Language of document : ECLI:EU:C:2014:2233

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

18 septembre 2014 (*)

«Marques – Directive 89/104/CEE – Article 3, paragraphe 1, sous e) – Refus ou nullité d’enregistrement – Marque tridimensionnelle – Chaise d’enfant réglable ‘Tripp Trapp’ – Signe constitué exclusivement par la forme imposée par la nature du produit – Signe constitué par la forme qui donne une valeur substantielle au produit»

Dans l’affaire C‑205/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décision du 12 avril 2013, parvenue à la Cour le 18 avril 2013, dans la procédure

Hauck GmbH & Co. KG

contre

Stokke A/S,

Stokke Nederland BV,

Peter Opsvik,

Peter Opsvik A/S,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis (rapporteur), J.‑C. Bonichot et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. M. Szpunar,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 février 2014,

considérant les observations présentées:

–        pour Hauck GmbH & Co. KG, par Mes S. Klos, A. A. Quaedvlieg et S. A. Hoogcarspel, advocaten,

–        pour Stokke A/S, Stokke Nederland BV, Peter Opsvik et Peter Opsvik A/S, par Mes T. Cohen Jehoram et R. Sjoerdsma, advocaten,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. M. Salvatorelli, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna ainsi que par Mmes B. Czech et J. Fałdyga, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et R. Solnado Cruz, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. M. Holt, en qualité d’agent, et M. N. Saunders, barrister,

–        pour la Commission européenne, par MM. F. W. Bulst et F. Wilman, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 mai 2014,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la «directive sur les marques»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Hauck GmbH & Co. KG, société de droit allemand (ci‑après «Hauck»), à Stokke A/S, à Stokke Nederland BV, à Peter Opsvik et à Peter Opsvik A/S (ci-après, ensemble, «Stokke e.a.») au sujet d’une demande d’annulation de la marque Benelux d’un signe ayant la forme d’une chaise d’enfant commercialisée par Stokke e.a.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Sous le titre «Motifs de refus ou de nullité», l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques dispose:

«Sont refusés à l’enregistrement ou susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés:

[...]

e)      les signes constitués exclusivement:

–        par la forme imposée par la nature même du produit,

–        par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique,

–        par la forme qui donne une valeur substantielle au produit».

 La convention Benelux

4        L’article 2.1, paragraphe 2, de la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles), signée à La Haye le 25 février 2005 et entrée en vigueur le 1er septembre 2006, prévoit:

«Signes susceptibles de constituer une marque Benelux:

[...]

2.      Toutefois, ne peuvent être considérés comme marques les signes constitués exclusivement par la forme qui est imposée par la nature même du produit, qui donne une valeur substantielle au produit ou qui est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

5        M. Opsvik a développé une chaise pour enfants dénommée «Tripp Trapp». Cette chaise est constituée de montants en biais sur lesquels sont fixés tous les éléments de la chaise ainsi que des montants et des longerons en forme de «L», qui lui confèrent, selon la juridiction de renvoi, un haut niveau d’originalité. Le design de cette chaise a été primé à diverses reprises, a fait l’objet de mentions élogieuses et a été présenté dans des musées. À partir de l’année 1972, les chaises «Tripp Trapp» ont été mises sur le marché par Stokke e.a., surtout sur le marché scandinave et, depuis l’année 1995, sur le marché néerlandais.

6        Hauck fabrique, distribue et vend des articles pour enfants, parmi lesquels deux chaises qu’elle désigne comme «Alpha» et «Beta».

7        Le 8 mai 1998, Stokke A/S a déposé auprès de l’Office Benelux de la propriété intellectuelle une demande d’enregistrement pour une marque tridimensionnelle ayant l’aspect de la chaise pour enfant «Tripp Trapp». La marque a été enregistrée à son nom pour des «chaises, et notamment des chaises pour enfants» et concerne la forme représentée ci‑dessous:

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8        En Allemagne, dans le cadre d’une autre procédure opposant Stokke e.a. à Hauck, l’Oberlandesgericht Hamburg a, par arrêt passé en force de chose jugée, admis que la chaise «Tripp Trapp» jouissait d’une protection au titre du droit d’auteur allemand et que la chaise «Alpha» enfreignait cette protection.

9        Aux Pays‑Bas, Stokke e.a. ont formé un recours devant le Rechtbank ’s‑Gravenhage soutenant que la fabrication et la commercialisation par Hauck des chaises «Alpha» et «Beta» enfreignaient les droits d’auteur découlant de la chaise «Tripp Trapp» ainsi que sa marque Benelux et ont demandé des dommages et intérêts pour une telle infraction. Hauck, en défense, a formé une demande reconventionnelle d’annulation de la marque Benelux Tripp Trapp déposée par Stokke A/S.

10      Le Rechtbank ’s‑Gravenhage a largement fait droit aux demandes de Stokke e.a. dans la mesure où celles-ci étaient fondées sur leurs droits d’exploitation. Toutefois, il a fait droit à la demande d’annulation de ladite marque.

11      Hauck a interjeté appel de cette décision devant le Gerechtshof te’s‑Gravenhage (Pays-Bas). Dans son arrêt, celui-ci a considéré que la chaise «Tripp Trapp» faisait l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur et que les chaises «Alpha» et «Beta» relevaient de l’étendue de cette protection. Le Gerechtshof te’s‑Gravenhage a donc conclu que, entre les années 1986 et 1999, Hauck avait enfreint les droits d’auteur de Stokke e.a.

12      Le Gerechtshof te’s‑Gravenhage a estimé, toutefois, que l’aspect attrayant de la chaise «Tripp Trapp» donne une valeur substantielle au produit en cause et que sa forme est déterminée par la nature même du produit à savoir une chaise pour enfants sûre, confortable et de qualité. Ainsi, selon le Gerechtshof te’s‑Gravenhage, la marque litigieuse est un signe exclusivement constitué d’une forme répondant aux motifs de refus ou de nullité prévus à l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier et troisième tirets, de la directive sur les marques. Cette juridiction a dès lors jugé que c’était à bon droit que le Rechtbank ’s‑Gravenhage avait annulé ladite marque tridimensionnelle.

13      Devant le Hoge Raad der Nederlanden, Hauck a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt du Gerechtshof te’s‑Gravenhage et Stokke e.a. ont introduit un pourvoi incident dans le cadre de cette procédure. Le Hoge Raad der Nederlanden a rejeté le pourvoi en cassation, mais considère que le pourvoi incident implique l’interprétation des dispositions de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques, lesquelles, jusqu’à présent, n’ont pas trouvé de réponse dans la jurisprudence de la Cour.

14      Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      a)     La forme dont il s’agit dans le motif de refus ou de nullité de l’article 3, paragraphe 1, sous e), [premier tiret, de la directive sur les marques], à savoir que les marques [tridimensionnelles] ne peuvent pas être exclusivement constituées par la forme imposée par la nature même du produit, est-elle une forme qui est indispensable à la fonction du produit, ou en est-il déjà question en cas de présence d’une ou de plusieurs caractéristiques d’utilisation essentielles d’un produit que le consommateur peut éventuellement chercher dans les produits des concurrents?

b)      Si aucune de ces deux branches de l’alternative n’est la bonne, comment cette disposition doit-elle être interprétée?

2)      a)     Ce dont il est question dans le motif de refus ou de nullité de l’article 3, paragraphe 1, sous e), [troisième tiret, de la directive sur les marques], à savoir que les marques [tridimensionnelles] ne peuvent pas être exclusivement constituées par la forme qui donne une valeur substantielle au produit, est-ce du motif (ou des motifs) de décision d’achat du public à prendre en considération?

b)      N’est-il question d’une ‘forme qui donne une valeur substantielle au produit’ au sens de la disposition précitée que si cette forme doit être considérée comme la valeur principale ou prépondérante par comparaison avec d’autres valeurs (telles que, s’agissant des chaises pour enfants, la sécurité, le confort et la qualité du matériel), ou peut-il en être question également si, en dehors de cette valeur, il existe d’autres valeurs de ce produit qui doivent également être considérées comme substantielles?

c)      Pour répondre à la deuxième question, sous a) et b), faut-il considérer comme un élément déterminant la perception de la majorité du public à prendre en considération, ou le juge peut-il estimer que la perception d’une partie du public suffit déjà pour considérer la valeur en cause comme ‘substantielle’ au sens de la disposition précitée?

d)      S’il doit être répondu à la deuxième question, sous c), en ce dernier sens, quelle exigence convient-il d’imposer à l’étendue de la partie en cause du public?

3)      L’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive [sur les marques], doit-il être interprété en ce sens que le motif d’exclusion visé [au point] e) de cet article existe également si la marque [tridimensionnelle] est constituée d’un signe auquel s’applique ce qui y est [prévu au premier tiret] et qui pour le reste satisfait à ce qui y est [prévu au troisième tiret]?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

15      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive sur les marques doit être interprété en ce sens que le motif de refus d’enregistrement prévu à cette disposition peut s’appliquer uniquement à un signe exclusivement constitué par la forme indispensable à la fonction du produit ou également à un signe exclusivement constitué par une forme présentant une ou plusieurs caractéristiques d’utilisation essentielles de ce produit, que le consommateur peut éventuellement rechercher dans les produits des concurrents.

16      Selon cette disposition, les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature même du produit sont refusés à l’enregistrement ou susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés.

17      La Cour a déjà jugé qu’il convient d’interpréter les différents motifs de refus d’enregistrement énumérés à l’article 3 de la directive sur les marques à la lumière de l’intérêt général qui sous-tend chacun d’entre eux (voir, en ce sens, arrêts Windsurfing Chiemsee, C‑108/97 et C‑109/97, EU:C:1999:230, points 25 à 27, ainsi que Philips, C‑299/99, EU:C:2002:377, point 77).

18      À cet égard, s’agissant du deuxième tiret de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques, la Cour a affirmé que la ratio des motifs de refus d’enregistrement prévus à cette disposition consiste à éviter que la protection du droit des marques aboutisse à conférer à son titulaire un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit, susceptibles d’être recherchées par l’utilisateur dans les produits des concurrents [arrêt Philips, EU:C:2002:377, point 78, et, s’agissant de l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), disposition qui est en substance identique à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques, arrêt Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 43].

19      L’objectif immédiat de l’interdiction d’enregistrer les formes purement fonctionnelles prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous e), deuxième tiret, de la directive sur les marques ou qui donnent une valeur substantielle au produit, au sens du troisième tiret de cette disposition, est d’éviter que le droit exclusif et permanent que confère une marque puisse servir à perpétuer, sans limitation dans le temps, d’autres droits que le législateur de l’Union a voulu soumettre à des délais de péremption (voir, en ce sens, arrêt Lego Juris/OHMI, EU:C:2010:516, point 45).

20      Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 28 et 54 de ses conclusions, il importe de constater que le motif de refus d’enregistrement prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive sur les marques poursuit le même objectif que celui poursuivi par les deuxième et troisième tirets de cette disposition et que, par conséquent, ce premier tiret doit recevoir une interprétation concordante.

21      Par conséquent, une application correcte de l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive sur les marques implique que les caractéristiques essentielles du signe concerné, à savoir les éléments les plus importants de celui-ci, soient dûment identifiées au cas par cas, en se basant sur l’impression globale dégagée par le signe ou sur un examen successif de chacun des éléments constitutifs de ce signe (voir, en ce sens, arrêt Lego Juris/OHMI, EU:C:2010:516, points 68 à 70).

22      À cet égard, il y a lieu de souligner que le motif de refus d’enregistrement de l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive sur les marques ne saurait s’appliquer lorsque la demande d’enregistrement en tant que marque porte sur une forme de produit dans laquelle un autre élément, tel qu’un élément ornemental ou fantaisiste, qui n’est pas inhérent à la fonction générique du produit, joue un rôle important ou essentiel (voir, en ce sens, arrêt Lego Juris/OHMI, EU:C:2010:516, points 52 et 72).

23      Ainsi, une interprétation du premier tiret de ladite disposition, selon laquelle celui-ci s’appliquerait uniquement à des signes exclusivement constitués par des formes indispensables à la fonction du produit concerné, ne laissant au producteur concerné aucune latitude pour un apport personnel essentiel, ne permettrait pas au motif de refus, qui y est prévu, de remplir pleinement son objectif.

24      En effet, une telle interprétation aboutirait à limiter ce motif de refus aux produits dits «naturels», qui n’ont pas de substitut, ou aux produits dits «réglementés», dont la forme est prescrite par des normes, alors même que les signes constitués par les formes découlant de tels produits ne pourraient, en tout état de cause, être enregistrés du fait de leur manque de caractère distinctif.

25      Au contraire, dans l’application du motif de refus énoncé à l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive sur les marques, il y a lieu de tenir compte du fait que la notion de «forme imposée par la nature même du produit» implique que les formes dont les caractéristiques essentielles sont inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit doivent, en principe, également être refusées à l’enregistrement.

26      Ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué au point 58 de ses conclusions, réserver de telles caractéristiques à un seul opérateur économique ferait obstacle à ce que des entreprises concurrentes puissent attribuer à leurs produits une forme qui serait utile pour l’utilisation desdits produits. De surcroît, force est de constater qu’il s’agit de caractéristiques essentielles que le consommateur pourra rechercher dans les produits des concurrents étant donné que ces produits visent à remplir une fonction identique ou similaire.

27      Par conséquent, il convient de répondre à la première question que l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive sur les marques doit être interprété en ce sens que le motif de refus d’enregistrement prévu à cette disposition peut s’appliquer à un signe exclusivement constitué par la forme d’un produit présentant une ou plusieurs caractéristiques d’utilisation essentielles et inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit, que le consommateur peut éventuellement rechercher dans les produits des concurrents.

 Sur la deuxième question

28      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la directive sur les marques doit être interprété en ce sens que le motif de refus d’enregistrement prévu à cette disposition peut s’appliquer à un signe constitué exclusivement par la forme d’un produit ayant plusieurs caractéristiques pouvant lui conférer différentes valeurs substantielles et si, lors de cette appréciation, il convient de tenir compte de la perception de la forme du produit par le public ciblé.

29      Il découle de la décision de renvoi que les doutes émis par le Hoge Raad der Nederlanden en ce qui concerne l’interprétation de ladite disposition trouvent leur origine dans la circonstance que, selon lui, la forme de la chaise «Tripp Trapp» donne une valeur esthétique importante à celle-ci alors que, dans le même temps, ce produit présente d’autres caractéristiques, de sécurité, de confort et de qualité lui conférant des valeurs essentielles à sa fonction.

30      À cet égard, le fait de considérer la forme comme donnant une valeur substantielle au produit n’exclut pas que d’autres caractéristiques du produit puissent conférer également une valeur importante à celui-ci.

31      Ainsi, l’objectif d’éviter que le droit exclusif et permanent que confère une marque puisse servir à perpétuer, sans limitation dans le temps, d’autres droits que le législateur de l’Union a voulu soumettre à des délais de péremption exige, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 85 de ses conclusions, que l’application du troisième tiret de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques ne soit pas automatiquement exclue lorsque, en dehors de sa fonction esthétique, le produit concerné assure également d’autres fonctions essentielles.

32      En effet, la notion de «forme qui donne une valeur substantielle au produit» ne saurait être uniquement limitée à la forme de produits ayant exclusivement une valeur artistique ou ornementale, au risque de ne pas couvrir les produits ayant, en sus d’un élément esthétique important, des caractéristiques fonctionnelles essentielles. Dans ce dernier cas, le droit conféré par la marque à son titulaire octroierait un monopole sur les caractéristiques essentielles des produits, ce qui empêcherait ledit motif de refus de remplir pleinement son objectif.

33      En outre, s’agissant de l’incidence du public ciblé, la Cour a relevé que, contrairement à ce qui est le cas dans l’hypothèse visée à l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive sur les marques, où la perception du public ciblé doit impérativement être prise en compte, car elle est essentielle pour déterminer si le signe déposé en vue de l’enregistrement en tant que marque permet de distinguer les produits ou les services concernés comme provenant d’une entreprise déterminée, une telle obligation ne saurait être imposée dans le cadre du paragraphe 1, sous e), dudit article (voir, en ce sens, arrêt Lego Juris/OHMI, EU:C:2010:516, point 75).

34      La perception présumée du signe par le consommateur moyen n’est pas un élément décisif dans le cadre de l’application du motif de refus énoncé au troisième tiret de cette dernière disposition, mais peut, tout au plus, constituer un élément d’appréciation utile pour l’autorité compétente lorsque celle-ci identifie les caractéristiques essentielles du signe (voir, en ce sens, Lego Juris/OHMI, EU:C:2010:516, point 76).

35      À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué au point 93 de ses conclusions, peuvent entrer en ligne de compte d’autres éléments d’appréciation tels que la nature de la catégorie concernée des produits, la valeur artistique de la forme en cause, la spécificité de cette forme par rapport à d’autres formes généralement présentes sur le marché concerné, la différence notable de prix par rapport à des produits similaires ou la mise au point d’une stratégie promotionnelle mettant principalement en avant les caractéristiques esthétiques du produit en cause.

36      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la directive sur les marques doit être interprété en ce sens que le motif de refus d’enregistrement prévu à cette disposition peut s’appliquer à un signe constitué exclusivement par la forme d’un produit ayant plusieurs caractéristiques pouvant lui conférer différentes valeurs substantielles. La perception de la forme du produit par le public ciblé ne constitue qu’un seul des éléments d’appréciation aux fins de déterminer l’applicabilité du motif de refus en cause.

 Sur la troisième question

37      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques doit être interprété en ce sens que les motifs de refus à l’enregistrement énoncés aux premier et troisième tirets de cette disposition peuvent s’appliquer de manière combinée.

38      Selon ladite disposition, sont refusés à l’enregistrement ou susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature même du produit, par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique et par la forme qui donne une valeur substantielle au produit.

39      Il ressort clairement de ce libellé que les trois motifs de refus d’enregistrement prévus à ladite disposition sont de nature autonome. En effet, leur citation successive ainsi que l’emploi du terme «exclusivement» impliquent que chacun d’eux doit s’appliquer indépendamment de l’autre.

40      Ainsi, si un seul des critères mentionnés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques est rempli, le signe constitué exclusivement par la forme du produit, voire par une représentation graphique de cette forme, ne peut être enregistré en tant que marque (arrêts Philips, EU:C:2002:377, point 76, et Benetton Group, C‑371/06, EU:C:2007:542, point 26, troisième tiret).

41      À cet égard, il est sans incidence que ce signe puisse être refusé sur le fondement de plusieurs motifs de refus, dès lors qu’un seul de ces motifs s’applique pleinement audit signe.

42      Au demeurant, il y a lieu de souligner que, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général au point 99 de ses conclusions, l’objectif d’intérêt général qui sous-tend l’application des trois motifs de refus d’enregistrement prévus à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques fait obstacle au refus d’enregistrement lorsque aucun de ces trois motifs n’est pleinement applicable.

43      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques doit être interprété en ce sens que les motifs de refus à l’enregistrement énoncés aux premier et troisième tirets de cette disposition ne peuvent pas s’appliquer de manière combinée.

 Sur les dépens

44      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que le motif de refus d’enregistrement prévu à cette disposition peut s’appliquer à un signe exclusivement constitué par la forme d’un produit présentant une ou plusieurs caractéristiques d’utilisation essentielles et inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit, que le consommateur peut éventuellement rechercher dans les produits des concurrents.

2)      L’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la première directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le motif de refus d’enregistrement prévu à cette disposition peut s’appliquer à un signe constitué exclusivement par la forme d’un produit ayant plusieurs caractéristiques pouvant lui conférer différentes valeurs substantielles. La perception de la forme du produit par le public ciblé ne constitue qu’un seul des éléments d’appréciation aux fins de déterminer l’applicabilité du motif de refus en cause.

3)      L’article 3, paragraphe 1, sous e), de la première directive 89/104 doit être interprété en ce sens que les motifs de refus à l’enregistrement énoncés aux premier et troisième tirets de cette disposition ne peuvent pas s’appliquer de manière combinée.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.