Language of document : ECLI:EU:C:2014:2213

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 11 septembre 2014 (1)

Affaire C‑449/13

CA Consumer Finance SA

contre

Ingrid Bakkaus,

Charline Bonato, née Savary,

Florian Bonato

[demande de décision préjudicielle
formée par le tribunal d’instance d’Orléans (France)]

«Protection des consommateurs – Crédit à la consommation – Obligations précontractuelles incombant au prêteur professionnel – Devoirs d’information et d’évaluation de la solvabilité du consommateur – Modalités et charge de la preuve de l’exécution desdites obligations»





1.        La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de certaines dispositions de la directive 2008/48/CE (2), relatives aux obligations précontractuelles incombant au prêteur professionnel. Sont plus spécifiquement en cause les obligations visées aux articles 5 (obligation d’information et d’explication) et 8 (évaluation de la solvabilité du consommateur) de ladite directive.

2.        Il apparaît que la juridiction de renvoi entend, pour l’essentiel, obtenir des précisions sur la charge et les modes de preuve de l’exécution desdites obligations. Ainsi que je l’exposerai dans les présentes conclusions, si la question de savoir à qui il incombe, en principe, d’établir que les obligations d’information et de vérification contractuelles découlant de la directive 2008/48 ont été correctement exécutées me semble découler logiquement de ladite directive, les modalités de preuve de ladite exécution me semblent amplement régies par le principe d’autonomie procédurale. Il conviendra dès lors d’aborder les questions posées par la juridiction de renvoi avec une certaine prudence, afin que soit trouvé un juste équilibre entre l’objectif de protection du consommateur poursuivi par ladite directive et la nécessité de ne pas imposer au prêteur un procédé probatoire irréaliste.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

3.        L’article 5 de la directive 2008/48, intitulé «Informations précontractuelles», dispose:

«1.      Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat ou une offre de crédit, le prêteur et, le cas échéant, l’intermédiaire de crédit, lui donnent en temps utile, sur la base des clauses et conditions du crédit proposé par le prêteur et, le cas échéant, des préférences exprimées par le consommateur et des informations fournies par ce dernier, les informations nécessaires à la comparaison des différentes offres pour prendre une décision en connaissance de cause sur la conclusion d’un contrat de crédit. Ces informations, sur un support papier ou sur un autre support durable, sont fournies à l’aide des ‘informations européennes normalisées en matière de crédit aux consommateurs’ qui figurent à l’annexe II. Le prêteur est réputé avoir respecté les exigences en matière d’information prévues par le présent paragraphe et à l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2002/65/CE, s’il a fourni les ‘informations européennes normalisées en matière de crédit aux consommateurs’. [...]

[...]

6.      Les États membres veillent à ce que les prêteurs et, le cas échéant, les intermédiaires de crédit, fournissent au consommateur des explications adéquates grâce auxquelles celui-ci sera en mesure de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière, le cas échéant en expliquant l’information précontractuelle qui doit être fournie conformément au paragraphe 1, les caractéristiques essentielles des produits proposés et les effets particuliers qu’ils peuvent avoir sur le consommateur, y compris les conséquences d’un défaut de paiement du consommateur. Les États membres peuvent adapter les modalités d’octroi et l’étendue de cette assistance, et établir l’identité de la personne qui la fournit, en fonction du contexte particulier dans lequel le contrat de crédit est proposé, de la personne à qui il est proposé, et du type de contrat de crédit proposé.»

4.        L’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/48, intitulé «Obligation d’évaluer la solvabilité du consommateur», prévoit:

«Les États membres veillent à ce que, avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur évalue la solvabilité du consommateur, à partir d’un nombre suffisant d’informations, fournies, le cas échéant, par ce dernier et, si nécessaire, en consultant la base de données appropriée. Les États membres dont la législation prévoit l’évaluation obligatoire par le prêteur de la solvabilité du consommateur sur la base d’une consultation de la base de données appropriée peuvent maintenir cette obligation.»

5.        L’article 22 de la directive, intitulé «Harmonisation et caractère impératif de la présente directive», dispose à ses paragraphes 2 et 3:

«2.      Les États membres veillent à ce que le consommateur ne puisse renoncer aux droits qui lui sont conférés en vertu des dispositions du droit national qui mettent en œuvre la présente directive ou qui lui correspondent.

3.      Les États membres veillent, en outre, à ce que les dispositions qu’ils adoptent pour la mise en œuvre de la présente directive ne puissent être contournées par le biais du libellé des contrats, notamment en intégrant des prélèvements ou des contrats de crédit relevant du champ d’application de la présente directive dans des contrats de crédit dont le caractère ou le but permettrait d’éviter l’application de celle-ci.»

6.        L’article 23 de la directive 2008/48, intitulé «Sanctions», dispose:

«Les États membres définissent le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive, et prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’elles soient appliquées. Les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.»

B –    Le droit français

7.        La loi no 2010-737, du 1er juillet 2010, portant réforme du crédit à la consommation (3), qui vise à transposer la directive 2008/48 a été intégrée dans les articles L. 311‑1 et suivants du code de la consommation.

8.        L’article L. 311‑6 dudit code, relatif à l’obligation de remettre la fiche d’informations européenne normalisée, dispose:

«I.      Préalablement à la conclusion du contrat de crédit, le prêteur ou l’intermédiaire de crédit donne à l’emprunteur, par écrit ou sur un autre support durable, les informations nécessaires à la comparaison de différentes offres et permettant à l’emprunteur, compte tenu de ses préférences, d’appréhender clairement l’étendue de son engagement. [...]

II.      Lorsque le consommateur sollicite la conclusion d’un contrat de crédit sur le lieu de vente, le prêteur veille à ce que la fiche d’informations mentionnée au I lui soit remise sur le lieu de vente.»

9.        L’article L. 311‑8 du code de la consommation, qui se rapporte au devoir d’explication précontractuel, prévoit:

«Le prêteur ou l’intermédiaire de crédit fournit à l’emprunteur les explications lui permettant de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière, notamment à partir des informations contenues dans la fiche mentionnée à l’article L. 311‑6. Il attire l’attention de l’emprunteur sur les caractéristiques essentielles du ou des crédits proposés et sur les conséquences que ces crédits peuvent avoir sur sa situation financière, y compris en cas de défaut de paiement. Ces informations sont données, le cas échéant, sur la base des préférences exprimées par l’emprunteur.

[...]»

10.      L’article L. 311‑9 de ce code est libellé comme suit:

«Avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur vérifie la solvabilité de l’emprunteur à partir d’un nombre suffisant d’informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur. Le prêteur consulte le fichier prévu à l’article L. 333‑4, dans les conditions prévues par l’arrêté mentionné à l’article L. 333‑5.»

11.      L’article L. 311‑48, deuxième et troisième alinéas, du code de la consommation prévoit:

«Lorsque le prêteur n’a pas respecté les obligations fixées aux articles L. 311‑8 et L. 311‑9, il est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge. [...]

L’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu, ainsi que, le cas échéant, au paiement des intérêts dont le prêteur n’a pas été déchu. Les sommes perçues au titre des intérêts, qui sont productives d’intérêts au taux de l’intérêt légal à compter du jour de leur versement, sont restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû.»

II – Les faits à l’origine du litige, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

12.      La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre de deux litiges opposant CA Consumer Finance SA (ci-après «CA CF»), d’une part, à Mme Bakkaus et, d’autre part, aux époux Bonato au sujet des demandes de paiement de sommes restant dues sur les prêts que cette société leur avait accordés, augmentées des intérêts, en vue de l’achat de véhicules automobiles.

13.      Saisie de ces litiges et étant précisé que les défendeurs au principal n’ont pas comparu à l’audience, la juridiction de renvoi a soulevé d’office (4), en vue de l’éventuelle déchéance du droit aux intérêts contractuels du prêteur en application de l’article L. 311‑48 du code de la consommation, les moyens tirés, premièrement, d’une absence de justification du contenu de la fiche d’informations précontractuelles devant être remise à l’emprunteur, deuxièmement, d’un défaut de justification de l’accomplissement du devoir d’explication et du manquement du prêteur à son devoir de mise en garde de l’emprunteur dans le cadre du devoir d’explication et, troisièmement, de la non-consultation du fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) dans le cadre de la vérification de la solvabilité. Par ailleurs, dans le litige opposant les époux Bonato à CA CF, cette juridiction a également relevé le défaut de justification de l’accomplissement du devoir de vérification de la solvabilité des emprunteurs.

14.      Estimant que ces litiges soulevaient des questions liées à l’application et à l’interprétation du droit de l’Union, le tribunal d’instance d’Orléans a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)       La directive 2008/48 doit-elle être interprétée en ce sens qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de l’exécution correcte et complète de l’exécution des obligations mises à sa charge lors de la formation et l’exécution d’un contrat de crédit, résultant du droit national transposant la directive?

2)       La directive 2008/48 s’oppose-t-elle à ce que la preuve de l’exécution correcte et complète des obligations incombant au prêteur puisse être rapportée au moyen exclusif d’une clause type figurant dans le contrat de crédit, portant reconnaissance par le consommateur de l’exécution des obligations du prêteur, non corroborée par les documents émis par le prêteur et remis à l’emprunteur?

3)       L’article 8 de la directive 2008/48 doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que la vérification de la solvabilité du consommateur soit effectuée à partir des seules informations déclarées par le consommateur, sans contrôle effectif de ces informations par d’autres éléments?

4)       L’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 doit-il être interprété en ce sens que le prêteur ne peut avoir délivré des explications adéquates au consommateur s’il n’a pas préalablement vérifié sa situation financière et ses besoins?

L’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les explications adéquates fournies au consommateur ne résultent que des informations contractuelles mentionnées dans le contrat de crédit, sans établissement d’un document spécifique?»

15.      Des observations écrites ont été déposées par CA CF, les gouvernements français, allemand et espagnol ainsi que par la Commission européenne.

16.      Les gouvernements français et allemand ainsi que la Commission ont été entendus lors de l’audience qui s’est tenue le 10 juillet 2014.

III – Analyse

A –    Considérations générales sur les obligations précontractuelles découlant de la directive 2008/48 et sur le régime de la preuve de l’exécution desdites obligations

17.      Ayant pour finalité première d’assurer à tous les consommateurs un niveau élevé et équivalent de protection et de créer un véritable marché intérieur (5), la directive 2008/48 impose notamment aux États membres d’adopter des mesures appropriées afin de promouvoir les pratiques dites «responsables» lors de toutes les phases de la relation de prêt et en tenant compte des caractéristiques particulières de leur marché de crédit (6).

18.      L’un des piliers de l’harmonisation découlant de la directive 2008/48 se rapporte ainsi aux obligations précontractuelles qui s’imposent aux prêteurs. Elles se déclinent globalement, d’une part, en une obligation de fournir un certain nombre d’informations et d’explications au consommateur (7), afin que ce dernier soit en mesure d’effectuer un choix éclairé préalablement à son engagement de souscrire un contrat de crédit, et, d’autre part, en une exigence d’évaluation de la solvabilité du consommateur, exigence destinée à responsabiliser tant l’emprunteur que le prêteur dans la décision de souscrire et d’accorder le crédit (8).

19.      En l’occurrence, deux aspects harmonisés par la directive 2008/48 sont précisément mis en cause par les moyens relevés d’office et évoqués par les questions posées par la juridiction de renvoi. Le premier est relatif à l’obligation de fournir des informations et explications visée à l’article 5, paragraphes 1 et 6, de la directive 2008/48. Le second aspect porte sur le devoir de vérification de la solvabilité prescrit à l’article 8 de cette même directive. En droit français, la méconnaissance de ces obligations, imposées par les articles L. 311‑6, L. 311‑8 et L. 311‑9 du code de la consommation, emporte des conséquences non négligeables pour le prêteur défaillant, puisqu’elle est sanctionnée, en application de l’article L. 311‑48 de ce code, disposition qui vise à transposer l’article 23 de ladite directive, par la déchéance, en principe intégrale, du droit du prêteur aux intérêts (9).

20.      Il y a lieu de relever que les dispositions correspondantes de cette directive ont été transposées en droit français par l’adoption de la loi Lagarde du 1er juillet 2010 (10), ce qui permet, en dépit de la formulation des questions préjudicielles, d’écarter toute discussion sur un éventuel effet direct horizontal devant être reconnu à ladite directive.

21.      Il est également à noter que la juridiction de renvoi n’interroge pas la Cour sur la possibilité pour elle d’appliquer d’office les dispositions transposant en droit interne la directive 2008/48. Cela s’explique très certainement tant par le fait que cette possibilité lui est en tout état de cause offerte par le droit national (voir article L. 141‑4 du code de la consommation) que par le rapprochement qui peut incontestablement être fait avec les enseignements de l’arrêt Rampion et Godard (11), qui a reconnu au juge national le pouvoir de soulever d’office certaines dispositions transposant en droit interne des dispositions de la directive 87/102 ayant précédé la directive 2008/48.

22.      La juridiction de renvoi s’interroge, pour l’essentiel, sur la charge et les modalités de preuve de l’exécution des obligations précontractuelles.

23.      Ainsi que je l’exposerai dans les développements qui suivent, si la question de savoir à qui incombe la tâche de prouver que lesdites obligations ont été correctement exécutées me semble découler implicitement de la directive 2008/48 et des objectifs qu’elle poursuit, les modalités de preuve admis à cet égard relèvent en principe, en conformité avec le principe d’autonomie procédurale, du droit national des États membres.

24.      Premièrement, en ce qui concerne la question de savoir à qui incombe d’établir la correcte exécution des obligations précontractuelles, certes, ainsi que l’a justement relevé la juridiction de renvoi, aucune disposition de la directive 2008/48 ne comporte de règles claires et précises relatives à la charge de la preuve de l’exécution des obligations précontractuelles pesant sur les prêteurs. Cette directive ne porte, dès lors, pas en soi atteinte aux régimes de preuve de l’exécution ou de l’inexécution des obligations prévues dans les ordres juridiques nationaux.

25.      Il n’en reste pas moins qu’il découle très logiquement de l’objectif de protection des consommateurs poursuivi par la directive 2008/48 que la charge de la preuve de l’exécution des obligations précontractuelles d’information et de vérification doit en principe peser sur le professionnel prêteur – j’y reviendrai dans l’examen de la première question préjudicielle. De manière générale, il me semble qu’il devrait incomber au débiteur d’une obligation spécifique d’information et de vérification, en l’occurrence au prêteur professionnel, de prouver l’exécution de celle-ci.

26.      Deuxièmement, s’agissant des modalités d’administration de la preuve de l’exécution desdites obligations, il convient, conformément au principe d’autonomie procédurale, de s’en remettre au droit national sous réserve du respect des principes d’effectivité et d’équivalence. En effet, les États membres doivent s’assurer que les modalités de preuve, en premier lieu, ne sont pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne et, en second lieu, ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice par le justiciable des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (12).

27.      Le principe d’équivalence ne fait pas en l’occurrence débat.

28.      Quant au respect du principe d’effectivité, je suis d’avis qu’il n’impose pas une définition précise des modes de preuve pouvant être admis aux fins de démontrer la correcte exécution des obligations du prêteur découlant des mesures portant transposition de la directive 2008/48. Ainsi que la juridiction de renvoi semble l’admettre, l’arrêt Rampion et Godard (EU:C:2007:575) se rapportait à la nécessité, aux fins d’assurer l’effectivité de la protection des consommateurs, d’une «intervention extérieure», c’est-à-dire de consacrer le pouvoir du juge saisi d’appliquer d’office les dispositions portant transposition de la directive 87/102. La juridiction de renvoi est cependant d’avis que l’intervention du juge ne peut garantir l’efficacité du droit de l’Union sans une règle relative à la charge et à l’objet de la preuve. Elle explique que l’existence de manquements éventuels dépend le plus souvent des pièces produites au débat.

29.      Cette argumentation ne me semble pas totalement convaincante.

30.      Tout d’abord, ce serait, à mon sens, franchir un pas supplémentaire que de considérer que la protection des consommateurs exige une «règle» relative à la charge et à l’objet de la preuve des obligations découlant de la directive 2008/48. La consécration d’une telle règle ferait courir le risque de consacrer un système de preuve légale, qui écarterait tout principe de liberté probatoire et ce qui n’est pas sans danger sous l’angle de l’effectivité de la protection juridictionnelle.

31.      Ensuite, cette considération omet le fait que le juge, à partir du moment où il s’interroge sur l’existence de manquements éventuels aux obligations précontractuelles prévues par la directive 2008/48, est en mesure de, voire doit, mettre en œuvre tous les moyens procéduraux nécessaires en vue d’établir que lesdites obligations ont été correctement exécutées (13). À l’instar de ce que la Cour a d’ores et déjà indiqué, s’agissant de l’appréciation d’office du caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un prêteur professionnel et compte tenu de l’analogie qui peut, ainsi que la Cour l’a fait dans l’arrêt Rampion et Godard (EU:C:2007:575), être effectuée avec le niveau de protection conféré par les différentes directives relatives à la protection des consommateurs, le juge doit, le cas échéant, prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si les devoirs de vérification et d’information précontractuels qui incombent au prêteur ont été correctement exécutés.

32.      C’est à la lumière de l’ensemble de ces considérations que j’examinerai chacune des questions préjudicielles.

B –    Sur la première question, relative à la charge de la preuve de la correcte exécution des obligations précontractuelles du prêteur consacrées par la directive 2008/48

33.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si la directive 2008/48 doit être interprétée en ce sens qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de l’exécution correcte et complète des obligations, découlant des dispositions nationales portant transposition de ladite directive, mises à sa charge lors de la formation et de l’exécution d’un contrat de crédit.

34.      Je suis d’avis que l’effectivité de l’exercice des droits conférés par la directive 2008/48 ne s’oppose pas à une règle nationale (14), telle que celle consacrée en droit français, qui fait peser sur le prêteur la charge de la preuve de l’exécution correcte des obligations d’information précontractuelles.

35.      L’on peut bien au contraire, dans le prolongement de ce que j’ai évoqué à titre liminaire, estimer qu’il découle très logiquement de l’objectif de protection des consommateurs poursuivi par la directive 2008/48 que la charge de la preuve de l’exécution des obligations précontractuelles d’information et de vérification prévues par cette directive doit en principe peser sur le professionnel prêteur. Le prêteur peut être tenu de justifier devant le juge de la bonne exécution de ces obligations précontractuelles, ce qui, ainsi que le gouvernement français l’a mentionné, implique que le prêteur fasse preuve d’une certaine diligence dans la collecte et la conservation des preuves de l’exécution des obligations d’information et d’explication lui incombant.

36.      Cela implique concrètement que le juge national, saisi de la question de savoir si l’exécution des diverses obligations d’information et de vérification précontractuelles prévues par la directive 2008/48 ont été pleinement et correctement exécutées, devra, s’il estime que les pièces produites devant lui sont insuffisantes, s’adresser au prêteur professionnel afin que ce dernier soit en mesure d’apporter les éléments jugés manquants.

37.      Cela étant, si, pour assurer l’effectivité de la directive 2008/48, le prêteur doit faire preuve de diligence pour constituer des preuves de l’exécution de ses obligations précontractuelles, il ne saurait être exigé de lui qu’il produise des documents que, par définition, seul l’emprunteur détient, tels que les informations qu’il est censé avoir communiquées, sur support papier ou sur tout autre support durable, au consommateur en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/48.

38.      En conséquence, je suis d’avis que la règle, qui prévaut en droit français, selon laquelle c’est en principe le prêteur qui a la charge de la preuve de l’exécution des obligations précontractuelles visées aux articles 5 à 8 de la directive 2008/48, non seulement ne me semble pas compromettre la protection des consommateurs garantie par cette directive, mais me paraît pleinement conforme à l’effectivité de celle-ci.

39.      Il découle de ces considérations qu’il convient d’apporter une réponse affirmative à la première question préjudicielle et de considérer que la directive 2008/48 doit être interprétée en ce sens qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de l’exécution correcte et complète des obligations mises à sa charge lors de la formation et de l’exécution d’un contrat de crédit.

C –    Sur la deuxième question, relative à la preuve de l’exécution des obligations précontractuelles du prêteur par l’insertion d’une clause type

40.      Par sa deuxième question, le juge a quo interroge la Cour sur le point de savoir si l’insertion d’une clause type, non corroborée par des documents émis par le prêteur et remis à l’emprunteur, peut suffire à prouver la correcte exécution des obligations précontractuelles d’information et de vérification incombant au prêteur.

41.      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le contrat de crédit auquel a souscrit l’une des parties défenderesses au principal, à savoir Mme Bakkaus, comportait une clause standardisée par laquelle celle-ci reconnaissait «avoir reçu et pris connaissance de la fiche d’informations européenne normalisée». La juridiction de renvoi se demande si une telle clause, en plus d’établir la remise à l’emprunteur d’une fiche d’informations précontractuelles, peut également prouver que le contenu même des informations précontractuelles délivrées est conforme aux exigences de la directive 2008/48. Elle se réfère en particulier à l’article 22 de cette directive 2008/48 qui oblige les États membres à veiller, d’une part, à ce que les consommateurs ne puissent renoncer aux droits qu’ils tirent des dispositions nationales de transposition de ladite directive et, d’autre part, à ce que ces dispositions ne puissent être contournées au moyen du libellé des contrats.

42.      Je suis d’avis qu’il convient d’apporter une réponse nuancée à cette dernière question.

43.      Certes, il ressort de l’article 5, paragraphe 1, dernière phrase, de le directive 2008/48 que «[l]e prêteur est réputé avoir respecté les exigences en matière d’information prévues par le présent paragraphe […] s’il a fourni les ‘informations européennes normalisées en matière de crédit aux consommateurs’» qui figurent à l’annexe II. L’insertion d’une clause portant confirmation de la réception de la fiche d’informations européenne standardisée atteste ainsi de l’accomplissement d’un acte qui, si et seulement si il s’avérait conforme aux exigences découlant de l’annexe II de cette directive, confirmerait que le prêteur a rempli ses obligations d’information précontractuelles.

44.      En revanche, je suis d’avis que la clause dont il est ici question ne peut aucunement s’analyser comme une clause emportant reconnaissance par le consommateur emprunteur de la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au professionnel prêteur et, partant, renversement de la charge de la preuve de l’exécution desdites obligations de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la directive 2008/48.

45.      Par cette clause, l’emprunteur atteste simplement de l’exécution d’un fait (la remise de la fiche dite d’informations européenne normalisée) et non de la pleine et correcte exécution d’une obligation (à savoir une fiche d’informations normalisée remplissant les exigences découlant de la directive 2008/48). En d’autres termes, et contrairement à la configuration en cause dans l’arrêt Rampion et Godard (EU:C:2007:575), l’insertion d’une clause type telle que celle visée dans l’affaire au principal n’a pas pour effet d’évincer les dispositions impératives de transposition de ladite directive. Il me semble donc qu’une telle clause, en tant que modalité de preuve de l’exécution d’une obligation, n’est pas en soi contraire à l’article 22 de la directive 2008/48, qui vise à proscrire l’emploi de clauses contractuelles portant contournement des obligations découlant de cette directive ou renonciation des droits que les consommateurs tirent directement ou indirectement de celle-ci.

46.      Il n’en reste pas moins que la reconnaissance par le consommateur de ce qu’il a bel et bien reçu ladite fiche peut laisser présumer, en l’absence de contestations ou d’éléments contraires, que le consommateur a été informé préalablement à la conclusion du contrat de crédit. Il s’agit toutefois d’une présomption simple pleinement conforme au principe d’effectivité. Le consommateur est en effet toujours en mesure de faire valoir qu’il n’a pas reçu le document ou que celui-ci ne satisfait pas aux obligations d’information précontractuelles qui incombent au prêteur. L’insertion d’une clause type ne devrait, à mon sens, être proscrite que si elle venait à compromettre la possibilité, tant pour le consommateur que pour le juge, de mettre en cause la correcte exécution des obligations d’information et de vérification précontractuelles à la charge du prêteur.

47.      En outre, ainsi que l’a notamment souligné CA CF dans ses observations écrites, sauf à exiger l’intervention d’un tiers, en l’absence de clause portant reconnaissance de ce que la fiche d’informations précontractuelles a été remise au consommateur, il apparaît difficile pour le prêteur de prouver qu’il a correctement satisfait à son devoir d’information et qu’il a effectivement remis à l’emprunteur le document d’information et d’établir son contenu.

48.      Compte tenu de ces considérations, il est proposé de répondre à la deuxième question que la directive 2008/48 ne s’oppose pas à l’insertion d’une clause type aux termes de laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu la fiche d’informations européenne normalisée. Une telle clause n’emporte pas pour autant nécessairement preuve de l’exécution correcte et complète des obligations découlant de cette directive.

D –    Sur la troisième question, relative à la portée de l’obligation de vérification par le prêteur de la solvabilité du consommateur

49.      La troisième question préjudicielle pose la question de savoir dans quelle mesure le professionnel prêteur est tenu, dans le cadre de la vérification de la solvabilité du consommateur préalablement à la conclusion du contrat de crédit, de contrôler la véracité des déclarations effectuées par le consommateur.

50.      Il convient, à mon sens, d’y apporter là encore une réponse nuancée.

51.      Tout d’abord, il est délicat de savoir dans quelle mesure CA CF s’est fondée, ainsi qu’elle le prétend, sur des pièces justificatives des revenus et de la capacité financière des défendeurs ou si elle s’est limitée à s’appuyer, pour conclure à la solvabilité de ceux-ci, sur les simples affirmations non étayées de ceux-ci (15).

52.      Ensuite, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 26 de la directive 2008/48, l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/48 a pour objectif l’octroi de contrat de crédit de façon responsable, ce qui implique, en particulier que «les prêteurs devraient avoir la responsabilité de vérifier la solvabilité de chaque consommateur au cas par cas» (16). Cet objectif implique que le prêteur s’assure de la solvabilité du candidat au contrat de crédit par la ou les méthodes qu’il jugera les plus adéquates. Cette vérification peut se faire au moyen des pièces justificatives de sa situation financière, telles que des fiches de rémunération, extraits et historiques de comptes bancaires et avis d’imposition, mais pas uniquement. Il ne saurait, par exemple, être exclu que le prêteur, qui entretient une relation commerciale de longue date avec certains clients, ait déjà une connaissance préalable de la situation financière du candidat au prêt.

53.      En revanche, il me semble que la directive 2008/48 n’impose pas aux établissements de crédit de contrôler systématiquement la sincérité des informations, attestant des revenus et dépenses du consommateur, fournies par ce dernier. Ainsi que cela ressort clairement du libellé de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/48, il est uniquement exigé du prêteur qu’il vérifie la solvabilité de l’emprunteur «à partir d’un nombre suffisant d’informations, fournies, le cas échéant, par ce dernier et, si nécessaire, en consultant la base de données appropriée». Comme l’a, à mon avis, très justement relevé le gouvernement allemand dans ses observations écrites, cette formulation souligne la marge d’appréciation accordée au prêteur pour décider si les informations dont il dispose sont suffisantes pour attester de la solvabilité du candidat au prêt.

54.      Cette analyse trouve un certain appui dans le fait que la proposition (17) qui visait à imposer au prêteur de s’assurer de la solvabilité de l’emprunteur préalablement à la conclusion du contrat de crédit «par tout moyen à sa disposition» (18) n’a, en définitive, pas été retenue, dans la directive 2008/48.

55.      Sans préjudice de la possibilité pour les États membres de donner aux prêteurs des instructions et des lignes directrices (voir considérant 26 de la directive 2008/48), il incombe dès lors seul au prêteur de s’assurer qu’il dispose «d’un nombre suffisant d’informations». Le caractère suffisant desdites informations variera nécessairement selon les circonstances de la conclusion du contrat de crédit ou le montant qu’il vise. En revanche, il ne saurait lui être reproché, après avoir recueilli un nombre suffisant d’informations attestant de la solvabilité de l’emprunteur, de ne pas avoir procédé à un contrôle de l’exactitude ou de la véracité desdites informations.

56.      Il importe à cet égard de souligner que la vérification de la solvabilité constitue une garantie tant pour le consommateur (en ce qu’elle prévient celui-ci contre un engagement auquel il ne sera foncièrement pas en mesure de répondre) que pour le professionnel prêteur (qui encourt le risque de ne pas voir honorer les remboursements convenus).

57.      Cette vérification de solvabilité, qui présente un intérêt pour les deux parties au contrat de crédit, repose sur des devoirs réciproques. D’un côté, le prêteur doit recueillir un nombre suffisant d’informations attestant de la capacité contributive du consommateur. De l’autre côté, le consommateur doit collaborer loyalement et est présumé de bonne foi dans la délivrance des documents sollicités (19).

58.      Si le prêteur, amené à douter de la sincérité de l’emprunteur, peut éventuellement procéder à des investigations plus ou moins poussées en vue de s’assurer de la véracité des documents fournis par le demandeur de prêt, il n’est nullement tenu de le faire dans tous les cas. Il peut se limiter à constater que, eu égard à la documentation qui lui a été fournie, le consommateur doit être considéré comme étant solvable.

59.      Toute autre approche risquerait de restreindre sensiblement les conditions d’octroi des prêts à la consommation et, par conséquent, de remettre en cause la création d’un marché commun de crédit que, je le rappelle, la directive 2008/48 a également pour but de créer (20).

60.      Il résulte de ces considérations que l’article 8 de la directive 2008/48 impose au prêteur de vérifier la solvabilité du consommateur en se fondant sur un nombre suffisant d’informations et en ne se limitant pas aux simples déclarations non étayées du consommateur. En revanche, cette disposition n’impose pas au professionnel prêteur de procéder à la vérification systématique de la sincérité des informations fournies par le consommateur pour attester de leur véracité.

E –    Sur la quatrième question, relative à la portée du devoir d’explication et d’assistance du prêteur à l’égard du consommateur en vertu de l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48

61.      Cette question, qui porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48, est divisée en deux branches.

62.      La première branche de la question concerne le point de savoir si l’accomplissement de l’obligation pour le prêteur de délivrer des explications adéquates au consommateur doit être précédé d’une vérification de la situation financière du consommateur et de ses besoins.

63.      Là encore, une lecture littérale des dispositions combinées de l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48, qui se réfère aux explications relatives au contrat de crédit proposé et à son adéquation aux besoins du consommateur, et de l’article 8, paragraphe 1, de cette même directive, qui porte sur la vérification de la solvabilité, m’amène à répondre par la négative.

64.      Ainsi que cela ressort des termes employés au considérant 27 de la directive 2008/48, l’obligation de délivrance d’explications adéquates visée à l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 a pour objet de permettre au consommateur de souscrire à un type de contrat de prêt en toute connaissance de cause. Il s’agit en effet de fournir aux consommateurs «une aide supplémentaire pour déterminer quel est le contrat de crédit, parmi l’éventail des produits proposés, qui correspond le mieux à ses besoins et à sa situation financière», ce qui peut nécessiter «une explication personnalisée au consommateur de manière à ce que celui-ci puisse comprendre l’impact que ces produits peuvent avoir sur sa situation économique». L’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 ne fait pas mention, dans le cadre du devoir d’explication incombant au préteur, d’une obligation de celui-ci de vérifier la situation financière de l’emprunteur et, encore moins, de vérifier la solvabilité de ce dernier.

65.      À ce stade, ainsi que l’a mentionné CA CF, il ne s’agit pas de procéder à une évaluation de la solvabilité, dont la directive 2008/48 ne traite qu’à l’article 8, étant précisé que la vérification de l’adaptation du crédit aux besoins et à la situation financière de l’emprunteur incombe personnellement à ce dernier (le prêteur fournit des «explications adéquates grâce auxquelles celui-ci sera en mesure de déterminer si le crédit est adapté» (21)), alors que l’examen de la solvabilité est une initiative qu’il revient au prêteur d’accomplir.

66.      Cette interprétation me semble d’ailleurs confortée par l’exposé des motifs de la proposition de directive (22), qui, s’agissant de l’information préalable du consommateur, indique que «[l]e prêteur et, le cas échéant, l’intermédiaire de crédit ne peuvent demander au consommateur et au garant que des informations qui, aux termes de l’article 6 de la directive 95/46/CE, sont adéquates, pertinentes et ne sont pas excessives au regard de l’objet pour lequel elles sont collectées et traitées. Le consommateur et le garant sont tenus de répondre de bonne foi aux questions précises posées par le prêteur et, le cas échéant, par l’intermédiaire de crédit».

67.      Il en découle que l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens qu’il n’oblige pas le professionnel prêteur à vérifier, préalablement à l’accomplissement des devoirs d’explication et d’assistance, la solvabilité du consommateur.

68.      Quant à la seconde branche de la question, elle se rapporte au stade auquel les informations précontractuelles doivent avoir été fournies et si, le cas échéant, elles doivent avoir été fournies dans un document spécifique.

69.      En premier lieu, s’agissant du stade auquel tant les informations que les explications visées à l’article 5, paragraphes 1 et 6, de la directive 2008/48 doivent avoir été fournies, il suffit, me semble-t-il, de relever que ces dispositions se rapportent à des obligations «précontractuelles», ce qui suppose que le consommateur ait été en mesure de prendre connaissance desdites informations préalablement à la conclusion du contrat. Il me semble que cette exigence peut être satisfaite par l’insertion de mentions dans le projet de contrat de crédit lui-même à partir du moment où le consommateur s’est vu remettre et a été en mesure de prendre connaissance de celui-ci préalablement à sa signature.

70.      En second lieu, s’agissant des modalités d’accomplissement de l’obligation d’explications adéquates découlant de l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48, cette disposition n’exige aucun formalisme particulier dans la délivrance des explications que le prêteur professionnel doit fournir au consommateur préalablement à la conclusion d’un contrat de crédit. Cela ne préjuge toutefois pas, là encore, en vertu du principe d’autonomie procédurale, de la possibilité pour les États membres de définir les modalités d’accomplissement du devoir d’explication visé à l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48.

71.      Il en découle que la preuve de l’exécution effective de telles obligations, qui doit être adaptée à chaque cas (voir considérant 27 et article 5 de la directive 2008/48), n’exige pas nécessairement la production d’un formulaire ou d’un écrit spécifique.

72.      Il s’agit d’un examen au cas par cas, ainsi qu’il ressort du considérant 27 de la directive 2008/48 qui renvoie aux États membres le soin de déterminer quand et dans quelle mesure les explications doivent avoir été fournies au consommateur, «compte tenu du contexte particulier dans lequel le crédit est offert, de la nécessité d’aider le consommateur et de la nature de chaque produit de crédit».

73.      Il découle de ce qui précède que l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 n’impose pas au prêteur professionnel l’établissement d’un document spécifique faisant état des explications qu’il a fournies préalablement à la conclusion du contrat de crédit.

74.      Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, il est proposé de répondre à la quatrième question que l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens que, d’une part, le prêteur n’est pas tenu de vérifier la situation financière de l’emprunteur ou ses besoins avant de lui délivrer des explications adéquates et, d’autre part, que les explications adéquates que le prêteur doit fournir ne sauraient résulter des informations contractuelles figurant dans le contrat de crédit. Cependant, le prêteur n’est pas tenu de remettre à l’emprunteur un document écrit distinct du contrat de crédit pour lui fournir des explications adéquates.

IV – Conclusion

75.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose de répondre aux questions posées par le tribunal d’instance d’Orléans (France) dans les termes suivants:

«1)       La directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doit être interprétée en ce sens qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de l’exécution correcte et complète des obligations mises à sa charge lors de la formation et de l’exécution d’un contrat de crédit.

2)       La directive 2008/48 ne s’oppose pas à l’insertion d’une clause type aux termes de laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu la fiche d’informations européenne normalisée. Une telle clause type n’emporte pas pour autant nécessairement preuve de l’exécution correcte et complète des obligations découlant de cette directive.

3)       L’article 8 de la directive 2008/48 impose au prêteur de vérifier la solvabilité du consommateur en se fondant sur un nombre suffisant d’informations et en ne se limitant pas aux simples déclarations non étayées du consommateur. En revanche, cette disposition n’impose pas au professionnel prêteur de procéder à la vérification systématique de la sincérité des informations fournies par le consommateur pour attester de leur véracité.

4)       L’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens qu’il n’oblige pas le professionnel prêteur à vérifier, préalablement à l’accomplissement des devoirs d’explication et d’assistance, la solvabilité du consommateur.

L’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens que, d’une part, le prêteur n’est pas tenu de vérifier la situation financière de l’emprunteur ou ses besoins avant de lui délivrer des explications adéquates et, d’autre part, que les explications adéquates que le prêteur doit fournir ne sauraient résulter des informations contractuelles figurant dans le contrat de crédit. Cependant, le prêteur n’est pas tenu de remettre à l’emprunteur un document écrit distinct du contrat de crédit pour lui fournir des explications adéquates.»


1 –      Langue originale: le français.


2 –      Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO L 133, p. 66, et rectificatifs JO 2009, L 207, p. 14, JO 2010, L 199, p. 40, et JO 2011, L 234, p. 46).


3 –      JORF du 2 juillet 2010, p. 12001.


4 –      Selon l’article L. 141‑4 du code de la consommation, le juge peut soulever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application.


5 –      Voir considérant 9 de la directive 2008/48, aux termes duquel «[u]ne harmonisation complète est nécessaire pour assurer à tous les consommateurs de la Communauté un niveau élevé et équivalent de protection de leurs intérêts et pour créer un véritable marché intérieur».


6 –      Voir considérant 26 de ladite directive.


7 –      Articles 5 et 6 de ladite directive.


8 –      Article 8 de la directive.


9 –      Dans l’arrêt LCL Le Crédit Lyonnais (C‑565/12, EU:C:2014:190, points 46 à 54), la Cour a apporté des précisions importantes pour déterminer dans quelle mesure le régime national était conforme à l’article 23 de la directive 2008/48.


10 –      Voir points 7 à 11 des présentes conclusions.


11 –      C‑429/05, EU:C:2007:575 (point 69).


12 –      Voir, en ce sens, arrêts Arcor (C‑55/06, EU:C:2008:244, point 191 et jurisprudence citée), et Steffensen (C‑276/01, EU:C:2003:228, points 62 et 63).


13 –      Voir, en ce sens, arrêt VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659, point 56).


14 –      Il découle en effet de l’article 1315 du code civil français que celui qui se prétend libéré d’une obligation doit l’établir.


15 –      Si, dans l’affaire visant Mme Bakkaus, CA CF a produit devant le juge national une fiche de revenus et de charges signée par elle et accompagnée de pièces justificatives, tel ne semble pas être le cas dans l’affaire visant les époux Bonato.


16 –      Soulignement ajouté par mes soins.


17 –      Voir article 9 de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, relative à l’harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit aux consommateurs [COM(2002) 443 final] (JO 2002, C 331 E, p. 200).


18 –      Sur ce point, les exigences découlant de la directive 2008/48 divergent sensiblement de celles récemment énoncées dans la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) no 1093/2010 (JO L 60, p. 34). Le considérant 22 de cette dernière directive précise à cet égard: «il conviendrait de prévoir des dispositions plus strictes, pour l’évaluation de la solvabilité de l’emprunteur, qu’en matière de crédits aux consommateurs, d’exiger des intermédiaires de crédit des informations plus précises sur leur statut et les relations qu’ils entretiennent avec le prêteur, afin de pouvoir déceler tout conflit d’intérêts potentiel, et de veiller à ce que tous les acteurs participant à l’octroi de contrats de crédit relatifs à des biens immobiliers soient dûment admis et surveillés». 


19 –      Ces exigences de bonne foi et de prudence sont évoquées dans la proposition citée à la note 17.


20 –      Voir considérant 9 de la directive 2008/48 et, en ce sens, arrêt Rampion et Godard (EU:C:2007:575, point 59).


21 –      Soulignement ajouté par mes soins.


22 –      Voir proposition citée à la note 17.