activités dans le segment des ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et sa revendication d’un rabais substantiel pour les achats laissés à Intel attestent que HP ne craignait pas de mesures de rétorsion. La requérante s’appuie sur la page 13 d’un document consistant en une présentation interne de HP du 13 juin 2002, figurant en annexe A.25 de la requête, selon laquelle « une chaîne d’approvisionnement AMD exerce une pression sur Intel en faveur de tarifs de [CPU] plus compétitifs ». La requérante s’appuie également sur la page 19 de cette même présentation interne, qui démontrerait que HP considérait qu’il y avait eu peu de précédents en ce qui concernait des représailles une fois qu’AMD avait été introduite dans le portefeuille, et que le fait d’introduire AMD conduisait à de meilleures offres de prix de la part d’Intel.

782    À cet égard, il y a lieu de relever que la décision de HP d’introduire AMD dans son segment d’ordinateurs de bureau destinés aux entreprises avait été prise avant la conclusion de l’accord HPA1. Cette décision ne pouvait donc pas constituer une violation des conditions non écrites de cet accord, qui n’existait pas encore. En outre, la décision d’attribuer une part de 5 % à AMD ne constituait pas une violation de la condition de 95 % qui faisait l’objet de négociations. En ce qui concerne la présentation interne de HP datant du 13 juin 2002, il y a lieu de souligner que celle-ci date également d’avant la conclusion de l’accord HPA1.

783    La circonstance que HP a pu estimer, avant la conclusion des accords HPA, que le fait de s’approvisionner auprès d’AMD pour une partie de son segment d’ordinateurs de bureau destinés aux entreprises améliorerait sa position dans les négociations avec Intel ne signifie nullement que HP considérait que le fait de violer la condition non écrite de 95 % qui était en vigueur pendant la durée des accords HPA n’aurait pas entraîné une perte ou une diminution disproportionnée des rabais. Par ailleurs, il convient d’observer que la page 19 de la présentation du 13 juin 2002 est intitulée « Réaction ‘punitive’ d’Intel attendue mais limitée par plusieurs facteurs ». Contrairement à ce que soutient la requérante, cette page ne peut donc pas démontrer que HP ne craignait pas de mesures de rétorsion.

784    Lors de l’audience, la requérante s’est également appuyée sur une présentation interne de HP de 2004, figurant en annexe A.26 de la requête, en soulignant que les pages 8 à 10 de cette présentation étaient intitulées « Précédent – meilleurs prix d’Intel par plus de concurrence d’AMD ».

785    À cet égard, il y a lieu de relever que cette présentation contient des réflexions sur la question de savoir s’il convenait pour HP de poursuivre des « accords à long terme » comme les accords HPA avec Intel ou s’il convenait de modifier la situation, ainsi qu’il résulte des pages 3 et 7 de ladite présentation. Des réflexions sur la question de savoir s’il serait éventuellement plus bénéfique pour HP de ne plus conclure d’accords tels que les accords HPA ne signifient nullement que HP ne craignait pas de perdre les rabais prévus par ces accords, dans le cas où elle ne respecterait pas les conditions non écrites de ces contrats pendant qu’ils étaient en vigueur. Par ailleurs, il convient de souligner que, malgré les réflexions présentées dans la présentation en cause, HP a décidé de conclure l’accord HPA2, qui comportait également la condition de 95 %.

 2.3) Sur le fait que les rabais traduiraient une concurrence normale

786    La requérante fait valoir que la Cour a admis, dans l’arrêt Hoffmann‑La Roche, point 71 supra (point 91), que l’article 82 CE n’était pas violé par des rabais qui relevaient d’une « concurrence normale » dans le contexte d’un marché spécifique concerné. La « concurrence normale » entre les fournisseurs de CPU se caractériserait par le type de pratiques relevé par HP, à savoir que de puissants OEM lanceraient des appels d’offres pour soutirer des prix inférieurs aux deux principaux fournisseurs, en concédant une fraction déterminée de leurs achats pendant une courte période en contrepartie de prix moindres. Cette stratégie des OEM consistant à mettre les fournisseurs en concurrence correspondrait à une « concurrence normale » qui serait l’antithèse d’un abus au sens de l’article 82 CE. Selon la requérante, HP a contrôlé les négociations et a déclenché une guerre des offres pour obtenir le meilleur prix possible. HP aurait choisi unilatéralement d’attribuer à AMD 5 % de ses achats de CPU destinés à ses ordinateurs de bureau pour les entreprises et aurait envisagé la possibilité de transférer 30 % supplémentaires à AMD. Elle aurait ensuite donné la possibilité à AMD et à Intel de fournir une offre dans le cadre d’un appel d’offres ouvert.

787    Cette argumentation ne saurait convaincre. En effet, il résulte clairement de l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, qu’il importe peu que l’entreprise qui a pris l’initiative concernant la condition d’exclusivité soit l’entreprise dominante ou l’acheteur. Ainsi, au point 89 de cet arrêt, il a été constaté que constitue une exploitation abusive d’une position dominante le fait, pour une entreprise en position dominante, de lier « fût-ce à leur demande » des acheteurs par une obligation ou une promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise.

788    Par ailleurs, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence Hoffmann-La Roche, une entreprise en position dominante abuse de cette position par l’octroi de rabais « lié[s] à la condition que le client – quel que soit par ailleurs le montant, considérable ou minime, de ses achats – s’approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante » (arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, point 89). Ainsi que la Commission le souligne, le fait que des rabais octroyés par une entreprise en position dominante soient soumis à une condition d’exclusivité ou de quasi-exclusivité exclut qu’un système de rabais puisse être considéré comme relevant d’une concurrence normale. Un tel principe est raisonnable, car les rabais d’exclusivité accordés par une entreprise en position dominante ont généralement la capacité de restreindre la concurrence (voir, à cet égard, points 72 à 94 ci-dessus). Ainsi que la Commission le relève, le fait de restreindre la liberté des clients de s’approvisionner auprès de concurrents de l’entreprise en position dominante sort du cadre d’une concurrence par les mérites.

789    En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel HP est une entreprise plus grande qu’Intel et qu’il n’y avait pas de disparité dans le pouvoir de négociation respectif des partenaires, il y a lieu de rappeler que le fait qu’un client de l’entreprise en position dominante soit lui-même une entreprise puissante et qu’il n’y ait pas de disparité dans le pouvoir de négociation ne justifie pas l’octroi de rabais d’exclusivité (voir point 139 ci-dessus). Par ailleurs, la puissance d’achat de HP ne change rien à la circonstance qu’elle dépendait de la requérante en tant que partenaire commercial incontournable sur le marché des CPU x86 (voir point 139 ci-dessus).

790    La requérante fait encore valoir qu’un client perdrait un puissant outil pour obtenir des prix plus avantageux s’il ne pouvait pas solliciter une offre fondée sur l’achat d’un volume ou d’une part spécifique de ses besoins. À cet égard, la Commission relève à juste titre que le client reste en droit de demander des rabais en faisant référence à ses volumes d’achats. Les OEM peuvent donc mettre les fournisseurs en concurrence. Ainsi que la Commission le souligne, il suffit, pour déterminer le montant des rabais que l’entreprise dominante peut accorder à ses clients, qu’elle sache combien d’unités ceux-ci comptent lui acheter. L’entreprise dominante n’a cependant aucun intérêt commercial légitime à obtenir l’assurance que le client s’approvisionne pour la totalité ou la quasi-totalité de ses besoins auprès d’elle et, par conséquent, qu’il ne s’approvisionnera pas, ou ne s’approvisionnera que dans une mesure moindre, auprès de ses concurrents.

791    Il résulte de ce qui précède que le fait que HP ait pu prendre l’initiative d’introduire la condition de 95 % et le fait qu’Intel se soit uniquement conformée à la demande de son client, à les supposer avérés, ne sont pas de nature à remettre en cause l’illégalité des rabais conditionnels accordés à HP.

792    En outre, il résulte du courriel interne d’Intel du 9 juillet 2002, cité aux points 732 et 733 ci-dessus, qu’Intel avait l’intention de fournir la « meilleure offre » dans le cas où HP accepterait une condition d’exclusivité à 100 %, de fournir une « certaine assistance » sur la base de la proposition de HP d’une exclusivité à 95 % et de ne pas donner suite à l’accord dans tous les autres cas. Ce courriel contredit l’affirmation de la requérante selon laquelle, en substance, elle se serait contentée de faire une offre, à la demande expresse de HP, couvrant 95 % des besoins de cette dernière en CPU pour les ordinateurs de bureau destinés aux entreprises. Certes, ce courriel, et notamment la phrase citée au point 732 ci-dessus, indique que HP a proposé à Intel de lui faire une offre pour 95 % de ses besoins en CPU dans le segment des ordinateurs de bureau destinés aux entreprises. Cependant, il résulte également de ce courriel qu’Intel ne s’est pas limitée à fournir une offre pour répondre à cette demande, mais qu’elle était prête à accorder des rabais plus élevés en cas d’exclusivité à 100 % et qu’elle n’était pas prête à donner suite à l’accord sans une exclusivité à hauteur d’au moins 95 % des besoins de HP.

793    En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel HP aurait organisé un appel d’offres ouvert, il convient de rappeler qu’Intel était un partenaire commercial incontournable de HP. Cette dernière a donc pu demander à Intel de lui faire une offre couvrant 95 % de ses besoins, mais non à AMD. Il n’existait donc pas d’appel d’offres ouvert dans des conditions égales à l’égard d’Intel et d’AMD pour fournir 95 % des besoins de HP. AMD n’aurait pas pu fournir plus de 30 % supplémentaires (en plus des 5 %) des besoins de HP. Ainsi, en accordant des rabais à la condition d’un approvisionnement quasi exclusif, Intel a pu utiliser son pouvoir économique sur la part non disputable de la demande de HP comme un levier afin de s’assurer également la part disputable (voir point 93 ci-dessus). Le mécanisme anticoncurrentiel des rabais d’exclusivité octroyés par une entreprise en position dominante n’est pas neutralisé par la circonstance que, avant l’octroi de ces rabais, le client de l’entreprise en position dominante avait également laissé à un concurrent de celle-ci la possibilité de soumettre une offre portant sur la part disputable de la demande.

 2.4) Sur la liberté de choix de HP et l’accès au marché d’AMD

794    La requérante estime que, à la différence des rabais de fidélité jugés illicites dans de précédentes affaires, les rabais en question n’étaient pas « à même, d’une part, de rendre plus difficile, voire impossible, l’accès au marché pour les concurrents […] et, d’autre part, de rendre plus difficile, voire impossible, pour ses cocontractants, le choix entre plusieurs sources d’approvisionnement ou partenaires commerciaux ».

795    À cet égard, la requérante fait valoir que la structure du contrat, y compris sa durée d’un an et le délai de résiliation de 30 jours, constitue une preuve flagrante que les accords HPA n’étaient pas à même d’évincer AMD. AMD aurait eu la possibilité, chaque mois pendant la durée des accords HPA, de soumettre à HP une offre qui aurait été plus attrayante que celle d’Intel.

796    À cet égard, il convient de rappeler que le droit de résiliation d’un contrat ne fait nullement obstacle à son application effective, aussi longtemps qu’il n’a pas été fait usage de la faculté de résiliation (voir point 112 ci-dessus). En l’espèce, les accords HPA1 et HPA2 avaient été conclus pour une durée d’un an, ce qui n’est pas une courte durée.

797    Quant à l’argument de la requérante selon lequel AMD avait à tout moment la possibilité de soumettre à HP une offre plus attrayante que celle d’Intel, il convient de relever ce qui suit. La possibilité pour HP de résilier les accords HPA moyennant un préavis de 30 jours ne doit pas être regardée de manière isolée, mais en combinaison avec la durée des contrats respectifs, qui était d’un an. La condition non écrite d’exclusivité acceptée par HP concernait donc une période d’un an, nonobstant la possibilité de mettre fin à l’engagement moyennant un préavis de 30 jours. En outre, HP devait craindre que le fait d’accepter une offre attrayante d’AMD et de résilier le contrat avec Intel moyennant un préavis de 30 jours eût pour conséquence des effets négatifs, à savoir une perte ou une diminution disproportionnée des rabais, pour une période plus longue, à savoir toute la durée restant à courir du contrat.

798    Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que les accords HPA étaient soumis à la condition non écrite de 95 % et qu’il s’agissait de rabais d’exclusivité qui constituaient une infraction à l’article 82 CE.

b)     Sur les restrictions non déguisées

799    Il convient de rappeler que, dans l’article 1er, sous f), de la décision attaquée, la Commission constate que les accords HPA étaient, outre la condition de 95 %, soumis à trois conditions non écrites, à savoir que, premièrement, HP devait orienter ses ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU x86 d’AMD vers les PME et les GEM, plutôt que vers les grandes entreprises, deuxièmement, HP devait interdire à ses partenaires de distribution de stocker les ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU x86 d’AMD, de façon que ces ordinateurs soient uniquement disponibles pour les clients en les commandant à HP (soit directement, soit par le biais de partenaires de distribution de HP exerçant une fonction d’agents commerciaux), troisièmement, HP devait reporter de six mois le lancement de son ordinateur de bureau destiné aux entreprises et équipé d’un CPU x86 d’AMD dans la région EMOA (voir points 35 et 667 ci-dessus).

800    Il y a lieu de relever que, dans la réponse de HP au titre de l’article 18, HP a clairement fait état de l’existence de ces trois conditions non écrites (voir point 676 ci-dessus).

801    La requérante contestant l’existence de ces conditions non écrites, il convient d’examiner, pour chacune de ces conditions, si la Commission a prouvé son existence à suffisance de droit.

 1) Sur la condition tenant à l’orientation des systèmes d’ordinateurs de bureau équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises vers les PME et les GEM plutôt que vers les grandes entreprises

802    La Commission se fonde dans la décision attaquée, en premier lieu, sur la réponse de HP au titre de l’article 18 pour prouver l’existence de la condition non écrite selon laquelle HP devait orienter ses ordinateurs de bureau équipés de CPU x86 d’AMD et destinés aux entreprises vers les PME et les GEM, plutôt que vers les grandes entreprises. Ainsi qu’il a été relevé aux points 680 à 685, 689 à 692 et 716 ci-dessus, la réponse de HP au titre de l’article 18 est un élément de preuve particulièrement fiable. Dans les circonstances de l’espèce, la réponse de HP au titre de l’article 18 peut, en principe, suffire à elle seule pour démontrer l’existence des conditions non écrites (voir point 725 ci-dessus).

803    En tout état de cause, la Commission s’est également appuyée, dans la décision attaquée, sur d’autres éléments qui corroborent la véracité de la réponse de HP au titre de l’article 18.

804    Il s’agit, tout d’abord, du courriel interne de M. H5, de HP, du 14 juillet 2002 qui a été cité au point 729 ci-dessus. Dans ce courriel, qui résumait les conditions attachées au contrat qui était en cours de négociation, il était précisé : « Si HP vend des produits ordinateurs de bureau destinés aux entreprises en utilisant un processeur compatible IA-32 non Intel : […] ces produits seront positionnés pour le marché des [PME]. »

805    Ce courriel confirme que, lors des négociations, Intel et HP ont discuté d’une condition selon laquelle HP devait orienter ses ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU AMD vers les PME plutôt que vers les grandes entreprises.

806    Certes, cette circonstance ne suffit pas, à elle seule, à démontrer que cette condition a été reprise dans l’accord qui a finalement été conclu. Cependant, pour les raisons exposées aux points 736 à 739 ci-dessus, il n’y a pas lieu de nier toute force probante à cet élément. Il s’agit donc d’un élément corroborant la réponse de HP au titre de l’article 18.

807    Ensuite, la présentation interne de HP datant du 17 octobre 2002, citée aux points 747 et 748 ci-dessus, a une certaine valeur probante en tant qu’élément démontrant l’existence d’une certaine relation entre les négociations de l’été 2002 et celles qui ont directement précédé la conclusion de l’accord HPA1 (voir points 749 à 752 ci-dessus).

808    En outre, dans la décision attaquée, la Commission a apporté plusieurs éléments de preuve à l’égard de la condition non écrite relative à la limitation des canaux de distribution. Il s’agit, d’une part, des courriels internes de HP de septembre 2004 cités aux points 753 à 755 ci-dessus et, d’autre part, des éléments exposés aux points 825 à 827 ci-après.

809    Il y a lieu de rappeler qu’il n’y a aucune raison de supposer que HP a effectué des affirmations inexactes par rapport à l’une des conditions non écrites, alors que des éléments de preuve corroborent ses affirmations quant à une autre des conditions non écrites du même accord (voir point 758 ci-dessus). Ainsi, à supposer même que la réponse de HP au titre de l’article 18 doive être corroborée par d’autres éléments de preuve, il y a lieu de rappeler qu’un élément corroborant de manière très nette l’existence de l’une des quatre conditions non écrites dont il est fait état dans la réponse de HP au titre de l’article 18 constitue également un élément corroborant la réponse de HP au titre de l’article 18 par rapport à l’existence des autres conditions (voir point 759 ci-dessus).

810    Étant donné que la déclaration de HP dans sa réponse au titre de l’article 18 nécessite, tout au plus, une corroboration d’un faible degré (voir point 727 ci-dessus), la Commission a suffisamment prouvé l’existence de la condition non écrite selon laquelle HP devait orienter ses systèmes d’ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU x86 d’AMD vers les PME et les GEM, plutôt que vers les grandes entreprises.

811    Il convient de souligner que cela ne signifie pas que la Commission a prouvé l’existence d’une interdiction absolue pour HP de vendre ces ordinateurs aux grandes entreprises. L’obligation d’« orienter » ces ordinateurs vers les PME et les GEM, plutôt que vers les grandes entreprises, implique une obligation de ne pas les proposer de manière proactive aux grandes entreprises, mais n’exclut pas certaines ventes, par exemple à la suite d’une demande expresse de la part d’une grande entreprise.

812    Pourtant, au considérant 413, point 2, de la décision attaquée, sous l’intitulé « Conclusion sur les faits », la Commission a conclu à l’existence d’une condition non écrite selon laquelle HP ne pouvait vendre ses ordinateurs de bureau équipés de CPU AMD destinés aux entreprises qu’aux PME et aux GEM et non aux grandes entreprises. Cette affirmation, selon laquelle il existait une interdiction pour HP de vendre ces ordinateurs aux grandes entreprises, va plus loin que la déclaration de HP dans sa réponse au titre de l’article 18. Dans la décision attaquée, la Commission n’a apporté aucun élément de preuve de nature à confirmer l’existence d’une interdiction absolue pour HP de vendre aux grandes entreprises ses ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU AMD.

813    C’est donc à juste titre que la requérante souligne que l’affirmation contenue au considérant 413 de la décision attaquée, telle qu’elle est citée au point 812 ci-dessus, n’est pas étayée par les éléments de preuve figurant au dossier.

814    Dans le mémoire en défense, la Commission fait valoir que la décision attaquée ne conclut pas à l’existence d’une interdiction absolue pour HP de vendre ses ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU AMD à de grandes entreprises, mais plutôt qu’elle était tenue de ne pas orienter les ventes de ces produits de manière proactive vers les clients qui n’étaient ni des PME ni des GEM. Elle souligne que le considérant 413 de la décision attaquée a été pensé comme une synthèse des points précédents. Selon elle, s’il devait y avoir une différence substantielle entre les deux formes sous lesquelles la condition a été exprimée, ce serait le libellé utilisé dans le dispositif du texte qui devrait faire foi, car il décrirait la condition en question de manière plus détaillée.

815    À cet égard, il y a lieu de relever que la formulation choisie à l’article 1er, sous f), de la décision attaquée est correcte et correspond exactement à celle choisie par HP dans sa réponse au titre de l’article 18. En revanche, la formulation choisie au considérant 413 de la décision attaquée, et qui a été reprise au considérant 1649, premier tiret, de ladite décision, n’est pas moins détaillée, comme le prétend la Commission, mais inexacte.

816    Dans ce cadre, il convient de rappeler que c’est par le dispositif des décisions que la Commission indique la nature et l’étendue des infractions qu’elle sanctionne. Il doit être relevé que, en principe, s’agissant précisément de la portée et de la nature des infractions sanctionnées, c’est le dispositif, et non les motifs, qui importe. C’est uniquement dans le cas d’un manque de clarté des termes utilisés dans le dispositif qu’il convient de l’interpréter en ayant recours aux motifs de la décision attaquée (arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Adriatica di Navigazione/Commission, T‑61/99, Rec. p. II‑5349, point 43).

817    En l’espèce, il résulte clairement du dispositif de la décision attaquée que la Commission n’a pas sanctionné la requérante en raison d’une prétendue condition non écrite selon laquelle il aurait été interdit à HP de vendre aux grandes entreprises des ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU x86 d’AMD, mais en raison d’une condition non écrite selon laquelle HP devait orienter ces ordinateurs vers les PEM et les GEM plutôt que vers les grandes entreprises.

818    Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’annuler partiellement la décision attaquée, mais il suffit de constater que la formulation choisie aux considérants 413, point 2, et 1649, premier tiret, de la décision attaquée est inexacte.

819    L’argumentation de la requérante selon laquelle la prétendue restriction ne reflétait que le propre choix commercial de HP sera examinée aux points 858 et suivants ci-après.

 2) Sur la condition relative aux canaux de distribution

820    Selon l’article 1er, sous f), de la décision attaquée, les accords HPA étaient soumis à la condition non écrite que HP interdise à ses partenaires de distribution de stocker les ordinateurs de bureau équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises de façon que ces ordinateurs soient uniquement disponibles pour les clients en les commandant à HP (soit directement, soit par le biais de partenaires de distribution de HP exerçant une fonction d’agents commerciaux).

 2.1) Sur les éléments de preuve cités dans la décision attaquée et leur valeur probante

821    La formulation choisie à l’article 1er, sous f), de la décision attaquée correspond à la réponse de HP au titre de l’article 18 citée au considérant 348 de ladite décision (voir point 676 ci-dessus). Cette déclaration de HP peut, en principe, suffire à elle seule pour démontrer l’existence de la condition non écrite en cause (voir point 725 ci-dessus). En outre, elle est corroborée par plusieurs éléments de preuve.

822    L’élément de preuve le plus fort corroborant cette déclaration est l’échange de courriels internes de HP, entre M. H7 et M. H2, du 3 septembre 2004, qui a été cité aux points 753 et 754 ci-dessus. Il résulte clairement de ces courriels que le [confidentiel] de HP a interdit que les ordinateurs concernés soient mis à disposition par le biais des partenaires de distribution de HP, par peur de perdre les fonds accordés par Intel.

823    Ces courriels ont été davantage expliqués par HP dans sa réponse au titre de l’article 18. Ainsi que la Commission le relève au considérant 1652 de la décision attaquée, HP avait indiqué ce qui suit :

« HP confirme que si le modèle de distribution limité à la distribution directe n’avait pas existé, [M. H7], responsable du [confidentiel] de HP, aurait pu distribuer le D315 par le biais des partenaires de distribution de HP, du moins dans certains pays de la région EMOA et à certains segments de la clientèle. La décision d’accepter les conditions écrites et non écrites dans l’accord HPA1 et, par conséquent, de ne pas distribuer le D315 par le biais des partenaires de distribution de HP où que ce soit dans le monde (y compris dans la région EMOA) a été prise par la direction de HP aux États-Unis, en particulier par [M. H2]. À partir du moment où cette décision avait été prise, le [confidentiel] de HP a mis cette politique en œuvre. »

824    Cette déclaration fournit une explication tout à fait claire et convaincante à l’échange des courriels de septembre 2004. La requérante, quant à elle, n’a fourni aucune explication alternative plausible à ces courriels.

825    Par ailleurs, aux considérants 397 et 398 de la décision attaquée, la Commission a fourni davantage d’éléments de preuve relatifs à la restriction concernant les canaux de distribution. La Commission cite un courriel interne de HP du 29 octobre 2002 qui présentait les différentes options que HP avait envisagées à l’égard de son ordinateur de bureau destiné aux entreprises et équipé d’un CPU AMD. L’une de ces options consistait en une « offre autorisant les stocks chez les revendeurs […] uniquement en l’absence d’accord avec Intel ».

826    Au considérant 398 de la décision attaquée, la Commission cite une présentation interne de HP de 2004. Cette présentation fait état de plusieurs scénarios considérés par HP :

« Décision du jour :

–        Devons-nous élargir la distribution pour les ordinateurs [équipés de CPU] AMD destinés aux entreprises ? Quand ?

–        Devons-nous poursuivre les accords à long terme tels que le HPA avec Intel ? »

827    Dans ladite présentation, la recommandation suivante est formulée :

« Recommandation

–        signer une extension de 6 mois du HPA en vigueur, jusqu’au second semestre 2004 [;]

–        ensuite, au début de l’année fiscale 2005 […]

–        [en ce qui concerne les] plates-formes entreprises (dc)[, à savoir une série d’ordinateurs de bureau de HP] :

–        signer un accord semblable au HPA uniquement pour s’aligner avec Intel [;]

–        [en ce qui concerne les] plates-formes SMB (dx)[, à savoir une autre série d’ordinateurs de bureau de HP] :

–        élargir la distribution à la distribution indirecte. »

828    Cette présentation constitue un indice supplémentaire que HP a considéré que l’un des avantages d’une rupture de l’alliance avec Intel était qu’elle pourrait se débarrasser des restrictions concernant les canaux de distribution.

829    Les éléments de preuve que la Commission a fournis dans la décision attaquée sont suffisants pour prouver l’existence d’une condition non écrite des accords HPA selon laquelle HP devait interdire à ses partenaires de distribution de stocker les ordinateurs de bureau destinés aux entreprises équipés de CPU x86 d’AMD, de façon que ces ordinateurs soient uniquement disponibles pour les clients en les commandant à HP (soit directement, soit par le biais de partenaires de distribution de HP exerçant une fonction d’agents commerciaux).

 2.2) Sur les arguments de la requérante

830    La requérante fait valoir que la Commission a conclu à tort, au considérant 413, point 3, de la décision attaquée, que « les partenaires de distribution de HP ne pouvaient vendre d’ordinateurs de bureau destinés aux entreprises équipés de CPU AMD ». Cette affirmation serait contredite par la réponse de HP au titre de l’article 18 et par le témoignage sous serment de M. H3 de HP devant l’US FTC.

831    À cet égard, il convient de relever que, effectivement, le résumé fait au considérant 413 de la décision attaquée est imprécis. En effet, il ne résulte pas de la réponse de HP au titre de l’article 18 qu’il était généralement interdit aux partenaires de distribution de HP de vendre les ordinateurs en cause. Selon la déclaration de HP, ils pouvaient être commandés par les clients auprès d’elle-même par le biais de ses partenaires de distribution exerçant une fonction d’agents commerciaux. Selon cette déclaration, ces partenaires pouvaient donc vendre ces ordinateurs en exerçant une fonction d’agents commerciaux, mais ils ne pouvaient pas les stocker.

832    En réponse à une question écrite posée à cet égard par le Tribunal, la Commission a indiqué que la constatation, au considérant 413 de la décision attaquée, selon laquelle « les partenaires de distribution de HP ne pouvaient vendre d’ordinateurs de bureau destinés aux entreprises équipés de CPU AMD, de sorte que ceux-ci ne pouvaient être obtenus qu’en s’adressant directement à HP », résumait de manière succincte les constatations de la Commission confirmant la déclaration de HP citée au considérant 348 de la décision attaquée (voir point 676 ci-dessus). La Commission a relevé que l’article 1er, sous f), de cette décision était cohérent avec la déclaration de HP citée au considérant 348 de ladite décision.

833    En l’espèce, il y a lieu de lire la formulation utilisée au considérant 413, point 3, de la décision attaquée, reprise également au considérant 1649, deuxième tiret, de ladite décision, à la lumière de la formulation plus détaillée se trouvant à l’article 1er, sous f), de la même décision, en ce sens que les ventes d’ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU AMD par le biais de partenaires de distribution de HP, agissant en tant qu’agents commerciaux pour HP, n’étaient pas interdites.

834    La décision attaquée devant être lue en ce sens, il n’existe pas de contradiction avec la réponse de HP au titre de l’article 18, ni avec le témoignage sous serment de M. H3 cité par la requérante. M. H3 a déclaré devant l’US FTC ce qui suit :

« Nous avons toujours dit qu’au début nous répondrions à l’intérêt des clients commerciaux, mais que nous ne ferions pas de démarche proactive. Compte tenu du prix, nous ne pouvions de toute manière pas réellement le proposer dans le canal [de distribution] d’une manière traditionnelle. Nous étions prêts à accepter l’absence de stock dans les circuits et le recours aux RVA [revendeurs à valeur ajoutée] et aux revendeurs agissant en tant qu’agents commerciaux, car cela correspondait de toute manière aux projets de base que nous avions faits. »

835    Cette déclaration confirme que des ventes par le biais des partenaires de distribution de HP n’étaient pas entièrement interdites, mais que ceux-ci ne pouvaient vendre les ordinateurs concernés que s’ils agissaient en tant qu’agents commerciaux et qu’ils ne pouvaient pas stocker ces ordinateurs. Cela correspond à ce qui a été retenu à l’article 1er, sous f), de la décision attaquée.

836    L’argumentation de la requérante selon laquelle le modèle de distribution limité résultait d’une décision unilatérale prise par HP sera examinée aux points 858 et suivants ci-après.

 3) Sur la condition relative au report par HP du lancement de son ordinateur de bureau destiné aux entreprises et équipé de CPU AMD dans la région EMOA


 3.1) Sur les éléments de preuve cités dans la décision attaquée et leur valeur probante

837    Dans sa réponse au titre de l’article 18, HP a clairement indiqué que l’accord HPA1 était soumis à la condition non écrite qu’elle retarde de six mois le lancement de son ordinateur de bureau destiné aux entreprises et équipé d’un CPU AMD dans la région EMOA. Ainsi qu’il a été précisé ci-dessus, cette déclaration est un élément de preuve particulièrement fiable qui peut, en principe, suffire à lui seul pour démontrer l’existence de la condition en cause et qui nécessite tout au plus une corroboration d’un faible degré.

838    Dans la décision attaquée, la Commission cite notamment les éléments de preuve qui suivent et qui corroborent la réponse de HP au titre de l’article 18 sur ce point.

839    La Commission se réfère, au considérant 356 de la décision attaquée, à une présentation de HP datant du 24 octobre 2002 qui figure en annexe B.12 du mémoire en défense. Cette présentation mentionne, sur une page intitulée « Accord potentiel HP-Intel concernant les ordinateurs de bureau destinés aux entreprises », sous le titre « HP fournira ce volume à Intel en imposant des restrictions sur le produit D315 », notamment un retard, pour le lancement régional du D315 (à partir d’août 2002), de six mois en Europe.

840    Certes, cette présentation est antérieure à la signature de l’accord HPA1. Elle ne saurait donc suffire, à elle seule, à prouver l’existence de la condition non écrite de retarder le lancement du D315 en Europe. Il s’agit néanmoins d’un élément de nature à corroborer la réponse de HP au titre de l’article 18. En effet, il s’agit d’un document qui mentionne un retard pour le lancement du D315 de six mois dans la région EMOA en relation avec l’accord entre Intel et HP qui était en cours de négociation.

841    En outre, la Commission cite, au considérant 358 de la décision attaquée, une présentation interne de HP de 2004 qui mentionne un « lancement retardé dans la région EMOA limité à la voie directe alors qu’il s’agit du plus grand marché commercial d’AMD ». Il résulte de l’annexe A. 26 de la requête que cette citation se trouve dans ladite présentation sur une page intitulée « État actuel – évaluation de l’incidence du HPA », sous le titre « Négatif ». HP a donc mentionné le retard pris pour le lancement dans la région EMOA comme une conséquence négative de l’accord HPA. Ce fait constitue un élément corroborant la réponse de HP au titre de l’article 18.

842    Enfin, pour les raisons exposées aux points 808 et 809 ci-dessus, les éléments de preuve corroborant la réponse de HP au titre de l’article 18 en ce qui concerne la condition non écrite relative à la limitation des canaux de distribution constituent également des éléments de preuve corroborant la réponse de HP au titre de l’article 18 en ce qui concerne les autres conditions non écrites.

843    Étant donné que la réponse de HP au titre de l’article 18 nécessite, tout au plus, un faible degré de corroboration, les éléments de preuve cités dans la décision attaquée doivent être considérés comme suffisants pour prouver l’existence de la condition non écrite de l’accord HPA1 relative au report de six mois du lancement du D315 dans la région EMOA.

 3.2) Sur les arguments de la requérante


 i) Sur le calendrier exposé dans la présentation de HP

844    La requérante fait valoir que la Commission ne prend pas en considération le calendrier exposé dans la présentation citée au considérant 356 de la décision attaquée, selon laquelle HP s’était engagée au niveau interne à lancer le D315 dans la région EMOA en février 2003. L’accord HPA1 n’aurait été signé que le 21 décembre 2002, soit deux mois seulement avant la date retenue pour le lancement du D315 dans la région EMOA, de sorte qu’il n’aurait pas été subordonné à un report de six mois de ce lancement.

845    À cet égard, il y a lieu de relever que cette présentation, qui date du 24 octobre 2002 et figure en annexe B.12 du mémoire en défense, contient la phrase « retard dans les lancements régionaux (à partir d’août 2002) […] Europe 6 mois » (voir également point 839 ci-dessus). L’accord HPA1 a été signé par HP le 2 décembre 2002 et par Intel le 20 décembre 2002. Il résulte de sa dernière phrase qu’il a été conclu avec effet rétroactif au 1er novembre 2002.

846    Il y a lieu de relever que rien n’exclut que les parties soient convenues d’un report de six mois du lancement du D315 par rapport à la date initiale prévue pour le lancement, même si une partie de ce délai s’était déjà écoulée à la date de la signature du contrat et également à la date rétroactive d’entrée en vigueur prévue dans le contrat. En effet, rien n’exclut qu’une partie respecte de manière provisoire une condition d’un futur contrat qui est envisagée lors des négociations. Tel est particulièrement le cas d’une condition relative à un retard pour le lancement d’un produit déterminé. Ainsi que le souligne la Commission, si HP avait lancé le D315 avant la signature de l’accord HPA1, il aurait été difficilement possible pour elle d’annuler ce lancement après l’entrée en vigueur de l’accord HPA1, notamment dans la mesure où cet accord a pris effet rétroactivement à partir du 1er novembre 2002. Pour pouvoir respecter l’obligation de reporter de six mois le lancement du D315 en Europe à compter du mois d’août 2002 dans le cadre d’un accord finalement signé au mois de décembre 2002, HP devait donc s’abstenir de lancer le D315 en Europe dans l’attente de la signature de cet accord. En l’espèce, il résulte des points 2.22 et 2.25 de la réponse de HP au titre de l’article 18 qu’elle n’a pas du tout lancé le D315 dans la région EMOA, ni d’ailleurs son successeur, le D325.

847    Dans ces circonstances, rien ne s’oppose à ce qu’Intel et HP soient convenues d’une condition non écrite de l’accord HPA1 relative au report de six mois du lancement du D315 dans la région EMOA, ledit report ayant été calculé à partir d’une date située avant la signature du contrat et avant l’entrée en vigueur de celui-ci. Contrairement à ce qu’affirme la requérante, le calendrier exposé dans la présentation du 24 octobre 2002 n’est donc pas incompatible avec l’existence de la condition non écrite dont fait état la réponse de HP au titre de l’article 18.

848    Il n’est donc pas nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur l’argument de la Commission, présenté dans le cadre des réponses aux questions écrites du Tribunal, selon lequel la conclusion tardive de l’accord HPA1 a entraîné un nouveau report du lancement du D315 en Europe, de six mois à partir de l’entrée en vigueur de l’accord HPA1.

 ii) Sur l’absence de mention de cette condition dans certains documents

849    La requérante souligne que le courriel interne de HP du 14 juillet 2002, cité au considérant 352 de la décision attaquée, ne fait aucune mention d’une condition imposant à HP de retarder le lancement de son ordinateur de bureau destiné aux entreprises et équipé d’un CPU AMD. À cet égard, il convient de relever que, effectivement, ce courriel, cité au point 729 ci-dessus, qui énumère les conditions de l’accord qui était en cours de négociation, ne mentionne pas une telle condition.

850    La requérante souligne en outre que cette condition n’est pas mentionnée dans un courriel que HP a envoyé le 14 août 2002 à Intel, qui contiendrait un « récapitulatif des dispositions » qui, aux yeux de M. H5, de HP, « ont été entérinées ».

851    Il y a lieu de relever que ces éléments pourraient tout au plus démontrer que la condition relative au report du lancement n’avait pas encore été établie aux dates des courriels mentionnés aux points 849 et 850 ci-dessus. Cette circonstance, à la supposer avérée, ne contredirait pas l’existence d’une telle condition dans l’accord HPA1. En effet, il est tout à fait possible que cette condition ait été négociée après le 14 août 2002 et après la réaction négative d’Intel au lancement, le 19 août 2002, du D315 aux États-Unis.

852    Dans ce cadre, il y a lieu de souligner que la Commission a présenté, dans la décision attaquée, des preuves suffisantes de l’existence de cette condition non écrite. Il appartient donc à la requérante soit d’apporter la preuve contraire, soit d’établir que les éléments de preuve cités ne sont en réalité pas suffisants afin de démontrer l’existence de cette condition, par exemple en raison d’une incohérence entre ces éléments et d’autres éléments se trouvant dans le dossier. En l’espèce, la requérante n’est pas parvenue à démontrer que le calendrier exposé dans la présentation de HP citée au considérant 356 de la décision attaquée était incompatible avec l’existence d’une condition non écrite de l’accord HPA1 relative au report de six mois du lancement du D315 dans la région EMOA, ni que l’absence de mention d’une telle condition dans des documents datant du 14 juillet 2002 et du 14 août 2002 était incompatible avec l’existence d’une telle condition.

853    La requérante fait encore valoir que cette prétendue condition n’est pas davantage mentionnée dans la présentation interne de HP datant du 17 octobre 2002 intitulée « Mise à jour Intel » (voir point 746 ci-dessus).

854    Dans cette présentation, sous le titre « Discussions relatives aux ordinateurs de bureau destinés aux entreprises », il est notamment écrit ce qui suit :

« État :

1. Les négociations ont repris avec Intel

[…]

2. Actions actuelles entreprises par HP

–        livraison aux États-Unis selon les conditions potentielles (excepté pour les appels d’offres d’entreprises)

–        lancement imminent dans les régions Amérique latine et Asie-Pacifique (Intel en a été informée)

–        calendrier incertain en Europe (difficile d’appliquer le modèle des revendeurs en Europe). »

855    Certes, ainsi que la requérante le fait valoir, cette présentation n’indique pas que l’incertitude de l’échéancier pour l’Europe est imputable à Intel. Cela ne signifie toutefois pas qu’il s’agit d’un élément à décharge. Le fait que HP a présenté l’état d’avancée du lancement du D315 dans les diverses régions du monde dans le cadre de la présentation des négociations d’un accord avec Intel milite plutôt en faveur de l’existence d’un lien entre le lancement de cet ordinateur et les négociations d’un accord avec Intel. Le fait qu’il est indiqué dans ce cadre qu’Intel a été informé du lancement imminent de cet ordinateur en Amérique latine et dans la région Asie-Pacifique milite également plutôt en faveur de l’existence d’un certain lien. La circonstance que cette présentation ne mentionne pas expressément une telle condition ne signifie pas que, à l’époque, une telle condition n’était pas encore envisagée en tant que condition du contrat qui était en cours de négociation.

856    Le fait que cette présentation mentionne, comme raison expliquant l’incertitude de l’échéancier pour l’Europe, le fait qu’il était « difficile d’appliquer le modèle des revendeurs en Europe » n’exclut pas que le retard du lancement dans la région EMOA ait également fait l’objet des négociations en tant que condition non écrite de l’accord HPA1. La circonstance qu’un autre motif a pu jouer un rôle dans la décision de report du lancement et que ce motif a été cité dans cette présentation n’est pas décisif. Par ailleurs, la difficulté d’appliquer le modèle des revendeurs en Europe, dont il est fait état dans cette présentation, peut être liée à la condition non écrite envisagée concernant la restriction des canaux de distribution.

857    Il résulte de ce qui précède que les arguments de la requérante ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère suffisant des preuves présentées dans la décision attaquée afin d’établir l’existence de la condition non écrite de l’accord HPA1 tenant au report de lancement du D315.

 4) Sur les arguments de la requérante selon lesquels les prétendues conditions correspondaient en réalité aux choix commerciaux de HP

858    Il convient enfin d’examiner l’argumentation de la requérante, concernant la totalité des « restrictions non déguisées », selon laquelle les prétendues conditions correspondaient en réalité aux propres choix commerciaux de HP.

859    La requérante s’appuie notamment sur une déclaration que M. H3 a faite devant l’US FTC. Dans cette déclaration, il a indiqué, en substance, que le but poursuivi avec le D315 était de cibler les PME et que HP n’avait pas envisagé de promouvoir de manière proactive les ventes de celui-ci auprès des grandes entreprises.

860    M. H3 a également indiqué, en substance, que HP était prête à proposer une absence de stock chez ses partenaires de distribution, car il s’agissait du plan de base que HP avait de toute manière (voir point 834 ci-dessus). M. H3 a indiqué qu’« [i]l s’agissait d’éléments que nous étions disposés à mettre sur la table dans le cadre des négociations, parce que nous pensions que cela ne constituait pas un véritable sacrifice ».

861     La déclaration de M. H3 constitue un indice de ce que c’est effectivement HP qui a introduit ces conditions lors des négociations de l’accord HPA1, car elles correspondaient, à l’époque, à ses intentions commerciales.

862    La Commission a cité la déclaration de M. H3 au considérant 392 de la décision attaquée et a soutenu, au considérant 393 de ladite décision, que ce passage de la déclaration de M. H3 était contredit par d’autres passages de la même déclaration. M. H3 a également indiqué, concernant ces conditions : « Disons que nous ne l’aurions pas fait volontairement à moins que cela ait fait partie d’une négociation pour laquelle nous aurions reçu quelque chose en échange. » M. H3 a en outre indiqué que HP espérait des « prix priviligiés » ainsi que, « potentiellement », des fonds qualifiés d’« exception à la tarification proposée aux clients » (« exception to customer authorized pricing », ci-après « ECAP »). La Commission estime que cela remet en cause la valeur probante de la déclaration de M. H3.

863    Il y a toutefois lieu de relever que, en réalité, il n’existe pas de contradiction dans la déclaration de M. H3. En effet, lors des négociations d’un contrat, il est tout à fait naturel qu’une partie s’efforce de proposer des concessions à l’égard de l’autre partie qui ne constituent pas un véritable sacrifice pour elle-même. Cette partie n’acceptera néanmoins pas que ces concessions figurent dans le contrat si elle ne reçoit rien en contrepartie. Même si HP avait dès le début envisagé de cibler les PME et les GEM et de limiter les canaux de distribution du D315, elle n’avait aucune raison de s’engager à cet égard envers Intel sans recevoir une contrepartie de la part de celle-ci. En effet, en s’engageant envers Intel, HP a au moins perdu sa liberté de modifier ses plans à l’avenir.

864    La circonstance que ces restrictions correspondaient aux plans commerciaux de HP à l’époque et qu’elle les avait introduites dans les négociations n’est donc nullement incompatible avec l’existence de conditions non écrites dans les accords HPA. Il n’existe donc pas de contradiction inhérente à la déclaration de M. H3, ni de contradiction entre la déclaration de M. H3 et la réponse de HP au titre de l’article 18.

865    Par ailleurs, ainsi que la Commission le souligne dans la duplique, M. H3 a confirmé, dans sa déclaration, l’existence de conditions non écrites. En effet, interrogé sur la manière dont Intel réagirait si HP annulait les restrictions sur le D315, M. H3 a répondu qu’il estimait qu’Intel « allait considérer cela comme une violation de [l’]accord ».

866    D’un point de vue juridique, la question de savoir qui a pris l’initiative de proposer ces conditions non écrites de l’accord HPA1 est sans pertinence. En ce qui concerne les rabais d’exclusivité, cela résulte clairement de l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra (point 89) (voir point 787 ci-dessus). Dans l’arrêt Irish Sugar, point 199 supra (point 228), le Tribunal a également souligné qu’il importait peu de déterminer si c’était l’entreprise en position dominante ou le détaillant qui avait pris l’initiative de l’échange de produits du concurrent contre les produits de l’entreprise en position dominante.

867    Il convient de souligner que ce qui est reproché à la requérante dans la décision attaquée est d’avoir accordé des paiements à HP qui étaient soumis à des conditions non écrites selon lesquelles HP devait mettre en œuvre des restrictions en ce qui concernait la commercialisation des produits d’un concurrent, en l’occurrence orienter les ventes concernées vers les PME et les GEM et limiter les canaux de distribution. Le fait d’avoir octroyé des rabais ou des paiements soumis à ces conditions est indépendant, d’une part, de la question de savoir qui a pris l’initiative d’introduire ces restrictions dans les négociations et, d’autre part, des intentions commerciales qu’avait le client de l’entreprise dominante avant la conclusion de l’accord. Même si les conditions convenues correspondaient aux intentions commerciales qu’avait HP avant la conclusion de l’accord, les clauses non écrites auxquelles les accords octroyant les rabais étaient subordonnés ont empêché HP de changer cette stratégie commerciale.

868    En l’espèce, il résulte de l’échange de courriels de septembre 2004 (voir points 753 à 755 ci-dessus) que, à ce moment-là, M. H7, de HP, a envisagé de mettre à disposition les ordinateurs concernés par l’intermédiaire de ses partenaires de distribution dans la région EMOA, mais que ce projet n’a pas été poursuivi par crainte de perdre les rabais d’Intel.

869    Par ailleurs, l’octroi par une entreprise en position dominante de paiements ou de rabais soumis à la condition que la commercialisation d’un produit incorporant le produit d’un concurrent déterminé soit restreinte est un comportement qui est directement dirigé contre ce concurrent et qui peut seulement avoir pour objectif de nuire à ce dernier (voir point 204 ci-dessus). L’illégalité d’un tel comportement ne dépend nullement de la question de savoir si le client de l’entreprise dominante a dû changer sa stratégie commerciale afin de se conformer aux conditions auxquelles l’octroi des paiements ou des rabais était soumis.

870    En ce qui concerne la condition tenant au retardement du lancement du D315 dans la région EMOA, la requérante fait valoir que la Commission concède, au considérant 409 de la décision attaquée, que la décision de HP de retarder ce lancement résultait de la stratégie de mise sur le marché que HP avait adoptée, parce que sa capacité à satisfaire directement la demande dans la région EMOA n’était pas aussi développée qu’en Amérique du Nord. La Commission aurait néanmoins conclu que le retard du lancement était nécessairement dû à l’intervention d’Intel.

871    À cet égard, il convient de souligner que, au considérant 409 de la décision attaquée, la Commission a constaté qu’il résultait effectivement de certains documents se trouvant dans le dossier que la branche de HP en charge de la région EMOA avait des difficultés à lancer le D315 en raison de la stratégie de mise sur le marché de HP. La Commission a également relevé que cette stratégie était précisément la conséquence des restrictions dans la distribution de cet ordinateur que HP avait négociées avec Intel et que, par conséquent, le retard était lui-même une conséquence directe des conditions restrictives d’Intel. Il convient de relever que cette motivation ne contient aucune contradiction.

872    En tout état de cause, il y a lieu de relever que le constat de l’illégalité de l’octroi de rabais en contrepartie d’un report du lancement d’un produit d’un concurrent ne dépend nullement de la question de savoir si, effectivement, l’accord sur cette condition a eu pour effet un tel report. La Commission n’était donc pas obligée de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre l’octroi des rabais et la décision de HP de reporter, voire d’annuler, le lancement du D315 dans la région EMOA (voir point 212 ci-dessus).

873    Il résulte de tout ce qui précède que c’est à juste titre que la Commission a constaté l’existence des conditions non écrites des accords HPA et leur illégalité en tant que restrictions non déguisées constituant un abus de position dominante au sens de l’article 82 CE (voir point 206 ci-dessus).

c)     Analyse de la capacité des rabais de restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

874    Il convient de rappeler que, afin de constater l’illégalité des rabais d’exclusivité et des restrictions non déguisées en cause en l’espèce, la Commission n’est pas tenue de procéder à une analyse de la capacité de ces pratiques de restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce (voir points 80 à 94 et 209 ci-dessus).

875    À titre surabondant, il convient toutefois de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a établi la capacité des rabais HPA de restreindre la concurrence également selon une analyse des circonstances de l’espèce.

876    À cet égard, il y a lieu de rappeler de manière générale que le fait que les rabais conditionnels octroyés par la requérante à HP s’inscrivaient dans une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants et le fait que cette stratégie comprenait deux types d’infractions qui se complétaient et se renforçaient mutuellement rendent le comportement de la requérante susceptible de restreindre la concurrence (voir points 181, 184 et 213 ci-dessus).

877    Par ailleurs, il convient de rappeler que le fait que les rabais et les paiements conditionnels de la requérante ont été accordés à certains bénéficiaires particulièrement importants constitue également un élément qui est susceptible de fonder la capacité de ces paiements de restreindre la concurrence (voir point 182 ci-dessus).

878    À cet égard, il convient de rappeler que HP possédait une importance stratégique (voir point 182 ci-dessus). Ainsi, le fait pour une entreprise en position dominante d’inciter cette entreprise, par le biais de rabais d’exclusivité, à s’approvisionner auprès d’elle pour la quasi-totalité de ses besoins, ne fût-ce que sur un segment déterminé, était capable d’avoir des effets particulièrement négatifs sur la structure de la concurrence, car un tel comportement était capable de rendre plus difficile pour AMD l’accès à un client particulièrement important.

879    En outre, il y a lieu de rappeler que les rabais et les paiements conditionnels étaient pour les OEM un élément important à prendre en considération, en raison de la forte concurrence sur le marché des OEM et de leurs faibles marges opérationnelles (voir point 179 ci-dessus). De plus, le fait que ces rabais et ces paiements ont effectivement été pris en considération par leurs bénéficiaires pour des décisions commerciales constitue également un élément qui est susceptible de fonder la capacité de ces paiements de restreindre la concurrence (voir points 180 et 212 ci-dessus).

880    Il convient de relever que les rabais accordés à HP en vertu des accords HPA revêtaient une grande importance pour cette dernière, ce qui résulte du courriel cité au point 754 ci-dessus, dans lequel M. H2 a écrit : « Sans les fonds, nous ne nous en sortirions pas financièrement. »

881    Au vu de l’importance des rabais conditionnels pour HP, ils constituaient une incitation forte pour cette dernière à respecter les conditions non écrites et ils ont donc pu limiter la liberté de HP de choisir son fournisseur sur la seule base d’une concurrence par les mérites.

882    HP a explicitement confirmé l’importance des rabais en ce qui concernait sa décision d’accepter et de respecter les conditions non écrites. Au point 2.21 de sa réponse au titre de l’article 18, citée aux considérants 954 et 957 de la décision attaquée, HP a indiqué ce qui suit :

« HP peut confirmer que les mesures d’incitation d’Intel (en particulier les rabais globaux) ont joué un rôle déterminant dans l’accord de HP à l’égard des conditions non écrites. En conséquence :

a)       HP […] a jugé qu’il n’était pas souhaitable d’offrir des ordinateurs de bureau équipés de CPU AMD à une échelle substantielle aux grandes entreprises ;

b)       HP […] est resté alignée à 95 % au moins avec Intel ;

c)       HP […] n’a pas profité du million de CPU AMD gratuits : HP n’a pris qu’un petit nombre de ceux-ci parce que le modèle d’une distribution restreinte adopté pour le D315 et les autres exigences du HPA1 signifiaient que HP ne produisait pas le D315 à des volumes significatifs. »

883    Par ailleurs, HP a expressément confirmé, dans sa réponse au titre de l’article 18, qu’elle considérait la possibilité de mettre un terme aux accords moyennant un préavis de 30 jours comme une circonstance l’ayant incitée à respecter les conditions non écrites des accords HPA (voir point 779 ci-dessus).

884    HP a donc confirmé que les rabais accordés par Intel ont eu une influence sur ses décisions commerciales. Dans ce cadre, il convient de rappeler la fiabilité intrinsèque de la réponse de HP au titre de l’article 18 (voir points 680 à 685, 689 à 692 et 716 ci-dessus).

885    Intel invoque la circonstance que, au point 2.20 de sa réponse au titre de l’article 18, HP a indiqué que, en 2002, il existait plusieurs raisons pour elle d’hésiter avant de décider de lancer un ordinateur équipé d’un CPU AMD destiné aux grandes entreprises et stocké sans limitation par ses partenaires de distribution. Intel souligne que HP a mentionné l’existence d’une incertitude quant à l’acceptation d’AMD par les grandes entreprises et d’une incertitude quant à la capacité d’AMD de satisfaire la demande à cette échelle.

886    Pourtant, HP a également indiqué, au point 2.20 de sa réponse au titre de l’article 18, qu’une des raisons de son hésitation résidait dans le fait qu’Intel était prête à accorder les rabais HPA1, mais seulement sous réserve notamment des conditions non écrites énumérées au point 676 ci-dessus. HP a même indiqué, au point 2.21 de sa réponse au titre de l’article 18, que les rabais globaux avaient joué un « rôle déterminant » dans son accord à l’égard des conditions non écrites (voir point 882 ci-dessus).

887    La circonstance qu’il existait pour HP des raisons commerciales indépendantes du comportement d’Intel pour hésiter avant d’introduire un ordinateur équipé de CPU AMD, destiné aux grandes entreprises et stocké sans limitation par ses partenaires de distribution, n’exclut pas que les rabais offerts par Intel ont également joué un rôle dans l’acceptation et également dans le respect des conditions non écrites.

888    Par ailleurs, à supposer même que les conditions non écrites relatives au ciblage des PME et des GEM ainsi qu’à la limitation des canaux de distribution aient correspondu aux intentions commerciales qu’avait HP en 2002, comme M. H3 l’a indiqué devant l’US FTC, il résulte également de la déposition de ce dernier que HP n’aurait pas accepté que ces concessions figurent en tant que conditions non écrites des accords HPA sans recevoir quelque chose en échange (voir points 862 et 863 ci-dessus).

889    En outre, il résulte clairement de l’échange de courriels entre M. H7 et M. H2 du 3 septembre 2004, qui a été cité aux points 753 et 754 ci-dessus, que le [confidentiel] de HP a interdit la mise à disposition des ordinateurs concernés par le biais des partenaires de distribution de HP par peur de perdre les fonds payés par Intel.

890    Les rabais accordés par Intel ont donc eu une influence sur les décisions commerciales prises par HP, au moins en ce que HP, en acceptant les conditions non écrites, a limité sa liberté de modifier ses plans commerciaux à l’avenir et en ce que HP a été incitée par les rabais à respecter les conditions non écrites.

891    Ce constat n’est pas remis en cause par la cinquième page de la présentation interne de HP de 2004 (dont les troisième et quatrième pages ont déjà été citées aux points 826 et 827 ci-dessus), qui est invoquée par la requérante et qui indique ce qui suit :

« Offrir AMD dans la gamme professionnelle ‘dc’ ?

– Non – Demande insuffisante sur le marché. Complexité de la feuille de route. »

892    À cet égard, il convient de constater, tout d’abord, que seule la gamme d’ordinateurs « dc » était concernée par les constats tenant à une « [d]emande insuffisante sur le marché » et à la « [c]omplexité de la feuille de route ». En outre, ces constats de la part de HP n’excluent pas que d’autres motifs ont pu avoir une influence sur ses décisions commerciales.

893    Dans ces circonstances, il y a lieu de relever que les rabais accordés par Intel sous réserve du respect des conditions non écrites des accords HPA ont eu la capacité de restreindre la concurrence.

d)     Conclusion

894    Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter la totalité des griefs invoqués par la requérante relatifs aux rabais d’exclusivité et aux restrictions non déguisées concernant HP.

3.     NEC

895    Selon l’article 1er, sous c), de la décision attaquée, Intel a accordé « des rabais à NEC entre octobre 2002 et novembre 2005 dont le niveau était conditionné au fait que NEC achetât au moins 80 % des CPU x86 destinés à ses PC clients auprès d’Intel ». Il résulte de la note en bas de page n° 559 de la décision attaquée (n° 552 dans la version publique) que, par « PC clients », la Commission fait référence aux ordinateurs de bureau et aux ordinateurs portables, à l’exception des serveurs.

896    Jusqu’au mois d’avril 2005, les activités de NEC en tant qu’OEM étaient gérées par deux filiales détenues à 100 %, à savoir NEC Japan et NEC Computer International (ci-après « NECCI »). NEC Japan gérait les activités de NEC au Japon et sur le continent américain, alors que les activités de NEC dans le reste du monde étaient gérées par NECCI. NECCI était établie en Europe, mais elle gérait également les activités de NEC en Asie, à l’exception du Japon, par le biais de sa branche en charge des pays de la région Asie-Pacifique (ci-après la « région APAC »). En avril 2005, la structure de l’entreprise a été modifiée et la branche en charge de la région APAC a été détachée de NECCI et transférée à NEC. En novembre 2005, la branche en charge de la région EMOA de NECCI a été renommée « Packard Bell BV ».

897    La Commission expose, dans la décision attaquée, que, entre octobre 2002 et novembre 2005, Intel a accordé des rabais à NEC au titre d’un arrangement appelé « accord de Santa Clara » (ci-après l’« accord de Santa Clara »), adopté en mai 2002, et que les rabais accordés au titre de cet accord étaient de facto liés à la condition que NEC acceptât d’acheter à Intel 80 % de ses besoins en CPU x86 dans le monde. Cette part globale se traduisait en 70 % en ce qui concernait NECCI et 90 % en ce qui concernait NEC Japan.

898    Dans la requête, la requérante a exposé que, en application de l’accord de Santa Clara, Intel avait fourni à NEC à la fois des ECAP et des « fonds de développement du marché » (« market development funds », ci-après les « MDF »). Seuls les MDF d’un montant de 6 millions de USD versés au quatrième trimestre de 2002 et au premier trimestre de 2003 auraient eu un lien quelconque avec des objectifs en matière de part de segment de marché (« market segment share », ci-après le « MSS »). Au point 426 de la requête, la requérante a dénié qu’un quelconque autre rabais ait été lié à des seuils de MSS et que la durée de l’accord de Santa Clara se soit étendue au-delà du premier trimestre de 2003.

899    Lors de l’audience, la requérante a toutefois admis que ce fut du quatrième trimestre de 2002 jusqu’au deuxième trimestre de 2003 que les MDF dépendirent de parts de marché, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

a)     Appréciation des preuves de la conditionnalité des rabais présentées dans la décision attaquée

900    Dans la décision attaquée, la Commission se fonde notamment sur les éléments de preuve suivants :

–        la réponse de NECCI du 15 décembre 2005 à une demande de renseignements de la Commission (ci-après la « réponse de NECCI au titre de l’article 18 de 2005 ») ;

–        la réponse de NECCI du 3 avril 2007 à une demande de renseignements de la Commission (ci-après la « réponse de NECCI au titre de l’article 18 de 2007 ») ;

–        divers courriels ;

–        diverses présentations.

901    Bien que la requérante ait explicitement admis, lors de l’audience, que les MDF accordés du quatrième trimestre de 2002 jusqu’au deuxième trimestre de 2003 étaient conditionnels, il convient d’exposer, tout d’abord, certains des éléments de preuve que la Commission a fournis quant à la conditionnalité des rabais accordés au cours de cette période. En effet, ces éléments sont pertinents en tant qu’éléments de preuve corroborant la véracité des déclarations de NECCI dont il résulte qu’une partie des rabais était conditionnelle même après le deuxième trimestre de 2003 (voir points 948 à 966, 976 et 977 ci-après).

 1) Sur les éléments de preuve concernant la conditionnalité de certains rabais accordés pour le quatrième trimestre de 2002 et le premier trimestre de 2003

902    La Commission a relevé, au considérant 456 de la décision attaquée, que, antérieurement à la conclusion de l’accord de Santa Clara, NEC n’avait l’intention d’acheter auprès d’Intel que 59 % des CPU x86 destinés à ses « PC clients » dans le monde entier, à savoir 68 % pour NEC Japan et 48 % pour NECCI.

903    La Commission a en outre exposé, au même considérant de la décision attaquée, que, dans l’accord de Santa Clara, qui avait été conclu au mois de mai 2002, NEC et Intel s’étaient mis d’accord sur le contenu d’un « plan de réalignement », à savoir un plan inversant la tendance d’une part de marché décroissante en ce qui concernait les CPU x86 d’Intel chez NEC. En vertu de ce plan de réalignement, NEC s’approvisionnerait pour au moins 80 % de ses besoins globaux en CPU destinés à des « PC clients » auprès d’Intel. Cette part globale se répartirait en 70 % pour NECCI et 90 % pour NEC Japan. En échange du réalignement concernant les parts de marché, Intel aurait accordé des rabais sous différentes formes.

904    La Commission s’est fondée, dans la décision attaquée, inter alia sur les éléments de preuve examinés ci-après.

905    Aux considérants 456, 461, 464 et 476 de la décision attaquée, la Commission s’est appuyée sur une présentation de NEC du 27 janvier 2003, intitulée « NEC/Intel réunion monde (session sur les achats) », et, plus particulièrement, sur la quatrième page de cette présentation intitulée « Monde : réalisations quatrième trimestre/année 2002 ». Le contenu de cette page confirme, sous l’intitulé « Plan initial », que l’intention de NEC était de se fournir auprès d’Intel pour seulement 59 % de ses besoins, à savoir 68 % pour NEC Japan et 48 % pour NECCI. En outre, cette page indique, sous l’intitulé « Plan de réalignement », d’une part, les parts de marché d’Intel qui étaient prévues, à savoir 70 % pour NECCI, 90 % pour NEC Japan et 80 % au niveau mondial, et, d’autre part, certains rabais à accorder par Intel.

906    La Commission a également cité, au considérant 495 de la décision attaquée, un courriel interne de NEC du 3 décembre 2002, dans lequel il a été écrit : « Vous trouverez ci-joint le fichier détaillé de notre répartition Intel et AMD. Pour parvenir à la part de marché de 70 %, nous devrons acheter 24 000 CPU de plus auprès d’Intel que ce que prévoit notre plan actuel. »

907    Par ailleurs, la Commission cite, au considérant 477 de la décision attaquée, un courriel de NECCI du 9 décembre 2002 précisant que, « [e]n ce qui concerne le quatrième trimestre [2002, NECCI ne s’est] pas engagé[e] sur des volumes mais bien sur une répartition 70 %/30 %. »

908    En outre, la Commission cite, au considérant 492 de la décision attaquée, un courriel interne de M. N1, de NECCI, du 13 janvier 2003, dans lequel celui-ci a écrit :

« Nous nous sommes engagés à l’échelle mondiale sur cet accord. Nous devons ajuster notre assortiment pour atteindre 70/30. »

909    En ce qui concerne le premier trimestre de 2003, M. N2, de NEC Japan, a écrit à M. N1 dans un courriel du 16 mai 2003 cité au considérant 487 de la décision attaquée ce qui suit :

« Intel est prête à payer des MDF pour le premier trimestre 2003 (au total 6 millions de dollars […]). Intel Japan me demande maintenant des preuves. Pouvez-vous me fournir par retour les données relatives à ce qui suit ? Livraisons d’ordinateurs Intel pour le premier trimestre (janvier à mars) […] Total des livraisons d’ordinateurs pour le premier trimestre (Intel + AMD) […] »

910    Ce courriel démontre qu’Intel souhaitait obtenir des preuves concernant sa part de marché chez NEC avant de payer les MDF pour le premier trimestre de 2003.

911    Il résulte des courriels cités aux points 906 à 909 ci-dessus que des seuils de parts de marché ont été établis entre Intel et NEC et que ces seuils ne correspondaient pas à de simples attentes non contraignantes. Il résulte en outre de la présentation citée au point 905 ci-dessus et du courriel cité au point 909 ci-dessus que certains rabais dépendaient des seuils de parts de marché.

912    Il en résulte que, dans la décision attaquée, la Commission a démontré à suffisance de droit l’existence de rabais d’exclusivité accordés par Intel à NEC pour le quatrième trimestre de 2002 et le premier trimestre de 2003.

913    En tout état de cause, Intel a explicitement admis, lors de l’audience, la conditionnalité des MDF payés pour le quatrième trimestre de 2002 et pour le premier trimestre de 2003.

914    La requérante fait valoir que seuls les MDF étaient liés aux seuils de parts de marché convenus, alors que la Commission a relevé, au considérant 464 de la décision attaquée, que d’autres paiements d’Intel dépendaient également de la condition relative aux parts de marché.

915    En l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la Commission a prouvé à suffisance de droit que, pour le quatrième trimestre de 2002 et le premier trimestre de 2003, d’autres rabais que les MDF dépendaient de la condition relative aux parts de marché.

916    En effet, pour ces deux trimestres, pour lesquels des MDF ont été établis, il importe peu de savoir si seuls ces MDF dépendaient de cette condition ou si d’autres rabais ou paiements en dépendaient également. Certes, le montant exact des rabais conditionnels accordés joue un rôle dans le cadre du test AEC. Toutefois, ce test ne constitue pas un élément nécessaire pour constater l’illégalité des rabais d’exclusivité. Afin de constater une infraction pour ces deux trimestres, il suffit de constater que les MDF de 6 millions de USD accordés au cours de chacun de ces trimestres étaient conditionnés au fait d’atteindre les parts de marché convenues.

 2) Sur les éléments de preuve relatifs au deuxième trimestre de 2003

917    En ce qui concerne le deuxième trimestre de 2003, la Commission a précisé, au considérant 463 et dans la note en bas de page n° 569 de la décision attaquée (n° 562 dans la version publique), que NECCI avait reçu des MDF à hauteur de 1,2 million de USD au cours de ce trimestre, le montant des MDF versés à NEC Japan pour ce trimestre n’étant pas connu de la Commission. Ce chiffre résulte d’une réponse de NECCI, devenu Packard Bell, du 29 mars 2007. En outre, NECCI a également reçu des rabais ECAP à hauteur de 1,2 million de USD.

918    Dans un courriel de NECCI du 25 avril 2003, dont le contenu est partiellement cité au considérant 491 de la décision attaquée, il a été indiqué ce qui suit : « Lors de notre discussion de ce matin avec Intel, nous avons convenu qu’Intel nous donne 2,4 millions de USD pour réaliser l’achat de 205 000 CPU. »

919    Au cours de la procédure écrite, la requérante a fait valoir qu’il résultait de ce document que le rabais accordé pour le deuxième trimestre de 2003 était simplement un rabais de quantité et non un rabais lié à une exigence de part de marché.

920    Pourtant, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 492 de la décision attaquée, NECCI a confirmé que la quantité convenue correspondait à la part de marché d’au moins 70 %. En effet, dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005, en réponse à la question n° 38, NECCI a clairement indiqué, concernant le paiement pour le deuxième trimestre de 2003, que « [l]e volume convenu correspond[ait] au MSS d’au moins 70 % ». En outre, NECCI a confirmé, dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2007, en réponse à la question n° 7, que le montant de 2,4 millions de USD était conditionné au fait qu’elle achetât 70 % de ses CPU auprès d’Intel.

921    À cet égard, il convient de relever que, si la part de marché qui a été établie est convertie en un volume qui a été individuellement calculé pour cette entreprise en fonction de ses besoins, cela n’a pas pour effet de remettre en cause l’existence de rabais d’exclusivité. Il résulte clairement des réponses de NECCI, telles qu’elles sont mentionnées au point précédent, que les rabais de 2,4 millions de USD accordés au deuxième trimestre de 2003 dépendaient de la condition relative au MSS et que le volume convenu correspondait à l’exigence d’une part de marché de 70 % ou, en d’autres termes, qu’il s’agissait d’une simple conversion de ce chiffre.

922    La Cour a d’ailleurs constaté que des rabais, qui paraissaient, à première vue, de nature quantitative en ce qui concernait leur lien avec l’octroi d’un rabais total, pouvaient constituer une forme particulièrement élaborée de rabais de fidélité, s’il s’agissait de rabais accordés en fonction du pourcentage des besoins estimés d’un client spécifique qui seraient couverts (voir, en ce sens, arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, points 98 à 100).

923    À l’appui de son argument selon lequel le rabais accordé pour le deuxième trimestre de 2003 était simplement un rabais de quantité, la requérante s’est également appuyée sur un courriel de M. N1 à M. N3, cadre de NEC, du 22 mai 2003, dans lequel M. N1 a écrit :

« Notre engagement pour ce deuxième trimestre ne repose pas sur une part de marché, mais sur une quantité. Il est impossible de cumuler les deux critères. »

924    Lors de l’audience, la requérante a explicitement admis que les MDF payés pour le deuxième trimestre de 2003 dépendaient des MSS (voir point 899 ci-dessus). Néanmoins, elle s’est également appuyée, lors de l’audience, sur le courriel du 22 mai 2003 cité au point 923 ci-dessus. À cet égard, il y a lieu de relever qu’il n’apparaît pas clairement pourquoi la requérante s’est fondée, lors de l’audience, sur ce courriel qui indique que l’engagement pour le deuxième trimestre de 2003 ne reposait pas sur une part de marché, mais sur une quantité, après avoir explicitement admis que les MDF payés pour ce même trimestre dépendaient des MSS.

925    En tout état de cause, il y a lieu de constater que ce courriel répond à un courriel du même jour dans lequel M. N3 a écrit :

« M. [N2] m’a dit qu’Intel avait consenti à offrir 2,4 millions [de USD] pour ce trimestre (1,2 million [de USD] de MDF + 1,2 million [de USD] d’ECAP) en raison des 205 000 [unités] pour Intel et des 70 000 [unités] pour AMD. Si tel est le cas, nous devons maintenir le ratio Intel (74,5 %) même au troisième trimestre (de juillet à septembre) ».

926    Il résulte de ce courriel que M. N3, sur la base d’informations reçues de la part de M. N2, a considéré que ces rabais accordés pour le deuxième trimestre de 2003 dépendaient d’une condition relative aux parts de marché. L’interprétation de M. N1 était donc différente de celle donnée par d’autres cadres de NEC.

927    En l’espèce, il y a lieu de considérer que les réponses de NECCI au titre de l’article 18 sont des éléments de preuve particulièrement fiables (voir points 967 à 975 ci-après). Au vu de la déclaration non équivoque dans la réponse de NECCI au titre de l’article 18 de 2007, selon laquelle le montant de 2,4 millions de USD était conditionné au fait que NECCI achetât 70 % de ses CPU auprès d’Intel (voir point 920 ci-dessus), le courriel cité au point 923 ci-dessus exprimant l’interprétation de M. N1 qui était différente de celle donnée par d’autres cadres de NEC n’est pas un élément décisif.

928    Il en résulte que, indépendamment de l’aveu de la requérante fait lors de l’audience, la Commission a prouvé à suffisance de droit que des rabais d’un montant de 2,4 millions de USD accordés pour le deuxième trimestre de 2003 étaient conditionnés au fait d’atteindre des parts de marché convenues.

929    En tout état de cause, la requérante a explicitement admis, lors de l’audience, que les MDF payés pour le deuxième trimestre de 2003 dépendaient de parts de marché. Certes, cet aveu concerne uniquement un montant de 1,2 million de USD, car un autre montant de 1,2 million de USD avait été payé en tant qu’ECAP. À cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il a été rappelé au point 916 ci-dessus, si le montant exact des rabais conditionnels accordés joue un rôle dans le cadre du test AEC, ledit montant n’a pas à être déterminé exactement, puisque le test AEC ne constitue pas un élément nécessaire à la démonstration de l’illégalité des rabais d’exclusivité consentis par un opérateur en position dominante. À supposer même que, pour le deuxième trimestre de 2003, seuls les MDF d’un montant de 1,2 million de USD aient été conditionnels, cela ne remettrait en cause ni l’existence ni l’illégalité des rabais d’exclusivité.

930    Il s’ensuit également qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si, comme le soutient la Commission, pour le deuxième trimestre de 2003, d’autres rabais que ceux d’un montant de 2,4 millions de USD dépendaient de parts de marché.

 3) Sur les éléments de preuve concernant la période allant du troisième trimestre de 2003 au mois de novembre 2005

931    La Commission a relevé, au considérant 466 de la décision attaquée, que, à partir du 1er juillet 2003, la structure des paiements d’Intel avait changé et que les MDF avaient été intégrés dans les rabais ECAP et avaient été renommés « super-ECAP » (ci-après les « super-ECAP »).

932    Lors de l’audience, la requérante a fait valoir qu’il était nécessaire de distinguer trois types de rabais, à savoir, premièrement, les MDF, qui ont été payés pour la période du quatrième trimestre de 2002 jusqu’au deuxième trimestre de 2003 et qui dépendaient des MSS, deuxièmement, les ECAP et, troisièmement, les super-ECAP, également dénommées « ECAP spéciaux ».

933    En ce qui concerne les ECAP, la requérante fait valoir qu’il résulte de la réponse de NECCI au titre de l’article 18 de 2005 qu’ils ne dépendaient pas de parts de marché. À cet égard, elle s’appuie sur la réponse de NECCI à la question n° 21, également citée au considérant 466 de la décision attaquée, dans laquelle NECCI a indiqué :

« Les ECAP spéciaux ou super-ECAP/MDF offerts à NECCI dépendent effectivement du fait que NECCI parvienne à atteindre un MSS d’au moins 70 %, NEC Japan une part de marché de 90 % et NEC à l’échelle mondiale une part de marché d’au moins 80 %. Les ECAP (par opposition aux ECAP spéciaux ou super-ECAP) ne dépendent pas d’un seuil de parts de marché. »

934    En ce qui concerne les super-ECAP, la requérante a fait valoir, lors de l’audience, qu’il s’agissait d’une catégorie très limitée. NECCI aurait indiqué, dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005, en réponse à la question n° 7, qu’il s’agissait de prix spéciaux qui auraient été appliqués au troisième trimestre de 2003 pour les ventes de certains types de CPU pour le segment des consommateurs. Il en résulterait que les super-ECAP auraient seulement été payés pour le troisième trimestre de 2003. La requérante s’est également appuyée, lors de l’audience, sur le fait que NECCI a déclaré, dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005, en réponse à la question n° 38, que, après le deuxième trimestre de 2003, elle avait seulement obtenu des rabais ECAP.

935    Au vu de la déclaration de NECCI selon laquelle les rabais ECAP, par opposition aux ECAP spéciaux ou super-ECAP, ne dépendaient pas de seuils de parts de marché (voir point 933 ci-dessus), il résulte, selon la requérante, de la réponse de NECCI au titre de l’article 18 de 2005 que, après le deuxième trimestre de 2003, aucun rabais n’était conditionné au respect de seuils de parts de marché.

936    Toutefois, cette interprétation de la réponse de NECCI au titre de l’article 18 de 2005 n’est pas correcte.

937    Tout d’abord, ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre lors de l’audience, il est nécessaire de prendre en considération dans son intégralité la réponse de NECCI à la question n° 7, telle qu’elle figure dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005, et notamment la déclaration suivante :

« À compter du 1er juillet 2003, le système a changé (bien qu’au niveau national, les MDF continuent à s’appliquer) : au lieu d’un seul montant, le prix spécial était inclus dans le prix ECAP (uniquement pour le segment des consommateurs) au début de chaque trimestre pour autant qu’à la fin du trimestre précédent, NECCI avait atteint le seuil de 70 % pour [elle-même] et de 80 % dans le monde (NECCI + NEC Corporation). »

938    Il résulte clairement de cette déclaration qu’une partie des rabais était encore soumise à la condition relative aux parts de marché après le 1er juillet 2003.

939    En ce qui concerne la déclaration de NECCI selon laquelle elle avait seulement obtenu des rabais ECAP après le deuxième trimestre de 2003, il convient de relever que, par cette expression, NECCI a fait référence à la totalité des ECAP, y compris les super-ECAP, ainsi qu’il résulte de ses réponses au titre de l’article 18, lues dans leur ensemble.

940    La déclaration de NECCI selon laquelle « les ECAP (par opposition aux ECAP spéciaux ou super-ECAP) ne dépendaient pas d’un seuil de parts de marché » doit être comprise en ce sens que les ECAP « ordinaires », qui n’étaient pas des super-ECAP, ne dépendaient pas de la condition relative aux parts de marché. En effet, il résulte de plusieurs réponses données par NECCI dans le cadre de sa réponse au titre de l’article 18 de 2005 qu’elle a fait référence aux super-ECAP comme à une sous-catégorie des rabais ECAP, et non comme à une catégorie complètement à part. Ainsi, NECCI a déclaré, en réponse à la question n° 19, que, « après le deuxième trimestre 2003, les fonds ECAP ont englobé ce qui étaient auparavant les MDF ». Elle a également indiqué, en réponse à la question n° 20, que les « ECAP ont été étendus avec la création d’ECAP spéciaux/super-ECAP au deuxième trimestre de l’année 2003 pour couvrir ce qui était auparavant dénommé MDF ».

941    Par ailleurs, la requérante a elle-même indiqué, au point 443 de la requête, que « [l]a réponse de NECCI ajoutait par ailleurs qu’à partir de juillet 2003, les rabais ECAP ont inclu à la fois les rabais ECAP ordinaires et les rabais ECAP ‘spéciaux’ ou ‘super’ ECAP et que seuls ces derniers (que NECCI a assimilés à des MDF) dépendaient d’objectifs de part de marché ». Concernant le passage de la réponse de NECCI au titre de l’article 18 de 2005 selon lequel « les prix ECAP dépendent d’une part de marché de 70 % et non de volumes », cité au considérant 464 de la décision attaquée, la requérante a ajouté que l’unique interprétation plausible était que NECCI se référait « aux ‘rabais super ECAP’ allégués dans la mesure où ils se distingu[aient] des rabais ECAP ordinaires non conditionnels ».

942    La requérante a donc elle-même fait valoir, dans la requête, que la référence de NECCI aux rabais ECAP incluait une référence aux ECAP ordinaires et aux super-ECAP. L’argumentation de la requérante présentée lors de l’audience, en vertu de laquelle il résulterait de la déclaration de NECCI selon laquelle seuls des rabais ECAP ont été payés après le deuxième trimestre de 2003 qu’aucun rabais conditionnel n’a été octroyé après ce trimestre, est en contradiction avec cette interprétation donnée par la requérante elle-même.

943    Il y a pourtant lieu de relever qu’il existe un certain manque de clarté dans les réponses de NECCI au titre de l’article 18 quant à la question de savoir si ceux des rabais ECAP qui étaient conditionnels étaient dénommés « ECAP spéciaux » jusqu’à la fin de la période retenue dans la décision attaquée.

944    Ainsi, comme le mentionne la Commission au considérant 488 de la décision attaquée, NECCI a relevé, dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005 : « À l’heure actuelle, si NECCI ne remplit pas ses obligations en termes de MSS pour un trimestre donné, elle compromet les négociations relatives aux rabais ECAP spéciaux pour les trimestres suivants. » Cela semble indiquer que les rabais conditionnels étaient encore dénommés « super-ECAP » à ce moment-là.

945    Pourtant, ainsi que la requérante l’a relevé lors de l’audience, NECCI a également indiqué, dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005, en réponse à la question n° 7, que, « [à] l’heure actuelle, les super-ECAP ne s’appliquent plus ».

946    À cet égard, il y a lieu de constater que NECCI a indiqué, directement après cette phrase : « Les tarifs spéciaux sont inclus dans les ECAP. » Il en ressort que des tarifs spéciaux existaient encore, même dans le cas où ils n’auraient pas été dénommés « super-ECAP ».

947    En tout état de cause, le manque de clarté de la réponse de NECCI au titre de l’article 18 de 2005 concerne seulement la question de savoir si les prix spéciaux étaient ou non dénommés « super ECAP ». Il découle de manière très claire des réponses de NECCI au titre de l’article 18 que, pendant la totalité de la période retenue dans la décision attaquée, une partie des rabais accordés par Intel était soumise à la condition relative aux parts de marché, ainsi qu’il résulte des points 948 à 966 ci-après.

948    En ce qui concerne la durée de l’accord de Santa Clara, NECCI a indiqué, dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005 :

« [L]’accord de 2002 est toujours en vigueur. Aucun nouvel accord n’a été conclu. »

949    Dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2007, NECCI a indiqué ce qui suit :

« Pour autant que nous nous en souvenions, il n’existe pas de date définie d’expiration de l’accord, mais NECCI a cessé de l’appliquer en novembre 2005. »

950    Au considérant 493 de la décision attaquée, la Commission a constaté, en faisant référence aux déclarations citées aux points 948 et 949 ci-dessus, que la condition relative aux parts de marché était restée en vigueur après le deuxième trimestre de 2003 et que NECCI « [avait] expliqué que l’accord de Santa Clara et les conditions y afférentes étaient restés en vigueur au moins jusqu’à novembre 2005 ».

951    Lors de l’audience, la requérante a fait valoir que l’interprétation que la Commission donne de ces déclarations, qui ne contiendraient aucune référence à une conditionnalité des rabais, serait contredite par d’autres déclarations de NECCI qui nieraient la conditionnalité des rabais.

952    À cet égard, il y a lieu de relever, tout d’abord, que les déclarations de NECCI ne contiennent aucune affirmation selon laquelle la condition relative aux parts de marché n’a plus été en vigueur après le deuxième trimestre de 2003. La seule circonstance que NECCI a indiqué que, après le deuxième trimestre de 2003, seuls des rabais ECAP ont été octroyés ne signifie pas que, à partir de ce trimestre, les rabais n’ont plus été conditionnels (voir points 939 à 942 ci-dessus).

953    Au contraire, il résulte sans ambiguïté des déclarations de NECCI que la condition relative aux parts de marché est restée en vigueur après le deuxième trimestre de 2003.

954    Ainsi que la Commission l’a relevé, au considérant 495 de la décision attaquée, NECCI a déclaré dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005 que, à partir du deuxième trimestre de 2004, elle n’était parfois pas parvenue à atteindre le seuil requis, mais que cela n’avait jamais été souligné auprès d’Intel.

955    Il en ressort clairement que la condition relative aux parts de marché était encore en vigueur, car, en l’absence d’une telle condition, cela n’aurait eu aucun sens de mentionner un « seuil requis ».

956    Il convient en outre de souligner que, ainsi que la Commission l’a constaté au considérant 483 de la décision attaquée, NEC et NECCI étaient obligées de notifier leurs parts de marché à Intel tous les trimestres. La requérante ne conteste pas que NECCI lui ait communiqué des données sur son MSS, mais elle souligne que NECCI a fourni ces informations aussi bien à elle-même qu’à AMD, bien longtemps avant qu’elle n’ait octroyé les rabais en cause.

957    À cet égard, il y a lieu de constater qu’il résulte de la réponse de NECCI au titre de l’article 18 de 2005, et notamment de la réponse à la question n° 1, que l’obligation de notifier les parts de marché a été mise en place indépendamment de la condition relative aux MSS. Il s’ensuit que l’existence de l’obligation de notifier les MSS ne constitue pas, en tant que telle, une preuve de l’existence de rabais qui dépendaient d’une condition relative au MSS.

958    Néanmoins, au vu de l’obligation pour NECCI de notifier ses parts de marché à Intel, la déclaration de NECCI selon laquelle elle n’a jamais « souligné auprès d’Intel » le fait qu’elle n’était parfois pas parvenue à atteindre le seuil requis peut seulement être interprétée en ce sens que NECCI a essayé de cacher cette circonstance à Intel.

959    En outre, ainsi que la Commission l’a relevé aux considérants 483 et 975 de la décision attaquée, NECCI a indiqué, dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005, qu’Intel organisait des réunions trimestrielles d’analyse des activés et que, lors de ces réunions, Intel évaluait « non seulement si NECCI s’[était] conformée à ses obligations de notification, mais aussi si elle [avait] atteint la part de marché d’au moins 70 % convenue avec Intel ».

960    Par ailleurs, dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005, dans la réponse à la question n° 32, NECCI a fait référence à une présentation qu’elle avait faite lors d’une réunion trimestrielle d’analyse des activés, au cours de laquelle elle aurait présenté le fait qu’elle avait bien respecté le seuil de 70 % pour les trois premiers trimestres de 2004.

961    En tout état de cause, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel il résulterait de la réponse de NECCI au titre de l’article 18 de 2005 que les ECAP spéciaux s’appliquaient seulement au troisième trimestre de 2003. Certes, NECCI a indiqué dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005, en réponse à la question n° 7, que les super-ECAP étaient des « prix spéciaux qui s’appliquaient au troisième trimestre 2003 » sur les ventes de certains types de CPU destinés au segment des consommateurs. Cependant, il n’y a pas lieu d’interpréter cette déclaration en ce sens que les ECAP spéciaux s’appliquaient uniquement au troisième trimestre de 2003. En effet, il résulte de la déclaration de NECCI dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005, selon laquelle « [les MDF] ont diminué au deuxième trimestre de 2003 parce qu’Intel avait décidé que les fonds auparavant octroyés en tant que MDF seraient octroyés, à partir de ce moment-là, par le biais d’ECAP ‘spéciaux’ (ou ‘super-ECAP’) appliqués seulement aux produits destinés aux consommateurs », que les ECAP spéciaux n’étaient pas limités à un seul trimestre.

962    Il ressort donc de manière tout à fait claire des réponses de NECCI au titre de l’article 18 que la condition relative aux parts de marché convenue dans l’accord de Santa Clara est restée en vigueur même après le deuxième trimestre de 2003 et que l’accord de Santa Clara est resté en vigueur au moins jusqu’au mois de novembre 2005, date à laquelle NECCI a cessé de l’appliquer.

963    La requérante s’appuie sur la circonstance que NECCI n’aurait identifié aucun super-ECAP conditionnel dans ses réponses au titre de l’article 18 et que, dans un tableau fourni par NECCI dans une déclaration du 29 mars 2007 concernant les rabais reçus de la part d’Intel, rien n’avait été inscrit dans la ligne relative aux super-ECAP.

964    Certes, NECCI n’était pas en mesure d’indiquer le montant exact des rabais qui étaient conditionnels. À cet égard, NECCI a indiqué, dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2007, cité au considérant 467 de la décision attaquée, que « le processus interne de demande de crédit de NECCI/Packard Bell ne permet[tait] pas d’effectuer une ventilation ou de faire une distinction entre les ECAP et les ECAP spéciaux/super-ECAP ».

965    Cependant, la circonstance que NECCI n’a pas pu indiquer le montant exact des rabais qui étaient conditionnels ne remet pas en cause le fait qu’il résulte clairement des réponses de NECCI au titre de l’article 18 que, même après le deuxième trimestre de 2003, une partie des rabais accordés était conditionnelle.

966    Les réponses de NECCI au titre de l’article 18 confirment donc la durée de l’infraction retenue par la Commission, à savoir d’octobre 2002 à novembre 2005.

967    Il convient de relever que les réponses de NECCI au titre de l’article 18 sont des éléments de preuve particulièrement fiables, car il n’apparaît pas que NECCI ait eu un quelconque intérêt à fournir des informations inexactes qui pouvaient être utilisées par la Commission afin d’établir une infraction à l’article 82 CE commise par Intel, son partenaire commercial incontournable, et parce que les renseignements inexactes sont passibles d’amendes en vertu de l’article 23, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1/2003.

968    La requérante remet en cause la fiabilité de la déclaration de NECCI quant à la durée de l’accord de Santa Clara, car NECCI n’aurait pas eu d’expérience directe concernant la négociation des rabais ECAP pendant la période concernée. À cet égard, elle s’appuie sur la déclaration de NECCI selon laquelle cette dernière « ne négocie pas officiellement des rabais ECAP avec Intel sans NEC Japan », mais « NECCI et NEC Japan se réunissent pour discuter de leurs attentes respectives » avant de rencontrer Intel, et selon laquelle « c’est NEC Japan qui présente ces attentes à Intel », puis « le résultat est donné à NEC Japan, qui relaie l’information à NECCI ». À cet égard, il convient de relever que la Commission reconnaît, au considérant 456 de la décision attaquée, que NEC Japan a été l’interlocuteur principal d’Intel lors des négociations.

969    Le fait que les négociations avec Intel aient été menées par NEC Japan n’est toutefois pas de nature à remettre en cause la fiabilité de la déclaration de NECCI quant à la durée de l’accord de Santa Clara. En effet, il est exclu que la conditionnalité des rabais ait été supprimée lors des négociations entre Intel et NEC Japan sans que cette dernière en ait informé NECCI. Si l’une des filiales d’une entreprise mène des négociations concernant des rabais avec une entreprise tierce, également pour le compte d’une autre filiale de la même entreprise, il va de soi qu’elle l’informe de manière complète des résultats des négociations qui la concernent. En outre, lorsque ces rabais sont conditionnels, il est nécessaire d’informer l’autre filiale des conditions en cause afin de s’assurer que celle-ci les respectera. Si ces conditions sont ensuite levées, il va également de soi que la filiale ayant mené les négociations en informe l’autre filiale. Il est donc exclu que la condition relative au respect de certains seuils de parts de marché ait été levée sans que NEC Japan ait informé NECCI que cette dernière n’était plus obligée d’atteindre la part de marché de 70 %.

970    La requérante souligne également que, dans ses réponses au titre de l’article 18, NECCI a, à plusieurs reprises, précisé qu’elle ne pouvait pas répondre concernant NEC Japan.

971    À cet égard, il y a lieu de constater qu’il est exact que NECCI a indiqué, dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2007, dans la réponse à la question n° 6, qu’elle ne pouvait pas préciser le montant des rabais conditionnels reçus par NEC Japan, et que NECCI a également indiqué qu’elle n’était pas en mesure de répondre concernant la situation qui existait entre Intel et NEC à propos des serveurs.

972    Néanmoins, cette circonstance n’est pas de nature à remettre en cause la valeur probante des réponses de NECCI au titre de l’article 18. À cet égard, il convient de rappeler que la requérante admet qu’une partie des rabais octroyés pour la période allant du quatrième trimestre de 2002 jusqu’au deuxième trimestre de 2003 dépendait de ce que la part de marché d’Intel chez NEC atteignît 80 %, à savoir 90 % pour NEC Japan et 70 % pour NECCI. La durée de l’accord de Santa Clara ainsi que la circonstance que, pendant toute cette période, une partie des rabais dépendait des parts de marché convenues, résultent sans ambiguïté des réponses de NECCI au titre de l’article 18, nonobstant le fait que, concernant certaines questions, NECCI ne pouvait pas répondre au nom de NEC Japan.

973    Il convient en outre de rappeler que, pour établir une infraction à l’article 82 CE, il n’était pas nécessaire pour la Commission de déterminer le montant exact des rabais qui étaient conditionnels. La circonstance que NECCI n’a pas pu fournir de réponse au regard de la situation entre Intel et NEC en ce qui concernait les serveurs est dénuée de pertinence, car la Commission a seulement retenu une infraction concernant les CPU destinés aux « PC clients » et non les CPU destinés aux serveurs.

974    La requérante souligne également que M. N4, le cadre supérieur de NECCI impliqué dans la négociation de l’accord de Santa Clara, avait quitté NECCI plusieurs années avant qu’elle ne soumette ses réponses au titre de l’article 18. À cet égard, il y a lieu de relever que la Commission souligne à juste titre qu’il résulte des éléments de preuve se trouvant dans le dossier que M. N4 n’était pas la seule personne chez NECCI à être informée des négociations. Le seul départ d’un cadre de NECCI ne saurait remettre en cause la fiabilité des réponses au titre de l’article 18 qu’elle a présentées. Par ailleurs, il convient de rappeler que la requérante a explicitement admis, lors de l’audience, que les MDF versés pour la période allant du quatrième trimestre de 2002 jusqu’au deuxième trimestre de 2003 dépendaient des parts de marché. Le départ d’un cadre de NECCI impliqué dans la négociation de l’accord de Santa Clara ne peut en tout état de cause pas remettre en cause la fiabilité des déclarations de NECCI quant à la question de la durée de cet accord.

975    Il y a donc lieu de rejeter les arguments de la requérante visant à remettre en cause la fiabilité des réponses de NECCI au titre de l’article 18.

976    Il convient en outre de relever que plusieurs éléments corroborent la véracité des réponses de NECCI au titre de l’article 18. Il s’agit notamment des éléments de preuve cités aux points 905 à 909 ci-dessus.

977    Il est exact qu’il s’agit de preuves qui concernent le quatrième trimestre de 2002 et le premier trimestre de 2003. Pourtant, au vu de la fiabilité inhérente aux réponses de NECCI au titre de l’article 18, le degré de corroboration requis est tout au plus faible, dans la mesure où une corroboration serait considérée comme nécessaire (voir à cet égard point 725 ci-dessus). Il n’est notamment pas nécessaire que des éléments de preuve supplémentaires corroborent l’existence de l’infraction pour la totalité de la durée dont il est fait état dans ces réponses. En effet, il n’y a aucune raison de croire que NECCI a fourni des renseignements exacts pour certains trimestres et des renseignements faux pour d’autres. Ainsi, les éléments de preuve corroborant les réponses de NECCI au titre de l’article 18 pour le quatrième trimestre de 2002 et le premier trimestre de 2003 sont suffisants pour corroborer lesdites réponses dans leur ensemble.

978    Il convient en outre de relever que la Commission s’est également appuyée, au considérant 481 de la décision attaquée, sur des extraits d’un échange de courriels de juillet 2003 concernant les rabais ECAP approuvés par Intel pour le troisième trimestre de 2003. Une annexe contenait une liste de rabais ECAP, à laquelle était annexée une liste de « conditions », qui incluait : « NEC Japan maintiendra son MSS actuel du deuxième trimestre 2003 au troisième trimestre 2003…au moins 90 % » et « NECCI augmentera son MSS actuel à 80 % ([région] APAC + [région] EMOA) dans tous les pays importants ».

979    Il s’agit d’un élément de preuve qui concerne le troisième trimestre de 2003 et qui confirme donc qu’une partie des rabais était encore soumise à une condition relative aux parts de marché même après le deuxième trimestre de 2003.

980    Compte tenu de la circonstance selon laquelle les réponses de NECCI au titre de l’article 18 nécessitent une corroboration tout au plus d’un faible degré, les documents contemporains cités par la Commission dans la décision attaquée sont suffisants pour corroborer ces réponses.

981    Il résulte de tout ce qui précède que les éléments de preuve présentés par la Commission dans la décision attaquée sont suffisants afin de démontrer l’existence et la durée de l’infraction en ce qui concerne NEC.

b)     Sur les autres arguments de la requérante

 1) Sur l’argument selon lequel NEC aurait proposé une exclusivité à 90 %

982    La requérante souligne que, lors des réunions de mai 2002 ayant abouti à l’accord de Santa Clara, NEC a proposé un « plan de réalignement » offrant plus de 90 % de ses besoins en CPU à Intel. Intel aurait rejeté de nombreux éléments de cette proposition et NEC aurait ensuite modifié son modèle sur la base d’un MSS de 80 %. L’accord de Santa Clara aurait donc reflété une diminution des achats proposés par NEC à Intel à la suite du refus de cette dernière de satisfaire les revendications de prix de NEC. La décision attaquée n’expliquerait pas en quoi le refus par Intel de l’offre initiale de NEC était conforme à la conclusion selon laquelle Intel poursuivait l’objectif d’évincer AMD de la concurrence pour les activités de NEC.

983    À cet égard, il convient de relever que la requérante concède, au point 450 de la requête, qu’elle n’a pas voulu satisfaire les revendications de NEC concernant les prix. Le fait qu’Intel ait refusé l’offre initiale basée sur une part de marché de 90 %, car elle considérait le prix revendiqué par NEC comme inadéquat, ne signifie pas qu’Intel n’a pas poursuivi de stratégie d’éviction.

984    En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel c’est NEC qui a proposé que des rabais soient accordés en contrepartie d’une obligation de quasi-exclusivité, il y a lieu de relever qu’une telle argumentation est inopérante (voir points 787 et 791 ci-dessus).

985    À titre surabondant, il convient de relever que la Commission souligne à juste titre qu’il résulte d’un document interne d’Intel, écrit dans le cadre de la préparation d’une réunion entre Intel et NEC qui a eu lieu le 15 avril 2002, que le rôle d’Intel lors des négociations n’a pas été passif. Il ressort de ce document, cité au considérant 469 de la décision attaquée, qu’Intel envisageait d’obtenir un engagement de la part de NEC tendant à l’accroissement du MSS d’Intel. Quant à l’argument de la requérante selon lequel il s’agit d’un projet d’ordre du jour antérieur à la réunion, préparé par un employé de rang inférieur d’Intel, il convient de relever que, certes, le contenu d’un document écrit dans le cadre de la préparation d’une réunion ne correspond pas nécessairement à ce qui a été discuté lors de celle-ci. Néanmoins, il résulte de ce document que la requérante a poursuivi l’objectif d’obtenir un engagement de NEC d’accroître son MSS auprès d’elle, ce qui indique que la requérante n’a pas joué un rôle purement passif dans les négociations, peu important que NEC ait pris l’initiative de proposer que des rabais soient accordés en contrepartie d’une condition de quasi-exclusivité.

 2) Sur l’argument selon lequel la Commission aurait reconnu dans la communication des griefs de 2007 que les rabais ECAP n’étaient pas conditionnels

986    La requérante fait valoir que la Commission a conclu aux considérants 1408 et 1444 de la décision attaquée que tous les rabais accordés par Intel à NEC étaient liés à des attentes de MSS. La communication des griefs de 2007 aurait au contraire reconnu que seuls les MDF possédaient un lien quelconque avec des objectifs en matière de MSS, en concluant qu’une « partie des rabais totaux » accordés par Intel à NEC était subordonnée à la réalisation d’objectifs de MSS. La Commission n’aurait jamais expliqué le revirement par rapport à cette conclusion.

987    À cet égard, la Commission souligne à juste titre qu’une « partie des rabais totaux » ne signifie pas une partie limitée aux MDF. La phrase, contenue au point 247 de la communication des griefs de 2007 et à laquelle la requérante fait référence, indique que « la Commission conclut qu’une partie des rabais totaux versés par Intel à NEC entre le troisième trimestre de 2003 et novembre 2005 était subordonnée au respect, par NEC, d’une condition de part de marché de 80 % dans le segment des PC clients ». Étant donné que la Commission avait constaté, au point 245 de la communication des griefs de 2007, que, à partir du 1er juillet 2003, les MDF avaient été intégrés dans les rabais ECAP et avaient été renommés « super ECAP », cela n’aurait eu aucun sens d’interpréter l’expression « partie des rabais totaux » en tant que partie limitée aux MDF, car, à partir du 1er juillet 2003, Intel n’a plus payé de MDF à NEC.

988    Il convient par ailleurs de souligner que la Commission a repris la formulation contenue au point 247 de la communication des griefs de 2007 au considérant 973 de la décision attaquée en indiquant que, « [e]ntre le troisième trimestre de 2003 et novembre 2005, une partie des rabais totaux versés par Intel à NEC était subordonnée au respect, par NEC, d’une condition de part de marché de 80 % dans le segment des PC clients ».

989    Il n’existe donc pas de contradiction entre les constats effectués dans la décision attaquée quant à la durée de l’infraction et la communication des griefs de 2007.

990    Ainsi qu’il a été constaté ci-dessus, la Commission a établi à suffisance de droit que l’accord de Santa Clara a été en vigueur jusqu’au mois de novembre 2005 et que, pendant toute cette période, une partie des rabais accordés était conditionnelle.

991    Il convient de souligner que les considérants 1408 et 1444 de la décision attaquée se trouvent dans la partie consacrée au test AEC. D’éventuelles erreurs que la Commission aurait pu commettre dans la détermination du montant des rabais conditionnels dans le cadre du test AEC ne permettraient pas de remettre en cause la légalité de la décision attaquée, le test AEC n’étant pas un élément nécessaire pour déterminer l’illégalité de rabais d’exclusivité. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner l’argumentation de la Commission selon laquelle elle n’a pas prétendu, dans la décision attaquée, que la totalité des rabais accordés par Intel à NEC était conditionnelle.

 3) Sur l’argument selon lequel Intel n’aurait jamais réduit ses rabais, alors que les achats seraient régulièrement descendus en dessous des seuils allégués

992    La requérante fait valoir qu’elle n’a jamais réduit ses rabais alors que les achats seraient régulièrement descendus en dessous des seuils allégués. Cela résulterait notamment des données provenant de la société Gartner (ci-après les « données Gartner »), une société de recherche et de conseil dans le domaine de la technologie de l’information, ainsi que d’une présentation de NECCI intitulée « Aperçu des CPU » qui montrerait que la part d’Intel dans les besoins en CPU de NECCI n’aurait atteint ou dépassé 70 % que pendant quatre des dix premiers trimestres en question.

993    Quant à l’allégation de la Commission, qui figure au considérant 500 de la décision attaquée, selon laquelle il n’aurait pas été démontré que NEC ou NECCI n’ont « occasionnellement » pas respecté les MSS convenus, la requérante fait valoir que la charge de la preuve en incomberait à la Commission et que le non-respect des seuils prétendument fixés n’aurait pas été simplement « occasionnel ». La position de la Commission, qui figure au considérant 495 de la décision attaquée, selon laquelle Intel ignorait que NEC enfreignait les conditions alléguées, ne saurait être défendue, car les données sur l’utilisation de CPU par NEC dans le monde entier auraient été disponibles par le biais des services de Gartner, auxquels Intel aurait souscrit tout au long de la période de référence.

994    La requérante estime que, si la théorie de la Commission concernant la conditionnalité était suivie, le non-respect constant par NEC et par NECCI de leurs prétendues obligations aurait dû entraîner une suppression des rabais existants ou une diminution des rabais ultérieurs accordés par Intel.

995    La Commission souligne que, à supposer même que les achats de NEC soient tombés en dessous de ses engagements au titre de l’accord de Santa Clara et qu’Intel en ait été informée à l’époque, ce qui ne serait pas le cas, le fait qu’Intel n’ait pas diminué ses rabais ne démontre pas en soi qu’il n’existait pas de rabais d’exclusivité illicites.

996    Il y a lieu de relever que, en réponse à une question relative aux implications qu’un non-respect des obligations de MSS dans un trimestre déterminé pourrait avoir, NECCI a donné les explications suivantes dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005 :

« À l’époque des MDF globaux, si NECCI ne remplissait pas l’objectif de MSS au cours d’un trimestre donné, elle n’obtenait aucun paiement au titre des MDF. À l’heure actuelle, si NECCI ne remplit pas ses obligations en termes de MSS pour un trimestre donné, elle compromet les négociations relatives aux rabais ECAP spéciaux pour les trimestres suivants. »

997    Il convient de rappeler que, certes, le fait qu’une entreprise dominante ne supprime pas les rabais accordés ou une partie de ceux-ci à la suite d’un non-respect de la condition d’exclusivité ne signifie pas que les rabais n’étaient pas conditionnels (voir point 527 ci-dessus). Néanmoins, dans les circonstances de l’espèce, à savoir en présence d’une période concernée d’environ trois ans, il y a lieu de considérer que, si NEC avait systématiquement violé la condition de MSS en descendant considérablement en dessous des seuils convenus, et cela de manière visible pour Intel, sans ce que cela ait eu des conséquences sur les rabais, NEC n’aurait à partir d’un certain moment plus dû craindre une réduction disproportionnée des rabais. Dans une telle situation, la durée de l’infraction aurait été moins longue. En effet, à partir du moment où la perspective d’une réduction disproportionnée des rabais n’aurait plus été crédible pour NEC, il n’y aurait eu aucune incitation pour elle à s’approvisionner pour la grande majorité de ses besoins auprès d’Intel.

998    En revanche, dans le cas où l’obligation en cause a seulement été violée de manière occasionnelle, le fait que l’entreprise en position dominante ne procède pas à une réduction disproportionnée des rabais ne signifie pas que la perspective d’une réduction future n’était plus crédible pour le client. De même, dans le cas où les parts de marché qui ont été atteintes restent proches de celles qui avaient été fixées, l’incitation pour le client à s’approvisionner pour la plupart de ses besoins auprès de l’entreprise dominante demeure. En effet, dans une telle situation, le client de l’entreprise dominante doit craindre une perte disproportionnée de rabais au cas où ses achats baisseraient davantage. Il convient de relever que le seul fait qu’une entreprise dominante permette une certaine flexibilité quant au respect exact des objectifs ne suffit pas pour exclure l’existence d’un abus (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal Tomra, point 72 supra, points 299 et 300). En outre, dans le cas où l’entreprise en position dominante n’est pas au courant d’une violation de la condition relative au MSS, ou que le client de cette entreprise ne sait pas qu’elle en est au courant, la perspective d’une réduction disproportionnée de rabais, dans le cas où l’entreprise en position dominante prend connaissance de la violation de la condition, reste crédible pour le client.

999    La charge de la preuve à cet égard incombe à Intel. En effet, la Commission a prouvé à suffisance de droit qu’Intel et NEC avaient conclu l’accord de Santa Clara qui prévoyait une obligation relative au MSS à respecter par NEC, que cet accord était en vigueur jusqu’au mois de novembre 2005 et que, pendant la totalité de cette période, une partie des rabais accordés par Intel à NEC était soumise au respect de la condition relative au MSS. La conditionnalité des rabais implique la menace que soit des rabais convenus puissent être supprimés, soit des négociations futures de rabais puissent être compromises en cas de non-respect de la condition, peu important que cette menace ait été exprimée de manière explicite ou non. Dans ces conditions, il incombe à Intel de démontrer que, exceptionnellement, cette menace n’a plus été crédible pour NEC à partir d’un certain moment en raison de l’absence permanente de mise en œuvre de cette condition.

1000 La requérante s’appuie, premièrement, sur les données Gartner relatives aux parts de marché d’Intel auprès de NEC à l’échelle mondiale pendant la période concernée. Il résulte de l’annexe A.65 de la requête que les données Gartner indiquent effectivement une part de marché d’Intel inférieur à 80 % pendant neuf des treize trimestres concernés. Les données trimestrielles, du quatrième trimestre de 2002 au quatrième trimestre de 2005 inclus, sont repectivement les suivantes : 74,4 %, 80,2 %, 78,5 %, 76,0 %, 74,1 %, 81,4 %, 80,9 %, 82,2 %, 77,8 %, 79,3 %, 76,9 %, 74,8 % et 75,4 %.

1001 Il convient toutefois de souligner que ces données trimestrielles restent relativement proches de la part de marché de 80 % convenue, l’écart constaté étant inférieur à six points de pourcentage chaque trimestre. La part de marché d’Intel était bien supérieure à la part de marché de 59 % que NEC avait envisagée avant la conclusion de l’accord de Santa Clara (voir points 902 et 905 ci-dessus).

1002 Il convient en outre de relever que les données Gartner n’ont pas été calculées en utilisant la même méthodologie que celle convenue dans l’accord de Santa Clara. Ainsi, la méthode de calcul convenue entre Intel et NEC tenait également compte des stocks.

1003 La Commission souligne à juste titre que, au point 458 de sa réponse à la communication des griefs de 2007, Intel a relevé, en ce qui concerne les données Gartner concernant NECCI pour le quatrième trimestre de 2002, que « NECCI [avait] également fourni des données complémentaires à NEC Japan, qui indiquaient que les données Gartner ne reflétaient pas avec précision l’usage par NECCI de [CPU] Intel au cours du trimestre ». Intel a relevé, au point 456 de sa réponse à la communication des griefs de 2007, que, selon les données Gartner, NECCI avait seulement acheté 61 % de ses CPU auprès d’Intel au quatrième trimestre de 2002. Néanmoins, NECCI a pu convaincre Intel qu’elle avait respecté l’exigence d’une part de marché d’Intel de 70 %, ainsi qu’il résulte d’un courriel interne de NEC du 7 février 2003, résumant le résultat de discussions entre des représentants d’Intel Japon et de NEC. Ce courriel, cité dans la note en bas de page 632 de la décision attaquée (n° 625 dans la version publique), indique concernant le quatrième trimestre de 2002 : « En utilisant les données que M. [N5] m’a envoyées hier, j’ai expliqué que NECCI parvenait à une part supérieure à 70 % pour Intel et ils ont compris la situation. » Il résulte de ce qui précède que la perception d’Intel à l’époque des faits était que les données Gartner n’indiquaient pas de manière exacte ses parts de marché auprès de NECCI.

1004 La requérante fait valoir que l’effet des changements en ce qui concerne les stocks ne peut aboutir à une sous-estimation à long terme de sa part de marché. Il n’en reste pas moins que les données Gartner n’ont pas été calculées en suivant la même méthodologie que celle convenue dans l’accord de Santa Clara, de sorte qu’Intel ne pouvait pas se fier à ces seules données afin de vérifier le respect de la condition relative au MSS. Les chiffres indiqués dans les données Gartner étant relativement proches de ceux convenus, la requérante n’est pas en mesure d’apporter la preuve qu’elle était consciente à l’époque d’une violation constante et considérable par NEC de la condition relative au MSS en s’appuyant sur ces seules données.

1005 La requérante s’appuie en outre sur une présentation de NECCI intitulée « Aperçu des CPU » qui montrerait que la part d’Intel dans les besoins en CPU de NECCI n’a atteint ou dépassé 70 % que pendant quatre des dix premiers trimestres en question, plongeant même jusqu’à 63,7 %. À cet égard, il y a lieu de souligner qu’une présentation interne de NECCI ne saurait démontrer qu’Intel était au courant du non-respect de la condition tenant aux parts de marché, ni que NEC savait qu’Intel en était au courant. Il convient de rappeler que NECCI a déclaré dans sa réponse au titre de l’article 18 de 2005 que, à partir du deuxième trimestre de 2004, elle n’était parfois pas parvenue à atteindre le seuil requis, mais que cela n’avait jamais été souligné auprès d’Intel (voir points 954 et 958 ci-dessus). Par ailleurs, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 495 de la décision attaquée, il résulte d’un courriel interne de NECCI du 4 décembre 2002 que, dans les chiffres qu’elle venait de communiquer au Japon, NECCI avait réduit de quelques milliers le nombre de CPU qu’elle affirmait avoir achetés auprès d’AMD.

1006 En outre, ainsi que la Commission le souligne, au point 276 de la duplique, pour le deuxième trimestre de 2003, la part de marché calculée dans la présentation « Aperçu des CPU » était de 63,8 %, alors que la part de marché communiquée à Intel s’élevait à 71,4 %.

1007 Les autres documents que la requérante cite, au point 430 de la requête, à savoir des courriels internes de NEC (annexes A.67 et A.68 de la requête), une présentation de NECCI à AMD ainsi que la réponse de NECCI au titre de l’article 18 de 2005, ne sont pas non plus des documents dont Intel avait connaissance à l’époque des faits.

1008 Ainsi que la Commission le relève au point 272 de la duplique, la requérante aurait pu s’appuyer sur les données que NEC lui avait communiquées en ce qui concernait sa part de marché au cours de la période concernée. Le Tribunal a interrogé la requérante à cet égard lors de l’audience et lui a notamment demandé quelles étaient les données relatives aux parts de marché communiquées par NEC et par NECCI.

1009 En réponse à cette question, la requérante s’est limitée à indiquer que les données Gartner étaient le standard utilisé dans l’industrie, qu’Intel savait qu’elles étaient fiables et que, à supposer même que NECCI ait communiqué des chiffres au-dessus des seuils de parts de marché alors que les données Gartner indiquaient des chiffres en dessous de ces seuils, Intel aurait dû être méfiante et réagir.

1010 Pourtant, ainsi qu’il résulte des points 1002 à 1004 ci-dessus, les seules données Gartner ne suffisent pas à apporter la preuve que la requérante était, à l’époque des faits, consciente d’une violation constante et considérable par NEC de la condition relative au MSS.

1011 La requérante s’appuie également sur une analyse qu’elle a préparée à la mi-2005 et qui constitue, selon elle, le seul élément de preuve de sa perception de sa part de marché auprès de NECCI à l’époque des faits. Il résulterait de ce document qu’Intel estimait que sa part dans les activités de NECCI en Europe se situait à environ 60 % seulement au cours de la période allant de 2003 au premier semestre de 2005.

1012 À cet égard, la Commission souligne à juste titre que ce document ne concerne que la part européenne des activités de NECCI. Pourtant, Intel et NEC étaient convenues d’une méthode de calcul dans laquelle la branche de la région APAC de NEC serait prise en considération dans les ventes de NECCI. La branche de la région APAC n’utilisant que des CPU Intel, son inclusion dans le calcul augmentait la part de marché d’Intel par rapport aux seules activités européennes de NECCI. Il était donc évident pour Intel que son estimation concernant sa part de marché chez NECCI seulement en Europe ne lui permettait pas d’évaluer si NECCI avait respecté la condition d’un MSS de 70 %, car Intel avait connaissance de la méthode de calcul convenue entre elle-même et NEC.

1013 En l’espèce, Intel n’a pas démontré que, à partir d’un certain moment, il n’existait plus d’incitation pour NEC à s’approvisionner auprès d’elle pour la plupart de ses besoins en CPU x86. Au contraire, il résulte de la réponse de NECCI au titre de l’article 18 de 2005 que, quand elle n’a pas atteint la part de marché requise, elle a essayé de le cacher à Intel (voir points 954 et 958 ci-dessus). NECCI n’aurait eu aucune raison de le faire si elle avait estimé que, à partir d’un certain moment, le montant des rabais accordés ne dépendait plus du respect de la condition relative au MSS.

1014 Il résulte de tout ce qui précède qu’Intel n’a pas apporté la preuve de ce que, à partir d’un certain moment, la perspective d’une perte disproportionnée de rabais n’a plus été crédible.

 4) Sur la conduite des affaires d’Intel préalablement à l’adoption de l’accord de Santa Clara ainsi qu’à l’égard d’un autre OEM

1015 La requérante estime que la conclusion de la Commission concernant la conditionnalité des rabais accordés par Intel est contredite à la fois par la conduite de ses affaires à l’égard de NEC préalablement à l’adoption de l’accord de Santa Clara et par la conduite de ses affaires à l’égard d’autres OEM qui ont transféré des quantités substantielles de leurs achats à AMD. NEC aurait bénéficié de rabais considérables de la part d’Intel de façon continue pendant la période allant de 2001 au premier semestre de 2002, la Commission ayant allégué en ce qui concernait cette période, au considérant 454 de la décision attaquée, que « NEC avait décidé d’intégrer plus activement des CPU x86 d’AMD dans sa gamme de PC clients ». De même, les rabais alloués par Intel à Acer auraient augmenté, alors que la part d’Intel dans les achats d’Acer aurait diminué dans des proportions spectaculaires.

1016 À cet égard, il y a lieu de relever que le fait que la requérante ait accordé des rabais considérables à NEC pendant une période durant laquelle cette dernière a augmenté le niveau de ses achats auprès d’AMD, avant la conclusion de l’accord de Santa Clara, est sans pertinence en ce qui concerne le constat de la conditionnalité des rabais accordés par Intel. En effet, l’absence de sanctions pour des achats effectués auprès d’un concurrent, avant la conclusion d’un accord prévoyant une condition de quasi-exclusivité, ne signifie pas que, après la conclusion de cet accord, NEC ne devait pas craindre qu’une violation de cette condition soit pénalisée.

1017 Est également sans pertinence la circonstance que la requérante ait augmenté les rabais accordés à Acer pendant une période durant laquelle ses achats auprès d’AMD ont augmenté. En effet, la décision attaquée ne fait pas état de l’existence de rabais d’exclusivité à propos d’Acer, mais uniquement d’une restriction non déguisée à propos du report de lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU Athlon 64 d’AMD (voir également point 1360 ci-après).

1018 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a démontré à suffisance de droit que la requérante avait commis une infraction à l’article 82 CE en accordant des rabais d’exclusivité à NEC entre octobre 2002 et novembre 2005.

c)     Analyse de la capacité des rabais de restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

1019 Il convient de rappeler que, afin de constater l’illégalité des rabais d’exclusivité, la Commission n’est pas tenue de procéder à une analyse de la capacité de ces pratiques de restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce (voir points 80 à 94 ci-dessus).

1020 À titre surabondant, il convient de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a établi la capacité des rabais d’exclusivité accordés à NEC de restreindre la concurrence également selon une analyse des circonstances de l’espèce.

1021 À cet égard, il y a lieu de rappeler de manière générale que le fait que les rabais conditionnels octroyés par la requérante à NEC s’inscrivaient dans une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants et le fait que cette stratégie comprenait deux types d’infractions qui se complétaient et se renforçaient mutuellement rendent le comportement de la requérante susceptible de restreindre la concurrence (voir points 181, 184 et 213 ci-dessus).

1022 En outre, il y a lieu de rappeler que les rabais et les paiements conditionnels étaient pour les OEM un élément important à prendre en considération en raison de la forte concurrence sur le marché des OEM et de leurs faibles marges opérationnelles (voir point 179 ci-dessus). De plus, le fait que ces rabais et ces paiements ont effectivement été pris en considération pour des décisions commerciales de leurs bénéficiaires constitue également un élément qui est susceptible de fonder la capacité de ces paiements de restreindre la concurrence (voir points 180 et 212 ci-dessus).

1023 S’agissant plus particulièrement des rabais conditionnels accordés à NEC, il convient de relever ce qui suit.

1024 Les rabais accordés par Intel revêtaient une grande importance pour NEC.

1025 À cet égard, la Commission a relevé, au considérant 976 de la décision attaquée, que, à l’époque, les ventes d’ordinateurs par NEC n’étaient guère rentables, le revenu net après impôts de NECCI étant négatif en 2003.

1026 Il résulte en outre du procès-verbal de la réunion du conseil de surveillance de NECCI du 2 juin 2003, contenu dans le rapport de ce conseil du 27 juin 2003 et cité au considérant 977 de la décision attaquée, que « [l]e montant annuel de 10 millions de [USD] de fonds provenant d’Intel est un élément clé pour réaliser le budget ».

1027 En outre, il a été constaté dans ce procès-verbal, cité au considérant 978 de la décision attaquée, que :

« M. [N4] mentionne que, outre la question des fonds, Intel n’est pas concurrentielle et il propose par conséquent de se tourner vers AMD si Intel ne respecte pas son engagement. M. [N6] mentionne qu’une décision de NECCI de se tourner vers AMD aurait des conséquences pour tout le groupe NEC. »

1028 Il résulte de ce procès-verbal que ces déclarations ont été faites dans le contexte d’une discussion concernant le paiement du rabais de 2,4 millions de USD pour le deuxième trimestre de 2003 qui, selon ledit procès-verbal, était « subordonné à l’achat de 205 000 CPU par NECCI », donc dans le contexte d’une discussion concernant le paiement d’un rabais qui était en réalité subordonné au respect du MSS convenu, car ce MSS avait été converti en un volume (voir points 920 et 921 ci-dessus).

1029 Les rabais conditionnels accordés par Intel étaient donc capables d’inciter NEC à limiter ses achats chez AMD et donc de restreindre la liberté de NEC de choisir son fournisseur sur la seule base d’une concurrence par les mérites. Par ailleurs, il résulte du procès-verbal de la réunion du conseil de surveillance de NECCI, cité au point 1027 ci-dessus, que les rabais conditionnels accordés par Intel ont été un facteur qui a été pris en considération par NEC dans le cadre de ses décisions commerciales.

1030 Par ailleurs, le courriel interne de M. N1, de NECCI, cité au point 908 ci-dessus, confirme que l’engagement pris en vertu des accords de Santa Clara est un facteur qui a été pris en considération par NECCI dans ses décisions commerciales.

1031 Dans ces circonstances, il convient de relever qu’il est prouvé que les rabais d’exclusivité accordés à NEC ont effectivement eu la capacité de limiter la liberté de choix de cette dernière et donc de rendre au moins plus difficile l’accès au marché pour AMD.

d)     Conclusion

1032 Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter la totalité des griefs invoqués par la requérante relatifs aux rabais d’exclusivité accordés à NEC.

4.     Lenovo

1033 Selon l’article 1er, sous h), de la décision attaquée, Intel a accordé « des paiements à Lenovo entre juin et décembre 2006 à condition que Lenovo retarde et annule finalement le lancement de ses ordinateurs portables équipés de CPU x86 d’AMD ».

1034 En outre, selon l’article 1er, sous d), de la décision attaquée, Intel a accordé « des rabais à Lenovo entre janvier 2007 et décembre 2007 dont le niveau était conditionné au fait que Lenovo achetât la totalité des CPU x86 destinés à ses ordinateurs portables auprès d’Intel ».

1035 Aux considérants 505 à 512 et 579 de la décision attaquée, la Commission expose, en substance, qu’en 2005 et au début de l’année 2006 Lenovo a rencontré des problèmes dans sa relation avec Intel. En même temps, Lenovo aurait également fait l’expérience de la demande du marché pour des ordinateurs portables équipés de CPU AMD. Au vu du manque de fiabilité des approvisionnements d’Intel et du fait que certains cadres estimaient que la combinaison du prix et de la performance favorisait à certains moments AMD par rapport à Intel, Lenovo aurait envisagé d’adopter une stratégie de double fournisseur pour son segment des ordinateurs portables. Par conséquent, Lenovo et AMD seraient convenues que Lenovo introduirait au moins deux modèles d’ordinateurs portables équipés des CPU AMD en 2006, dénommés « Snowboard 1.2 » et « Triathlon ». Selon la décision attaquée, les deux modèles devaient être lancés, d’abord en Chine, en juin 2006, et ensuite sur le plan mondial, en septembre ou en octobre 2006. Il convient d’observer que, pour le marché chinois, les deux modèles étaient dénommés « Xuri » et « Turin ».

1036 Aux considérants 513 à 518 de la décision attaquée, la Commission expose, en substance, que Lenovo envisageait de transformer sa relation de type transactionnel avec AMD en une alliance stratégique. Selon la décision attaquée, les détails de cette coopération entre AMD et Lenovo ont été présentés dans un document intitulé « Énoncé des travaux » (Statement of Work, ci-après le « SOW ») qui a été finalisé entre la mi-mars et le début du mois d’avril 2006. L’accord sur le lancement des deux modèles d’ordinateurs portables aurait été inclus dans le SOW. Selon la décision attaquée, Lenovo s’inquiétait beaucoup de la réaction d’Intel à cette coopération et craignait une réaction négative d’Intel découlant de l’utilisation croissante d’AMD. En dépit de ces craintes, Lenovo aurait, dans un premier temps, maintenu son projet de double approvisionnement.

1037 Aux considérants 519, 520 à 523, 579 et 1663 de la décision attaquée, la Commission expose, en substance, que, dans le contexte des négociations avec Intel portant sur un support financier augmenté, une première décision de report a été prise par Lenovo au début du mois d’avril 2006, le lancement des ordinateurs portables à CPU AMD pour la Chine ayant alors été reporté de juin 2006 à septembre ou octobre 2006, de façon à coïncider avec le lancement mondial de ces ordinateurs.

1038 Aux considérants 524 à 533, 579 et 1663 de la décision attaquée, la Commission expose, en substance, que, en juin 2006, une seconde décision de report a été prise, par laquelle le lancement mondial des ordinateurs portables à CPU AMD, y compris en Chine, a été reporté de septembre ou octobre 2006 à janvier 2007. Cette décision aurait résulté d’un accord passé entre Intel et Lenovo qui aurait été soumis à la condition que le lancement des ordinateurs portables à CPU AMD fût reporté.

1039 Aux considérants 534 à 546 et 579 de la décision attaquée, la Commission expose, en substance, qu’en décembre 2006 Lenovo aurait finalement accepté d’entrer dans une relation stratégique avec Intel par la négociation d’une déclaration d’intention (Memorandum of Understanding, ci-après le « MoU 2007 »), signée par Lenovo et par Intel respectivement le 30 décembre 2006 et le 15 janvier 2007.

1040 Les parties prévoyaient dans le MoU 2007 de manière expresse que Lenovo achèterait à Intel 9 millions de CPU pour ordinateurs de bureau et 8 millions de CPU pour ordinateurs portables en 2007, soit un total de 17 millions de CPU. Le montant des rabais prévus à cet égard s’élevait, selon la décision attaquée, à 180 millions de USD. Selon le considérant 540 de la décision attaquée, une condition non écrite du MoU 2007 était que Lenovo accorde l’exclusivité à Intel dans le segment des ordinateurs portables. Cela aurait impliqué que Lenovo annule le lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD, déjà reporté à deux reprises, mais qui était toujours à l’ordre du jour.

1041 Aux considérants 547 et 548 de la décision attaquée, la Commission expose, en substance, que Lenovo s’est efforcée de dissimuler les raisons de l’annulation du lancement des modèles d’ordinateurs équipés de CPU AMD et l’accord d’exclusivité.

1042 Il découle de l’article 1er, sous h), du dispositif de la décision attaquée ainsi que de son considérant 1681, paragraphe 3, que ladite décision n’établit pas d’infraction à l’article 82 CE concernant le report du lancement des ordinateurs portables équipés de CPU AMD en Chine (voir point 1037 ci-dessus). La Commission a expliqué dans son mémoire en défense que les circonstances relatives à ce report étaient mentionnées dans la décision attaquée afin d’illustrer le contexte du report ultérieur concernant le marché mondial (voir point 1038 ci-dessus). Par conséquent, il n’y a pas lieu de se prononcer sur les arguments de la requérante relatifs au report concernant le marché chinois. En effet, à supposer même que la requérante réussisse à réfuter les éléments de preuve retenus dans la décision attaquée relatifs au report concernant le marché chinois, cela ne réfuterait pas les éléments retenus dans ladite décision relatifs au report du lancement concernant le marché mondial. Par la suite, il convient donc d’examiner la légalité de ladite décision en ce qui concerne, en premier lieu, les constats relatifs au report concernant le marché mondial et, en second lieu, les constats relatifs à l’existence d’une condition d’exclusivité.

a)     Sur les constats relatifs au report concernant le marché mondial

 1) Appréciation des éléments de preuve présentés dans la décision attaquée

1043 Afin de prouver qu’Intel a accordé des paiements à Lenovo entre juin et décembre 2006, subordonnés au report et, finalement, à l’annulation par Lenovo du lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD, la décision attaquée se fonde notamment sur les éléments de preuve suivants :

–        un courriel de M. L2 du 27 juin 2006 ;

–        un courriel de M. L3 du 28 juin 2006 ;

–        une présentation interne de Lenovo en préparation d’une réunion avec Intel le 29 juin 2006 ;

–        un courriel de M. L4 du 6 juillet 2006 ;

–        un courriel de M. L5 du 12 juillet 2006.

1044 Il convient donc de présenter le contenu de ces éléments de preuve et d’en examiner la valeur probante.

 1.1) Sur le contenu

1045 Selon le considérant 527 de la décision attaquée, dans un courriel du 27 juin 2006, M. L2, [confidentiel], signalait à Mme L6, [confidentiel] de Lenovo, ce qui suit :

« [M. L5] et moi-même avons eu un dîner avec [M. I8], le [confidentiel], ce soir […]. Lorsque nous avons demandé à Intel quel niveau de soutien nous obtiendrions sur les [ordinateurs portables] au cours du prochain trimestre, [il] nous a dit […] que le marché [était] basé sur notre hypothèse de ne pas lancer la plate-forme [d’ordinateurs portables AMD]. […] [L]e marché avec Intel ne nous permettra pas de lancer AMD. »

1046 Selon le considérant 527 de la décision attaquée, dans un courriel du 28 juin 2006, M. L3, [confidentiel] de Lenovo, a écrit à M. L7, également [confidentiel] de Lenovo, et à d’autres cadres de Lenovo Chine ce qui suit : « Comme vous le savez, je suis en train de négocier un marché spécial avec Intel. En résumé, Intel nous a fait une offre très attrayante que nous finirons par accepter. Notre part de ce marché est que nous allons attribuer tout le marché d’expéditions pour le reste de cette année civile à Intel. En échange, Intel nous accordera un marché spécial à la fois pour la Chine et pour [le monde entier]. Le marché a une valeur de plusieurs millions de [USD] […] Nous devons commencer à ramener notre responsabilité relative au programme AMD […] au nombre le plus petit possible […] [n]ous devons commencer à ajuster notre planification pour les produits AMD […]. Nous remettons [notre stratégie de double fournisseur] à un lancement au cours du premier trimestre civil de 2007. »

1047 Selon le considérant 528 de la décision attaquée, le courriel de M. L3 du 28 juin 2006 implique que la décision sur le report avait déjà été prise ou a été prise le 28 juin 2006. Cela aurait probablement été confirmé de manière formelle à Intel le 29 juin 2006 lors d’une réunion entre Lenovo et Intel. Une présentation interne de Lenovo préparant une réunion avec Intel le 29 juin 2006 indiquerait, à la page 3, ce qui suit :

« Intel a fait une proposition agressive pour le marché d’ordinateurs portables de Lenovo de 2006 qui rend $ […] M brut ($ […] M […]) support pour la deuxième moitié de 06 […] Plan => D’accord pour attribuer toutes nos affaires à Intel dans le domaine des ordinateurs portables en 2006 […] Attribuer le marché des ordinateurs portables Xuri et Lenovo 3000 à Intel pour 2006. »

1048 Selon le considérant 533 de la décision attaquée, dans un courriel du 6 juillet 2006, M. L4, [confidentiel], a demandé à M. L8, [confidentiel], ce qui suit :

« Quand pourrai-je obtenir plus d’informations me permettant de comprendre comment je peux utiliser les fonds supplémentaires que vous obtiendrez d’Intel en raison de notre décision de reporter le lancement de l’[ordinateur portable d’]AMD […] ? »

1049 Selon le considérant 533 de la décision attaquée, dans un courriel du 12 juillet 2006, M. L5, [confidentiel] de Lenovo, a expliqué à un cadre de Lenovo ce qui suit :

« [E]n plus des 3,4 [millions de USD prix vente autorisé forfaitaire] pour le Xuri, Intel Chine a également promis 8 [millions de USD prix vente autorisé forfaitaire] à [Lenovo Chine] pour les trimestres civils Q3-Q4 en récompense pour le report de la planification des [ordinateurs portables AMD] et pour un plus grand engagement en volume pour les [CPU destinés aux ordinateurs portables]. »

 1.2) Sur la valeur probante


 i) Sur l’argument tiré de ce que les paiements accordés à Lenovo constituaient simplement un effort visant à remporter des commandes à risque

1050 La requérante avance, en substance, que les éléments de preuve retenus dans la décision attaquée ne démontrent pas que les paiements accordés à Lenovo étaient soumis au report ou à l’annulation des deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD. Les paiements accordés à Lenovo auraient simplement constitué un effort visant à remporter des commandes à risque. Lenovo aurait organisé un appel d’offres pour les deux modèles d’ordinateurs en cause qu’Intel aurait gagné. Selon elle, le fait que les commandes qui ont été attribuées à Intel n’ont pas pu être attribuées également à AMD est une conséquence tout à fait normale du fait qu’Intel a gagné cet appel d’offres.

1051 À cet égard, force est de constater que la requérante ne saurait remettre en cause les conclusions de la décision attaquée en faisant valoir que les paiements accordés à Lenovo constituaient simplement un effort visant à remporter des commandes à risque. Il est vrai que, en principe, il ne saurait être reproché à une entreprise en position dominante de soumettre des offres concurrentielles à un client tant que ces offres ne constituent pas un comportement étranger à la concurrence par les mérites. Toutefois, une offre ne relève plus du champ de la concurrence par les mérites lorsque, au lieu de se borner à promouvoir les propres ventes de l’entreprise en position dominante, elle vise directement à restreindre la commercialisation des produits d’un concurrent (voir points 201 à 206 ci-dessus). Tel est le cas des offres qui soumettent l’octroi de paiements non seulement à la condition que des commandes soient attribuées à l’entreprise dominante, mais, en plus, à la condition que le client renonce à lancer des produits déterminés équipés de composants produits par un concurrent.

1052 Dans le cas d’espèce, il ressort des éléments de preuve retenus dans la décision attaquée que l’offre soumise à Lenovo par la requérante dépendait de la condition que Lenovo ne lançât pas les plates-formes d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD qu’elle avait envisagé de lancer en 2006, à savoir le « Snowboard 1.2 » et le « Triathlon ».

1053 En premier lieu, selon le courriel de M. L2 du 27 juin 2006, le [confidentiel] a signalé à Lenovo que le marché entre Intel et Lenovo était fondé sur l’hypothèse selon laquelle Lenovo ne lancerait pas la plate-forme d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD (voir point 1045 ci-dessus). Dans le courriel du 6 juillet 2006, M. L4 faisait référence aux fonds supplémentaires qui seraient obtenus en raison de la décision de Lenovo de reporter le lancement de l’ordinateur portable équipé de CPU AMD (voir point 1048 ci-dessus). Selon le courriel de M. L5 du 12 juillet 2006, Intel Chine a promis 8 millions de USD à Lenovo Chine comme récompense pour le report de la planification des ordinateurs portables équipés de CPU AMD (voir point 1049 ci-dessus). Ces trois courriels impliquent donc de manière directe que l’accord entre la requérante et Lenovo était conclu non seulement à la condition que Lenovo attribuât des commandes de CPU à la requérante, mais également à la condition que Lenovo s’abstînt de lancer les plates-formes d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD qu’elle avait envisagé de lancer en 2006.

1054 En second lieu, le courriel de M. L3 du 28 juin 2006 ainsi que la présentation en préparation de la réunion du 29 juin 2006 impliquent que l’accord entre la requérante et Lenovo était conclu à la condition que Lenovo attribuât l’intégralité de ses commandes pour le reste de l’année 2006 à la requérante, comme l’indiquent les termes suivants en ce qui concerne le courriel susmentionné : « Notre part de ce marché est que nous allons attribuer tout le marché d’expéditions pour le reste de cette année civile à Intel » (voir point 1046 ci-dessus). De même, la présentation en préparation de la réunion du 29 juin 2006 indique ce qui suit : « Plan => D’accord pour attribuer toutes nos affaires à Intel dans le domaine des ordinateurs portables en 2006 » (voir point 1047 ci-dessus). La condition suivant laquelle Lenovo attribuerait l’intégralité de ses commandes pour le reste de l’année 2006 à la requérante impliquait en même temps que Lenovo devait s’abstenir de lancer les plates-formes d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD qu’elle avait envisagé de lancer en 2006. Les courriels de M. L3 du 28 juin 2006 ainsi que la présentation en préparation de la réunion du 29 juin 2006 impliquent donc que l’accord entre la requérante et Lenovo était conclu non seulement à la condition que Lenovo attribuât des commandes de CPU à la requérante, mais également à la condition que Lenovo s’abstînt de lancer les plates-formes d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD qu’elle avait envisagé de lancer en 2006.

1055 Certes, en ce qui concerne le courriel de M. L3 du 28 juin 2006 (voir point 1046 ci-dessus), la requérante a fait valoir, lors de l’audience, que la décision attaquée omet d’indiquer que, dans ce courriel, M. L3 a également écrit ce qui suit : « Nous ne changeons pas notre stratégie de double fournisseur pour AMD. » Toutefois, ce passage ne remet pas en cause les conclusions de la décision attaquée selon lesquelles les paiements d’Intel étaient accordés à la condition que Lenovo ne lançât pas d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006. En effet, lu dans son contexte, le passage en cause indique ce qui suit : « Nous ne changeons pas notre stratégie de double fournisseur pour AMD. Nous la remettons à un lancement au cours du premier trimestre civil de 2007. » Ainsi, le courriel de M. L3 indique que, en 2006, Lenovo n’envisageait toujours pas d’abandonner complètement son plan d’une stratégie de double fournisseur, mais qu’elle devait quand même le reporter au début de 2007 en raison de l’accord conclu avec Intel. Cela confirme les constatations de la décision attaquée. Le passage invoqué par la requérante n’implique cependant pas que Lenovo s’attendait à pouvoir mettre en œuvre sa stratégie de double fournisseur et profiter de l’accord avec Intel en même temps.

1056 Il s’ensuit que, en vertu des éléments de preuve susmentionnés, le fait que Lenovo ait renoncé au lancement des deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD qu’elle avait envisagé de lancer en 2006 n’était pas seulement une conséquence indirecte de l’accord conclu avec la requérante, mais plutôt une condition directe de cet accord.

 ii) Sur l’argument tiré de ce que les courriels de MM. L2 et L5 du 27 juin 2006 et du 12 juillet 2006 reflètent le point de vue de personnes qui n’ont pas pris part aux négociations pertinentes entre Lenovo et Intel

1057 La requérante affirme que les courriels de MM. L2 et L5 du 27 juin 2006 et du 12 juillet 2006 reflètent le point de vue de personnes qui n’ont pas pris part aux négociations pertinentes entre Lenovo et Intel.

1058 S’agissant, en premier lieu, du courriel de M. L2 du 27 juin 2006 (voir point 1045 ci-dessus), il convient d’exposer le contexte des extraits de ce courriel qui ont été présentés dans la décision attaquée. M. L2 a écrit ce qui suit :

« [M. I8] [confidentiel] nous a dit […] que le marché [était] basé sur notre hypothèse de ne pas lancer la plate-forme [d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD]. [M. I8] désirait connaître notre réponse à ce marché. [M. L5] et moi-même ne sommes pas au courant à cet égard, de sorte que nous ne pouvons pas lui donner la moindre réaction. Étant donné que le marché avec Intel ne nous permettra pas de lancer AMD et que nous savons tous que le lancement des ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD est prévu. Je voudrais avoir votre instruction sur ce qui est notre décision. »

1059 Le courriel démontre donc que M. L2 ne spéculait pas simplement sur les détails de l’offre d’Intel, mais qu’il a transmis des informations qu’il avait reçues directement du [confidentiel]. Contrairement à ce qu’allègue la requérante, le seul fait que M. L2 a écrit que « [M. L5] et moi-même ne sommes pas au courant à cet égard » ne prive pas ce courriel de sa valeur probante. S’il est vrai que M. L2 a écrit que M. L5 et lui-même n’étaient pas au courant de la réponse de Lenovo à l’offre d’Intel, cela n’implique toutefois pas que MM. L2 et L5 n’étaient pas au courant de l’offre d’Intel et de la condition suivant laquelle un modèle d’ordinateur portable équipé de CPU AMD ne devait pas être lancé.

1060 Pour ce qui concerne, en second lieu, le courriel de M. L5 du 12 juillet 2006, qui faisait état d’un prix de vente autorisé forfaitaire de 8 millions de USD qu’Intel Chine s’était engagée à verser en récompense pour le report de la planification des ordinateurs portables AMD (voir point 1049 ci-dessus), la Commission relève, à bon droit, que M. L5 était le [confidentiel] de Lenovo. Il est permis de conclure que, en tant que tel, M. L5 était bien informé de tous les accords entre Intel Chine et Lenovo Chine.

1061 La requérante avance à cet égard que la décision attaquée n’a pas constaté qu’un prix de vente autorisé forfaitaire de 8 millions de USD faisait partie de la proposition d’alignement sur la concurrence d’Intel. Cet argument ne saurait convaincre. Le fait que la Commission s’est appuyée sur le courriel de M. L5 du 12 juillet 2006 pour démontrer que les paiements d’Intel étaient soumis à la condition que Lenovo reportât le lancement des ordinateurs portables équipés de CPU AMD implique que, dans la décision attaquée, la Commission a, à suffisance de droit, qualifié le prix vente autorisé forfaitaire de 8 millions de USD comme un élément de la restriction non déguisée. En outre, il convient d’observer que, au cours de la procédure administrative, la requérante a elle-même admis, dans le rapport économique complémentaire élaboré par MM. les professeurs P1 et P2, qu’une somme de 8 millions de dollars faisait partie de l’offre d’Intel d’alignement sur la concurrence. Enfin, il y a lieu de constater que la requérante n’a pas démontré que le courriel de M. L5 est incorrect dans la mesure où il mentionne cette somme comme récompense pour le report de la planification des ordinateurs portables équipés de CPU AMD. En conséquence, l’argumentation de la requérante ne saurait affaiblir la valeur probante de ce courriel.

1062 En outre, il convient d’observer que la valeur probante des courriels de MM. L2 et L5 du 27 juin 2006 et du 12 juillet 2006 est confirmée par les courriels de MM. L4 et L3 (voir points 1046 et 1048 ci-dessus). La requérante elle-même décrit M. L3 comme l’un des cadres dirigeants de Lenovo personnellement impliqués dans les négociations avec AMD et Intel et comme le négociateur en chef de Lenovo avec Intel concernant l’accord relatif aux ordinateurs portables de 2006.

 iii) Conclusion

1063 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a présenté, dans la décision attaquée, un faisceau d’indices suffisant de nature à prouver qu’Intel a accordé des paiements à Lenovo, entre juin et décembre 2006, subordonnés au report par Lenovo du lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD.

 2) Sur les autres arguments de la requérante


 2.1) Sur l’argument tiré de ce que M. L3 a écrit dans un courriel du 26 mai 2006

1064 La requérante avance que, dans un courriel de M. L3 du 26 mai 2006, celui-ci a confirmé à Mme L6 ce qui suit :

« [L]a politique de prix agressive [d’Intel] a été appliquée et continuera à l’être, que nous restions fidèles à Intel ou que nous introduisions AMD. »

1065 Or, la requérante omet de citer le reste du passage pertinent de ce courriel, qui donne une autre orientation à cette déclaration, avec les termes suivants :

« Parallèlement, Intel m’a abordé pour savoir ce qu’elle pourrait faire pour remporter tous nos contrats. […] [Sa] politique de prix agressive a été appliquée et continuera à l’être, que nous restions fidèles à Intel ou que nous introduisions AMD. Ce qu’Intel va nous proposer, ce sont des paiements au titre des MDF pour les deux prochains trimestres, avec l’intention de rendre inutile pour nous l’introduction d’un [CPU] concurrent dans notre gamme de produits, que ce soit en Chine ou dans [le reste du monde]. »

1066 La lecture de l’intégralité du passage pertinent de ce courriel indique qu’en mai 2006, soit un mois avant que Lenovo et Intel ne se mettent d’accord sur le second report, Intel était disposée à proposer à Lenovo une « politique de prix agressive » qui, selon M. L3, ne dépendait pas de l’introduction ou non de CPU AMD par Lenovo et, par ailleurs, d’autres paiements au titre des MDF. Toutefois, M. L3 n’incluait pas ces paiements au titre de son fonds de développement du marché dans la « politique de prix agressive » qui « a été appliquée et continuera à l’être, que [Lenovo reste fidèle] à Intel ou [qu’elle introduise des CPU] AMD ». Au contraire, il est clair que M. L3 croyait que les intentions d’Intel en matière de politique de prix constituaient une question distincte des paiements au titre des MDF. Selon M. L3, Intel allait attribuer les paiements au titre des MDF « avec l’intention de rendre inutile pour [Lenovo] l’introduction d’un [CPU] concurrent dans [sa] gamme de produits, que ce soit en Chine ou dans [le reste du monde] ». En outre, M. L3 a écrit qu’Intel l’avait abordé pour savoir ce qu’elle pourrait faire pour remporter « tous [les] contrats » de Lenovo. Contrairement à ce que prétend la requérante, le courriel de M. L3 du 26 mai confirme donc les éléments de preuve retenus dans la décision attaquée dès lors qu’il démontre sans équivoque qu’Intel envisageait de proposer à Lenovo des paiements supplémentaires avec l’intention que Lenovo n’introduise pas d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD.

1067 Cette interprétation du courriel de M. L3 du 26 mai est confirmée par son courriel suivant, en date du 28 juin 2006 (voir points 1046, 1054 et 1055 ci-dessus), dans lequel il décrit les conditions du « marché spécial » dans le cadre duquel Lenovo devait « attribuer toutes les expéditions pour le reste de cette année civile à Intel ».

 2.2) Sur la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003

1068 La requérante soutient que la réponse de Lenovo, en date du 27 novembre 2007, à une demande de renseignements de la Commission au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003 (ci-après la « réponse de Lenovo au titre de l’article 18 ») contredit catégoriquement la position de la Commission. Au considérant 573 de la décision attaquée, la Commission aurait, à tort, rejeté les observations formulées par Lenovo au motif que cette réponse était incomplète et, à tout le moins dans une certaine mesure, inexacte.

1069 Dans sa réponse au titre de l’article 18, Lenovo a déclaré en réponse à la question n° 6 : « Les paiements d’Intel à Lenovo n’étaient pas soumis à une condition d’approvisionnement limité/de report/d’abandon d’AMD. » En réponse à la question n° 5, Lenovo a expliqué les raisons de l’abandon de ses projets de lancer des ordinateurs portables équipés de CPU AMD comme suit :

« [... N]ous avons expliqué les raisons commerciales sous-jacentes aux projets de lancement d’ordinateurs portables équipés de [CPU] AMD. Plusieurs raisons se sont cumulées pour justifier que ces projets n’ont pas été menés à leur terme. Premièrement, Lenovo devait réduire la complexité de ses activités et rationaliser sa chaîne d’approvisionnement, comprimant ainsi ses coûts conformément à ses efforts pour augmenter sa compétitivité. Deuxièmement, les prix d’AMD n’étaient plus aussi compétitifs que par le passé – […] les offres de prix de plus en plus compétitives d’Intel avaient raboté au fil du temps l’avantage de prix d’AMD. Troisièmement, il y avait un sérieux doute quant à la fiabilité d’AMD en tant que fournisseur partenaire. Quatrièmement, il est apparu que les ordinateurs équipés de [CPU] AMD, d’après les projections, ne connaîtraient pas un grand succès et n’avaient pas connu un grand succès auprès des consommateurs dans les segments de marché clés pour Lenovo. D’une manière générale, la stratégie de Lenovo s’est transformée au cours de l’année 2006, passant d’une politique axée sur la sécurité liée à une stratégie de double fournisseur, due à une insatisfaction quant au service et aux prix d’Intel, à un désir de réduire les coûts et de maximiser l’efficacité en se fournissant principalement auprès d’Intel, à la suite d’une amélioration de la fiabilité de la distribution et de la tarification d’Intel. »

1070 Force est de constater que la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 n’est pas crédible pour autant qu’elle déclare expressément que les paiements d’Intel « n’étaient pas soumis à une condition d’approvisionnement limité/de report/d’abandon d’AMD ». En effet, premièrement, cette déclaration est contredite par les éléments de preuve susmentionnés, pour lesquels la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 ne fournit pas d’explication plausible.

1071 En premier lieu, en ce qui concerne le courriel de M. L2 du 27 juin 2006 (voir point 1045 ci-dessus), Lenovo a expliqué que, à l’époque, Intel était en train de faire des efforts intenses pour regagner des commandes de Lenovo et que ce constat devrait être mis en balance avec celui de l’importance stratégique générale qu’il y avait pour Lenovo à maintenir une relation forte avec AMD. Pendant des mois après l’envoi du courriel de M. L2, Lenovo aurait continué à faire des projets détaillés concernant des ordinateurs portables équipés de CPU AMD.

1072 Toutefois, cette déclaration ne saurait expliquer que, selon le courriel de M. L2, le [confidentiel] a signalé à MM. L2 et L5 ce qui suit : « [L]e marché [était] basé sur notre hypothèse de ne pas lancer la plate-forme [d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD] [… L]e marché avec Intel ne nous permettra pas de lancer AMD. » En effet, le fait qu’Intel ait fait des efforts intenses pour regagner des commandes de Lenovo n’explique pas pourquoi Intel a dû fonder son accord avec Lenovo sur l’hypothèse suivant laquelle elle ne lancerait pas les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD. En outre, le seul fait que Lenovo ait considéré qu’il y avait une importance stratégique générale à maintenir une relation forte avec AMD et qu’elle ait continué à faire des projets détaillés concernant des ordinateurs portables équipés de CPU AMD n’exclut pas que l’accord entre Lenovo et la requérante ait été conclu à la condition que Lenovo ne lançât pas de produits équipés de CPU AMD en 2006. En effet, selon la décision attaquée, Lenovo n’a pas d’emblée abandonné complètement ses projets de lancer les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD qu’elle avait envisagé de lancer en 2006. À l’origine, elle a plutôt seulement reporté leur introduction à une date ultérieure. Ce n’est que la conclusion du MoU 2007 à la fin de l’année 2006 qui a finalement entraîné leur annulation totale (voir points 1038 à 1040 ci-dessus).

1073 En deuxième lieu, s’agissant, du courriel de M. L3 du 28 juin 2006 (voir point 1046 ci-dessus), Lenovo a expliqué que la déclaration de M. L3, suivant laquelle « notre part de ce marché est que nous allons attribuer tout le marché d’expéditions pour le reste de cette année civile à Intel », ne devait pas être lue isolément. Selon la réponse de Lenovo au titre de l’article 18, Intel a accordé un marché spécial à Lenovo afin de fournir des CPU pour une gamme particulière de produits. Intel n’aurait pas cherché une exclusivité, mais plutôt à gagner cette gamme particulière de produits. Selon Lenovo, le « résultat pratique » était que, en gagnant, Intel avait toutes les commandes de Lenovo pendant une certaine période.

1074 Toutefois, dans ledit courriel, M. L3 n’a pas décrit le fait que Lenovo allait attribuer tout le marché d’expéditions pour le reste de l’année 2006 à Intel comme un simple « résultat pratique », mais comme « notre part de ce marché », et donc comme une condition que Lenovo devait respecter pour remplir sa part de l’accord conclu avec la requérante. En outre, l’interprétation que donne Lenovo du courriel de M. L3 du 28 juin 2006 dans sa réponse au titre de l’article 18 est contredite par le passage du courriel de M. L3 du 26 mai 2006 selon lequel Intel allait attribuer les paiements au titre des MDF « avec l’intention de rendre inutile pour [Lenovo] l’introduction d’un [CPU] concurrent dans [sa] gamme de produits, que ce soit en Chine ou dans [le reste du monde] » (voir point 1065 ci-dessus). Elle est, par ailleurs, contredite par le courriel de M. L2 du 27 juin 2006, selon lequel le marché avec Intel était fondé « sur notre hypothèse de ne pas lancer la plate-forme [d’ordinateurs portables AMD] » (voir point 1045 ci-dessus), par le courriel de M. L4 du 6 juillet 2006 mentionnant des « fonds supplémentaires […] en raison de notre décision de reporter le lancement de l’[ordinateur portable] d’AMD » (voir point 1048 ci-dessus) et par le courriel de M. L5 du 12 juillet 2006 faisant référence à la « récompense pour le report de la planification des [ordinateurs portables AMD] » (voir point 1049 ci-dessus).

1075 En troisième lieu, en ce qui concerne le courriel de M. L4 du 6 juillet 2006 mentionnant des « fonds supplémentaires […] en raison de notre décision de reporter le lancement de l’[ordinateur portable] d’AMD » (voir point 1048 ci-dessus), la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 expose que M. L4, tout en occupant un poste élevé au sein de Lenovo, n’a pas été intégré dans le processus décisionnel concernant les relations entre Lenovo et Intel ou AMD. En tout état de cause, M. L4 aurait décrit le report du lancement comme procédant de « notre décision » et non pas comme un « accord ». Le courriel daterait, en outre, de la mi-2006, une époque pendant laquelle Lenovo aurait continué de poursuivre sa stratégie de double fournisseur.

1076 Toutefois, aucune des explications de Lenovo concernant le courriel de M. L4 ne prive celui-ci de sa valeur probante concernant le fait que les paiements de la requérante étaient accordés à la condition que Lenovo ne lançât pas les plates-formes d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD qu’elle avait envisagé de lancer en 2006. Le fait que M. L4 n’ait pas été intégré dans le processus décisionnel concernant les relations entre Lenovo et Intel ou AMD n’exclut pas que son courriel reflète de manière correcte les conditions de l’accord conclu entre Intel et Lenovo. En effet, la véracité du contenu du courriel de M. L4 est confirmée en particulier par les courriels de M. L3 du 26 mai et du 28 juin 2006 (voir points 1046 et 1065 ci-dessus). La requérante elle-même décrit M. L3 comme l’un des cadres dirigeants de Lenovo personnellement impliqués dans les négociations avec AMD et Intel et comme le négociateur en chef de Lenovo en ce qui concerne les négociations avec Intel ayant conduit à l’accord relatif aux ordinateurs portables de 2006. Ensuite, pour autant que Lenovo souligne que M. L4 a décrit le report du lancement comme procédant de « notre décision » et non pas comme un « accord » conclu avec Intel, force est de constater que M. L4 a parlé des fonds supplémentaires que Lenovo avait obtenus « en raison » de sa décision de reporter le lancement de l’ordinateur portable d’AMD. Cela démontre le lien conditionnel entre l’octroi de fonds supplémentaires et la décision de Lenovo de reporter le lancement. Enfin, le fait que Lenovo continuait à poursuivre sa stratégie de double fournisseur à la mi-2006 n’exclut pas que l’accord entre Lenovo et la requérante ait été conclu à la condition que Lenovo ne lançât pas de produits équipés de CPU AMD en 2006 (voir point 1072 ci-dessus).

1077 En quatrième lieu, il convient de relever que la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 ne contient pas d’observations sur la présentation interne de Lenovo en préparation de la réunion avec Intel du 29 juin 2006 (voir point 1047 ci-dessus), ni sur le courriel de M. L5 du 12 juillet 2006 (voir point 1049 ci-dessus). Ces deux éléments confirment cependant le fait que l’accord conclu entre Lenovo et la requérante l’a été à la condition que Lenovo ne lançât pas de produits équipés de CPU AMD en 2006 (voir points 1053 et 1054 ci-dessus et 1133 ci-après).

1078 Il résulte des considérations qui précèdent que la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 ne fournit pas d’explication plausible des éléments de preuve retenus dans la décision attaquée pour établir que les paiements d’Intel étaient accordés à la condition que Lenovo ne lançât pas de produits équipés de CPU AMD en 2006. Étant donné que ces éléments de preuve contredisent la déclaration de Lenovo selon laquelle les paiements d’Intel « n’étaient pas soumis à une condition d’approvisionnement limité/de report/d’abandon d’AMD », cette dernière déclaration ne saurait être considérée comme crédible.

1079 Deuxièmement, dans la mesure où la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 met en exergue d’autres motifs commerciaux pour lesquelles Lenovo aurait abandonné son projet de lancer les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006, force est de constater que, pour les raisons mentionnées ci-après, ces motifs ne sont pas non plus susceptibles de remettre en cause la preuve de ce que les paiements de la requérante étaient accordés à la condition que Lenovo ne lançât pas d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006.

1080 En effet, avec ses arguments, Lenovo s’efforce d’expliquer le fait qu’elle a abandonné son projet de lancement de deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006 en évoquant d’autres raisons que l’existence d’une condition correspondante dans l’accord conclu avec la requérante. Or, les arguments de Lenovo relatifs à l’existence de prétendus motifs autonomes expliquant l’abandon de son projet ne concernent pas directement les preuves précises et concordantes susmentionnées, pour lesquels la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 ne contient pas d’explication plausible. Ils se bornent plutôt à les remettre en cause de manière indirecte en formulant une explication alternative en ce qui concerne l’abandon du projet de Lenovo. Une telle contestation indirecte ne saurait remettre en cause la valeur probante des éléments de preuve retenus dans la décision attaquée.

1081 En outre, en fournissant une explication alternative en ce qui concerne l’abandon de son projet de lancement de deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006, Lenovo ne nie pas que les paiements d’Intel étaient accordés à la condition que Lenovo ne lançât pas ces modèles. À supposer même que Lenovo ait abandonné son projet exclusivement pour les raisons invoquées dans la réponse au titre de l’article 18 et non en raison d’une condition prévue à cet égard dans son accord avec Intel, cela ne remettrait pas en cause le fait que les paiements d’Intel étaient accordés à la condition que Lenovo ne lançât pas ces modèles, mais priverait seulement le paiement conditionnel de la requérante de son effet concret sur la décision de Lenovo (voir, en ce qui concerne Dell, les points 540 à 544 ci-dessus).

1082 Bien que, en général, les réponses données au nom d’une entreprise en tant que telle revêtent une valeur probante considérable (voir points 557 et 691 ci-dessus), il résulte de tout ce qui précède que la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 n’est pas crédible, dans la mesure où elle déclare expressément que les paiements d’Intel « n’étaient pas soumis à une condition d’approvisionnement limité/de report/d’abandon d’AMD ». La Commission n’a donc pas commis d’erreur en concluant que la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 était incomplète et, à tout le moins dans une certaine mesure, inexacte. Au contraire, il y a lieu de constater, comme l’a également fait, à juste titre, la Commission au considérant 573 de la décision attaquée, que le caractère incomplet et inexact de la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 confirme la conclusion, exposée plus en détail aux points 1168 à 1171 ci-après, que Lenovo s’efforçait de dissimuler le caractère anticoncurrentiel de sa relation avec Intel.

 2.3) Sur l’argument tiré de ce que la Commission ne peut pas s’appuyer sur les impressions internes d’un client pour établir une infraction à l’article 82 CE

1083 La requérante fait valoir, en substance, que, aux considérants 516 à 517 et 532 de la décision attaquée, la Commission s’est, à tort, appuyée sur l’impression alléguée de Lenovo concernant une perte disproportionnée de remises pour établir l’existence de la restriction non déguisée. Cette approche de la Commission serait contraire aux exigences du principe de sécurité juridique.

1084 Force est de constater que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas fondé sa conclusion concernant l’existence d’une restriction non déguisée sur les constats sur lesquels s’appuie la requérante, mais sur les éléments de preuve exposés aux points 1045 à 1049 ci-dessus.

1085 Certes, les considérants 516 et 517 de la décision attaquée font référence au fait que Lenovo craignait une réaction négative d’Intel à ses plans d’intensification de sa coopération avec AMD. Le considérant 532 porte ainsi sur la valeur de l’offre d’Intel estimée par Lenovo.

1086 Toutefois, ces constatations de la décision attaquée constituent uniquement des informations contextuelles supplémentaires. Elles sont indépendantes de la preuve de la restriction non déguisée.

1087 En tout état de cause, il convient de rappeler que rien ne s’oppose à ce que la Commission s’appuie sur des estimations internes d’un client afin d’établir la preuve d’un comportement propre à une entreprise en position dominante (voir, en ce qui concerne Dell, les points 522 à 525 ci-dessus). À cet égard, les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée afin d’établir l’existence d’une restriction non déguisée démontrent clairement que la condition suivant laquelle Lenovo ne lancerait pas d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006 ne constituait pas seulement une spéculation purement interne de Lenovo, mais que cette condition faisait partie des négociations entre Lenovo et la requérante. En effet, le courriel de M. L2 du 27 juin 2007 implique que M. L2 avait reçu les informations de M. I8, [confidentiel], lors d’un dîner commun (voir point 1045 ci-dessus). M. L3, dans son courriel du 28 juin 2006, a fait référence à une offre attrayante de la part d’Intel (voir point 1046 ci-dessus). La présentation en préparation de la réunion du 29 juin 2006 fait référence à une « proposition agressive d’Intel » (voir point 1047 ci-dessus).

 2.4) Sur l’argument tiré de ce que le fait que Lenovo a continué ses efforts pour lancer des ordinateurs équipés de CPU AMD contredirait les conclusions de la décision attaquée

1088 La requérante fait valoir que, à la fin du premier trimestre de l’année 2006, Intel avait remédié aux défaillances de sa relation avec Lenovo en améliorant son approvisionnement et en diminuant ses prix. Lenovo aurait tenté de conclure un accord sur les prix avec AMD après qu’Intel eût offert de meilleurs prix à Lenovo. Selon la requérante, cette réaction démontre qu’il est impossible que l’offre de prix d’Intel ait été subordonnée à l’abandon par Lenovo de son projet d’approvisionnement auprès d’AMD. Selon la requérante, si l’offre présentée par Intel en mars 2006 était liée à la condition que Lenovo renonçât à AMD, il n’existerait aucune raison cohérente et convaincante expliquant pourquoi Lenovo a continué pendant plusieurs mois, premièrement, à essayer de trouver un accord avec AMD sur les prix qui justifierait le lancement par Lenovo d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD ou, deuxièmement, à se procurer auprès de ses structures commerciales des projections de la demande en ordinateurs portables équipés de CPU AMD à la lumière des nouveaux prix d’Intel.

1089 Toutefois, force est de constater que le fait que Lenovo ait, même après l’offre d’un meilleur prix formulée par Intel, continué à essayer de trouver un accord sur les prix avec AMD et le fait qu’elle ait évalué la demande en ordinateurs portables équipés de CPU AMD à la lumière des nouveaux prix d’Intel ne réfutent pas la conclusion de la décision attaquée selon laquelle la requérante a octroyé des paiements à Lenovo qui étaient liés à la condition que Lenovo ne lançât pas les deux modèles d’ordinateurs équipés de CPU AMD qu’elle avait envisagé de lancer en 2006 (voir points 1072 et 1076 ci-dessus).

 2.5) Sur l’argument tiré de ce que la pratique de la requérante constituerait une pratique courante dans le secteur

1090 La requérante fait valoir que le financement mis en cause dans la décision attaquée entrait dans le cadre de la « concurrence normale » pour la conception des ordinateurs portables « Xuri » et « Turin » de Lenovo et qu’il était conforme à une pratique courante dans le secteur. À cet égard, la requérante s’appuie en particulier sur le fait que le SOW aurait compris une proposition de la part d’AMD pour un financement du développement et du marketing des ordinateurs portables « Xuri » et « Turin » et aurait prévu qu’une partie du financement d’AMD était subordonnée à l’annonce publique du lancement des ordinateurs portables basés sur AMD.

1091 L’argument de la requérante revient donc à soutenir que le fait que des producteurs de CPU octroient des financements aux OEM afin d’inciter ces derniers à produire des ordinateurs équipés de leurs CPU constituerait une pratique courante dans le secteur concerné. Toutefois, il y a lieu de rappeler que le reproche fait à la requérante dans la décision attaquée est d’avoir accordé des paiements à la condition non pas que Lenovo produise des ordinateurs portables équipés de CPU de la requérante, mais que Lenovo ne lance pas d’ordinateurs portables à CPU AMD en 2006. La requérante n’avance aucun argument susceptible de démontrer qu’une telle pratique, qui ne vise pas seulement la promotion de ses propres CPU, mais également la restriction de la commercialisation des CPU concurrents, a également été mise en œuvre par AMD ou qu’une telle pratique est courante dans le secteur. En outre, à supposer même qu’une telle pratique soit courante dans le secteur, la requérante ne pourrait pas se prévaloir de cette circonstance, étant donné qu’en tant qu’entreprise dominante il lui incombe une responsabilité particulière.

 2.6) Sur l’argument tiré de ce que Lenovo aurait décidé d’abandonner les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD pour des raisons indépendantes

1092 La requérante fait valoir que Lenovo a entamé les travaux sur l’achat éventuel de CPU AMD afin de contraindre Intel à baisser ses prix. Elle soutient que, dès lors que la diminution des prix d’Intel faisait disparaître l’avantage en termes de prix d’AMD, l’analyse de l’opportunité pour Lenovo de lancer des ordinateurs portables équipés de CPU AMD devait reposer sur les qualités intrinsèques de l’offre d’AMD et la nécessité commerciale de lancer des systèmes AMD ne s’est pas concrétisée. Selon la requérante, Lenovo a décidé d’abandonner le lancement de systèmes AMD pour des raisons indépendantes qui se rapportaient à l’absence d’avantage de prix significatif entre les CPU AMD et ceux d’Intel et à l’absence de demande sur le marché pour les systèmes AMD à des prix haut de gamme.

1093 À l’appui de cet argument, la requérante invoque, en particulier, les éléments de preuve suivants.

1094 En premier lieu, la requérante s’appuie sur un extrait d’un compte rendu interne d’Intel d’une réunion qui s’est tenue entre Intel et Lenovo le 27 avril 2006 dont les termes sont les suivants :

« Lenovo est extrêmement intéressée à faire d’Intel son principal partenaire [pour les ordinateurs portables] et elle recourt à AMD uniquement pour se protéger d’éventuels problèmes de distribution et de prix avec Intel. Selon [M. L3] : ‘Je n’ai pas envie d’utiliser d’autres fournisseurs de CPU. Il est possible que je préfère m’adresser à d’autres fournisseurs de composants sans fil ou de chipsets pour certains produits, mais le recours à d’autres fournisseurs de CPU engendrerait une complexité et un coût inutiles.’ [M. L8] nous a assuré qu’il veillerait à permettre à Intel d’entrer en concurrence pour la totalité des besoins de Lenovo, mais Intel doit décider s’il se contente de 95 % ou s’il veut l’intégralité des achats. »

1095 En second lieu, la requérante s’appuie sur l’extrait de la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 cité au point 1069 ci-dessus, dans lequel Lenovo a expliqué les raisons pour lesquelles elle s’est abstenue de lancer les deux modèles d’ordinateurs équipés de CPU AMD.

1096 À cet égard, force est de constater, premièrement, que les arguments de la requérante sont inopérants pour autant qu’ils visent à réfuter la preuve de ce que les paiements de la requérante étaient accordés à la condition que Lenovo ne lançât pas d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006.

1097 En effet, par ses arguments, la requérante s’efforce d’expliquer le fait que Lenovo a abandonné son projet de lancer les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006 en évoquant d’autres raisons que l’accord conclu avec la requérante. Or, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas inféré l’existence de la restriction non déguisée en cause du seul fait que Lenovo a abandonné son projet de lancer les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006, de sorte que, pour réfuter cette preuve, la requérante pourrait se limiter à fournir une explication alternative. Au contraire, en s’appuyant sur les éléments mentionnés aux points 1045 à 1049 ci-dessus, la Commission a établi au moyen de preuves précises et concordantes que la requérante a accordé des paiements à Lenovo, entre juin et décembre 2006, à la condition que Lenovo ne lançât pas ces deux modèles. Les arguments de la requérante relatifs aux prétendus motifs indépendants de Lenovo pour l’abandon de son projet ne concernent cependant pas directement ces éléments de preuve retenus dans la décision attaquée. Ils se bornent plutôt à les remettre en cause de manière indirecte en offrant une explication alternative pour l’abandon du projet de Lenovo. Une telle contestation indirecte ne saurait aucunement suffire pour réfuter la valeur probante des éléments de preuve retenus dans la décision attaquée.

1098 En outre, il ressort de la jurisprudence que, lorsque la Commission se fonde sur des éléments de preuve qui sont en principe suffisants pour démontrer l’existence de l’infraction, il ne suffit pas à l’entreprise concernée d’évoquer la possibilité qu’une circonstance s’est produite qui pourrait affecter la valeur probante desdits éléments de preuve pour que la Commission supporte la charge de prouver que cette circonstance n’a pas pu affecter la valeur probante des éléments de preuve. Au contraire, sauf dans les cas où une telle preuve ne pourrait pas être fournie par l’entreprise concernée en raison du comportement de la Commission elle-même, il appartient à l’entreprise concernée d’établir à suffisance de droit, d’une part, l’existence de la circonstance qu’elle invoque et, d’autre part, que cette circonstance met en cause la valeur probante des éléments de preuve sur lesquels se fonde la Commission (arrêt E.ON Energie/Commission, point 67 supra, point 56).

1099 Or, en fournissant une explication alternative pour l’abandon du projet de Lenovo de lancer les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006, la requérante ne remet pas en cause le fait que les paiements d’Intel étaient soumis à une condition correspondante. À supposer même que la requérante réussisse à prouver que Lenovo a abandonné son projet uniquement pour les raisons invoquées par la requérante et non en raison d’une condition prévue à cet égard dans l’accord entre Intel et Lenovo, cela ne réfuterait pas la preuve apportée dans la décision attaquée de l’existence d’une restriction non déguisée, mais priverait celle-ci seulement de son effet concret sur la décision de Lenovo d’abandonner son projet. Ainsi, la preuve invoquée par la requérante permettrait seulement de réfuter le lien de causalité entre la restriction non déguisée, dont l’existence a été prouvée à suffisance de droit dans la décision attaquée, et la décision de Lenovo d’abandonner ses plans. Elle ne permettrait cependant pas de réfuter l’existence de la restriction non déguisée en tant que telle.

1100 En effet, comme l’a constaté, à bon droit, la Commission, aux considérants 556 et 557 de la décision attaquée, il est bien possible que l’offre globale de la requérante ait été meilleure que celle d’AMD et il est probable que la décision de Lenovo d’abandonner son projet de lancer les deux modèles d’ordinateurs portables en 2006 ait été le résultat d’une analyse globale prenant en compte notamment le niveau absolu des prix offerts par la requérante et AMD ainsi que les avantages et inconvénients de ces deux fournisseurs. Toutefois, aucune de ces considérations ne contredit la conclusion de la décision attaquée selon laquelle les offres de la requérante étaient formulées à la condition que Lenovo abandonnât son projet de lancer les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006.

1101 Il s’ensuit que les arguments de la requérante sont inopérants pour autant qu’ils visent à réfuter le fait que les paiements de la requérante étaient accordés à la condition que Lenovo ne lançât pas d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006.

1102 Deuxièmement, il convient de constater que les arguments de la requérante sont également inopérants pour autant qu’ils visent à remettre en cause la qualification juridique de la restriction non déguisée d’abusive. À cet égard, il convient de rappeler que la qualification d’une restriction non déguisée d’abusive ne nécessite la démonstration ni d’un effet concret sur le marché ni d’un lien de causalité (voir point 212 ci-dessus). Une telle pratique est illégale en raison de sa capacité de restreindre la concurrence. À supposer même que la requérante ait réussi à réfuter l’existence d’un lien de causalité entre la restriction non déguisée et la décision de Lenovo d’abandonner son projet de lancer les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006, cela ne remettrait pas en cause la capacité inhérente à la restriction non déguisée de restreindre la concurrence. En effet, tout avantage financier octroyé à la condition de ne pas lancer de produits équipés d’éléments provenant d’un concurrent est nécessairement susceptible d’inciter le client à ne pas lancer de tels produits, sans qu’il soit pertinent de savoir si le client se serait également abstenu de lancer de tels produits en l’absence d’une incitation financière soumise à une telle condition.

1103 Partant, il y a lieu de conclure que les arguments de la requérante concernant l’existence d’autres raisons pour lesquelles Lenovo a abandonné son projet de lancer les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006 sont inopérants. Ils ne sont aucunement à même de réfuter la preuve de l’existence d’une restriction non déguisée, ni sa qualification juridique d’abusive. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si la requérante a établi à suffisance de droit que Lenovo a abandonné son projet de lancer les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006 uniquement pour des raisons autres que les paiements conditionnels de la requérante (voir, en ce qui concerne Dell, les points 540 à 546 ci-dessus).

 2.7) Sur l’argument tiré de ce que la décision attaquée contiendrait une mauvaise interprétation de la politique d’achat de Lenovo

1104 La requérante fait valoir que la décision attaquée contient principalement trois interprétations erronées de la politique d’achat de Lenovo.

1105 Premièrement, au considérant 506 de la décision attaquée, la Commission laisserait entendre que Lenovo a conclu qu’une stratégie de double fournisseur constituait la seule solution aux préoccupations de Lenovo concernant les problèmes qui ont affecté la relation entre Lenovo et Intel en 2005 et au début de l’année 2006. Toutefois, au moment où Lenovo envisageait de mettre en œuvre cette stratégie de double fournisseur pour ses ordinateurs portables, Intel aurait amélioré la fiabilité de son approvisionnement et ses prix, ce qui aurait amené Lenovo à réexaminer l’opportunité d’une stratégie de double fournisseur.

1106 Deuxièmement, dans la décision attaquée, la Commission aurait exagéré l’importance et l’ampleur de la demande en ordinateurs portables équipés de CPU AMD. Après qu’Intel eut baissé ses prix, AMD aurait refusé de réduire ses prix à des niveaux qui auraient pu, d’après Lenovo, être compétitifs par rapport aux systèmes Intel. En l’absence d’un avantage en termes de prix, la demande en ordinateurs portables équipés de CPU AMD, telle qu’anticipée par Lenovo, se serait effondrée.

1107 Force est de constater que ces arguments reviennent à soutenir que Lenovo ne s’est pas décidée à abandonner son projet de lancer les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006 en raison de la conditionnalité à laquelle étaient soumis les paiements d’Intel, mais en raison de l’amélioration des performances d’Intel et de l’effondrement de la demande pour des produits basés sur des CPU AMD à la suite de la baisse des prix d’Intel. Ces arguments coïncident donc avec l’argument tiré de ce que Lenovo aurait décidé d’abandonner le lancement des deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD pour des raisons indépendantes. Par conséquent, il convient de les écarter pour les mêmes raisons que celles énoncées aux points 1096 à 1103 ci-dessus.

1108 Troisièmement, la requérante fait valoir qu’aucun élément concernant, d’abord, la signature par Lenovo du SOW avec AMD, ensuite, ses travaux techniques préliminaires sur des modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD ou, enfin, le fait que Lenovo ait exposé certains frais de développement pour réaliser un ordinateur portable équipé de CPU AMD n’est incompatible avec la décision finale de Lenovo d’attribuer à Intel le marché disputé pour le reste de l’année 2006.

1109 Il y a lieu d’observer que, par cet argument, la requérante s’efforce d’affaiblir la valeur probante des circonstances supplémentaires sur lesquelles la Commission s’est appuyée pour décrire le contexte de l’infraction mise en cause dans la décision attaquée. Toutefois, en s’appuyant, dans ladite décision, sur les éléments de preuve exposés aux points 1045 à 1049 ci-dessus, la Commission a démontré à suffisance de droit que la requérante a accordé des paiements à Lenovo, entre juin et décembre 2006, qui étaient subordonnés au report du lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD. En revanche, ladite décision ne repose pas sur les constatations concernant le SOW, les travaux techniques préliminaires de Lenovo sur des modèles équipés de CPU AMD et les frais de développement exposés par Lenovo. Par conséquent, les arguments de la requérante qui concernent ces constatations sont dépourvus de pertinence. Il n’est pas nécessaire de se prononcer sur leur bien-fondé.

 2.8) Sur les dépositions effectuées devant le tribunal du Delaware

1110 La requérante avance, en substance, que la décision attaquée est incompatible avec le témoignage des dirigeants clés de Lenovo qui ont pris personnellement part aux négociations avec AMD et Intel. D’une part, la requérante fait valoir que, dans ladite décision, la Commission a méconnu le fait que la déposition de M. L3, dont la requérante avait fourni des extraits à la Commission avant l’adoption de cette décision, venait à sa décharge. D’autre part, la requérante s’appuie sur des dépositions de Mme L6 et de MM. L9, L8 et L10 qui n’ont été faites qu’après l’adoption de la même décision.

1111 S’agissant de la déposition de M. L3, la Commission a constaté, au considérant 552 de la décision attaquée, que la requérante n’a fourni des extraits de cette déposition à la Commission que le 8 mai 2009 après que le comité consultatif avait déjà donné son opinion sur le projet de décision plus tôt le même jour. Selon ladite décision, la consultation de ce comité représente le dernier stade de la procédure avant l’adoption d’une décision (arrêt du Tribunal du 7 juin 2006, Österreichische Postsparkasse und Bank für Arbeit und Wirtschaft/Commission, T‑213/01 et T‑214/01, Rec. p. II‑1601, point 149) et, conformément à l’article 11 du règlement n° 773/2004, l’entreprise concernée doit, en principe, exercer son droit à être entendue avant cette consultation. Dans la même décision, la Commission a toutefois examiné les extraits de la déposition de M. L3 que lui avait fournis la requérante, étant donné que cette dernière avait argué qu’elle avait fourni la déposition de M. L3 à la Commission le plus rapidement possible. La Commission est arrivée à la conclusion que le seul extrait de la déposition qui était directement lié à la preuve de la conditionnalité des paiements et des rabais de la requérante n’était pas susceptible de modifier l’appréciation des faits pertinents.

1112 Dans le cadre du présent recours, la Commission fait valoir, en substance, qu’elle n’était pas tenue de prendre en considération l’ensemble des dépositions des cadres de Lenovo invoquées par la requérante. En tout état de cause, ces dépositions ne seraient pas à même de remettre en cause les conclusions de la décision attaquée.

1113 Dans le cas d’espèce, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si des témoignages, envoyés par Intel à la Commission après la consultation du comité consultatif ou faits parallèlement à ou après l’adoption d’une décision constatant l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et infligeant une amende à son destinataire, peuvent être pris en considération en tant qu’éléments à décharge dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre cette décision. En effet, force est de constater que les témoignages sur lesquels s’appuie la requérante ne sont, en tout état de cause, pas susceptibles de remettre en cause les éléments de preuve retenus dans la décision attaquée.

1114 À cet égard, il y a lieu de noter, à titre liminaire, que la requérante a initialement présenté seulement des extraits des dépositions de Mme L6 et de MM. L8, L9 et L10. Toutefois, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, la requérante a produit les versions intégrales de ces dépositions. Les parties principales ont présenté des observations sur ces témoignages par écrit le 23 mai 2012 et le 14 juin 2012 (voir points 53 à 60 ci-dessus).

1115 Il convient de constater que la requérante invoque les extraits des dépositions mentionnées au point 1114 ci-dessus surtout afin de démontrer que Lenovo a décidé d’abandonner son projet de lancer les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006 pour des raisons indépendantes de l’existence d’une conditionnalité dans l’accord conclu entre Lenovo et la requérante. Or, il y a lieu de rappeler que ces arguments sont inopérants (voir points 1096 à 1103 ci-dessus). Par conséquent, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la valeur probante des dépositions invoquées par la requérante à cet égard.

1116 Au demeurant, il y a lieu d’observer que seules les dépositions de MM. L3 et L8 contiennent des extraits invoqués par la requérante qui concernent directement le fait que les paiements de la requérante étaient soumis à la condition que Lenovo s’abstînt de lancer les plates-formes d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD qu’elle avait envisagé de lancer en 2006. Toutefois, les extraits de ces dépositions invoqués par la requérante ne sont pas à même de remettre en cause les éléments de preuve retenus dans la décision attaquée.

 i) Sur la déposition de M. L3

1117 La requérante affirme que, dans la déposition faite par M. L3 le 12 mars 2009, celui-ci a confirmé qu’Intel n’exigeait pas que Lenovo reportât le lancement de ses produits AMD. À l’appui de son argument, la requérante invoque le passage suivant de la déposition, qui a été examiné par la Commission au considérant 552 de la décision attaquée :

« Q. Était-il entendu que cette offre était destinée à remporter le marché du Xuri et du Turin et que Lenovo ne lancerait pas de système AMD dans cette gamme de produits ?

R. Je pense qu’il était entendu que l’offre était destinée à remporter le marché du Turin et du Xuri et la conséquence probable était que si je recourais à Intel, je ne recourais pas à quelqu’un d’autre. Mais ce n’est pas eux, vous voyez, je ne… je ne pense pas que le mot ‘exclusivité’ ou, vous savez, ‘abandonner AMD’ ou quelque chose de ce genre faisait partie des exigences d’Intel.

Q. Très bien. Et… et à votre avis, si vous n’aviez pas attribué le marché du Xuri et du Turin à Intel, l’offre d’Intel aurait été inférieure de 26 millions de dollars ?

R. Ils m’offraient de l’argent pour assurer la compétitivité de leurs produits si je les utilisais. Si je décidais de ne pas les utiliser [les CPU Intel], cette… cette offre était… je n’aurais pas rempli ma part du contrat. L’offre n’aurait… elle n’aurait pas été valable. »

1118 Il convient de constater, à titre liminaire, que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas considéré ce passage de la déposition de M. L3 comme un élément à charge. En effet, la Commission a seulement constaté que cette déposition n’était pas susceptible de modifier l’appréciation des faits pertinents. Selon la décision attaquée, le libellé de cette déposition reflète la conclusion selon laquelle les paiements d’Intel étaient octroyés à la condition que les projets concernant AMD ne fussent pas poursuivis. Le fait que le terme « exclusivité » ait soigneusement été évité n’enlèverait rien au fait que l’offre était comprise comme impliquant l’abandon des projets AMD, comme il serait en outre confirmé par le courriel de M. L2 du 27 juin 2006, selon lequel « le marché [était] basé sur notre hypothèse de ne pas lancer la plate-forme [d’ordinateurs portables AMD] » et « le marché avec Intel ne nous permettra pas de lancer AMD » (voir point 1045 ci-dessus).

1119 La requérante soutient que la déposition de M. L3 n’établit aucun lien entre le fait que Lenovo se soit abstenue d’acheter des CPU AMD et les paiements d’Intel. Le témoignage cité se résumerait à l’annonce d’une proposition normale de rabais compétitifs, selon laquelle, en d’autres termes, si Lenovo achetait une plus grande quantité de produits à Intel ou attribuait des plates-formes spécifiques à Intel, elle bénéficierait de rabais plus élevés pour ces quantités ou ces plates-formes.

1120 Force est de constater que le passage de la déposition de M. L3 invoqué par la requérante n’est pas susceptible de réfuter les conclusions de la décision attaquée.

1121 Certes, M. L3 a déclaré que le fait que Lenovo n’utilisait pas de CPU AMD n’était qu’une « conséquence probable » du marché conclu avec Intel et qu’il ne pensait pas que le terme « exclusivité » ou l’expression « abandonner AMD » faisaient partie des exigences d’Intel. En outre, il est vrai que, en réponse à la deuxième question, M. L3 a seulement indiqué que, pour remplir sa part du marché conclu avec Intel, Lenovo devait utiliser les CPU Intel.

1122 Toutefois, M. L3 a, en même temps, admis qu’il était « entendu » que la conséquence probable du marché conclu avec Intel était de ne pas utiliser les CPU AMD. Cela signifie que l’accord entre Lenovo et Intel reposait sur la supposition commune selon laquelle Lenovo s’abstiendrait d’utiliser les CPU AMD. En outre, M. L3 a seulement déclaré que le terme « exclusivité » ou l’expression « abandonner AMD » ne faisaient pas partie des exigences d’Intel. Ainsi, il s’est abstenu de donner une réponse univoque en ce qui concerne la question de savoir si Intel a fait comprendre à Lenovo de manière plus subtile que les rabais étaient conditionnés à l’abandon du lancement des deux modèles d’ordinateurs équipés de CPU AMD. Enfin, en se limitant à dire que, pour remplir sa part du marché, Lenovo devait utiliser les CPU Intel, M. L3 n’a pas déclaré que Lenovo était libre de lancer les plates-formes équipées de CPU AMD à condition qu’elle utilisât les CPU Intel pour d’autres modèles d’ordinateurs portables. Au contraire, au vu de sa déclaration selon laquelle il était « entendu » que la conséquence probable du marché conclu avec Intel était de ne pas utiliser les CPU AMD, son témoignage donne plutôt l’impression que l’accord entre Intel et Lenovo reposait sur la supposition commune selon laquelle l’emploi des CPU Intel, qui était une condition directe du marché selon les propres mots de M. L3, ne permettait pas à Lenovo d’équiper les deux modèles d’ordinateurs de CPU AMD. En somme, force est donc de constater que la présentation, par M. L3, de l’abandon du lancement des deux modèles d’ordinateurs équipés de CPU AMD comme une conséquence indirecte et non comme une condition directe de l’accord entre Intel et Lenovo doit être considérée comme artificielle et non crédible.

1123 En outre, il convient de rappeler que, dans son courriel du 26 mai 2006, M. L3 a indiqué qu’Intel allait attribuer les paiements au titre des MDF « avec l’intention de rendre inutile pour [Lenovo] l’introduction d’un [CPU] concurrent dans [sa] gamme de produits, que ce soit en Chine ou dans [le reste du monde] » (voir point 1065 ci-dessus). Dans son courriel du 28 juin 2006, M. L3 a indiqué ce qui suit :

« Notre part de ce marché est que nous allons attribuer tout le marché d’expéditions pour le reste de cette année civile à Intel » (voir point 1046 ci-dessus).

1124 Enfin, il y a lieu d’observer qu’il existe des éléments de preuve attestant que tant Intel que Lenovo s’efforçaient de déguiser le caractère anticoncurrentiel de leur relation. En ce qui concerne Intel, il convient de relever qu’au considérant 526 de la décision attaquée la Commission cite les extraits suivants d’un courriel du 18 juin 2006, dans lequel M. I2, le [confidentiel] d’Intel, a écrit ce qui suit à M. L1, le [confidentiel] de Lenovo (voir également les points 448 et 460 ci-dessus) :

« [J]e me permets de souligner que les informations contenues dans le présent message sont très sensibles et qu’il serait gênant, tant pour moi que pour Intel, qu’elles soient divulguées. Je vous écris en toute confiance en vous demandant de les lire, puis de les effacer sans en faire part à votre équipe. […] Votre préoccupation primordiale est d’être compétitive sur les prix vis-à-vis de Dell. […] À mon avis – il est inévitable que Dell mettra d’autres CPU dans sa feuille de route de client […] Je pense que de votre point de vue, ceci change le jeu de manière radicale. […] tout programme d’alignement sur la concurrence que nous avons pu avoir avec Dell sera annulé puisqu’ils introduisent la concurrence – cela ouvre des perspectives d’opportunités pour Lenovo/Intel que j’ai uniquement esquissées par le passé. »

1125 Force est de constater que ce courriel constitue un indice que M. I2 cherchait à dissimuler le caractère anticoncurrentiel des relations de la requérante avec Dell et Lenovo (voir point 1541 ci-après).

1126 S’agissant de Lenovo, il y a lieu d’observer que celle-ci a fait des déclarations non crédibles dans sa réponse au titre de l’article 18 (voir points 1070 à 1078 ci-dessus et 1176 à 1181 ci-après). Au demeurant, il sera démontré plus en détail aux points 1168 à 1171 ci-après que Lenovo s’efforçait de dissimuler le caractère anticoncurrentiel de sa relation d’exclusivité avec Intel. Il convient de constater que ces éléments démontrent que Lenovo suivait la ligne générale tendant à dissimuler la conditionnalité des paiements reçus de la requérante.

1127 Au vu de ces considérations, le passage susmentionné de la déposition de M. L3 doit être considéré comme évasif. Il semble probable que M. L3 ait suivi la ligne de Lenovo qui consistait à nier la conditionnalité des paiements reçus de la requérante. Par conséquent, la déposition de M. L3 n’est pas à même de réfuter l’ensemble de preuves précises et concordantes sur lequel la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée.

 ii) Sur la déposition de M. L8

1128 Dans son mémoire du 14 juin 2012, la requérante a fait valoir que le témoignage de M. L8 confirme qu’elle n’a pas demandé à Lenovo de reporter le lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006.

1129 Premièrement, la requérante avance que M. L8 a déclaré ce qui suit : « Je ne me rappelle pas qu’Intel ait demandé que […] nous ne pouvions pas introduire AMD. Je pense qu’ils ont compris que nous n’aurions plus besoin d’introduire AMD s’ils nous donnaient cet accord. »

1130 Toutefois, il y a lieu de replacer cette déposition dans son contexte.

1131 M. L8 a été confronté à la présentation de Lenovo en préparation de sa réunion avec Intel du 29 juin 2006 (voir point 1047 ci-dessus). À cet égard, un extrait plus complet que celui qui figure dans la décision attaquée lui a été soumis qui comporte les termes suivants :

« Plan => D’accord pour attribuer à Intel toutes nos affaires dans le domaine des ordinateurs portables en 2006, à condition d’obtenir 10 millions de [USD de MDF] supplémentaires pour compenser la modification du [programme Intel Inside] en 2006. »

1132 À la question de savoir si ce passage de la présentation reflétait correctement le contenu de l’accord conclu entre la requérante et Lenovo concernant la deuxième moitié de l’année 2006, M. L8 a déclaré ce qui suit : « C’est comme [M. L11] l’a présenté, oui. » Alors qu’il lui a été de nouveau demandé si ce passage était correct, M. L8 a fait la déclaration suivante, sur laquelle s’appuie la requérante : « Je ne me rappelle pas qu’Intel ait demandé que […] nous ne pouvions pas introduire AMD. Je pense qu’ils ont compris que nous n’aurions plus besoin d’introduire AMD s’ils nous donnaient cet accord. » Ensuite, interrogé sur la question de savoir s’il se souvenait d’avoir corrigé ce passage de la présentation, M. L8 a déclaré qu’il ne s’en souvenait plus.

1133 Tout d’abord, force est de constater que l’extrait de la présentation en préparation de la réunion du 29 juin 2006 qui a été soumis à M. L8 lors de sa déposition confirme sans équivoque l’existence d’un lien conditionnel entre les paiements de la requérante et la décision de Lenovo d’attribuer à Intel toutes ses commandes en CPU dans le domaine des ordinateurs portables en 2006. Ensuite, il y a lieu de constater que l’explication qu’a donnée M. L8 de cet extrait de la présentation est évasive. En effet, M. L8 n’a pas déclaré expressément que l’extrait de la présentation était inexact. Il a seulement mis en exergue qu’il ne se rappelait pas qu’Intel ait demandé à Lenovo de ne pas introduire AMD. En outre, il a déclaré qu’il ne se souvenait pas d’avoir corrigé cet extrait de la présentation. Enfin, M. L8 s’est surtout complètement abstenu de fournir une explication plausible concernant la raison pour laquelle, dans la présentation, l’attribution, par Lenovo, de toutes ses commandes en CPU dans le domaine des ordinateurs portables en 2006 était présentée comme étant liée à la condition d’un paiement de 10 millions de USD de MDF supplémentaires.

1134 Deuxièmement, la requérante s’appuie sur un extrait de la déposition de M. L8 ayant le contenu qui suit.

1135 M. L8 a été confronté à un courriel du 4 avril 2006 dans lequel il avait indiqué avoir fait savoir à Intel qu’il acceptait une offre de prix améliorée, mais qu’il n’était absolument pas d’accord pour arrêter d’utiliser les CPU AMD et qu’il n’avait pas amené Intel à croire qu’il le ferait. En réponse à une question qui lui avait été posée, M. L8 a confirmé que le prix qu’Intel lui avait offert « ne dépendait pas de l’arrêt d’AMD ». M. L8 a continué en expliquant ce qui suit : « La manière… la manière dont nous l’avons présenté à Intel était que nous lancerions… à ce moment, que nous lancerions toujours l’ordinateur portable AMD, mais que je sentais qu’il relevait de leurs pouvoirs de faire que le volume de cet ordinateur portable soit petit, soit large, et que tout dépendait du prix qu’ils offraient. » Ensuite, M. L8 a été prié de lire le passage suivant de son courriel du 4 avril 2006 : « J’ai fait savoir à Intel […] qu’il relevait complètement de leur contrôle de rendre les ventes de produits AMD petites où larges, c’est-à-dire me faire passer pour un imbécile pour avoir déjà considéré de faire AMD. » M. L8 a continué en confirmant qu’Intel avait répondu en offrant un meilleur prix. Lorsqu’il lui a été demandé si l’une des conditions de ce meilleur prix était que Lenovo devait s’engager à ne pas offrir de produits équipés de CPU AMD, il a déclaré ce qui suit : 

« Ils n’ont jamais expressément fait état de cette condition vis-à-vis de moi, non. »

1136 Force est de constater que ce passage de la déposition de M. L8 donne l’impression que les négociations entre la requérante et M. L8 ont essentiellement porté sur la question de savoir dans quelle mesure Lenovo allait s’approvisionner auprès d’AMD et non sur la question de savoir dans quelle mesure Lenovo allait s’approvisionner auprès d’Intel. En effet, M. L8 a confirmé avoir signalé à la requérante qu’il relevait du pouvoir de cette dernière de faire que le volume de l’ordinateur portable équipé de CPU AMD soit petit ou large. En revanche, l’extrait de la déposition mentionné au point 1135 ci-dessus ne contient aucune référence au volume de ventes de la requérante à Lenovo. Cela donne l’impression que les négociations entre M. L8 et la requérante ont porté sur des paiements en vue de restreindre la commercialisation des produits équipés de CPU AMD et non en vue de promouvoir la commercialisation des produits équipés de CPU de la requérante. Le seul fait qu’AMD et la requérante étaient, en principe, les seuls acteurs existants sur le marché concerné, de sorte que le choix de Lenovo de ne pas s’approvisionner auprès d’AMD impliquait automatiquement un approvisionnement plus étendu auprès de la requérante, ne saurait expliquer les mots choisis par M. L8.

1137 En outre, bien que M. L8 n’ait pas expressément proposé à la requérante d’abandonner le projet de lancer les ordinateurs portables équipés de CPU AMD, il a toutefois signalé à la requérante « que tout dépendait du prix qu’ils offraient » et que le pouvoir de la requérante allait jusqu’« à faire passer [M. L8] pour un imbécile pour avoir déjà considéré de faire AMD ». Ces deux passages donnent l’impression que M. L8 voulait faire comprendre à la requérante de manière implicite que Lenovo était prête à abandonner son projet de lancer les ordinateurs portables basés sur des CPU AMD à condition que la requérante lui offre des avantages financiers suffisamment importants.

1138 Par conséquent, la déclaration de M. L8 sur laquelle s’appuie la requérante, selon laquelle la requérante ne lui avait jamais « expressément » fait état d’une condition consistant à abandonner son projet de lancer les ordinateurs portables équipés de CPU AMD, doit être considérée comme évasive. Son affirmation selon laquelle le prix qu’Intel lui a offert « ne dépendait pas de l’arrêt d’AMD » doit être considérée comme non crédible.

1139 Troisièmement, la requérante avance que, interrogé sur le courriel de M. L4 du 6 juillet 2006, M. L8 a confirmé qu’il s’agissait d’« un accord plus intéressant conclu avec Intel » qui a abouti à ce qu’Intel remporte le marché disputé.

1140 Toutefois, il y a lieu de rappeler que dans ce courriel M. L4 a demandé à M. L8 ce qui suit : « Quand pourrai-je obtenir plus d’informations me permettant de comprendre comment je peux utiliser les fonds supplémentaires que vous obtiendrez d’Intel en raison de notre décision de reporter le lancement de l’[ordinateur portable équipé de CPU] AMD […] ? » (voir point 1048 ci-dessus).

1141 La réponse complète de M. L8 à la question de savoir s’il pouvait expliquer ce que M. L4 lui avait demandé était la suivante : « Ce que [M. L4] voulait savoir, étant donné que nous n’avons pas, vous savez, lancé d’ordinateurs portables à CPU AMD, mais qu’il n’ignorait pas que ceci était le résultat d’un accord plus intéressant conclu avec Intel, il voulait savoir comment sa région, c’est-à-dire sa zone de ventes, en bénéficierait et, dès lors, ce qu’il devait faire. »

1142 M. L8 a donc interprété le courriel de M. L4 en ce sens que le fait que Lenovo n’ait pas lancé d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD était le résultat d’un « accord plus intéressant conclu avec Intel ». Il est vrai que la déclaration de M. L8 pourrait, en principe, être comprise en ce sens que le fait que Lenovo n’ait pas lancé d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD n’était pas une condition de l’accord plus intéressant avec Intel, mais seulement une conséquence indirecte de cet accord. Toutefois, étant donné que M. L8 ne précise pas si le résultat qui consistait en ce que Lenovo n’ait pas lancé d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD était une conséquence directe ou indirecte de l’accord conclu avec Intel, sa déposition reste au moins ambiguë à cet égard. En revanche, le fait que le courriel de M. L4 fasse référence aux « fonds supplémentaires que vous obtiendrez d’Intel en raison de notre décision de reporter le lancement de l’[ordinateur portable équipé de CPU] AMD » implique sans équivoque que Lenovo allait recevoir des paiements supplémentaires d’Intel en raison de sa décision de reporter le lancement des ordinateurs portables équipés de CPU AMD. À la lumière de ce courriel, la déclaration de M. L8 doit être considérée comme évasive.

1143 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il semble probable que M. L8 ait suivi la ligne de Lenovo qui consiste à nier le fait que les paiements de la requérante étaient octroyés à la condition que Lenovo ne lançât pas d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006. Par conséquent, la déposition de M. L8 n’est pas à même de réfuter l’ensemble des preuves précises et concordantes sur lesquelles la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée.

 3) Conclusion

1144 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a accordé des paiements à Lenovo, entre juin et décembre 2006, subordonnés au report par Lenovo du lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD.

b)     Sur les rabais d’exclusivité

 1) Appréciation des preuves présentées dans la décision attaquée

1145 Afin de prouver qu’une condition non écrite du MoU 2007 supposait que Lenovo accordât l’exclusivité à Intel dans le segment des ordinateurs portables, la Commission s’est fondée notamment sur les éléments de preuve suivants :

–        un rapport de M. I9, [confidentiel], sur ses réalisations en 2006 ;

–        une présentation d’Intel de juin 2007 intitulé « Lenovo Plan 2007 » ;

–        une présentation interne de Lenovo datant de novembre 2006 ;

–        un courriel du 7 décembre 2006 de M. L12, [confidentiel] de Lenovo, à M. L1 intitulé : « Positionnement interne de la décision d’ordinateurs portables AMD » ;

–        un courriel du 11 décembre 2006, de M. L13, [confidentiel], à M. W1, de Wistron, un fournisseur de Lenovo ;

–        un courriel de M. L12 du 14 décembre 2006.

1146 Il convient donc de présenter le contenu de ces éléments de preuve et d’en examiner la valeur probante.

 1.1) Sur le contenu

1147 Selon le considérant 541 de la décision attaquée, M. I9, [confidentiel] chez Intel, a écrit dans son rapport sur ses réalisations en 2006 ce qui suit :

« Les 5 plus grandes RÉALISATIONS de 2006 : […] 2. Accord formel atteint avec Lenovo (MoU signé) sur la transaction de 2007 qui octroie à Intel 100 % des affaires de Lenovo en 2007 dans le domaine des CPU pour ordinateurs portables. »

1148 Selon le considérant 542 de la décision attaquée, la page n° 5 d’une présentation d’Intel de juin 2007 dénommée « Lenovo Plan 2007 » est intitulée « Révision du cadre ‘07 ». Les bénéfices du MoU 2007 y étaient décrits comme suit : « Intel reçoit : 17 millions de [CPU] en 2007, ce qui représente 100 % des ordinateurs portables et plus de 80 % des ordinateurs de bureau au niveau mondial ; Intel donne : un financement progressif de 100 millions de [USD] en plus des tarifs du client le plus favorisé et des programmes existants. » La page n° 7 de la même présentation constate ce qui suit :

« Lenovo alignée à 100 % avec Intel en 2007 dans le segment des ordinateurs portables. »

1149 Selon le considérant 543 de la décision attaquée, dans une présentation interne de Lenovo de novembre 2006, il est indiqué que « Lenovo-Intel évolue vers une relation plus stratégique ». En outre, il est mentionné ce qui suit :

« [L]’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD. »

1150 Au considérant 547 de la décision attaquée, la Commission expose le contenu d’un courriel du 7 décembre 2006 qui a été envoyé par M. L12, [confidentiel], à M. L1. Il ressort de ce courriel que des dirigeants de Lenovo projetaient des « messages de positionnement pour la communication cohérente interne des décisions [concernant AMD/Intel] ». Selon ce message de positionnement, « la décision [de reporter le lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD pour une durée indéfinie] était motivée par la nécessité […] de réduire de manière considérable la complexité et les coûts et d’améliorer l’efficacité en termes opérationnels et la fonctionnalité ». En outre, M. L12 a écrit ce qui suit :

« J’ai intentionnellement supprimé du message la référence à l’engagement stratégique accru avec Intel, parce que je pense qu’il serait prudent de le communiquer séparément. »

1151 Aux considérants 543 et 548 de la décision attaquée, la Commission cite un courriel, en date du 11 décembre 2006, du [confidentiel], M. L13, à M. W1, de Wistron, un fournisseur de Lenovo, ayant le contenu suivant : « À la fin de la semaine dernière, Lenovo a passé un marché lucratif avec Intel. En raison de celui-ci, nous n’allons pas introduire de produits à CPU AMD en 2007 pour nos ordinateurs portables. Naturellement, il s’agit d’un changement stratégique majeur qui a d’importantes implications étant donné que nous avons encouru des dépenses et acquis des pièces pour ces programmes. […] Ce que je vous demande est de CESSER TOUTE ACTIVITÉ LIÉE AU PRODUIT AMD. » Au considérant 548 de la décision attaquée, la Commission constate que ce courriel a déclenché une vive réaction des dirigeants de Lenovo. Dans un courriel du 14 décembre 2006, M. L12 a écrit à un autre dirigeant de Lenovo ce qui suit :

« Les gens des achats ont gaffé […] La note est parvenue à Wistron et Compal [un autre fournisseur de Lenovo] […] Ils ont récupéré le courrier électronique auprès des OEM et ils sont en mode de contrôle des dégâts, mais si cela parvient jusqu’à AMD, ils disposeront d’une preuve d’un lien direct et nos responsables pourraient devoir y faire face […] Ne pas faire suivre s’il vous plaît. »

 1.2) Sur la valeur probante

1152 Force est de constater que les éléments susmentionnés constituent des preuves précises et concordantes du fait qu’une condition non écrite du MoU 2007 était que Lenovo accorde l’exclusivité à Intel dans le segment des ordinateurs portables.

1153 En effet, le rapport sur les réalisations de M. I9, la présentation d’Intel de juin 2007, la présentation interne de Lenovo de novembre 2006 et le courriel de M. L13 du 11 décembre 2006 indiquent de manière concordante que, tant du côté d’Intel que du côté de Lenovo, le MoU 2007 était compris comme supposant que Lenovo s’approvisionne exclusivement auprès de la requérante dans le segment des ordinateurs portables. Selon le rapport de M. I9, le marché conclu avec Lenovo « octroie à Intel 100 % des affaires de Lenovo en 2007 dans le domaine des CPU pour ordinateurs portables » (voir point 1147 ci-dessus). Selon la présentation interne d’Intel de juin 2007, la requérante estimait qu’un des bénéfices du MoU 2007 était que Lenovo était « alignée à 100 % avec Intel en 2007 dans le segment des ordinateurs portables » et que la requérante recevrait « 17 millions de [CPU] en 2007, ce qui représente 100 % des ordinateurs portables et plus de 80 % des ordinateurs de bureau au niveau mondial » (voir point 1148 ci-dessus). Selon la présentation interne de Lenovo de novembre 2006, l’évolution vers une relation plus stratégique avec la requérante impliquait que « l’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD » (voir point 1149 ci-dessus). Enfin, selon le courriel de M. L13 du 11 décembre 2006, Lenovo n’allait pas introduire de produits équipés de CPU AMD en 2007 pour les ordinateurs portables « en raison » du marché conclu avec la requérante (voir point 1151 ci-dessus). En l’absence d’une explication plausible concernant ces éléments de preuve, il est permis de conclure que la circonstance que le MoU 2007 était compris comme supposant que Lenovo s’approvisionne exclusivement auprès de la requérante dans le segment des ordinateurs portables signifie que le MoU 2007 était de facto soumis à une condition d’approvisionnement exclusif.

1154 Dans le cas d’espèce, la requérante n’a pas fourni d’explication plausible.

1155 La requérante fait valoir, en substance, que le MoU 2007 était fondé sur des objectifs de quantités escomptés. D’après son annexe A, le MoU 2007 aurait prévu que Lenovo achète 8 millions de CPU pour ordinateurs portables, compte tenu d’une demande prévue de 8 millions d’unités d’ordinateurs portables. La clause A du MoU 2007 aurait expressément stipulé que cet objectif de quantité escompté de l’annexe A constituait une prévision de bonne foi ne liant pas les parties. Alors que la requérante aurait cherché à structurer le MoU 2007 de manière à inciter Lenovo à atteindre cet objectif de volume, Lenovo aurait été libre de ne pas acheter le volume prévu à l’annexe A. Lenovo aurait également pu réaliser l’objectif, percevoir toutes les remises possibles d’Intel et néanmoins augmenter ses volumes d’AMD si elle avait réalisé une augmentation suffisante dans ses ventes globales d’ordinateurs portables. La requérante soutient, en substance, que la circonstance que les éléments de preuve susmentionnés fassent référence à des taux d’approvisionnement de 100 % auprès d’elle s’explique par le fait que, selon l’annexe A du MoU 2007, l’objectif de quantité escompté de 8 millions de CPU correspondait à l’intégralité de la demande escomptée de Lenovo.

1156 À titre liminaire, il convient de rappeler que, au considérant 540 de la décision attaquée, la Commission n’a pas conclu que le MoU 2007 contenait un engagement d’exclusivité écrit, mais que l’exclusivité était une condition non écrite de l’accord convenu entre les deux parties.

1157 Ensuite, il y a lieu de noter que, certes, la présentation d’Intel de juin 2007 contient des références à la fois à des objectifs de quantité et à des taux d’approvisionnement de 100 %. Cependant, ce document ne présente pas la correspondance entre le volume qu’allait acheter Lenovo auprès de la requérante et le taux d’approvisionnement de 100 % comme une éventualité future, mais comme un fait déjà accompli, comme suit : « 17 millions de [CPU] en 2007, ce qui représente 100 % des ordinateurs portables et plus de 80 % des ordinateurs de bureau au niveau mondial […] Lenovo alignée à 100 % avec Intel en 2007 dans le segment des ordinateurs portables » (voir point 1148 ci-dessus). Le fait qu’Intel ait, déjà en juin 2007, présenté le taux de 100 % d’approvisionnement de Lenovo auprès d’elle comme un fait accompli constitue au moins un premier indice de ce que l’accord conclu entre la requérante et Lenovo ne reposait pas seulement sur des objectifs de vente escomptés prévus de manière expresse dans l’annexe A du MoU 2007, mais qu’il incluait également la condition non écrite selon laquelle Lenovo accorderait l’exclusivité à Intel dans le segment des ordinateurs portables.

1158 Tel est également le cas de la présentation interne de Lenovo, qui indiquait déjà en novembre 2006 que « l’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD » (voir point 1149 ci-dessus), du rapport de M. I9 sur ses réalisations de 2006, qui indiquait que le marché conclu avec Lenovo « octroie à Intel 100 % des affaires de Lenovo en 2007 dans le domaine des CPU pour ordinateurs portables » (voir point 1147 ci-dessus), et du courriel de M. L13, qui indiquait déjà, le 11 décembre 2006, que, en raison du marché conclu avec Intel, Lenovo n’introduirait pas d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2007 (voir point 1151 ci-dessus).

1159 Au demeurant, il convient de noter que ni le rapport de M. I9, ni la présentation interne de Lenovo de novembre 2006, ni le courriel de M. L13 du 11 décembre 2006 ne contiennent de référence à un objectif de volume escompté. Ces documents se bornent à mentionner soit un taux d’approvisionnement auprès d’Intel de 100 %, soit le fait que Lenovo ne lancerait pas de produits équipés de CPU AMD en 2007. Or, la requérante n’a pas fourni d’explication plausible concernant cette manière de présenter l’accord conclu entre elle et Lenovo.

1160 S’agissant, en premier lieu, du rapport de M. I9 sur ses réalisations en 2006 (voir point 1147 ci-dessus), la requérante fait valoir que celui-ci comporte nécessairement une certaine dimension d’exagération et de glorification personnelle. Toutefois, ce fait ne saurait suffire à expliquer pourquoi M. I9 a, d’un côté, fait l’impasse sur l’existence d’un objectif de quantité escompté et a, d’un autre côté, mentionné un taux d’approvisionnement de 100 % auprès d’Intel lorsqu’il décrivait l’accord conclu avec Lenovo. En effet, les autres éléments de preuve retenus dans la décision attaquée, qui ne proviennent pas de M. I9, contiennent également des références soit à un taux d’approvisionnement auprès d’Intel de 100 %, soit au fait que Lenovo ne lancerait pas de produits équipés de CPU AMD en 2007. Par conséquent, il n’est pas plausible que la formulation utilisée dans le rapport de M. I9 sur ses réalisations repose seulement sur un souci d’exagération et de glorification personnelle.

1161 En deuxième lieu, en ce qui concerne la présentation interne de Lenovo de novembre 2006 (voir point 1149 ci-dessus), la requérante avance que celle-ci ne contient que des déclarations de stratégie interne faites durant le mois précédant le moment où les parties ont adopté le MoU de 2007 ou de simples descriptions de ce que Lenovo se proposait de faire à la lumière des offres d’Intel.

1162 À cet égard, la Commission souligne, à bon droit, que cette interprétation n’est pas convaincante, car elle ne tient pas compte du calendrier effectif des événements. Selon le considérant 535 de la décision attaquée, les négociations entre Lenovo et Intel concernant leur nouvelle relation stratégique devaient être finalisées le 28 novembre 2006 et seuls les détails techniques du MoU 2007 devaient être finalisés au cours du moins de décembre 2006. La requérante ne conteste pas ces constatations. Ainsi, il est permis de conclure que les principales obligations des parties étaient déjà finalisées au début du mois de décembre 2006. Bien qu’il ne soit pas possible de dire de quel jour précis du mois de novembre 2006 la présentation interne de Lenovo date, il semble toutefois qu’elle résume l’état des négociations entre Lenovo et Intel vers la fin du mois de novembre 2006. En effet, plusieurs détails auxquels la présentation fait référence, tels qu’une clause de client le plus favorisé, une garantie de trois ans et la mise à disposition d’une plate-forme de distribution, figurent également dans les obligations de la requérante prévues dans le MoU 2007. En outre, la présentation utilise un ton définitif en indiquant que « l’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel » et qu’« Intel fournira Lenovo ». Si ce n’était qu’une déclaration de stratégie interne ou de simples descriptions de ce que Lenovo se proposait de faire à la lumière des offres d’Intel, il est probable que Lenovo aurait utilisé un autre langage. En tout état de cause, étant donné que le contenu de la présentation interne de Lenovo concorde avec le contenu du rapport de M. I9 d’Intel (voir point 1147 ci-dessus) et la présentation interne d’Intel de juin 2007 (voir point 1148 ci-dessus), il n’est pas plausible que la présentation interne de Lenovo ne contienne qu’une déclaration de stratégie interne ou de simples descriptions de ce que Lenovo se proposait de faire à la lumière des offres d’Intel.

1163 S’agissant, en troisième lieu, du courriel de M. L13 du 11 décembre 2006 (voir point 1151 ci-dessus), la requérante soutient que M. L13 n’y affirme pas que l’accord était conditionnel, dès lors qu’une réaction normale à une offre de prix inférieur, dans un contexte de concurrence, consiste à préférer le fournisseur concerné à un autre. En tout état de cause, M. L13 n’aurait possédé aucune connaissance personnelle des négociations en question et M. L2, [confidentiel], aurait immédiatement pris ses distances par rapport aux affirmations de M. L13.

1164 Tout d’abord, il convient d’observer que, dans son courriel du 11 décembre 2006, M. L13 ne présente pas le fait selon lequel Lenovo s’abstiendrait de lancer des ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2007 comme une réaction unilatérale de Lenovo à une offre de prix inférieure d’Intel. M. L13 indique plutôt que Lenovo s’abstiendrait de lancer des ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2007 « en raison » d’un marché lucratif avec Intel. Ainsi, le courriel de M. L13 donne l’impression que cette décision ne constituait pas une décision unilatérale de Lenovo, mais la contrepartie convenue dans le cadre de l’accord avec Intel. Cette conclusion est confirmée par l’interprétation que M. L12 attribuait au courriel de M. L13 dans son courriel du 14 décembre 2006. En effet, M. L12 a décrit le courriel de M. L13 comme la « preuve d’un lien direct » (voir point 1151 ci-dessus). Selon le contexte, cette mention de la « preuve d’un lien direct » fait référence à un lien direct entre l’accord conclu avec la requérante et le fait que Lenovo n’introduirait pas d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2007.

1165 Ensuite, il y a lieu de constater que le fait que M. L13 n’ait possédé aucune connaissance personnelle des négociations concernant le MoU 2007 n’empêche pas qu’il puisse en avoir été informé par ses supérieurs. Étant donné que M. L13 occupait un poste de [confidentiel] et que, dans son courriel du 7 décembre 2006, M. L12 a indiqué qu’il communiquerait l’engagement stratégique accru avec Intel « séparément » au personnel de Lenovo (voir point 1150 ci-dessus), il est vraisemblable que M. L13 était déjà informé du contenu de l’accord conclu avec la requérante lorsqu’il a écrit son courriel du 11 décembre 2006. En tout état de cause, dès lors que le courriel de M. L13 est confirmé par les autres éléments de preuve retenus dans la décision attaquée, il est permis de conclure qu’il reflète correctement l’accord conclu entre la requérante et Lenovo.

1166 Enfin, la valeur probante du courriel de M. L13 n’est pas non plus affaiblie par la réaction de M. L2. Il convient de relever que, à l’appui de son argument, la requérante invoque un courriel de M. L2 du 12 décembre 2006 ayant le contenu suivant :

« Il est juste d’avoir une brève communication avec des OEM. Mais, j’ai vu un problème dans la note. Pourquoi leur avons-nous dit que nous avons ‘conclu un marché lucratif avec Intel’ ? La raison pour laquelle nous renonçons aux ordinateurs portables AMD est que nous devons réduire la complexité de notre gamme et réduire en même temps nos coûts, cela n’a rien à voir avec Intel ! [M. L1] a envoyé une note que j’ai jointe ci-dessous. C’est le message pour [M. L1] et nous tous à communiquer à l’extérieur. Nous devons empêcher que des [OEM] déduisent un message erroné de tout cela. »

1167 Contrairement à ce que prétend la requérante, ce courriel de M. L2 ne démontre pas que le courriel de M. L13 ne reflétait pas correctement la réalité concernant l’accord entre la requérante et Lenovo. Le courriel de M. L2 confirme seulement que le contenu du courriel de M. L13 n’était pas conforme au message de positionnement qui circulait au sein de Lenovo et selon lequel « la décision [d’annuler le lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD pour une durée indéfinie] était motivée par la nécessité […] de réduire de manière considérable la complexité et les coûts et d’améliorer l’efficacité en termes opérationnels et la fonctionnalité » (voir point 1150 ci-dessus).

1168 À cet égard, force est de constater que l’existence de ce message de positionnement et la manière dont M. L2 a insisté sur son respect lors d’une communication au monde à l’extérieur de Lenovo constituent des indices du fait que Lenovo s’est efforcée de dissimuler l’existence d’un lien entre sa décision de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante en 2007 et l’accord conclu avec celle-ci. Ces indices sont confirmés par le courriel du 14 décembre 2006, par lequel M. L12 a réagi au courriel de M. L13 en écrivant que « [l]es gens des achats ont gaffé » et en exprimant sa peur qu’AMD puisse obtenir la preuve d’un « lien direct » (voir point 1151 ci-dessus). Ce courriel ne peut raisonnablement être compris autrement que comme signifiant que M. L12 a précisé que l’équipe d’achat de Lenovo avait dévoilé au monde extérieur à Lenovo qu’il existait un « lien direct » entre les avantages financiers accordés par la requérante et le fait que Lenovo n’introduirait pas d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2007 et que la stratégie de Lenovo était de dissimuler ce fait (voir considérants 548 et 554 de la décision attaquée).

1169 Les courriels de M. L12 des 7 et 14 décembre 2006 et le courriel de M. L2 du 12 décembre 2006 démontrent donc de manière concordante que Lenovo s’efforçait de faire comprendre à l’extérieur que la décision de Lenovo de ne pas lancer d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2007 n’avait absolument rien à voir avec l’accord conclu avec Intel. En effet, M. L12 a proposé un message de positionnement dans lequel toute référence à l’engagement stratégique accru avec Intel avait été intentionnellement supprimée (voir point 1150 ci-dessus). M. L2 a demandé à M. L13 de ne communiquer à l’extérieur que ce qui était prévu dans ce message de positionnement. De plus, M. L2 a expressément insisté sur le fait que la décision de Lenovo de ne pas lancer d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD n’avait rien à voir avec Intel (voir point 1166 ci-dessus). Enfin, dans le courriel du 14 décembre 2006, M. L12 a indiqué que Lenovo avait récupéré le courriel de M. L13 auprès des OEM et que Lenovo était passé en « mode de contrôle des dégâts » par peur qu’AMD puisse obtenir la preuve d’un lien direct entre le marché conclu avec Intel et la décision de Lenovo de ne pas introduire d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2007 (voir point 1151 ci-dessus).

1170 Certes, la requérante fait valoir que la dissimulation de l’existence d’une condition d’exclusivité par Lenovo est une simple spéculation. Interrogée sur ce point lors de l’audience, la requérante a fait valoir, en substance, que le contenu du message de positionnement confirme que le marché conclu avec elle n’était pas fondé sur une condition d’exclusivité et que le courriel de M. L13 a provoqué des inquiétudes au sein de Lenovo uniquement en raison de l’intérêt qu’avait Lenovo à conserver une bonne relation commerciale avec AMD en vue d’autres projets communs.

1171 Toutefois, il n’est pas crédible que Lenovo se soit efforcée seulement de dissimuler un accord fondé sur des objectifs de volume escomptés. En plus du courriel de M. L13, le rapport de M. I9 sur ses réalisations en 2006 (voir point 1147 ci-dessus), la présentation d’Intel de juin 2007 (voir point 1148 ci-dessus) et la présentation interne de Lenovo de novembre 2006 (voir point 1149 ci-dessus) indiquent de manière concordante que le MoU 2007 était soumis à une condition non écrite d’exclusivité. À la lumière de ces éléments de preuve, l’existence du message de positionnement, le courriel de M. L13 et les réactions de MM. L2 et L12 ne peuvent raisonnablement être compris autrement que signifiant que Lenovo s’est efforcée de dissimuler l’existence d’un lien entre sa décision de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante en 2007 et l’accord conclu avec cette dernière. Cela confirme que Lenovo suivait la ligne générale consistant à dissimuler la conditionnalité des paiements reçus de la requérante (voir point 1126 ci-dessus).

1172 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas pu expliquer de manière convaincante pourquoi le rapport sur les réalisations de M. I9, la présentation d’Intel de juin 2007, la présentation interne de Lenovo de novembre 2006 et le courriel de M. L13 indiquent de manière concordante que tant du côté d’Intel que du côté de Lenovo le MoU 2007 était compris comme supposant que Lenovo s’approvisionnerait exclusivement auprès de la requérante dans le segment des ordinateurs portables. En revanche, le message de positionnement contenu dans le courriel de M. L12 du 7 décembre 2006, la manière dont M. L2 a insisté sur son respect et la réaction au courriel de M. L13 qu’exprimait M. L12 dans son courriel du 14 décembre 2006 permettent de conclure que Lenovo s’est efforcée de dissimuler tout lien entre l’accord conclu avec la requérante et la décision de Lenovo de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante en 2007. Considérées dans leur ensemble, ces circonstances démontrent à suffisance de droit qu’une condition non écrite du MoU 2007 était que Lenovo accordât l’exclusivité à Intel dans le segment des ordinateurs portables.

 2) Sur les autres arguments de la requérante


 2.1) Sur la réponse de Lenovo au titre de l’article 18

1173 La requérante soutient que la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 contredit catégoriquement la position de la Commission. Au considérant 573 de la décision attaquée, la Commission aurait, à tort, rejeté les observations formulées par Lenovo, au motif que cette réponse serait incomplète et, à tout le moins dans une certaine mesure, inexacte. La requérante fait valoir que, dans sa réponse au titre de l’article 18, Lenovo a confirmé sans ambiguïté que le MoU 2007 ne comportait aucune « condition non écrite » d’exclusivité, que le MoU 2007 entre Intel et Lenovo « ne repose pas sur une exclusivité » et qu’il n’était « en aucune manière subordonné à ce que [Lenovo] poursuive une stratégie de choix d’Intel comme seul fournisseur ».

1174 Il y a lieu de constater que, dans sa réponse au titre de l’article 18, Lenovo a déclaré ce qui suit :

« Le marché Intel-Lenovo ne repose pas sur une exclusivité. Le MoU est un accord portant sur un large éventail de sujets, incluant les prix, qui n’est en aucune manière […] subordonné à la poursuite d’une stratégie de choix d’Intel comme seul fournisseur. Lenovo s’est décidée de manière indépendante à ne pas mettre en œuvre un ordinateur portable basé sur AMD pour le moment, en raisons des motifs détaillés énoncés ci-dessus, et le MoU conclu avec Intel reflète correctement, selon l’avis de Lenovo, le marché ayant été conclu et le marché auquel les parties ont adhéré. Les dirigeants de Lenovo ont été surpris d’être confrontés lors d’une réunion avec AMD à l’allégation selon laquelle Intel et Lenovo ont conclu un marché exclusif. Il est évident que cela n’est pas le cas. Même si certains collaborateurs de Lenovo ont pu faire référence à l’existence d’un accord d’exclusivité, ces affirmations sont émises par des personnes qui ne sont pas suffisamment proches des faits pour pouvoir se prononcer en connaissance de cause. »

1175 Dans la mesure où cet extrait de la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 fait référence aux « motifs détaillés » pour lesquels « Lenovo s’est décidée de manière indépendante à ne pas mettre en œuvre un ordinateur portable basé sur AMD », il convient de relever que ces motifs sont ceux qui ont déjà été énoncés au point 1069 ci-dessus.

1176 Force est de constater que la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 n’est pas crédible pour autant qu’elle nie expressément le fait que le MoU 2007 comportait une condition non écrite d’exclusivité. En effet, premièrement, cette déclaration est contredite par les éléments de preuve susmentionnés, pour lesquels la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 ne fournit pas d’explication plausible.

1177 S’agissant, en premier lieu, de la présentation de Lenovo de novembre 2006, dans laquelle il est indiqué que « l’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD » (voir point 1149 ci-dessus), Lenovo a expliqué que cette déclaration reflétait « la conséquence de la situation qui s’était développée – que cela n’avait plus de sens de continuer avec AMD pour l’ordinateur portable planifié – et non la base de l’accord conclu avec Intel ».

1178 Toutefois, il y a lieu de constater que, dans cette présentation, la déclaration selon laquelle « l’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD » n’est pas présentée comme la conséquence d’une « situation qui s’était développée » telle que décrite par Lenovo. En effet, il a été énoncé au point 1162 ci-dessus que la présentation de novembre 2006 semble être un résumé de l’état des négociations entre Lenovo et Intel sur le MoU 2007 vers la fin du mois de novembre 2006. La déclaration selon laquelle « l’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD » y est présentée sous les titres « Relation stratégique Intel » et « Intel-Lenovo avançant vers une relation plus stratégique ». En outre, en dessous de cette déclaration, sur la même page de la présentation, des détails sont exposés, qui figurent dans les obligations de la requérante prévues par le MoU 2007. La déclaration selon laquelle « l’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD » est donc présentée dans le contexte immédiat des faits contenus dans le MoU 2007 et sous des titres faisant référence à la relation stratégique avec Intel. En revanche, la présentation ne fait pas référence au fait, souligné par Lenovo dans sa réponse au titre de l’article 18, que cela n’avait plus de sens de continuer avec AMD pour l’ordinateur planifié. La présentation donne donc l’impression que la déclaration « l’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD » reflétait une condition du MoU 2007 et non la conséquence d’une « situation qui s’était développée », telle que décrite par Lenovo. Étant donné que cette conclusion concorde avec le rapport de M. I9 sur ses réalisations en 2006 (voir point 1147 ci-dessus), le courriel de M. L13 du 11 décembre 2006 (voir point 1151 ci-dessus) et le courriel de M. L12 du 14 décembre 2006 (voir point 1151 ci-dessus), l’interprétation attribuée par Lenovo à sa présentation de novembre 2006 dans sa réponse au titre de l’article 18 n’est pas crédible.

1179 En ce qui concerne, en deuxième lieu, le courriel de M. L12 du 14 décembre 2006, selon lequel « les gens des achats ont gaffé », Lenovo a seulement déclaré que « la vraie raison a été donnée par [M. L2], à savoir qu’il y avait un besoin de réduire la complexité des produits ».

1180 Toutefois, force est de constater que la seule déclaration selon laquelle « la vraie raison a été donnée par [M. L2] » n’est pas susceptible de remettre en cause la conclusion énoncée aux points 1166 à 1171 ci-dessus selon laquelle le message de positionnement contenu dans le courriel de M. L12, la manière dont M. L2 a insisté sur son respect et la réaction de M. L12 au courriel de M. L13 démontrent que Lenovo s’est efforcée de dissimuler tout lien entre l’accord conclu avec la requérante et la décision de Lenovo de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante en 2007. Au vu de cette conclusion, l’allégation de Lenovo dans sa réponse au titre de l’article 18 concernant le courriel de M. L12 du 14 décembre 2006 n’est pas crédible.

1181 En troisième lieu, il y a lieu de rappeler que, dans sa réponse au titre de l’article 18, Lenovo admet que certains de ses collaborateurs ont pu faire référence à l’existence d’un accord d’exclusivité. Dans la mesure où Lenovo s’efforce d’expliquer ce fait en déclarant que ces affirmations ont été émises par des personnes qui n’étaient pas suffisamment proches des faits pour pouvoir se prononcer en connaissance de cause, il y a lieu d’observer que cette affirmation abstraite n’est pas susceptible de remettre en cause la valeur probante de la présentation interne de Lenovo de novembre 2006 (voir point 1148 ci-dessus) ni celle du courriel de M. L13 (voir point 1151 ci-dessus). En tout état de cause, la valeur probante de la présentation interne de Lenovo de novembre 2006 et celle du courriel de M. L13 sont confirmées par le fait que ces éléments de preuve concordent avec la présentation interne d’Intel de juin 2007 (voir point 1148 ci-dessus) et avec le rapport de M. I9 sur ses réalisations en 2006 (voir point 1147 ci-dessus) ainsi que par la manière dont Lenovo s’est efforcée de dissimuler l’existence de tout lien entre le MoU 2007 et sa décision de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante (voir points 1168 à 1171 ci-dessus).

1182 Deuxièmement, pour autant que la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 met en exergue d’autres raisons commerciales pour lesquelles Lenovo a décidé de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante en 2007, force est de constater que, pour des motifs analogues à ceux énoncés aux points 1079 à 1081, ces raisons ne sont pas non plus susceptibles de remettre en cause le fait qu’une condition non écrite du MoU 2007 était que Lenovo accorde l’exclusivité à Intel dans le segment des ordinateurs portables.

1183 Bien que, en général, les réponses données au nom d’une entreprise en tant que telle revêtent une valeur probante considérable (voir points 557 et 691 ci-dessus), il résulte de tout ce qui précède que la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 n’est pas crédible pour autant qu’elle nie expressément le fait que le MoU 2007 ait comporté une condition non écrite d’exclusivité. La Commission n’a donc pas commis d’erreur en concluant que la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 était incomplète et, à tout le moins dans une certaine mesure, inexacte. Au contraire, il y a lieu de constater, comme l’a également fait à juste titre la Commission au considérant 573 de la décision attaquée, que le caractère incomplet et inexact de la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 est cohérent avec la conclusion formulée aux points 1168 à 1171 ci-dessus selon laquelle Lenovo s’est efforcée de dissimuler le caractère anticoncurrentielle de sa relation avec Intel.

 2.2) Sur l’argument tiré de ce que Lenovo aurait décidé de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante en 2007 pour d’autres raisons que la prétendue existence d’une condition non écrite d’exclusivité

1184 La requérante fait valoir, en substance, que Lenovo a décidé de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante pour des raisons indépendantes de la prétendue existence d’une condition non écrite d’exclusivité. Elle s’appuie, à cet égard, en particulier sur les raisons exposées par Lenovo dans sa réponse au titre de l’article 18 (voir point 1069 ci-dessus). La requérante souligne que la décision attaquée néglige le fait qu’à la fin de l’année 2006, alors que le MoU 2007 n’était pas encore finalisé, Lenovo a progressivement nourri des doutes quant à la fiabilité d’AMD en tant que fournisseur, lorsqu’AMD a commencé à fournir Dell. AMD aurait privilégié Dell au détriment de nombreux clients de longue date et la stratégie de distribution d’AMD a créé un préjudice pour Lenovo étant donné les limitations de capacité d’AMD.

1185 Ces arguments se chevauchent avec l’argument tiré de ce que Lenovo aurait décidé d’abandonner les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006 pour des raisons indépendantes de l’existence d’une restriction non déguisée. Or, il y a lieu de rappeler que cet argument est inopérant. Par conséquent, il doit être rejeté pour des raisons analogues à celles énoncées aux points 1096 à 1103 ci-dessus.

 2.3) Sur les dépositions effectuées devant le tribunal du Delaware

1186 La requérante avance, en substance, que la décision attaquée est incompatible avec le témoignage des dirigeants clés de Lenovo (voir points 1110 à 1114 ci-dessus).

1187 Il convient de constater que la requérante invoque des extraits des dépositions susmentionnées surtout afin de démontrer que Lenovo a décidé de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante pour des raisons indépendantes de l’existence d’une condition non écrite d’exclusivité. Or, il y a lieu de rappeler que ces arguments sont inopérants (voir points 1096 à 1103 ci-dessus). Par conséquent, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la valeur probante des dépositions invoquées par la requérante à cet égard.

1188 Au demeurant, il y a lieu d’observer que seules les dépositions de MM. L10 et L8 contiennent des extraits qui ont été invoqués par la requérante et qui concernent directement la preuve de l’existence d’une condition non écrite d’exclusivité. Toutefois, ces extraits ne sont pas à même de remettre en cause la valeur probante des éléments de preuve retenus dans la décision attaquée.

 i) Sur la déposition de M. L10

1189 D’une part, la requérante fait valoir que M. L10 a certifié sous serment que Lenovo « s’est engagée auprès d’Intel sur des objectifs de quantités » et qu’ils ne s’étaient « pas engagés à exclure un autre acteur ». Il aurait en outre confirmé que Lenovo « n’a jamais pris d’engagement à 100 % ». La requérante soutient que M. L10 a déclaré de manière non ambiguë que « le fait que nous étions 100 % Intel était une conséquence de notre propre processus décisionnel interne de réaliser un ordinateur portable AMD ou de ne pas réaliser un ordinateur portable AMD » et non le résultat d’une condition ou d’une exigence imposée par Intel.

1190 Afin d’apprécier la valeur probante de ces extraits de la déposition de M. L10, il convient de les présenter dans leur contexte.

1191 Dans un premier temps, M. L10 a été interrogé sur un courriel qu’il a écrit le 17 juillet 2007 ayant le contenu suivant :

« J’ai entendu d’AMD que nous parlons avec eux d’un ordinateur portable. […] Nous sommes également forclos de lancer des ordinateurs portables non équipés de CPU Intel dans un avenir prévisible. […] Toute conversation avec AMD concernant des ordinateurs portables exposera nos négociations avec Intel à un risque. »

1192 M. L10 a expliqué ce courriel dans sa déposition, en substance, en déclarant qu’il s’agissait d’un mauvais courriel qu’il avait écrit et que sa vraie intention, lorsqu’il l’avait rédigé, était de s’assurer que les discussions de Lenovo avec Intel et AMD avaient lieu de manière centralisée afin de permettre à Lenovo d’obtenir le meilleur accord possible à tout moment et avec chacun des fournisseurs. Selon la déposition de M. L10, il a seulement utilisé un peu de « saveur et couleur » afin d’amener les employés de Lenovo à respecter le processus standardisé de Lenovo de s’engager avec Intel et AMD.

1193 La requérante s’appuie sur le fait que, ensuite, à la question de savoir s’il attestait ne s’être jamais engagé à s’approvisionner à 100 % auprès d’Intel, M. L10 a déclaré ce qui suit :

« [N]ous nous sommes engagée auprès d’Intel sur des objectifs de quantités. Nous ne nous sommes pas engagés à exclure un autre acteur […] nous n’avons jamais pris d’engagement à 100 %. »

1194 Il y a lieu de relever également que, en réponse à la question « Jamais ? », M. L10 a ensuite répondu ce qui suit :

« Lors de mes entretiens, je ne pense pas m’être jamais engagé à 100 %. Nous avons pris un engagement sur des objectifs de quantité. »

1195 Dans un deuxième temps, M. L10 a été interrogé sur la présentation interne de Lenovo de novembre 2006 (voir point 1149 ci-dessus). Tout d’abord, il a été demandé à M. L10 si ce document résumait approximativement le contenu du MoU 2007. En réponse, celui-ci a déclaré que « [l]e but de ce document [était] de résumer ce dont il avait été convenu » et qu’il « devrai[t] vérifier avec le MoU s’il résumait le MoU correctement ou non ». Ensuite, M. L10 a été confronté directement au passage de la présentation selon lequel « l’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD ». Il lui a été demandé si ce passage constituait un résumé correct du MoU 2007. La requérante s’appuie sur la réponse de M. L10, qui comportait les termes suivants. :

« [C]’était une implication de l’accord et non un élément de celui-ci […] le fait que nous étions 100 % Intel était une conséquence de notre propre processus décisionnel interne de réaliser un ordinateur portable AMD ou de ne pas réaliser un ordinateur portable AMD. »

1196 Dans un troisième temps, M. L10 a été interrogé sur un courriel datant du 9 mai 2007 qu’il avait écrit au [confidentiel] de Lenovo. Ce courriel avait pour objet « Intel, ne pas faire suivre svp » et comportait les termes suivants : « Nous avons déjà, sur le plan technique, l’engagement que les ordinateurs portables grand public doivent être 100 % Intel jusqu’en décembre, donc le but serait de prolonger cet accord de six mois. » À la question de savoir s’il était correct qu’il avait écrit que Lenovo s’était « engagée à être 100 % Intel dans son segment ordinateurs portables grand public jusqu’en décembre 2007 », M. L10 a répondu ce qui suit :

« Je… je vois le libellé du document, correct. Le… le contexte est que, si vous regardiez notre feuille de route pour les ordinateurs portables à l’époque, l’implication de notre feuille de route était que nous étions 100 % Intel. Ce n’était pas en raison d’un accord que nous avions avec Intel. C’était une implication [de ce qu’] exposait la feuille de route pour les ordinateurs portables. Puis, lorsque vous vous situez en mai, nous avions déjà… nous avons déjà notre feuille de route exposée pour les 12 à 18 mois à venir. »

1197 Force est de constater que le fait que, dans son courriel du 9 mai 2007, M. L10 a lui-même fait référence à un engagement technique d’être 100 % Intel et que, dans son courriel du 17 juillet de la même année, il a écrit que Lenovo était « forclos de lancer des ordinateurs portables » indique l’existence d’une condition d’exclusivité. Bien que la Commission ne se soit pas appuyée sur le contenu de ces courriels dans la décision attaquée, elle était en droit de l’invoquer pour répondre aux arguments de la requérante tirés de la déposition de M. L10 (voir, en ce sens, arrêt JFE, point 62 supra, point 176). L’interprétation selon laquelle il ressort de ces deux courriels que le MoU 2007 comportait une condition non écrite d’exclusivité concorde, en outre, avec les éléments de preuve retenus dans la décision attaquée, parmi lesquels figure la présentation interne de Lenovo de novembre 2006.

1198 En revanche, la manière dont M. L10 s’efforce d’expliquer le contenu de cette dernière présentation et de ses courriels des 9 mai et 17 juillet 2007 n’est pas convaincante. Si l’approvisionnement exclusif de Lenovo auprès d’Intel avait vraiment seulement été une implication indirecte du MoU 2007, et non une condition de celui-ci, il n’aurait été nécessaire de mentionner ni que Lenovo était « forclos de lancer des ordinateurs portables non équipés de CPU Intel dans un avenir prévisible » (voir point 1191 ci-dessus) ni que Lenovo avait, « sur le plan technique, l’engagement que les ordinateurs portables grand public d[evaie]nt être 100 % Intel jusqu’en décembre » (voir point 1196 ci-dessus). L’explication a posteriori selon laquelle de telles formulations constituent uniquement de mauvaises expressions n’est pas plausible. S’agissant de la présentation interne de Lenovo de novembre 2006, l’explication selon laquelle le passage suivant lequel « l’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD » indiquait seulement « une implication de l’accord et non un élément de celui-ci » est contredite par la manière dont ce passage est présenté dans le contexte immédiat des faits contenus dans le MoU 2007 et sous des titres faisant référence à la relation stratégique avec Intel (voir points 1162 et 1178 ci-dessus). En outre, il y a lieu de rappeler que M. L10 a tout d’abord lui-même déclaré, de manière générale, que le but de cette présentation était de résumer ce dont il avait été convenu dans le MoU 2007. C’est seulement après avoir été confronté directement au passage selon lequel « l’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD » que M. L10 a fourni son explication selon laquelle ce passage signifiait « une implication de l’accord, et non un élément de celui-ci ».

1199 D’autre part, la requérante fait valoir que, dans sa déposition, M. L10 a confirmé que les affirmations de M. L13 ne reflétaient pas correctement les raisons pour lesquelles Lenovo avait décidé de ne pas lancer d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD. La requérante s’appuie à cet égard sur le fait que M. L10 a identifié la complexité, l’efficacité de la chaîne de distribution et le manque de fiabilité d’AMD en tant que fournisseur, en ce qu’AMD a préféré Dell à Lenovo, comme raisons pour lesquelles Lenovo a décidé de ne pas lancer d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD.

1200 Or, ce passage de la déposition de M. L10 n’est pas susceptible de mettre en cause la valeur probante du courriel de M. L13 du 11 décembre 2006 (voir point 1151 ci-dessus). Interrogé sur ce courriel et en réponse à la question de savoir pourquoi M. L13 pouvait avoir eu l’impression que le MoU 2007 exigeait de Lenovo qu’elle n’introduise pas de produits AMD, M. L10 a mentionné la complexité, l’efficacité et le manque de fiabilité d’AMD comme des raisons qui plaidaient « à son avis » contre le lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD. Ainsi, M. L10 n’a pas expressément dit que la déclaration de M. L13 ne reflétait pas la réalité. De même, il n’a pas pu expliquer pourquoi Lenovo a donné pour consigne à Wistron, le destinataire du courriel de M. L13, de supprimer ce message. Les réponses que fournit M. L10 lorsqu’il est confronté au courriel de M. L13 donnent donc l’impression d’être évasives. Cette impression est confirmée par le fait que, lorsqu’il a été interrogé sur son courriel du 17 juillet 2007, M. L10 a déclaré ce qui suit :

« [L]ors de mes entretiens, je ne pense pas m’être jamais engagé à 100 % » (voir point 1194 ci-dessus).

1201 Enfin, il y a lieu de rappeler que Lenovo s’est efforcée de dissimuler tout lien entre l’accord conclu avec la requérante et sa décision de s’approvisionner exclusivement auprès d’elle en 2007 (voir points 1168 à 1171 ci-dessus) et que Lenovo a fait des déclarations non crédibles dans sa réponse au titre de l’article 18 (voir points 1070 à 1078 et 1176 à 1181 ci-dessus). Au vu de ces faits et en tenant compte de l’absence d’explication convaincante de la part de M. L10 concernant le contenu de la présentation interne de Lenovo de novembre 2006 et de ses courriels des 9 mai et 17 juillet 2007 ainsi que de la manière évasive dont M. L10 a répondu aux questions concernant le courriel de M. L13 du 11 décembre 2006, il est permis de conclure que la déposition de M. L10 n’est pas crédible pour autant qu’elle contredit l’existence d’une condition non écrite d’exclusivité. Au contraire, il semble probable que M. L10 ait suivi la ligne de Lenovo qui consiste à nier le fait que le MoU 2007 était soumis à une telle condition. Par conséquent, la déposition de M. L10 n’est pas à même de mettre en cause l’ensemble de preuves précises et concordantes sur lesquelles la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée.

 ii) Sur la déposition de M. L8

1202 Dans son mémoire du 14 juin 2012, la requérante s’est appuyée sur l’extrait suivant de la déposition de M. L8.

1203 M. L8 a été confronté à la présentation interne de Lenovo de novembre 2006, dans laquelle il est indiqué : « [L]’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD » (voir point 1149 ci-dessus). Lorsqu’il a été demandé s’il avait compris, en entrant dans l’année 2007, que Lenovo n’utiliserait pas de CPU AMD dans ses ordinateurs portables pendant l’intégralité de l’année 2007, M. L8 a répondu ce qui suit :

« Ce que j’ai compris à l’époque, c’était que nous avions des prix compétitifs de la part d’Intel et que la conséquence de cela était de ne pas utiliser [de CPU] AMD. »

1204 Toutefois, cette déclaration de M. L8 est contredite par la manière dont le passage suivant lequel « l’activité ordinateurs portables sera 100 % Intel – pas d’ordinateurs portables [équipés de CPU] AMD » est présenté, dans la présentation de Lenovo, dans le contexte immédiat des détails contenus dans le MoU 2007 et sous des titres faisant référence à la relation stratégique avec Intel (voir points 1162 et 1178 ci-dessus). La déclaration de M. L8 n’est donc pas crédible.

1205 En outre, dans son mémoire du 23 mai 2012, la Commission a, à juste titre, mis en exergue le passage suivant de la déposition de M. L8.

1206 Celui-ci a été confronté au courriel de M. L10 du 17 juillet 2007 dans lequel ce dernier a écrit ce qui suit : « Nous sommes également forclos de lancer des ordinateurs portables non équipés de CPU Intel dans un avenir prévisible. […] Toute conversation avec AMD concernant des ordinateurs portables exposera nos négociations avec Intel à un risque » (voir point 1191 ci-dessus). Lorsqu’il lui a été demandé pourquoi M. L10 avait compris que Lenovo était forclos de lancer des ordinateurs portables non équipés de CPU Intel, M. L8 a répondu : « Je ne peux pas commenter le fait pourquoi exactement il a pensé être forclos. » Ensuite, lorsqu’il lui a été demandé s’il savait pourquoi M. L10 a pensé que le fait d’avoir des conversations avec AMD concernant des ordinateurs portables exposerait les négociations avec Intel à un risque, M. L8 a répondu : « Je comprends qu’il s’inquiétait de la réaction d’Intel. »

1207 Enfin, il a été énoncé au point 1128 à 1143 ci-dessus qu’il est probable que M. L8 ait suivi la ligne de Lenovo qui consiste à nier le fait que les paiements de la requérante étaient octroyés à la condition que Lenovo ne lançât pas d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006. Cette conclusion s’applique également aux déclarations de M. L8 concernant l’existence d’une condition non écrite d’exclusivité dans le MoU 2007. Par conséquent, la déposition de M. L8 n’est pas à même de mettre en cause l’ensemble de preuves précises et concordantes sur lesquelles la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée.

 3) Conclusion

1208 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a accordé des rabais à Lenovo entre janvier 2007 et décembre 2007 dont le niveau était subordonné à l’achat, par Lenovo, de tous les CPU x86 destinés à ses ordinateurs portables auprès de la requérante.

1209 À cet égard, il convient d’observer que le MoU de 2007 représentait la prolongation des paiements octroyés par Intel à Lenovo en 2006, qui étaient subordonnés au report du lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD. Étant donné que la Commission a démontré la conditionnalité de ces paiements à suffisance de droit, il est peu concevable que, après décembre 2006, Intel ait renoncé à offrir une « récompense » à Lenovo pour rester « 100 % Intel ».

1210 Partant, il est permis de conclure que la Commission a démontré à suffisance de droit qu’Intel a accordé des paiements à Lenovo, entre juin et décembre 2006, subordonnés au report par Lenovo du lancement des deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD et que, en décembre 2006, Intel et Lenovo ont conclu le MoU 2007 qui était soumis à une condition non écrite d’exclusivité, ce qui impliquait, en même temps, l’annulation complète du lancement de ces deux modèles.

c)     Analyse de la capacité des pratiques de la requérante vis-à-vis de Lenovo à restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

1211 Il convient de rappeler que, afin de constater l’illégalité des rabais d’exclusivité et des restrictions non déguisées en cause en l’espèce, la Commission n’est pas tenue de procéder à une analyse de la capacité de ces pratiques à restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce (voir points 80 à 94 et 209 ci-dessus).

1212 À titre surabondant, il convient de constater que, dans la décision attaquée, la Commission a établi la capacité des rabais et des paiements conditionnels octroyés à Lenovo également selon une analyse des circonstances de l’espèce.

1213 À cet égard, il y a lieu de rappeler de manière générale que le fait que les rabais conditionnels octroyés par la requérante à Lenovo s’inscrivaient dans une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants et le fait que cette stratégie comprenait deux types d’infractions qui se complétaient et se renforçaient mutuellement rendent le comportement de la requérante susceptible de restreindre la concurrence (voir points 181, 184 et 213 ci-dessus).

1214 En outre, il y a lieu de rappeler que les rabais et les paiements conditionnels étaient pour les OEM un élément important à prendre en considération en raison de la forte concurrence sur le marché des OEM et de leurs faibles marges opérationnelles (voir point 179 ci-dessus). De plus, le fait que ces rabais et ces paiements ont effectivement été pris en considération pour des décisions commerciales de leurs bénéficiaires constitue également un élément qui est susceptible de fonder la capacité de ces paiements à restreindre la concurrence (voir points 180 et 212 ci-dessus).

1215 S’agissant plus particulièrement de la qualification des rabais et des paiements conditionnels de la requérante vis-à-vis de Lenovo, il convient de constater que ceux-ci ont eu un impact sur le choix d’approvisionnement de Lenovo lors de la période mise en cause dans la décision attaquée (voir considérants 519, 532, 559 à 561, 572 et 989 de la décision attaquée). À cet égard, il y a lieu de rappeler notamment :

–        le courriel de M. L2 du 26 juin 2006, selon lequel « le marché avec Intel ne nous permettra pas de lancer AMD » (voir point 1045 ci-dessus) ;

–        le courriel de M. L3 du 28 juin 2006, selon lequel la part de Lenovo dans l’accord conclu avec Intel supposait que Lenovo attribuât tout le marché d’expéditions pour le reste de 2006 à Intel (voir point 1046 ci-dessus) ;

–        la présentation interne de Lenovo en préparation de la réunion avec Intel du 29 juin 2006, dont les termes étaient les suivants : « Intel a fait une proposition agressive pour le marché d’ordinateurs portables de Lenovo de 2006 […] Plan => D’accord pour attribuer toutes nos affaires à Intel dans le domaine des ordinateurs portables en 2006 » (voir points 1047 et 1131 ci-dessus) ;

–        et le courriel de M. L13 du 11 décembre 2006, selon lequel Lenovo n’introduirait pas de produits équipés de CPU AMD en 2007 pour ses ordinateurs portables en raison du marché lucratif conclu avec la requérante (voir point 1151 ci-dessus).

1216 Certes, la requérante s’efforce de réfuter cet impact en faisant valoir que Lenovo a pris les décisions d’abandonner son projet de lancer des ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006 et de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante dans le segment des ordinateurs portables en 2007 pour des raisons parfaitement indépendantes de l’existence des conditions correspondantes dans les accords qu’elle a conclus avec Lenovo (voir points 1092 à 1095 et 1184 ci-dessus).

1217 À cet égard, il convient tout d’abord de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission a démontré à suffisance de droit que les accords conclus entre la requérante et Lenovo comprenaient des paiements qui étaient soumis à des conditions non écrites selon lesquelles Lenovo abandonnerait son projet de lancer des ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006 et qu’elle s’approvisionnerait exclusivement auprès de la requérante dans le segment des ordinateurs portables en 2007 (voir points 1043 à 1207 ci-dessus).

1218 Ensuite, force est de constater que les arguments de la requérante ne sont aucunement à même d’exclure toute influence des accords conclus entre elle et Lenovo sur le choix d’approvisionnement de cette dernière. En effet, afin de mettre en cause la preuve de l’impact de ses pratiques sur les choix d’approvisionnement de Lenovo, la requérante aurait dû démontrer que Lenovo aurait effectué les mêmes choix d’approvisionnement également en l’absence des paiements accordés en contrepartie du respect des conditions suivant lesquelles Lenovo reporterait et abandonnerait son projet de lancer des ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006 et qu’elle s’approvisionnerait exclusivement auprès de la requérante dans le segment des ordinateurs portables en 2007. Dans le cas d’espèce, la requérante a souligné à de maintes reprises justement l’importance de ses meilleurs prix comme un des éléments déterminants pour les décisions de Lenovo (voir points 1088, 1092, 1105 et 1106 ci-dessus). Or, force est de constater que le niveau absolu de ces meilleurs prix dépendait des paiements mis en cause dans la décision attaquée, dont la conditionnalité a été établie à suffisance de droit. En conséquence, il est permis de conclure que les paiements conditionnels de la requérante accordés à Lenovo ont eu un impact sur le choix d’approvisionnement de cette dernière.

1219 Au demeurant, la décision d’un client de s’approvisionner auprès d’un fournisseur plutôt qu’auprès d’un autre est nécessairement une décision multicausale. Dans la mesure où il est établi en l’espèce que les paiements, octroyés en contrepartie des conditions selon lesquelles Lenovo reporterait et abandonnerait ses plans de lancement des ordinateurs portables équipés de CPU AMD en 2006 et qu’elle s’approvisionnerait exclusivement auprès de la requérante dans le segment des ordinateurs portables en 2007, ont eu un impact sur le choix d’approvisionnement de Lenovo, cette preuve ne saurait être réfutée par le seul fait que d’autres raisons auraient également eu une influence sur ce choix (voir point 597 ci-dessus).

1220 Il s’ensuit que la Commission a démontré à suffisance de droit que les accords conclus entre la requérante et Lenovo ont eu un impact sur le choix d’approvisionnement de cette dernière. Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que les pratiques de la requérante vis-à-vis de Lenovo avaient la capacité de restreindre la concurrence.

d)     Conclusion

1221 Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter la totalité des griefs invoqués par la requérante relatifs aux rabais d’exclusivité et aux restrictions non déguisées concernant Lenovo.

5.     Acer

1222 Selon l’article 1er, sous g), de la décision attaquée, Intel a accordé « des paiements à Acer entre septembre 2003 et janvier 2004 à condition qu’Acer retarde le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU x86 d’AMD ».

1223 La Commission relève dans la décision attaquée que, en janvier 2003, Acer a envisagé de lancer à l’automne 2003 des ordinateurs de bureau et des ordinateurs portables équipés du nouveau CPU Athlon 64. Le lancement était, selon le considérant 417 de la décision attaquée, prévu pour le 23 septembre 2003. Le CPU Athlon 64 est un CPU x86 à architecture 64 bits d’AMD. Le nom de code utilisé par Intel pour désigner le CPU Athlon 64 était « K8 ».

1224 À cette époque, Intel n’avait pas encore mis sur le marché de CPU x86 à architecture 64 bits, ainsi qu’il résulte de l’historique présenté au considérant 146 de la décision attaquée, selon lequel le premier CPU x86 d’Intel à architecture 64 bits a été annoncé au premier trimestre de 2004 et mis sur le marché en septembre 2004.

1225 Selon le considérant 450 de la décision attaquée, Acer a reporté à janvier 2004 le lancement de ses ordinateurs portables équipés de CPU Athlon 64, parce qu’Intel le lui avait demandé. Acer aurait compris que, s’il n’obéissait pas à cette demande, le financement ECAP convenu précédemment serait réduit.

1226 Selon la requérante, la décision attaquée ne fournit pas de preuves solides, précises et concordantes à l’appui de ses conclusions selon lesquelles, d’une part, Acer a « compris » qu’Intel réduirait son financement en l’absence d’un report et, d’autre part, Intel a « indiqué » à Acer qu’elle procéderait à une telle réduction. Les éléments de preuve montreraient au contraire qu’Acer a décidé de reporter le lancement de son ordinateur portable équipé du CPU Athlon 64 après avoir rencontré un grave problème technique et après avoir constaté une pénurie à l’échelle mondiale de ces CPU. Selon la requérante, Acer nourrissait également des inquiétudes quant aux questions de savoir si le marché était prêt pour le produit et si elle pouvait perdre une partie des rabais que lui accordait Intel. Les dirigeants d’Acer admettraient qu’aucun membre d’Intel n’a dit à Acer qu’elle perdrait une partie de ses rabais si elle lançait des modèles équipés du CPU Athlon 64.

1227 Il y a donc lieu d’examiner si les éléments de preuve présentés par la Commission dans la décision attaquée suffisent pour démontrer l’existence de la restriction non déguisée dont fait état ladite décision.

1228 À titre liminaire, il y a lieu d’observer que la Commission semble avoir fait valoir, au point 401 du mémoire en défense, lu en combinaison avec le point 400, paragraphes b) et c), dudit mémoire, que le seul fait qu’Intel ait demandé à Acer de reporter le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU AMD suffisait à établir le caractère illicite des restrictions non déguisées qu’Intel avait appliquées à l’égard d’Acer.

1229 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’infraction qu’Intel a commise, selon l’article 1er, sous g), de la décision attaquée, a consisté à « accorder des paiements à Acer » à condition qu’elle retarde le lancement d’un ordinateur portable (voir point 1222 ci-dessus). L’infraction, telle qu’elle a été constatée dans la décision attaquée, ne consistait donc pas en une simple demande d’Intel à Acer de retarder le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU AMD, mais en l’octroi de paiements conditionnés à ce retard.

1230 Le Tribunal, qui est appelé à contrôler la légalité de la décision attaquée, ne saurait substituer le constat d’une autre infraction au constat de l’infraction tel qu’il a été effectué dans la décision attaquée.

1231 En tout état de cause, interrogée sur ce point lors de l’audience, la Commission a déclaré qu’elle n’avait pas souhaité faire valoir qu’une demande d’Intel à Acer aurait suffi à elle seule à caractériser l’infraction, mais qu’elle avait souhaité faire référence à une demande combinée à une incitation financière.

1232 Il ne suffira donc pas de constater que la Commission a prouvé à suffisance de droit le fait qu’Intel avait demandé à Acer de reporter le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU Athlon 64. Il y a lieu d’examiner si la Commission a prouvé à suffisance de droit, d’une part, qu’Intel avait fait savoir à Acer qu’elle lui demandait de reporter le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU x86 d’AMD et, d’autre part, qu’Intel avait fait comprendre à Acer que le niveau des rabais futurs dépendait de ce report.

1233 Il convient en outre de relever que, en l’espèce, la Commission n’a pas fait état de ce qu’Intel avait offert à Acer une hausse des rabais par rapport aux trimestres précédents en cas de report du lancement de l’ordinateur portable équipé du CPU Athlon 64. Selon la décision attaquée, il s’agissait plutôt d’une communication de la part d’Intel portant sur le fait que les rabais futurs seraient moins élevés si Acer ne se conformait pas à la demande d’Intel. Néanmoins, la formulation du dispositif de ladite décision reste correcte. La partie des rabais à accorder dans le futur, concernant laquelle Intel a fait comprendre à Acer qu’elle risquait d’être supprimée si Acer ne reportait pas le lancement, est, en d’autres termes, un rabais qu’Intel a accordé à la condition qu’Acer reportât ledit lancement.

1234 Le comportement abusif en cause en l’espèce a consisté à accorder une incitation financière à Acer à la condition qu’elle reportât le lancement d’un ordinateur portable incorporant le CPU Athlon 64 d’AMD. Il y a lieu de souligner qu’une incitation financière peut fonctionner dans les deux sens, à savoir que l’entreprise en position dominante soit offre des paiements additionnels en cas de report du produit concurrent, soit indique à son client que le niveau des rabais qui seront accordés dans le futur risque d’être moins élevé si le client ne reporte pas le lancement.

a)     Sur les éléments de preuve présentés dans la décision attaquée et leur valeur probante

1235 La Commission s’appuie, tout d’abord, sur un mémoire d’Acer, datant du 28 avril 2006, dans lequel Acer a indiqué qu’il existait « certaines demandes plus ou moins explicites d’Intel pour qu’Acer réduise ou diminue son utilisation de produits AMD, cela incluant notamment le report du lancement de certains produits Acer équipés de CPU AMD ».

1236 La Commission a en outre relevé que, par courriel du 29 janvier 2003, M. I10, d’Intel, avait envoyé le projet d’une lettre d’intention à M. A1, le négociateur en chef d’Acer avec Intel, dans lequel il a été précisé ce qui suit :

« Acer décide, selon sa propre appréciation commerciale, de ne pas planifier le lancement du produit ordinateur de bureau K8 avant la réunion interne des responsables du 14 avril. »

1237 Dans sa réaction du même jour, M. A1 a précisé ce qui suit :

« Non à un tel engagement, car cela va au-delà de la conclusion à laquelle sont parvenus récemment les cadres d’Acer, qui était fondée sur la demande ‘pas d’ordinateur portable K8’ émanant du management d’Intel, ce qui a ainsi été décidé lors de notre réunion de cadres. Si nous devons ajouter un tel engagement, Acer devra organiser une nouvelle réunion des cadres. »

1238 La Commission relève en outre, au considérant 422 de la décision attaquée, que la lettre d’intention a été modifiée en conséquence et que la version envoyée le lendemain ne contenait plus de référence à un report du lancement en ce qui concernait les ordinateurs de bureau, mais seulement en ce qui concernait les ordinateurs portables.

1239 Il résulte de cet échange de courriels entre Intel et Acer qu’Intel a demandé à Acer de reporter le lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU Athlon 64 (K8).

1240 La Commission s’appuie en outre sur un courriel du 26 août 2003, dans lequel M. A1 a écrit ce qui suit à Intel :

« Étant donné qu’Intel se montre extrêmement préoccupée au sujet de la démarche d’Acer de lancer le K8 le 23 septembre [2003], après notre examen interne, voici nos actions modifiées en conséquence. Je suis certain qu’Intel pourrait percevoir la sincérité d’Acer à répondre à la demande d’Intel et je propose de conclure rapidement le plan d’affaires du quatrième trimestre pour continuer à renforcer les activités entre les deux sociétés, alors que nous supposons qu’Intel reconnaîtra la sincérité d’Acer et continuera à fournir à Acer le même soutien, voire un soutien plus important que celui des trois derniers trimestres.

–        Acer ne lancera pas et n’expédiera pas de produits K8 dans la région [APAC] et Grande Chine en 2003.

–        Acer va faire en sorte que seule Acer Europe se joigne à AMD Europe pour la manifestation de lancement, simplement parce que cela a été une activité continue dans laquelle les affaires avaient une base constante. Des expéditions de K8 auront lieu. »

1241 Il résulte de ce courriel, d’une part, qu’Acer a indiqué à Intel avoir modifié son planning pour répondre à la demande de cette dernière et, d’autre part, qu’Acer s’attendait à obtenir en échange des rabais ou des paiements au moins aussi élevés que ceux accordés pendant les trimestres précédents. Cela implique que M. A1 craignait que, en l’absence de réponse positive à la demande d’Intel, les rabais puissent être moins élevés que ceux accordés pendant les trimestres antérieurs. Il résulte en outre de ce courriel que l’engagement initial qu’Acer avait pris ne concernait qu’un report du lancement dans la région APAC et en Chine.

1242 Au considérant 424 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, dans un courriel du 27 août 2003, M. I11, d’Intel, avait néanmoins signalé ce qui suit à MM. I12, cadre d’Intel, et I13, [confidentiel] d’Intel :

« Résumé [en ce qui concerne la région] APAC : le lancement du K8 est planifié pour le 23 septembre […]. [M. I5] [confidentiel] a rencontré leurs principaux responsables. Cela pose un problème ÉNORME et de niveau 10 sur l’échelle de Richter pour [M. I13]. Il rencontrera [M. A1] [d’Acer] à Hong Kong dans deux semaines – il sera TRÈS direct. Nous avions un engagement avec eux – USA, marketing conjoint, publicités télévisées, dans l’émission today show, etc. »

1243 La Commission relève, au considérant 424 de la décision attaquée, qu’il résulte de ce courriel que, selon la perception d’Intel, Acer ne respectait pas ce qu’Intel avait demandé en ce qu’elle maintenait le lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 dans la région APAC en 2003. La requérante souligne que ce courriel ne faisait référence à aucune demande d’Intel à laquelle Acer ne se serait pas pliée, de même qu’il ne mentionnerait aucune attitude menaçante ou punitive d’Intel.

1244 À cet égard, il convient de relever qu’il résulte de ce courriel qu’Intel a considéré qu’il existait un engagement de la part d’Acer de ne pas lancer les produits concernés dans la région APAC à ce stade. S’il est exact qu’il ne résulte pas de ce courriel qu’un tel engagement avait été demandé par Intel, la demande d’Intel en ce sens résulte toutefois des courriels cités aux points 1237 et 1240 ci-dessus. Il convient de relever que ces derniers courriels sont des éléments de preuve très fiables de ce qu’Intel avait demandé à Acer de retarder le lancement des ordinateurs portables équipés de CPU Athlon 64 dans la région Asie-Pacifique. En effet, il s’agit de communications entre Acer et Intel et il n’est pas plausible qu’Acer aurait mentionné, dans des courriels adressés à Intel, une demande d’Intel de report du lancement, si aucune demande d’Intel en ce sens n’avait existé. En tout état de cause, Intel, en tant que destinataire de ces courriels, aurait pu contredire le contenu de ceux-ci s’ils n’avaient pas reproduit le contenu des discussions de manière exacte.

1245 Le 3 septembre 2003, M. I14, d’Intel, a écrit un courriel interne intitulé « Réflexions sur la stratégie pour le quatrième trimestre, veuillez formuler vos commentaires ». Ainsi que la Commission l’a relevé, au considérant 425 de la décision attaquée, M. I14 a écrit : « Désignation de notre stratégie pour le quatrième trimestre – Réduction des ECAP (ton semblable à la réponse qu’ils nous ont donnée sur le K8) 1. Réduire les dollars ECAP à un montant entre 5 et 6 millions de dollars (environ la moitié) 2. Réduire de moitié également les MDF au niveau mondial 3. Réduction du soutien pour les échantillons de CPU/chipsets […] Si nous continuons à offrir des ECAP pour le quatrième trimestre (au même niveau qu’aujourd’hui), Acer pensera qu’Intel est un froussard malgré le fait qu’ils lanceront le K8 ce mois-ci […] Acer affirme une chose face à nos responsables pour pouvoir bénéficier de dollars, d’avantages et d’un soutien, mais ils font tout autre chose dans notre dos et nous allons donc les punir » et « Comme nous l’avons conclu hier, les ECAP sont comme une drogue pour Acer et ils ne peuvent pas résister sans celle-ci sur le long terme. »

1246 Au considérant 426 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, deux jours seulement après la date du courriel mentionné au point précédent, Acer a accepté de se conformer aux demandes d’Intel même au-delà de l’engagement qu’elle avait pris le 26 août 2003.

1247 Acer a décidé de reporter le lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU Athlon 64 dans toutes les régions, y compris en Europe. Ainsi, par un courriel interne du 5 septembre 2003, M. I10, d’Intel, a signalé ce qui suit :

« À tous, une excellente nouvelle vient de parvenir du cadre dirigeant d’Acer [M. A1], Acer a décidé de laisser tomber le K8 d’AMD pour 2003 dans le monde entier. Nous avons été en contact avec eux jusqu’au niveau de [M. I5] dernièrement, y compris [M. I12], [M. I13] et [confidentiel] [probablement M. I15], par le biais de réunions physiques ou de téléconférences afin de comprendre leur programme d’activité et leurs idées de lancer le produit K8 d’AMD, alors que l’écosystème de l’industrie n’est pas prêt pour des CPU à 64 bits. Ils ont continué à résister jusqu’à aujourd’hui, mais après un coup de fil ce matin avec [confidentiel], M. [A1], cadre dirigeant d’Acer, vient de confirmer qu’ils avaient décidé de laisser tomber le K8 d’AMD dans le monde entier pour 2003. Le [confidentiel] d’Acer M. [A2] a reçu cette instruction de M. [A3] également et il la mettra en œuvre dans la région EMOA […] »

1248 En ce qui concerne le courriel interne d’Intel cité au point 1245 ci-dessus, la requérante fait valoir qu’il s’agit de « réflexions » qu’un collaborateur de rang inférieur d’Intel a communiquées à ses supérieurs et que rien n’indique que les « réflexions » en question aient jamais été communiquées à Acer ou mises en œuvre, ni même qu’elles aient jamais été prises au sérieux, par qui que ce soit chez Intel.

1249 À cet égard, il convient de relever que, certes, ce courriel interne n’indique pas par lui-même quelle suite lui a été réservée, notamment ce qu’Intel a communiqué par la suite à Acer. Pourtant, il résulte de ce courriel que, selon la perception de son auteur, au cas où le lancement d’un ordinateur équipé d’un CPU Athlon 64 par Acer ne se traduisait pas par une réduction des rabais, Acer ne prendrait plus Intel au sérieux ou, selon la formulation retenue dans ledit courriel, penserait qu’Intel est un « froussard ». Cela constitue un indice de ce qu’une communication d’Intel à Acer relative au fait que le niveau des futurs rabais dépendait du report du lancement avait eu lieu. En effet, si une telle communication n’avait pas eu lieu, il n’y aurait eu aucune raison pour l’auteur de ce courriel de s’inquiéter quant au fait qu’Acer ne prendrait plus Intel au sérieux si le lancement de l’ordinateur n’entraînait pas une réduction des rabais.

1250 En outre, il résulte de la phrase « Acer affirme une chose face à nos responsables pour pouvoir bénéficier de dollars, d’avantages et d’un soutien, mais ils font tout autre chose dans notre dos » que, selon la perception de l’auteur du courriel en question, Acer a indiqué à Intel qu’elle reporterait le lancement d’un ordinateur équipé d’un CPU Athlon 64 afin d’obtenir des paiements ou des rabais.

1251 Cela concorde avec la perception d’Acer, telle qu’elle apparaît dans le courriel de M. A1, d’Acer, du 26 août 2003, cité au point 1240 ci-dessus. Acer a informé Intel qu’elle reporterait le lancement de produits équipés de CPU Athlon 64 dans la région APAC et a considéré pouvoir obtenir en échange des rabais au moins aussi élevés que ceux obtenus aux trimestres précédents.

1252 Ces deux éléments pris ensemble, à savoir le courriel montrant la perception du collaborateur d’Intel et le courriel montrant la perception d’Acer, permettent de conclure qu’il y a eu, quelle qu’en fût la forme, une communication d’Intel à Acer selon laquelle le niveau des rabais futurs dépendait du report du lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64. Certes, la Commission ne dispose pas d’une preuve directe d’une telle communication. À cet égard, il convient de relever qu’une telle communication ne doit pas nécessairement être explicite. Il aurait suffi pour Intel de faire comprendre à Acer de manière implicite que des rabais ou paiements futurs seraient mis en danger si Acer ne reportait pas le lancement des produits concernés.

1253 Le seul fait que la manière dont cette communication a eu lieu ne résulte pas de la décision attaquée n’empêche pas que la perception concordante d’Acer et d’Intel, selon laquelle le niveau des rabais futurs dépendait du report du lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64, permet de conclure qu’une communication quelconque, fût-elle explicite ou implicite, a dû avoir lieu.

1254 Quant à l’argument de la requérante selon lequel M. I14, l’auteur du courriel cité au point 1245 ci-dessus, est un collaborateur d’Intel de niveau inférieur, il convient de relever que celui-ci a adressé ce courriel à ses supérieurs en leur demandant leurs observations et qu’Intel ne précise pas quelle a été la réaction des destinataires de ce courriel. Intel se limite à affirmer que « rien n’indique » que ce courriel ait été pris au sérieux.

1255 En outre, Intel n’explique pas comment M. I14 a pu percevoir qu’Acer avait indiqué qu’elle reporterait le lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 « pour pouvoir bénéficier de dollars, d’avantages et d’un soutien », ni pourquoi il a considéré qu’Acer ne prendrait plus Intel au sérieux si le lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 n’entraînait pas une perte de rabais si, en réalité, il n’existait aucun rapport entre le report du lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 et des paiements de la part d’Intel. Il résulte en outre de ce courriel que M. I14 a été impliqué dans les discussions de ses supérieurs relatives à Acer. Ainsi, M. I14 a également écrit : « Comme nous l’avons conclu hier, les ECAP sont comme une drogue pour Acer. » Cet extrait indique que M. I14 était au courant des discussions entre Intel et Acer, de sorte que l’on ne peut considérer qu’il a écrit le courriel du 3 septembre 2003 sans avoir connaissance des faits pertinents. Par ailleurs, il résulte de cet extrait que, lors de la discussion qui a eu lieu entre M. I14 et ses supérieurs, ils ont constaté qu’Acer était dépendant des rabais ECAP. Cela constitue un indice de ce que la relation entre le lancement d’un ordinateur équipé du CPU Athlon 64 par Acer et les rabais ECAP avait déjà fait l’objet de la discussion qui a eu lieu entre M. I14 et ses supérieurs. En tout état de cause, le courriel ayant été écrit après une discussion que M. I14 a eue avec ses supérieurs, la requérante ne saurait remettre en cause la valeur probante de ce courriel en soutenant que « rien n’indique » que le courriel ait été pris au sérieux par qui que ce soit chez Intel. Il résulte de ce qui précède que la valeur probante du courriel du 3 septembre 2003 n’est pas remise en cause par la circonstance que son auteur était un collaborateur de niveau inférieur.

1256 Il convient toutefois de rappeler que le courriel d’Acer du 26 août 2003 cité au point 1240 ci-dessus ne concernait pas le report du lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 en Europe. C’est seulement le 5 septembre 2003 qu’Acer a informé Intel qu’elle ne lancerait d’ordinateurs portables équipés de CPU Athlon 64 en 2003 dans aucune région au monde, y compris la région EMOA.

1257 Il résulte du courriel interne de M. I10 d’Intel, du 5 septembre 2003, cité au point 1247 ci-dessus, que la communication d’Acer à Intel a été faite après une intervention de cadres d’Intel du niveau le plus élevé. Certes, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas cité de preuves directes concernant le contenu des discussions entre ces cadres d’Intel et Acer. Cela n’a pourtant rien d’étonnant, car il résulte de ce courriel qu’il s’agissait de discussions qui ont eu lieu lors de réunions physiques ou de téléconférences.

1258 Quant au contenu des discussions, ce courriel indique que les réunions physiques et les téléconférences avaient pour objet de « comprendre [le] programme d’activité [d’Acer] et leurs idées de lancer le produit K8 d’AMD alors que l’écosystème de l’industrie n’[était] pas prêt pour des CPU 64 bits ». À cet égard, il convient de relever qu’il n’est pas très plausible que des cadres d’Intel du niveau le plus élevé soient personnellement intervenus uniquement afin de comprendre le programme d’activité d’un client et pourquoi ce client souhaitait lancer le produit d’un concurrent, alors que l’écosystème de l’industrie n’était pas encore prêt pour la technologie en cause. Lorsque l’industrie n’est pas encore prête pour un certain modèle, soit ce modèle se vendra mal soit les clients seront insatisfaits. Il n’apparaît pas clairement pourquoi Intel aurait dû être préoccupée par le fait qu’un ordinateur équipé d’un CPU d’un concurrent se vende mal ou déplaise aux clients. En outre, il résulte de la phrase suivante dudit courriel qu’Intel ne s’est pas limitée à essayer de comprendre le programme d’activité d’Acer. En effet, selon cette phrase, « [i]ls ont continué à résister jusqu’à aujourd’hui (‘[t]hey keep pushing back until today’), mais après un coup de fil ce matin avec [confidentiel], M. [A1], cadre dirigeant d’Acer, vient de confirmer qu’ils ont décidé de laisser tomber le K8 d’AMD dans le monde entier pour 2003 ». Le fait qu’Acer a « résisté » au début signifie qu’il y a eu une demande en ce sens d’Intel, fût-elle communiquée de manière explicite ou implicite.

1259 Interrogée sur ce point lors de l’audience, la requérante a indiqué que l’expression anglaise « pushing back », utilisée dans la version originale du courriel cité au point précédent, pourrait faire référence à un ajournement de la téléconférence. Pourtant, cette interprétation ne saurait convaincre. En effet, il résulte de la phrase précédente dudit courriel que des réunions et des téléconférences avaient eu lieu avant l’appel téléphonique du 5 septembre 2003. Cela n’aurait donc aucun sens pour l’auteur de ce courriel d’affirmer qu’Acer a continué à ajourner la téléconférence « jusqu’à aujourd’hui ». Au vu du contexte du courriel, la seule interprétation plausible de l’expression « pushing back » est qu’Acer a résisté à une demande d’Intel avant de confirmer, finalement, qu’elle avait décidé de ne pas lancer d’ordinateur équipé d’un CPU Athlon 64 dans le monde entier en 2003.

1260 La Commission s’appuie en outre, aux considérants 427, 428 et 433 de la décision attaquée, sur plusieurs courriels internes d’AMD, dans lesquels M. C2, d’AMD, a décrit le contenu de discussions auxquelles il avait participé avec des cadres d’Acer, en tant qu’éléments de preuve.

1261 Dans un courriel du 9 septembre 2003 adressé au [confidentiel] juridique d’AMD, M. C2 a indiqué ce qui suit :

« [M. A1] m’a indiqué que la participation d’Acer était compromise par la demande extrêmement spécifique d’Intel d’éviter tout soutien public à l’AMD 64 et [au CPU] Athlon 64. Il m’a spontanément dit que c’[était] la première fois qu’il voyait M. [I5] intervenir PERSONNELLEMENT dans une telle affaire […] La menace qui pesait sur Acer m’a été décrite comme une menace qui n’était pas totalement définie, mais qui pourrait aller jusqu’à une suppression de 100 % des fonds marketing accordés par Intel. [M. A1] a indiqué qu’étant donné que 85 % de leur activité provenaient d’Intel, le préjudice causé à Acer serait significatif. Par conséquent, bien qu’il m’ait assuré de son engagement vis-à-vis de notre relation et du succès à long terme de l’AMD 64, il m’a dit qu’Acer était en train d’examiner à quel compromis ils pourraient parvenir pour continuer à nous soutenir tout en satisfaisant à l’ultimatum d’Intel. Il m’a indiqué qu’Acer envisageait différentes possibilités : retarder le lancement officiel jusqu’à l’année prochaine […] »

1262 Quant aux courriels internes d’AMD, la requérante souligne à juste titre que M. C2, d’AMD, qui a envoyé ces courriels, n’avait pas une connaissance directe du contenu des discussions entre Intel et Acer.

1263 Dans le courriel cité au point 1261 ci-dessus, M. C2 a résumé le contenu d’une conversation qu’il avait eue avec M. A1, d’Acer, lors de laquelle celui-ci lui aurait signalé qu’il y avait une demande « extrêmement spécifique » de la part d’Intel d’éviter tout soutien public au CPU Athlon 64 et que la menace d’Intel n’était pas clairement définie, mais qu’elle pouvait aller jusqu’à une suppression complète des fonds de marketing.

1264 Il convient de relever que la valeur probante intrinsèque d’un tel élément de preuve est assez limitée. En effet, d’éventuelles informations inexactes que M. A1 aurait pu donner à M. C2 ne seraient pas passibles d’amendes. En outre, il s’agit d’un courriel que M. C2 a envoyé au [confidentiel] juridique d’AMD, et cela après qu’AMD avait introduit la plainte contre Intel auprès de la Commission. Il s’agissait donc apparemment d’un courriel destiné à être utilisé dans le cadre de la plainte d’AMD contre Intel.

1265 Il n’y a pourtant pas lieu de nier toute valeur probante à un tel courriel. Malgré sa valeur probante inhérente limitée, il peut constituer un élément parmi d’autres dans un faisceau d’indices.

1266 En l’espèce, la Commission a notamment présenté, premièrement, un courriel du 26 août 2003 dont il résulte que, selon la perception d’Acer, il existait un lien entre le report du lancement d’un ordinateur équipé du CPU Athlon 64 et l’octroi de paiements ou de rabais futurs (voir points 1240 et 1241 ci-dessus). Deuxièmement, elle a présenté un courriel interne d’Intel du 3 septembre 2003 qui montre qu’un collaborateur d’Intel a proposé à sa hiérarchie de « punir » Acer pour le lancement d’un ordinateur équipé du CPU Athlon 64 en réduisant les rabais et les paiements. Il résulte également de ce courriel que, selon la perception de l’auteur, d’une part, Acer avait promis de reporter ledit lancement afin d’obtenir des rabais ou des paiements et, d’autre part, Acer ne prendrait plus Intel au sérieux si le lancement de l’ordinateur équipé du CPU Athlon 64 ne se traduisait pas par une réduction des rabais (voir points 1249 et 1250 ci-dessus). Troisièmement, la Commission a présenté un courriel interne d’Intel du 5 septembre 2003 qui montre que, à la suite de discussions incluant des cadres d’Intel du niveau le plus élevé, Acer, après avoir résisté au début, a décidé de reporter le lancement de l’ordinateur équipé du CPU Athlon 64 dans toutes les régions du monde. Quatrièmement, la Commission s’est appuyée sur un courriel interne d’AMD du 9 septembre 2003 selon lequel M. A1, d’Acer, aurait indiqué à M. C2, d’AMD, qu’Intel avait menacé Acer d’une réduction ou d’une suppression de rabais.

1267 Ces éléments de preuve se renforcent mutuellement. À cet égard, il convient de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence qu’il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, apporte la preuve de l’infraction (voir point 64 ci-dessus).

1268 S’il est vrai qu’une partie des éléments de preuve concerne uniquement un report du lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 dans la région APAC, il y a lieu de voir l’engagement, qui a finalement été pris par Acer de reporter le lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 dans toutes les régions du monde, à la lumière des discussions initiales qui concernaient un report dans la région APAC et dont il résulte qu’il existait un lien entre l’engagement d’Acer concernant ce report et des rabais de la part d’Intel.

1269 En effet, c’est pendant les discussions, qui ont eu lieu parce qu’Intel estimait qu’Acer ne respectait pas son engagement initial, qu’Acer s’est engagée à reporter le lancement partout dans le monde. Il existe donc un lien étroit entre les engagements successifs d’Acer. Les éléments de preuve qui montrent un lien entre l’engagement initial d’Acer de reporter le lancement dans la région APAC et le niveau des rabais futurs accordés par Intel ont donc également une valeur probante quant à l’engagement ultérieur de reporter le lancement d’ordinateurs équipés du CPU Athlon 64 partout dans le monde. D’ailleurs, cela n’aurait aucun sens si seul l’engagement concernant le report du lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 dans la région APAC avait eu un rapport avec des rabais futurs et non l’engagement concernant un tel report dans d’autres régions du monde.

1270 Enfin, la Commission s’est appuyée, au considérant 429 de la décision attaquée, sur une déclaration de M. A2, [confidentiel], du 19 juillet 2005, faite en vertu de l’article 19 du règlement n° 1/2003 et dans laquelle celui a indiqué :

« Acer a accepté de reporter [le lancement de l’ordinateur portable équipé du CPU Athlon 64] jusqu’en janvier 2004 principalement en raison de la demande d’Intel. »

1271 Cette déclaration est également un élément corroborant l’existence d’une demande d’Intel à Acer de reporter le lancement de cet ordinateur équipé du CPU Athlon 64. En outre, cette déclaration indique l’existence d’un lien de causalité entre la demande d’Intel et la décision d’Acer.

1272 Il résulte de ce qui précède que les éléments de preuve présentés dans la décision attaquée, pris ensemble, sont suffisants afin d’apporter la preuve, d’une part, qu’Intel a fait savoir à Acer qu’elle lui demandait de reporter le lancement d’un ordinateur portable équipé du CPU Athlon 64 et, d’autre part, qu’Intel a fait comprendre à Acer que le niveau des rabais futurs dépendait de ce report.

b)     Sur les autres arguments de la requérante

 1) Sur les arguments tirés de la déclaration d’Acer

1273 La requérante souligne que, dans la réponse d’Acer du 9 février 2006 à une demande de renseignements de la Commission au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003 (ci-après la « réponse d’Acer au titre de l’article 18 »), celle-ci a indiqué qu’« aucune demande spécifique de retarder le lancement n’a jamais été faite par Intel ».

1274 Ainsi que la Commission le souligne à juste titre, cette phrase a été citée hors contexte. En réponse à la question n° 43 de la Commission invitant Acer à préciser s’il existait d’autres raisons que des problèmes techniques l’ayant poussée à reporter le lancement du CPU Athlon 64, Acer a indiqué ce qui suit dans sa réponse au titre de l’article 18 :

« Les petits problèmes techniques rencontrés au départ avec [le CPU] Athlon 64 ont pu être résolus assez rapidement et n’ont été qu’un facteur mineur dans le retard. Ce qui était plus important [était le fait que], à la fin de 2003, Acer était également en négociation avec Intel au sujet de plusieurs millions de USD de financement ECAP pour le trimestre suivant. À ce moment, la position économique d’Acer était telle que ce financement ECAP aurait pu faire la différence entre être presque au seuil de rentabilité ou dégager un profit des opérations de vente d’ordinateurs d’Acer. Intel avait clairement fait comprendre que la participation au programme ECAP n’était pas un droit, mais un privilège renouvelable à la discrétion d’Intel lors de chaque trimestre. Acer avait déjà observé précédemment qu’Intel ne formulait jamais de demandes spécifiques concernant des objectifs commerciaux spécifiques visés par Intel au cours d’un cycle particulier de négociations ; en particulier, aucune demande spécifique de retarder le lancement n’a jamais été faite par Intel. La perception d’Acer était plutôt qu’Intel attendait qu’Acer propose ‘volontairement’ certains comportements ou engagements et, une fois qu’Acer eut prononcé les ‘mots magiques’, Intel s’est rapidement engagée concernant le financement ECAP qui était en discussion. Dans le cas d’espèce, Intel n’a pas répondu aux avances répétées d’Acer concernant le financement ECAP pour le trimestre suivant et, initialement, Acer ne comprenait pas ce comportement. Ce n’est que lorsque Acer a proposé de retarder volontairement le lancement [du CPU] Athlon 64 d’AMD (et nous ne nous souvenons plus pourquoi Acer a eu cette idée) qu’Intel a commencé à répondre aux demandes d’Acer concernant les ECAP et la question a été résolue assez rapidement […] »

1275 Cette déclaration confirme en réalité la conditionnalité des rabais accordés par Intel en ce sens qu’Intel a fait comprendre à Acer que le niveau des rabais futurs dépendait du report du lancement. À cet égard, il importe peu de savoir si Intel avait formulé une menace explicite de réduire les rabais si Acer procédait au lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU Athlon 64 ou si Intel avait fait comprendre à Acer de manière plus subtile que les rabais ECAP seraient mis en danger si Acer ne se conformait pas au souhait d’Intel. La circonstance que, selon Acer, « aucune demande spécifique de reporter le lancement n’a jamais été faite par Intel » n’empêche pas qu’il résulte des éléments de preuve cités dans la décision attaquée qu’Acer avait compris que les communications d’Intel à ce sujet, fussent-elles formulées de manière indirecte, correspondaient en réalité à une demande d’Intel. En effet, dans les courriels adressés à Intel et cités aux points 1237 et 1240 ci-dessus, le principal négociateur d’Acer avec Intel a mentionné une « demande » d’Intel.

1276 L’argument de la requérante selon lequel les négociations sur les rabais ECAP en cause n’ont pas été inhabituellement retardées sera examiné aux points 1317 à 1331 ci-après.

1277 Lors de l’audience, la requérante a en outre souligné que, au considérant 450 de la décision attaquée, la Commission avait indiqué qu’« Acer [avait] compris que, si elle ne [reportait pas le lancement], le financement ECAP convenu précédemment serait réduit ». Selon la requérante, cette formulation présuppose un accord existant sur les ECAP et un refus de payer les rabais dus en vertu de l’accord. Le mémoire d’Acer du 28 avril 2006 réfuterait l’existence d’un refus de payer les rabais dus en vertu d’un accord existant sur les rabais ECAP.

1278 Il y a pourtant lieu de relever que la formulation choisie au considérant 450 de la décision attaquée ne présuppose pas un refus de payer des rabais dus en vertu d’un accord existant. En effet, une telle formulation peut également faire référence à la circonstance que, dans le futur, les rabais ECAP qui seront accordés par Intel seraient moins élevés que ceux accordés pour les trimestres précédents. Le mémoire d’Acer ne contredit donc pas le constat effectué par la Commission au considérant 450 de la décision attaquée.

1279 Lors de l’audience, la requérante a en outre fait valoir qu’Acer avait indiqué qu’il n’y avait pas d’accord avec Intel de ne pas lancer un produit d’AMD.

1280 À cet égard, il convient de relever que, dans sa réponse au titre de l’article 18, Acer a indiqué, en réponse à la question n° 22, qu’il n’y avait pas d’accord avec Intel « qui excluait l’utilisation de CPU AMD dans les régions Amériques et APAC et qui [portait sur] plusieurs millions de dollars ». Il est également exact que, dans sa réponse au titre de l’article 18, Acer a indiqué ne pas avoir accepté de se fournir exclusivement auprès d’Intel.

1281 La Commission n’a toutefois pas fait état dans la décision attaquée de l’existence d’un accord d’exclusivité conclu entre Intel et Acer qui excluait l’utilisation par Acer de CPU AMD en général. La circonstance qu’Acer a nié l’existence d’un accord d’exclusivité ne remet pas en cause le fait qu’il résulte de la réponse à la question n° 43 de sa réponse au titre de l’article 18, qui a été citée au point 1274 ci-dessus, qu’Acer avait compris que le niveau des rabais futurs dépendait du report du lancement d’un ordinateur équipé d’un CPU précis, à savoir le CPU Athlon 64. Le fait pour Intel d’avoir accordé des rabais à la condition d’un tel report ne tombe pas sous la définition d’un accord entre Intel et Acer excluant (de manière générale) l’utilisation de CPU AMD.

1282 Il résulte de tout ce qui précède que la requérante ne saurait utilement invoquer la réponse d’Acer au titre de l’article 18 en tant qu’élément à décharge.

 2) Sur les arguments tirés du témoignage de M. A1

1283 Dans la requête, la requérante s’appuie dans une large mesure sur un témoignage sous serment effectué par M. A1, d’Acer, le 12 juin 2009 lors de la procédure qui s’est déroulée devant le tribunal du Delaware qui, selon elle, démontre l’absence de fiabilité des courriels internes de M. C2, d’AMD, et contredit plusieurs constats de la décision attaquée.

1284 La Commission fait valoir que cet élément de preuve est irrecevable, car il est postérieur à la décision attaquée. En tout état de cause, cette déposition ne serait pas à même de remettre en cause les conclusions de ladite décision.

1285 Dans le cas d’espèce, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si des témoignages faits après l’adoption d’une décision constatant l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et infligeant une amende à son destinataire peuvent être pris en considération en tant qu’éléments à décharge dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre cette décision. En effet, force est de constater que le témoignage invoqué par la requérante n’est, en tout état de cause, pas susceptible de remettre en cause les conclusions de la décision attaquée, ainsi qu’il sera expliqué ci-après.

1286 La requérante fait valoir, premièrement, qu’il résulte du témoignage de M. A1 que les courriels internes de M. C2, d’AMD, ne sont pas fiables.

1287 La requérante souligne que M. A1, d’Acer, quand il a été confronté au courriel cité au point 1261 ci-dessus, a indiqué que « l’histoire que [M. C2] a racontée n’est pas exactement […] l’histoire réelle ». M. A1 aurait en réalité expliqué à M. C2 qu’il existait plusieurs raisons quant à la décision d’Acer de reporter le lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 et qu’une inquiétude quant au risque d’une perte de rabais par Acer n’était qu’une des raisons mentionnées par M. A1.

1288 Selon la requérante, le témoignage de M. A1 révèle par ailleurs que M. C2 n’a pas non plus donné un compte rendu exact concernant l’unique raison du report par Acer qu’il a mentionnée dans son courriel. M. A1 aurait indiqué qu’il n’avait pas dit qu’Acer redoutait de perdre « 100 % » de ses fonds de marketing, contrairement à ce qu’alléguait M. C2.

1289 À cet égard, il convient de relever que le témoignage de M. A1 n’est pas réellement en contradiction avec l’essentiel du rapport de M. C2. Certes, M. C2 a omis de mentionner d’autres raisons que M. A1 aurait indiquées pour expliquer le report du lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 ; toutefois, cette circonstance indique tout au plus que M. C2 n’a pas fourni un compte rendu exhaustif de toutes les raisons que M. A1 a pu lui indiquer. Il y a lieu de souligner que M. A1 a explicitement confirmé qu’il avait également mentionné les fonds de marketing d’Intel. Il convient de relever que le fait qu’Acer ait pu avoir d’autres motifs pour retarder le lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 n’a pas d’incidence sur l’illégalité de l’octroi de paiements conditionnés par ce retard (voir point 1102 ci-dessus).

1290 En outre, M. A1 n’a pas indiqué qu’il n’avait pas dit qu’il redoutait de perdre 100 % des fonds de marketing d’Intel. Il s’est limité à dire qu’il ne se souvenait pas s’il avait mentionné le chiffre de 100 %. En effet, il a précisé ce qui suit :

« Je ne me souviens pas si j’ai ou non mentionné une perte de 100 %. J’ai effectivement mentionné mon inquiétude quant au risque de perdre les fonds de marketing. »

1291 La requérante fait aussi valoir que M. A1 a également indiqué que, contrairement à ce qu’alléguait M. C2, M. I5 n’a pas demandé à Acer de reporter le lancement de son ordinateur équipé d’un CPU AMD. En effet, il aurait déclaré ce qui suit :

« Je lui ai expliqué que nous devions réfléchir à notre propre décision commerciale à cet égard, voilà pour l’essentiel de quoi nous avons parlé, oui, au lieu de dire que M. [I5] nous aurait demandé de retarder ou d’arrêter quelque chose. »

1292 À cet égard, la Commission souligne à juste titre que M. C2 précisait seulement que M. A1 lui avait dit que c’était la première fois qu’il voyait M. I5 intervenir personnellement dans une telle affaire, ce qui ne signifie pas nécessairement que M. I5 était la personne qui a formulé la demande du report du lancement. En outre, M. A1 a utilisé une formulation très prudente en indiquant que, selon ses souvenirs, dans une réunion spécifique, il n’y avait eu de la part de quiconque de « demande sous la forme d’une demande » (‘request […] in the format of requesting’). Cette dernière formulation exclut l’existence d’une demande formulée de manière explicite lors de cette réunion, mais non l’existence d’une demande communiquée de manière implicite.

1293 Il résulte du témoignage de M. A1 que, lors de cette réunion, il a été discuté du lancement du CPU Athlon 64 et qu’Intel a souligné que l’infrastructure de l’industrie n’était pas encore prête. Il convient en outre de relever que, juste avant le passage cité au point 1291 ci-dessus, M. A1 a indiqué que, au moment de la discussion avec M. I5, Acer n’avait pas encore eu de confirmation pour les fonds de marketing d’Intel pour le trimestre suivant. Dans ce cadre, M. A1 a indiqué : « Et je l’ai également mentionné lors de la réunion avec le… avec [M. I5] nous espérions que nous pourrions conclure la discussion sur les dollars de marketing, mais il n’y a pas eu de discussion et rien n’a été conclu, pas de discussion, c’était… c’était la… la situation. »

1294 Selon la déclaration de M. A1, Acer a donc souhaité discuter des fonds de marketing pour le trimestre suivant et parvenir à une conclusion sur ceux-ci lors de cette réunion. Si, dans une telle situation, M. I5, au lieu de discuter de ces fonds, a discuté du lancement par Acer d’un ordinateur équipé du CPU Athlon 64 et indiqué que l’infrastructure de l’industrie n’était pas encore prête, cela pouvait suffire pour transmettre le message qu’Intel lui demandait de reporter le lancement et qu’il existait un lien entre le niveau des rabais futurs et le report du lancement. Dans ce cadre, il convient de souligner que, à ce moment-là, Acer avait déjà compris qu’il existait une demande d’Intel de reporter le lancement, ainsi qu’il résulte des courriels d’Acer à Intel cités aux points 1237 et 1240 ci-dessus. Si, dans une telle situation, le [confidentiel] d’Intel est intervenu personnellement, ce fait en lui-même pouvait suffire à faire comprendre à Acer l’importance qu’Intel accordait à ce sujet, même si le [confidentiel] n’a pas fait de demande expresse de retarder le lancement du produit, mais s’est limité à expliquer que l’industrie n’était pas encore prête pour un tel produit.

1295 Il y a donc lieu de conclure que la valeur probante du courriel de M. C2 du 9 septembre 2003 n’est pas affaiblie par le témoignage de M. A1, sans préjudice de la valeur probante limitée d’un tel courriel, telle qu’elle a été relevée aux points 1262 à 1264 ci-dessus.

1296 Deuxièmement, la requérante souligne que M. A1 a témoigné, lorsqu’il a été interrogé par l’avocat représentant AMD au sujet de ses discussions avec Intel concernant le lancement par Acer de modèles équipés de CPU Athlon 64, dans les termes suivants : « [I]l ne s’agissait pas de demandes, mais toujours de suggestions. Nous avons de meilleures technologies, c’est le… le… nous pouvons fournir des produits intégrant une meilleure technologie et le 64 bits n’est pas prêt [...] ». Selon Intel, ce témoignage est tout à fait incompatible avec la conclusion de la Commission selon laquelle Intel a « indiqué à Acer » que ses rabais seraient réduits si elle ne reportait pas le lancement. En outre, la requérante fait valoir qu’il résulte du témoignage de M. A1 qu’Intel n’a jamais fait part de menaces à l’égard d’Acer et que personne chez Intel ne lui a jamais dit qu’Acer perdrait des fonds de marketing si elle lançait un ordinateur équipé d’un CPU AMD.

1297 À cet égard, il convient de relever que M. A1 a effectivement indiqué qu’Intel n’avait pas exigé de manière expresse qu’Acer reportât le lancement d’un ordinateur équipé d’un CPU Athlon 64. Pourtant, il résulte clairement de son témoignage qu’il avait compris que le niveau des rabais futurs dépendait de ce qu’Acer se conformât aux « suggestions » formulées par Intel. Ainsi que la Commission le souligne, M. A1 a confirmé qu’il « [était] personnellement inquiet » qu’Acer puisse perdre les fonds de marketing d’Intel si elle procédait au lancement des produits équipés de CPU AMD prévus.

1298 En outre, il convient de rappeler que M. A1 est l’auteur des deux courriels cités aux points 1237 et 1240 ci-dessus dans lesquels il a mentionné une demande d’Intel. Cela n’aurait eu aucun sens pour M. A1 de mentionner une demande d’Intel dans un courriel adressé à cette dernière s’il n’avait pas compris que les communications d’Intel correspondaient à une demande de report du lancement d’un ordinateur équipé du CPU Athlon 64. Il résulte du témoignage de M. A1 que ce dernier a été interrogé au sujet d’un courriel, apparemment celui cité au point 1240 ci-dessus, dans lequel il a indiqué : « Je suis certain qu’Intel pourrait percevoir la sincérité d’Acer à répondre à la demande d’Intel et je propose de conclure rapidement le plan d’affaires du quatrième trimestre ». M. A1 a indiqué, en réponse à une question portant sur ce courriel, ce qui suit : « À nouveau, la demande n’est pas une… une demande de ne pas expédier. Je m’explique : c’est, c’est… il y a un résumé de démontrer leur supériorité technologique. Et c’est le… le pourquoi vous devez le faire, disons nous pouvons mieux vous soutenir. Alors je l’ai exprimé comme une… mais à cause du retard pris dans l’approbation des dollars de marketing, alors je l’ai exprimé comme une demande, pour faire court, oui. »

1299 M. A1 a donc confirmé que, en fin de compte, les communications d’Intel correspondaient en résumé, « pour faire court », selon son expression, à une demande, bien qu’une telle demande n’ait pas été formulée de manière explicite. Il convient en outre de constater que M. A1 n’a pas indiqué que l’utilisation du terme « demande » dans son courriel était inexacte. Il résulte également de cette déclaration que M. A1 a perçu l’existence d’un lien entre le retard pris dans l’approbation des fonds de marketing d’Intel pour le trimestre suivant et le lancement prévu d’un ordinateur équipé d’un CPU Athlon 64.

1300 Par ailleurs, M. A1 a répondu : « C’est bien notre perception, oui », à la question suivante : « En… en d’autres termes, personne d’Intel ne vous avait dit dans des termes précis, si vous lancez un K8, vous ne recevrez pas de dollars de marketing, c’est bien ça ? Mais… mais votre perception était que si vous continuiez et lanciez le K8 vous alliez les perdre ? Est-ce bien ce que vous êtes en train de dire ? »

1301 M. A1 a donc confirmé qu’il n’existait pas de menace explicite formulée par Intel de ne plus payer des fonds de marketing si Acer lançait un ordinateur équipé d’un CPU Athlon 64. En revanche, il résulte de son témoignage qu’il avait compris qu’Acer perdrait des fonds de marketing si elle procédait au lancement prévu.

1302 Son témoignage pourrait donc tout au plus démontrer qu’Intel n’a pas indiqué de manière expresse à Acer que ses rabais seraient réduits si elle ne reportait pas le lancement. Toutefois, ce témoignage ne saurait démontrer l’absence d’indication implicite.

1303 À cet égard, il convient de relever qu’il n’est pas nécessaire qu’une menace expresse de réduire les rabais soit formulée, mais qu’il suffit que l’entreprise en position dominante fasse comprendre à son client que le niveau des rabais futurs dépend du report du lancement de l’ordinateur en cause. En effet, cette seule circonstance suffit pour fournir au client une incitation non fondée sur une concurrence par les mérites à retarder le lancement d’un produit incorporant le CPU d’un concurrent.

1304 Il résulte de tout ce qui précède que, en réalité, le témoignage de M. A1, lu dans son ensemble, n’est pas un élément à décharge, contrairement à ce que soutient la requérante.

 3) Sur l’argument selon lequel il résulterait de la déclaration de M. A2 que le report du lancement n’était pas lié à des paiements

1305 La requérante fait encore valoir qu’il résulte de la déclaration que M. A2 a faite en vertu de l’article 19 du règlement n° 1/2003 et qui a été partiellement citée dans la décision attaquée (voir point 1270 ci-dessus) que le report du lancement n’était pas lié à des paiements de la part d’Intel.

1306 Il convient de relever que la déclaration de M. A2 n’est pas claire à cet égard. Il est exact que M. A2 a indiqué qu’« aucun fonds n’était impliqué en échange d’un report du lancement ».

1307 Cependant, M. A2 a également indiqué, en réponse à une autre question :

« Je pense qu’il s’agissait plutôt d’une situation dans laquelle Intel a demandé une ‘faveur’ à Acer et lui a promis davantage d’aides pour appuyer sa croissance. »

1308 Ainsi que la Commission le souligne, ces deux affirmations apparaissent contradictoires quant à la question de savoir si le report était lié à des paiements de la part d’Intel.

1309 Il convient de relever qu’il est possible que M. A2 ait voulu dire, en indiquant qu’« aucun fonds n’était impliqué en échange d’un report du lancement », qu’il n’y avait aucune communication explicite d’Intel selon laquelle un certain rabais ou une certaine somme d’argent serait accordé directement « en échange » d’un report du lancement. Il résulte toutefois de la citation contenue au point 1307 ci-dessus que, selon la perception de M. A2, il existait un lien entre la « faveur » qu’Intel a demandée à Acer et des rabais ou des paiements futurs promis par Intel.

1310 En tout état de cause, la déclaration de M. A2 ne saurait servir ni à démontrer que le report du lancement était lié à des paiements de la part d’Intel, ni que tel n’était pas le cas, car cette déclaration n’est pas claire à l’égard de cette question.

 4) Sur les arguments tirés de déclarations de deux cadres d’Acer

1311 La requérante s’appuie sur des déclarations du 3 janvier 2008 de M. A4, qui était à l’époque [confidentiel] d’Acer, et de M. A3, qui lui a succédé dans ces fonctions, au sujet de ce qui est ressorti d’une réunion du 25 août 2003 entre de hauts dirigeants d’Acer et M. I5 du côté d’Intel. Il en résulterait que « ni M. [I5] ni un quelconque autre membre d’Intel n’a expressément demandé qu’Acer annul[ât] ou report[ât] le lancement de ses produits utilisant un CPU Athlon 64 d’AMD ». Par ailleurs, M. A4 et M. A3 auraient également tous deux démenti le fait que M. I5 ou un autre collaborateur d’Intel présent à la réunion aient brandi une quelconque menace ou proposé une quelconque incitation financière pour obliger Acer à retarder le lancement de ses ordinateurs équipés de CPU Athlon 64.

1312 À cet égard, la Commission a relevé à juste titre, au considérant 440 de la décision attaquée, que les circonstances dans lesquelles ces déclarations ont été obtenues n’apparaissaient pas clairement et que le contexte légal dans lequel ces déclarations avaient été recueillies était inconnu, de sorte qu’il était impossible de savoir quelles conséquences légales pourraient avoir d’éventuelles fausses informations contenues dans ces déclarations. Dès lors, ces déclarations ont une valeur probante limitée.

1313 En outre, il y a lieu de relever que, dans la déclaration invoquée par la requérante, M. A4 s’est limité à déclarer que personne chez Intel n’avait « expressément » demandé qu’Acer annulât ou reportât le lancement de ses produits équipés d’un CPU Athlon 64. Une telle déclaration n’exclut pas l’existence d’une demande implicite.

1314 Il est exact que les deux cadres d’Acer ont indiqué qu’« aucun sujet spécifique concernant une sanction ou une incitation pour reporter et/ou annuler le lancement du [CPU] Athlon 64 n’a[vait] été discuté ». Toutefois, la circonstance qu’aucun « sujet spécifique » concernant une sanction ou une incitation n’ait été discuté lors de cette réunion n’exclut pas nécessairement qu’Intel ait pu faire comprendre à Acer d’une manière plus subtile que le niveau des rabais futurs dépendait du report du lancement de l’ordinateur en cause (voir point 1294 ci-dessus).

1315 Il y a lieu, en tout état de cause, de relever que ces déclarations couvrent uniquement le contenu d’une seule réunion qui a eu lieu le 25 août 2003 (voir, à cet égard, les considérants 438 et 439 de la décision attaquée). Elles ne sont donc pas susceptibles de remettre en cause les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée et dont il résulte qu’il existait une demande de la part d’Intel de reporter le lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU Athlon 64 et qu’Intel a fait comprendre à Acer que le niveau des rabais futurs dépendait de ce report (voir points 1235 à 1272 ci-dessus). Les constatations faites dans ladite décision ne dépendent pas de ce qui a été dit par M. I5 ou par d’autres cadres d’Intel lors de la réunion du 25 août 2003.

1316 Contrairement à ce qu’affirme la requérante, il ne résulte pas de la décision attaquée que la réunion du 25 août 2003 ait été une « réunion clé ». Certes, la Commission souligne, au considérant 427 de la décision attaquée, l’intervention personnelle de M. I5. À cet égard, il convient de rappeler que le fait que le [confidentiel] d’Intel soit intervenu personnellement a été susceptible de faire comprendre à Acer l’importance qu’Intel accordait au sujet évoqué (voir point 1294 ci-dessus), même si M. I5 n’a pas formulé de demande ou de menace expresse. Les deux déclarations en cause confirment que, lors de cette réunion, M. I5 a exprimé des doutes quant au fait que l’industrie ait été prête pour la technologie 64 bits. Même au cas où M. I5 se serait limité, lors de cette réunion, à faire de telles déclarations, celles-ci doivent être considérées à la lumière du fait que, à ce stade, Acer avait déjà compris qu’il existait une demande d’Intel de reporter le lancement du produit concerné (voir point 1294 ci-dessus).

 5) Sur l’argument selon lequel les négociations sur les rabais ECAP n’auraient pas été inhabituellement retardées

1317 La requérante fait également valoir qu’il résulte de la déclaration de M. A3 du 3 janvier 2008 et de preuves documentaires que les négociations sur les rabais en cause n’ont pas été inhabituellement retardées.

1318 À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que le retard pris dans la confirmation des rabais ECAP a été mentionné, d’une part, dans la réponse d’Acer au titre de l’article 18, citée au point 1274 ci-dessus, et, d’autre part, dans le témoignage que M. A1 a fait le 12 juin 2009 lors de la procédure qui s’est déroulée devant le tribunal du Delaware. Dans la décision attaquée, la Commission ne s’est pas appuyée sur ce passage de la réponse d’Acer au titre de l’article 18, et elle n’a pas pu s’appuyer sur le témoignage de M. A1 qui a été effectué postérieurement à la décision attaquée. Il s’ensuit que la Commission n’a pas retenu ces éléments en tant qu’éléments à charge.

1319 La requérante, quant à elle, a évoqué des éléments tirés, d’une part, du passage cité au point 1274 ci-dessus de la réponse d’Acer au titre de l’article 18 et, d’autre part, du témoignage de M. A1, en tant qu’éléments à décharge (voir points 1273 et 1283 ci-dessus). Afin de réfuter ces arguments, il suffit de placer les éléments évoqués par la requérante dans leur contexte et de considérer dans leur ensemble tant la réponse à la question n° 43 de la réponse d’Acer au titre de l’article 18 que le témoignage de M. A1. Il y a lieu de constater que, en réalité, cette réponse d’Acer ainsi que le témoignage de M. A1 confirment l’existence d’un abus, car ils confirment qu’Acer a compris que le niveau des rabais futurs dépendait du report du lancement.

1320 En tout état de cause, les déclarations d’Acer et de M. A1 selon lesquelles il existait un retard dans la confirmation des rabais ECAP ne sont pas réfutées par les éléments de preuve cités par la requérante.

1321 En ce qui concerne le document qui a été produit en annexe A.205 à la requête, il convient de relever ce qui suit. La requérante a produit deux versions d’un document intitulé « Plan d’engagement Acer quatrième trimestre de 2003 », datant respectivement du 8 et du 19 septembre 2003, ainsi que des documents datés et intitulés « Acer Réponse en matière d’alignement sur la concurrence » pour divers trimestres. Il convient de relever que la requérante a indiqué, au point 181 de la réplique, qu’il résulterait de ces documents que l’approbation des rabais pour le quatrième trimestre de 2003 s’est produite dans un délai normal pour de telles approbations, mais sans fournir une explication détaillée concernant les documents produits dans l’annexe A.205. Il résulte pourtant du point 436 de la réponse de la requérante à la communication des griefs de 2007 que la date du 8 septembre 2003 correspond à la date à laquelle Intel a fait sa première offre de rabais ECAP et que la date du 19 septembre 2003 correspond à la date de l’accord définitif entre Intel et Acer. Il résulte en outre des points 436 et 437 de la réponse à la communication des griefs de 2007 que les dates mentionnées sur les divers documents intitulés « Réponse en matière d’alignement sur la concurrence » correspondent, dans un cas, à la date à laquelle Intel a fait sa première offre de rabais ECAP et, dans les autres cas, aux dates auxquelles l’accord final a été conclu entre Intel et Acer pour le trimestre suivant.

1322 Les documents produits en annexe A.205 à la requête pourraient donc tout au plus démontrer, pour deux trimestres, les dates auxquelles Intel a fait sa première offre de rabais ECAP et, pour d’autres trimestres, les dates auxquelles l’accord final entre Intel et Acer a été conclu, et, enfin, que les dates des 8 et 19 septembre 2003 n’étaient pas inhabituellement tardives.

1323 Pourtant, cela n’exclut pas que, au début, Intel n’ait pas répondu à des demandes d’Acer, comme cela a été relevé dans le passage de la réponse d’Acer au titre de l’article 18 cité au point 1274 ci-dessus. Le fait qu’Intel a fait sa première proposition de rabais le 8 septembre 2003 est tout à fait compatible avec la déclaration d’Acer selon laquelle, une fois qu’Acer a indiqué qu’elle reporterait le lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64, Intel a commencé à répondre aux demandes d’Acer portant sur les rabais ECAP pour le trimestre suivant et selon laquelle l’affaire a ensuite été résolue plutôt rapidement. En effet, Acer ayant communiqué sa décision à Intel le 5 septembre 2003 (voir point 1256 ci-dessus), l’offre d’Intel qui a été faite trois jours plus tard est tout à fait conforme à ce qu’Acer a indiqué sur le déroulement des négociations.

1324 Afin de réfuter la réponse d’Acer au titre de l’article 18, qui constitue un élément de preuve fiable, et de démontrer que les négociations se sont déroulées de manière habituelle, Intel aurait dû indiquer non seulement les dates auxquelles elle a fait sa première offre ou auxquelles les parties se sont mises d’accord sur les rabais, mais également les dates auxquelles elle a été contactée pour la première fois par Acer au cours des trimestres en question et, le cas échéant, les dates auxquelles Acer s’est renseignée sur l’état d’avancement de l’affaire. Seules ces dernières dates auraient permis d’établir qu’Intel a réagi dans les délais habituels aux demandes d’Acer.

1325 En ce qui concerne la déclaration de M. A3, il convient de relever qu’elle n’est pas très précise, car celui-ci se limite à indiquer qu’« [il] ne pens[ait] pas que les négociations entre Acer et Intel du quatrième trimestre 2003 et/ou du premier trimestre 2004 sur les accords d’alignement sur la concurrence avaient été inhabituellement retardées ». Il n’indique pas quelle connaissance il avait de ces négociations et sur quels faits cette affirmation est basée. Le négociateur en chef d’Acer avec Intel était M. A1, qui a, d’ailleurs, confirmé dans son témoignage devant le tribunal du Delaware qu’Acer « continuait à ne pas recevoir de confirmation concernant les fonds de marketing pour le trimestre suivant ».

1326 En tout état de cause, il convient de souligner que la déclaration de M. A3 a une valeur probante limitée (voir point 1312 ci-dessus). Elle ne saurait remettre en cause la réponse d’Acer au titre de l’article 18, qui constitue, quant à elle, un élément de preuve très fiable.

1327 Lors de l’audience, la requérante a ajouté que M. A2 avait également indiqué, dans la déclaration faite en vertu de l’article 19 du règlement n° 1/2003 (voir point 1270 ci-dessus), qu’il n’y avait pas eu de discussions extraordinaires sur les rabais.

1328 À cet égard, il y a lieu de souligner que M. A2 a été interrogé sur la question de savoir si Acer avait reçu les fonds d’Intel de la manière habituelle avant le lancement. Cette question concernait donc le paiement des rabais et non les négociations relatives aux rabais pour le trimestre suivant. M. A2 a donc répondu : « Oui, nos primes de quantité trimestrielles arrivaient plus ou moins comme d’habitude. Il y avait toujours des discussions avec Intel, mais rien d’inhabituel à ce moment-là. » Cette réponse concernait donc la réception de paiements dus par Intel et non les négociations relatives aux rabais pour le trimestre suivant.

1329 La requérante a en outre souligné, lors de l’audience, que M. A2 aurait indiqué que, de son point de vue, il n’y avait rien d’étrange concernant les MDF et les rabais.

1330 À cet égard, il y a lieu de relever que M. A2 a été interrogé sur la question de savoir si le lancement récent d’une série d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD avait eu une conséquence sur les MDF et les rabais et qu’il a alors répondu qu’il n’y avait rien d’étrange de son point de vue. Pourtant, la Commission n’a pas fait état dans la décision attaquée d’une réduction des rabais à la suite du lancement d’ordinateurs équipés de CPU AMD. Étant donné qu’Acer avait reporté le lancement des ordinateurs équipés de CPU Athlon 64, il n’y avait aucune raison pour Intel de procéder à une réduction des rabais.

1331 Il résulte de ce qui précède que la déclaration de M. A2 n’est pas non plus à même de remettre en cause la réponse d’Acer au titre de l’article 18 selon laquelle il existait un retard dans les négociations des rabais ECAP pour le trimestre suivant.

 6) Sur l’argument selon lequel le comportement d’Intel relèverait d’une concurrence normale

1332 La requérante fait en outre valoir que son comportement relevait d’une concurrence normale. À cet égard, M. A2 aurait indiqué dans sa déclaration faite en vertu de l’article 19 du règlement n° 1/2003 que d’autres fournisseurs d’Acer lui demandaient couramment de reporter le lancement de plates-formes reposant sur des produits de leurs concurrents. Il aurait également indiqué que de telles demandes « ne dev[enaient] problématiques » que « s’ils essa[yaient] d’exercer un chantage ». Il n’aurait pas rangé le comportement d’Intel dans la catégorie du « chantage », mais dans celle des pratiques commerciales normales. Selon la requérante, il est parfaitement légitime qu’un fournisseur quel qu’il soit exhorte un client à choisir ses produits plutôt que les produits d’un concurrent. De telles demandes feraient partie intégrante d’une concurrence normale.

1333 À cet égard, la Commission souligne à juste titre qu’une entreprise en position dominante a une responsabilité particulière.

1334 Certes, il est légitime qu’un fournisseur, même dominant, essaie de convaincre un client de choisir ses produits plutôt que ceux d’un concurrent. Toutefois, en l’espèce, il ne s’agissait pas d’une simple proposition de la part d’Intel à l’égard d’Acer lui suggérant de préférer ses propres produits à ceux d’un concurrent. Le comportement en cause en l’espèce a consisté à demander à Acer de reporter le lancement d’un produit équipé d’un CPU spécifique d’un concurrent et à lui faire comprendre que le niveau des rabais futurs dépendait dudit report. Ainsi que la Commission le souligne, l’octroi d’incitations financières par une entreprise en position dominante afin d’empêcher la commercialisation de produits concurrents ne relève pas d’une « concurrence normale ».

1335 Quant à l’argument de la requérante selon lequel M. A2 n’a pas rangé le comportement d’Intel dans la catégorie du « chantage » mais dans celle des pratiques commerciales normales, il suffit de constater que son opinion sur le droit de la concurrence n’est pas pertinente.

 7) Sur l’existence d’autres raisons pour le report du lancement

1336 La requérante fait également valoir qu’il existait d’autres raisons pour le report du lancement de l’ordinateur portable équipé du CPU Athlon 64, notamment de graves problèmes techniques au niveau de la conception du produit, des inquiétudes concernant la question de savoir si le marché était prêt pour celui-ci et une pénurie mondiale dudit CPU.

1337 À cet égard, la Commission souligne à juste titre qu’il importe peu que d’autres facteurs aient contribué au report du lancement en cause. Il était suffisant pour la Commission de démontrer que la requérante a accordé des paiements soumis à la condition qu’Acer reportât le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU Athlon 64. D’éventuels autres motifs que ces paiements ayant également pu contribuer à la décision d’Acer de reporter le lancement du produit n’auraient pas d’incidence sur l’illégalité d’une telle pratique.

1338 Selon la requérante, la spéculation de la Commission, selon laquelle Acer craignait à ce point de perdre des rabais d’Intel qu’elle a reporté le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU AMD de quatre mois seulement, est entièrement incompatible avec le fait qu’Acer a publiquement annoncé, avant le lancement effectif et lorsqu’elle craignait prétendument Intel, qu’elle introduirait cet ordinateur équipé d’un CPU AMD dans les quelques mois suivants.

1339 Ainsi que la requérante l’a relevé et ainsi qu’il résulte de l’annexe A.199 de la requête, Acer a publiquement annoncé, en septembre 2003, qu’elle lancerait des ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 en Europe au premier trimestre de 2004 et elle a indiqué que la raison en était le faible nombre de CPU Athlon 64 disponibles au quatrième trimestre de 2003. Il y a lieu de relever que cette annonce respectait entièrement l’engagement qu’Acer avait pris envers Intel, à savoir de ne pas lancer des ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 en 2003. La circonstance qu’Acer craignait de perdre des rabais si elle lançait un ordinateur portable équipé du CPU Athlon 64 à la date de lancement initialement prévue n’est nullement incompatible avec la circonstance que, après s’être engagée sur un report du lancement, Acer a publiquement annoncé le lancement pour la nouvelle date prévue.

1340 Quant à la circonstance selon laquelle Acer a indiqué que la raison du report du lancement résidait dans une pénurie de CPU Athlon 64, il suffit de constater qu’il est naturel qu’une entreprise n’annonce pas publiquement la totalité des raisons qui l’ont amenée à prendre une décision commerciale.

 8) Sur la durée du report du lancement

1341 Lors de la procédure écrite, la requérante a fait valoir que le report du lancement avait été de quatre mois seulement et que la Commission n’expliquerait pas ce qu’Intel aurait pu gagner d’un report aussi peu important.

1342 Lors de l’audience, la requérante a fait valoir que la durée du report avait en réalité été de moins de quatre mois. À cet égard, elle a souligné que M. A2 avait déclaré, dans la déclaration qu’il a faite en vertu de l’article 19 du règlement n° 1/2003, que le lancement était prévu pour octobre/novembre 2003 et qu’Acer avait commencé l’expédition à la fin du mois de décembre 2003. Acer aurait confirmé la date d’expédition dans sa réponse au titre de l’article 18.

1343 Interrogée sur la question de savoir s’il s’agissait d’un moyen nouveau au sens de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, la requérante a fait valoir que le moyen qu’elle avait soulevé tenait au fait que le report était d’une courte durée et qu’elle souhaitait seulement préciser son argument selon lequel la durée du report était très courte et lui « donner de la couleur ». La Commission a soutenu qu’il s’agissait d’un moyen nouveau qui était irrecevable.

1344 En l’espèce, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la recevabilité de cet argument, car il doit en tout état de cause être rejeté au fond, ainsi qu’il sera expliqué par la suite.

 8.1) Sur la date prévue pour le lancement

1345 Il convient de relever que la Commission a explicitement mentionné, au considérant 417 de la décision attaquée, la circonstance que M. A2 et Acer avaient indiqué, respectivement dans une déclaration faite au titre de l’article 19 du règlement n° 1/2003 et dans la réponse d’Acer au titre de l’article 18, que le lancement de l’ordinateur portable d’Acer équipé du CPU Athlon 64 était prévu pour les mois d’octobre ou de novembre 2003. La Commission a relevé qu’il résultait toutefois de documents contemporains qu’Acer avait envisagé le lancement pour le 23 septembre 2003, en faisant référence, dans la note en bas de page n° 508 de la décision attaquée (n° 501 dans la version publique), aux documents cités aux points 1240 et 1242 ci-dessus.

1346 Il convient de relever que ces documents contemporains mentionnent de manière explicite la date du 23 septembre 2003 comme date prévue pour le lancement de l’ordinateur en cause.

1347 Il y a lieu de considérer que le courriel d’Acer à Intel du 26 août 2003, cité au point 1240 ci-dessus, est un élément très fiable concernant la date de lancement prévue, car il n’apparaît pas qu’Acer ait eu un quelconque intérêt à indiquer une date prématurée pour le lancement, notamment compte tenu du fait que le lancement d’ordinateurs équipés de CPU Athlon 64 était une question délicate, qui avait déjà fait l’objet de discussions entre Intel et Acer (voir points 1236 à 1239 ci-dessus). La formulation selon laquelle « Intel se montre extrêmement préoccupée au sujet de la démarche d’Acer de lancer le K8 le 23 septembre 2003 » indique qu’il s’agissait d’une date qui avait également fait l’objet de discussions antérieures entre Acer et Intel. Le courriel interne d’Intel du 27 août 2003, cité au point 1242 ci-dessus, confirme qu’Intel estimait que cette date était correcte.

1348 Il convient en outre de relever que, nonobstant la fiabilité inhérente à une déclaration d’une entreprise faite au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003, il est possible que des documents contemporains soient plus fiables, quand il s’agit de déterminer une date exacte, qu’une déclaration effectuée plusieurs années après cette date. D’ailleurs, en l’espèce, les déclarations d’Acer et de M. A2 sont moins précises que les documents contemporains, en ce qu’ils n’indiquent pas de date précise, mais seulement une période, à savoir les mois d’octobre et de novembre 2003.

1349 Lors de l’audience, la requérante s’est limitée à s’appuyer sur les déclarations de M. A2 et d’Acer. Elle n’a pas pris position sur le fait que les documents contemporains cités par la Commission indiquent la date du 23 septembre 2003 comme date de lancement prévue et n’a donc fourni aucun argument indiquant pourquoi ces documents contemporains pouvaient indiquer une date inexacte.

1350 Il convient par ailleurs de relever que la requérante a elle-même indiqué, au point 173 de la réplique, que le report était de quatre mois seulement. Étant donné que la Commission a explicitement indiqué, au considérant 417 de la décision attaquée, que M. A2 et Acer avaient indiqué que le lancement était prévu pour les mois d’octobre ou de novembre 2003, mais qu’elle retenait la date résultant des documents contemporains, cette circonstance était évidente pour Intel dès le stade de la procédure écrite. Néanmoins, la requérante a implicitement accepté la date de lancement prévue qui était retenue par la Commission en indiquant que le report « était de quatre mois seulement ».

1351 Indépendamment de la question de savoir si l’argument avancé par la requérante lors de l’audience est recevable, il aurait appartenu à la requérante de prendre au moins position sur les documents contemporains auxquels la Commission s’est référée, au considérant 417 et dans la note en bas de page n° 508 de la décision attaquée (n° 501 dans la version publique), et d’expliquer pourquoi elle estimait que la date qui y était indiquée, et qu’elle n’a pas contestée lors de la procédure écrite, a éventuellement pu être incorrecte.

1352 Il y a donc lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel la Commission a retenu une date inexacte quant au lancement prévu.

 8.2) Sur la date de fin du report

1353 La requérante a indiqué, lors de l’audience, qu’elle s’était fiée dans un premier temps au communiqué de presse d’Acer auquel la Commission avait fait référence, au considérant 431 de la décision attaquée, et qui indiquait que la date de lancement de l’ordinateur portable équipé du CPU Athlon 64 était le 4 février 2004 en Europe de l’Ouest, mais qu’il résulterait des déclarations d’Acer et de M. A2 que l’expédition avait déjà commencé fin décembre 2003.

1354 À cet égard, il convient de souligner que la Commission a relevé, dans la note en bas de page n° 528 de la décision attaquée (n° 521 dans la version publique), que la circonstance qu’Acer avait lancé le produit en février 2004 ne changeait rien à sa conclusion selon laquelle Intel avait demandé à Acer de reporter le lancement jusqu’à janvier 2004 et que, pour cette raison, elle avait retenu janvier 2004 comme fin des pratiques abusives commises par Intel concernant Acer.

1355 La circonstance qu’Acer a accepté un report jusqu’en janvier 2004 à la demande d’Intel résulte de la déclaration de M. A2 citée au point 1270 ci-dessus. Elle est confirmée par le courriel interne d’Intel du 5 septembre 2003, cité au point 1247 ci-dessus, selon lequel M. A1 a indiqué qu’« Acer [avait] décidé de laisser tomber le K8 d’AMD pour 2003 dans le monde entier ». La Commission a donc démontré à suffisance de droit que le report du lancement accepté par Acer, à la suite de la demande d’Intel, allait jusqu’en janvier 2004.

1356 À supposer même qu’Acer n’ait pas entièrement respecté son engagement, en commençant l’expédition des ordinateurs portables équipés de CPU Athlon 64 à la fin de décembre 2003, au lieu de janvier 2004, cette circonstance ne serait pas de nature à remettre en cause l’existence et la durée de l’abus. En effet, la Commission a démontré à suffisance de droit que, à la demande d’Intel, Acer s’était engagée à reporter jusqu’au mois de janvier 2004 le lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU Athlon 64 et qu’Intel lui avait fait comprendre que le niveau de rabais futurs dépendait de ce report. Dans le cas où Acer n’aurait pas entièrement respecté son engagement en commençant l’expédition à la fin de décembre 2003, cela pourrait avoir pour effet tout au plus d’exclure l’existence d’effets concrets de l’abus à partir de la fin de décembre 2003. Toutefois, le constat de l’abus ne dépend pas du constat d’effets concrets (voir point 212 ci-dessus).

1357 Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter l’argumentation de la requérante visant à contester la durée du report du lancement par Acer d’un ordinateur équipé du CPU Athlon 64.

1358 Quant à l’argument présenté par Intel aux points 173 et 174 de la réplique, selon lequel la Commission n’expliquerait pas ce qu’Intel aurait pu gagner d’un report aussi peu important que quatre mois, il convient de relever qu’un report de quatre mois ne saurait être considéré comme peu important, surtout dans un secteur à innovation rapide tel que celui en cause (voir, à cet égard, le considérant 140 de la décision attaquée et le point 195 ci-dessus).

 9) Sur l’évolution des parts de marché

1359 La requérante souligne que les rabais accordés par Intel à Acer sont restés stables ou ont augmenté même lorsque la part de marché d’AMD auprès d’Acer a augmenté.

1360 À cet égard, la Commission souligne, à juste titre, d’une part, que la décision attaquée n’établit pas qu’Intel a accordé à Acer des rabais conditionnés par le niveau de sa part de marché chez Acer et, d’autre part, que l’évolution de cette part de marché n’est donc pas pertinente pour apprécier les constatations de ladite décision. Acer s’étant pliée à la demande d’Intel de reporter le lancement d’ordinateurs portables équipés de CPU Athlon 64, il n’y avait aucune raison pour Intel de réduire les rabais accordés à Acer.

c)     Analyse de la capacité de restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

1361 Il convient de rappeler que, afin de constater l’illégalité des restrictions non déguisées en cause en l’espèce, la Commission n’est pas tenue de procéder à une analyse de la capacité de ces pratiques à restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce (voir point 209 ci-dessus).

1362 À titre surabondant, il convient de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a établi la capacité de la restriction non déguisée vis-à-vis d’Acer de restreindre la concurrence également selon une analyse des circonstances de l’espèce.

1363 À cet égard, il y a lieu de rappeler de manière générale que le fait que les rabais conditionnels octroyés par la requérante à Acer s’inscrivaient dans une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants et le fait que cette stratégie comprenait deux types d’infractions qui se complétaient et se renforçaient mutuellement rendent le comportement de la requérante susceptible de restreindre la concurrence (voir points 181, 184 et 213 ci-dessus).

1364 En outre, il y a lieu de rappeler que les rabais et les paiements conditionnels étaient pour les OEM un élément important à prendre en considération, en raison de la forte concurrence sur le marché des OEM et de leurs faibles marges opérationnelles (voir point 179 ci-dessus). De plus, le fait que ces rabais et ces paiements ont effectivement été pris en considération pour des décisions commerciales par leurs bénéficiaires constitue également un élément qui est susceptible de fonder la capacité de ces paiements de restreindre la concurrence (voir points 180 et 212 ci-dessus).

1365 S’agissant plus particulièrement des rabais accordés à Acer, il convient de relever ce qui suit.

1366 Ainsi que la Commission l’a relevé, au considérant 434 de la décision attaquée, en s’appuyant sur la réponse d’Acer au titre de l’article 18, les rabais ECAP étaient d’une grande importance pour Acer. Il résulte en outre du courriel cité au point 1245 ci-dessus qu’Intel était consciente de cette importance.

1367 De plus, il convient de rappeler que, ainsi que la Commission l’a relevé, au considérant 429 de la décision attaquée, M. A2 a indiqué, dans sa déclaration faite au titre de l’article 19 du règlement n° 1/2003, que la demande d’Intel était la principale raison de la décision d’Acer de reporter le lancement d’un ordinateur portable équipé du CPU Athlon 64 (voir point 1270 ci-dessus).

1368 Enfin, la requérante a elle-même indiqué, au point 480 de la requête, en énumérant plusieurs raisons pour la décision d’Acer de reporter le lancement en cause, qu’Acer nourrissait des inquiétudes quant à savoir si elle pourrait perdre une partie de ses rabais auprès d’Intel.

1369 Il s’ensuit que la crainte de perdre des rabais d’Intel était un facteur qui a été pris en considération par Acer dans sa décision de reporter le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU Athlon 64.

1370 Ces circonstances confirment que la restriction non déguisée vis-à-vis d’Acer a eu la capacité de restreindre la concurrence.

d)     Conclusion

1371 Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter l’argumentation invoquée par la requérante à l’encontre des constatations de la décision attaquée relatives à Acer.

6.     MSH

1372 Selon l’article 1er, sous e), de la décision attaquée, Intel a accordé des paiements à MSH entre octobre 2002 et décembre 2007 dont le niveau était conditionné au fait que MSH vendît exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel.

1373 À cet égard, la Commission expose, en substance, aux considérants 620 à 678 de la décision attaquée, que, à partir de 1997 jusqu’à, au moins, le 12 février 2008, une série d’accords de contribution conclus entre Intel et MSH avait été conclue à la condition non écrite que MSH vendît exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel. La Commission précise aux considérants 587, 588 et 615 à 617 de ladite décision que la requérante n’a jamais montré un intérêt particulier concernant le respect, par MSH, des engagements de MSH prévus de manière expresse dans ces accords, qui portaient sur des activités promotionnelles. Selon ladite décision, cette circonstance est due au fait que les paiements octroyés en vertu de ces accords ne l’étaient pas, en réalité, à la condition que MSH procédât à des activités promotionnelles, mais à la condition que MSH respectât la condition non écrite de vendre exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel.

1374 Aux considérants 679 à 688 de la décision attaquée, la Commission conclut, en substance, qu’il était entendu entre la requérante et MSH dès le début de leur relation que l’accord d’exclusivité devait être traité de manière secrète. En effet, selon ladite décision, les accords de contribution conclus entre la requérante et MSH ont soit circonscrit la condition d’exclusivité en la minimisant par la voie d’une clause de « meilleur effort », soit stipulé le contraire en faisant référence à une clause expresse de non-exclusivité.

1375 Aux considérants 689 à 699 de la décision attaquée, la Commission expose, en substance, qu’il était entendu entre la requérante et MSH que le non-respect, par MSH, de son engagement d’exclusivité entraînerait au moins une réduction substantielle et disproportionnée des paiements octroyés en vertu des accords de contribution. Selon ladite décision, il existait toutefois une incertitude en ce qui concerne le niveau de cette perte, étant donné que la requérante ne parlait jamais de manière expresse des conséquences financières d’un non-respect des engagements souscrits et que MSH évitait de tester ce sujet dans la pratique.

1376 La décision attaquée fait, ensuite, référence à trois incidents spécifiques afin de souligner le risque d’une réaction de la part de la requérante et son refus de considérer toute exception à l’engagement d’exclusivité de MSH (voir considérant 619 de ladite décision).

1377 Aux considérants 700 à 705 de la décision attaquée, la Commission expose, en substance, que, ayant découvert que MSH faisait de la publicité pour un ordinateur « Fujitsu » équipé de CPU AMD à la fin de l’année 1998, la requérante a décidé de retenir une partie substantielle du financement convenu, afin d’envoyer à MSH un avertissement concernant les conséquences auxquelles elle s’exposait en cas de violation de son obligation d’exclusivité.

1378 Aux considérants 706 à 711 de la décision attaquée, la Commission expose, en substance, que, en 2002, MSH s’est efforcée de négocier une exception à son accord d’exclusivité avec la requérante pour quelques ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD offerts par Sony. Selon ladite décision, ces efforts ont échoué en raison de la manière dont la requérante a insisté sur un respect complet de l’exclusivité.

1379 Les considérants 712 à 725 de la décision attaquée relatent les difficultés rencontrées par MSH Italie lors de son adhésion aux accords de contribution en 2003/2004. Selon ladite décision, le siège européen de la requérante refusait de permettre à MSH Italie d’écouler ses stocks existants d’ordinateurs équipés de CPU AMD. Selon la même décision, ce n’est qu’avec la direction locale d’Intel Italie que MSH Italie a été en mesure de trouver un accord à l’amiable en vertu duquel elle a été autorisée à vendre ses stocks restants d’ordinateurs non équipés de CPU Intel.

1380 Enfin, aux considérants 996 à 1000 de la décision attaquée, la Commission constate, en substance, que les paiements conditionnels de la requérante ont eu pour effet que MSH est resté fidèle à la requérante à 100 % depuis 1997.

a)     Observations liminaires

1381 Il y a lieu de relever qu’il ressort de la décision attaquée que, lors de la procédure administrative, Intel a invoqué un extrait d’une déclaration de M. M1, [confidentiel] de MSH, qui était annexé à la réponse de MSH du 5 mai 2008 à une demande de renseignements de la Commission au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003 (ci-après la « réponse de MSH au titre de l’article 18 »). Intel a fait valoir que M. M1 avait déclaré que, en raison de la clause de non-exclusivité contenue dans le contrat écrit, MSH pouvait « informer Intel à tout moment que nous allions également vendre des ordinateurs équipés de [CPU] AMD à l’avenir » et donc qu’« il n’existait aucun accord d’exclusivité contraignant pour le futur » (voir considérant 752 de la décision attaquée).

1382 Au considérant 754 de la décision attaquée, la Commission a constaté, en substance, que cet extrait de la déclaration de M. M1 ne remet pas en cause les conclusions de la Commission. En effet, la Commission n’affirmerait pas que les accords entre MSH et Intel ont interdit à MSH de vendre des ordinateurs non équipés de CPU Intel. La conclusion de la Commission serait plutôt que la condition non écrite d’exclusivité a conditionné l’allocation d’une partie disproportionnée des paiements d’Intel au fait que MSH vendît exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel. En d’autres termes, MSH aurait été libre de commencer à vendre des ordinateurs équipés de CPU AMD à tout moment, mais cela aurait entraîné une perte disproportionnée des paiements d’Intel.

1383 Dans la requête, la requérante fait référence au considérant 754 de la décision attaquée pour affirmer que la Commission « concède que les accords n’imposaient pas d’obligations d’exclusivité à MSH ni ne l’empêchaient juridiquement de commercialiser des ordinateurs [équipés de CPU] AMD ».

1384 Dans la défense, la Commission rétorque qu’elle a démontré que les accords de contribution prévoyaient une clause d’exclusivité non écrite. Elle précise que la nature non écrite de l’exigence d’exclusivité signifie qu’Intel ne pouvait en demander l’application devant les tribunaux, mais que, comme il a été indiqué au considérant 754 de la décision attaquée, renoncer à l’exclusivité vis-à-vis d’Intel était de facto impossible pour MSH du fait des paiements conditionnels accordés par Intel. La Commission soutient qu’elle a également démontré qu’Intel avait fait comprendre à MSH que le non-respect de l’exigence d’exclusivité aurait à tout le moins conduit à une réduction substantielle et disproportionnée de ses paiements au titre des accords de contribution. Elle est d’avis que ces éléments suffisent chacun à établir le caractère illicite des paiements d’Intel à MSH.

1385 Dans sa réplique, la requérante avance que le mémoire en défense s’écarte de manière illicite des constats de la décision attaquée en affirmant que la clause d’exclusivité non écrite suffit à elle seule à établir un abus. Aucune affirmation d’un abus basée uniquement sur la clause d’exclusivité non écrite alléguée n’apparaîtrait dans la décision attaquée, qui se fonderait plutôt entièrement sur la théorie selon laquelle les paiements d’Intel étaient conditionnels, en ce qu’une migration vers AMD mènerait à une réduction disproportionnée.

1386 Dans la duplique, la Commission réaffirme qu’il suffit, pour prouver le caractère illicite des paiements d’Intel, de démontrer que les accords de financement entre Intel et MSH contenaient une clause non écrite d’exclusivité ou qu’Intel a laissé entendre à MSH que le non-respect de l’obligation d’exclusivité entraînerait à tout le moins une réduction considérable et disproportionnée de ses paiements octroyés au titre des accords de contribution.

1387 Il est donc constant entre les parties que la théorie d’abus retenue dans la décision attaquée ne repose pas sur l’allégation selon laquelle les accords de contribution imposaient des obligations formelles d’exclusivité à MSH ou l’empêchaient juridiquement de commercialiser des ordinateurs équipés de CPU AMD. Dans la mesure où les parties se disputent toutefois sur les circonstances que la Commission doit prouver afin d’établir l’illicéité des paiements mis en cause, force est de constater qu’il suffit d’établir que ces paiements constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité (voir point 171 ci-dessus). À cette fin, la Commission peut démontrer soit que les paiements, qui ont été octroyés en vertu des accords de contribution, étaient soumis à une condition non écrite d’exclusivité, soit qu’Intel a laissé entendre à MSH qu’une migration vers AMD mènerait à une réduction disproportionnée de ces paiements. En effet, ces périphrases différentes de ce que la Commission doit démontrer afin d’établir l’illicéité des paiements octroyés en vertu des accords de contribution ont la même signification. Selon la terminologie utilisée dans la décision attaquée, la perte « disproportionnée » de paiements ne vise rien d’autre que la partie de ces paiements qui est octroyée en contrepartie d’une condition d’exclusivité (voir point 452 ci-dessus). L’emploi du terme « perte disproportionnée » des paiements signifie simplement que les paiements, qui ont été octroyés en vertu des accords de contribution, étaient soumis à une condition non écrite d’exclusivité.

1388 Il convient donc d’analyser si la Commission a prouvé à suffisance de droit que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution étaient, du moins en partie, soumis à une condition d’exclusivité.

b)     Appréciation des preuves de la conditionnalité des paiements octroyés en vertu des accords de contribution présentées dans la décision attaquée

1389 Dans la décision attaquée, la Commission se fonde notamment sur la réponse de MSH au titre de l’article 18 ainsi que sur plusieurs éléments qui corroborent celle-ci.

 1) Sur la réponse de MSH au titre de l’article 18

1390 Dans la décision attaquée, la Commission s’appuie sur plusieurs extraits de la réponse de MSH au titre de l’article 18. Ces extraits contiennent notamment une description générale de la conditionnalité des paiements qui ont été octroyés en vertu des accords de contribution et concernent deux des trois incidents spécifiques exposés aux considérants 1376 à 1379 ci-dessus, à savoir, d’une part, l’échec de MSH à négocier une exception à son accord d’exclusivité avec la requérante pour quelques ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD offerts par Sony (voir point 1378 ci-dessus) et, d’autre part, les difficultés rencontrées par MSH Italie lors de son adhésion aux accords de contribution (voir point 1379 ci-dessus). Par ailleurs, la décision attaquée fait également notamment référence aux déclarations de MM. M1 et M2, [confidentiel] de MSH, qui étaient annexées à la réponse de MSH au titre de l’article 18.

1391 Il convient donc de présenter le contenu de ces éléments de preuve et d’en examiner la valeur probante.

 1.1) Sur la description générale de la conditionnalité des accords de contribution

1392 Au considérant 620 de la décision attaquée, après avoir constaté que les accords de contribution ne contenaient aucune clause d’exclusivité expresse, la Commission cite le passage suivant de la réponse de MSH au titre de l’article 18 :

« Néanmoins, les membres de la direction de MSH impliqués dans la négociation et la mise en œuvre de la relation avec Intel savaient que le partenariat avec Intel était fondé sur l’exigence implicite que MSH vendrait exclusivement, ou à tout le moins essentiellement exclusivement, des ordinateurs équipés de CPU Intel. »

1393 Au considérant 621 de la décision attaquée, la Commission s’appuie sur le passage suivant de la réponse de MSH au titre de l’article 18 afin de démontrer que la condition non écrite d’exclusivité était considérée comme étant une partie intégrante des accords de contribution qui ont été écrits tout au long de la relation contractuelle entre les parties :

« En fait, il avait été évident pendant les négociations du premier accord conclu en 1997 entre Intel et [MSH] que, en dépit du fait que l’accord prévoyait seulement une clause de ‘meilleur effort’ d’acheter des ordinateurs équipés [de CPU Intel], Intel s’attendait à ce que [MSH] fasse le commerce exclusivement, ou à tout le moins essentiellement exclusivement, des ordinateurs équipés de CPU Intel. Cela avait été discuté ouvertement lors de négociations entre Intel et [MSH] en Californie. L’entendement d’Intel selon lequel la relation était supposée être essentiellement exclusive n’a pas changé en 2002 lorsque la clause de ‘meilleur effort’ contenue dans l’accord initial a été supprimée et qu’une clause expresse d’absence d’exclusivité a été introduite dans les accords. Il était évident pour MSH que, malgré la clause d’absence d’exclusivité, la nature exclusive de la relation restait, pour Intel, un élément essentiel de la relation entre Intel et MSH. En fait, [M. M2] se rappelle que des représentants d’Intel lui ont clairement fait comprendre que les modifications dans le libellé de l’accord avaient été demandées par le service juridique d’Intel, mais qu’en réalité la relation devait continuer comme auparavant, en ce compris l’exigence que MSH vendît essentiellement uniquement des ordinateurs équipés de [CPU] Intel. »

1394 Au considérant 623 de la décision attaquée, la Commission constate que la requérante n’a jamais admis d’exception significative à l’accord d’exclusivité. À l’appui de cette constatation, la Commission cite le passage suivant de la réponse de MSH au titre de l’article 18 :

« Il était évident pour toutes les personnes impliquées, dans le cadre de ces discussions, que MSH n’avait pas le choix d’acheter des [CPU] AMD afin de viser un sous-segment dans lequel elle était faible, mais qu’une certaine concession sur le prix de la part d’Intel était demandée afin de remédier à une telle faiblesse. »

1395 Au considérant 616 de la décision attaquée, la Commission cite, notamment, le passage suivant de la réponse de MSH au titre de l’article 18 afin de démontrer que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution ne l’étaient pas, en réalité, à la condition que MSH procédât à des activités promotionnelles, mais à la condition que MSH respectât la condition non écrite de vendre exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel :

« MSH a considéré que les montants payés au titre des accords étaient, du moins en partie, le reflet de la relation particulière et exclusive qu’elle entretenait avec Intel […] »

1396 Au considérant 691 de la décision attaquée, la Commission cite le passage suivant de la réponse de MSH au titre de l’article 18 afin de démontrer qu’il était entendu entre la requérante et MSH que le non-respect, par MSH, de son engagement d’exclusivité entraînerait au moins une réduction substantielle et disproportionnée des paiements octroyés en vertu des accords de contribution :

« Notamment, [dans le passé, les offres d’AMD n’étaient pas suffisantes] pour mettre fin à la relation d’exclusivité avec Intel. Il était évident pour MSH à cet égard que la vente d’ordinateurs équipés de [CPU] AMD entraînerait à tout le moins une réduction du montant des paiements d’Intel à titre de contribution par [CPU] Intel dans le cadre des accords de contribution (et donc une réduction des paiements totaux reçus d’Intel, même si le volume total des [CPU] Intel vendus par MSH était resté identique à celui des périodes précédentes), bien que MSH n’ait jamais vraiment examiné la question avec Intel. »

1397 La requérante conteste de manière générale que le niveau des paiements accordés en vertu des accords de contribution ait été soumis à une condition d’exclusivité. Elle fait valoir que ces paiements étaient calculés seulement en fonction des unités d’ordinateurs équipés de CPU Intel vendus par MSH. S’agissant plus particulièrement de la réponse de MSH au titre de l’article 18, la requérante avance que la Commission l’a mal interprétée. La réponse de MSH au titre de l’article 18 serait ambiguë parce que les différents CPU auraient eu des niveaux de paiements différents et, de ce fait, selon l’assortiment de produits transféré à AMD, le paiement moyen par unité aurait pu diminuer sans aucune réduction du paiement unitaire pour aucun CPU Intel.

1398 Toutefois, force est de constater que la réponse de MSH au titre de l’article 18 constitue une déclaration univoque selon laquelle les paiements octroyés au titre des accords de contribution n’étaient pas seulement calculés sur les ventes de MSH en ordinateurs équipés de CPU Intel, mais constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité. En effet, il découle des passages mentionnés aux points 1392 à 1396 ci-dessus de la réponse de MSH au titre de l’article 18 que les accords de contribution, en vertu desquels les paiements mis en cause ont été octroyés, étaient conclus à la condition implicite que MSH vendît exclusivement, ou à tout le moins exclusivement pour l’essentiel, des ordinateurs équipés de CPU Intel. Il ressort également de ces passages que MSH a considéré que les montants payés au titre de ces accords étaient, du moins en partie, le reflet de la relation particulière et exclusive qu’elle entretenait avec Intel et que la vente d’ordinateurs équipés de [CPU] AMD entraînerait une réduction des paiements totaux reçus en vertu de ces accords, même si le volume total des [CPU] Intel vendus par MSH était resté identique à celui des périodes précédentes. À la lumière de ces déclarations, l’argumentation par laquelle la requérante s’efforce de démontrer que la réponse de MSH au titre de l’article 18 est ambiguë doit être considérée comme artificielle et non plausible.

 1.2) Sur l’incident concernant les ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD

1399 En ce qui concerne l’échec de MSH à négocier une exception à son accord d’exclusivité avec la requérante pour quelques ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD offerts par Sony (voir point 1378 ci-dessus), la décision attaquée est fondée notamment sur le passage suivant de la réponse de MSH au titre de l’article 18 (voir considérant 707 de ladite décision) :

« […] MSH s’est tournée vers Intel en demandant si elle pouvait exceptionnellement vendre des ordinateurs Vaio à CPU AMD […] Intel a répondu que si MSH le faisait, Intel ne payerait plus de contributions pour aucun ordinateur portable de Sony Vaio, et donc non plus pour les ordinateurs Vaio vendus par MSH qui étaient effectivement équipés de CPU Intel. Étant donné que ceci aurait impliqué une perte financière substantielle pour MSH, elle s’est décidée à ne pas faire du tout le commerce des ordinateurs Vaio équipés de CPU AMD. » 

1400 Il y a lieu de relever que ce passage de la réponse de MSH au titre de l’article 18 repose sur les déclarations de deux dirigeants de MSH, à savoir MM. M1 et M2, qui étaient annexées à la réponse de MSH au titre de l’article 18 (voir points 1410 à 1419 ci-après).

1401 La requérante conteste la fiabilité de la déclaration de M. M2 et soutient que cette déclaration est le seul élément spécifique sur lequel la décision attaquée fonde ses constatations en la matière. Toutefois, la requérante n’avance pas d’indices concrets pour ébranler la fiabilité de la déclaration de M. M2. Étant donné que cette déclaration est corroborée par celle de M. M1 et que MSH a fait siennes les déclarations de ces dirigeants dans sa réponse au titre de l’article 18, il est permis de conclure que la Commission a établi les circonstances susmentionnées concernant les discussions sur les ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD offerts par Sony à suffisance de droit.

1402 Force est de constater que cet incident concernant les ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD démontre de manière univoque que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution n’étaient pas seulement calculés sur les ventes de MSH en ordinateurs équipés de CPU Intel, mais constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité. En effet, il y a lieu de rappeler que la requérante a signalé à MSH qu’elle ne payerait plus de contributions pour aucun ordinateur portable « Vaio » de Sony, et donc non plus pour les ordinateurs « Vaio » vendus par MSH qui étaient effectivement équipés de CPU Intel, si MSH vendait des ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD.

 1.3) Sur les discussions sur l’adhésion de MSH Italie aux accords de contribution

1403 S’agissant des discussions entre la requérante et MSH Italie sur son adhésion aux accords de contribution, la décision attaquée cite notamment le passage suivant de la réponse de MSH au titre de l’article 18 (voir considérant 714 de ladite décision) :

« [MSH] Italie vendait généralement une proportion relativement significative d’ordinateurs équipés d’AMD (p. ex. en 2003, la proportion était environ 40-50 %) […] Étant donné qu’il était évident que [MSH] Italie ne pouvait accéder à l’accord de contribution central que si MSH vendait exclusivement des ordinateurs équipés [de CPU] Intel, l’extension de l’accord à Italie était négociée à la lumière des affaires existantes de [MSH] Italie basées sur AMD. Plus particulièrement, les dirigeants de [MSH] Italie ont essayé d’obtenir une exception de la condition d’exclusivité selon laquelle il serait permis, à tout le moins pendant une période transitoire, de continuer à vendre un certain taux maximum d’ordinateurs équipés de [CPU] AMD. Dans un premier temps, [MSH] Italie demandait de pouvoir vendre jusqu’à 20 % d’ordinateurs équipés de [CPU] AMD, et, ensuite, aurait été d’accord de réduire ce taux à 10 %. Toutefois, Intel a rejeté cette demande et a insisté sur le fait que [MSH] Italie pouvait seulement adhérer à l’accord central si elle faisait le commerce exclusivement avec des ordinateurs équipés de [CPU] Intel. Lors des négociations, le négociateur principal d’Intel, [M. I16], a même refusé à [MSH] Italie la possibilité de vendre les stocks existants d’ordinateurs équipés de [CPU] AMD et a insisté sur le fait que l’accord central ne pouvait s’appliquer à [MSH] Italie qu’à partir du moment où seuls des ordinateurs équipés de [CPU] Intel étaient vendus. »

1404 Afin de contester la véracité de cet extrait de la réponse de MSH au titre de l’article 18, la requérante s’appuie sur deux déclarations écrites établies par deux de ses dirigeants. Ces dirigeants dénient le fait qu’Intel a refusé d’autoriser MSH Italie à liquider ses stocks et expliquent que MSH Italie avait plutôt demandé à Intel des fonds pour l’aider à vendre des stocks d’ordinateurs équipés de CPU AMD, mais qu’Intel a refusé de fournir ces fonds.

1405 Toutefois, il y a lieu de constater que la déclaration, dans la réponse de MSH au titre de l’article 18, selon laquelle la requérante a refusé d’autoriser MSH Italie à liquider ses stocks, repose sur les déclarations de deux dirigeants de MSH, à savoir celles de MM. M3 et M4, qui étaient également annexées à la réponse de MSH au titre de l’article 18. MSH a fait siennes ces déclarations dans sa réponse au titre de l’article 18. Cette dernière revêt une valeur probante élevée du fait que, selon l’article 23, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1/2003, les renseignements inexacts donnés en réponse à une demande de renseignements de la Commission au titre de l’article 18 de ce même règlement sont passibles d’amendes.

1406 En revanche, les déclarations des dirigeants de la requérante selon lesquelles MSH Italie avait demandé à Intel des fonds pour l’aider à vendre des stocks d’ordinateurs équipés de CPU AMD semblent peu plausibles. Par ailleurs, les circonstances dans lesquelles ces déclarations ont été obtenues n’apparaissent pas clairement et la base juridique de ces déclarations est inconnue. Il est donc impossible de savoir quelles conséquences légales pourraient avoir d’éventuelles fausses informations contenues dans ces déclarations. Dès lors, ces déclarations ont une valeur probante limitée.

1407 À la lumière des considérations qui précèdent, force est de constater que la réponse de MSH au titre de l’article 18 et les déclarations de MM. M3 et M4 sont plus crédibles que les déclarations des deux dirigeants d’Intel. Par conséquent, il est permis de conclure que la Commission a établi les circonstances mentionnées au point 1379 ci-dessus concernant les discussions entre la requérante et MSH Italie sur son adhésion aux accords de contribution à suffisance de droit.

1408 Il y a lieu d’observer que le refus d’Intel de permettre à MSH Italie de vendre les stocks existants d’ordinateurs équipés de CPU AMD et la manière dont Intel a insisté sur le fait que l’accord central ne pouvait s’appliquer à MSH Italie qu’à partir du moment où seuls des ordinateurs équipés de CPU Intel seraient vendus démontrent sans équivoque que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution n’étaient pas seulement calculés sur les ventes de MSH en ordinateurs équipés de CPU Intel, mais constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité.

1409 Cette conclusion est, par ailleurs, confirmée par des constats quantitatifs faits aux considérants 724 et 725 de la décision attaquée que la requérante ne conteste pas. La Commission y démontre que, selon les estimations fournies par Intel à la Commission lors de la procédure administrative, le montant des paiements d’Intel par unité de CPU a doublé dès que MSH Italie a adhéré à l’accord d’exclusivité central et cessé de vendre des ordinateurs équipés de CPU AMD. Cela signifie que, selon les propres estimations d’Intel, ses paiements à MSH Italie ont augmenté de manière disproportionnée par rapport à l’augmentation des achats, après l’adhésion de MSH Italie aux accords de contribution centraux.

 1.4) Sur les déclarations de MM. M1 et M2, dirigeants de MSH

1410 Il convient de relever que, au considérant 689 de la décision attaquée, la Commission a, dans un premier temps, constaté qu’il était entendu entre la requérante et MSH que le non-respect, par MSH, de son engagement d’exclusivité entraînerait au moins une réduction substantielle et disproportionnée des paiements octroyés en vertu des accords de contribution. Dans un second temps, la Commission a cité la déclaration de M. M1 afin d’étayer la constatation selon laquelle il existait toutefois une incertitude en ce qui concerne le niveau de cette perte, étant donné que la requérante ne parlait jamais de manière expresse des conséquences financières d’un non-respect de l’engagement d’exclusivité et que MSH évitait d’examiner ce sujet dans la pratique.

1411 En outre, il y a lieu de rappeler qu’au considérant 621 de la décision attaquée la Commission a cité des extraits de la réponse de MSH au titre de l’article 18 (voir point 1393 ci-dessus). À cet égard, dans la note en bas de page n° 863 de la décision attaquée (n° 855 dans la version publique), la Commission a fait référence à la déclaration de M. M2. Les déclarations de MM. M1 et M2 étaient annexées à la réponse de MSH au titre de l’article 18.

1412 La requérante soutient que M. M1 a déclaré que, en raison de la clause de non-exclusivité contenue dans le contrat écrit, MSH pouvait « informer Intel à tout moment que nous allions également vendre des ordinateurs équipés de [CPU] AMD à l’avenir » et donc qu’« il n’existait aucun accord d’exclusivité contraignant pour le futur » (voir également point 1381 ci-dessus). De plus, elle avance que les déclarations de MM. M1 et M2 ne contiennent aucune référence à la probabilité d’une réduction disproportionnée des paiements d’Intel à la suite d’un lancement d’ordinateurs équipés de CPU AMD. La déclaration de M. M1 indiquerait seulement ceci : « [N]ous supposions qu’il y aurait des conséquences pour l’accord de contribution si nous commencions à vendre des [CPU] AMD et, en particulier, que les montants de contribution diminueraient. » La déclaration de M. M2 ne ferait référence à aucune réduction potentielle des rabais d’Intel.

 i) Sur la déclaration de M. M1

1413 S’agissant de la déclaration de M. M1, force est de constater que, comme l’a démontré la Commission au considérant 754 de la décision attaquée, l’argument selon lequel celui-ci a déclaré que, en raison de la clause de non-exclusivité contenue dans le contrat écrit, MSH pouvait « informer Intel à tout moment que nous allions également vendre des ordinateurs équipés de [CPU] AMD à l’avenir » et donc qu’« il n’existait aucun accord d’exclusivité contraignant pour le futur » n’est pas pertinent (voir point 1382 ci-dessus). Le comportement reproché à la requérante dans la décision attaquée ne concerne pas le fait que MSH ne pouvait pas commencer à vendre des CPU AMD, mais plutôt le fait que MSH aurait perdu les paiements octroyés en contrepartie d’une condition non écrite d’exclusivité si elle l’avait fait. Le passage de la déclaration de M. M1 invoqué par la requérante ne contredit donc pas les conclusions de la décision attaquée selon lesquelles les paiements octroyés en vertu des accords de contribution constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité.

1414 S’agissant de l’affirmation selon laquelle la déclaration de M. M1 indiquerait seulement ce qui suit : « [N]ous supposions qu’il y aurait des conséquences pour l’accord de contribution si nous commencions à vendre des [CPU] AMD et, en particulier, que les montants de contribution diminueraient », il y a lieu de placer le passage cité par la requérante dans son contexte. Il ressort de la déclaration que M. M1 a déclaré ce qui suit :

« [N]ous supposions qu’il y aurait des conséquences pour l’accord de contribution si nous commencions à vendre des [CPU] AMD et, en particulier, que les montants de contribution diminueraient. […] De temps en temps, nous avons fait des spéculations internes sur la nature et l’étendue de telles conséquences, mais nous avons toujours évité de laisser la situation en arriver là […] De plus, il n’était pas possible d’obtenir des explications de la part d’Intel en ce qui concerne les conséquences d’une non-exclusivité. Lors de mes contacts avec Intel, j’ai eu l’impression que des explications (et également des entretiens) concernant ce sujet ont intentionnellement été évités. Cependant, j’ai parlé, en règle générale, avec des collaborateurs plus haut placés dans la hiérarchie. Toutefois, je sais d’après les rapports de mes collègues que les collaborateurs d’Intel moins haut placés dans la hiérarchie semblaient moins réticents et plus francs (p. ex. [M. I16] vis-à-vis de [M. M3], bien que je ne le sache que par ouï-dire). »

1415 Cette déclaration confirme les constatations de la décision attaquée énoncées aux points 1375 et 1410 ci-dessus. Elle confirme qu’il était entendu entre la requérante et MSH que le non-respect, par MSH, de son engagement d’exclusivité entraînerait au moins une réduction substantielle et disproportionnée des paiements octroyés en vertu des accords de contribution, mais qu’il existait toutefois une incertitude en ce qui concerne le niveau de cette perte, étant donné que la requérante ne parlait jamais de manière expresse des conséquences financières d’un non-respect et que MSH évitait d’examiner ce sujet dans la pratique. La déclaration doit donc être comprise en ce sens que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution constituaient, du moins en partie, la contrepartie du respect d’une condition non écrite d’exclusivité.

1416 En effet, M. M1 n’a pas déclaré que la cause d’une diminution des montants de contribution aurait été la réduction correspondante des ventes d’ordinateurs équipés de CPU Intel. Il a plutôt déclaré que c’était la vente de CPU AMD qui aurait engendré une diminution de ces montants. De plus, il a fait référence aux « conséquences d’une non-exclusivité ». En l’absence d’une explication plausible de la part de la requérante, ce choix de mots doit être compris en ce sens que le facteur décisif pour la diminution des montants de contribution aurait été la rupture de la condition d’exclusivité par la seule introduction d’ordinateurs équipés de CPU AMD, et non la réduction des ventes d’ordinateurs équipés de CPU Intel.

1417 Certes, il ressort également de la déclaration de M. M1 que MSH n’était pas en mesure de quantifier exactement la perte de paiements qu’elle aurait subie en cas d’introduction d’ordinateurs équipés de CPU AMD. Toutefois, cette circonstance n’est pas susceptible de remettre en cause la conclusion selon laquelle M. M1 comprenait que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution constituaient, du moins en partie, la contrepartie de la condition non écrite d’exclusivité. Tel est d’autant plus le cas qu’il ressort de la déclaration de M. M1 que l’incertitude sur le niveau exact des paiements qui auraient été perdus en cas d’introduction, par MSH, d’ordinateurs équipés de CPU AMD était, du moins en partie, due au fait que la requérante a intentionnellement évité ce sujet.

1418 En outre, il a lieu de constater que d’autres parties de la déclaration de M. M1 font référence à l’échec de MSH à négocier une exception à son accord d’exclusivité avec la requérante pour quelques ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD offerts par Sony ainsi qu’aux discussions de la requérante avec MSH Italie sur son adhésion aux accords de contribution. Il a été constaté aux points 1402 et 1408 ci-dessus que ces incidents confirment que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution n’étaient pas exclusivement calculés sur les ventes de MSH en ordinateurs équipés de CPU Intel, mais que ces paiements constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité. Au vu du fait que la déclaration de M. M1 fait référence à ces deux incidents, sa déclaration doit être comprise de la même manière.

 ii) Sur la déclaration de M. M2

1419 S’agissant de la déclaration de M. M2, il y a lieu de constater que celui-ci confirme à plusieurs reprises le caractère exclusif des accords de contribution. En outre, la déclaration de M. M2 fait référence à l’échec de MSH à négocier une exception à son accord d’exclusivité avec la requérante pour quelques ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD offerts par Sony ainsi qu’aux discussions de la requérante avec MSH Italie sur son adhésion aux accords de contribution. Contrairement à ce que prétend la requérante, la déclaration de M. M2 confirme donc la réponse de MSH au titre de l’article 18, dans la mesure où il ressort de cette dernière que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité et que ces paiements n’étaient pas exclusivement calculés sur les ventes de MSH.

 1.5) Conclusion

1420 À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer que la réponse de MSH au titre de l’article 18 comporte une déclaration univoque selon laquelle les paiements octroyés en vertu des accords de contribution constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité. À cet égard, il y a également lieu de rappeler que cette réponse revêt une valeur probante élevée (voir point 1405 ci-dessus).

 2) Sur les éléments corroborant la réponse de MSH au titre de l’article 18

1421 Dans la décision attaquée, afin de démontrer que le niveau des paiements octroyés en vertu des accords de contribution était soumis à une condition d’exclusivité, la Commission s’appuie également sur le fait que la requérante a décidé de retenir une partie substantielle de ces paiements après avoir découvert que MSH faisait de la publicité pour un ordinateur « Fujitsu » équipé de CPU AMD à la fin de l’année 1998 (voir point 1377 ci-dessus). De plus, elle s’appuie sur divers autres documents.

1422 Il convient donc de présenter le contenu de ces éléments de preuve et d’en examiner la valeur probante.

 2.1) Sur la rétention de paiements en 1998

1423 En ce qui concerne la rétention des paiements de contribution en 1998, la décision attaquée est fondée sur une chaîne de courriels internes d’Intel. Il résulte des considérants 701 et 702 de ladite décision qu’un employé d’Intel a écrit : « Je viens d’arrêter un paiement d’un montant de 2,64 millions de [USD] qui devait être fait aujourd’hui à [MSH] car nous venons de constater qu’ils font de la publicité pour un ordinateur Fujitsu à processeur AMD K6-2. […] En guise d’‘avertissement’ le fait que nous avons arrêté nos paiements devrait constituer un signal à leur égard. » Quelques jours plus tard, la même personne a demandé : « Jusqu’où pouvons-nous aller pour leur expliquer POURQUOI Intel a retardé le paiement ? »

1424 La requérante prétend, en substance, que cet élément de preuve démontre que MSH vendait des ordinateurs équipés de CPU AMD en 1999 et qu’il réfute donc la thèse selon laquelle une clause d’exclusivité non écrite était en vigueur depuis 1997. En outre, le document exprimerait des préoccupations, non à propos des ventes par MSH d’ordinateurs équipés de CPU AMD, mais à propos des activités publicitaires. Ces préoccupations seraient compréhensibles à la lumière de l’accord de marketing en vigueur à cette époque, qui prévoyait qu’avec un financement d’Intel, MSH devrait « se concentrer avant tout sur la promotion de produits à la pointe du progrès d’Intel, à mesure que ceux-ci [seraient] introduits ». 

1425 Toutefois, il y a lieu de constater que le fait que la requérante a retenu des paiements dus en vertu de l’accord de contribution, en raison du fait que MSH a fait de la publicité pour un ordinateur équipé d’un CPU AMD, démontre que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution n’étaient pas exclusivement calculés sur les ventes de MSH en ordinateurs équipés de CPU Intel, mais constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité. En effet, contrairement à ce que prétend la requérante, la circonstance selon laquelle MSH a fait de la publicité pour un certain ordinateur équipé d’un CPU AMD ne remet pas en cause la preuve de la conditionnalité des paiements octroyés en vertu des accords de contribution. Au contraire, la réaction de la requérante à cette publicité ne peut pas s’expliquer raisonnablement d’une autre manière. La circonstance selon laquelle, à l’époque, l’accord de contribution contenait une clause expresse obligeant MSH à « se concentrer avant tout sur la promotion de produits à la pointe du progrès d’Intel » ne remet pas en cause cette conclusion. Par ailleurs, la distinction suggérée par la requérante entre la promotion des ordinateurs équipés de CPU AMD et leur vente est, dans le cas d’espèce, artificielle. En effet, les éléments de preuve examinés aux points 1390 à 1420 ci-dessus démontrent sans équivoque que la condition d’exclusivité, à laquelle les paiements octroyés en vertu des accords de contribution étaient soumis, a porté essentiellement sur l’obligation de vendre uniquement des ordinateurs équipés de CPU Intel. Dans sa réponse au titre de l’article 18, MSH a fait état de l’exigence implicite selon laquelle elle « vendrait » exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel (voir points 1392 et 1393 ci-dessus). Les deux incidents relatifs aux ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD et à l’adhésion de MSH Italie aux accords centraux concernent également essentiellement la vente d’ordinateurs équipés de CPU AMD.

 2.2) Sur les divers autres documents


 i) Sur les documents au regard desquels la requérante ne présente pas d’observations

1426 Aux considérants 625 à 677 de la décision attaquée, la Commission s’est appuyée sur une multitude de documents de MSH et d’Intel afin de démontrer la conditionnalité des paiements octroyés en vertu des accords de contribution.

1427 Dans le cadre du présent recours, la requérante s’est abstenue de présenter des observations sur ces documents, à l’exception du document cité au considérant 629 de la décision attaquée, qui correspond au document cité au considérant 694 de ladite décision, dont la valeur probante sera examinée aux points 1445 et 1448 à 1450 ci-après. Toutefois, il y a lieu d’observer que ces documents démontrent que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une condition d’exclusivité. À cet égard, il y a lieu de mettre l’accent sur les documents qui suivent.

1428 Au considérant 627 de la décision attaquée, la Commission fait état d’un courriel du 25 août 1999 envoyé par le siège social de MSH aux dirigeants des filiales qui étaient concernées par l’accord de contribution de 1999, ayant, en substance, le contenu suivant :

« […] L’accord contient un nombre de termes importants pour [MSH] qui sont cependant liés à la condition que tous les ordinateurs vendus par nous soient basés sur des CPU Intel, c’est-à-dire que lors de la durée du contrat aucun CPU d’autres producteurs ne peut être vendu. »

1429 Au considérant 635 de la décision attaquée, la Commission cite un courriel de MSH Pays-Bas au siège principal de MSH du 11 février 2007 :

« Où est-ce que nous sommes en ce qui concerne le sujet Intel/AMD ? Quelle est la ligne d’approche pour 2007 ? Si nous offrons une nouvelle fois exclusivement Intel, j’aimerais bien savoir combien cela nous (c’est-à-dire MSH Pays-Bas) apportera en termes d’argent supplémentaire d’Intel. »

1430 Au considérant 644 de la décision attaquée, la Commission fait état d’un courriel interne de MSH du 8 août 2001 ayant, en substance, le contenu suivant :

« […] Nous avons conclu un [accord d’exclusivité] avec Intel… bien/mauvais ?!? Nous avons reçu une large somme d’argent en contrepartie – bien ! »

1431 Force est de constater qu’il résulte des documents mentionnées aux points 1428 à 1430 que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution étaient soumis, du moins en partie, à une condition d’exclusivité.

 ii) Sur les documents au regard desquels la requérante présente des observations

1432 Aux considérants 693 à 699 de la décision attaquée, la Commission expose divers documents qui confirment, selon ladite décision, que le non-respect, par MSH, de son engagement d’exclusivité aurait entraîné au moins une réduction substantielle et disproportionnée des paiements octroyés en vertu des accords de contribution.

1433 La requérante conteste la valeur probante que la Commission a accordé à ces documents dans la décision attaquée. De plus, s’agissant des documents cités aux considérants 693 à 696 de ladite décision, elle fait valoir que la Commission a violé ses droits de la défense en s’abstenant de lui communiquer l’intégralité de ces documents.

 Sur les documents cités aux considérants 697 à 699 de la décision attaquée

1434 Le document cité au considérant 697 de la décision attaquée consiste en un échange de courriels datant des 13 et 15 septembre 2004 entre le siège de MSH en Allemagne et sa filiale autrichienne. La filiale a écrit ce qui suit : « [… V]ous pouvez voir à quel point AMD est forte dans le segment des ordinateurs de bureau. [...] Ma question : Quid du reste de l’Europe et est-ce qu’il est envisagé de réévaluer la stratégie concernant l’accord Intel respectivement ? » Le siège social a répondu ce qui suit :

« La question Intel/AMD est actuellement en train d’être réévaluée (en fait, comme chaque année). […] Pour le moment, la tendance me semble aller vers une continuation de l’accord. Raisons : 1. En dépit de notre stratégie exclusivement Intel, nous gagnons des parts de marché. 2. Nous perdrions potentiellement beaucoup d’argent. »

1435 La requérante fait valoir que ce document ne fait pas référence à une réduction disproportionnée des paiements d’Intel et que la perte envisagée pouvait tout aussi facilement résulter de la popularité moindre des ordinateurs équipés de processeurs AMD. Selon la requérante, MSH aurait nécessairement connu une réduction proportionnelle des paiements d’Intel, dans la mesure où MSH n’aurait pas bénéficié de paiements d’Intel sur des ventes transférées d’Intel vers AMD.

1436 Toutefois, force est de constater que le document cité au considérant 697 de la décision attaquée fait état d’un lien direct entre la réévaluation de la stratégie consistant à vendre exclusivement des produits équipés de CPU Intel et une perte potentielle de « beaucoup d’argent ». En revanche, le document ne contient aucun indice susceptible d’étayer l’affirmation de la requérante selon laquelle la référence à une perte potentielle de « beaucoup d’argent » a été utilisée seulement afin de décrire une perte de paiements qui est proportionnelle à la réduction des ventes des ordinateurs équipés de CPU Intel. L’explication de la requérante selon laquelle la perte mentionnée dans le document résulte de la plus faible popularité des ordinateurs à processeur AMD n’est pas plausible. Elle est, en effet, contredite par la déclaration contenue dans le même document dont les termes sont les suivants : « [V]ous pouvez voir à quel point AMD est forte dans le segment des ordinateurs de bureau. »

1437 Le document cité au considérant 698 de la décision attaquée contient un courriel du 17 avril 2006 adressé par M. M2 à MSH Pays-Bas, répondant à la question de savoir si c’« était toujours une décision internationale de travailler exclusivement avec Intel » comme suit :

« J’ai discuté du sujet d’AMD avec [un dirigeant de MSH] et je lui ai signalé que, si [MSH] Pays-Bas ne veut/peut plus travailler exclusivement avec Intel, je peux exclure [MSH] Pays-Bas de l’accord. Je lui ai demandé s’il pensait que nous vendrions significativement plus, et il a répondu non. En définitive, vous perdriez l’argent et AMD n’est pas en mesure de compenser ne serait-ce qu’une partie de celui-ci. En particulier dans la situation actuelle (avec 100 % Intel vous gagnez beaucoup de parts de marché !), il ne semble pas très intelligent d’arrêter ce partenariat maintenant. »

1438 La requérante avance que ce document ne porte pas sur le point de savoir si les conditions de l’accord de contribution général changeraient si MSH transférait vers AMD une partie de sa demande en CPU.

1439 Toutefois, il ressort de manière univoque du document cité au considérant 698 de la décision attaquée que le fait, pour MSH Pays-Bas, de ne plus vendre exclusivement d’ordinateurs équipés de CPU Intel aurait impliqué son exclusion de l’accord de contribution conclu avec la requérante et aurait eu pour conséquence la perte de l’argent octroyé à MSH Pays-Bas en vertu de cet accord. En outre, M. M2 n’a pas dit que la filiale néerlandaise aurait subi une perte de paiements proportionnée au transfert de ses ventes d’ordinateurs équipés de CPU Intel vers des ventes d’ordinateurs équipés de CPU AMD. Il mentionne simplement une perte d’« argent » dans le cas où MSH Pays-Bas arrêterait de « travailler exclusivement avec Intel ». La requérante n’avance rien pour expliquer ce choix de mots.

1440 Le document cité au considérant 699 de la décision attaquée consiste en un courriel interne de MSH Hongrie du 8 mai 2006 concernant la promotion d’un certain ordinateur équipé d’un CPU AMD. La communication contient la déclaration suivante :

« Ne faites pas de publicité pour [l’ordinateur équipé d’un CPU AMD] du tout, rompre le contrat coûterait beaucoup. »

1441 Selon la requérante, ce courriel a uniquement trait à la publicité. Le « contrat » auquel il fait référence ne serait pas identifié et pourrait, selon la requérante, tout aussi bien désigner un accord entre MSH Hongrie et un OEM pour le remboursement des frais de publicité relatifs à des ordinateurs équipés de CPU Intel. La Commission n’aurait pas tenté de vérifier la signification de ce document, mais aurait en revanche présumé qu’il portait sur une perte disproportionnée de paiements d’Intel, alors que le simple fait que MSH commercialisait des ordinateurs équipés de CPU AMD aurait dû l’inciter à mettre en doute la théorie selon laquelle la vente de systèmes équipés de CPU AMD aurait cette conséquence.

1442 Ces arguments ne sauraient convaincre. En premier lieu, la distinction suggérée par la requérante entre la promotion des ordinateurs équipés de CPU AMD et leur vente est, dans le cas d’espèce, artificielle. En effet, les éléments de preuve examinés aux points 1390 à 1420 ci-dessus démontrent sans équivoque que la condition d’exclusivité à laquelle les paiements octroyés en vertu des accords de contribution étaient soumis portait essentiellement sur l’obligation de vendre uniquement des ordinateurs équipés de CPU Intel (voir point 1425 ci-dessus). En deuxième lieu, la requérante n’avance rien pour étayer son hypothèse selon laquelle « le contrat » désigne un accord entre MSH Hongrie et un OEM. À la lumière des autres éléments de preuve retenus dans la décision attaquée et en l’absence d’indices contraires concrets à cet égard, la Commission a, à juste titre, conclu qu’il s’agissait de l’accord de contribution entre MSH et la requérante. En troisième lieu, le fait que, selon le courriel, la promotion d’un ordinateur équipé d’un CPU AMD aurait impliqué une rupture de l’accord de contribution et que ce fait aurait coûté cher à MSH contredit directement l’affirmation de la requérante selon laquelle les paiements octroyés en vertu des accords de contribution étaient calculés par unités d’ordinateurs équipés de CPU Intel vendus par MSH. En revanche, ces circonstances confirment sans équivoque que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité.

 Sur les documents cités aux considérants 693 à 696 de la décision attaquée

1443 Aux considérants 693 à 696 de la décision attaquée, la Commission fait référence à quatre autres documents de MSH. Tant dans ladite décision que dans les versions de ces documents auxquelles la requérante a eu accès lors de la procédure administrative, certains passages contenus dans les versions originales de ces documents ont été occultés ou remplacés par des résumés non confidentiels en raison des demandes de confidentialité de la part de MSH.

1444 Au considérant 693 de la décision attaquée, la Commission expose le contenu d’un courriel interne de MSH du 26 septembre 2002 comme suit :

« Sur la base des offres actuellement disponibles d’AMD, nous avons préparé deux scénarios. Ceux-ci indiquent que nous avons un risque d’environ [occulté] à [occulté] millions de USD. En outre, nous avons un risque supplémentaire résultant de l’accord INTEL Inside, que j’estime à environ [occulté] millions de USD. »

1445 Au considérant 694 de la décision attaquée, la Commission cite des extraits des notes d’une réunion des cadres de MSH du 8 octobre 2002 comme suit : « [Un dirigeant de MSH préfère utiliser des CPU AMD étant donné que cela pourrait correspondre à la stratégie de commercialisation de MSH.] Des grandes marques telles que Sony changent également pour AMD. […] [Un dirigeant de MSH] demande à vérifier si une tentative de sortie partielle seulement dans une des [régions] qui sont exclusivement Intel serait possible. […] Une cessation générale de l’accord Intel est rejetée pour des raisons de bénéfices. »

1446 Au considérant 695 de la décision attaquée, la Commission expose le contenu d’un courriel datant du 1er novembre 2003 comme suit :

« S’agissant d’Intel, il n’y a, en principe, rien de nouveau à dire en ce qui concerne l’année précédente. Apparemment, nous avons raison avec notre stratégie étant donné que nous gagnons des parts de marché tout en ne commercialisant pas de CPU AMD. Comme l’année précédente, le risque économique en cas de changement de stratégie est d’environ [occulté] millions de USD. »

1447 Au considérant 696 de la décision attaquée, la Commission expose le contenu d’un échange de courriels datant des 15 et 16 janvier 2004 comme suit : « [Un dirigeant de MSH] a rencontré [M. C2] d’AMD – responsable pour les affaires internationales – lors d’une foire commerciale à Las Vegas. Il transmet le message du gars d’AMD de [occulté] USD par trimestre si AMD faisait affaire avec Media-Saturn. » Un autre dirigeant de MSH a réagi en disant ce qui suit : « [C]ela fait ‘au total’ [occulté] EUR de plus que notre résultat avec Intel en 2003…à l’exclusion d’Intel Inside. Cela correspond à l’impression que nous avons actuellement d’Intel…pour plus d’efforts nous recevons moins et moins d’argent. »

–       Sur la valeur probante des documents cités aux considérants 693 à 696 de la décision attaquée

1448 La requérante soutient que le document cité au considérant 694 de la décision attaquée (voir point 1445 ci-dessus) n’indique rien de l’impact sur les paiements d’Intel qu’aurait eu le transfert d’une partie des besoins de MSH à AMD et que la référence aux « raisons de bénéfices » peut faire référence aux marges de MSH sur les ordinateurs équipés de CPU Intel, plus qu’à la perte de paiements.

1449 Cette argumentation ne saurait convaincre. En effet, ce document confronte une « sortie partielle seulement dans une des [régions] qui sont exclusivement Intel » à une « cessation générale de l’accord Intel [qui] est rejetée pour des raisons de bénéfices ». Ainsi, les notes de la réunion indiquent qu’une cessation générale de l’accord d’exclusivité est rejetée pour des raisons de bénéfices. Le courriel fait donc état d’un lien entre l’exclusivité et des raisons de bénéfices et réfute directement l’affirmation de la requérante selon laquelle les paiements octroyés en vertu des accords de contribution étaient calculés par unités d’ordinateurs équipés de CPU Intel vendus par MSH.

1450 En outre, la Commission souligne, à juste titre, que ce document contient également la déclaration suivante : « Nous continuerons nos tentatives, jusque-là infructueuses, de négociation avec Intel d’une dérogation concernant les ventes de produits de marque spécifique (par exemple, SONY) équipés de processeurs AMD. » À la lumière de cette déclaration, l’interprétation suggérée par la requérante, selon laquelle la référence aux « raisons de bénéfices » fait référence aux marges de MSH sur les ordinateurs équipés de CPU Intel, et non à la perte de paiements, n’est pas plausible. En effet, la circonstance selon laquelle MSH voulait continuer ses tentatives de négociation d’une dérogation de la condition d’exclusivité pour certains ordinateurs équipés de CPU AMD démontre que MSH avait un intérêt dans la vente d’ordinateurs équipés de CPU AMD, de sorte que sa décision de ne pas cesser de manière générale l’accord avec la requérante ne peut pas être imputée seulement aux marges de MSH sur les ordinateurs équipés de CPU Intel.

1451 La requérante fait valoir que les documents cités aux considérants 693, 695 et 696 de la décision attaquée n’étayent pas les conclusions de la Commission.

1452 En ce qui concerne, d’une part, le document cité au considérant 696 de la décision attaquée (voir point 1447 ci-dessus), il convient d’observer que ce document n’étaye pas la position de la Commission selon laquelle les paiements octroyés en vertu des accords de contribution constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité. En effet, ce document démontre seulement qu’un dirigeant de MSH estimait qu’une certaine offre d’AMD au début de l’année 2004 s’élevait à un montant plus élevé que le résultat de MSH avec Intel en 2003. En revanche, ce document ne confirme pas non plus l’affirmation de la requérante selon laquelle les paiements octroyés en vertu des accords de contribution étaient calculés par unités d’ordinateurs équipés de CPU Intel vendus par MSH. Il y a lieu de constater que ce document est dépourvu de toute valeur probante en ce qui concerne l’existence d’un lien entre les paiements octroyés en vertu des accords de contribution et la condition non écrite d’exclusivité.

1453 S’agissant, d’autre part, des documents cités aux considérants 693 et 695 de la décision attaquée (voir points 1444 et 1446 ci-dessus), il convient de constater que le fait que ces documents font référence à un « risque » constitue un indice, quoique relativement faible, du fait que les paiements de la requérante n’étaient pas seulement calculés en fonction des ventes de MSH en ordinateurs équipés de CPU Intel. En effet, si MSH avait simplement pensé qu’il y aurait une perte proportionnée de paiements si elle s’approvisionnait chez AMD, il n’aurait pas été nécessaire d’employer dans ces documents le terme « risque », mais il se serait simplement agi de calculer les paiements perdus sur le nombre d’ordinateurs équipés de CPU Intel dont la vente aurait été remplacée par celle d’ordinateurs équipés de CPU AMD.

–       Sur la prétendue violation des droits de la défense

1454 La requérante soutient en outre qu’elle est dans l’impossibilité de commenter les documents cités aux considérants 693 à 696 de la décision attaquée et elle réserve tous ses droits à cet égard. Une jurisprudence constante interdirait à la Commission de se fonder sur des documents non communiqués à un défendeur pendant la procédure administrative. Dans le cas d’espèce, la Commission se serait fondée, de manière cruciale, sur le montant du « risque » évalué par MSH dans les documents cités aux considérants 693 et 695, en omettant de communiquer cette information à Intel, ce qui enfreindrait gravement ses droits de la défense.

1455 Il y a lieu d’observer que la requérante fait seulement valoir que la Commission s’appuie, à tort, sur des informations auxquelles elle n’a pas eu accès. Elle avance donc uniquement que la Commission a utilisé ces informations, à tort, comme élément à charge. La requérante ne soutient cependant pas qu’elle aurait pu utiliser les informations confidentielles comme éléments à décharge.

1456 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le droit d’accès au dossier dans les affaires de concurrence a pour objet de permettre aux destinataires d’une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu’ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles elle est parvenue, dans sa communication des griefs, sur la base de ces éléments (voir arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 359 supra, point 334, et la jurisprudence citée).

1457 Il ressort également de la jurisprudence que le droit d’accès au dossier doit être mis en balance avec les intérêts des parties tierces qui peuvent avoir droit à la protection de leurs secrets d’affaires et qui peuvent être exposées au risque de mesures de rétorsion pour leur collaboration à l’instruction menée par la Commission. En conséquence, dans la mesure où il existe un intérêt d’une partie tierce à un traitement confidentiel et sous réserve que l’entreprise concernée par une enquête puisse toutefois se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue dans sa communication des griefs, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir donné accès seulement à des résumés non confidentiels des documents utilisés par la Commission comme élément de preuve ou d’avoir omis de divulguer l’identité de ses informateurs (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 28 avril 1999, Endemol/Commission, T‑221/95, Rec. p. II‑1299, points 67 et 70 à 72, et Michelin II, point 75 supra, points 124 et 125, et la jurisprudence citée).

1458 S’agissant plus particulièrement des éléments à charge, le respect des droits de la défense exige que l’entreprise intéressée ait été en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur les éléments retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction (voir arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 359 supra, point 337, et la jurisprudence citée). À cette fin, il n’est pas forcément nécessaire que l’entreprise intéressée soit mise en mesure d’accéder à un document utilisé par la Commission comme élément à charge dans son intégralité. Lorsqu’il existe un intérêt d’une partie tierce à un traitement confidentiel, la Commission peut remplacer certains passages d’un document contenant des éléments à charge par des résumés non confidentiels ou peut les occulter, à condition qu’elle ne s’appuie pas sur les passages qu’elle traite comme confidentiels et que le contexte des passages sur lesquels elle s’appuie reste suffisamment compréhensible afin de permettre à l’entreprise intéressée de se prévaloir utilement de ses droits de la défense.

1459 Force est de constater que, dans le cas d’espèce, la Commission a donné à la requérante accès aux passages pertinents des documents en question, sur lesquels elle s’est appuyée dans la décision attaquée. Elle ne s’est pas appuyée sur des passages qui n’ont pas été divulgués à la requérante, mais s’est plutôt limitée à utiliser les versions non confidentielles de ces documents comme éléments à charge. En effet, en ce qui concerne, d’une part, les documents cités aux considérants 693 et 695 de la décision attaquée (voir points 1444 et 1446 ci-dessus), contrairement à ce que prétend la requérante, ladite décision n’est pas fondée sur la quantification du risque à laquelle il est fait référence dans ces documents. Selon l’explication convaincante de la Commission, ladite décision est seulement fondée sur la teneur de ces documents en se référant, de manière abstraite, au « risque » de perdre des paiements d’Intel. En ce qui concerne, d’autre part, les documents cités aux considérants 694 et 696 de ladite décision (voir points 1445 à 1447 ci-dessus), la requérante ne prétend même pas que la Commission s’est appuyée sur les parties confidentielles de ces documents. Rien n’indique que tel a été le cas. Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel la Commission s’est, à tort, fondée sur les informations confidentielles des documents cités aux considérants 693 à 696 de la décision attaquée en omettant de communiquer ces informations à la requérante.

1460 Au demeurant, il convient de constater que les versions de ces documents auxquelles la requérante a eu accès étaient suffisamment compréhensibles pour permettre à la requérante de se prévaloir utilement de ses droits de la défense. Au vu de l’intérêt de MSH à un traitement confidentiel, la Commission pouvait donc à bon droit s’appuyer sur ces versions comme éléments à charge. Par conséquent, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas violé les droits de la défense de la requérante.

1461 En tout état de cause, il ressort de la jurisprudence que, lorsqu’il s’avère que la Commission s’est fondée, dans la décision attaquée, sur des documents n’ayant pas été communiqués à la requérante, il y a lieu d’éliminer lesdits documents en tant que moyens de preuve. Il convient, dès lors, dans ce cas, de vérifier si le grief retenu dans la décision finale est suffisamment prouvé par les autres éléments retenus à charge auxquels la requérante a eu accès (voir arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 359 supra, point 338, et la jurisprudence citée).

1462 À supposer même que la Commission n’ait pas dû s’appuyer sur les versions non confidentielles des documents cités aux considérants 693 à 696 de la décision attaquée, force est de constater que les autres éléments retenus à charge dans ladite décision, auxquels la requérante a eu accès, établissent à suffisance de droit que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité. En conséquence, à supposer même que les documents cités aux considérants 693 à 696 de ladite décision doivent être éliminés en tant que moyens de preuve, il n’y a pas lieu d’annuler ladite décision.

 2.3) Conclusion

1463 Partant, il est permis de conclure que la réponse de MSH au titre de l’article 18 et les éléments de preuve qui la corroborent démontrent à suffisance de droit que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution étaient, du moins en partie, soumis à une condition d’exclusivité.

c)     Sur les autres arguments de la requérante

1464 Les autres arguments avancés par la requérante ne sont pas susceptibles de remettre en cause cette conclusion.

 1) Sur les documents visant à réfuter la preuve de la conditionnalité

1465 La requérante s’appuie sur divers documents pour lesquels elle fait valoir qu’ils réfutent la preuve de la conditionnalité des paiements octroyés en vertu des accords de contribution.

 1.1) Sur le courriel de Mme I17

1466 Afin de réfuter la preuve du fait que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution étaient, du moins en partie, soumis à une condition d’exclusivité, la requérante invoque un courriel datant du 9 octobre 2000, rédigé par Mme I17, la [confidentiel] d’Intel, ayant le contenu qui suit.

1467 En réponse à une suggestion de MSH selon laquelle elle envisageait un report de 10 ou 20 % de ses achats vers AMD, Mme I17 a déclaré qu’« une approche non 100 % serait acceptable » et que « [l]a promotion devrait être définie d’une manière qui […] donne [à Intel] une part équitable du haut de gamme (P4P), du milieu de gamme (P3P) et du bas de gamme (ICP) ».

1468 Il convient de placer ce passage dans son contexte (voir également le considérant 761 de la décision attaquée). La Commission relève que ce courriel reflète les négociations de l’accord de contribution pour 2001. Au cours des négociations, M. M2 de MSH avait présenté une « liste de souhaits » incluant notamment une « option [d’une part de segment de marché] de 80/20 ou 90/10 ». Confrontée à ce souhait de MSH de pouvoir vendre librement une part de 10 ou 20 % du marché, Mme I17 a constaté ce qui suit :

« [U]ne approche non 100 % serait acceptable. Ce dont nous devons nous assurer est qu’ils ne se réservent pas la meilleure part du gâteau. La promotion devrait être définie d’une manière qui nous donne une part équitable du haut de gamme (P4P), du milieu de gamme (P3P) et du bas de gamme (ICP). »

1469 Toutefois, comme la Commission l’a constaté, à juste titre, au considérant 761 de la décision attaquée, il n’est pas plausible que la flexibilité impliquée par les termes de ce courriel de Mme I17 en ce qui concerne l’option pour MSH de disposer librement de 10 ou 20 % de ses ventes ait été maintenue lors des négociations ultérieures. À cet égard, la Commission s’est appuyée, à bon droit, sur la manière dont la requérante a ensuite insisté sur un respect complet de l’exclusivité lors des discussions avec MSH sur la possibilité de vendre des ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD offerts par Sony (voir point 1378 ci-dessus) et lors des discussions avec MSH Italie sur son adhésion aux accords de contribution (voir point 1379 ci-dessus). En effet, la fermeté avec laquelle la requérante a insisté sur le respect de la condition d’exclusivité lors de ces incidents démontre à suffisance de droit que la requérante n’a admis aucune exception significative à cette condition.

1470 Partant, le courriel de Mme I17 n’est pas susceptible de réfuter la valeur probante des éléments de preuve retenus dans la décision attaquée.

 1.2) Sur le courriel de M. I18

1471 La requérante fait valoir que, dans un courriel du 10 novembre 2000, le principal négociateur d’Intel, M. I18, a noté ce qui suit après une réunion avec M. M2 de MSH :

« [N]ous sommes convenus que nous ne définirons pas de taux [d’une part de segment de marché] dans la mesure où cela n’est pas mesurable et cela n’est pas du tout utile. »

1472 La Commission relève, sans être contredite sur ce point par la requérante, que ce courriel reflète également les négociations de l’accord de contribution pour 2001. La valeur probante de ce courriel doit donc également être évaluée à la lumière de la demande de MSH visant à pouvoir disposer librement de 10 ou 20 % de ses ventes (voir point 1468 ci-dessus).

1473 Force est de constater que, à la lumière de la demande formulée par MSH de pouvoir disposer librement de 10 ou 20 % de ses ventes, le passage invoqué par la requérante selon lequel « nous sommes convenus que nous ne définirons pas de taux [d’une part de segment de marché] dans la mesure où cela n’est pas mesurable et cela n’est pas du tout utile » n’est pas nécessairement en contradiction avec l’existence d’une condition non écrite d’exclusivité. Ce passage peut également signifier que MSH n’a pas réussi à imposer sa demande lors des négociations ou que MSH et Intel ont finalement renoncé à une option permettant à MSH de vendre librement 10 ou 20 % de ses ventes, en raison du fait qu’une telle option aurait été trop difficile à appliquer, de sorte que la relation entre les deux parties devait, en principe, continuer à être exclusive. Le passage du courriel de M. I18 sur lequel s’appuie la requérante doit, dès lors, être considéré comme ambigu. Il n’est donc pas à même de réfuter la valeur probante des éléments de preuve retenus dans la décision attaquée. En outre, il convient de rappeler que la fermeté avec laquelle la requérante a insisté sur le respect de la condition d’exclusivité lors des discussions avec MSH sur la possibilité de vendre des ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD offerts par Sony et lors des discussions avec MSH Italie sur son adhésion aux accords de contribution démontre à suffisance de droit que la requérante n’a admis aucune exception significative à cette condition (voir point 1469 ci-dessus).

1474 Partant, le courriel de M. I18 n’est pas susceptible de réfuter la valeur probante des éléments de preuve retenus dans la décision attaquée.

 1.3) Sur les documents de novembre 2000

1475 La requérante fait référence à deux autres documents datant de novembre 2000 qui indiquent, selon elle, qu’Intel était consciente de son exposition concurrentielle auprès de MSH et qu’elle a répondu en offrant des remises et des produits plus attrayants.

1476 Cette argumentation ne saurait prospérer. En effet, le seul fait que la requérante ait été consciente de son exposition concurrentielle et qu’elle ait répondu en offrant des produits et des paiements plus attrayants n’exclut pas qu’elle ait conditionné l’octroi de ces paiements plus attrayants au fait que MSH vendît exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel. Par conséquent, l’argument de la requérante n’est pas susceptible de remettre en cause les éléments de preuve retenus dans la décision attaquée. Il n’y a donc pas lieu d’examiner plus en détail le contenu des deux documents invoqués par la requérante.

 1.4) Sur les feuilles de calcul

1477 À l’appui de son argument selon lequel les paiements octroyés en vertu des accords de contribution étaient seulement calculés par unités d’ordinateurs équipés de CPU Intel vendus par MSH, la requérante invoque deux documents contenant des « feuilles de calcul » établies par MSH. Selon la requérante, ces feuilles de calcul analysent le montant des paiements prévus au titre de deux scénarios, l’un où MSH vendrait uniquement des ordinateurs équipés de CPU Intel et un autre où environ un tiers des ordinateurs de MSH seraient équipés de CPU AMD. Les projections de MSH en termes de paiements d’Intel par unité de CPU seraient identiques dans les deux scénarios, ce qui démontre, selon la requérante, que MSH avait estimé que le transfert d’environ un tiers de ses achats globaux à AMD ne se traduirait que par une réduction proportionnelle des paiements d’Intel, sans réduction des contributions par unité.

1478 Il y a lieu de relever que, aux considérants 772 et 773 de la décision attaquée, la Commission reconnaît que ces feuilles de calcul donnent des indications sur les paiements proportionnels d’Intel qui resteraient en cas de passage de MSH chez AMD, calculés sur la base des unités d’ordinateurs équipés de CPU Intel que MSH continuerait à vendre dans ce cas. Toutefois, selon ladite décision, les feuilles de calcul appliquent seulement la règle contenue dans l’accord de contribution écrit. Elles ne contiendraient cependant pas d’indices en ce qui concerne la question de savoir si MSH continuait effectivement à obtenir ces paiements ou non. Par conséquent, les feuilles de calcul ne pourraient pas être considérées comme preuve du fait que la requérante aurait continué à payer le montant indiqué. Selon les constats de la décision attaquée, il est possible que les feuilles de calcul aient effectivement servi à MSH pour calculer les paiements exposés au risque d’être supprimés au vu de la condition non écrite d’exclusivité. Étant donné que tant cette dernière interprétation que l’interprétation de la requérante pourraient être inférées des feuilles de calcul, celles-ci n’auraient pas de valeur probante. Toutefois, au vu d’autres éléments de preuve faisant état d’un risque de perte financière, l’interprétation des feuilles de calcul selon laquelle celles-ci constituaient un outil pour quantifier le risque de perte de paiements en cas de violation de l’exclusivité serait plus plausible.

1479 Dans le cadre du présent recours, la requérante conteste l’appréciation de la valeur probante des feuilles de calcul effectuée par la Commission. Selon elle, les feuilles de calcul avaient pour but d’évaluer une offre d’AMD en quantifiant le montant total des paiements que MSH escomptait recevoir respectivement si elle n’utilisait que des CPU Intel et si elle transférait un tiers de ses achats à AMD. Les feuilles de calcul indiqueraient que l’offre d’AMD à MSH pour le segment des ordinateurs portables était inférieure à celle d’Intel. La requérante avance que son interprétation des feuilles de calcul est confirmée par un mémorandum interne de M. M2, qui démontre, selon elle, que, en 2004, MSH a rejeté une offre d’AMD seulement parce que l’offre d’Intel était meilleure.

1480 Toutefois, force est de constater qu’il n’est pas nécessaire, en l’espèce, de se prononcer sur la question de savoir si l’interprétation de la Commission concernant les feuilles de calcul, selon laquelle celles-ci constituaient un outil pour quantifier le risque de perte de paiements en cas de violation de l’exclusivité, est plus plausible que celle de la requérante, selon laquelle les feuilles de calcul démontrent que MSH a estimé que le transfert d’environ un tiers de ses achats globaux à AMD ne se traduirait que par une réduction proportionnelle des paiements d’Intel, sans réduction des contributions par unité.

1481 En effet, force est de constater que les feuilles de calcul ne contiennent pas d’indices en ce qui concerne la question de savoir si MSH continuait effectivement à obtenir ces paiements ou non. Par conséquent, les feuilles de calcul ne peuvent pas être considérées comme preuve du fait que la requérante aurait continué à payer le montant indiqué en cas de passage de MSH chez AMD. En outre, il convient de rappeler qu’il existait une incertitude au sein de MSH sur le niveau exact de la perte de paiements en cas de passage chez AMD (voir point 1415 ci-dessus) et que M. M1 a déclaré que MSH avait fait des spéculations internes sur l’étendue de cette perte (voir point 1414 ci-dessus). Cette circonstance est, par ailleurs, confirmée par les documents cités aux considérants 693 et 695 de la décision attaquée qui démontrent que MSH a préparé des scénarios afin d’évaluer le « risque » d’un passage chez AMD. À la lumière de ces circonstances, il est au moins possible que MSH se soit servie des feuilles de calcul pour calculer les paiements qui étaient formellement dus en vertu des accords de contribution, mais qui étaient en même temps exposés au risque d’être supprimés au vu de la condition non écrite d’exclusivité.

1482 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’affirmation de la requérante selon laquelle les feuilles de calcul avaient pour but d’évaluer une offre d’AMD. En effet, il ne saurait être exclu que les feuilles de calcul aient permis à MSH de déterminer en même temps, d’une part, le financement minimal qu’AMD devait lui accorder si MSH voulait maintenir son niveau de financement et, d’autre part, le montant de financement potentiellement à risque au regard de ce que MSH pouvait attendre en guise de réaction d’Intel.

1483 Étant donné que tant l’interprétation de la Commission que l’interprétation de la requérante peuvent de manière égale être inférées des feuilles de calcul, celles-ci ne possèdent pas de valeur probante. En tout état de cause, il y a lieu de constater que ces feuilles ne constituent qu’une seule projection parmi d’autres de MSH concernant les conséquences de la vente d’ordinateurs équipés de CPU AMD. À supposer même qu’elles puissent confirmer la théorie de la requérante, selon laquelle les paiements octroyés en vertu des accords de contribution étaient calculés par unités d’ordinateurs équipés de CPU Intel vendus par MSH, il n’en resterait pas moins que cette théorie est contredite par l’ensemble des éléments de preuve exposés aux considérants 1389 à 1463 ci-dessus. Par conséquent, les feuilles de calcul ne sont pas susceptibles de remettre en cause la valeur probante des éléments de preuve retenus dans la décision attaquée qui démontrent sans équivoque que les paiements octroyés en vertu des accords de contribution étaient, du moins en partie, soumis à une condition d’exclusivité.

 1.5) Conclusion

1484 Partant, les divers documents invoqués par la requérante ne remettent pas en cause la preuve de la conditionnalité des paiements octroyés en vertu des accords de contribution.

 2) Sur l’argument tiré de ce que les accords de contribution entre Intel et MSH servaient des objectifs légitimes et n’étaient pas fictifs

1485 La requérante conteste l’affirmation, formulée aux considérants 588 à 616 de la décision attaquée, selon laquelle Intel a conclu les accords avec MSH pour déguiser des paiements d’exclusivité en remboursements de frais de marketing et selon laquelle Intel n’a jamais manifesté d’intérêt particulier pour le respect de ces obligations par MSH.

1486 À l’appui de son argument, la requérante fait valoir, d’une part, qu’elle a conclu des accords de coopération en matière de marketing comparables avec de nombreux autres distributeurs dans toute l’Europe, qui ne sont soumis à aucune condition implicite d’exclusivité. L’utilisation par la requérante d’accords comparables avec de nombreux distributeurs qui stockent des ordinateurs équipés de processeurs AMD indiquerait que l’accord d’Intel avec MSH était un contrat normal et non un contrat fictif ou un « déguisement ».

1487 Cet argument ne saurait convaincre. Le caractère anticoncurrentiel des pratiques de la requérante vis-à-vis de MSH n’est pas réfuté par la nature des relations entre la requérante et d’autres distributeurs.

1488 D’autre part, la requérante soutient qu’elle a exercé un contrôle sur les activités promotionnelles de MSH, du moins jusqu’à l’accord de 2002. Ensuite, elle n’aurait plus eu de raison de contrôler ces activités promotionnelles, étant donné que le droit aux paiements était subordonné aux ventes. En substance, Intel n’aurait donc poursuivi que des intérêts commerciaux légitimes et n’aurait pas commis la moindre fraude.

1489 Toutefois, force est de constater que, dans la décision attaquée, la Commission a réfuté, à suffisance de droit, l’argument de la requérante selon lequel ses paiements octroyés à MSH en vertu des accords de contribution étaient seulement calculés par unités d’ordinateurs équipés de CPU Intel vendus par MSH, en démontrant que ces paiements constituaient, du moins en partie, la contrepartie de la condition non écrite d’exclusivité incluse dans les accords de contribution. Or, lorsqu’elle est mise en œuvre par une entreprise en position dominante, cette incitation à une vente exclusive ne constitue pas un intérêt commercial légitime. À supposer même que les accords de contribution aient, en plus de cette incitation illégitime, poursuivi partiellement des intérêts commerciaux légitimes et que la requérante réussisse à démontrer que, avant l’accord de 2002, elle a exercé un contrôle sur les activités promotionnelles de MSH, cette circonstance ne réfuterait pas la preuve du fait que, entre octobre 2002 et décembre 2007, les paiements octroyés en vertu des accords de contribution constituaient, du moins en partie, la contrepartie d’une exclusivité.

1490 En outre, il y a lieu de relever qu’au considérant 679 la décision attaquée expose, en substance, que le département juridique de la requérante avait demandé l’introduction d’une clause expresse d’absence d’exclusivité dans les accords de contribution aux fins de dissimuler que le montant du financement octroyé par la requérante à MSH dépendait de facto du respect d’une condition d’exclusivité. À l’appui de cette constatation, la décision attaquée cite, dans la note en bas de page n° 921 de ladite décision (n° 913 dans la version publique), la réponse de MSH au titre de l’article 18, dans laquelle celle-ci a indiqué ce qui suit :

« Il ne faisait aucun doute pour MSH qu’en dépit de la clause d’absence d’exclusivité la nature exclusive de la relation restait, pour Intel, un élément essentiel de la relation entre Intel et MSH. En fait, [M. M2] se rappelle que des représentants d’Intel lui ont fait savoir clairement que les modifications apportées dans la formulation de l’accord avaient été demandées par le département juridique d’Intel, mais qu’en réalité la relation devait se poursuivre comme auparavant, y compris l’exigence que MSH vende essentiellement des ordinateurs [équipés de CPU] Intel uniquement » (voir point 1393 ci-dessus).

1491 Le fait que le département juridique de la requérante a demandé l’introduction d’une clause expresse d’absence d’exclusivité est, en outre, confirmé par la déclaration de M. M1 dans les termes suivants :

« J’ai parlé avec [M. M2] de cette clause et il m’a dit que, en ce qui concerne la clause, Intel lui a fait savoir qu’elle était basée sur des souhaits du département juridique, mais que, en réalité, la collaboration avec Intel – et également l’entendement que seulement des ordinateurs équipés de CPU Intel seraient vendus – ne devait pas changer. »

1492 Au vu du fait qu’une condition d’absence d’exclusivité a été insérée dans les accords de contribution qui étaient toutefois soumis à une condition non écrite d’exclusivité, force est de constater que ces accords stipulaient l’inverse de ce qui était réellement convenu. Cette circonstance confirme à suffisance de droit que la requérante a conclu les accords en cause avec MSH au moins également pour déguiser des paiements d’exclusivité en remboursements de frais de marketing.

 3) Sur l’argument tiré de ce que la Commission n’aurait pas prouvé que la requérante a menacé MSH d’une réduction disproportionnée des paiements

1493 La requérante soutient que la décision attaquée n’identifie aucun élément de preuve qui aurait été adressé par Intel à MSH menaçant d’une quelconque perte de paiements – pas plus que d’une « réduction disproportionnée » de ceux-ci. L’absence de toute communication de ce type indiquerait qu’elle n’avait pas de stratégie consistant à brandir de telles menaces pour s’assurer la fidélité de MSH. En outre, le mémoire en défense affirmerait à tort que la question de savoir si Intel aurait ou non effectivement réduit ses paiements d’une manière disproportionnée et si MSH a cru à cette menace est dénuée de pertinence. Enfin, la requérante avance, en substance, que, aux considérants 689, 789, point 1, et 999 de la décision attaquée, la Commission a, à tort, fondé sa conclusion d’infraction sur l’impression alléguée de MSH concernant une perte disproportionnée de paiements. Une telle approche serait contraire au principe de sécurité juridique.

1494 Premièrement, l’argument de la requérante selon lequel elle n’a pas communiqué à MSH que le niveau des paiements octroyés en vertu des accords de contribution était soumis à une condition d’exclusivité ne saurait convaincre. Les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée démontrent à suffisance de droit non seulement que le fait que la requérante a octroyé des paiements à MSH dont le niveau était soumis à une condition non écrite d’exclusivité ne constituait pas une spéculation purement interne ou déraisonnable de MSH, mais que la conditionnalité des paiements était une partie intégrante des accords de contribution conclus entre la requérante et MSH (voir notamment point 1393 ci-dessus). Cette conclusion, qui va au-delà de la preuve d’une communication unilatérale, suffit afin d’établir la preuve de l’infraction mise en cause dans la décision attaquée. En revanche, la Commission n’était pas tenue de démontrer, en plus, que la requérante a menacé MSH d’une perte disproportionnée de paiements. En effet, cette menace est inhérente à l’existence d’une condition non écrite d’exclusivité, qu’elle soit signalée de manière expresse ou non (voir points 778 et 999 ci-dessus).

1495 Deuxièmement, il convient de rappeler que la capacité anticoncurrentielle des pratiques de la requérante vis-à-vis de MSH repose sur le fait qu’elles étaient susceptibles d’inciter MSH à vendre exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel. Or, l’existence d’une telle incitation est indépendante de la question de savoir si les paiements octroyés en vertu des accords de contribution auraient effectivement été réduits en cas de violation de la condition d’exclusivité à laquelle leur octroi était soumis. Elle est indépendante également de la question de savoir si MSH a effectivement cru à une menace correspondante. En effet, il suffit à cet égard que la requérante ait donné l’impression que les paiements accordés en vertu des accords de contribution auraient été réduits en cas d’introduction des ordinateurs équipés de CPU AMD, de sorte que MSH ait pu s’y attendre (voir point 527 ci-dessus). Par conséquent il convient d’écarter les affirmations de la requérante selon lesquelles la constatation d’un abus nécessitait la preuve qu’elle aurait effectivement réduit ses paiements d’une manière disproportionnée en cas de violation de la condition d’exclusivité et que MSH a effectivement cru à une menace correspondante.

1496 En tout état de cause, il y a lieu d’observer que les éléments de preuve retenus dans la décision attaquée démontrent à suffisance de droit qu’il était entendu entre la requérante et MSH que le non-respect, par MSH, de son engagement d’exclusivité entraînerait au moins une réduction disproportionnée des paiements octroyés en vertu des accords de contribution (voir points 1375 et 1396 à 1398 ci-dessus). Cela implique que MSH a effectivement cru à une menace correspondante.

1497 Troisièmement, la Commission ne saurait être critiquée pour avoir constaté, aux considérants 789, point 1, 999 et 689 de la décision attaquée, que « MSH craignait qu’un non-respect de son engagement d’exclusivité n’entraînât une perte disproportionnée des paiements octroyés en vertu des accords de contribution », qu’« il était évident pour MSH qu’un changement de sa stratégie de fournisseur entraînerait au moins une perte substantielle et disproportionnée des paiements totaux d’Intel » et qu’« il était entendu entre la requérante et MSH que le non-respect, par MSH, de son engagement d’exclusivité entraînerait au moins une réduction substantielle et disproportionnée des paiements octroyés en vertu des accords de contribution ». En effet, dans la mesure où ces constats font directement référence à des impressions de MSH ou les impliquent, il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à ce que la Commission s’appuie sur des impressions d’un distributeur afin d’établir la preuve d’un comportement propre à l’entreprise en position dominante (voir points 519 à 525 et 1083 à 1087 ci-dessus).

 4) Sur l’argument tiré de ce que la Commission se serait, à tort, abstenue d’évaluer la contrepartie de l’exclusivité

1498 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission n’a pas démontré que la partie des paiements octroyés en vertu des accords de contribution qui était soumise à la condition d’exclusivité était « substantielle ». En outre, la Commission n’aurait jamais tenté de quantifier ce qu’elle entend par « disproportionnée » ou à quel niveau de perte de paiements MSH serait rationnellement obligée de supposer qu’il n’était pas faisable de s’adresser à AMD. La Commission se serait, à tort, abstenue de démontrer la création d’une incitation forte et puissante à cause de laquelle MSH était en fait empêchée de vendre des ordinateurs équipés de CPU AMD par crainte de perdre des paiements.

1499 À cet égard il y a lieu de constater d’emblée que, pour des raisons analogues à celles énoncées aux points 140 à 166 ci-dessus, l’application d’un test AEC n’est pas nécessaire aux fins d’établir l’illégalité des pratiques de la requérante vis-à-vis de MSH. Un tel test ne saurait non plus constituer un refuge fiable pour l’entreprise en position dominante afin d’exclure toute infraction. S’il est vrai que l’application d’un test AEC requérait une quantification exacte de l’avantage financier qui était soumis à la condition d’exclusivité, il n’en reste pas moins qu’une telle analyse quantitative n’était pas indispensable pour qualifier d’abusives les pratiques de la requérante vis-à-vis de MSH.

1500 Au demeurant, il y a lieu de rappeler que le caractère anticoncurrentiel des pratiques mises en cause dans la décision attaquée ne dépend pas du montant précis de la partie des paiements accordés en vertu des accords de contribution qui était soumise à la condition d’exclusivité. Il dépend plutôt de l’exclusivité en contrepartie de laquelle ces paiements ont été octroyés (voir point 108 ci-dessus).

1501 Dans le cas d’espèce, la Commission a exposé, au considérant 614 de la décision attaquée, que, lors de la période mise en cause dans la décision attaquée, les paiements totaux octroyés par la requérante à MSH en vertu des accords de contribution s’élevaient à entre environ 19 et 44 millions de USD par an. La requérante ne conteste pas ces chiffres. De plus, la Commission a prouvé à suffisance de droit qu’au moins une partie de ces paiements dépendait d’une condition non écrite d’exclusivité.

1502 Ces constatations suffisent pour conclure que les pratiques de la requérante vis-à-vis de MSH étaient susceptibles d’inciter MSH à vendre exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel. En effet, dès lors qu’il est établi qu’au moins une partie des paiements octroyés en vertu des accords de contribution constituait la contrepartie de la condition non écrite d’exclusivité, il est permis de conclure que ces paiements étaient susceptibles d’inciter MSH à vendre exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel. Dans ces circonstances, la Commission n’est pas tenue d’identifier de manière plus précise la partie exacte de ces paiements qui constituait la contrepartie de l’exclusivité (voir points 109 et 538 ci-dessus). Cette conclusion vaut d’autant plus que, au considérant 689 de la décision attaquée, la Commission a constaté, à juste titre, que l’incertitude, auprès de MSH, sur le niveau exact des paiements qui auraient été perdus en cas d’introduction d’ordinateurs équipés de CPU AMD était, au moins en partie, due au fait que la requérante avait intentionnellement évité ce sujet (voir points 1414 et 1417 ci-dessus).

d)     Analyse de la capacité des paiements octroyés en vertu des accords de contribution à restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

1503 Il convient de rappeler que, afin de constater l’illégalité de la pratique de la requérante consistant à soumettre le niveau des paiements octroyés en vertu des accords de contribution à une condition d’exclusivité, la Commission n’est pas tenue de procéder à une analyse de la capacité de cette pratique à restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce (voir point 169 ci-dessus).

1504 À titre surabondant, il convient de constater que, dans la décision attaquée, la Commission a établi la capacité des paiements octroyés à MSH en vertu des accords de contribution à restreindre la concurrence également selon une analyse des circonstances de l’espèce.

1505 À cet égard, il y a lieu de rappeler de manière générale que le fait que les paiements conditionnels octroyés par la requérante à MSH s’inscrivaient dans une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants et le fait que cette stratégie comprenait deux types d’infractions qui se complétaient et se renforçaient mutuellement rendent le comportement de la requérante susceptible de restreindre la concurrence (voir points 181, 184 et 213 ci-dessus).

1506 Par ailleurs, il convient de rappeler que le fait que les rabais et les paiements conditionnels de la requérante ont été accordés à certains bénéficiaires particulièrement importants constitue également un élément qui est susceptible de fonder la capacité de ces paiements à restreindre la concurrence (voir point 182 ci-dessus).

1507 Il y a lieu de constater que MSH revêtait une importance stratégique particulière en ce qui concerne la distribution d’ordinateurs équipés de CPU x86 destinés aux consommateurs en Europe.

1508 À cet égard, la Commission a exposé, au considérant 580 de la décision attaquée, que MSH était le plus grand distributeur d’ordinateurs en Europe. De plus, elle a constaté, aux considérants 1600 à 1602 de ladite décision, que MSH disposait, à l’époque de l’infraction, d’une influence considérable sur les offres de produits des OEM en Europe et sur la décision des OEM d’équiper leurs ordinateurs destinés aux consommateurs en Europe avec des CPU produits par la requérante ou par AMD. Selon la même décision, la requérante elle-même considérait qu’en raison de la forte influence de MSH sur la configuration des ordinateurs fabriqués par les OEM « [il était d’une importance] clé pour Intel d’avoir une relation proche » avec MSH.

1509 La requérante ne conteste pas ces constatations. Cependant, lors de l’audience, elle a contesté l’importance stratégique de MSH en faisant valoir que cette importance doit être appréciée sur le plan mondial, étant donné que le marché mis en cause dans la décision attaquée est le marché mondial des CPU x86. Or, sur le plan mondial, MSH n’aurait représenté tout au plus que 1 % des ventes des ordinateurs sur le marché de détail.

1510 Toutefois, force est de constater que la Commission n’a pas inféré l’importance stratégique particulière de MSH uniquement des chiffres des ventes d’ordinateurs ou des parts de marché de cette entreprise. En effet, la Commission s’est également appuyée sur l’influence considérable de MSH sur les offres de produits des OEM en Europe et sur la décision des OEM d’équiper leurs ordinateurs destinés aux consommateurs en Europe avec des CPU produits par la requérante ou par AMD.

1511 À supposer même que MSH ait revêtu une importance stratégique seulement pour la distribution d’ordinateurs équipés des CPU x86 destinés aux consommateurs en Europe, et non sur le plan mondial, rien ne s’oppose à la prise en considération de cette circonstance comme un des nombreux facteurs susceptibles d’entrer dans le champ d’une analyse de la capacité de restreindre la concurrence d’une pratique selon les circonstances de l’espèce. Ainsi, il convient de souligner que les pratiques de la requérante vis-à-vis de MSH étaient susceptibles de rendre plus difficile pour AMD l’accès à un distributeur particulièrement important en Europe.

1512 En outre, il y a lieu de rappeler que le fait que les rabais et les paiements conditionnels en cause ont effectivement été pris en considération pour des décisions commerciales de leurs bénéficiaires constitue également un élément qui est susceptible de fonder leur capacité de restreindre la concurrence (voir points 180 et 212 ci-dessus).

1513 À cet égard, il convient de constater que les paiements octroyés à MSH en vertu des accords de contribution ont eu un impact sur le choix commercial de MSH de vendre exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel lors de la période mise en cause dans la décision attaquée.

1514 Il y a lieu de relever que, au considérant 691 de la décision attaquée, la Commission cite un extrait de la réponse de MSH au titre de l’article 18 dont les termes sont les suivants :

« Dans le contexte des accords existants entre MSH et Intel et de l’incidence probable que le fait de traiter avec AMD pourrait avoir sur ceux-ci, MSH a toujours considéré jusqu’à aujourd’hui que les offres commerciales émanant d’AMD n’étaient pas suffisamment attrayantes d’un point de vue commercial pour MSH. »

1515 En outre, il convient de rappeler que MSH s’est abstenue de vendre des ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD en raison des conséquences que cette vente aurait eu sur les paiements accordés par la requérante (voir points 1399 à 1402 ci-dessus).

1516 Au demeurant, trois autres éléments de preuve retenus dans la décision attaquée confirment de manière particulièrement claire que les pratiques de la requérante ont eu un impact sur le choix de MSH de vendre exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel.

1517 Premièrement, au considérant 732 de la décision attaquée, la Commission expose un échange de courriels entre le siège de MSH et sa filiale néerlandaise, dont le contenu peut être résumé comme suit (voir considérant 731 de ladite décision). En octobre 2007, MSH Pays-Bas a fait de la publicité pour un ordinateur équipé d’un CPU non Intel. Intel s’est immédiatement plainte auprès de MSH. Or, étant donné que MSH avait découvert cette faute elle-même, la délivrance des produits aux magasins locaux avait été arrêtée, de sorte qu’aucun de ces ordinateurs n’a été vendu.

1518 Deuxièmement, au considérant 654 de la décision attaquée, la Commission expose que, dans un courriel datant du 8 avril 2005, le gérant d’une filiale de MSH à Leipzig (Allemagne) se plaignait du manque de compétitivité des ordinateurs équipés de CPU Intel dans certaines fourchettes de prix et a indiqué ce qui suit :

« Je ne veux pas que mon courriel soit compris comme une accusation, mais comme un appel au secours en ce sens que nous ne sommes actuellement pas en mesure de satisfaire ce marché. Je connais très bien l’importance de l’accord avec Intel. Mais je souffre lorsque nos concurrents font de la publicité exactement pour des produits et fourchettes de prix, pour lesquels nos mains sont liées en raison des obligations contractuelles. »

1519 Troisièmement, au considérant 655 de la décision attaquée, la Commission expose que, dans un courriel datant du 6 février 2006, MSH a répondu comme suit à la question d’un partenaire commercial qui lui demandait s’il était vrai que MSH n’achetait pas de produits équipés de CPU AMD :

« 1. Oui, il est correct que nous n’achetons pas de produits équipés de [CPU] AMD. 2. parce que nous avons un accord avec Intel. »

1520 Ces éléments de preuve démontrent de manière univoque que les paiements d’exclusivité octroyés en vertu des accords de contribution ont eu un impact sur le choix de MSH de vendre exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel. La requérante ne se prononce pas sur ces éléments.

1521 Il s’ensuit que la Commission a inféré de preuves précises et concordantes que les paiements d’exclusivité octroyés en vertu des accords de contribution ont eu un impact sur le choix commercial de MSH de vendre exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel. Dans ces circonstances, il y a lieu de relever que les pratiques de la requérante vis-à-vis de MSH avaient la capacité de restreindre la concurrence.

e)     Conclusion

1522 Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter la totalité des griefs invoqués par la requérante relatifs aux paiements octroyés en vertu des accords de contribution.

E –  Sur la preuve d’une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants

1523 Selon la décision attaquée, la requérante a mis en œuvre une stratégie d’ensemble à long terme visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants d’un point de vue stratégique. Dans ladite décision, la Commission a motivé l’existence de cette stratégie en s’appuyant, en substance, sur les indices suivants :

–        les pratiques mises en cause dans la décision attaquée auraient eu lieu pendant une période de temps cohérente entre 2002 et 2007 (voir considérants 1740 et 1745) ;

–        elles se seraient situées dans le contexte d’une menace concurrentielle croissante de la part d’AMD (voir considérants 1741 et 149 à 164) ;

–        elles auraient revêtu un trait commun étant donné qu’elles avaient toutes pour but ou pour effet d’évincer AMD du marché (voir considérant 1745) ;

–        elles auraient concerné non seulement un nombre significatif d’OEM dans le monde, mais également les canaux de distribution les plus importants d’un point de vue stratégique (voir considérants 1745 et 1747) ;

–        elles seraient mutuellement complémentaires (voir considérant 1747) ;

–        deux courriels datant de novembre 1998 et envoyés respectivement par le [confidentiel] de la requérante et par son [confidentiel] [voir considérant 1747 avec la note en bas de page n° 2065 (n° 2056 dans la version publique)] ;

–        la requérante se serait efforcée de dissimuler la nature anticoncurrentielle de ses pratiques (voir considérants 1742 et 1743).

1524 La requérante conteste l’existence d’une stratégie d’ensemble. Une telle conclusion serait erronée puisqu’elle ne serait pas conciliable avec la nature fragmentée des allégations de la Commission à l’égard de chacune des OEM et de MSH, en ce qui concerne tant les produits concernés que la période en cause. La position de la Commission serait incompatible avec les observations du professeur P3, qui aurait réfuté l’existence d’une stratégie en faisant référence à des « contre-indicateurs », et notamment à l’augmentation des achats auprès d’AMD par les OEM concernés. La Commission ne fournirait aucune preuve de l’existence d’un plan cohérent persistant. Les courriels de 1998 ne fourniraient aucune preuve de l’existence d’un plan cohérent destiné à évincer AMD. Enfin, la requérante conteste avoir dissimulé le caractère anticoncurrentiel de ses pratiques.

1525 À titre liminaire, il convient d’observer que la preuve de l’existence d’une stratégie d’ensemble ne nécessite pas forcément un élément de preuve direct démontrant l’existence d’un plan cohérent anticoncurrentiel. La Commission peut plutôt démontrer l’existence d’un tel plan également par un faisceau d’indices.

1526 S’agissant, ensuite, des indices sur lesquels la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée, il convient de relever ce qui suit.

1527 Premièrement, pour autant que la requérante invoque une prétendue nature fragmentée des pratiques mises en cause, il y a lieu de constater que les indices sur lesquels la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée établissent la cohérence de ces pratiques à suffisance de droit.

1528 En premier lieu, la Commission s’est à bon droit appuyée sur le fait que les infractions ont été cohérentes dans le temps. La décision attaquée souligne à cet égard que les pratiques mises en cause se sont concentrées entre 2002 et 2005 et que, lors de la période située entre septembre 2003 et janvier 2004, six abus individuels ont eu lieu, à savoir des rabais ou des paiements conditionnels vis-à-vis de Dell, de HP, de NEC et de MSH et des restrictions non déguisées vis-à-vis de HP et d’Acer. S’il est vrai que, pour une partie de l’année 2006, la décision attaquée ne constate qu’une seule pratique illégale vis-à-vis de MSH et pour le reste de l’année 2006 ainsi que pour l’année 2007 seulement des pratiques illégales vis-à-vis de MSH et de Lenovo, cet affaiblissement de l’intensité globale du comportement anticoncurrentiel de la requérante vers la fin de la période totale incriminée ne remet pas en cause la circonstance selon laquelle il existe une continuité temporelle entre les pratiques respectives. Il s’ensuit que l’argument de la requérante selon lequel ces pratiques revêtaient un caractère fragmenté en ce qui concerne la période en cause doit être écarté.

1529 En second lieu, la Commission s’est, à juste titre, appuyée sur le caractère comparable et la complémentarité des pratiques mises en cause dans la décision attaquée. En revanche, l’argument de la requérante selon lequel la nature fragmentée des infractions découle des différences entre les produits concernés ne saurait convaincre.

1530 D’une part, l’ensemble des pratiques mises en cause dans la décision attaquée revêt un trait commun, étant donné qu’elles avaient toutes la capacité d’évincer AMD du marché mondial des CPU x86. Ainsi, ces pratiques étaient liées entre elles, étant donné qu’elles concernaient toutes le même marché et le même concurrent de la requérante.

1531 Certes, la requérante fait valoir que ses pratiques vis-à-vis de MSH se distinguent de ses pratiques vis-à-vis des OEM, dès lors qu’elles concernent un distributeur de produits électroniques qui n’achète aucun CPU directement à Intel et ne reçoit pas de véritable rabais d’Intel, mais seulement des contributions de marketing. En outre, elle reproche à la Commission de ne pas avoir défini de marché de produit ni de marché géographique pertinent concernant les allégations visant MSH.

1532 Toutefois, force est de constater que ces arguments ne sauraient priver les pratiques de la requérante mises en cause dans la décision attaquée de leur caractère comparable et de leur complémentarité.

1533 À cet égard, il y a lieu de rappeler que les pratiques de la requérante vis-à-vis des OEM et de MSH sont, en principe, comparables, la seule différence étant que le paiement d’exclusivité accordé à MSH ne tend pas à empêcher l’approvisionnement d’un client direct de la requérante auprès d’un concurrent, mais la vente de produits concurrents par un distributeur situé plus en aval de la chaîne d’approvisionnement. Il convient d’observer que la Commission n’était pas tenue de définir un marché de produit propre ou un marché géographique propre en ce qui concerne MSH. En effet, les pratiques de la requérante vis-à-vis de MSH ont eu la capacité de restreindre la concurrence sur le marché mondial des CPU x86. En privant les OEM d’un canal de distribution pour les ordinateurs équipés de CPU AMD, ces pratiques étaient susceptibles d’avoir des répercussions sur la demande des OEM en CPU AMD sur le marché mondial des CPU x86. Ainsi, elles tendaient à rendre plus difficile l’accès d’AMD à ce marché (voir point 169 ci-dessus). Ce marché constitue donc au moins un des marchés concernés par le comportement de la requérante vis-à-vis de MSH. Le fait que la pratique de la requérante vis-à-vis de MSH puisse avoir concerné également le marché sur lequel agissait MSH ne remet pas en cause cette conclusion. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de la délimitation correcte du marché sur lequel agissait MSH.

1534 D’autre part, les mécanismes anticoncurrentiels des pratiques mises en cause dans la décision attaquée sont complémentaires. S’agissant, primo, de la complémentarité entre, d’un côté, les rabais et les paiements d’exclusivité et, d’un autre côté, les restrictions non déguisées, la Commission expose, à juste titre, au considérant 1642 de la décision attaquée, que l’envergure des restrictions non déguisées est plus spécifique que celle des rabais et des paiements d’exclusivité. En effet, les restrictions non déguisées sont d’une durée plus courte et sont concentrées sur un produit ou ligne de produits spécifiques ou sur des canaux de distribution spécifiques, tandis que les accords d’exclusivité sont d’une durée plus longue et couvrent au moins des segments commerciaux entiers. Ainsi, dans le cadre de la stratégie d’ensemble, les restrictions non déguisées constituent des agissements tactiques visant à barrer l’accès d’AMD à des produits ou à des canaux de distribution spécifiques bien identifiés, tandis que les rabais et les paiements d’exclusivité constituent des instruments plus stratégiques visant à barrer l’accès d’AMD à de segments entiers de la demande des OEM.

1535 S’agissant, secundo, de la complémentarité entre, d’un côté, les rabais d’exclusivité accordés aux OEM et, d’un autre côté, les paiements d’exclusivité vis-à-vis de MSH, la Commission a constaté, à juste titre, au considérant 1597 de la décision attaquée, que ces pratiques ont été appliquées à deux niveaux différents de la chaîne d’approvisionnement. À supposer même, comme l’avance la requérante, que MSH n’ait acheté qu’une faible partie de ses ordinateurs auprès des OEM auxquels la requérante octroyait des rabais d’exclusivité, cette circonstance ne remettrait pas en cause la complémentarité entre, d’un côté, les rabais d’exclusivité accordés aux OEM et, d’un autre côté, les paiements d’exclusivité accordés à MSH. En effet, en incitant MSH à vendre exclusivement des ordinateurs équipés de CPU Intel, la requérante a mis en œuvre un instrument anticoncurrentiel additionnel qui a été susceptible de restreindre également la liberté commerciale des OEM auxquels elle n’octroyait pas de rabais d’exclusivité, en les privant d’un canal de distribution pour leurs ordinateurs équipés de CPU AMD. Ainsi, la requérante a créé une barrière supplémentaire pour l’accès au marché d’AMD qui était complémentaire à celle érigée par les rabais d’exclusivité.

1536 Deuxièmement, la requérante invoque, d’une part, le fait que les infractions n’ont couvert qu’une part de marché limitée comme contre-indicateur du caractère stratégique de son comportement. Lors de l’audience, elle a souligné à cet égard que, pour une partie de l’année 2006, la décision attaquée ne constate qu’une seule pratique illégale vis-à-vis de MSH et, pour le reste de l’année 2006 ainsi que pour l’année 2007, l’existence des pratiques illégales seulement vis-à-vis de MSH et de Lenovo (voir point 1528 ci-dessus). Elle a ajouté que ladite décision ne constate pas que Lenovo avait une importance stratégique comparable à celle de Dell et de HP. Les ventes d’ordinateurs portables dans l’Union potentiellement affectées par ses pratiques vis-à-vis de Lenovo seraient négligeables. Tel serait également le cas des ventes d’ordinateurs potentiellement affectées par ses pratiques vis-à-vis de MSH si l’on considérait ces ventes par rapport aux ventes mondiales. D’autre part, la requérante invoque le fait que les OEM concernés ont augmenté leurs achats auprès d’AMD lors de la période incriminée et que cette augmentation était supérieure à la croissance des ventes d’AMD sur le reste du marché comme un autre contre-indicateur du caractère stratégique de son comportement.

1537 Toutefois, d’une part, dans la mesure où la requérante fait valoir que les infractions n’ont couvert qu’une part de marché limitée, il est à noter qu’une pratique peut être considérée comme stratégique même si elle ne couvre qu’une part limitée du marché. En effet, dans le cas d’espèce, le caractère stratégique du comportement de la requérante découle du fait qu’elle s’est efforcée de barrer l’accès d’AMD aux canaux de distribution les plus importants, à savoir Dell pour la période située entre décembre 2002 et décembre 2005 et HP pour la période située entre novembre 2002 et mai 2005 (voir point 182 ci-dessus). Au demeurant, s’agissant des années 2006 et 2007, force est de constater que la cohérence entre les infractions individuelles constituant la stratégie d’ensemble n’est pas interrompue par la circonstance selon laquelle les infractions concernant Lenovo et MSH revêtaient une moindre importance par rapport aux infractions concernant Dell et HP. Cette conclusion vaut d’autant plus que MSH revêtait une importance stratégique particulière en ce qui concerne la distribution des ordinateurs équipés de CPU x86 destinés aux consommateurs en Europe (voir points 183 et 1507 à 1511 ci-dessus). En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que la moyenne de la partie verrouillée du marché a été significative (voir points 187 à 194 ci-dessus).

1538 D’autre part, pour autant que la requérante invoque l’augmentation des achats des OEM auprès d’AMD lors de la période incriminée, force est de constater que cette circonstance ne saurait même pas démontrer que les pratiques de la requérante ont été dénuées d’effet. En l’absence des pratiques de la requérante, il est permis de considérer que l’augmentation des achats des OEM auprès d’AMD aurait pu être plus importante (voir point 186 ci-dessus).

1539 Troisièmement, contrairement à ce qu’allègue la requérante, les deux courriels de novembre 1998 donnent également des indices concernant la manière stratégique dont la requérante a mis en œuvre ses pratiques. Le 27 novembre 1998, le [confidentiel] d’Intel a écrit ce qui suit : « [I]l ne fait vraiment aucun doute qu’à long terme, je voudrais voir la production d’AMD se répandre dans le monde comme des produits sans marque de faible coût/faible valeur. Les ruelles de Pékin sont merveilleuses. » De même, le 20 novembre 1998, le [confidentiel] d’Intel a écrit : « Tout en reconnaissant que nous avons à faire face à une concurrence, je pense qu’il vaudrait mieux qu’ils vendent leurs produits avec une pénétration limitée dans le monde plutôt qu’avec une forte pénétration sur le marché le plus visible et le plus créateur de tendances. » S’il est vrai que, en soi, de telles déclarations pourraient être considérées comme du langage commercial certes agressif, mais non suspect, il reste que, au vu des autres éléments de preuve susmentionnés, les deux courriels confirment que le but d’Intel était de limiter l’accès d’AMD au marché. En outre, contrairement à ce que prétend la requérante, le seul fait que les deux courriels datent de 1998 et donc d’environ quatre ans avant la période mise en cause dans la décision attaquée ne les prive pas de toute valeur probante.

1540 Quatrièmement, pour autant que la requérante conteste avoir dissimulé la nature anticoncurrentielle de ses pratiques, il y a lieu d’observer que la Commission mentionne à cet égard, aux considérants 1742 et 1743 de la décision attaquée, les indices suivants :

–        un courriel de M. I2, [confidentiel] d’Intel, au [confidentiel] de Lenovo datant du 18 juin 2006, dans lequel il précisait ce qui suit : « [M. L1] [confidentiel], avant tout, je me permets de souligner que les informations contenues dans le présent message sont très sensibles et qu’il serait gênant, tant pour moi que pour Intel, qu’elles soient divulguées. Je vous écris en toute confiance en vous demandant de les lire, puis de les effacer sans en faire part à votre équipe. […] tout programme d’alignement sur la concurrence que nous avons pu avoir avec Dell sera annulé puisqu’ils introduisent la concurrence – cela ouvre des perspectives d’opportunités pour Lenovo/Intel que j’ai uniquement esquissées par le passé […] » ;

–        la nature secrète de l’accord d’exclusivité entre la requérante et MSH et la manière dont la requérante a insisté sur ce point ;

–        l’existence d’accords de rabais contenant des clauses non écrites anticoncurrentielles en ce qui concerne HP ;

–        l’effort de la requérante pour présenter son comportement d’une manière non suspecte en employant des euphémismes.

1541 En ce qui concerne, en premier lieu, le courriel du 18 juin 2006, la requérante explique que ce courriel reflète seulement les efforts de négociation déployés par son [confidentiel] afin de persuader Lenovo de développer ses activités auprès d’elle. De toute évidence, il aurait été gênant pour la requérante qu’un tiers, en particulier Dell, apprenne que la requérante exploitait la décision de Dell de se tourner vers un concurrent, dans le cadre de ses négociations avec un autre OEM. Cet argument ne saurait convaincre. En effet, au vu de la déclaration selon laquelle tout programme d’alignement sur la concurrence serait annulé puisque Dell introduisait la concurrence, le courriel contient un indice attestant du fait que les rabais accordés par la requérante à Dell étaient assortis d’une condition d’exclusivité (voir points 460, 463 et 1124 ci-dessus). De plus, la déclaration de M. I2 selon laquelle la rupture, par Dell, de cette condition « ouvre des perspectives d’opportunités pour Lenovo/Intel […] uniquement esquissées par le passé » impliquait que, à la suite de la réduction des rabais octroyés à Dell, la requérante allait offrir le statut préférentiel détenu antérieurement par Dell à Lenovo (voir considérant 526 de la décision attaquée). Par conséquent, la demande de M. I2 au [confidentiel] de Lenovo d’effacer le courriel constitue un indice de ce qu’il cherchait à dissimuler le caractère anticoncurrentiel des relations de la requérante avec Dell et Lenovo.

1542 S’agissant, en deuxième lieu, de la nature secrète de l’accord d’exclusivité conclu avec MSH, il a été démontré plus en détail aux points 1490 à 1492 ci-dessus qu’une clause d’absence d’exclusivité a été insérée dans les accords d’exclusivité, de sorte que les accords de contribution stipulaient l’inverse de ce qui avait été réellement convenu.

1543 En ce qui concerne, en troisième lieu, l’emploi de clauses non écrites anticoncurrentielles vis-à-vis de HP, la requérante se limite à faire valoir que HP n’était pas contractuellement tenue par des obligations d’exclusivité ou d’autres conditions non écrites. Or, les conditions non écrites des accords HPA ne devaient pas être juridiquement contraignantes pour être susceptible d’inciter HP à les respecter (voir point 106 ci-dessus). Étant donné que la décision attaquée a constaté, à bon droit, que les rabais accordés en vertu des accords HPA étaient soumis à plusieurs conditions anticoncurrentielles non écrites (voir points 666 à 873 ci-dessus), le caractère non écrit des clauses constitue également un indice témoignant de la manière dont la requérante a essayé de dissimuler ses pratiques anticoncurrentielles.

1544 S’agissant, en quatrième lieu, de l’utilisation d’euphémismes par la requérante, il convient de relever, dans un premier temps, que la Commission a conclu, au considérant 661 de la décision attaquée, que la requérante a employé l’acronyme « VOC », qui signifie « fournisseur privilégié » (vendor of choice), dans une série de documents comme un euphémisme pour décrire que MSH était liée à elle à travers une condition d’exclusivité. La Commission précise, au considérant 662 de la décision attaquée, qu’il existait également un document intitulé « Carte de référence pour la création du matériel de vente et de marketing » (Sales and Marketing Creation Reference Card), élaboré par le service juridique de la requérante. Dans ce document, sous le titre « Langage délicat », l’expression « fournisseur privilégié » a été suggérée pour remplacer des mots impliquant un comportement potentiellement inapproprié pour les relations d’exclusivité comme suit :

« Évitez TOUT langage militariste, agressif PARTOUT (y inclus les courriels internes, mémos…) p. ex. établir des barrières…exclure de la concurrence…Guerre…Bataille…Lien...Levier…dominer…Haut en Bas…Écrasement…balayer la concurrence…être un tueur…grouper…faire du sur place en technologie Utilisez à la place : être en tête…définir les spécifications…accroître le segment de marché…être le fournisseur privilégié…s’appuyer sur…apporter de la valeur. »

1545 Dans un second temps, le considérant 1743 de la décision attaquée mentionne une série de courriels du 30 avril 2004. Selon ladite décision, un cadre d’Intel Allemagne faisait référence à des tentatives qui avaient été faites par Intel pour « empêcher avec succès une plus grande implémentation d’Opteron chez nos principaux clients ». Un cadre d’Intel France a répondu à ce courriel comme suit : « Je vous prie d’être très prudent lorsque vous utilisez des expressions telles que ‘empêcher une plus grande implémentation d’Opteron’ qui pourraient être interprétées à tort comme des formulations anticoncurrentielles. – Je pense que vous voulez parler de ‘gagner avec IA par rapport à Opteron’. – Si vous voyez que d’autres personnes utilisent des expressions similaires, veuillez leur rappeler les enquêtes en cours de l’UE_FTC, les inspections surprises, etc. » La décision attaquée précise que cette communication est antérieure aux inspections menées par la Commission.

1546 La requérante admet ne jamais avoir nié le fait que l’expression « fournisseur privilégié » pourrait traduire l’idée qu’un client s’approvisionne uniquement ou de manière prédominante auprès d’elle. Or, selon elle, aucune partie de la « carte de référence pour la création du matériel de vente et de marketing » ne vient étayer l’interprétation de la Commission impliquant une quelconque forme d’engagement contraignant. Il s’agirait d’un document visant simplement à sensibiliser ses commerciaux afin d’éviter tout langage susceptible d’être mal interprété par les autorités de la concurrence. En ce qui concerne le courriel du 30 avril 2004, la requérante souligne que celui-ci visait également simplement à mettre en garde contre l’utilisation de formulations qui « pourraient être interprétées à tort comme des formulations anticoncurrentielles », ce qui constituerait un effort légitime.

1547 Toutefois, il convient de faire une distinction entre une situation dans laquelle une entreprise fait attention à ce que son comportement légal ne soit pas mal compris par une autorité de la concurrence et une situation dans laquelle une entreprise veille à ce que ses pratiques anticoncurrentielles ne soient pas détectées. Il est vrai que, pour une entreprise, il est en principe légitime de mettre en garde ses employés contre l’emploi de formulations susceptibles d’être mal interprétées par une autorité de la concurrence. Il n’en reste pas moins que cette circonstance constitue un indice de ce qu’une entreprise a dissimulé le caractère anticoncurrentiel de ses pratiques lorsque leur existence a été établie moyennant d’autres éléments de preuve.

1548 Enfin, la requérante avance que la Commission n’a fait des allégations spécifiques en matière de dissimulation que vis-à-vis de MSH, de HP et de Lenovo. À cet égard, il convient de rappeler que les considérants 1742 et 1743 de la décision attaquée concernent la preuve de la stratégie d’ensemble et que les éléments de preuve exposés au point 1539 ci-dessus y sont cités en tant qu’indices. Il y a lieu de constater que ces éléments de preuve démontrent à suffisance de droit que la requérante s’est efforcée de dissimuler le caractère anticoncurrentiel de son comportement, du moins en ce qui concerne ses relations avec Dell, HP, Lenovo et MSH. Pour établir que la requérante a mis en œuvre une stratégie d’ensemble visant à évincer AMD du marché, la Commission n’était pas tenue de démontrer, dans la décision attaquée, un effort de dissimulation par rapport à chaque pratique mise en œuvre, mais pouvait se limiter à une énumération d’éléments de preuve concernant ces quatre entreprises.

1549 Par ailleurs, les éléments de preuve énoncés dans la décision attaquée aux considérants 1742 et 1743 en tant qu’indices sont confirmés par la constatation générale faite au considérant 167 de ladite décision selon laquelle toutes les pratiques d’Intel revêtaient un trait commun en ce sens que de nombreux accords entre Intel et ses clients, parfois à hauteur de centaines de millions, voire de milliards de USD, étaient passés sur la base d’accords amiables ou contenaient d’importantes clauses non écrites. Le reproche d’avoir eu recours à des clauses anticoncurrentielles non écrites n’est donc pas uniquement dirigé contre le comportement de la requérante vis-à-vis de Dell, de HP, de Lenovo et de MSH, mais s’étend au comportement de la requérante vis-à-vis de tous les OEM et de MSH.

1550 Certes, la requérante soutient que, dans le cadre du marché des CPU, qui est caractérisé par l’introduction rapide de nouveaux produits et de baisses des prix significatives pour les produits existants, des accords informels sont une conséquence du rythme du secteur et des demandes des OEM eux-mêmes. Toutefois, force est de constater que, bien qu’il reste loisible aux entreprises de conclure de manière informelle des accords qui sont conformes aux règles de concurrence, le recours à des conditions anticoncurrentielles informelles peut constituer un indice de l’effort de leur dissimulation. En l’espèce, un tel indice ne découle pas seulement du caractère informel des accords conclus entre la requérante et les OEM ou MSH en soi, mais, au moins en ce qui concerne HP et Lenovo, de l’emploi de clauses non écrites anticoncurrentielles en dehors des contrats écrits, voire, en ce qui concerne MSH, de l’utilisation de clauses écrites qui indiquaient l’inverse de ce qui était réellement convenu.

1551 Sur la base des considérations énoncées aux points 1540 à 1550 ci-dessus, il est permis de conclure que la Commission a démontré à suffisance de droit que la requérante a essayé de dissimuler la nature anticoncurrentielle de ses pratiques. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de se prononcer également sur la recevabilité ou le bien-fondé des autres arguments de la Commission concernant la question de savoir s’il existe d’autres éléments qui renforcent les éléments de preuve susmentionnés ou démontrent de manière plus concrète que la requérante a également dévoilé ses pratiques anticoncurrentielles concernant Acer et NEC.

1552 Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, force est donc de constater que la Commission a prouvé à suffisance de droit que la requérante a mis en œuvre une stratégie d’ensemble à long terme visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants d’un point de vue stratégique.

III –  Sur les conclusions tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende

1553 Selon l’article 2 du dispositif de la décision attaquée, une amende de 1,06 milliard d’euros a été infligée à la requérante.

1554 En application du paragraphe 19 des lignes directrices de 2006, la Commission a déterminé que le montant de base de l’amende serait lié à une proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction (voir considérant 1778 de la décision attaquée).

1555 La Commission a fixé à 3 876 827 021 euros la valeur des ventes à prendre en considération, ce qui représente la valeur des ventes de CPU x86 facturées par Intel à des entreprises établies sur le marché de l’EEE lors de la dernière année de l’infraction (voir considérants 1773 à 1777 de la décision attaquée).

1556 S’agissant de la gravité de l’infraction, la Commission a notamment pris en compte la nature de l’infraction, la part de marché des parties concernées et l’étendue géographique de l’infraction. La Commission a également pris en compte le fait qu’Intel a commis une infraction unique ; que l’intensité de cette infraction unique a différé au cours des années et que la plupart des abus individuels en cause se sont concentrés au cours de la période allant de 2002 à 2005 ; que les abus ont différé quant à leur probable incidence anticoncurrentielle respective ; et qu’Intel a pris des mesures afin de dissimuler les pratiques établies dans la décision attaquée. Par conséquent, la Commission a fixé cette proportion à 5 % (voir considérants 1779 à 1786 de ladite décision).

1557 En ce qui concerne la durée de l’infraction, la Commission a constaté que l’abus avait débuté en octobre 2002 et avait continué au moins jusqu’en décembre 2007. Il aurait donc duré cinq ans et trois mois, ce qui entraînerait, conformément au paragraphe 24 des lignes directrices de 2006, un facteur de multiplication de 5,5 afin de prendre en compte cette durée (voir considérants 1787 et 1788 de la décision attaquée).

1558 Eu égard à ce qui précède, la Commission a estimé que le montant de base de l’amende à infliger à Intel devait s’élever à 1 060 000 000 euros (voir considérant 1789 de la décision attaquée). Elle n’a pas retenu de circonstances atténuantes ou aggravantes (voir considérants 1790 à 1801 de ladite décision).

1559 La requérante, soutenue par l’ACT, fait valoir que, à la lumière du pouvoir de pleine juridiction du Tribunal, conformément à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement n° 1/2003, l’amende doit être annulée ou réduite substantiellement pour les motifs suivants. Premièrement, la Commission n’aurait pas appliqué correctement ses lignes directrices de 2006 et aurait tenu compte de considérations dépourvues de toute pertinence. Deuxièmement, la requérante n’aurait pas violé l’article 82 CE intentionnellement ou par négligence. Troisièmement, le niveau de l’amende serait manifestement disproportionné.

A –  Sur l’application prétendument incorrecte des lignes directrices de 2006 et la prétendue prise en compte de considérations dépourvues de toute pertinence

1560 La requérante fait valoir que le calcul du montant de base est entaché d’une série d’erreurs. Premièrement, la Commission n’aurait pas apprécié correctement les produits ou les services auxquels l’infraction se rapportait entre janvier et septembre 2006. La Commission aurait, en outre, gonflé le montant de l’amende en utilisant le montant des ventes d’Intel dans tous les États membres de l’EEE en décembre 2007 tandis que douze États membres ont rejoint l’EEE au cours de la période infractionnelle. Deuxièmement, la Commission aurait retenu, à tort, la dissimulation comme facteur aux fins de la détermination de la gravité de l’infraction. Troisièmement, la Commission aurait utilisé de manière erronée sa conclusion concernant l’existence d’une infraction unique comme facteur aggravant pour toute la période visée. Quatrièmement, la décision attaquée serait erronée pour autant que la Commission aurait appliqué un facteur multiplicateur de 5,5 pour la durée à chaque infraction. Cinquièmement, la Commission aurait appliqué ses lignes directrices de manière rétroactive.

1561 À titre liminaire, force est de constater que, aux considérants 1747 et 1748 de la décision attaquée, la Commission a, à juste titre, inféré l’existence d’une infraction unique et continue à l’article 82 CE, s’étendant d’octobre 2002 à décembre 2007 et visant à évincer des concurrents du marché, de la preuve de l’existence d’une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants d’un point de vue stratégique (voir points 1523 à 1552 ci-dessus).

1562 En effet, il ressort de la jurisprudence que la notion d’infraction unique et continue a trait à un ensemble d’actions qui s’inscrivent dans un plan d’ensemble, en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Aux fins de qualifier différents agissements d’infraction unique et continue, il y a lieu de vérifier s’ils présentent un lien de complémentarité, en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par le biais d’une interaction, à la réalisation des objectifs visés dans le cadre de ce plan global. À cet égard, il y a lieu de tenir compte de toute circonstance susceptible d’établir ou de remettre en cause ledit lien, telle que la période d’application, le contenu (y compris les méthodes employées) et, corrélativement, l’objectif des divers agissements en question (arrêt AstraZeneca, point 64 supra, point 892).

1563 Il y a lieu d’observer que les constatations de la décision attaquée relatives à l’existence d’une stratégie d’ensemble remplissent ces exigences. Par conséquent, la Commission pouvait inférer de ces constatations que la requérante a commis une infraction unique et continue. À cet égard, il convient de rappeler notamment la cohérence dans le temps des infractions mises en cause dans la décision attaquée ainsi que leur comparabilité et leur complémentarité. Les pratiques individuelles reprochées à la requérante poursuivaient un objectif identique dès lors qu’elles visaient toutes à évincer AMD du marché mondial des CPU x86. À cet égard, elles étaient complémentaires dans la mesure où elles ont été appliquées à deux niveaux différents de la chaîne d’approvisionnement et où les restrictions non déguisées constituaient des agissements tactiques visant à barrer l’accès d’AMD à des produits ou à des canaux de distribution spécifiques bien identifiés, tandis que les rabais et les paiements d’exclusivité constituaient des instruments plus stratégiques visant à barrer l’accès d’AMD à des segments entiers de la demande des OEM. En outre, il y a lieu de rappeler, en particulier, que la cohérence entre les pratiques individuelles n’est pas interrompue par la circonstance selon laquelle les infractions concernant Lenovo et MSH revêtaient une moindre importance par rapport aux infractions concernant Dell et HP (voir points 1525 à 1537 ci-dessus).

1564 Selon la jurisprudence, la Commission était donc en droit d’imposer une amende unique. À cet égard, elle ne devait pas individualiser dans les motifs de la décision attaquée la manière dont elle a pris en compte chacun des éléments abusifs reprochés aux fins de la fixation de l’amende (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II‑755, point 236, et Michelin II, point 75 supra, point 265).

1565 C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient de vérifier les arguments de la requérante relatifs à la prétendue application erronée des lignes directrices de 2006.

1.     Sur l’argument tiré d’une appréciation erronée des produits auxquels l’infraction se rapporte entre janvier et septembre 2006 ainsi que de ce que la Commission aurait ignoré que douze États membres n’ont fait partie de l’EEE que pendant une partie seulement de la période infractionnelle

1566 D’une part, la requérante soutient que l’amende est illégale, puisque le chiffre de 5 % par an aurait été appliqué à un montant de chiffre d’affaires trop élevé entre janvier et septembre 2006. La Commission n’aurait pas défini de marché de produit ni de marché géographique pertinent concernant les allégations visant MSH. Étant donné que l’abus allégué vis-à-vis de MSH serait la seule infraction susceptible d’être liée au territoire de l’EEE de janvier 2006 à septembre 2006 au moins, la Commission aurait commis une erreur en appliquant le chiffre d’affaires portant sur l’ensemble du marché des CPU x86 au sein de l’EEE dans le cadre d’une allégation sans rapport avec ce marché. La Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en ne prenant pas en compte la portée géographique limitée de l’infraction alléguée au cours de cette période dans le calcul du montant de l’amende. MSH n’aurait pas été active dans beaucoup d’États membres au sein de l’EEE et la portée des marchés de détail serait en général confinée au plan national.

1567 D’autre part, la requérante reproche à la Commission d’avoir gonflé le montant de l’amende en concluant, au considérant 1784 de la décision attaquée, que « la totalité de l’EEE était couverte par le comportement illégal » et en utilisant le montant des ventes d’Intel dans tous les États membres de l’EEE en décembre 2007, c’est-à-dire quand la période infractionnelle a pris fin. Cependant, douze États membres auraient rejoint l’EEE au cours de la période infractionnelle et n’auraient pas antérieurement été soumis à l’autorité de la Commission. Si la décision avait infligé une amende séparée pour chaque infraction, elle aurait dû exclure la valeur des ventes d’Intel dans ces États ou appliquer un multiplicateur inférieur.

1568 Ces arguments ne sauraient convaincre.

1569 D’une part, conformément au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, en vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou de services, réalisés par l’entreprise, en relation directe ou indirecte avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE. Cette formulation vise les ventes réalisées sur le marché pertinent (arrêt du Tribunal du 16 juin 2011, Putters International/Commission, T‑211/08, Rec. p. II‑3729, point 59). Selon ce même paragraphe, la Commission utilisera normalement les ventes de l’entreprise durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction.

1570 D’autre part, il découle du paragraphe 22 des lignes directrices de 2006 que l’étendue géographique de l’infraction est un des éléments susceptibles d’être pris en considération afin de déterminer la gravité de l’infraction et donc de décider si la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération doit être au bas ou au haut de l’échelle de 30 % prévue au paragraphe 21 des lignes directrices de 2006.

1571 S’il est donc vrai que tant le paragraphe 13 que le paragraphe 21 des lignes directrices de 2006 font référence à l’étendue géographique d’une infraction, force est toutefois de constater que, dans le cas d’espèce, la Commission n’a violé ni le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 ni le paragraphe 21 desdites lignes en s’abstenant de prendre en considération tant l’étendue géographique du marché sur lequel agissait MSH que le fait que douze États membres n’ont fait partie de l’EEE que lors d’une partie de la période infractionnelle, ainsi qu’il sera expliqué par la suite.

a)     Sur l’existence d’une violation du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006

1572 Il découle des considérants 792 à 836 de la décision attaquée que la Commission a conclu que le marché pertinent était le marché mondial des CPU x86. Selon le considérant 1773 de ladite décision, le montant de 3 876 827 021 euros, sur lequel la Commission s’est appuyée comme valeur des ventes à prendre en considération, représente la valeur des ventes de CPU x86 facturées par Intel à des entreprises établies dans l’EEE lors de la dernière année de l’infraction. Cette valeur ne tient compte ni de l’étendue géographique prétendument plus étroite du marché sur lequel agissait MSH ni du fait que douze États membres n’ont fait partie de l’EEE que lors d’une partie de la période infractionnelle.

1573 Toutefois, force est de constater qu’en s’abstenant de prendre en considération tant l’étendue géographique du marché sur lequel agissait MSH que l’élargissement de l’Union lors de la période d’infraction la Commission n’a pas appliqué de manière incorrecte le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006.

1574 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cas d’espèce, la Commission était en droit d’imposer une amende unique et qu’elle n’était pas tenue d’individualiser la manière dont elle a pris en compte chacun des éléments abusifs reprochés aux fins de la fixation de l’amende (voir point 1564 ci-dessus).

1575 D’une part, il convient de constater que, conformément au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, l’année normalement pertinente pour déterminer la valeur des ventes est la dernière année complète de la participation à l’infraction, à savoir, en l’espèce, l’année 2007. La requérante n’affirme pas que la Commission aurait dû s’écarter de cette règle et choisir une autre année comme année de référence. Or, pour l’intégralité de l’année 2007, la Commission a établi l’existence d’un abus non seulement en ce qui concerne MSH, mais également en ce qui concerne Lenovo. S’agissant du comportement de la requérante vis-à-vis de cette dernière entreprise en 2007, la requérante ne conteste pas que le marché pertinent était le marché mondial des CPU x86. Étant donné qu’au moins une des pratiques abusives commises par la requérante en 2007 concernait donc le marché mondial des CPU x86, la Commission n’a pas appliqué ses lignes directrices de manière incorrecte pour autant qu’elle a fixé la valeur des ventes en faisant référence seulement au marché des CPU x86 et non au marché prétendument plus limité de distribution des ordinateurs aux consommateurs sur lequel agissait MSH.

1576 En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que la Commission n’était pas tenue de définir un marché de produit propre ou un marché géographique propre en ce qui concerne MSH et que les pratiques de la requérante vis-à-vis de MSH avaient la capacité de restreindre la concurrence sur le marché mondial des CPU x86 (voir point 1533 ci-dessus). Étant donné que la Commission n’était pas tenue de définir un marché géographique propre en ce qui concerne MSH, la Commission n’était pas non plus tenue de tenir compte de la portée géographique limitée d’un tel marché hypothétique lors de la fixation de la valeur des ventes, conformément au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006.

1577 D’autre part, force est de constater que les douze États membres qui ont rejoint l’EEE au cours de la période infractionnelle ont fait partie de l’EEE pendant l’intégralité de l’année 2007. Étant donné que, conformément au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, l’année pertinente pour la détermination de la valeur des ventes est, dans le cas d’espèce, l’année 2007, la Commission n’était pas tenue de prendre en considération, lors de la fixation du montant de la valeur des ventes, le fait que ces États membres n’ont fait partie de l’EEE que lors d’une partie de la période infractionnelle.

b)     Sur l’existence d’une violation du paragraphe 21 des lignes directrices de 2006

1578 Il y a lieu de relever que, s’agissant de la gravité de l’infraction, la Commission a constaté, au considérant 1784 de la décision attaquée, que la stratégie de la requérante visant à exclure AMD avait une étendue mondiale. Dans le contexte de l’appréciation de la gravité de l’infraction, cette circonstance impliquerait que l’intégralité de l’EEE a été couverte par l’infraction.

1579 Force est de constater que, en s’abstenant ainsi de prendre en considération l’étendue géographique du marché sur lequel agissait MSH, la Commission n’a pas appliqué de manière incorrecte le paragraphe 21 de ses lignes directrices de 2006.

1580 En effet, il convient de constater que le seul fait que, pour une partie de l’année 2006, la décision attaquée ne constate qu’une seule pratique illégale vis-à-vis de MSH ne saurait remettre en cause la conclusion selon laquelle la stratégie de la requérante visant à exclure AMD avait une étendue géographique mondiale. En effet, il y a lieu de rappeler que la Commission n’était pas tenue de définir un marché de produit propre ou un marché géographique propre en ce qui concerne MSH et que les pratiques de la requérante vis-à-vis de MSH avaient la capacité de restreindre la concurrence sur le marché mondial des CPU x86 (voir point 1533 ci-dessus). Par ailleurs, dès lors que les pratiques de la requérante vis-à-vis de MSH s’inscrivaient dans une stratégie d’ensemble cohérente, elles ne peuvent pas être considérées de manière isolée. L’étendue géographique de cette stratégie était mondiale. Par conséquent, dans la décision attaquée, la Commission a conclu, à juste titre, que l’intégralité de l’EEE a été couverte par l’infraction.

1581 Au demeurant, force est de constater que la Commission n’était pas non plus tenue de tenir compte du fait que douze États membres n’ont fait partie de l’EEE que lors d’une partie de la période infractionnelle lorsque, dans le contexte de l’appréciation de la gravité, elle a considéré que l’étendue mondiale de la stratégie visant à exclure AMD impliquait que l’intégralité de l’EEE avait été couverte par l’infraction.

1582 En effet, il y a lieu de souligner que la Commission a seulement constaté que l’intégralité de l’EEE avait été couverte par l’infraction. Ainsi, elle a fait référence de manière dynamique aux États qui ont respectivement fait partie de l’EEE à un moment donné lors de la période d’infraction. La Commission n’était pas tenue de répartir l’étendue géographique prise en considération lors de l’évaluation de la gravité d’une infraction unique en fonction des différents États ayant rejoint l’EEE à un moment donné lors de la période d’infraction. En effet, la Commission n’était pas tenue d’individualiser la manière dont elle a pris en compte chacun des éléments abusifs reprochés aux fins de la fixation de l’amende (voir point 1564 ci-dessus).

2.     Sur la prise en considération de la dissimulation des infractions

1583 Il y a lieu de relever que, afin d’apprécier la gravité de l’infraction, la Commission a, au considérant 1785 de la décision attaquée, tenu compte du fait que la requérante a entrepris des mesures afin de dissimuler les pratiques mises en cause dans ladite décision.

1584 La requérante prétend que la Commission a, à tort, pris en compte la prétendue dissimulation de l’infraction, étant donné qu’elle ne serait pas parvenue à la prouver. De plus, les allégations de la Commission concernant cette dissimulation ne porteraient que sur MSH, HP et Lenovo et ne devraient, par conséquent, pas être appliquées de manière globale pour toutes les infractions.

1585 Ces arguments ne sauraient prospérer.

1586 À titre liminaire, force est de constater que le caractère secret d’une infraction aux règles de concurrence de l’Union est une circonstance susceptible d’en accentuer la gravité (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, point 252, et Imperial Chemical Industries/Commission, point 139 supra, point 446). En l’espèce, la Commission a tenu compte des tentatives d’Intel de dissimuler son comportement, parmi de nombreux autres éléments, aux fins de l’appréciation de la gravité de l’infraction.

1587 Il convient de rappeler que les éléments de preuve retenus dans la décision attaquée démontrent à suffisance de droit que la requérante s’est efforcée de dissimuler le caractère anticoncurrentiel de son comportement, du moins en ce qui concerne ses relations avec Dell, HP, Lenovo et MSH (voir points 1540 à 1551 ci-dessus). Contrairement à ce que prétend la requérante, il était suffisant que la Commission fasse des allégations spécifiques en matière de dissimulation seulement vis-à-vis de ces quatre entreprises afin de prendre en considération la dissimulation comme un des éléments déterminant la gravité de l’infraction unique. En effet, la Commission n’était pas tenue d’individualiser la manière dont elle a pris en compte chacun des éléments abusifs reprochés aux fins de la fixation de l’amende (voir point 1564 ci-dessus).

3.     Sur le caractère aggravant de la constatation d’une infraction unique

1588 Il y a lieu de relever que, au considérant 1747 de la décision attaquée, dans le cadre des constats concernant l’existence d’une stratégie d’ensemble, la Commission a conclu que, prises ensemble, les pratiques individuelles de la requérante étaient de nature à ou susceptibles de produire un impact encore plus important sur le marché. Au considérant 1785 de ladite décision, dans le cadre des constats relatifs à la gravité de l’infraction, la Commission a relevé qu’elle avait pris en compte le fait qu’Intel avait commis une infraction unique, que l’intensité de cette infraction unique avait différé au cours des années, que la plupart des abus individuels en cause se concentraient au cours de la période allant de 2002 à 2005 et que les abus différaient quant à leur probable incidence anticoncurrentielle respective.

1589 La requérante allègue que la Commission a « probablement » utilisé la constatation d’une infraction unique comme facteur aggravant lors de la détermination de la gravité. L’application d’une infraction unique comme facteur renforçant la gravité de l’infraction serait erronée, parce que, pour certaines périodes, il ne pourrait pas être prouvé qu’un « tel facteur » a été susceptible de renforcer la gravité du comportement allégué. Pour une partie de l’année 2006, alors que les seules pratiques en rapport avec l’EEE auraient concerné MSH, il n’existerait aucun fondement susceptible d’attribuer une gravité plus importante à son comportement en raison d’une infraction unique.

1590 Il y a lieu d’écarter ces arguments.

1591 Il convient de rappeler que, dans le cas d’espèce, la Commission était en droit d’imposer une amende unique et qu’elle n’était pas tenue d’individualiser la manière dont elle a pris en compte chacun des éléments abusifs reprochés aux fins de la fixation de l’amende (voir point 1564 ci-dessus). En outre, l’argument de la requérante repose sur la prémisse erronée selon laquelle la Commission aurait augmenté la gravité du comportement infractionnel à prendre en compte en raison de l’existence d’une infraction unique. Tel n’est cependant pas le cas. La Commission a considéré que l’intensité de l’infraction unique a différé au cours des années, que la plupart des abus individuels en cause se concentraient au cours de la période allant de 2002 à 2005 et que les abus différaient quant à leur probable incidence anticoncurrentielle respective. Ces constats tiennent compte, à suffisance de droit, de la circonstance selon laquelle, pour une partie de l’année 2006, l’infraction concernant MSH était la seule infraction en rapport avec l’EEE retenue dans la décision attaquée.

4.     Sur l’application d’un facteur multiplicateur de 5,5 pour la durée de l’infraction

1592 Il y a lieu de relever que, en ce qui concerne la durée de l’infraction, la Commission a constaté, aux considérants 1787 et 1788 de la décision attaquée, que l’abus a débuté en octobre 2002 et a continué au moins jusqu’en décembre 2007. Il aurait donc duré cinq ans et trois mois, ce qui entraînerait, conformément au paragraphe 24 des lignes directrices de 2006, un facteur de multiplication de 5,5 afin de prendre en compte cette durée.

1593 Selon la requérante, la décision attaquée est erronée pour autant que la Commission a appliqué un facteur multiplicateur de 5,5 pour la durée à chaque infraction. Cette approche aurait été opérée à son détriment, dans la mesure où chacune des infractions par rapport aux OEM aurait été d’une durée significativement plus brève que la période infractionnelle totale.

1594 Cet argument ne saurait convaincre.

1595 En effet, contrairement à ce que prétend la requérante, la Commission n’a pas appliqué un facteur multiplicateur de 5,5 à chacune des infractions individuelles, mais à l’infraction unique. Étant donné que la Commission a, à juste titre, conclu à l’existence d’une infraction unique allant d’octobre 2002 à décembre 2007 (voir points 1561 à 1563 ci-dessus), cette approche ne saurait être critiquée.

5.     Sur l’application rétroactive des lignes directrices de 2006

1596 La requérante prétend que la Commission a violé les principes de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime en appliquant les lignes directrices de 2006 de manière rétroactive. Le remplacement de certaines lignes directrices par d’autres devrait être distingué de la première introduction des lignes directrices. La première introduction des lignes directrices aurait créé pour la première fois une confiance légitime inexistante jusque-là, qui empêcherait l’application des nouvelles lignes directrices de manière rétroactive.

1597 Cet argument ne saurait être retenu.

1598 En effet, il ressort de la jurisprudence que ni le principe de sécurité juridique ni le principe de légalité des délits et des peines, consacré par l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, ne s’opposent à ce que la Commission décide d’adopter et d’appliquer de nouvelles lignes directrices pour le calcul des amendes même après qu’une infraction a été commise. L’intérêt pour une application efficace des règles de concurrence justifie que, dans les limites prévues par l’article 23 du règlement n° 1/2003, une entreprise doit tenir compte de la possibilité d’une modification de la politique générale de concurrence de la Commission en matière d’amendes en ce qui concerne tant la méthode de calcul que le niveau des amendes (arrêt du Tribunal du 2 février 2012, Denki Kagaku Kogyo et Denka Chemicals/Commission, T‑83/08, non publié au Recueil, points 98 à 127). Ce constat vaut également en ce qui concerne l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux. La Commission était donc, à plus forte raison, en droit d’appliquer ses lignes directrices de 2006 à une infraction unique qui n’a pris fin qu’après leur adoption.

B –  Sur la prétendue absence de violation de l’article 82 CE de propos délibéré ou par négligence

1599 La requérante prétend qu’elle n’a pas agi par négligence. En vue d’étayer cette affirmation, elle avance, en substance, que les rabais conditionnels ne sont pas toujours illégaux et que les restrictions non déguisées constituent une nouvelle catégorie d’abus. Elle aurait démontré que la Commission n’a pas établi l’existence d’une stratégie d’éviction d’AMD. La Commission aurait commis une erreur en considérant qu’elle a pris des mesures visant à dissimuler son comportement. Elle n’aurait pas pu prévoir les résultats auxquels la Commission est parvenue dans le cadre de l’application du test AEC. En effet, ces résultats reposeraient sur des données internes émanant de différents OEM, informations dont Intel n’aurait jamais eu connaissance et auxquelles elle n’aurait pas eu accès.

1600 Ces arguments ne sauraient prospérer.

1601 Selon une jurisprudence constante, la condition selon laquelle l’infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait ou non eu conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité (arrêts du Tribunal Tetra Pak/Commission, point 1564 supra, point 238, et du 10 avril 2008, Deutsche Telekom/Commission, T‑271/03, Rec. p. II‑477, point 295). Une entreprise est consciente du caractère anticoncurrentiel de son comportement lorsque les éléments de fait matériels justifiant tant la constatation d’une position dominante sur le marché concerné que l’appréciation par la Commission d’un abus de cette position étaient connus par elle (voir, en ce sens, arrêt Michelin I, point 74 supra, point 107, et arrêt Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, point 1586 supra, points 207 et 210 ; voir, également, conclusions de l’avocat général M. Mazák sous l’arrêt de la Cour Deutsche Telekom, point 98 supra, Rec. p. I‑9567, point 39).

1602 S’agissant, premièrement, de l’argument selon lequel les rabais conditionnels ne sont pas toujours illégaux et selon lequel les restrictions non déguisées constituent une nouvelle catégorie d’abus, il suffit de constater qu’une telle argumentation vise uniquement à démontrer le fait que la requérante ignorait le caractère illégal du comportement reproché dans la décision litigieuse au regard de l’article 82 CE. Elle doit dès lors être rejetée en vertu de la jurisprudence citée au point précédent (voir, par analogie, arrêt de la Cour Deutsche Telekom, point 98 supra, point 127). En tout état de cause, la requérante ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement. Les juridictions de l’Union ont condamné à plusieurs reprises la mise en œuvre, par une entreprise en position dominante, de pratiques consistant à octroyer des incitations financières qui dépendent de conditions d’exclusivité. À cet égard, il suffit de renvoyer à l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, et à l’arrêt de la Cour BPB Industries et British Gypsum, point 89 supra. S’agissant des restrictions non déguisées, il a été constaté aux points 219 et 220 ci-dessus que la qualification d’abusives de telles pratiques ne saurait être considérée comme nouvelle et que, en tout état de cause, le fait qu’un comportement présentant les mêmes caractéristiques n’ait pas encore été examiné dans des décisions antérieures n’exonère pas l’entreprise de sa responsabilité.

1603 Deuxièmement, il convient de rappeler que les éléments de preuve retenus dans la décision attaquée démontrent à suffisance de droit que la requérante a mis en œuvre une stratégie d’ensemble à long terme visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants d’un point de vue stratégique et qu’elle s’est efforcée de dissimuler le caractère anticoncurrentiel de son comportement, du moins en ce qui concerne ses relations avec Dell, HP, Lenovo et MSH (voir points 1523 à 1552 ci-dessus). Par conséquent, il est permis de conclure que la requérante a commis l’infraction retenue au moins par négligence.

1604 Troisièmement, il convient d’écarter l’argument de la requérante selon lequel elle ne pouvait pas prévoir les résultats auxquels la Commission est parvenue dans le cadre de l’application du test AEC. Il convient de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission s’est appuyée, à titre principal, sur les critères dégagés par la jurisprudence dans l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra, afin de constater l’illégalité des rabais d’exclusivité (voir points 69, 72 et 73 ci-dessus). En revanche, elle a fondé sa décision attaquée seulement à titre surabondant sur le test AEC (voir points 173 et 175 ci-dessus). Il y a lieu de rappeler que l’application d’un test AEC n’est pas nécessaire aux fins d’établir l’illégalité des pratiques de la requérante et qu’un tel test ne saurait non plus constituer un refuge fiable pour l’entreprise en position dominante afin d’exclure toute infraction (voir points 140 à 166 ci-dessus). À supposer même que la requérante n’ait pas pu prévoir les résultats auxquels la Commission est parvenue en appliquant ce test, cette circonstance ne remettrait pas en cause le fait que la requérante ne pouvait ignorer les éléments de fait matériels justifiant la constatation par la Commission d’un abus de sa position dominante selon les critères dégagés par la jurisprudence dans l’arrêt Hoffmann-La Roche, point 71 supra.

C –  Sur le caractère prétendument disproportionné de l’amende

1605 La requérante invoque, en substance, trois arguments pour étayer son constat que le niveau de l’amende était disproportionné. L’amende n’aurait pas été infligée par une autorité indépendante. Elle serait disproportionnée par rapport à des amendes infligées dans d’autres décisions. L’imposition de l’amende la plus lourde jamais imposée serait disproportionnée au regard de l’absence d’effets concrets de l’infraction sur le marché.

1606 L’ensemble de ces arguments doit être écarté.

1.     Sur l’argument tiré de l’absence d’indépendance de la Commission

1607 Selon la requérante, la Commission n’est pas une juridiction indépendante et impartiale telle que définie par la CEDH. Elle fait valoir que, étant donné que l’amende est de nature pénale, au sens de l’article 6 de la CEDH, l’amende a été imposée de manière illégale et en violation de ses droits à ce que toute accusation en matière pénale dirigée contre elle soit décidée par un tribunal indépendant.

1608 Cet argument ne saurait être retenu.

1609 Le droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial, sur lequel s’appuie la requérante, fait partie des garanties consacrées par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. Dans le droit de l’Union, la protection conférée par cet article est assurée par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux. Il y a dès lors lieu de se référer uniquement à cette dernière disposition (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, Rec. p. I-13085, point 51). L’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux précise que, dans la mesure où elle contient des droits correspondant à ceux garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère cette convention. Selon l’explication de cette disposition, qui doit être prise en compte par le juge de l’Union conformément à l’article 52, paragraphe 7, de la charte des droits fondamentaux, le sens et la portée des droits garantis sont déterminés non seulement par le texte de la CEDH, mais aussi, notamment, par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 décembre 2010, DEB, C‑279/09, Rec. p. I‑13849, point 35).

1610 Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH n’exclut pas que, dans une procédure de nature administrative, une « peine » soit imposée d’abord par une autorité administrative. Il suppose cependant que la décision d’une autorité administrative ne remplissant pas elle-même les conditions de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH subisse le contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction. Parmi les caractéristiques d’un organe judiciaire de pleine juridiction figure le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise, rendue par l’organe inférieur. Il doit notamment avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve ainsi saisi (voir Cour eur. D. H., arrêt A. Menarini Diagnostics c. Italie du 27 Septembre 2011, n° 43509/08, § 59).

1611 Il peut être inféré de cette jurisprudence que le fait que la Commission concentre les pouvoirs d’enquête, de poursuite et de décision dans le cadre des procédures d’infraction aux règles de concurrence visées par le règlement n° 1/2003 n’est pas, en soi, contraire à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, à condition, cependant, que les entreprises qui y sont soumises disposent d’un droit de recours contre la décision de la Commission devant un organe qui réponde aux exigences de cet article (conclusions de l’avocat général M. Mengozzi sous l’arrêt de la Cour du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec. p. I-8947, I‑8954, point 31).

1612 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que le contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, complété par la compétence de pleine juridiction quant au montant de l’amende, prévue à l’article 31 du règlement n° 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE, répond aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective figurant à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux. En effet, le contrôle prévu par les traités implique que le juge de l’Union exerce un contrôle tant de droit que de fait et qu’il ait le pouvoir d’apprécier les preuves, d’annuler la décision attaquée et de modifier le montant des amendes (voir, en ce sens, arrêt Chalkor/Commission, point 1609 supra, point 67).

2.     Sur le caractère disproportionné de l’amende par rapport à d’autres amendes

1613 La requérante prétend que l’amende imposée est hors de proportion par rapport à d’autres affaires récentes, y compris l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, Rec. p. II‑3601).

1614 Il ressort d’une jurisprudence constante que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et que des décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une violation du principe d’égalité de traitement, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques (arrêts de la Cour du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission, C‑167/04 P, Rec. p. I‑8935, points 201 et 205, et du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, Rec. p. I‑4405, point 60 ; arrêt du Tribunal du 16 juin 2011, Caffaro/Commission, T‑192/06, Rec. p. II‑3063, point 46).

1615 Néanmoins, le respect du principe d’égalité de traitement, qui s’oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente et à ce que des situations différentes soient traitées de manière semblable, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié, s’impose à la Commission lorsqu’elle inflige une amende à une entreprise pour infraction aux règles de concurrence comme à toute institution dans toutes ses activités. Il n’en demeure pas moins que les décisions antérieures de la Commission en matière d’amende ne peuvent être pertinentes au regard du respect du principe d’égalité de traitement que s’il est démontré que les données circonstancielles des affaires relatives à ces autres décisions, telles que les marchés, les produits, les pays, les entreprises et les périodes concernés, sont comparables avec celles de l’espèce (arrêt du Tribunal du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, non encore publié au Recueil, points 261 et 262, et la jurisprudence citée).

1616 Or, en l’espèce, la requérante ne démontre pas que les données circonstancielles des affaires relatives aux décisions antérieures qu’elle invoque sont comparables à celles de l’espèce. En conséquence, au vu de la jurisprudence citée au point 1615 ci-dessus, lesdites décisions ne sont pas pertinentes au regard du respect du principe d’égalité de traitement.

1617 En effet, s’agissant, premièrement, de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Microsoft/Commission, point 1613 supra, la requérante se limite à souligner la différence entre cette affaire et celle de l’espèce en faisant valoir que, dans ladite affaire, les pratiques mises en cause avaient généré de nombreux effets négatifs quantifiables sur les concurrents, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. La requérante n’avance cependant aucun argument afin de démontrer que les données circonstancielles de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Microsoft/Commission sont comparables à celles de l’espèce. Il convient d’observer que cette affaire concernait notamment d’autres marchés et d’autres pratiques abusives que ceux en cause dans la présente affaire.

1618 Deuxièmement, la requérante invoque la décision de la Commission du 12 novembre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39125 – Verre automobile), dont un résumé est publié au Journal officiel du 25 juillet 2009 (JO C 173, p. 13), à l’appui de son argument selon lequel l’amende qui lui a été imposée est de loin supérieure à l’amende la plus élevée jamais infligée à un récidiviste dans une affaire d’entente. Toutefois, la requérante ne démontre pas que les données circonstancielles de l’affaire ayant donné lieu à ladite décision, qui concernait une entente et non pas un abus de position dominante, sont comparables à celles de l’espèce.

1619 Troisièmement, quant à la comparaison de l’amende infligée dans la présente affaire avec celles imposées dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Hoffmann-La Roche, point 71 supra, Michelin I, point 74 supra, Michelin II, point 75 supra, et du Tribunal British Airways, point 186 supra, force est de constater que la requérante ne démontre pas non plus que les données circonstancielles desdites affaires sont comparables à celles de la présente affaire. À cet égard, d’une part, il y a lieu de rappeler que les affaires Michelin I, point 74 supra, Michelin II, point 75 supra, et du Tribunal British Airways, point 186 supra, ne concernaient pas des rabais d’exclusivité, mais des rabais relevant de la troisième catégorie (voir point 78 ci-dessus) et que la présente affaire concerne également des restrictions non déguisées. D’autre part, il importe de souligner que, à supposer que les types d’abus mis en cause dans la présente affaire soient semblables, voire identiques, à ceux mis en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Hoffmann-La Roche, point 71 supra, Michelin I, point 74 supra, Michelin II, point 75 supra, et du Tribunal British Airways, point 186 supra, cette circonstance ne saurait toutefois suffire pour rendre la présente affaire et celles invoquées par la requérante comparables au sens de la jurisprudence citée au point 1615 ci-dessus, eu égard aux différences qui existent entre ces affaires en ce qui concerne notamment les entreprises, les marchés et les produits en cause et compte tenu du laps de temps entre ces affaires ainsi que de l’évolution de la politique de la Commission en matière d’amendes.

3.     Sur la nécessité de démontrer les effets concrets de l’infraction

1620 Il y a lieu de rappeler que, afin de déterminer la gravité de l’infraction, la Commission a notamment tenu compte de la nature de l’infraction, de la part de marché des entreprises concernées et de l’étendue géographique de l’infraction. S’agissant plus particulièrement de la nature de l’infraction, la Commission a constaté, au considérant 1780 de la décision attaquée, que le marché des CPU x86 revêtait une grande importance économique. Selon ladite décision, ce marché a généré des revenus de plus de 30 milliards de USD en 2007. Cela signifierait que tout comportement anticoncurrentiel sur ce marché a eu un impact considérable.

1621 La requérante soutient que le niveau de l’amende est tributaire du prétendu « impact considérable » sur le marché mais qu’aucune analyse des effets réels des pratiques dites abusives sur AMD ou sur le marché n’a été réalisée. Elle rappelle que son amende de 1,06 milliard d’euros est l’amende la plus lourde jamais imposée à l’encontre d’une seule entreprise au titre d’une infraction aux règles de concurrence. Dès lors, il aurait été nécessaire, lors de la détermination de cette amende, de prendre en considération les effets réels de l’infraction et le lien de causalité entre ces effets et le préjudice pour les consommateurs ou les concurrents, indépendamment de la question de savoir si des effets réels sont pertinents pour constater l’existence d’un abus. La requérante fait valoir que les éléments de preuve démontrent que, pendant la période visée, le marché des CPU était caractérisé par une concurrence intense entre AMD et Intel, avec pour conséquence une baisse constante des prix et une amélioration de la qualité des produits, pour le plus grand bénéfice des consommateurs. En outre, AMD aurait multiplié ses parts de marché. Enfin, la décision des OEM d’acheter des produits de la requérante aurait reposé sinon en totalité, du moins en partie, sur des raisons économiques autres que la fidélisation induite par les rabais conditionnels.

1622 En vertu de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci. Il ressort de la jurisprudence que la gravité des infractions au droit de la concurrence doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments, tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte. Par conséquent, contrairement à ce que fait valoir la requérante, l’impact concret de l’infraction sur le marché n’est pas en principe, selon les critères dégagés par la jurisprudence, un élément obligatoire, mais seulement un élément pertinent parmi d’autres pour apprécier la gravité de l’infraction et fixer le montant de l’amende (voir, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, Rec. p. I‑7415, ci-après l’« arrêt Prym », points 54 et 55). De plus, il ressort de la jurisprudence que des éléments relevant de l’objet d’un comportement peuvent avoir plus d’importance aux fins de la fixation du montant de l’amende que ceux relatifs à ses effets (arrêt AstraZeneca, point 64 supra, point 902).

1623 En vertu des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices de 1998 »), l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction devait prendre en considération notamment « son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable » (sous le titre 1.A.). À cet égard, il ressortait de la jurisprudence que, du moins pour ce qui concernait les infractions qui pouvaient être qualifiées d’infractions très graves sur le seul fondement de leur nature propre, l’impact concret de l’infraction sur le marché ne constituait qu’un élément facultatif susceptible de permettre à la Commission d’augmenter le montant de départ de l’amende au-delà du montant minimal envisageable de 20 millions d’euros (voir, en ce sens, arrêt Prym, point 1622 supra, point 75). Il est vrai qu’il ressortait également de la jurisprudence que, dès lors que la Commission estimait opportun, aux fins du calcul de l’amende, de tenir compte de cet élément facultatif qu’était l’impact concret de l’infraction sur le marché, elle ne pouvait se limiter à fournir une simple présomption, mais devait apporter des indices concrets, crédibles et suffisants permettant d’apprécier l’influence effective que l’infraction a pu avoir au regard de la concurrence sur ledit marché (arrêt Prym, point 1622 supra, point 82).

1624 Toutefois, dans la présente affaire, la détermination du montant de l’amende ne repose pas sur les lignes directrices de 1998, mais sur les lignes directrices de 2006. Il convient de relever que, contrairement aux lignes directrices de 1998, les lignes directrices de 2006 ne prévoient plus la prise en compte de l’« impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable » lors de l’appréciation de la gravité d’une infraction donnée. Selon le paragraphe 22 des lignes directrices de 2006, afin de décider si la proportion de la valeur des ventes déterminée en fonction de la gravité devrait être au bas ou au haut de l’échelle pouvant aller jusqu’à 30 %, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, tels que la nature de l’infraction, la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction et la mise en œuvre ou non de l’infraction.

1625 Il est donc vrai que, selon les lignes directrices de 2006, la Commission n’est, en règle générale, pas obligée de prendre en considération l’impact concret de l’infraction sur le marché lorsqu’elle fixe la proportion de la valeur des ventes déterminée en fonction de la gravité. Toutefois, il y a lieu de relever que les lignes directrices n’interdisent pas non plus de prendre en considération l’impact concret de l’infraction sur le marché afin d’augmenter cette proportion. À cet égard, force est de constater que, si la Commission estime opportun de tenir compte de l’impact concret de l’infraction sur le marché afin d’augmenter cette proportion, la jurisprudence citée au point 1623 ci-dessus s’applique également pour ce qui concerne les lignes directrices de 2006, de sorte que la Commission doit apporter des indices concrets, crédibles et suffisants permettant d’apprécier l’influence effective que l’infraction a pu avoir au regard de la concurrence sur ledit marché. En revanche, la Commission ne doit pas nécessairement tenir compte de l’absence d’impact concret comme un facteur atténuant lors de l’appréciation de la gravité en vertu du paragraphe 22 des lignes directrices de 2006. Il suffit que le niveau de la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération fixé par la Commission soit justifié par d’autres éléments susceptibles d’influer sur la détermination de la gravité.

1626 C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’apprécier les arguments de la requérante.

1627 Premièrement, il y a lieu d’écarter l’argument selon lequel le niveau de l’amende est, en l’espèce, tributaire du prétendu « impact considérable » sur le marché tandis qu’aucune analyse des effets réels des pratiques dites abusives sur AMD ou sur le marché n’aurait été réalisée. En effet, force est de constater que, dans le cas d’espèce, la Commission n’a pas pris en considération l’impact concret de l’infraction sur le marché afin de déterminer sa gravité. Contrairement à ce qu’allègue la requérante, il ne peut être déduit du fait que, dans la décision attaquée, la Commission a constaté que « tout comportement anticoncurrentiel sur [le marché des CPU x86] a un impact considérable », que la Commission a pris en considération un tel impact. Il y a lieu de rappeler à cet égard que le constat critiqué par la requérante a été fait par la Commission afin de décrire la nature de l’infraction. Étant donné que la « nature » d’une infraction fait référence à ses traits abstraits et généraux, la Commission pouvait, dans ce cadre, constater à bon droit que, au vu de l’importance des revenus générés sur le marché des CPU x86, tout comportement anticoncurrentiel sur ce marché a un impact considérable. Ce faisant, la Commission n’a pas pris en considération les effets réels des pratiques mises en cause dans la décision attaquée sur le marché, mais la « nature » et donc la capacité de ces pratiques d’avoir de tels effets.

1628 Le fait que la Commission n’a pas pris en considération l’impact concret de l’infraction sur le marché afin de déterminer le montant de l’amende est également confirmé par les circonstances qui suivent. D’une part, tandis que certains passages de la décision attaquée qui ne se réfèrent pas à la détermination du montant de l’amende contiennent des conclusions relatives à l’impact concret du comportement de la requérante sur la liberté de choix des OEM et de MSH (voir considérants 1001 et 1678 de cette décision) ainsi que sur le préjudice subi par les consommateurs (voir considérants 1597 à 1616 de ladite décision), la Commission s’est abstenue de faire référence à ces conclusions lorsqu’elle a déterminé la gravité de l’infraction. D’autre part, dans le cadre de la conclusion sur la gravité, énoncée au considérant 1785 de la même décision, la Commission a constaté que les abus différaient quant à leur « probable incidence anticoncurrentielle » respective. Le fait que, dans le cadre de la conclusion sur la gravité, la Commission a fait référence à la « probable incidence anticoncurrentielle » des abus individuels démontre sans équivoque qu’elle n’a pas pris en considération l’impact concret de l’infraction sur le marché, mais seulement son incidence probable.

1629 Partant, force est donc de constater que la Commission ne s’est pas appuyée sur l’impact concret de l’infraction afin d’augmenter sa gravité.

1630 Deuxièmement, pour autant que la requérante soutient que la Commission s’est, à tort, abstenue de prendre en considération l’absence d’effets réels de l’infraction et du lien de causalité entre ces effets et le préjudice pour les consommateurs ou les concurrents comme un facteur atténuant lors de l’appréciation de la gravité, son argumentation doit également être rejetée. Force est de constater que, afin de fixer la proportion de la valeur des ventes déterminée en fonction de la gravité de l’infraction à 5 %, la Commission n’était pas tenue de prendre en considération la prétendue absence d’impact concret de l’infraction sur le marché. En effet, dans le cas d’espèce, les autres éléments sur lesquels la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée aux fins de déterminer la gravité de l’infraction justifient la fixation de la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération à 5 %.

1631 À cet égard, il y a lieu de constater, à titre liminaire, que le niveau de 5 % retenu dans la décision attaquée se situe dans le domaine bas de l’échelle pouvant aller, selon le paragraphe 21 des lignes directrices de 2006, jusqu’à 30 %.

1632 S’agissant, ensuite, en premier lieu, de la nature de l’infraction, il convient de relever que, aux considérants 1780 et 1781 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, à part la requérante, qui détenait 80 % du marché, le seul concurrent sérieux existant sur le marché était AMD. Elle a également rappelé que la requérante a mis en œuvre une stratégie d’ensemble visant à évincer AMD du marché. Ainsi, les pratiques abusives de la requérante auraient visé à évincer le seul concurrent sérieux ou, du moins, à restreindre son accès au marché. Au regard des barrières d’accès à la production des CPU x86, il serait probable que, si AMD avait été éliminée ou marginalisée, il n’y aurait pas eu d’autre entrant crédible sur le marché.

1633 En ce qui concerne, en deuxième lieu, la part de marché des entreprises concernées, la Commission a constaté, au considérant 1783 de la décision attaquée, que, lors de l’intégralité de la période d’infraction, la requérante détenait non seulement une position dominante dans tous les segments du marché des CPU x86, mais que sa part de marché était également beaucoup plus élevée que celle de ses concurrents.

1634 S’agissant, en troisième lieu, de l’étendue géographique de l’infraction, la Commission a constaté, au considérant 1784 de la décision attaquée, qu’elle a démontré que la stratégie de la requérante visant à exclure AMD avait une étendue mondiale. Dans le contexte de l’appréciation de la gravité de l’infraction, cette circonstance impliquerait que l’intégralité de l’EEE a été couverte par l’infraction (voir points 1578 à 1582 ci-dessus).

1635 En quatrième lieu, il convient de rappeler que, dans le cadre de la conclusion sur la gravité de l’infraction, la Commission a, au considérant 1785 de la décision attaquée, constaté notamment que la requérante s’est livrée à une infraction unique dont l’intensité a différé au cours des années, que les abus individuels ont différé quant à leur probable incidence anticoncurrentielle respective et que la requérante s’est efforcée de dissimuler le caractère anticoncurrentiel de son comportement (voir points 1583 à 1591 ci-dessus).

1636 Ces constatations, qui soit ne sont pas contestées par la requérante, soit ont été établies par la Commission à suffisance de droit, suffisent pour justifier la fixation de la proportion de la valeur des ventes à 5 %.

1637 Troisièmement, pour ce qui concerne les arguments de la requérante visant à étayer l’absence d’effets concrets sur le marché et de lien de causalité, il convient de rappeler, à titre surabondant, que ni la croissance des parts de marché d’AMD ni la baisse des prix des CPU x86 au cours de la période visée par la décision attaquée n’impliquent que les pratiques de la requérante ont été dénuées d’effet. En l’absence de ces pratiques, il est permis de considérer que l’augmentation des parts de marché du concurrent ainsi que la baisse des prix des CPU x86 auraient pu être plus importantes (voir point 186 ci-dessus). De même, pour autant que la requérante invoque des raisons économiques autres que la fidélisation induite par les rabais conditionnels comme causes des décisions des OEM d’acheter ses produits, force est de constater que cette argumentation n’est pas à même d’exclure toute influence des rabais et des paiements conditionnels mis en cause sur les décisions commerciales des OEM (voir point 597 ci-dessus).

4.     Conclusion

1638 Partant, il convient d’écarter l’ensemble des arguments de la requérante visant à établir que le niveau de l’amende était disproportionné.

D –  Sur l’exercice de la compétence de pleine juridiction

1639 Lors de l’audience, la requérante a mis en exergue quatre points justifiant, selon elle, une réduction du montant de l’amende par le Tribunal dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction. Premièrement, elle souligne la complexité de la présente affaire et soutient qu’il était très difficile pour elle de respecter la loi. En l’espèce, la Commission aurait suivi l’approche des orientations article 82. Celles-ci n’interdiraient pas les rabais conditionnels en soi, mais exigeraient l’application d’un test AEC. Le défaut de sécurité juridique généré ainsi devrait être pris en considération par le Tribunal. Deuxièmement, la requérante invoque que la procédure administrative a duré neuf ans, tandis que l’article 6 de la CEDH et l’article 41 de la charte des droits fondamentaux exigeraient un traitement rapide des affaires pénales. Une partie substantielle de ce retard serait due aux travaux nécessaires pour l’application du test AEC. Un retard serait un facteur que le Tribunal peut toujours prendre en considération. Troisièmement, le Tribunal devrait tenir compte de la décision du Médiateur du 14 juillet 2009 constatant que l’absence d’enregistrement de la réunion entre la Commission et M. D1 constituait un cas de mauvaise administration. Quatrièmement, s’agissant de l’abus concernant Acer, le Tribunal devrait tenir compte du fait que la durée du report du lancement de l’ordinateur portable a pu s’étendre de deux à quatre semaines seulement.

1640 Toutefois, aucun de ces arguments n’est susceptible d’entraîner une modification du montant de l’amende fixé par la Commission.

1641 Premièrement, la requérante ne saurait tirer aucun avantage d’une prétendue insécurité juridique en ce qui concerne l’illégalité des rabais d’exclusivité. En effet, la Commission et la Cour ont condamné à plusieurs reprises la mise en œuvre, par une entreprise en position dominante, de pratiques consistant à octroyer des incitations financières qui dépendent des conditions d’exclusivité (voir point 1602 ci-dessus). Quant aux orientations article 82, il ressort du considérant 916 de la décision attaquée que la Commission ne les a pas appliquées dans la présente affaire. Il a été exposé ci-dessus qu’elle n’était pas non plus tenue de le faire. De plus, la requérante n’a pas démontré que la Commission a fait naître, auprès d’elle, une confiance légitime en ce qui concerne l’application du test AEC (voir points 160 à 165 ci-dessus).

1642 S’agissant, deuxièmement, de la durée de la procédure administrative, l’argumentation de la requérante ne saurait davantage prospérer.

1643 À cet égard, il importe de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, telle l’absence de motivation de la décision attaquée, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de cette dernière et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens (arrêt Chalkor/Commission, point 1609 supra, point 64).

1644 Le moyen invoqué par la requérante, qui vise seulement la longueur de la procédure administrative, et non la longueur de la procédure devant le Tribunal, doit être déclaré irrecevable, en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. Ledit moyen, qui n’a pas été invoqué dans la requête, ne peut pas être considéré comme l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête et n’est pas fondé sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Par ailleurs, dans les circonstances de la présente affaire, il n’y a pas lieu d’examiner d’office le moyen tiré d’un délai déraisonnable de la procédure devant la Commission (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 30 avril 2009, CD-Contact Data/Commission, T‑18/03, Rec. p. II‑1021, point 130).

1645 En ce qui concerne, troisièmement, l’absence d’enregistrement de la réunion entre la Commission et M. D1, il a été énoncé ci-dessus que la Commission a corrigé la lacune initiale de la procédure administrative, découlant de l’absence de rédaction d’une note succincte et de sa mise à la disposition de la requérante, en mettant à la disposition de la requérante la version non confidentielle de la note interne (voir point 622 ci-dessus). Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de modifier le montant de l’amende. À titre surabondant, il y a lieu de relever que, à supposer même que l’erreur procédurale n’ait pas été régularisée, cette irrégularité ne serait pas de nature à conduire le Tribunal à modifier le montant de l’amende.

1646 Quatrièmement, s’agissant de l’abus concernant Acer, l’argument de la requérante, selon lequel la durée du report du lancement de l’ordinateur portable concerné a, en réalité, été de moins de quatre mois, a été rejeté aux points 1345 à 1357 ci-dessus.

1647 Au surplus, il convient de relever que, au regard de la compétence de pleine juridiction dont le Tribunal dispose en matière d’amendes pour infraction aux règles de concurrence, rien dans les griefs, arguments et éléments de droit et de fait avancés par la requérante dans le cadre de l’ensemble des moyens examinés ci‑dessus ne permet de conclure que l’amende qui lui a été infligée par la décision attaquée présente un caractère disproportionné. Au contraire, il y a lieu de considérer que cette amende est appropriée aux circonstances de l’espèce. Dans le cadre de cette appréciation, il convient notamment de tenir compte des circonstances énoncées aux points 1631 à 1636 ci-dessus ainsi que du fait que l’amende équivaut à 4,15 % du chiffre d’affaires annuel d’Intel, ce qui se situe bien au-dessous du plafond de 10 % fixé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003.

 Sur les dépens

1648 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

1649 La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission, à l’exception des dépens de cette dernière liés à l’intervention de l’ACT, conformément aux conclusions de la Commission. Par ailleurs, il convient de condamner la requérante aux dépens de l’UFC, conformément aux conclusions de cette dernière.

1650 L’ACT ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission liés à son intervention, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Intel Corp. supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne, à l’exception des dépens de cette dernière liés à l’intervention de l’Association for Competitive Technology, Inc., ainsi que ceux exposés par l’Union fédérale des consommateurs – Que choisir (UFC – Que choisir).

3)      L’Association for Competitive Technology supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission liés à son intervention.

Dittrich

Wiszniewska-Białecka

Prek

Schwarcz

 

       Kancheva

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 juin 2014.

Signatures

Table des matières


Faits à l’origine du litige

I –  Procédure administrative

II –  Décision attaquée

A –  Marché en cause

B –  Position dominante

C –  Comportement abusif et amende

D –  Dispositif

Procédure et conclusions des parties

En droit

I –  Sur la recevabilité de certaines annexes

II –  Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

A –  Questions horizontales concernant les appréciations juridiques effectuées par la Commission

1.  Sur la charge de la preuve et le niveau de preuve requis

2.  Sur la qualification juridique des rabais et des paiements accordés en contrepartie d’un approvisionnement exclusif

a)  Sur les rabais accordés aux OEM en contrepartie d’un approvisionnement exclusif ou quasi exclusif

1) Sur la qualification juridique

2) Sur les arguments de la requérante

2.1) Sur les arguments selon lesquels la Commission est tenue d’effectuer une analyse des circonstances de l’espèce afin d’établir au moins un effet potentiel d’éviction

2.2) Sur l’argument selon lequel la Commission est tenue de démontrer des effets d’éviction concrets

2.3) Sur l’argument tiré de l’absence d’obligations formelles

2.4) Sur l’argument tiré de la pertinence du montant du rabais

2.5) Sur l’argument tiré de la pertinence de la durée

2.6) Sur l’argument tiré de la faible partie du marché concernée par le comportement incriminé

2.7) Sur l’argument tiré de l’absence de couverture, par les conditions d’exclusivité alléguées, d’une partie importante des besoins de certains OEM

2.8) Sur l’argument tiré de la puissance d’achat des clients

2.9) Sur l’argumentation concernant la pertinence du test AEC

b)  Sur les paiements accordés à MSH

c)  Analyse de la capacité des rabais de restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

3.  Sur la qualification juridique des pratiques dites de « restrictions non déguisées »

B –  Sur la compétence de la Commission

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Observations liminaires

b)  Sur les effets qualifiés

1) Observations liminaires

2) Acer

2.1) Effet substantiel

2.2) Effet immédiat

2.3) Effet prévisible

3) Lenovo

3.1) Sur les restrictions non déguisées

i) Sur le report du lancement concernant le marché chinois

ii) Sur le report du lancement concernant le marché mondial

3.2) Sur les rabais d’exclusivité

c)  Sur la mise en œuvre

1) Acer

2) Lenovo

d)  Sur l’affectation du commerce entre les États membres

C –  Vices de procédure

1.  Sur le refus de la Commission d’accorder une seconde audition à la requérante

2.  Sur le refus de la Commission de se procurer certains documents d’AMD

a)  Antécédents du litige et positions des parties

b)  Sur les conditions dans lesquelles la Commission peut être obligée de se procurer certains documents

1) Jurisprudence existante

2) Définition des conditions

c)  Examen des conditions dans le cas d’espèce

1) Sur l’obligation d’Intel d’entreprendre toutes les mesures afin d’obtenir la permission d’utiliser les documents AMD du Delaware dans l’enquête de la Commission

1.1) Sur la décision attaquée et les arguments des parties

1.2) Appréciation du Tribunal

2) Sur l’importance des documents pour la défense de la requérante

3) Sur la proportionnalité de la demande

d)  Conclusion sur ce grief

D –  Erreurs d’appréciation concernant les pratiques à l’égard des divers OEM et de MSH

1.  Dell

a)  Appréciation des preuves présentées dans la décision attaquée pour établir l’existence d’une communication d’Intel à Dell indiquant que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité

1) Sur la preuve de ce que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité

1.1) Sur les documents internes d’Intel

i) Sur le contenu

ii) Sur la valeur probante

1.2) Sur la réponse de Dell au titre de l’article 18

i) Sur le contenu

ii) Sur la valeur probante

1.3) Sur les documents internes de Dell

i) Sur le contenu

ii) Sur la valeur probante

2) Sur la preuve qu’Intel a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité

3) Sur les autres arguments de la requérante

3.1) Sur l’argument tiré de ce que les documents sur lesquels s’appuie la Commission ne couvrent que les quinze premiers mois de la période infractionnelle

3.2) Sur l’argument tiré de ce que la Commission ne peut pas s’appuyer sur des projections internes d’un client pour établir une infraction au titre de l’article 82 CE

3.3) Sur l’argument tiré de ce que la Commission devrait établir que les rabais MCP auraient effectivement été réduits de manière disproportionnée en cas de décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD

3.4) Sur l’argument tiré de ce que l’évaluation constante de Dell de la possibilité de s’approvisionner auprès d’AMD serait incompatible avec la théorie élaborée dans la décision attaquée

3.5) Sur l’argument tiré de ce que le manque de transparence du système des rabais MCP ne pourrait fonder la responsabilité de la requérante

3.6) Sur l’argument tiré de ce que Dell se serait approvisionnée exclusivement auprès de la requérante pour des raisons parfaitement indépendantes de toute crainte de réduction disproportionnée des rabais en cas d’approvisionnement auprès d’AMD

3.7) Sur l’argument tiré de ce que la réaction d’Intel à la décision de Dell de s’approvisionner partiellement auprès d’AMD en 2006 réfuterait les conclusions de la décision attaquée

3.8) Sur l’argument tiré de ce que les dépositions faites lors de la procédure devant le tribunal du Delaware et lors de la procédure devant l’US FTC réfuteraient les conclusions de la décision attaquée

i) Sur la valeur probante des dépositions invoquées par la requérante vis-à-vis de la réponse de Dell au titre de l’article 18

ii) Sur les déclarations contenues dans les dépositions faites devant le tribunal du Delaware par lesquelles la requérante vise à affaiblir la valeur probante des documents rédigés par M. D2

iii) Sur les déclarations contenues dans les dépositions faites devant le tribunal du Delaware par lesquelles la requérante vise à établir que Dell n’estimait pas que le niveau des rabais était soumis à une condition d’exclusivité

Sur les déclarations selon lesquelles les rabais accordés à Dell au cours de la période 2002-2005 n’étaient soumis à aucune condition d’exclusivité

Sur les déclarations selon lesquelles Intel n’a jamais menacé Dell de réduire les rabais de manière disproportionnée si elle décidait de s’approvisionner auprès d’AMD

Sur les déclarations selon lesquelles Dell n’a pas décliné les offres d’AMD de peur de subir des « sanctions » d’Intel

4) Conclusion sur la preuve que la requérante a signalé à Dell que le niveau des rabais MCP était soumis à une condition d’exclusivité

b)  Analyse de la capacité des rabais à restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

c)  Réunion avec M. D1 de Dell

1) Arguments des parties et procédure

2) Appréciation du Tribunal

2.1) Sur l’existence d’une irrégularité procédurale

2.2) Sur les éventuelles conséquences d’une irrégularité procédurale sur la légalité de la décision attaquée

i) Observations liminaires

ii) Appréciation des documents sur lesquels la requérante s’est appuyée comme indices du fait que M. D1 a fourni à la Commission des éléments à décharge qu’elle aurait pu utiliser pour sa défense

Sur la liste indicative des thèmes

Sur la note interne

Sur le document de suivi

Conclusion sur les documents invoqués par la requérante

iii) Sur les autres circonstances relatives à la question de savoir si la Commission s’est abstenue de consigner de nouveaux éléments à décharge que la requérante aurait pu utiliser pour sa défense

2.3) Conclusion sur la réunion avec M. D1

d)  Conclusion

2.  HP

a)  Sur les rabais d’exclusivité

1) Appréciation des preuves de la conditionnalité des rabais présentées dans la décision attaquée

1.1) Réponse de HP au titre de l’article 18

i) Contenu

ii) Valeur probante

Sur la fiabilité inhérente à la réponse de HP au titre de l’article 18

Sur les arguments de la requérante visant à remettre en cause la fiabilité de la réponse de HP au titre de l’article 18

–  Observations liminaires sur la recevabilité

–  Sur l’argument selon lequel la réponse de HP au titre de l’article 18 aurait été préparée sans obtenir les informations de la part des réels décideurs au sein de HP

–  Sur l’argument selon lequel les mémoires antérieurs de HP ne feraient état d’aucune restriction

–  Sur l’argument selon lequel la réponse de HP au titre de l’article 18 contiendrait des affirmations dont l’inexactitude pourrait être démontrée

–  Sur l’argument selon lequel la réponse de HP au titre de l’article 18 serait contredite par un témoignage sous serment

Importance de la réponse de HP au titre de l’article 18 pour démontrer l’existence des conditions non écrites

1.2) Sur les éléments de preuve corroborant la réponse de HP au titre de l’article 18

i) Sur les courriels de juillet 2002

Contenu

Valeur probante

ii) Sur la présentation interne de HP datant du 17 octobre 2002

Contenu

Valeur probante

iii) Sur les courriels internes de HP de septembre 2004

Contenu

Valeur probante

iv) Sur le fait que HP n’a pas profité de l’offre d’un million de CPU gratuits

Constatations faites dans la décision attaquée

Valeur probante

2) Sur les arguments de la requérante

2.1) Absence d’une obligation contraignante

2.2) Absence d’une conditionnalité de facto

2.3) Sur le fait que les rabais traduiraient une concurrence normale

2.4) Sur la liberté de choix de HP et l’accès au marché d’AMD

b)  Sur les restrictions non déguisées

1) Sur la condition tenant à l’orientation des systèmes d’ordinateurs de bureau équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises vers les PME et les GEM plutôt que vers les grandes entreprises

2) Sur la condition relative aux canaux de distribution

2.1) Sur les éléments de preuve cités dans la décision attaquée et leur valeur probante

2.2) Sur les arguments de la requérante

3) Sur la condition relative au report par HP du lancement de son ordinateur de bureau destiné aux entreprises et équipé de CPU AMD dans la région EMOA

3.1) Sur les éléments de preuve cités dans la décision attaquée et leur valeur probante

3.2) Sur les arguments de la requérante

i) Sur le calendrier exposé dans la présentation de HP

ii) Sur l’absence de mention de cette condition dans certains documents

4) Sur les arguments de la requérante selon lesquels les prétendues conditions correspondaient en réalité aux choix commerciaux de HP

c)  Analyse de la capacité des rabais de restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

d)  Conclusion

3.  NEC

a)  Appréciation des preuves de la conditionnalité des rabais présentées dans la décision attaquée

1) Sur les éléments de preuve concernant la conditionnalité de certains rabais accordés pour le quatrième trimestre de 2002 et le premier trimestre de 2003

2) Sur les éléments de preuve relatifs au deuxième trimestre de 2003

3) Sur les éléments de preuve concernant la période allant du troisième trimestre de 2003 au mois de novembre 2005

b)  Sur les autres arguments de la requérante

1) Sur l’argument selon lequel NEC aurait proposé une exclusivité à 90 %

2) Sur l’argument selon lequel la Commission aurait reconnu dans la communication des griefs de 2007 que les rabais ECAP n’étaient pas conditionnels

3) Sur l’argument selon lequel Intel n’aurait jamais réduit ses rabais, alors que les achats seraient régulièrement descendus en dessous des seuils allégués

4) Sur la conduite des affaires d’Intel préalablement à l’adoption de l’accord de Santa Clara ainsi qu’à l’égard d’un autre OEM

c)  Analyse de la capacité des rabais de restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

d)  Conclusion

4.  Lenovo

a)  Sur les constats relatifs au report concernant le marché mondial

1) Appréciation des éléments de preuve présentés dans la décision attaquée

1.1) Sur le contenu

1.2) Sur la valeur probante

i) Sur l’argument tiré de ce que les paiements accordés à Lenovo constituaient simplement un effort visant à remporter des commandes à risque

ii) Sur l’argument tiré de ce que les courriels de MM. L2 et L5 du 27 juin 2006 et du 12 juillet 2006 reflètent le point de vue de personnes qui n’ont pas pris part aux négociations pertinentes entre Lenovo et Intel

iii) Conclusion

2) Sur les autres arguments de la requérante

2.1) Sur l’argument tiré de ce que M. L3 a écrit dans un courriel du 26 mai 2006

2.2) Sur la réponse de Lenovo au titre de l’article 18 du règlement n° 1/2003

2.3) Sur l’argument tiré de ce que la Commission ne peut pas s’appuyer sur les impressions internes d’un client pour établir une infraction à l’article 82 CE

2.4) Sur l’argument tiré de ce que le fait que Lenovo a continué ses efforts pour lancer des ordinateurs équipés de CPU AMD contredirait les conclusions de la décision attaquée

2.5) Sur l’argument tiré de ce que la pratique de la requérante constituerait une pratique courante dans le secteur

2.6) Sur l’argument tiré de ce que Lenovo aurait décidé d’abandonner les deux modèles d’ordinateurs portables équipés de CPU AMD pour des raisons indépendantes

2.7) Sur l’argument tiré de ce que la décision attaquée contiendrait une mauvaise interprétation de la politique d’achat de Lenovo

2.8) Sur les dépositions effectuées devant le tribunal du Delaware

i) Sur la déposition de M. L3

ii) Sur la déposition de M. L8

3) Conclusion

b)  Sur les rabais d’exclusivité

1) Appréciation des preuves présentées dans la décision attaquée

1.1) Sur le contenu

1.2) Sur la valeur probante

2) Sur les autres arguments de la requérante

2.1) Sur la réponse de Lenovo au titre de l’article 18

2.2) Sur l’argument tiré de ce que Lenovo aurait décidé de s’approvisionner exclusivement auprès de la requérante en 2007 pour d’autres raisons que la prétendue existence d’une condition non écrite d’exclusivité

2.3) Sur les dépositions effectuées devant le tribunal du Delaware

i) Sur la déposition de M. L10

ii) Sur la déposition de M. L8

3) Conclusion

c)  Analyse de la capacité des pratiques de la requérante vis-à-vis de Lenovo à restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

d)  Conclusion

5.  Acer

a)  Sur les éléments de preuve présentés dans la décision attaquée et leur valeur probante

b)  Sur les autres arguments de la requérante

1) Sur les arguments tirés de la déclaration d’Acer

2) Sur les arguments tirés du témoignage de M. A1

3) Sur l’argument selon lequel il résulterait de la déclaration de M. A2 que le report du lancement n’était pas lié à des paiements

4) Sur les arguments tirés de déclarations de deux cadres d’Acer

5) Sur l’argument selon lequel les négociations sur les rabais ECAP n’auraient pas été inhabituellement retardées

6) Sur l’argument selon lequel le comportement d’Intel relèverait d’une concurrence normale

7) Sur l’existence d’autres raisons pour le report du lancement

8) Sur la durée du report du lancement

8.1) Sur la date prévue pour le lancement

8.2) Sur la date de fin du report

9) Sur l’évolution des parts de marché

c)  Analyse de la capacité de restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

d)  Conclusion

6.  MSH

a)  Observations liminaires

b)  Appréciation des preuves de la conditionnalité des paiements octroyés en vertu des accords de contribution présentées dans la décision attaquée

1) Sur la réponse de MSH au titre de l’article 18

1.1) Sur la description générale de la conditionnalité des accords de contribution

1.2) Sur l’incident concernant les ordinateurs « Vaio » équipés de CPU AMD

1.3) Sur les discussions sur l’adhésion de MSH Italie aux accords de contribution

1.4) Sur les déclarations de MM. M1 et M2, dirigeants de MSH

i) Sur la déclaration de M. M1

ii) Sur la déclaration de M. M2

1.5) Conclusion

2) Sur les éléments corroborant la réponse de MSH au titre de l’article 18

2.1) Sur la rétention de paiements en 1998

2.2) Sur les divers autres documents

i) Sur les documents au regard desquels la requérante ne présente pas d’observations

ii) Sur les documents au regard desquels la requérante présente des observations

Sur les documents cités aux considérants 697 à 699 de la décision attaquée

Sur les documents cités aux considérants 693 à 696 de la décision attaquée

–  Sur la valeur probante des documents cités aux considérants 693 à 696 de la décision attaquée

–  Sur la prétendue violation des droits de la défense

2.3) Conclusion

c)  Sur les autres arguments de la requérante

1) Sur les documents visant à réfuter la preuve de la conditionnalité

1.1) Sur le courriel de Mme I17

1.2) Sur le courriel de M. I18

1.3) Sur les documents de novembre 2000

1.4) Sur les feuilles de calcul

1.5) Conclusion

2) Sur l’argument tiré de ce que les accords de contribution entre Intel et MSH servaient des objectifs légitimes et n’étaient pas fictifs

3) Sur l’argument tiré de ce que la Commission n’aurait pas prouvé que la requérante a menacé MSH d’une réduction disproportionnée des paiements

4) Sur l’argument tiré de ce que la Commission se serait, à tort, abstenue d’évaluer la contrepartie de l’exclusivité

d)  Analyse de la capacité des paiements octroyés en vertu des accords de contribution à restreindre la concurrence selon les circonstances de l’espèce

e)  Conclusion

E –  Sur la preuve d’une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants

III –  Sur les conclusions tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende

A –  Sur l’application prétendument incorrecte des lignes directrices de 2006 et la prétendue prise en compte de considérations dépourvues de toute pertinence

1.  Sur l’argument tiré d’une appréciation erronée des produits auxquels l’infraction se rapporte entre janvier et septembre 2006 ainsi que de ce que la Commission aurait ignoré que douze États membres n’ont fait partie de l’EEE que pendant une partie seulement de la période infractionnelle

a)  Sur l’existence d’une violation du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006

b)  Sur l’existence d’une violation du paragraphe 21 des lignes directrices de 2006

2.  Sur la prise en considération de la dissimulation des infractions

3.  Sur le caractère aggravant de la constatation d’une infraction unique

4.  Sur l’application d’un facteur multiplicateur de 5,5 pour la durée de l’infraction

5.  Sur l’application rétroactive des lignes directrices de 2006

B –  Sur la prétendue absence de violation de l’article 82 CE de propos délibéré ou par négligence

C –  Sur le caractère prétendument disproportionné de l’amende

1.  Sur l’argument tiré de l’absence d’indépendance de la Commission

2.  Sur le caractère disproportionné de l’amende par rapport à d’autres amendes

3.  Sur la nécessité de démontrer les effets concrets de l’infraction

4.  Conclusion

D –  Sur l’exercice de la compétence de pleine juridiction

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.


1 Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.


2      Données confidentielles occultées. Afin de préserver leur anonymat, les noms des personnes ont été remplacés, dans le cas de celles travaillant pour Intel, Dell, HP, NEC, Lenovo, Acer ou MSH, par la lettre initiale du nom de l’entreprise pour laquelle elles travaillent suivie d’un chiffre et, dans le cas de celles travaillant pour AMD, par la lettre majuscule « C » suivie d’un chiffre. Par ailleurs, les noms de trois professeurs ont été remplacés par P1, P2 et P3.