Language of document : ECLI:EU:C:2014:2443

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 11 décembre 2014 (1)

Affaire C‑352/13

Cartel Damage Claims (CDC) Hydrogen Peroxide SA

contre

Evonik Degussa GmbH,

Akzo Nobel NV,

Solvay SA,

Kemira Oyj,

Arkema France SA,

FMC Foret SA,

Chemoxal SA,

Edison SpA

[demande de décision préjudicielle
formée par le Landgericht Dortmund (Allemagne)]

«Coopération judiciaire en matière civile et commerciale – Règlement (CE) no 44/2001 – Compétences spéciales – Action aux fins de renseignements et d’indemnisation à l’encontre de sociétés domiciliées dans différents États membres ayant participé en divers lieux et moments à une entente déclarée contraire à l’article 81 CE (article 101 TFUE) et à l’article 53 de l’accord EEE – Article 6, point 1 – Compétence en cas de pluralité de défendeurs – Risque de décisions inconciliables – Désistement à l’égard du seul défendeur domicilié dans l’État membre où siège le tribunal saisi – Maintien de la compétence – Abus de droit – Article 5, point 3 – Compétence en matière délictuelle – Notion de ‘lieu où le fait dommageable s’est produit’ – Compétence éventuelle à l’égard de tous les codéfendeurs et pour l’ensemble des dommages invoqués fondée sur chaque lieu du territoire des États membres où l’entente illicite a été conclue et mise en œuvre – Article 23 – Clauses attributives de juridiction – Clauses compromissoires – Incidence du principe de la pleine efficacité de l’interdiction des ententes édictée par le droit de l’Union»





I –    Introduction

1.        La demande de décision préjudicielle présentée par le Landgericht Dortmund (tribunal régional de Dortmund, Allemagne) porte sur l’interprétation des articles 5, point 3, et 6, point 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2) (ci-après le «règlement Bruxelles I»), ainsi que, aspect qui est inédit, sur la combinaison entre ces dispositions et des principes directeurs du droit de la concurrence de l’Union afférents à l’article 101 TFUE.

2.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une action aux fins de renseignements et d’indemnisation introduite devant ledit tribunal allemand par un demandeur établi en Belgique à l’encontre de plusieurs sociétés établies dans divers États membres – dont une seule en Allemagne – qui avaient participé à une infraction ayant été déclarée, par une décision de la Commission européenne, contraire à l’interdiction des ententes édictée à l’article 81 CE (devenu article 101 TFUE) ainsi qu’à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (3).

3.        Les parties étant en désaccord sur la compétence internationale de la juridiction de renvoi, cette dernière requiert une interprétation de la Cour sous trois principaux angles.

4.        En premier lieu, elle s’interroge sur l’applicabilité dans un litige tel que celui au principal de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I, lequel autorise une extension de la compétence du for de sorte que celui‑ci puisse statuer également sur les demandes relatives à des défendeurs autres que celui qui est domicilié dans son ressort, afin d’éviter des décisions inconciliables. À titre complémentaire, cette problématique est soulevée dans le cas particulier où, comme en l’espèce, le demandeur s’est désisté de son action à l’égard du seul codéfendeur établi dans l’État membre où siège la juridiction saisie, qui peut être qualifié de «défendeur d’ancrage» en ce qu’il est seul susceptible de fonder la compétence du for.

5.        En deuxième lieu, s’agissant de la compétence en matière délictuelle prévue à l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, il est demandé à la Cour s’il faut entendre la notion de «lieu où le fait dommageable s’est produit», au sens de cette disposition, comme permettant de rattacher ladite compétence, à l’égard de tous les défendeurs et pour l’ensemble des prétendus dommages, à chacun des nombreux endroits des États membres où l’entente illicite a été conclue et/ou mise en œuvre et où la liberté de choix des acheteurs s’en est trouvée limitée selon le demandeur.

6.        En troisième lieu, la juridiction de renvoi part, semble‑t‑il, de la prémisse que certaines des clauses attributives de juridiction, lesquelles peuvent relever de l’article 23 du règlement Bruxelles I, et/ou des clauses compromissoires qui sont invoquées par les défenderesses au principal couvrent les droits d’indemnisation réclamés en l’espèce. Elle invite la Cour à dire si, dans ce cas de figure, le principe d’une mise en œuvre efficace de l’interdiction des ententes énoncée à l’article 101 TFUE est susceptible de faire obstacle à ce que de telles clauses puissent être opposées au demandeur en réparation lorsque l’action a été portée devant l’une des juridictions qui seraient compétentes en vertu des articles 5, point 3, et/ou 6, point 1, du règlement Bruxelles I.

7.        Je souligne que la présente affaire est la première dans laquelle la Cour est invitée à se prononcer directement sur l’articulation entre, d’une part, des dispositions du droit primaire garantissant une libre concurrence au sein de l’Union européenne et, d’autre part, des dispositions du droit international privé de l’Union portant sur la compétence judiciaire en matière civile et commerciale, et cela à l’occasion d’un litige ayant pour spécificité de porter sur une entente de grande envergure puisqu’elle concerne une multitude de participants et de victimes et qu’elle a faussée la concurrence dans l’intégralité du marché intérieur.

8.        D’emblée, je précise qu’il m’apparaît que le règlement Bruxelles I, dont la finalité est de créer un système de règles de compétences propres à l’Union pour les litiges transfrontaliers en matière civile et commerciale, n’est pas parfaitement adapté pour assurer une mise en œuvre privée des dispositions du droit de la concurrence de l’Union (ou «private enforcement», selon l’appellation usuelle en ce domaine) (4) qui soit efficace dans un cas de figure tel que celui en cause.

9.        En effet, l’application de certaines dispositions de ce règlement est susceptible de conduire à une répartition territoriale des compétences entre les juridictions des États membres qui risquerait, d’une part, de ne pas être adéquate du point de vue de la portée géographique du droit de la concurrence de l’Union et, d’autre part, de rendre plus difficile pour les victimes de restrictions de concurrence illégales la recherche et l’obtention d’une réparation intégrale des préjudices qu’elles ont subis. Il me paraît dès lors possible que les auteurs de telles restrictions utilisent ces dispositions de droit international privé de façon à créer une situation où les conséquences en droit civil d’une infraction unique et grave aux règles de la concurrence de l’Union devraient être déterminées dans le cadre d’une série de procédures dispersées entre les différents États membres.

10.      La conclusion générale que je tirerai de ce renvoi préjudiciel est que, de lege ferenda, en raison de la particularité des répercussions que des pratiques anticoncurrentielles transfrontalières sont susceptibles d’avoir en matière de coopération judiciaire civile – surtout lorsqu’elles sont complexes comme dans le litige au principal –, il serait à mon avis judicieux que le législateur de l’Union envisage d’insérer dans le règlement Bruxelles I une règle de compétence propre à de telles pratiques (5), à l’instar de la règle de conflit de lois qui est énoncée de façon spécifique pour les obligations consécutives aux actes restreignant la concurrence par le règlement usuellement dénommé «Rome II» (6).

II – Le cadre juridique

11.      Aux termes des considérants 11, 12, 14 et 15 du règlement Bruxelles I:

«(11)      Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.

(12)      Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

[...]

(14)      L’autonomie des parties à un contrat autre qu’un contrat d’assurance, de consommation et de travail pour lequel n’est prévue qu’une autonomie limitée quant à la détermination de la juridiction compétente doit être respectée sous réserve des fors de compétence exclusifs prévus dans le présent règlement.

(15)      Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. [...]»

12.      L’article 1er, paragraphe 2, sous d), du règlement Bruxelles I exclut l’arbitrage de son champ d’application.

13.      Le chapitre II dudit règlement énonce une série de règles de compétence judiciaire en matière civile et commerciale. Son article 2, paragraphe 1, pose le principe selon lequel, «[s]ous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre».

14.      Figurant dans la section 2 dudit chapitre, relative aux «Compétences spéciales», l’article 5, point 3, prévoit qu’«[u]ne personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre [...] en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire».

15.      Dans ladite section, l’article 6, point 1, ajoute que «[c]ette même personne peut aussi être attraite [...] s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément».

16.      Figurant dans la section 7 dudit chapitre, intitulée «Prorogation de compétence», l’article 23, paragraphes 1 et 5, est libellé comme suit:

«1.      Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. [...]

[...]

5.      Les conventions attributives de juridiction [...] sont sans effet si elles sont contraires aux dispositions des articles 13, 17 et 21 ou si les tribunaux à la compétence desquels elles dérogent sont exclusivement compétents en vertu de l’article 22.»

III – Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

17.      L’action au principal est fondée sur une décision du 3 mai 2006 (7) dans laquelle la Commission a considéré que plusieurs sociétés fournissant du peroxyde d’hydrogène et/ou du perborate de sodium (8) avaient participé à une infraction unique et continue contraire à l’interdiction des ententes édictée à l’article 81 CE (article 101 TFUE) et à l’article 53 de l’accord EEE, au titre de laquelle certaines de ces sociétés ont été condamnées à verser des amendes (9).

18.      Ladite décision indiquait que la période d’infraction retenue s’étalait du 31 janvier 1994 au 31 décembre 2000 et que cette dernière couvrait l’ensemble du territoire de l’Espace économique européen (EEE). L’entente visée avait consisté, principalement, en des échanges d’informations entre concurrents sur les prix et les volumes de vente, en des accords sur les prix et sur la réduction des capacités de production, ainsi qu’en la surveillance de la mise en œuvre des accords anticoncurrentiels. La juridiction de renvoi souligne que ces pratiques collusoires s’inscrivaient dans le cadre de réunions et d’entretiens téléphoniques ayant eu lieu en Belgique, en France et en Allemagne essentiellement et que les auteurs de l’infraction y avaient pris part de différentes manières mais en ayant conscience du caractère illégal de leurs actes occultes tendant à restreindre la concurrence.

19.      Cartel Damage Claims (CDC) Hydrogen Peroxide SA (ci‑après «CDC») est une société établie en Belgique ayant pour objet de faire valoir des droits à dommages et intérêts qui lui ont été cédés, directement ou indirectement, par certaines des entreprises prétendument lésées dans le cadre de ladite infraction (10).

20.      Par acte du 16 mars 2009, CDC a introduit une action en indemnisation, devant le Landgericht Dortmund, solidairement à l’encontre de six des sociétés sanctionnées par la Commission, qui étaient domiciliées dans divers États membres, étant précisé qu’une seule d’entre elles se trouvait établie dans l’État du for, à savoir Evonik Degussa GmbH (ci-après «Evonik Degussa»), dont le siège est situé à Essen (Allemagne) (11).

21.      Au mois de septembre 2009, après la notification de leur assignation à toutes les défenderesses au principal, mais avant l’expiration du délai fixé pour la présentation des mémoires en défense et le début de la procédure orale, CDC a abandonné son action à l’égard de cette société allemande, en raison d’une transaction amiable. À la fin de l’année 2009, les défenderesses encore parties à la procédure ont appelé en intervention Evonik Degussa ainsi que deux autres sociétés visées par la décision de la Commission (12).

22.      CDC a fait valoir que, entre 1994 et 2006, les entreprises lui ayant cédé leurs droits auraient acheté à des fournisseurs ayant participé à l’entente illicite des quantités considérables de peroxyde d’hydrogène ayant été livrées sur une base contractuelle, dans différents États membres de l’Union ou de l’EEE.

23.      En objectant que certains de ces contrats de livraison contenaient des clauses d’arbitrage et des clauses d’élection de for, les défenderesses au principal ont toutes soulevé une exception d’incompétence internationale.

24.      Le Landgericht Dortmund a considéré que sa propre compétence pourrait être fondée seulement sur les dispositions des articles 6, point 1, et 5, point 3, du règlement Bruxelles I, à moins que celle‑ci ne soit valablement exclue par l’effet d’une clause attributive de juridiction, en vertu de l’article 23 de ce règlement, ou d’une clause compromissoire. Dans ce contexte, par décision déposée le 26 juin 2013, il a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      a)      Convient‑il d’interpréter l’article 6, point 1, du règlement [Bruxelles I] en ce sens que, lorsqu’un défendeur établi dans l’État du for et des défendeurs établis dans d’autres États membres de l’Union européenne se voient réclamer à titre solidaire, dans le cadre d’une action en justice, des renseignements et des dommages et intérêts au sujet d’une infraction unique et continue à laquelle ils ont participé dans plusieurs États membres à des endroits et des époques différents (cette infraction à l’article 81 CE/101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE ayant été constatée par la Commission européenne), il y a intérêt à instruire et à juger [ces demandes] en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément?

b)      Dans un tel contexte, convient‑il de prendre en compte que l’action engagée contre le défendeur établi dans l’État du for a fait l’objet d’un désistement après la notification de l’action à l’ensemble des défendeurs et avant l’expiration du délai fixé par le juge pour le mémoire en défense et le début de la première audience?

2)      Convient‑il d’interpréter l’article 5, point 3, du règlement [Bruxelles I] en ce sens que, lorsque des défendeurs établis dans différents États membres de l’Union européenne se voient réclamer en justice des renseignements et des dommages et intérêts au sujet d’une infraction unique et continue à laquelle ils ont participé dans plusieurs États membres à des endroits et des époques différents (cette infraction à l’article 81 CE/101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE ayant été constatée par la Commission européenne), le fait dommageable s’est produit, à l’égard de chaque défendeur et pour l’ensemble des dommages invoqués ou le dommage total, dans les États membres dans lesquels les ententes ont été conclues et mises en œuvre?

3)      Dans le cas où des dommages et intérêts sont réclamés en justice au sujet d’une infraction à l’article 81 CE/101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE (interdiction des ententes), le principe de mise en œuvre efficace de l’interdiction des ententes en droit de l’Union permet‑il de prendre en compte les clauses compromissoires et les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats de livraison lorsque, pour l’ensemble des défendeurs et/ou pour tout ou partie des droits invoqués, une telle prise en compte a pour effet de déroger aux règles de compétence internationale prévues à l’article 5, point 3, et/ou à l’article 6, point 1, du règlement [Bruxelles I]?»

25.      Des observations écrites ont été déposées par CDC, par Evonik Degussa uniquement sur le point b) de la première question, par Akzo Nobel, Solvay, Kemira, FMC Foret et Edison, par le gouvernement français uniquement sur la troisième question, ainsi que par la Commission. Par lettre du 26 août 2013, la juridiction de renvoi a informé la Cour que CDC s’était désistée de son action à l’égard d’Arkema France. Il n’a pas été tenu d’audience de plaidoiries.

IV – Analyse

A –    Propos liminaires

26.      En premier lieu, s’agissant des enjeux généraux de la présente affaire, je souhaite souligner que le règlement Bruxelles I en soi n’a nullement vocation à mettre en œuvre les règles du droit de la concurrence de l’Union. Comme l’indiquent, notamment, ses considérants 1, 2 et 6, ce règlement a pour objectif de favoriser «le bon fonctionnement du marché intérieur» et d’assurer «la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale», en créant un cadre unifié pour les litiges relatifs à cette matière en ce qui concerne tant la répartition des compétences entre les juridictions des États membres que la reconnaissance et l’exécution des décisions rendues par ces dernières.

27.      Toutefois, je considère que l’interprétation et l’application du règlement Bruxelles I doivent permettre de préserver la pleine efficacité des dispositions du droit de la concurrence de l’Union, lesquelles ont une importance essentielle pour le marché intérieur et constituent un élément primordial de la constitution économique de l’Union européenne (13) puisque, comme la Cour l’a déjà souligné, l’article 85 du traité CE devenu l’article 101 TFUE est «une disposition fondamentale indispensable pour l’accomplissement des missions confiées à la Communauté et, en particulier, pour le fonctionnement du marché intérieur» (14). En outre, les normes procédurales du droit de l’Union doivent, en quelque sorte, être mises au service des normes matérielles du droit de l’Union, en ce sens que les premières sont un instrument permettant de rendre tangibles les droits et les obligations des personnes privées et publiques, en particulier sous l’angle du droit à un recours effectif et à un procès équitable qui a été consacré par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (15).

28.      À cet égard, il y a lieu, tout d’abord, de constater que le litige au principal concerne les conséquences qui sont susceptibles de résulter en droit civil d’un délit consistant en une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE commise par plusieurs sociétés établies sur le territoire d’États membres différents et dont les nombreuses victimes sont, elles aussi, domiciliées dans divers États membres.

29.      De fait, l’émergence d’acteurs judiciaires tels que la requérante au principal, qui ont pour objet de regrouper les actifs fondés sur des droits d’indemnisation issus d’infractions au droit de la concurrence de l’Union (16), me paraît révélatrice de ce que, dans le cas d’entraves à la concurrence plus complexes, il n’est pas raisonnable pour les victimes de poursuivre elles‑mêmes et individuellement les divers auteurs d’une entrave de ce type (17).

30.      Ensuite, je rappelle que le dédommagement des victimes d’une entente contraire au droit de l’Union constitue pour ces dernières une prérogative dont la substance essentielle est régie par ce droit conformément à la jurisprudence issue des arrêts Courage et Crehan (18) et Manfredi e.a. (19) portant sur l’interprétation de l’article 81 CE (article 101 TFUE). Cela vaut à la fois pour l’existence de ladite prérogative et pour la portée matérielle essentielle de celle‑ci, laquelle comprend, notamment, la possibilité pour les personnes lésées de recevoir une réparation couvrant non seulement les pertes qu’elles ont subies (damnum emergens) mais aussi les profits qu’elles ont perdus (lucrum cessans) à cause d’une telle entente, outre le paiement d’intérêts (20).

31.      Néanmoins, comme la Cour l’a mis en exergue, compte tenu de l’état du développement du droit de l’Union, les modalités d’exercice de ce droit à une indemnisation intégrale demeurent l’attribut des États membres, sous réserve qu’ils respectent le principe de l’équivalence et le principe d’effectivité qui sont énoncés dans ladite jurisprudence (21). Ce maintien de la compétence normative des législateurs nationaux en la matière vaut en particulier pour les règles de procédure, mais ne vaut plus pour les règles de conflit de lois, puisque la «loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un acte restreignant la concurrence» est désormais déterminée de façon contraignante par le règlement Rome II (22).

32.      Par analogie, le principe d’effectivité des recours en réparation ainsi posé au sujet de dispositions de droit national devrait selon moi inspirer a fortiori l’interprétation et l’application du règlement Bruxelles I, en ce sens que celui-ci, en tant qu’acte de droit dérivé adopté par l’Union elle-même, ne saurait être interprété d’une façon qui rendrait la concrétisation de ladite prérogative, qui est conférée sur le fondement du droit primaire, impossible en pratique ou excessivement difficile dans le contexte d’une entente illicite transfrontalière (23).

33.      En deuxième lieu, je souligne qu’il est acquis, au vu de la jurisprudence de la Cour, qu’une action en justice qui, comme celle ici en cause, tend à obtenir une indemnisation de la part d’entreprises ayant enfreint l’article 101 TFUE, relève bien de la «matière civile et commerciale», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I (24).

34.      En troisième lieu, il convient de relever que, dans la mesure où le règlement Bruxelles I a remplacé, dans les relations des États membres, la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 (25) (ci-après la «convention de Bruxelles»), l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de cette dernière vaut également pour celles dudit règlement, lorsque les dispositions de ces deux instruments peuvent être qualifiées d’équivalentes (26).

35.      Au vu de la jurisprudence de la Cour, une telle équivalence m’apparaît acquise pour chacune des dispositions du règlement Bruxelles I concernées par la présente demande de décision préjudicielle – à savoir ses articles 5, point 3, 6, point 1, et 23, paragraphe 1 –, étant donné que la teneur des dispositions correspondantes de la convention de Bruxelles – à savoir les articles 5, point 3, 6, point 1, et 17, premier alinéa, de celle‑ci – est à tout le moins similaire en substance, voire identique (27).

36.      En quatrième lieu, je rappelle que conformément aux finalités de la convention de Bruxelles, qui sont également celles du règlement Bruxelles I, il convient, d’une part, d’éviter autant que possible la multiplication des chefs de compétence judiciaire à propos d’un même rapport juridique et, d’autre part, de garantir la sécurité juridique tant des demandeurs que des défendeurs par la capacité de prévoir avec certitude le for compétent, notamment en permettant au juge saisi de se prononcer sur sa propre compétence sans être contraint de procéder à un examen de l’affaire au fond (28).

37.      Enfin, il m’apparaît que les actions en réparation civile consécutives à une infraction au droit de la concurrence sont majoritairement conçues comme étant de nature délictuelle (29), étant précisé qu’une qualification contractuelle du fondement de telles actions n’est cependant pas exclue a priori, tout au moins dans certains systèmes juridiques nationaux (30).

38.      Partant, j’entends débuter l’examen des problématiques soumises à la Cour par la deuxième question préjudicielle, qui porte sur l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, lequel prévoit un chef de compétence spécial pour les actions en réparation fondées sur la responsabilité délictuelle (B). J’examinerai ensuite la première question, relative à l’article 6, point 1, de ce règlement, lequel prévoit une compétence élargie en cas de demandes connexes introduites contre plusieurs défendeurs (C). Je terminerai par la troisième question, qui est afférente à ces deux dispositions ainsi qu’à des aspects spécifiques de l’élection de for, en relation avec le principe de pleine efficacité de l’interdiction des ententes en droit de l’Union (D).

B –    Sur l’interprétation de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I (deuxième question)

39.      En substance, la deuxième question invite la Cour à se prononcer sur le champ d’application de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I ainsi que sur l’étendue de la compétence qui pourrait résulter de la règle spéciale que cette disposition énonce (1). Je considère, notamment compte tenu des objectifs visés par cette disposition, que son application est problématique, voire devrait être exclue, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, dont les spécificités sont indéniables (2).

1.      Sur la problématique soumise à la Cour

40.      Au vu de sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi tient pour acquis que l’action aux fins d’indemnisation et de renseignements qui est pendante devant elle relève de la «matière délictuelle» visée à l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I et que cette disposition est donc susceptible de fonder sa propre compétence. Une telle qualification des actions de cette nature a été récemment admise par la Cour (31).

41.      En outre, cette juridiction relève à juste titre qu’il ressort d’une jurisprudence constante que, pour les délits complexes (32), l’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit» (33), figurant audit article 5, point 3, vise à la fois le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage allégué et le lieu de la matérialisation de ce dommage, de sorte que le demandeur peut choisir d’attraire des défendeurs devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux (34). Elle rappelle aussi qu’en cas de pluralité de préjudices supposés, un tribunal compétent sur la base de ce dernier point de rattachement ne peut toutefois statuer que sur les demandes qui concernent un dommage subi sur le territoire de l’État membre où il siège (35).

42.      La juridiction de renvoi émet des doutes sur la façon dont il convient de mettre en œuvre, dans le cadre du litige dont elle est saisie, les critères ainsi définis de façon alternative par la Cour, étant donné que les contributions des membres de l’entente ayant conduit à une violation de l’article 101 TFUE et aux préjudices invoqués ont pour particularité d’avoir été différentes tant sur le plan géographique que sur le plan temporel. Elle s’interroge principalement sur le point de savoir si l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I permet d’introduire en chaque «lieu où le fait dommageable s’est produit», au sens de cette disposition, et contre chaque membre de l’entente illicite, un recours portant sur l’intégralité des dommages causés par celle-ci, même lorsque certains des défendeurs n’ont pas agi directement sur le territoire de l’État membre du for.

43.      CDC propose à la Cour de répondre que, en vertu de cette disposition, l’ensemble des dommages subis du fait de l’entente constitutive de ladite violation devraient pouvoir être invoqués devant les juridictions de tous les États membres sur le territoire desquels soit au moins une partie de cette entente a été conclue ou mise en œuvre, soit le marché concerné a été au moins partiellement entravé de manière directe et substantielle par celle-ci. La Commission adopte une approche similaire, mais elle est néanmoins plus modérée quant à l’étendue de la compétence des tribunaux qui pourraient être valablement saisis dans ce cadre (36). Les défenderesses au principal ayant pris position sur la deuxième question plaident soit pour l’irrecevabilité de cette question (37), soit, sur le fond, pour le refus d’une compétence globale du for à l’égard de tous les participants à l’entente illicite et pour l’ensemble des prétendus dommages (38).

44.      Je rappelle que, au vu de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, plusieurs principes directeurs gouvernent l’interprétation de cette disposition. Tout d’abord, il est constant que les notions qu’elle contient sont à définir de façon autonome, donc sans faire usage des concepts juridiques nationaux, en se référant principalement au système et aux objectifs de ce règlement, aux fins d’assurer l’application uniforme de celui-ci dans tous les États membres (39). Ensuite, s’agissant d’une règle spéciale, en ce qu’elle déroge au principe de la compétence des juridictions du domicile du défendeur posé à l’article 2 de ce règlement, elle doit faire l’objet d’une conception non pas extensive mais étroite (40), notamment pour éviter une généralisation du forum actoris (41) ainsi qu’une multiplication des juridictions compétentes favorisant le forum shopping.

45.      De surcroît, il est essentiel de garder à l’esprit que la Cour a précisé, conformément à l’objectif de proximité mentionné au considérant 12 du règlement Bruxelles I, que la règle de compétence prévue audit article 5, point 3, est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre le litige et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit. C’est ce lien qui justifie une attribution dérogatoire de compétence à ces dernières, pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès (42). Dès lors que l’identification de l’un des points de rattachement reconnus par la jurisprudence précitée (43) doit permettre d’établir la compétence de la juridiction qui est objectivement la mieux placée pour apprécier si les éléments constitutifs de la responsabilité de la personne attraite sont réunis, il en résulte que ne peut être valablement saisie qu’une juridiction dans le ressort de laquelle se situe le point de rattachement pertinent (44).

46.      C’est précisément l’existence d’une telle proximité qui, selon la juridiction de renvoi, pourrait faire défaut s’il était admis dans la présente affaire que, par application de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, serait compétente, à l’égard de tous les défendeurs assignés et pour l’ensemble des préjudices allégués (45), toute juridiction siégeant dans l’un des nombreux endroits où l’entente illicite a été conçue, organisée et contrôlée et où la liberté de choix des acheteurs a été limitée sur le marché concerné. Je partage son point de vue, pour les raisons qui suivent.

2.      Sur la mise en œuvre des critères d’application de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I dans le cadre d’un litige tel que celui au principal

47.      Si l’application de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I dans le cadre d’une action en réparation fondée sur une infraction à l’article 101 TFUE ne saurait être exclue en principe (46), je suis néanmoins enclin à penser que cette disposition ne peut pas être utilement appliquée en ce qui concerne le cas particulier d’une entente illicite à caractère horizontal, qui a été d’une durée importante, qui a restreint la concurrence sur l’ensemble du territoire de l’Union et dont la structure est très complexe puisqu’elle a donné lieu à toute une série d’accords et de pratiques collusives, ce qui a pour conséquence que tant les participants que les victimes des dommages invoqués se trouvent dispersés dans un grand nombre d’États membres (47).

48.      Dans un cas de figure tel qu’en l’espèce, les critères jurisprudentiels de définition du «lieu où le fait dommageable s’est produit», au sens de cette disposition, sont à mon avis inopérants, en raison de l’important éparpillement géographique des causes et des effets des dommages invoqués. En effet, les deux volets de l’alternative énoncée par la Cour conduisent, en ce cas, à rendre potentiellement compétentes une multitude de juridictions des États membres, alors que ledit règlement a pour but de limiter le nombre de procédures concurrentes (48), et ils ne permettent pas d’identifier une juridiction qui présente un «lien de rattachement particulièrement étroit» avec le litige et qui ainsi soit «la mieux placée» ratione loci pour trancher ce dernier, alors que tel est le fondement dudit article 5, point 3.

49.      S’agissant du critère afférent au lieu de l’événement causal des dommages allégués, il pourrait théoriquement renvoyer à tout endroit où l’entente illicite a été conclue par ses membres, endroit qui peut néanmoins être difficile, voire impossible, à localiser compte tenu du caractère occulte de l’entente, sauf à retenir les divers lieux où sont situés les sièges sociaux des intéressés. Ledit critère pourrait aussi correspondre à tous les lieux de la mise en œuvre effective de l’entente, à savoir chacun des endroits où les participants ont organisé et appliqué concrètement les modalités de leurs accords collusoires tendant à restreindre la concurrence, moyennant des pratiques actives ou des abstentions anticoncurrentielles (49). À cet égard, je précise que, contrairement à la Commission, je considère que l’arrêt Melzer (50), qui a exclu la possibilité de fonder la compétence sur le lieu de l’événement causal commis par un coauteur du fait dommageable qui n’a pas été attrait en justice, devrait conduire à ce que les agissements d’un participant à l’entente sur le territoire d’un État membre ne puissent pas être imputés aux autres auteurs de l’infraction qui se sont abstenus d’exercer une libre concurrence sur le marché correspondant audit territoire (51). En tout état de cause, dans le cadre d’une entente d’envergure européenne et de longue durée, telle que celle en cause au principal, de tels facteurs de localisation me paraissent dénués de pertinence, car conduisant à des chefs de compétence trop généraux, diffus et fortuits (52), en raison du nombre élevé tant des acteurs impliqués que des actions ou omissions concernées et, partant, de la multiplicité des lieux de faits générateurs y afférents (53).

50.      S’agissant du critère afférent au lieu de la matérialisation des dommages allégués, il peut être considéré, d’un point de vue économique, que ces derniers sont survenus soit dans chacun des lieux où les victimes supposées ont acheté les produits concernés par l’entente illicite, c’est-à-dire là où ont été signés et/ou exécutés les contrats dont le contenu a été faussé par l’entente – en l’occurrence les contrats de livraison conclus entre les défenderesses et les entreprises ayant cédé leurs droits à la demanderesse –, soit dans chacun des lieux où ces victimes ou leurs succursales ont leur siège social. Les victimes indirectes, qui n’ont pas été liées par contrat à un membre de l’entente mais qui ont néanmoins été lésées par l’existence de celle-ci (54), devraient aussi pouvoir se prévaloir de leurs préjudices, dans les limites fixées par la jurisprudence de la Cour (55). Il convient toutefois de rappeler que l’option de compétence ouverte en matière délictuelle ne saurait être interprétée de telle sorte qu’elle conduise à permettre un forum actoris, puisque le règlement Bruxelles I tend à restreindre ce dernier facteur de compétence afin de préserver l’effet utile de la règle générale posée à son article 2 (56). Par ailleurs, il pourrait utilement être tenu compte de tous les lieux où le marché a été affecté par l’atteinte portée à l’article 101 TFUE, étant donné que les règles du droit de la concurrence ont pour objectif de sauvegarder le bon fonctionnement de l’activité économique, et non de protéger les intérêts individuels d’une société donnée (57). Or, en l’occurrence, l’infraction sur laquelle la demande de dommages et intérêts est fondée couvre les territoires de tous les États membres de l’Union, ce qui entraîne qu’un large panel de fors sont possiblement compétents (58). Une telle approche extensive est en contradiction avec les objectifs susmentionnés du règlement Bruxelles I et, en particulier, ceux visés à son article 5, point 3. J’ajoute que la jurisprudence issue de l’arrêt Shevill e.a. (59) implique, sans qu’il soit à mon avis ni possible ni souhaitable de modifier ce point, que la compétence fondée sur le lieu de la réalisation du fait dommageable est divisée territorialement, suivant les frontières des États membres (60), avec un risque corrélatif d’éclatement du contentieux puisque le tribunal compétent à ce titre ne pourra pas appréhender l’intégralité des nombreux préjudices invoqués.

51.      Enfin, je souligne que si la Cour devait admettre qu’une multitude de fors soient ici compétents en vertu de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, les potentialités offertes aux justiciables sur ce fondement seraient très largement ouvertes, alors même qu’il s’agit d’une option de compétence ayant un caractère spécial, donc en principe d’application stricte. En outre, un danger – loin d’être hypothétique (61) – serait alors encouru, celui de permettre aux auteurs d’une infraction au droit de la concurrence de l’Union d’introduire des actions torpilles, sous la forme d’actions en constatation négative, conformément à l’arrêt Folien Fischer et Fofitec (62), dans un État membre où il serait notoire que la durée des procédures est particulièrement longue, à l’encontre de personnes ayant été identifiées comme des victimes lors de la procédure administrative engagée par la Commission. En revanche, une fois que la décision de la Commission relative à l’existence d’une infraction a été rendue, il ne devrait, selon moi, plus y avoir de constatation négative qui soit possible, en raison de l’effet contraignant de la décision de la Commission concernant les faits et leur qualification juridique (63).

52.      En conclusion, par analogie avec ce que la Cour a dit pour droit dans l’arrêt Besix (64), je considère que la règle de compétence spéciale en matière délictuelle ou quasi délictuelle, qui est énoncée à l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, est inopérante dans l’hypothèse où, comme dans le litige au principal, le lieu où le fait dommageable s’est prétendument produit ne peut pas être déterminé, en raison du fait que l’infraction à l’article 101 TFUE sur laquelle l’action est fondée consiste en des agissements qui se caractérisent par la multiplicité des endroits où ils ont été convenus et/ou exécutés, ce qui ne permet donc pas d’identifier clairement et utilement quelle serait la juridiction qui présenterait un lien particulièrement étroit avec l’ensemble du litige.

53.      À mon avis, dans un tel cas de figure, la compétence doit être déterminée soit par application de la règle générale prévue à l’article 2, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I, soit par application d’autres règles de compétence spéciales que ce règlement énonce, telle celle prévue à son article 6, point 1, lequel permet un regroupement des demandes formées contre plusieurs défendeurs devant une seule juridiction, sous réserve que les conditions de mise en œuvre de l’une ou l’autre de ces règles soient bien réunies en l’espèce. À cet égard, il convient de souligner que la prise en compte, en tant que chef de compétence, du lien de connexité existant entre des demandes formées contre plusieurs défendeurs est autorisée seulement dans le cadre dudit article 6, point 1 (65), lequel réserve cette possibilité uniquement au titre du point de rattachement fort que constitue le domicile de l’un des défendeurs, et non dans le cadre d’une disposition dont l’application dépend du lieu de survenance d’un événement, comme c’est le cas de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I.

C –    Sur l’interprétation de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I (première question)

54.      Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la règle de concentration des compétences en cas de pluralité de défendeurs qui est prévue à l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I peut s’appliquer dans le cadre d’une action dirigée à l’encontre d’entreprises qui ont participé de façon différente, sur les plans géographique et temporel, à une infraction unique et continue à l’interdiction des ententes prévue par le droit de l’Union (1). Elle invite ensuite la Cour à dire si, dans l’affirmative, le désistement d’une telle action à l’égard du défendeur d’ancrage, c’est-à-dire le seul des codéfendeurs qui soit domicilié dans l’État membre où siège la juridiction saisie, a un impact sur la compétence de celle-ci en vertu de ladite disposition (2).

1.      Sur l’applicabilité de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I dans un litige tel que celui au principal [première question, sous a)]

a)      Sur la problématique soumise à la Cour

55.      Il convient de souligner que, à l’instar de ce qui vaut pour l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I (66), la teneur de l’article 6, point 1, de ce règlement doit être définie de façon autonome, de sorte que les notions qui y figurent ne sauraient être comprises comme renvoyant à la qualification que la loi interne applicable donne au rapport juridique en cause devant la juridiction saisie (67).

56.      Aux termes de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I, l’ensemble des demandes formées par un même requérant à l’encontre d’une pluralité de défendeurs peuvent être introduites devant une juridiction d’un État membre dans le ressort de laquelle se trouve le domicile (68) d’au moins l’un d’entre eux, qui sera ici qualifié de défendeur d’ancrage, mais sous réserve de l’existence d’un lien de connexité entre ces demandes (69). À cet égard, il est expressément requis que «les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément» (70).

57.      En permettant une concentration des recours devant un même tribunal et l’élargissement de la compétence de celui‑ci à des défendeurs à l’égard desquels il ne devrait pas pouvoir statuer à défaut de cette extension, ledit article 6, point 1, répond aux objectifs de bonne administration de la justice, notamment par une économie de procédures, et de prévention du risque d’actions concurrentes et de décisions contradictoires pouvant en résulter, qui sont visés par le règlement Bruxelles I (71).

58.      Toutefois, cette règle de compétence ayant un caractère spécial, puisqu’elle déroge à la compétence de principe du for du domicile de chaque défendeur mentionnée au considérant 11 du règlement Bruxelles I et énoncée à son article 2, il est acquis qu’elle doit faire l’objet d’une interprétation stricte (72).

59.      L’application dudit article 6, point 1, devant ainsi rester exceptionnelle, le regroupement des recours qu’il prévoit n’est autorisé que si ces derniers ne concernent pas un assuré, un consommateur ou un travailleur (73) et seulement s’ils portent sur des demandes certes distinctes mais néanmoins étroitement liées entre elles.

60.      C’est sur cette dernière condition que porte, en substance, la première partie de la première question. Elle invite la Cour à dire si un tel lien de connexité se trouve caractérisé dans le cadre d’une action telle que celle dont la juridiction de renvoi a été saisie, à savoir une action aux fins de renseignements et d’indemnisation exercée de façon solidaire à l’encontre des coauteurs d’une entente déclarée contraire au droit de l’Union qui ont contribué à cette infraction en divers lieux et moments.

61.      Les parties intéressées ayant déposé des observations écrites à ce sujet ont des avis distincts puisque CDC et la Commission estiment que l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I est applicable dans un tel contexte, tandis que les défenderesses au principal soutiennent le contraire (74).

62.      Il ressort de la jurisprudence de la Cour relative au lien de connexité exigé par cette disposition que, pour que des décisions puissent être considérées comme «inconciliables», il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, mais encore faut-il que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation tant de fait que de droit (75). La vérification de ces deux critères dans des circonstances telles que celles au principal donnent lieu à des appréciations antinomiques dans les observations ayant été fournies à la Cour.

b)      Sur l’existence d’une même situation de fait

63.      Pour les défenderesses au principal, les prétentions formulées dans la demande au principal ne satisfont pas à la condition d’une identité de situation de fait, aux motifs qu’il serait sans importance que les membres de l’entente illicite aient tous participé à des accords établissant cette dernière, puisque seule la mise en œuvre de ces accords aurait pu causer un préjudice concret aux acheteurs ayant cédé leurs droits à CDC, et qu’il conviendrait d’examiner séparément chaque prétention que le demandeur fait valoir sur ce fondement.

64.      À cet égard, je partage le point de vue opposé, défendu par la juridiction de renvoi, CDC et la Commission, selon lequel des demandes telles que celles formées à l’encontre des différentes défenderesses au principal reposent sur une situation de fait unique, bien que celles‑ci aient participé de façon disparate, tant du point de vue géographique que temporel selon cette juridiction, à la mise en œuvre de l’entente en cause ainsi qu’à la conclusion et l’exécution des divers contrats faussés par cette entente qui auraient causé un préjudice aux entreprises ayant cédé leurs droits à la demanderesse au principal.

65.      En effet, comme le relève la juridiction de renvoi, la décision de la Commission sur laquelle ces demandes sont fondées a constaté, et ce d’une façon contraignante pour les juridictions des États membres (76), qu’une infraction unique et continue à l’article 81 CE (article 101 TFUE) et à l’article 53 de l’accord EEE avait été commise par les sociétés assignées par CDC et que chaque participant peut se voir imputer, en tant que coauteur, le comportement effectif des autres participants, indépendamment de sa contribution concrète (77). Elle ajoute, à juste titre selon moi, qu’en raison du comportement ainsi constaté au cours de la procédure administrative de sanction, chaque auteur de l’infraction doit répondre sur le plan civil des actes délictuels des autres auteurs et, partant, des dommages susceptibles d’en résulter.

c)      Sur l’existence d’une même situation de droit

66.      La Cour a déjà dit pour droit que, au vu du libellé de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I, une différence de fondements juridiques entre des actions introduites contre les différents défendeurs ne fait pas, en soi, obstacle à l’application de cette disposition, pour autant toutefois qu’il était prévisible pour les défendeurs qu’ils risquaient de pouvoir être attraits dans l’État membre où au moins l’un d’eux a son domicile (78).

67.      En l’occurrence, les participants à une entente ayant été déclarée, par une décision unique de la Commission, constitutive d’une seule infraction au droit de la concurrence de l’Union, et non commise au niveau de divers ordres juridiques nationaux, se trouvent devant une même situation de droit, plus précisément face à une obligation de dédommagement issue du droit de l’Union qui est fondée sur une jurisprudence constante de la Cour. Ainsi, ils pouvaient raisonnablement s’attendre à être par la suite poursuivis ensemble aux fins de réparation civile devant la juridiction dans le ressort de laquelle l’un d’entre eux était établi. La prévisibilité de la compétence exigée par la Cour, conformément à l’objectif visé au considérant 11 du règlement Bruxelles I, se trouve donc respectée dans de telles circonstances.

68.      En outre, il convient de mettre en exergue que dans l’arrêt Kalfelis, qui a introduit l’exigence d’une connexité entre les demandes pouvant être regroupées en vertu de cette disposition, la Cour s’est référée au rapport Jenard, aux termes duquel «[l’]application de [la] règle [prévue à l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles] requiert qu’il y ait un lien entre les demandes formulées contre chacun des défendeurs, par exemple, qu’il s’agisse de débiteurs solidaires» (79). Or, tel est précisément le cas dans le litige au principal selon la juridiction de renvoi, en dépit du fait que cette qualification de demandes de condamnation solidaire est contestée par certaines défenderesses.

69.      Je considère que la simple possibilité qu’une responsabilité solidaire en cas de pluralité de contrevenants soit mise en œuvre dans l’un des États membres pertinents, et non dans d’autres, suffit à faire naître un risque de solutions différentes et inconciliables entre elles, au sens de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I. En effet, dans l’ordre juridique de cet État membre, la responsabilité de chacun des défendeurs s’étendrait, par hypothèse, à l’intégralité des dommages, tandis que dans les systèmes juridiques des États membres où une solidarité de la responsabilité serait refusée, le niveau des dommages et intérêts accordés serait susceptible de varier considérablement, en fonction des juridictions saisies. Même dans l’hypothèse contraire où une telle solidarité serait admise dans tous les États membres pertinents, le risque que des décisions inconciliables soient rendues si les demandes étaient jugées séparément demeurerait néanmoins présent en ce qui concerne le partage de la responsabilité entre les membres de l’entente selon qu’ils y ont participé durant l’ensemble ou une partie de la période considérée.

70.      À cet égard, il peut être observé que, au vu des indications données par la Commission dans ses observations, la responsabilité solidaire des participants à une violation conjointe de l’interdiction des ententes édictée à l’article 101 TFUE apparaît être un principe généralement admis dans les systèmes juridiques des États membres (80) et qu’il a été retenu notamment dans la directive qui a été récemment adoptée en la matière (81).

71.      Je souligne que dans le cas où l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I ne serait pas applicable à l’égard d’une procédure telle que celle au principal, cela impliquerait que des juridictions distinctes devraient examiner, sans concertation, les préjudices allégués au regard de diverses législations nationales (82), avec le risque que chacun des participants à la même entente illicite soit condamné à des montants de dommages et intérêts différents, alors qu’il serait opportun, voire nécessaire, de statuer de manière uniforme sur les droits à réparation sollicités par le même demandeur (83).

72.      La Commission relève, à juste titre selon moi, que «l’effet utile de cette disposition serait remis en cause si elle recevait une interprétation si stricte qu’elle rendrait impossible, dans de telles circonstances, l’introduction de recours groupés contre tous les participants à l’entente devant un tribunal situé au domicile de l’un des défendeurs membres de l’entente, au seul motif de l’absence de compétence internationale globale».

73.      Au vu de ces éléments, j’estime qu’une situation dans laquelle plusieurs sociétés établies dans des États membres différents seraient jugées séparément devant des juridictions distinctes, et non devant une seule juridiction, aux fins d’une indemnisation consécutive à la même entente contraire au droit de la concurrence de l’Union, en raison d’actes certes commis en divers moments et lieux mais s’inscrivant dans une infraction unique et continue, est susceptible de conduire à des solutions inconciliables si les causes sont jugées séparément, au sens de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I.

74.      Conformément à la jurisprudence de la Cour, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier l’existence d’un tel risque dans le litige au principal, en tenant compte de tous les éléments pertinents du dossier (84).

75.      À l’instar de la Commission, je note qu’une telle interprétation présente l’avantage non négligeable d’être conforme à la volonté que le législateur a exprimée dans le règlement Rome II, et en particulier à son article 6, intitulé «Concurrence déloyale et actes restreignant la libre concurrence», dont le paragraphe 3, fait état de la possibilité pour un demandeur agissant contre plusieurs défendeurs dans le cadre d’un litige relatif à cette matière, de concentrer ses demandes devant une seule juridiction, «conformément aux règles applicables en matière de compétence judiciaire», et de les fonder sur la loi du for (85). À mon avis, il convient de tenir dûment compte de cette orientation législative, dans un souci de cohérence entre les instruments du droit de l’Union applicables aux litiges transfrontaliers (86), en dépit du fait que, comme l’objectent les défenderesses au principal, le règlement Rome II n’est pas applicable en l’espèce ratione temporis (87).

2.      Sur l’incidence, aux fins de l’application de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I, d’un désistement de l’action exercée à l’égard du seul codéfendeur établi dans l’État du for [première question, sous b)]

76.      La juridiction de renvoi motive la demande qu’elle soumet dans le second volet de sa première question préjudicielle en distinguant deux problèmes d’interprétation de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I en cas de désistement d’action à l’égard de celui des codéfendeurs qui permet de rattacher l’ensemble du litige à la juridiction saisie, à savoir, d’une part, l’application éventuelle d’un principe de perpétuation de la compétence (88) fondée sur cette disposition dans un tel cas de figure (a) et, d’autre part, les conséquences à tirer d’un possible abus du droit de se prévaloir d’un lien de connexité à ce titre (b).

77.      Les réponses proposées par les parties intéressées ayant déposé des observations sur ces deux problématiques sont particulièrement contrastées, mais il peut être sommairement noté que les parties défenderesses au principal soutiennent que l’extension de compétence prévue audit article 6, point 1, ne devrait pas perdurer dans de telles circonstances (89), contrairement à la position prise par CDC et la Commission, avec toutefois davantage de nuances formulées par cette dernière.

a)      Sur le maintien de la compétence fondée sur l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I en cas de désistement de l’action à l’égard du défendeur d’ancrage

78.      Je partage l’avis de la juridiction de renvoi, de CDC et de la Commission selon lequel, à supposer qu’un lien de connexité entre les demandes formées à l’encontre de plusieurs défendeurs soit établi au moment de l’introduction de l’action, le désistement ultérieur à l’égard du défendeur justifiant la compétence étendue du for, en vertu de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I, ne saurait avoir pour effet de mettre fin à cette compétence.

79.      La Cour n’a certes pas encore eu l’occasion de se prononcer directement sur cette problématique. Néanmoins, il convient de relever que, dans l’arrêt Reisch Montage, elle a souligné que cette disposition n’opère aucun renvoi à des règles internes, lesquelles ne peuvent donc pas y faire obstacle, et elle a précisé que celle-ci doit être appliquée «même quand l’action est considérée comme étant, dès son introduction, irrecevable en vertu d’une réglementation nationale envers le [...] défendeur [domicilié dans l’État membre du for]» (90). De surcroît, dans l’arrêt Freeport, elle a expressément retenu le moment de l’introduction de l’action comme point de référence pour apprécier l’existence d’une connexité entre les demandes (91).

80.      Le critère qui me paraît déterminant pour que reste valable la compétence dérivée prévue à l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I est que le désistement de l’action à l’égard du défendeur d’ancrage n’intervienne que postérieurement à la date à laquelle la juridiction concernée s’est trouvée saisie conformément aux conditions de procédure requises (92). Dès lors que la saisine était valablement acquise à cette date, il est, en revanche, indifférent selon moi que le désistement ait, comme en l’espèce, précédé l’expiration du délai fixé par le juge pour le mémoire en défense et le début de la première audience.

81.      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 30 du règlement Bruxelles I définit la date à laquelle une juridiction d’un État membre est réputée saisie, aux fins de l’application des dispositions contenue dans la section 9 portant sur la litispendance et la connexité (93). Il est à mon avis possible de tenir compte de cette définition également pour les autres sections du chapitre II relatif aux règles de compétence, voire nécessaire, en particulier au sujet dudit article 6, point 1, puisque celui‑ci énonce une règle qui repose aussi sur l’existence d’une connexité entre les demandes (94).

82.      Au surplus, le maintien du regroupement de demandes liées devant la juridiction saisie, rendu possible en application de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I, est conforme aux objectifs de bonne administration de la justice, de prévisibilité et de sécurité juridique, qui sont visés par les règles de compétence prévues par ce règlement (95), puisque ce maintien permet d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues, à tout le moins vis-à-vis des défendeurs restants, lesquels avaient en outre déjà eu connaissance du fait qu’ils étaient tous attraits devant cette juridiction au moment du désistement en question.

83.      J’estime donc que le fait que le demandeur se désiste de son action à l’égard du seul des codéfendeurs qui soit domicilié dans le ressort du for n’affecte pas en soi la compétence fondée sur ledit article 6, point 1, lorsque ce désistement intervient à une date postérieure à celle à laquelle la juridiction concernée a été valablement saisie, sous réserve qu’une condition complémentaire, dont l’exposé va suivre, soit également remplie.

b)      Sur la limite résultant d’un abus du droit de fonder la compétence sur l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I

84.      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, «la règle [de compétence prévue à l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I] ne saurait être appliquée de telle sorte qu’elle puisse permettre à un requérant de former une demande dirigée contre plusieurs défendeurs à la seule fin de soustraire l’un de [ceux-ci] aux tribunaux de l’État membre où il est domicilié» (96). Cette restriction afférente à un éventuel détournement de for, qui a pris appui dans le rapport Jenard (97), est parfaitement cohérente avec l’exigence selon laquelle les dérogations à la compétence de principe des juridictions du domicile d’un défendeur, prévue à l’article 2 du règlement Bruxelles I, doivent être conçues de façon restrictive.

85.      La Cour a précisé, dans l’arrêt Freeport, que «lorsque les demandes formées contre les différents défendeurs sont connexes lors de leur introduction», la règle de compétence énoncée audit article 6, point 1, est applicable «sans qu’il soit en outre nécessaire d’établir de manière distincte que les demandes n’ont pas été formées à la seule fin de soustraire l’un des défendeurs aux tribunaux de l’État membre où il est domicilié» (98). La question des conséquences à tirer de cette formule quelque peu ambiguë pose problème à la juridiction de renvoi et divise tant les parties à la présente affaire que les commentaires doctrinaux relatifs audit arrêt (99).

86.      À cet égard, l’analyse faite par la juridiction de renvoi m’apparaît correcte, en ce qu’elle considère que lorsqu’est remplie la condition tenant à l’existence d’un lien de connexité entre les demandes, au sens de cette disposition, le tribunal saisi n’a pas l’obligation d’examiner systématiquement si la compétence élargie qui en découle a été acquise à la suite d’un abus de droit, mais il a néanmoins la possibilité de procéder à un tel examen dans le cas où des éléments de preuve attestent de façon suffisante que le demandeur qui s’en prévaut a manœuvré de sorte à détourner cette règle de compétence de son but.

87.      Or, en l’occurrence, la juridiction de renvoi évoque la probabilité d’une collusion entre la demanderesse au principal et Evonik Degussa, défenderesse au principal dont le siège est situé en Allemagne, lesquelles auraient volontairement différé la conclusion formelle de leur transaction amiable après l’introduction de l’action, alors qu’un accord aurait bien avant cela été envisagé, voire décidé, entre ces parties, à la seule fin d’établir une compétence judiciaire élargie dans cet État membre (100).

88.      À condition que la prétendue manœuvre trompeuse, qui en l’espèce est contestée par les intéressées, soit non pas uniquement probable mais avérée, ce qu’il incombera au juge national de vérifier, un tel abus de droit, visant à priver l’un ou plusieurs des défendeurs de la compétence de principe des tribunaux de l’État membre où ils sont domiciliés (101), devrait à mon avis être sanctionné par un refus d’appliquer l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I dans ces circonstances, dès lors que les critères de la connexité ne se trouvaient pas réellement réunis à la date de l’introduction de l’action (102). En effet, l’intérêt que le tribunal du domicile du défendeur d’ancrage instruise et juge en même temps les demandes formées contre plusieurs défendeurs, conformément à cette disposition, a disparu dès le moment où une transaction contraignante a mis fin envers ce défendeur à l’obligation juridique dont le demandeur aurait pu se prévaloir contre lui devant ce tribunal. En dehors de ces cas précis, il n’y a, en revanche, pas lieu selon moi de contrôler et de réprimer un abus de droit dans un tel contexte juridique.

89.      Je précise que l’existence du lien de connexité requis par l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I ouvre une option au profit du demandeur, lequel a la possibilité, à mon avis et conformément au point de vue exprimé par les avocats généraux Ruiz‑Jarabo Colomer et Mengozzi au sujet du forum shopping, d’exercer cette option de la façon lui paraissant la plus adéquate et profitable, sans que cela soit en soi constitutif d’un détournement de for (103). De surcroît, dans le cas d’ententes illicites telles que celle au principal, l’application de cette disposition est par hypothèse, vu l’objet de celle-ci, susceptible de conduire à ce qu’un ou plusieurs défendeurs doivent répondre de leurs agissements devant un tribunal autre que celui de leur domicile, par conséquent toute objection tirée de ce résultat concret n’est pas pertinente.

90.      Au vu de l’ensemble de ces éléments, je considère que la règle de compétence élargie prévue à l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I ne saurait trouver application lorsqu’il est dûment établi, selon la juridiction saisie, que le demandeur avait conclu une transaction juridiquement contraignante avec le défendeur établi dans l’État membre du for avant d’introduire son action et qu’il avait sciemment dissimulé l’existence de cet accord antérieur, à la seule fin de priver l’un des autres défendeurs de la compétence des tribunaux de l’État membre où il est domicilié.

D –    Sur l’éventuelle mise en œuvre de clauses attributives de juridiction et de clauses compromissoires dans un litige tel que celui au principal (troisième question)

91.      La troisième question, dont la motivation est hélas assez succincte, invite la Cour à dire si, eu égard au principe posé par la Cour de la pleine efficacité de l’interdiction des ententes qui est énoncée à l’article 101 TFUE et garantie par un droit pour les victimes à la réparation des dommages subis en ce domaine (104), il serait admissible, en l’occurrence, de déroger aux règles de compétence prévues aux articles 5, point 3, et/ou 6, point 1, du règlement Bruxelles I par le jeu de clauses d’arbitrage et/ou de clauses attributives de juridiction (1).

92.      Étant donné que ce dernier type de clauses relève du champ d’application de l’article 23 dudit règlement, contrairement aux clauses compromissoires, il y aura lieu de tenir compte de l’impact de cette disposition dans le présent contexte (2). En outre, même si la juridiction de renvoi part a priori du principe que les deux catégories de clauses invoquées par les défenderesses au principal peuvent trouver application dans le cadre d’une action en réparation telle que celle au principal (105), ce qui nécessiterait d’être discuté selon moi (4), il conviendra en tout état de cause de se demander si et dans quelle mesure de telles clauses peuvent produire leurs effets alors que le contenu des contrats où elles figurent a été faussé par l’entente illicite en cause (3).

1.      Sur la problématique soumise à la Cour

93.      Pour contester la compétence du Landgericht Dortmund, les défenderesses au principal ont objecté que des clauses compromissoires et des clauses attributives de juridiction figuraient dans certains des contrats de livraison conclus entre les acheteurs de peroxyde d’hydrogène ayant cédé leurs droits à CDC et les fournisseurs ayant pris part à l’entente illicite sur laquelle se fonde les demandes d’indemnisation présentées par cette dernière.

94.      La décision de renvoi ne contient pas une description détaillée des clauses en question. Toutefois, il ressort des observations de CDC que, selon les allégations des défenderesses au principal, quelques-uns desdits contrats de livraison auraient contenu de telles clauses, soit sous la forme de conditions générales se rapportant à un contrat donné (106), soit au titre de contrats cadres couvrant plusieurs livraisons à un client au cours d’une période indépendante de la période de l’entente (107), étant précisé que certains clients auraient conclu plusieurs clauses avec différents fournisseurs (108) ou des clauses différentes dans les divers contrats conclus avec les mêmes fournisseurs (109). Le point de savoir si les clauses attributives de juridiction invoquées désignaient uniquement des tribunaux siégeant dans des États membres, ou bien aussi des tribunaux siégeant dans des États tiers, n’est pas clairement établi.

95.      Aux termes des motifs de la troisième question exposés par la juridiction de renvoi, celle‑ci estime que dans l’hypothèse où les clauses en question couvriraient les droits à dommages et intérêts allégués, ce qu’il appartiendrait à elle seule de déterminer (110), il faudrait alors se demander si le principe d’une mise en œuvre efficace de l’interdiction des ententes en droit de l’Union empêche que de telles clauses soient appliquées lorsque la juridiction saisie d’une demande de ce type est compétente en vertu des articles 6, point 1, et/ou 5, point 3, du règlement Bruxelles I.

96.      Parmi les parties intéressées ayant présenté des observations devant la Cour, seule CDC prétend que lesdites clauses devraient ne pas être prises en compte dans un tel contexte. La Commission souligne cependant que, pour trancher la question préalable de savoir si une clause compromissoire ou attributive de juridiction couvre effectivement des droits à réparation tels que ceux en cause, la juridiction nationale devra prendre en considération le fait que lesdits droits résultent non pas des contrats de livraison en cause mais du délit constitué par un accord collusoire qui est extérieur à ces contrats.

97.      Avant de me prononcer à cet égard, j’entends apporter quelques précisions importantes à mon sens. En premier lieu, je rappelle que les clauses d’élection de for par lesquelles des parties dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre ont désigné un tribunal d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé relèvent des dispositions de l’article 23 du règlement Bruxelles I.

98.      En revanche, les clauses d’arbitrage sont, par principe, exclues du champ d’application de ce règlement (111). Il en résulte que les questions relatives à la validité et à l’opposabilité de ces dernières clauses devraient être régies par le droit national de chacun des États membres ainsi que par les conventions internationales qui lient ces derniers (112). Néanmoins, la Cour a jugé que si, en raison de l’objet principal du litige, c’est-à-dire par la nature des droits à sauvegarder dans une procédure – telle qu’une demande de dommages et intérêts –, la procédure engagée devant une juridiction étatique relève du champ d’application du règlement Bruxelles I, une question incidente portant à titre préalable sur l’applicabilité d’une convention d’arbitrage, y compris sur sa validité, est couverte également par le champ d’application de ce règlement et il appartient alors exclusivement à cette juridiction de statuer sur l’exception d’incompétence tirée de l’existence d’une convention d’arbitrage ainsi que sur sa propre compétence en vertu des dispositions de ce règlement (113).

99.      En dépit de cette différence en ce qui concerne l’applicabilité du règlement Bruxelles I, il convient de souligner que les deux catégories de clauses concernées ont pour effet commun de permettre de déroger aux règles de compétence énoncées par ledit règlement et cela en raison du respect de l’autonomie des parties quant à la détermination de la juridiction, étatique ou arbitrale selon les cas, à laquelle elles entendent confier le soin de trancher leurs différends (114).

100. Toutefois, une clause attributive de juridiction conforme à l’article 23 du règlement Bruxelles I ne pourra attribuer une compétence qu’aux juridictions d’États membres de l’Union et par extension, en vertu de la convention de Lugano (115), aux juridictions des États parties à ladite convention, tandis qu’une clause compromissoire est susceptible de déterminer que l’arbitrage aura lieu dans n’importe quel État tiers. Or, la probabilité que les dispositions du droit de la concurrence de l’Union ne soient pas appliquées, même à titre de règles d’ordre public, est plus élevée dans le cas où la compétence est attribuée à des arbitres ou à des juridictions d’États non liés par ladite convention de Lugano (116).

101. En deuxième lieu, je souligne que l’articulation entre le jeu de clauses attributives de juridiction ou de clauses compromissoires, d’une part, et les dispositions du droit de la concurrence de l’Union, d’autre part, est complexe dès lors que le contexte juridique des entraves à la libre concurrence prévue par ces dispositions offre une grande variété de configurations possibles. En ce qui concerne, plus particulièrement, le droit à une indemnisation intégrale fondé sur l’article 101 TFUE, je rappelle que la qualification de la responsabilité de l’auteur d’une infraction envers cette disposition comme étant de nature contractuelle ou délictuelle n’est pas toujours aisée et que des différences apparaissent à cet égard entre les systèmes juridiques des États membres (117).

102. L’existence de liens contractuels divers entre les participants à l’entente et les victimes d’une telle infraction soulève le problème de savoir si les clauses concernées peuvent permettre de déroger, en l’occurrence, à la compétence d’une juridiction d’un État membre qui serait fondée sur les articles 5 ou 6 du règlement Bruxelles I, nonobstant le fait que la teneur des contrats où elles sont insérées s’est trouvée affectée par ladite infraction.

103. Étant donné que la détermination de la portée matérielle de telles clauses incombe au seul juge national (118), la troisième question préjudicielle invite donc essentiellement la Cour à déterminer si et de quelle façon les principes inhérents à l’article 101 TFUE sont susceptibles d’influer, tout d’abord, sur l’application de l’article 23 du règlement Bruxelles I dans le cas des clauses attributives de juridiction qui en relèvent et, ensuite, sur la mise en œuvre d’autres types de clauses attributives de juridiction et de clauses compromissoires qui se trouvent quant à elles régies par des normes propres au droit des États membres.

2.      Sur l’éviction des règles de compétence prévues aux articles 5 et 6 du règlement Bruxelles I par des clauses attributives de juridiction conformes à l’article 23 de ce règlement

104. Il convient, tout d’abord, de constater que l’indemnisation au titre des dommages causés par une entente illicite, telle que celle sollicitée par le demandeur au principal, relève de manière générale de l’autonomie de la volonté des parties, sachant qu’il s’agit là de l’obligation de droit civil pesant sur toute personne ayant commis un acte interdit de réparer financièrement les préjudices subis par une autre personne, domaine où les droits matériels des intéressés ne sont pas indisponibles (119). De même, le règlement Bruxelles I n’exclut pas la possibilité pour les parties d’attribuer la compétence ratione loci (120) à une juridiction d’un État membre dans le cadre d’un litige portant sur une telle question conformément à son article 23.

105. S’agissant de la combinaison entre les dispositions de ce dernier article et celles des articles 5, point 3, et/ou 6, point 1, du règlement Bruxelles I, Kemira relève à juste titre que la Cour a déjà jugé qu’en concluant un accord d’élection de for conforme à l’article 17 de la convention de Bruxelles, les parties avaient la faculté de déroger non seulement à la compétence générale prévue à son article 2, mais aussi aux compétences spéciales prévues à ses articles 5 et 6 (121). Elle a précisé, d’une part, que «cette interprétation se justifie par la considération que [ledit] article 17 se fonde sur la reconnaissance de l’autonomie de la volonté des parties en matière d’attribution de compétence aux juridictions appelées à connaître de litiges relevant du champ d’application de la convention, autres que ceux qui sont expressément exceptés en vertu de l’alinéa 2 de l’article 17» et, d’autre part, qu’«une telle clause conserve toujours un effet utile en ce sens qu’elle a pour conséquence d’exclure, dans les rapports entre parties, d’autres attributions de compétence facultatives, telles qu’on les trouve aux articles 5 et 6 de la convention [de Bruxelles]» (122).

106. Il en va de même pour les dispositions équivalentes du règlement Bruxelles I, sachant que, conformément à ses considérants 11 et 14 et à son article 23, paragraphe 5, «l’autonomie de la volonté des parties à un contrat [...] quant à la détermination de la juridiction compétente [...] doit être respectée», sauf dans les cas où sont applicables soit des règles de compétence particulières destinées à protéger la partie la plus faible (123), soit les règles de compétences exclusives énoncées à son article 22. En dehors des dispositions dont l’application est ainsi expressément réservée, parmi lesquels ne figurent pas les articles 5 et 6 de ce règlement, une convention attributive de juridiction conforme à son article 23 doit produire son plein effet, et notamment conférer une compétence exclusive au for élu.

107. Cette prévalence de la volonté des parties vaut, en particulier, par rapport aux objectifs de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I tenant à la concentration des compétences et à l’économie de procédure, et ce, à mon avis, même si ladite clause n’indique pas explicitement que les parties ont eu la volonté de déroger à cette disposition spécifique.

108. S’agissant de l’article 5, point 3, de ce règlement, il conviendra au préalable de déterminer si une clause attributive de juridiction a réellement vocation à s’appliquer dans un litige tel que celui au principal, lequel m’apparaît relever de la matière délictuelle et non contractuelle (124), et si elle est opposable à un demandeur tel que CDC, par l’effet d’une substitution dans les engagements pris par les entreprises lui ayant cédé leurs droits (125), ce qu’il incombera à la juridiction de renvoi de vérifier en suivant les orientations données par la Cour à ce sujet.

109. Je rappelle, en particulier, qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 23 du règlement Bruxelles I, d’une part, que la validité d’une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat est subordonnée au fait que les parties l’ayant conclu aient donné clairement leur accord vis-à-vis de cette clause et, d’autre part, que le juge saisi a l’obligation d’examiner la réalité du consentement des intéressés à cet égard (126).

110. De surcroît, aux termes dudit article, une convention d’élection de for ne peut concerner que des différends nés ou à naître «à l’occasion d’un rapport de droit déterminé». Ayant interprété ce dernier critère sous l’angle de l’article 17 de la convention de Bruxelles, la Cour a précisé que «[c]ette exigence vise à limiter la portée d’une convention attributive de juridiction aux seuls différends qui trouvent leur origine dans le rapport de droit à l’occasion duquel cette convention a été conclue. Elle a pour objectif d’éviter qu’une partie soit surprise par l’attribution, à un for déterminé, de l’ensemble des différends qui surgiraient dans les rapports qu’elle entretient avec son cocontractant et qui trouveraient leur origine dans des rapports autres que celui à l’occasion duquel l’attribution de juridiction a été convenue» (127).

111. Or, à l’instar de CDC, je doute fort qu’une clause attributive de juridiction incluse dans des contrats comme ceux en cause pourrait satisfaire à l’exigence d’un consentement clair et non vicié, puisqu’il s’agit là de rendre compétente la juridiction désignée pour trancher un litige portant sur la responsabilité délictuelle de l’un des contractants qui dérive d’une entente illicite alors que l’existence de cette dernière était inconnue de la victime supposée au moment où elle a conclu un tel accord.

112. En revanche, il serait selon moi tout à fait possible d’admettre que la victime adhère à une convention attributive de compétence après qu’elle a appris l’existence de l’entente prohibée par l’article 101 TFUE, cette convention postérieure à la naissance du différend étant alors acceptée en toute connaissance de cause.

113. À cet égard, je souligne que la directive 2014/104, susmentionnée, qui porte sur les actions en réparation de droit interne consécutives à des infractions au droit de la concurrence de l’Union, tend notamment à favoriser le recours à des mécanismes consensuels de résolution des litiges, tels que le règlement amiable ou l’arbitrage, et à accroître leur efficacité (128). Cette approche m’apparaît bien fondée, pour autant que les parties ont pleinement et librement consenti à attribuer la question des droits à dommages et intérêts nés d’une entente illicite à un for déterminé, même s’il est différent de celui qui serait compétent en application des articles 5, point 3, ou 6, point 1, du règlement Bruxelles I.

114. Quelle que soit l’analyse que la juridiction de renvoi retiendra au sujet de ces derniers points, je considère qu’il n’y a pas lieu que le principe de la pleine efficacité de l’interdiction des ententes prévue à l’article 101 TFUE, qui est visé dans la troisième question préjudicielle, interfère s’agissant du cas particulier des clauses attributives de juridiction qui relèvent de l’article 23 du règlement Bruxelles I.

115. En effet, à l’égard d’une telle clause, ce sont non pas des règles nationales mais les dispositions dudit article qui déterminent, en droit de l’Union, la compétence judiciaire des juridictions des États membres en matière civile et commerciale, en fixant tant les conditions de la validité que les effets juridiques de cette clause (129). Or, les développements qui précèdent concernant l’interprétation jurisprudentielle dudit article 23 (130) conduisent clairement à faire prévaloir, le cas échéant, les clauses qui sont conformes aux exigences afférentes à cet article, en particulier quant au consentement de la personne prétendument lésée par l’entente illicite, par rapport aux chefs de compétence résultant des articles 5 et/ou 6 de ce règlement.

116. J’ajoute que la confiance réciproque entre les juridictions des États membres, laquelle est l’un des piliers du système de coopération judiciaire mis en place par la convention de Bruxelles et repris dans le règlement Bruxelles I (131), implique à mon avis que la compétence du tribunal qui est élu par les parties en adéquation avec l’article 23 de ce règlement ne saurait être mise en échec sur le fondement de l’article 101 TFUE, de même que la Cour a jugé qu’il n’est pas permis d’invoquer l’ordre public pour s’opposer à l’exécution d’un jugement en provenance d’un autre État membre au motif que le droit de la concurrence de l’Union y aurait été mal appliqué au fond (132).

117. Par conséquent, je suis d’avis qu’en présence d’une clause désignant un tribunal d’un autre État membre qui serait reconnue conforme à l’article 23 du règlement Bruxelles I et dûment applicable au litige dont il est saisi, un tribunal d’un État membre devrait décliner sa propre compétence, même lorsque cette clause conduit à écarter les règles de compétence spéciales prévues aux articles 5 et/ou 6 de ce règlement, et ce nonobstant le principe d’une mise en œuvre efficace de l’interdiction des ententes résultant de l’article 101 TFUE.

3.      Sur l’incidence, à l’égard des autres types de clauses invoquées, du principe de la pleine efficacité de l’interdiction des ententes édictée à l’article 101 TFUE

118. S’agissant des clauses attributives de juridiction auxquelles l’article 23 du règlement Bruxelles I ne s’avérerait pas applicable ainsi que s’agissant des clauses compromissoires, la problématique soumise par la juridiction de renvoi est plus complexe, puisqu’elle doit être appréhendée moyennant une application non pas des dispositions de ce règlement, telles qu’interprétées par la Cour, mais de règles de droit national, dont la mise en œuvre doit être conforme avec les dispositions contraignantes du droit primaire de l’Union, et notamment avec l’article 101 TFUE.

119. À cet égard, je rappelle qu’aux termes de sa jurisprudence constante issue des arrêts Courage et Crehan et Manfredi e.a. déjà évoqués (133), la Cour a jugé qu’en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités d’exercice du droit de demander réparation du préjudice résultant d’une entente interdite par l’article 101 TFUE (134), pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés, lesquels requièrent, en particulier, que ces règles nationales ne portent pas atteinte à la pleine efficacité du droit de la concurrence de l’Union et tiennent compte plus spécifiquement de l’objectif visé par ledit article (135). À mon avis, il en résulte, en l’occurrence, que l’application de règles nationales ne saurait permettre que les clauses attributives de juridiction et/ou compromissoires en question puissent jouer d’une façon qui nuise à cette pleine efficacité.

120. De surcroît, la Cour a retenu que le plein effet de l’article 101 TFUE et, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée à son paragraphe 1 (136) seraient remis en cause s’il n’était pas permis à toute personne de demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, comme l’entente illicite qui, en l’espèce, fonde les prétentions de CDC. En effet, la garantie du droit à demander une telle réparation est, notamment, de nature à décourager des accords ou des pratiques de ce type, qui sont souvent dissimulés, et elle contribue ainsi substantiellement au maintien d’une concurrence effective au sein de l’Union (137).

121. En règle générale, face à une clause compromissoire, une juridiction d’un État membre devrait se dessaisir et renvoyer les parties à l’arbitrage, sur demande de l’une d’entre elles, sauf si cette juridiction constate que la convention d’arbitrage invoquée est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée au litige pendant devant elle, et ce après un examen effectué, dans le cadre de l’exercice de sa compétence, au regard des exigences son droit national (138), puisque le règlement Bruxelles I ne détermine pas les conditions de validité d’une telle clause (139). Il en irait de même pour les clauses désignant une juridiction étatique qui ne relèvent pas de l’article 23 dudit règlement.

122. Toutefois, le principe exigeant une mise en œuvre efficace de l’interdiction des ententes en droit de l’Union, visé par la juridiction de renvoi, est selon moi susceptible d’intervenir à l’encontre des clauses d’élection de for en question ou de clauses d’arbitrage, notamment aux fins d’assurer que toute personne ait le droit de demander la réparation intégrale des dommages résultant d’une entente prohibée, tels que ceux allégués au principal.

123. En ce sens, il y a lieu de relever que dans l’arrêt Eco Swiss, qui porte sur la relation entre l’arbitrage et les règles de la concurrence issues du droit de l’Union, la Cour a précisé que l’article 85 du traité, devenu l’article 101 TFUE, «peut être considéré comme une disposition d’ordre public» (140). Elle y a dit pour droit que «dans la mesure où une juridiction nationale doit, selon les règles de procédure internes, faire droit à une demande en annulation d’une sentence arbitrale fondée sur la méconnaissance des règles nationales d’ordre public, elle doit également faire droit à une telle demande lorsqu’elle estime que cette sentence est contraire à [cet article]. [En effet,] le droit communautaire exige que des questions tenant à l’interprétation de l’interdiction édictée [par ledit article] puissent être examinées par les juridictions nationales appelées à se prononcer sur la validité d’une sentence arbitrale et puissent faire l’objet, le cas échéant, d’un renvoi préjudiciel devant la Cour» (141).

124. Par analogie, je considère que le droit de l’Union requiert de laisser inappliquée une clause compromissoire, de même qu’une clause attributive de juridiction non régie par l’article 23 du règlement Bruxelles I, dans les cas où la mise en œuvre d’une telle clause conduirait à porter atteinte à l’effet utile de l’article 101 TFUE. À cet égard, il peut être utilement noté que ledit arrêt Eco Swiss est antérieur aux arrêts Courage et Crehan et Manfredi e.a., précités, qui ont consacré la reconnaissance, en droit de l’Union, d’un droit à la réparation de tous les préjudices subis par les victimes des entraves illicites à la libre concurrence, non pas seulement dans l’intérêt desdites victimes, mais surtout pour préserver les intérêts généraux liés à cette liberté. La jurisprudence postérieure à ces deux arrêts a encore renforcé cette approche, en encourageant la mise en œuvre privée desdites règles de concurrence (communément appelée «private enforcement») notamment grâce à la levée des obstacles pouvant découler de dispositions nationales (142).

125. Il est vrai que l’application de clauses attributives de juridiction ou de clauses d’arbitrage ne constitue pas en soi un obstacle à l’effet utile de l’article 101 TFUE au sens de la jurisprudence précitée. En particulier, le fait que des clauses de ce type puissent, si elles sont valides et applicables au litige concerné, entraîner l’éviction des chefs de compétence spéciaux prévus aux articles 5 et/ou 6 du règlement Bruxelles I n’a pas nécessairement pour effet de priver les victimes supposées d’un préjudice causé par une entente illicite de la possibilité d’obtenir une indemnisation intégrale à ce titre, dès lors qu’elles ne sont pas empêchées d’agir devant chacune des juridictions étatiques ou arbitrales désignées, même si, vu la grande variété des clauses opposées en l’espèce, leur application serait indubitablement susceptible de rendre plus difficile une telle opération.

126. Néanmoins, il est à mon avis délicat de mettre en pratique cette prise de position théorique dans le contexte particulier d’une entente illicite ayant impliqué de nombreux participants et victimes supposées et dont l’exécution a généré une multitude de contrats individuels de livraison, possiblement convenus entre différentes sociétés du groupe d’un vendeur ou d’un acheteur (143). En effet, dans le cas d’une restriction de la concurrence à caractère horizontal, comme celle sur laquelle se fonde l’action au principal, il me semble difficile d’admettre une exclusion des voies normales de protection judiciaire, sauf lorsque les victimes supposées ont expressément donné leur consentement en ce sens et à condition que les juridictions étatiques ou arbitrales auxquelles une compétence a ainsi été attribuée soient tenues d’appliquer les dispositions du droit de la concurrence de l’Union à titre de règles d’ordre public.

4.      Sur l’opérabilité de clauses attributives de juridiction et de clauses compromissoires dans un litige tel que celui au principal

127. Le problème essentiel, qui en fait se posera à titre préalable pour le juge national, est celui de savoir si les clauses compromissoires et les clauses attributives de juridiction invoquées par les défenderesses au principal ont réellement vocation à interférer en l’espèce. Certes, conformément à la jurisprudence de la Cour (144), seule la juridiction saisie du litige au principal peut, et même doit, procéder à l’appréciation de la validité et de la portée d’une clause d’élection de for qui lui est opposée. Or, le Landgericht Dortmund semble considérer, même si sa décision de renvoi n’est pas explicite à cet égard, que l’objet du litige pourrait se trouver couvert par les deux types de clauses incluses dans les contrats de livraison dont le respect est requis par les défenderesses au principal.

128. Toutefois, ainsi que le soulignent tant CDC que la Commission, il est permis de douter fortement du fait que les droits d’indemnisation dont se prévaut la demanderesse au principal soient tirés des contrats dans lesquels ces clauses étaient contenues.

129. Par analogie avec ce que la Cour a énoncé concernant les clauses attributives de juridiction relevant de l’article 23 du règlement Bruxelles I (145), il me semble difficile d’admettre que les compétences judiciaires fondées sur les dispositions de ce règlement puissent être exclues dans le cas où l’application du droit d’un État membre permettrait qu’un autre type de clauses attributives de juridiction ou une clause compromissoire soumette l’ensemble des différends qui surgiraient dans les rapports qu’une partie entretient avec son cocontractant et qui trouveraient leur origine dans des rapports autres que celui à l’occasion duquel la clause concernée a été acceptée. L’exigence d’un lien caractérisé entre la clause invoquée et un rapport de droit déterminé me paraît ici aussi nécessaire, aux fins de garantir une prévisibilité de la compétence.

130. À mon avis, les droits allégués en l’espèce résultent plutôt du délit constitué par l’entente ayant été organisée et mise en œuvre, d’une façon occulte, par les défenderesses au principal. En effet, le litige au principal a pour objet les conséquences pécuniaires générées par ce comportement frauduleux, lequel est par nature distinct des contrats de livraison invoqués (146). Une clause attributive de juridiction ou une clause compromissoire ne saurait avoir été valablement conclue dans de telles circonstances, à savoir avant même la connaissance par les victimes supposées de l’existence de l’événement causal et des dommages que celui-ci aurait engendrés.

131. Au demeurant, la juridiction de renvoi s’oriente aussi vers cette même qualification du litige au principal, puisqu’elle apparaît considérer, en particulier aux termes de sa deuxième question, que l’action en responsabilité civile qui est pendante devant elle relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, visée à l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, et non pas de la matière contractuelle, visée à l’article 5, point 1, de ce règlement (147). Toutefois, dans certains systèmes juridiques nationaux, la qualification délictuelle de l’objet du litige n’exclut pas en soi l’applicabilité de clauses attributives de juridiction ou de clauses compromissoires, laquelle dépend à l’évidence, dans chaque cas concret, de la formulation de la clause concernée (148).

132. Par conséquent, je considère que l’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens que la mise en œuvre de clauses attributives de juridiction et/ou de clauses compromissoires dans le cadre d’une action aux fins de réparation des préjudices causés par une entente déclarée contraire à cet article ne porte pas en soi atteinte au principe de la pleine efficacité de l’interdiction des ententes. Toutefois, pour autant qu’une clause de l’une ou l’autre de ces catégories puisse être déclarée applicable, en vertu du droit d’un État membre, dans un litige portant sur la responsabilité de nature délictuelle qui est susceptible de résulter d’une telle entente, ledit principe s’oppose selon moi à ce que la compétence relative à ce litige soit attribuée en vertu d’une clause figurant dans un contrat dont le contenu a été convenu alors que la partie à laquelle cette clause est opposée n’avait pas connaissance de l’entente en question et de son caractère illicite, et n’avait donc pas pu prévoir que la clause puisse s’appliquer aux indemnisations sollicitées sur ce fondement.

V –    Conclusion

133. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Landgericht Dortmund (Allemagne):

1)      a)      L’article 6, point 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un défendeur dont le domicile est situé dans le ressort d’une juridiction d’un État membre et des défendeurs établis dans d’autres États membres se voient réclamer devant cette juridiction des renseignements et des dommages et intérêts, à titre solidaire, en raison d’une infraction unique et continue à l’article 81 CE (article 101 TFUE) constatée par la Commission européenne, à laquelle ils ont participé dans divers États membres et à des moments différents, il y a intérêt à instruire et à juger ces demandes en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

b)      L’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que le fait que l’action exercée à l’encontre du seul des codéfendeurs qui soit domicilié dans le ressort de la juridiction saisie ait fait l’objet d’un désistement n’affecte pas l’application de cette disposition, sous réserve, d’une part, qu’un tel désistement soit intervenu postérieurement à la date à laquelle la juridiction a été valablement saisie et, d’autre part, qu’il ne soit pas corrélatif à une transaction ayant été conclue de façon contraignante entre le demandeur et ledit défendeur antérieurement à cette date mais ayant été dissimulée à la seule fin de soustraire l’un des autres défendeurs aux tribunaux de l’État membre où son domicile est situé.

2)      L’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que, lorsque des défendeurs établis dans des États membres différents se voient réclamer en justice des dommages et intérêts au sujet d’une entente, déclarée constitutive d’une infraction unique et continue à l’article 81 CE (article 101 TFUE) par une décision de la Commission européenne, à laquelle ils ont participé dans plusieurs États membres à divers endroits et moments, le fait dommageable ne saurait être réputé s’être produit, à l’égard de chaque défendeur et pour l’ensemble des dommages invoqués ou le dommage total, dans chacun des États membres sur le territoire desquels l’entente illicite a été conclue et/ou mise en œuvre.

3)      L’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une action en réparation des préjudices causés par une infraction à cet article, le principe de la pleine efficacité de l’interdiction des ententes en droit de l’Union ne s’oppose pas à la mise en œuvre de clauses attributives de juridiction conformes à l’article 23 du règlement no 44/2001, tandis que ce principe s’oppose à la mise en œuvre de clauses compromissoires et/ou de clauses attributives de juridiction ne relevant pas dudit article 23 lorsque le droit national applicable permet que la compétence relative à ce litige soit attribuée en vertu d’une clause figurant dans un contrat dont le contenu a été convenu alors que la partie à laquelle cette clause est opposée n’avait pas connaissance de l’entente en question et de son caractère illicite.


1 – Langue originale: le français.


2 – JO 2001, L 12, p. 1. Ce règlement va être remplacé par le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 351, p. 1), dont la majeure partie des dispositions entrera en vigueur le 10 janvier 2015.


3 – JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE». Sachant que le libellé de l’article 53 de l’accord EEE est, en substance, analogue à celui des articles 81 CE et 101 TFUE, ce qui sera indiqué dans les présentes conclusions à l’égard de ces dernières dispositions vaudra mutatis mutandis pour la première.


4 – Par opposition à la mise en œuvre de ces dispositions dans la sphère publique («public enforcement»), qui est assurée par la Commission et les autorités nationales de concurrence.


5 – L’adoption de règles de compétence spécifiques pour les recours collectifs en cas d’infraction aux règles de la concurrence communautaires avait été identifiée comme une problématique pertinente dans le livre vert sur la révision du règlement Bruxelles I [COM(2009) 175 final, point 8.2 in fine], mais sans que ce constat ait été suivi d’effets dans le règlement no 1215/2012 ayant finalisé ladite révision.


6 – Voir article 6, paragraphe 3, du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles («Rome II») (JO L 199, p. 40), lequel régit uniquement les faits générateurs de dommages survenus après le 11 janvier 2009 (arrêt Homawoo, C‑412/10, EU:C:2011:747). Conformément au considérant 21 de ce règlement, «[l]a règle spéciale prévue à l’article 6 ne déroge pas à la règle générale énoncée à l’article 4, paragraphe 1, [à savoir ‘la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient’], mais elle la précise».


7 – Décision C(2006) 1766 final de la Commission, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre d’Akzo Nobel NV, Akzo Nobel Chemicals Holding AB, EKA Chemicals AB, Degussa AG, Edison SpA, FMC Corporation, FMC Foret SA, Kemira Oyj, L’Air Liquide SA, Chemoxal SA, Snia SpA, Caffaro Srl, Solvay SA/NV, Solvay Solexis SpA, Total SA, Elf Aquitaine SA et Arkema SA (Affaire COMP/F/38.620 – Peroxyde d’hydrogène et perborate) (JO 2006, L 353, p. 54).


8 – Le peroxyde d’hydrogène sert, notamment, d’agent blanchissant dans les industries du papier et des textiles ainsi que pour la désinfection et le traitement des eaux usées. Le perborate de sodium est principalement utilisé comme substance active dans les détergents synthétiques et les poudres à lessiver (voir ibidem, points 2, 3 et 4).


9 – Une synthèse des amendes infligées et des recours engagés à l’encontre de celles-ci devant le Tribunal de l’Union européenne et la Cour figure dans le communiqué de presse no 154/13, du 5 décembre 2013, accessible à l’adresse Internet suivante: http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2013‑12/cp130154fr.pdf.


10 – La décision de renvoi mentionne que CDC a conclu des accords de cession de droits d’indemnisation avec 32 entreprises établies dans treize pays européens différents, en précisant que certaines d’entre elles avaient préalablement conclu de tels accords avec 39 autres entreprises.


11 – Les défenderesses étaient Akzo Nobel NV (ci-après «Akzo Nobel»), établie aux Pays‑Bas, Solvay SA (ci-après «Solvay»), établie en Belgique, Kemira Oyj (ci-après «Kemira»), établie en Finlande, Arkema France SA (ci-après «Arkema France»), établie en France (à l’égard de laquelle CDC s’est ultérieurement désistée), FMC Foret SA (ci-après «FMC Foret»), établie en Espagne ainsi qu’Evonik Degussa, seule établie en Allemagne (initialement défenderesse et désormais partie intervenante au soutien d’Akzo Nobel, Solvay, Kemira et Arkema France).


12 – Chemoxal SA, partie intervenante au soutien de Solvay et de FMC Foret, est établie en France, tandis qu’Edison SpA (ci‑après «Edison»), partie intervenante au soutien d’Akzo Nobel, de Kemira, d’Arkema France et de FMC Foret, est établie en Italie.


13 –      Sur cette notion, voir, notamment, Mestmäcker, E.-J., Wirtschaft und Verfassung in der Europäischen Union: Beiträge zu Recht, Theorie und Politik der europäischen Integration, Nomos, Baden‑Baden, 2e édition, 2006, spécialement p. 30 à 39 et p. 116 à 132; Christodoulidis, E., «A Default Constitutionalism? A Disquieting Note on Europe’s Many Constitutions», dans The many constitutions of Europe, Tuori, K., et Sankari, S. (sous la direction de), Ashgate, Edinburgh Centre for Law and Society series, 2010, p. 31 et suiv., spécialement p. 34 à 38.


14 – Arrêt Eco Swiss (C‑126/97, EU:C:1999:269, point 36).


15 – Prononcé dans le cadre d’une demande de dommages et intérêts fondée sur un préjudice causé à l’Union par une entente, l’arrêt Otis e.a. (C‑199/11, EU:C:2012:684, point 46) rappelle que «le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit de l’Union, qui est aujourd’hui exprimé à l’article 47 de la Charte».


16 – Sur le fait que, en Allemagne, les actions de groupe ne sont pas admises, contrairement à ce qui vaut au Royaume‑Uni, mais que y sont recevables les actions de sociétés qui, telle CDC, sont créées dans le seul but d’introduire une action en réparation au nom de leurs membres, voir Derenne, J., «Réparation du dommage concurrentiel dans le droit de l’Union européenne et des États membres», Concurrences, 2014, no 3, Colloque, p. 76 à 78, points 120 et 122.


17 – En ce domaine, le «contentieux indemnitaire n’est pas encore suffisamment développé» et «les chances pour une victime d’obtenir une indemnisation au titre des préjudices causés par une pratique anticoncurrentielle vari[ent] significativement selon les États membres» en raison de «la grande diversité entre les dispositions nationales régissant ces actions», selon Calisti, D., dans «Quelles propositions de l’Union européenne pour une meilleure réparation des dommages concurrentiels?», Concurrences, 2014, no 3, p. 27 à 31, points 6 et 7. Sur l’opportunité de pouvoir joindre les actions d’une pluralité de demandeurs contre un même défendeur notamment en matière d’ententes, voir aussi rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur l’application du règlement Bruxelles I [COM(2009) 174 final, point 3.5].


18 – C‑453/99, EU:C:2001:465.


19 – C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461.


20 – Ibidem (point 95).


21 – «En l’absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes pour connaître des recours en indemnité fondés sur une violation des règles communautaires de concurrence et de fixer les modalités procédurales de ces recours, pour autant que les dispositions concernées ne soient pas moins favorables que celles relatives aux recours en indemnité fondés sur une violation des règles nationales de concurrence [principe de l’équivalence] et que lesdites dispositions nationales ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit de demander réparation du dommage causé par une entente ou une pratique interdite par l’article 81 CE [principe d’effectivité]» (Ibidem, point 72).


22 – Voir article 6, paragraphe 3, dudit règlement ainsi que point 75 des présentes conclusions.


23 – Il est, en effet, constant que le droit dérivé doit être interprété et appliqué conformément au droit primaire. Voir, notamment, l’arrêt Espagne/Commission (C‑135/93, EU:C:1995:201, point 37), qui rappelle que «lorsqu’un texte du droit dérivé communautaire est susceptible de plus d’une interprétation, il convient de donner la préférence à celle qui rend la disposition conforme au traité, plutôt qu’à celle conduisant à constater son incompatibilité avec celui-ci». Voir, aussi, arrêt Réexamen Commission/Strack (C‑579/12 RX‑II, EU:C:2013:570, point 40).


24 – Voir arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines (C‑302/13, EU:C:2014:2319, point 29) et conclusions de l’avocat général Kokott dans cette même affaire flyLAL‑Lithuanian Airlines (C‑302/13, EU:C:2014:2046, point 48).


25 – JO 1972, L 299, p. 32. Texte tel que modifié par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention. Voir, aussi, rapport M. P. Jenard relatif à la convention de Bruxelles (JO 1979, C 59, p. 1, ci‑après le «rapport Jenard») ainsi que le rapport sur la convention relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention de Bruxelles, ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice, signée à Luxembourg le 9 octobre 1978, élaboré par le professeur Dr P. Schlosser (JO 1979, C 59, p. 71, ci-après le «rapport Schlosser»).


26 – Voir, notamment, arrêts OTP Bank (C‑519/12, EU:C:2013:674, point 21) et Brogsitter (C‑548/12, EU:C:2014:148, point 19).


27 – Voir, notamment, s’agissant de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, arrêts Folien Fischer et Fofitec (C‑133/11, EU:C:2012:664, points 31 et 32) ainsi que ÖFAB (C‑147/12, EU:C:2013:490, points 28 et 29), s’agissant de son article 6, point 1, arrêts Freeport (C‑98/06, EU:C:2007:595, point 39) ainsi que Sapir e.a. (C‑645/11, EU:C:2013:228, points 31 et 42), et, s’agissant de son article 23, arrêt Refcomp (C‑543/10, EU:C:2013:62, points 18 et 19).


28 – Voir notamment, au sujet de la convention de Bruxelles, arrêt Benincasa (C‑269/95, EU:C:1997:337, points 26 et 27) et, au sujet du règlement Bruxelles I, arrêt Melzer (C‑228/11, EU:C:2013:305, point 35).


29 – Sur la position prise en ce sens par la Cour, voir note 31 des présentes conclusions.


30 – À cet égard, voir Idot, L., «La dimension internationale des actions en réparation. Choisir sa loi et son juge: Quelles possibilités?», Concurrences, 2014, no 3, p. 43 à 53, spécialement point 5.


31 – Aux termes de l’arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines (EU:C:2014:2319, point 28), «[l]’action engagée [dans le litige au principal] a pour objet la réparation du préjudice lié à une prétendue infraction au droit de la concurrence. Ainsi, elle relève du droit relatif à la responsabilité civile délictuelle ou quasi délictuelle».


32 – À savoir les délits dont les éléments constitutifs, que sont le fait générateur et les conséquences dommageables que celui-ci a causées, se trouvent dissociés et disséminés sur le territoire de plusieurs États membres.


33 – Je précise que, dans la présente affaire, la seconde hypothèse visée par cette disposition, tenant au «lieu où le fait dommageable [...] risque de se produire», n’est pas pertinente puisque le demandeur invoque les conséquences de faits délictuels qui sont déjà survenus.


34 – Voir, notamment, arrêts Hi Hotel HCF (C‑387/12, EU:C:2014:215, point 27) ainsi que Coty Germany (C‑360/12, EU:C:2014:1318, point 46 et jurisprudence citée).


35 – Voir, notamment, arrêts Shevill e.a. (C‑68/93, EU:C:1995:61, points 27 et suiv.) ainsi que eDate Advertising e.a. (C‑509/09 et C‑161/10, EU:C:2011:685, point 51).


36 – La Commission propose d’interpréter l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I en ce sens que, dans un contexte tel que celui au principal, «le demandeur peut former un recours en dommages et intérêts contre chacun des membres de l’entente soit auprès des tribunaux de chaque État membre dans lequel des accords collusoires ont été conclus et mis en œuvre (lieu du fait générateur), soit auprès des tribunaux de chaque État membre sur le territoire duquel le marché a été affecté par le comportement restrictif de concurrence (lieu du résultat); les premiers sont compétents pour statuer sur la réparation de la totalité des dommages causés par la violation au droit des ententes tandis que les deuxièmes sont uniquement compétents pour statuer sur les dommages causés dans l’État du tribunal saisi» (souligné par mes soins).


37 – Kemira soutient que cette demande de décision préjudicielle est irrecevable, notamment, en ce qu’elle n’apporterait rien qui permette de constater que des ententes illicites auraient été conclues ou mises en œuvre dans le ressort de la juridiction de renvoi. À cet égard, il suffit de rappeler que les questions posées par la juridiction de renvoi dans le cadre factuel et réglementaire qu’elle définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence qui ne peut être renversée que dans des cas limités (voir, notamment, arrêt Pohotovosť, C‑470/12, EU:C:2014:101, points 27 et suiv.), lesquels ne sont pas caractérisés en l’espèce selon moi.


38 – En particulier, selon FMC Foret, les juridictions d’un État membre ne devraient être compétentes que pour statuer sur les prétentions fondées sur la portion de l’entente illicite qui a été commise et/ou qui a produit ses effets dans cet État membre, tandis que selon Solvay, un lien étroit entre la juridiction saisie et le litige devrait, en tant que critère de rattachement, être constaté séparément à l’égard de chaque défendeur et pour l’ensemble des dommages invoqués.


39 – Voir, notamment, arrêts Réunion européenne e.a. (C‑51/97, EU:C:1998:509, point 15); Melzer (EU:C:2013:305, points 22, 34 et suiv.); Weber (C‑438/12, EU:C:2014:212, point 40), ainsi que Coty Germany (EU:C:2014:1318, point 43).


40 – Voir, notamment, arrêt Coty Germany (EU:C:2014:1318, points 44 et 45).


41 – Voir, notamment, arrêt Kronhofer (C‑168/02, EU:C:2004:364, points 14 et 20).


42 – En effet, en matière délictuelle, le juge du lieu où le fait dommageable s’est produit est normalement le plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d’administration des preuves (voir, notamment, arrêt Melzer, EU:C:2013:305, point 27).


43 – À la note 34 des présentes conclusions.


44 – Voir, notamment, arrêt Coty Germany (EU:C:2014:1318, points 47 et 48).


45 – La juridiction de renvoi précise que ce problème se pose «à supposer même que les participants à l’entente illicite doivent, en tant que coauteurs de l’infraction unique et continue à l’article 81 CE/101 TFUE, répondre intégralement des dommages causés».


46 – Voir arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines (EU:C:2014:2319, point 28).


47 – En revanche, ledit article 5, point 3, pourrait selon moi s’appliquer aux restrictions verticales de concurrence – pour autant que la responsabilité invoquée ne soit pas de nature contractuelle –, ainsi qu’aux ententes dont la portée est limitée géographiquement, dès lors que la localisation soit de l’acte anticoncurrentiel, soit de son effet, peut être identifiée de façon claire.


48 – Voir considérant 15 du règlement Bruxelles I.


49 – Sur les divers éléments de concrétisation de l’entente dans la présente affaire, voir point 18 des présentes conclusions.


50 – EU:C:2013:305, point 40.


51 – En effet, un acte négatif consécutif à une entente n’est pas équivalent à un acte positif, car une abstention ne peut pas être localisée en tant que telle (voir, par analogie, arrêt Besix, C‑256/00, EU:C:2002:99, point 49, où l’obligation contractuelle litigieuse consistait en un engagement de ne pas faire et ne comportant aucune limitation géographique).


52 – Comme l’avocat général Cruz Villalón l’a souligné dans ses conclusions dans l’affaire Hejduk (C‑441/13, EU:C:2014:2212, point 42) «[u]n critère qui oblige un requérant à circonscrire la portée de son recours suivant des critères territoriaux difficiles, voire impossibles, à déterminer, n’est pas un critère conforme à l’esprit du règlement [Bruxelles I]».


53 – Il convient à mon avis de distinguer cette situation de celles, par exemple, d’un cartel classique qui serait géré par une association professionnelle ou d’une entente dont l’activité serait géographiquement concentrée en raison d’un lieu de réunions unique, sachant que dans ces cas de figure il n’y aurait pas une dispersion équivalente des faits générateurs du dommage.


54 – Ainsi, dans l’arrêt Kone e.a. (C‑557/12, EU:C:2014:1317, points 30 et suiv.), la Cour a admis que «le fait, pour le client d’une entreprise non membre d’une entente, mais bénéficiant des conditions économiques d’un prix de protection, de subir un dommage en raison d’un prix d’offre supérieur à ce qu’il aurait été en l’absence de cette entente fait partie des effets possibles de ladite entente, que ne peuvent ignorer les membres de celle-ci».


55 – Dans l’arrêt Dumez France et Tracoba (C‑220/88, EU:C:1990:8, point 20), la Cour a interprété l’article 5, point 3, de la convention de Bruxelles en ce sens que la victime d’un préjudice par ricochet ne peut saisir, sur ce fondement, que la juridiction du lieu où le fait causal a produit directement ses effets dommageables à l’égard de la victime immédiate.


56 – Il ressort en effet des dispositions du règlement Bruxelles I que cet instrument limite les cas où un défendeur peut être attrait devant le for du domicile du demandeur (voir, s’agissant de la convention de Bruxelles, arrêts Six Constructions, 32/88, EU:C:1989:68, points 13 et 14, ainsi que Dumez France et Tracoba, EU:C:1990:8, point 19).


57 – À cet égard, le considérant 21 du règlement Rome II indique que «[l]e rattachement à la loi du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence [...] sont affecté[e]s ou susceptibles de l’être [qui est prévu, en matière d’actes restreignant la libre concurrence, à l’article 6 de ce règlement] permet, d’une manière générale, de [...] protéger les concurrents, les consommateurs et le public en général, et garantir le bon fonctionnement de l’économie de marché».


58 – Ashton, D., et Henry, D., Competition Damages Actions in the EU, Law and Practice, Elgar Competition Law and Practice Series, Cheltenham, 2013, p. 179, point 7.030, soulignent que «[i]n the case of a pan‑European cartel, [the place where the claimant suffered loss] could conceivably be in any Member State, which leads to relatively unrestrained freedom to forum shop in proceedings relating to [...] abuses with effects felt throughout Europe».


59 – EU:C:1995:61, point 33, où il est précisé que «les juridictions de chaque État [partie à la convention de Bruxelles] dans lequel la publication a été diffusée et où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa réputation, [sont] compétentes pour connaître des seuls dommages causés dans l’État de la juridiction saisie» (souligné par mes soins).


60 – En effet, les tribunaux de chaque État membre sont les mieux en mesure d’évaluer la nature et l’étendue des dommages qui sont survenus sur le territoire national.


61 – Voir l’exemple concret mentionné par Idot, L., dans «La dimension internationale des actions en réparation. Choisir sa loi et son juge: Quelles possibilités?», op. cit., point 34.


62 – EU:C:2012:664.


63 – Conformément à l’article 16, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), afin de garantir une «[a]pplication uniforme du droit communautaire de la concurrence», «[l]orsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article [101 TFUE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission». L’arrêt Otis e.a. (EU:C:2012:684, point 51) précise que «[c]e principe vaut également lorsque les juridictions nationales sont saisies d’une action en réparation du préjudice subi à la suite d’une entente ou d’une pratique dont la contrariété avec l’article 101 TFUE a été constatée par une décision de cette institution».


64 – EU:C:2002:99, point 55. Aux termes dudit arrêt, «la règle de compétence spéciale en matière contractuelle, énoncée à l’article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, ne trouve pas à s’appliquer dans l’hypothèse où [...] le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande en justice ne peut pas être déterminé, en raison du fait quel’obligation contractuelle litigieuse consiste en un engagement de ne pas faire qui ne comporte aucune limitation géographique et se caractérise, dès lors, par une multiplicité des endroits où elle a été ou devait être exécutée» (souligné par mes soins).


65 – Le constat d’un lien de connexité intervient certes aussi dans le cadre de l’article 28 du règlement Bruxelles I, mais d’une façon différente (voir note 70 des présentes conclusions).


66 – Voir point 44 des présentes conclusions.


67 – Voir, dès la première décision de la Cour interprétant l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles, arrêt Kalfelis (189/87, EU:C:1988:459, point 10), puis, au sujet de l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I, notamment, arrêt Reisch Montage (C‑103/05, EU:C:2006:471, points 27 à 30).


68 – Le considérant 11 du règlement Bruxelles I précise que «[s’]agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions» et son article 60, paragraphe 1, précise que, aux fins de l’application de ce règlement, les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là où est situé leur siège statutaire, leur administration centrale, ou leur principal établissement.


69 – Comme le rappelle l’arrêt Freeport (EU:C:2007:595, point 53), cette condition ne figurait pas dans l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles, mais elle a été énoncée dans l’arrêt Kalfelis (EU:C:1988:459, point 12) portant sur l’interprétation de cette disposition, puis consacrée par le législateur de l’Union, qui l’a insérée dans le libellé du règlement Bruxelles I.


70 – La condition ainsi énoncée à l’article 6, point 1, dudit règlement est formulée de la même façon à son article 28, lequel définit la notion de connexité dans les cas de conflits entre des juridictions toutes deux potentiellement compétentes, tandis que l’article 6, point 1, prévoit au contraire une extension de la compétence du for à l’égard de défendeurs qui n’en relèveraient pas en principe. Dans l’arrêt Tatry (C‑406/92, EU:C:1994:400, point 53), relatif à l’article 22 de la convention de Bruxelles, équivalent à l’article 28 du règlement Bruxelles I, la Cour a précisé qu’«il suffit qu[’il] existe un risque de contrariété de solutions, même si les décisions peuvent être exécutées séparément et si leurs conséquences juridiques ne s’excluent pas mutuellement».


71 – Voir arrêt Painer (C‑145/10, EU:C:2011:798, point 77) se référant aux considérants 12 et 15 du règlement Bruxelles I.


72 – Voir, notamment, arrêts Glaxosmithkline et Laboratoires Glaxosmithkline (C‑462/06, EU:C:2008:299, point 28) ainsi que Painer (EU:C:2011:798, point 74).


73 – En effet, l’arrêt Glaxosmithkline et Laboratoires Glaxosmithkline (EU:C:2008:299, points 20 et suiv.) exclut le recours à cette disposition lorsque sont applicables les règles de compétence protectrices d’une partie faible prévues à la section 5 du chapitre II du règlement Bruxelles I.


74 – Kemira prétend que le premier volet de la première question est irrecevable aux motifs que la juridiction de renvoi ne pourrait en aucun cas fonder sa compétence sur l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I, dès lors que seul le Landgericht Essen (tribunal régional d’Essen, Allemagne) serait compétent ratione loci, et non le Landgericht Dortmund, car le siège du défendeur d’ancrage est situé à Essen. Il est vrai que cette disposition vise le tribunal du lieu du domicile de l’un des défendeurs au principal, et non toutes les juridictions d’un État membre comme le fait l’article 2 de ce règlement. Néanmoins, il est selon moi admissible qu’une règle nationale opère une concentration des compétences ratione materiae, notamment en matière de concurrence, comme l’article 89 de la loi contre les restrictions de concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen, GWB) le prévoit en Allemagne, sous réserve qu’une telle règle ne discrimine pas les litiges transfrontaliers par rapport aux litiges internes de sorte que ces premiers se trouveraient exclus des attributions d’un tribunal normalement compétent tant ratione loci que ratione materiae (voir, par analogie, mes conclusions dans l’affaire Sanders et Huber, C‑400/13 et C‑408/13, EU:C:2014:2171, points 58 et suiv., note 72).


75 – Arrêt Sapir e.a. (EU:C:2013:228, point 43 et jurisprudence citée).


76 – À ce sujet, voir note 63 des présentes conclusions.


77 – Cette juridiction renvoie à cet égard aux points 31 et 324 à 327 de la décision C(2006) 1766 final de la Commission.


78 – Voir, notamment, arrêts Sapir e.a. (EU:C:2013:228, point 44) ainsi que Painer (EU:C:2011:798, point 84).


79 – Voir arrêt Kalfelis (EU:C:1988:459, point 9) ainsi que rapport Jenard susmentionné, spécialement p. 26 (souligné par mes soins).


80 – La Commission précise que tel est le cas «en Allemagne, en France, aux Pays‑Bas, en Belgique, en Finlande et en Suède» et qu’«il en va de même dans les régimes de responsabilité délictuelle applicables en Italie, au Royaume‑Uni, en Espagne, en Autriche, en Roumanie, en Croatie, en Tchéquie, au Danemark, en Estonie, en Grèce, en Hongrie, en Irlande, en Lituanie, au Luxembourg, en Pologne et au Portugal».


81 – Voir considérant 37 et article 11, paragraphe 1, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO L 349, p. 1).


82 – Voir, par analogie, arrêt Solvay (C‑616/10, EU:C:2012:445, point 28).


83 – Dans l’arrêt Sapir e.a. (EU:C:2013:228, points 47 et 48), la Cour a souligné que, même si le fondement juridique invoqué à l’appui de la demande à l’encontre d’un défendeur est différent de celui sur lequel se fonde l’action introduite contre les autres défendeurs, la nécessité de statuer de manière uniforme existe lorsque les prétentions invoquées dans les différentes demandes servent toutes le même intérêt.


84 – Voir arrêts Painer (EU:C:2011:798, point 83) et Solvay (EU:C:2012:445, point 29).


85 – Voir paragraphe 3, sous b), deuxième phrase, dudit article 6 ainsi que, sur les conditions d’application de cette disposition, Fitchen, J., «The Applicable Law in Cross-Border Competition Law Actions and Article 6(3) of Regulation 864/2007», dans Cross-Border EU Competition Law Actions, Mihail, D., Becker, F., et Beaumont, P. (sous la direction de), Hart Publishing, Oxford, 2013, p. 297 et suiv., spécialement p. 323 et suiv.


86 – Le considérant 7 du règlement Rome II indique expressément que «le champ d’application matériel et les dispositions [de celui-ci] devraient être cohérents par rapport au règlement [Bruxelles I]». Dans le cadre de sa mission d’interprétation, la Cour a déjà procédé à un rapprochement entre des règles de compétence énoncées par le règlement Bruxelles I et des règles de conflit de lois plus récentes également issues du droit de l’Union (voir, notamment, arrêts Pammer et Hotel Alpenhof, C‑585/08 et C‑144/09, EU:C:2010:740, points 43, 74 et 84, ainsi que Football Dataco e.a., C‑173/11, EU:C:2012:642, points 29 et 31).


87 – Voir note 6 des présentes conclusions.


88 – Aussi dénommé principe du forum perpetuum, ou de la perpetuatio fori selon la terminologie utilisée dans la décision de renvoi.


89 – Evonik Degussa a, pour sa part, limité ses observations à une exception d’irrecevabilité dirigée à l’encontre de ce volet de la première question, motifs pris d’un caractère hypothétique et d’un défaut de pertinence. La jurisprudence visée à la note 37 des présentes conclusions permet selon moi de rejeter cette exception d’irrecevabilité.


90 – EU:C:2006:471, points 27 à 31 (souligné par mes soins). En l’occurrence, la règle nationale conduisant à une irrecevabilité à l’égard du défendeur d’ancrage consistait en une exclusion des recours individuels des créanciers contre un débiteur se trouvant en état de faillite.


91 – EU:C:2007:595, point 54.


92 – En l’espèce, la décision de renvoi précise que l’action a été notifiée à la société allemande Evonik Degussa le 7 avril 2009 et que les autres défenderesses au principal ont reçu une traduction de la demande introductive d’instance au mois d’août 2009, tandis que le désistement d’action à l’égard d’Evonik Degussa est survenu à la fin du mois de septembre 2009.


93 – Ledit article 30 prévoit que, «[a]ux fins de la présente section, une juridiction est réputée saisie: 1) à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur, ou 2) si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction».


94 – La Cour a d’ailleurs établi, dans l’arrêt Kalfelis (EU:C:1988:459, point 11), un lien formel entre la règle de compétence prévue à l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles (correspondant à l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I) et les dispositions relatives à la connexité figurant à son article 22 (correspondant à l’article 28 dudit règlement).


95 – Voir les considérants 11 et 12 dudit règlement ainsi que les considérants 15 et 16 du règlement no 1215/2012 qui en porte refonte, ce dernier étant plus détaillé à cet égard.


96 – Souligné par mes soins. Voir, notamment, arrêts Reisch Montage (EU:C:2006:471, point 32) ainsi que Painer (EU:C:2011:798, point 78 et jurisprudence citée).


97 – Aux termes dudit rapport (voir p. 27), auquel la Cour s’est référée dans l’arrêt Kalfelis (EU:C:1988:459, point 9), il résulte de l’exigence d’un «lien entre les demandes formulées contre chacun des défendeurs [...] qu’une demande ne peut être formée uniquement en vue de soustraire l’un des défendeurs aux tribunaux de l’État où il est domicilié».


98 – EU:C:2007:595, point 54 (souligné par mes soins).


99 – Voir, notamment, Michinel Álvarez, M. A., «Jurisprudencia española y comunitaria de Derecho internacional privado», Revista Española de Derecho Internacional, 2007, no 2, p. 754 à 757; Idot, L., «Pluralité de défendeurs et fraude à la compétence juridictionnelle», Europe, 2007, décembre, commentaire nº 364, p. 35 à 36; Würdinger, M., «RIW‑Kommentar», Recht der Internationalen Wirtschaft, 2008, no 1‑2, p. 71 à 72; Scott, A., «‘Réunion’ Revised? Freeport v. Arnoldsson», Lloyd’s Maritime and Commercial Law Quarterly, 2008, no 2, p. 113 à 118.


100 – La décision de renvoi indique que «compte tenu de la date du désistement partiel d’instance et du comportement de la demanderesse et de l’ancienne défenderesse Evonik Degussa GmbH (désormais partie intervenante) pendant la procédure, il n’est pas seulement possible, mais probable que la transaction avait déjà été conclue, du moins en substance et dans les grandes lignes, avant l’introduction de l’action».


101 – Sur l’abus de droit, et en particulier la différence d’impact que celui-ci est susceptible d’avoir, d’une part, en matière de compétence et, d’autre part, au titre d’un défaut du droit d’agir, voir Usunier, L., «Le règlement Bruxelles I bis et la théorie de l’abus de droit», dans Le nouveau règlement Bruxelles I bis, Règlement no 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, Guinchard, E. (sous la direction de), Bruylant, Bruxelles, 2014, p. 449 et suiv., spécialement p. 473.


102 – À cet égard, la Commission estime, à juste titre, que la condition de connexité exigée par ledit article 6, point 1, serait absente si le demandeur et le défendeur d’ancrage avaient effectivement conclu une transaction finale relative à la relation juridique litigieuse préalablement à l’introduction du recours, mais que le recours n’en avait pas moins été introduit contre ce défendeur, en passant sous silence l’existence de la transaction, dans l’unique but de soustraire l’un des autres défendeurs aux tribunaux de l’État membre où ce dernier est domicilié.


103 – Dans la note 27 des conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Freeport (C‑98/06, EU:C:2007:302), l’avocat général Mengozzi a indiqué que «[d]ans certaines limites, le ‘forum shopping’, entendu – selon la définition que lui a donnée l’avocat général Ruiz Jarabo Colomer – comme un ‘[c]hoix d’un for en fonction des avantages pouvant résulter du droit matériel (voire procédural) qui y est appliqué’ (voir conclusions GIE Groupe Concorde e.a., C‑440/97, [EU:C:1999:146], note 10), est indubitablement licite» (souligné par mes soins).


104 – L’arrêt Manfredi e.a. (EU:C:2006:461, point 60) met en exergue que «la pleine efficacité de l’article 81 CE [article 101 TFUE] et, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée à son paragraphe 1 seraient mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence (voir arrêt Courage et Crehan, [EU:C:2001:465], point 26)».


105 – Le Landgericht Dortmund indique que pour savoir si des clauses attributives de juridiction peuvent valablement s’opposer aux règles de compétence légales, il convient de déterminer quels litiges sont couverts par ces clauses, grâce à une interprétation de celles-ci, étant précisé que le juge national est seul compétent à cet effet, et qu’il en irait de même pour des clauses compromissoires.


106 – CDC mentionne, à titre d’illustration, «le contrat de livraison du 20 juin 1996 concernant une livraison précise de peroxyde d’hydrogène du groupe FMC à l’usine allemande du subrogé Stora Enso Oyj et contenant la clause suivante: ‘Il est convenu entre les parties que le tribunal de Düsseldorf [Allemagne] sera saisi de tout litige concernant le présent contrat’».


107 – CDC cite comme exemple «le contrat cadre conclu entre Oy Finnish Peroxides AB et le subrogé Stora Enso Oyj début mars 2011 concernant des livraisons sur la période du 1er février 2001 au 31 janvier 2002, et contenant la clause suivante: ‘Tous les litiges, différends ou allégations, résultant ou en lien avec le présent contrat ou la violation du présent contrat, la résiliation ou l’invalidité du contrat seront soumis à un tribunal arbitral selon les règles de la chambre de commerce d’Helsinki. L’arbitrage aura lieu à Helsinki, Finlande’».


108 – Tel serait le cas de Stora Enso Oyj dans les exemples mentionnés dans les deux notes ci-dessus.


109 – CDC indique que «Kernira Kemi AB et le subrogé Södra Cell AB [seraient] convenus le 27 juin 1996, pour la période de livraison s’étendant du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1998, que l’arbitrage aurait lieu à Stockholm [Suède], et les 2 et 30 avril 1999, pour une période de livraison qui n’a pas été mentionnée, que l’arbitrage aurait lieu à Malmö [Suède]».


110 – À cet égard, voir point 127 des présentes conclusions.


111 – En effet, l’article 1er, paragraphe 2, sous d), du règlement Bruxelles I exclut la matière de l’arbitrage du champ d’application de celui-ci. Sachant qu’une disposition équivalente figurait dans la convention de Bruxelles, le point 63 du rapport Schlosser, susmentionné, a indiqué que «[ladite] convention ne limite pas la liberté des parties de soumettre un litige à une juridiction arbitrale. Cela vaut également dans le cas des procédures pour lesquelles la convention a institué une compétence exclusive. Bien entendu, la convention n’interdit pas aux législateurs nationaux de déclarer nuls les compromis d’arbitrage qui concernent des litiges pour lesquels il existe des compétences exclusives soit en vertu du droit national, soit en vertu de la convention».


112 – La Cour a précisé qu’en excluant du champ d’application de la convention de Bruxelles, la matière de l’arbitrage, au motif que celle-ci faisait déjà l’objet de conventions internationales, les parties contractantes ont entendu exclure l’ensemble de ladite matière, y compris les procédures introduites devant les juridictions étatiques, et que cette exclusion s’étend à une telle procédure qui a pour objet la désignation d’une juridiction arbitrale, même si ce litige soulève au préalable la question de l’existence ou de la validité d’une convention d’arbitrage (voir arrêt Rich, C‑190/89, EU:C:1991:319, point 18, ainsi que conclusions de l’avocat général Darmon dans cette affaire, C‑190/89, EU:C:1991:58; et arrêt Van Uden, C‑391/95, EU:C:1998:543, points 31 et 32).


113 – Arrêt Allianz et Generali Assicurazioni Generali (C‑185/07, EU:C:2009:69, points 26 et 27).


114 – Le respect de l’autonomie de la volonté des parties est mentionné, notamment, au considérant 11 du règlement Bruxelles I.


115 – Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, conclue à Lugano le 16 septembre 1988 (JO L 319, p. 9), entre les États membres de la Communauté européenne et certains États membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE), parallèle à la convention de Bruxelles et révisée par une convention conclue à Lugano le 30 octobre 2007 entre la Communauté européenne, le Royaume de Danemark, la République d’Islande, le Royaume de Norvège et la Confédération suisse [voir rapport explicatif de M. Pocar sur cette dernière convention (JO 2009, C 319, p. 1)].


116 – À cet égard, la Commission observe que les tribunaux étatiques, à tout le moins l’ensemble de ceux qui siègent sur le territoire de l’Union, sont tenus, en vertu du droit primaire, de veiller à l’exercice effectif des droits issus de l’article 101 TFUE. Ainsi, seules les clauses attribuant compétence à un tribunal situé à l’extérieur de ce territoire pourraient poser un problème du point de vue du principe de la pleine efficacité de l’interdiction des ententes en droit de l’Union.


117 – Voir point 37 des présentes conclusions.


118 – Voir point 127 des présentes conclusions.


119 – En revanche, l’article 6, paragraphe 4, du règlement Rome II prévoit qu’«[i]l ne peut être dérogé à la loi applicable [aux obligations non‑contractuelles] en vertu du présent article [intitulé ‘Concurrence déloyale et actes restreignant la libre concurrence’] par un accord tel que mentionné à l’article 14», à savoir «un accord postérieur à la survenance du fait générateur du dommage» ou «lorsqu[e les parties] exercent toutes une activité commerciale, par un accord librement négocié avant la survenance du fait générateur du dommage» qui respecte en outre les autres conditions énoncées par ce dernier article.


120 – Je relève que l’expression de la volonté des parties au travers d’une clause attributive de juridiction ne saurait, au contraire, modifier la compétence ratione materiae d’une juridiction d’un État membre, laquelle est définie par la loi du for.


121 – Voir arrêt Estasis Saloti di Colzani (24/76, EU:C:1976:177, point 7).


122 – Voir arrêt Meeth (23/78, EU:C:1978:198, point 5).


123 – En effet, pour les contrats d’assurance, de consommation et de travail, ladite autonomie est limitée (voir considérants 11, 13 et 14 ainsi que articles 13, 17 et 21 de ce règlement).


124 – Concernant la qualification de l’objet du litige au principal et les conséquences qui en découlent à l’égard du jeu des clauses compromissoires et des clauses attributives de juridiction invoquées, voir les considérations développées aux points 127 et suiv. des présentes conclusions.


125 – Conformément à l’arrêt Coreck (C‑387/98, EU:C:2000:606, points 19 et suiv.), c’est le droit national applicable au fond qui détermine si un tiers au contrat initial a succédé à l’une des parties originaires dans ses droits et obligations, de telle sorte qu’une clause attributive de juridiction puisse jouer à son encontre, même si, par hypothèse, il n’y a pas consenti lors de la conclusion de ce contrat.


126 – Arrêt Refcomp (EU:C:2013:62, points 27 et suiv.).


127 – Voir arrêt Powell Duffryn (C‑214/89, EU:C:1992:115, point 31, souligné par mes soins).


128 – Voir considérants 48 et suiv. ainsi que articles 18 et 19 de ladite directive, outre la proposition présentée par la Commission ayant abouti à l’adoption de cet acte [COM(2013) 404 final, spécialement p. 22 et suiv., point 4.6]. Tant le Comité économique et social européen (voir JO 2014, C 67, p. 83, point 4.7) que le Conseil de l’Union européenne (voir note intitulée «Analysis of the final compromise text with a view to agreement», du 24 mars 2014, 8088/14 RC 6 JUSTCIV 76 CODEC 885, spécialement p. 4, 12 et 37 ainsi que suiv.) et le Parlement européen [voir résolution législative et position arrêtée en première lecture du 17 avril 2014, P7_TA(2014)0451, considérant 43 et articles 18 et 19] se sont prononcés sur ladite proposition, d’une façon concordante en faveur desdits mécanismes.


129 – À cet égard, l’article 25, paragraphe 5, second alinéa, du règlement no 1215/2012 précise que «la validité de la convention attributive de juridiction ne peut être contestée au seul motif que le contrat n’est pas valable», conformément au principe de l’autonomie d’une telle clause par rapport aux dispositions matérielles du contrat dans lequel elle est insérée qui a été consacré par la Cour dans l’arrêt Benincasa (EU:C:1997:337, points 24 et suiv.). En outre, il ressort de l’arrêt Effer (38/81, EU:C:1982:79, points 7 et suiv.) qu’une telle clause doit recevoir application même si le litige porte sur la formation du contrat.


130 – Voir points 105 et suiv. des présentes conclusions.


131 – Voir, notamment, considérants 16 et 17 du règlement Bruxelles I.


132 – Dans l’arrêt Renault (C‑38/98, EU:C:2000:225, points 29 et suiv.), la Cour a considéré que, «sous peine de remettre en cause la finalité de la convention», «une erreur qu’aurait éventuellement commise le juge de l’État d’origine dans l’application de certaines règles de droit communautaire», telles que «les principes […] de la libre concurrence», «ne constitu[e] pas une violation manifeste d’une règle de droit essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis», étant rappelé que les articles 29 et 34, troisième alinéa, de la convention de Bruxelles (auxquels correspondent les articles 36 et 45, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I) énoncent qu’«en aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond». Sur le contrôle, au titre de l’ordre public, du fait que les principes élémentaires du procès équitable ont bien été préservés, voir arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines (EU:C:2014:2319, points 46 à 54).


133 – Point 30 des présentes conclusions. Voir, aussi, arrêt Kone e.a. (EU:C:2014:1317, points 21 et suiv. ainsi que jurisprudence citée).


134 – Voir, notamment, arrêt Kone e.a. (EU:C:2014:1317, points 24 et suiv. ainsi que point 32). Cette faculté est attachée à ce qui est usuellement dénommé l’autonomie procédurale des États membres.


135 – Objectif consistant à garantir le maintien d’une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur et, ainsi, des prix fixés en fonction du jeu de la libre concurrence.


136 – Étant rappelé que les dispositions de cet article produisent des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendrent des droits et des obligations dans le chef des justiciables que les juridictions des États membres doivent faire respecter (voir, notamment, arrêt Kone e.a., EU:C:2014:1317, point 20).


137 – Ibidem (points 21 et suiv.). L’exposé des motifs de la proposition de directive COM(2013) 404 final (p. 2 et 4), souligne que «[l]es actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 [TFUE] ou 102 [TFUE] constituent un important volet de la mise en œuvre du droit de la concurrence de l’UE à l’initiative de la sphère privée» et que, partant, «[l]e second objectif principal [de cette proposition] est de permettre aux victimes d’infractions aux règles de concurrence de l’UE d’obtenir effectivement la réparation du préjudice qu’elles ont subi».


138 – Les dispositions applicables peuvent résulter soit de règles relatives à l’arbitrage adoptées par l’État membre en question, soit de traités internationaux auxquels celui‑ci est partie.


139 – Voir arrêt Allianz et Generali Assicurazioni Generali (EU:C:2009:69, points 31 à 33) ainsi que, sur les précisions apportées à cet égard par le considérant 12 du règlement no 1215/2012, notamment, Nielsen, P. A., «The New Brussels I Regulation», Common Market Law Review, 2013, vol. 50, p. 505 et suiv., ainsi que Menétrey, S., et Racine, J.-B., «L’arbitrage et le règlement Bruxelles I bis», dans Le nouveau règlement Bruxelles I bis, Règlement no 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, Guinchard, E. (sous la direction de), Bruylant, Bruxelles, 2014, p. 13 et suiv., spécialement point 37.


140 – EU:C:1999:269, points 31 et suiv., spécialement points 36 et 39.


141 – Ibidem (points 37 et 40).


142 – Voir, notamment, les arrêts Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389, points 28 et suiv.) ainsi que Donau Chemie e.a. (C‑536/11, EU:C:2013:366, points 29 et suiv.), qui portent sur le droit pour une personne lésée par une infraction à l’article 101 TFUE, et souhaitant obtenir une indemnisation à ce titre, d’avoir un éventuel accès aux documents d’une procédure concernant les auteurs de cette infraction, y compris s’il s’agit d’une procédure de clémence, après une mise en balance, par les juridictions des États membres, des intérêts en présence protégés par le droit de l’Union.


143 – Sur les différentes formes ayant apparemment été prises par les clauses concernées, voir point 94 des présentes conclusions.


144 – En effet, suivant l’arrêt Powell Duffryn (EU:C:1992:115, points 33 et 36), «l’interprétation de la clause attributive de juridiction invoquée devant le juge national, afin de déterminer les différends qui relèvent de son champ d’application, incombe à ce dernier».


145 – Ibidem (point 31) et point 110 des présentes conclusions.


146 – En ce sens, la Commission mentionne que, d’une part, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division, a considéré qu’une clause attributive de juridiction se référant à la «relation juridique» entre les parties ne couvrait pas les droits résultant de la responsabilité délictuelle pour cause d’entente [arrêt Provimi Ltd v. Roche Products Ltd (2003) EWHC 961], et, d’autre part, le Helsingin käräjäoikeus (tribunal de première instance d’Helsinki, Finlande) a estimé, d’une façon similaire, qu’une clause compromissoire visant «tous les droits» découlant d’un contrat d’approvisionnement ne couvrait pas les droits à dommages et intérêts consécutifs à une entente, dès lors que ces derniers reposaient non pas directement sur ledit contrat, mais sur une circonstance extérieure à celui-ci, à savoir la participation de la défenderesse à l’accord collusoire (jugement avant-dire droit du 4 juillet 2013, CDC Hydrogen Peroxide Cartel Damage Claims SA contre Kemira Oyj, Välituomio 36492, no 11/16750).


147 – «Il résulte d’une jurisprudence constante que la ‘matière délictuelle ou quasi délictuelle’, au sens de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la ‘matière contractuelle’, au sens de l’article 5, point 1, sous a), de ce règlement. Afin de déterminer la nature des demandes en responsabilité civile portées devant la juridiction de renvoi, il importe, dès lors, de vérifier dans un premier temps si celles‑ci revêtent, indépendamment de leur qualification en droit national, une nature contractuelle» (voir, notamment, arrêts Engler, C‑27/02, EU:C:2005:33, points 29 et suiv., ainsi que Brogsitter, EU:C:2014:148, points 20 et suiv.).


148 – À titre d’exemple, selon la jurisprudence du Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande), une clause compromissoire incluse dans un contrat est applicable à un litige portant notamment sur la responsabilité extracontractuelle dans l’hypothèse où le manquement à l’égard dudit contrat qui est invoqué remplit les conditions d’une fraude au sens du droit pénal (voir Korkein oikeus, arrêt du 27 novembre 2008, KKO, 2008:102, disponible à l’adresse Internet suivante: http://www.finlex.fi/fi/oikeus/kko/kko/2008/20080102).