Language of document : ECLI:EU:C:2015:390

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 11 juin 2015 (1)

Affaire C‑160/14

João Filipe Ferreira da Silva e Brito e.a.

contre

Estado português

[demande de décision préjudicielle formée par les Varas Cíveis de Lisboa (Portugal)]

«Rapprochement des législations – Transfert d’entreprise – Maintien des droits des travailleurs – Obligation de renvoi préjudiciel – Violation du droit de l’Union imputable à une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne – Législation nationale subordonnant le droit à réparation du préjudice subi en raison d’une telle violation à la condition de l’annulation préalable de la décision ayant provoqué ce préjudice»





1.        La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (2), ainsi que sur l’article 267, troisième alinéa, TFUE et sur la jurisprudence de la Cour relative à la responsabilité des États en raison d’une violation du droit de l’Union.

2.        Les questions posées par les Varas Cíveis de Lisboa (Portugal) ont été soulevées dans le cadre d’une action en dommages et intérêts introduite par M. Ferreira da Silva e Brito ainsi que par d’autres requérants contre l’Estado português, fondée sur une prétendue violation du droit de l’Union imputable au Supremo Tribunal de Justiça.

3.        L’examen de la première question nous conduira à interpréter, au vu des circonstances du litige au principal, la notion de «transfert d’établissement», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive. Nous conclurons, dans un sens inverse à la solution qui a été retenue par le Supremo Tribunal de Justiça, que cette disposition doit être interprétée en ce sens que la notion de transfert d’établissement recouvre une situation dans laquelle une entreprise active sur le marché des vols charter est dissoute par décision de son actionnaire majoritaire, qui est lui‑même une entreprise active dans le secteur de l’aviation et qui, dans le cadre de la liquidation de la première entreprise:

–        se substitue à la société dissoute dans les contrats de location d’avions et dans les contrats de vols charter en cours auprès des opérateurs touristiques;

–        exerce des activités qui étaient auparavant exercées par la société liquidée;

–        réintègre certains travailleurs qui étaient jusqu’alors détachés auprès de la société liquidée et leur fait exercer des fonctions identiques, et

–        reprend des petits équipements de la société dissoute.

4.        Nous exposerons, ensuite, dans le cadre de l’examen de la deuxième question, les raisons pour lesquelles l’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, telle que le Supremo Tribunal de Justiça, était tenue, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

5.        Enfin, dans le cadre de l’examen de la troisième question, nous expliquerons pourquoi, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le droit de l’Union, et en particulier la jurisprudence issue de l’arrêt Köbler (3), doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime national relatif à la responsabilité de l’État qui conditionne le droit à réparation à l’annulation préalable de la décision ayant causé le préjudice.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

6.        La directive a procédé à la codification de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (4), telle que modifiée par la directive 98/50/CE du Conseil, du 29 juin 1998 (5).

7.        Aux termes du considérant 8 de la directive:

«La sécurité et la transparence juridiques ont requis une clarification de la notion de transfert à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice. Cette clarification n’a pas modifié le champ d’application de la directive 77/187[...] telle qu’elle a été interprétée par la Cour de justice.»

8.        L’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive dispose:

«a)      La présente directive est applicable à tout transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’entreprise ou d’établissement à un autre employeur résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion.

b)      Sous réserve du point a) et des dispositions suivantes du présent article, est considéré comme transfert, au sens de la présente directive, celui d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle‑ci soit essentielle ou accessoire.»

9.        L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive prévoit:

«Les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.»

B –    Le droit portugais

10.      L’article 13 du régime de responsabilité civile extracontractuelle de l’État et des autres entités publiques (6), adopté par la loi no 67/2007 (Lei que aprova o Regime da Responsabilidade Civil Extracontratual do Estado e Demais Entidades Públicas), du 31 décembre 2007 (7), telle que modifiée par la loi no 31/2008, du 17 juillet 2008 (8), prévoit ce qui suit:

«1.      Sans préjudice des situations de condamnation pénale injuste et de privation injustifiée de liberté, l’État est civilement responsable des dommages qui découlent de décisions juridictionnelles manifestement inconstitutionnelles ou illégales ou injustifiées en raison d’une erreur manifeste d’appréciation des circonstances factuelles.

2.      La demande d’indemnisation doit être fondée sur l’annulation préalable de la décision dommageable par la juridiction compétente.»

II – Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

11.      Le 19 février 1993, Air Atlantis SA (ci‑après «AIA»), fondée en 1985 et active dans le secteur du transport aérien non régulier (vols charter), a été dissoute. Dans ce cadre, les parties demanderesses au principal ont fait l’objet d’un licenciement collectif.

12.      À partir du 1er mai 1993, la compagnie Transportes Aéreos Portugueses (ci‑après «TAP»), qui était le principal actionnaire d’AIA, a commencé à opérer une partie des vols qu’AIA s’était engagée à effectuer pour la période allant du 1er mai au 31 octobre 1993. TAP a également effectué un certain nombre de vols charter, marché sur lequel elle n’était pas active jusqu’alors, dans la mesure où il s’agissait de routes desservies auparavant par AIA. À cette fin, TAP a utilisé une partie de l’équipement qu’AIA utilisait pour ses activités, en particulier quatre avions. TAP a également pris à sa charge le paiement de loyers correspondant aux contrats de crédit‑bail y relatifs et a repris l’équipement de bureau qu’AIA possédait et qu’elle utilisait dans ses locaux de Lisbonne (Portugal) et de Faro (Portugal) ainsi que d’autres biens matériels. En outre, TAP a recruté certains anciens salariés d’AIA.

13.      Par la suite, les parties demanderesses au principal ont saisi le tribunal de trabalho de Lisboa (tribunal du travail de Lisbonne) d’une action contre ce licenciement collectif en demandant leur réintégration au sein de TAP et le paiement de rémunérations.

14.      Par jugement du tribunal de trabalho de Lisboa rendu le 6 février 2007, il a été partiellement fait droit au recours formé contre le licenciement collectif, ladite juridiction ordonnant la réintégration des parties demanderesses au principal dans les catégories correspondantes ainsi que le paiement d’indemnités. À l’appui de son jugement, le tribunal de trabalho de Lisboa a considéré que, en l’espèce, il existait un transfert d’établissement, à tout le moins en partie, dans la mesure où l’identité de l’établissement avait été conservée et où ses activités avaient été poursuivies, TAP s’étant substituée à l’ancien employeur dans les contrats de travail.

15.      Il a été fait appel de ce jugement devant le Tribunal da Relação de Lisboa (cour d’appel de Lisbonne) qui, dans son arrêt du 16 janvier 2008, a annulé le jugement rendu en première instance, en ce qu’il avait condamné TAP à la réintégration des parties demanderesses au principal et au paiement d’indemnités, en concluant à l’expiration du droit de recours contre le licenciement collectif en cause et en considérant qu’il n’y avait pas eu un transfert d’établissement ou de partie d’établissement entre AIA et TAP.

16.      Les parties demanderesses au principal se sont alors pourvues en cassation devant le Supremo Tribunal de Justiça qui, dans son arrêt du 25 février 2009, a jugé que le licenciement collectif n’était frappé d’aucune illégalité. Ladite juridiction a observé, en reprenant à son compte l’argumentation développée par le Tribunal da Relação de Lisboa, qu’il ne suffit pas qu’une activité commerciale soit «simplement poursuivie» pour qu’il puisse être conclu au transfert d’un établissement, étant donné qu’il est également nécessaire que l’identité de l’établissement soit conservée. Or, en l’espèce, TAP, lorsqu’elle a opéré les vols au cours de l’été de l’année 1993, n’aurait pas utilisé d’«entité» de même identité que l’«entité» qui appartenait auparavant à AIA, mais elle aurait utilisé son propre instrument d’intervention sur le marché en cause, à savoir sa propre entreprise. En l’absence d’identité entre les deux «entités», on ne saurait, selon le Supremo Tribunal de Justiça, concevoir l’existence d’un transfert d’établissement.

17.      En ce qui concerne le droit de l’Union, le Supremo Tribunal de Justiça a relevé que la Cour, confrontée à des situations dans lesquelles une entreprise poursuivait des activités jusqu’alors effectuées par une autre entreprise, avait jugé que cette «simple circonstance» ne permettait pas de conclure au transfert d’une entité économique, dès lors qu’«une entité ne saurait être réduite à l’activité dont elle est chargée» (9).

18.      Certaines des parties demanderesses au principal ayant demandé au Supremo Tribunal de Justiça de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel, ce dernier a fait remarquer que «[l]’obligation de renvoi préjudiciel, qui pèse sur les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, n’existe que lorsque ces mêmes juridictions considèrent que le recours au droit [de l’Union] est nécessaire pour trancher le litige pendant devant elles et, par ailleurs, lorsqu’une question d’interprétation de ce droit se pose».

19.      Le Supremo Tribunal de Justiça a également considéré que «[l]a Cour elle‑même a expressément reconnu que ‘l’application correcte du droit [de l’Union] peut s’imposer avec une évidence telle qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée’, écartant par conséquent également dans cette hypothèse l’obligation de procéder au renvoi préjudiciel. Or, au vu du contenu des [dispositions du droit de l’Union] citées par les [parties demanderesses au principal], compte tenu de l’interprétation qui a été faite par la Cour [...] de ces dernières et étant donné les éléments de l’affaire [...] qui ont été pris en considération [...], il n’existe aucun doute pertinent dans l’interprétation qui imposerait le renvoi préjudiciel».

20.      Le Supremo Tribunal de Justiça a souligné, en outre, que «la Cour [avait] élaboré une jurisprudence constante sur la problématique de l’interprétation des règles [du droit de l’Union] relatives au ‘transfert d’établissement’, étant donné que la [...] directive [...] traduit déjà la consolidation des notions qu’elle contient en vertu de cette jurisprudence et que celles‑ci se présentent maintenant comme claires en termes d’interprétation jurisprudentielle (communautaire et même nationale), ce qui implique qu’il n’est pas nécessaire en l’espèce de procéder à la consultation préalable de la Cour».

21.      Les parties demanderesses au principal ont alors formé un recours en responsabilité civile extracontractuelle contre l’Estado português visant à ce que ce dernier soit condamné à réparer certains dommages patrimoniaux causés. À l’appui de leur recours, elles font valoir que l’arrêt du Supremo Tribunal de Justiça est manifestement illégal, dans la mesure où il comporte une interprétation erronée de la notion de transfert d’établissement dans son acception contenue dans la directive et dans la mesure où cette juridiction a violé son obligation de déférer à la Cour les questions d’interprétation du droit de l’Union pertinentes.

22.      L’Estado português soutient que, conformément à l’article 13, paragraphe 2, du RRCEE, la demande d’indemnisation doit être fondée sur l’annulation préalable de la décision dommageable par la juridiction compétente, en rappelant que, l’arrêt du Supremo Tribunal de Justiça n’ayant pas été annulé, il n’y a pas lieu de verser la réparation demandée.

23.      La juridiction de renvoi explique qu’il importe de savoir si l’arrêt rendu par le Supremo Tribunal de Justiça est manifestement illégal en ce qu’il fait une interprétation incorrecte de la notion de «transfert d’établissement», à la lumière de la directive et au vu des éléments de fait dont il disposait. En outre, il serait important de savoir si le Supremo Tribunal de Justiça avait l’obligation de procéder au renvoi préjudiciel qui lui avait été demandé.

24.      C’est dans ces conditions que les Varas Cíveis de Lisboa ont décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La directive [...], précisément son article 1er, paragraphe 1, doit‑elle être interprétée en ce sens que la notion de ‘transfert d’établissement’ recouvre une situation dans laquelle une entreprise active sur le marché des vols charter est dissoute par décision de son actionnaire majoritaire, qui est lui‑même une entreprise active dans le secteur de l’aviation, et que, dans le cadre de la liquidation, la société‑mère:

–        se substitue à la société dissoute dans les contrats de location d’avions et dans les contrats de vols charter en cours auprès des opérateurs touristiques;

–        exerce des activités qui étaient auparavant exercées par la société liquidée;

–        réintègre certains travailleurs qui étaient jusqu’alors détachés auprès de la société liquidée et leur fait exercer des fonctions identiques;

–        reprend des petits équipements de la société dissoute?

2)      L’article 267 [...] TFUE doit‑il être interprété en ce sens que le Supremo Tribunal de Justiça, en vertu des circonstances présentées dans la [première] question [...] et étant donné que les tribunaux nationaux qui ont jugé l’affaire lors des instances inférieures ont adopté des décisions contradictoires, était tenu de procéder au renvoi devant la Cour [...] d’une question préjudicielle sur l’interprétation correcte de la notion de ‘transfert d’établissement’, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive [...]?

3)      Le droit de l’Union, et notamment les principes formulés par la Cour [...] dans l’arrêt Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513) relatif à la responsabilité de l’État pour les dommages causés aux particuliers en vertu d’une violation du droit de l’Union commise par une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, s’oppose‑t‑il à l’application d’une norme nationale exigeant comme préalable à la demande d’indemnisation contre l’État l’annulation de la décision dommageable?»

III – Notre analyse

A –    Sur la première question

25.      Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si est susceptible de constituer un «transfert d’établissement», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive, une situation dans laquelle une entreprise active sur le marché des vols charter est dissoute par décision de son actionnaire majoritaire, qui est lui‑même une entreprise active dans le secteur de l’aviation et qui, dans le cadre de la liquidation de la première entreprise:

–        se substitue à la société dissoute dans les contrats de location d’avions et dans les contrats de vols charter en cours auprès des opérateurs touristiques;

–        exerce des activités qui étaient auparavant exercées par la société liquidée;

–        réintègre certains travailleurs qui étaient jusqu’alors détachés auprès de la société liquidée et leur fait exercer des fonctions identiques, et

–        reprend des petits équipements de la société dissoute.

26.      Ainsi qu’il ressort de son considérant 3 et de son article 3, la directive vise à protéger les travailleurs en assurant le maintien de leurs droits en cas de transfert d’entreprise (10). À cet effet, l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive prévoit que les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire. Quant à l’article 4, paragraphe 1, de la directive, il protège les travailleurs contre tout licenciement décidé par le cédant ou par le cessionnaire sur la seule base du transfert.

27.      En vertu de son article 1er, paragraphe 1, sous a), la directive est applicable à tout transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’entreprise ou d’établissement à un autre employeur résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion. La Cour a interprété la notion de cession conventionnelle de manière souple afin de répondre à l’objectif de la directive qui est de protéger les salariés en cas de transfert de leur entreprise (11). Ainsi, la Cour a jugé que la directive est applicable dans toutes les hypothèses de changement, dans le cadre de relations contractuelles, de la personne physique ou morale responsable de l’exploitation de l’entreprise, qui contracte les obligations d’employeur vis‑à‑vis des employés de l’entreprise (12).

28.      La Cour a déjà considéré que la directive 77/187 était applicable aux transferts entre sociétés d’un même groupe (13).

29.      En outre, elle a précisé les conditions dans lesquelles la directive 77/187 s’applique en cas de transfert d’une entreprise en état de liquidation judiciaire ou volontaire. Ainsi, si la Cour a jugé, dans son arrêt Abels (14), que cette directive ne s’applique pas au transfert d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’établissement dans le cadre d’une procédure de faillite (15), elle a, en revanche, jugé, dans son arrêt Dethier Équipement (16), que ladite directive est applicable en cas de transfert d’une entreprise en état de liquidation judiciaire lorsque l’activité de l’entreprise est poursuivie (17). Dans son arrêt Europièces (18), elle est parvenue à la même conclusion au sujet d’une entreprise transférée faisant l’objet d’une liquidation volontaire (19).

30.      Il résulte à la fois de l’interprétation souple qui doit être retenue de la notion de cession conventionnelle et de la jurisprudence de la Cour portant spécifiquement sur l’hypothèse d’une liquidation de l’entité cédée que la dissolution et la liquidation d’AIA sont susceptibles de constituer un «transfert d’établissement», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive.

31.      Le transfert doit, cependant, encore satisfaire aux conditions fixées à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive, à savoir qu’il doit porter sur une entité économique, entendue comme «un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle‑ci soit essentielle ou accessoire», qui maintient, postérieurement au transfert, son «identité».

32.      Pour constater l’existence d’un transfert d’entreprise, il faut donc que le critère décisif de l’existence d’un tel transfert soit rempli, à savoir que l’entité en question garde son identité après avoir été reprise par le nouvel employeur (20).

33.      Afin de déterminer si cette condition est remplie, il convient de prendre en considération l’ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l’opération en cause, au nombre desquelles figurent, notamment, le type d’entreprise ou d’établissement dont il s’agit, le transfert ou non d’éléments corporels, tels que les bâtiments et les biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l’essentiel des effectifs par le nouveau chef d’entreprise, le transfert ou non de la clientèle ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée d’une éventuelle suspension de ces activités. Ces éléments ne constituent, toutefois, que des aspects partiels de l’évaluation d’ensemble qui s’impose et ne sauraient, de ce fait, être appréciés isolément (21).

34.      La Cour a souligné que le juge national, dans son appréciation des circonstances de fait qui caractérisent l’opération en cause, doit notamment tenir compte du type d’entreprise ou d’établissement dont il s’agit. Il en résulte, selon elle, que l’importance respective à accorder aux différents critères de l’existence d’un transfert au sens de la directive varie nécessairement en fonction de l’activité exercée, voire des méthodes de production ou d’exploitation utilisées dans l’entreprise, dans l’établissement ou dans la partie d’établissement en cause (22).

35.      Les différents facteurs qui permettent de vérifier si l’entité en question garde son identité après avoir été reprise par le nouvel employeur et donc de qualifier une opération de «transfert», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive, ont donc un poids qui varie selon le type d’activité exercée par l’entreprise en cause.

36.      Ce qui est déterminant est le fait de savoir si l’entité en cause maintient son identité, ce qui découle notamment de l’existence d’un transfert d’éléments d’actifs, corporels ou non corporels, significatifs et du fait que l’exploitation de cette entité soit effectivement poursuivie ou reprise par le nouvel employeur pour les mêmes activités ou pour des activités analogues. Or, ces deux éléments sont réunis en l’espèce.

37.      S’agissant du transfert d’éléments d’actifs, corporels ou non corporels, significatifs, la Cour a, certes, relevé qu’une entité économique peut, dans certains secteurs, fonctionner sans de tels éléments, de sorte que le maintien de l’identité d’une telle entité par‑delà l’opération dont elle fait l’objet ne saurait, par hypothèse, dépendre de la cession de ces éléments (23).

38.      Ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour, il en va toutefois différemment pour les entreprises qui opèrent dans des secteurs qui nécessitent l’utilisation d’éléments d’actifs importants. Tel est, par exemple, le cas pour le secteur du transport par autobus qui exige un matériel et des installations importants. Dans ce cas de figure, la Cour a considéré que l’absence de transfert, de l’ancien au nouveau titulaire du marché, des actifs corporels utilisés pour l’exploitation des lignes d’autobus concernées constitue une circonstance qu’il convient de prendre en considération (24). La Cour en a déduit que, dans un secteur tel que le transport public régulier par autobus, où les éléments corporels contribuent de manière importante à l’exercice de l’activité, l’absence de transfert à un niveau significatif de l’ancien au nouveau titulaire du marché de tels éléments, qui sont indispensables au bon fonctionnement de l’entité, doit conduire à considérer que cette dernière ne conserve pas son identité (25).

39.      Il résulte de cette jurisprudence que, dans une affaire telle que celle en cause au principal, qui concerne également le secteur des transports, le transfert d’actifs corporels significatifs doit être considéré comme un élément essentiel afin de déterminer si nous sommes en présence d’un «transfert d’établissement», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive.

40.      Dans son appréciation des circonstances de fait entourant l’opération en cause, la juridiction de renvoi devra donc donner un poids particulier au facteur tiré de la cession d’éléments d’actifs corporels significatifs à TAP.

41.      À cet égard, il est constant qu’il y a eu reprise par TAP des contrats de location relatifs à quatre avions qui étaient auparavant utilisés par AIA dans le cadre de son activité. Il ressort du dossier que cette reprise a, notamment, été motivée par la volonté de TAP de neutraliser les conséquences financières négatives qui auraient pu résulter de la résiliation anticipée de tels contrats. Les motifs qui sont à l’origine de la décision de TAP de reprendre les contrats de location relatifs à quatre avions exploités jusqu’alors par AIA sont, toutefois, indifférents aux fins de la qualification d’une opération de «transfert», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive. Seul est important le constat objectif selon lequel ces contrats ont effectivement été transférés à TAP lors de la dissolution d’AIA, TAP ayant continué à utiliser les avions en cause.

42.      Comme l’indiquent à juste titre les parties demanderesses au principal, on ne saurait considérer que, en raison du fait que TAP est actionnaire majoritaire et créancier principal d’AIA, elle serait libre de disposer d’une entreprise de son groupe et d’en reprendre les actifs, sans se soumettre aux obligations qui découlent de la directive.

43.      Peu importe également que les avions repris par TAP aient été utilisés indifféremment pour le transport régulier et pour le transport non régulier. Ce qui importe est que ces avions ont été utilisés, ne serait‑ce que partiellement, dans le cadre de l’activité de transport non régulier de TAP, laquelle constitue la poursuite d’une activité qui était auparavant assurée par AIA.

44.      En outre, la circonstance que les avions repris étaient sous un régime de location ne constitue pas un obstacle à l’existence d’un transfert d’établissement dans la mesure où c’est la continuité de l’utilisation de ces éléments d’actifs par le cessionnaire qui est déterminante.

45.      Enfin, le fait que les avions ont été restitués à la fin des contrats de crédit‑bail, entre l’année 1998 et l’année 2000, n’est pas non plus pertinent. Ce qui compte est que les contrats ont été effectivement transférés et que les avions ont été effectivement utilisés par TAP pendant une période significative.

46.      Il résulte de ces éléments que le constat, effectué par la juridiction de renvoi, selon lequel TAP s’est substituée à la société dissoute dans les contrats de location d’avions constitue un indice important de l’existence d’un transfert d’établissement en ce qu’il témoigne de la reprise par TAP d’éléments d’actifs indispensables à la poursuite de l’activité précédemment exercée par AIA.

47.      À ce constat s’ajoute celui selon lequel TAP a également repris des petits équipements de la société dissoute, comme des équipements de bord et des équipements de bureau. Il s’agit d’un indice supplémentaire de l’existence d’un transfert d’établissement.

48.      Par ailleurs, il ressort du dossier que TAP s’est substituée à la société dissoute dans les contrats de vols charter en cours avec les opérateurs touristiques et pour le développement des activités exercées antérieurement par cette société. Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour que le transfert de clientèle constitue un indice pertinent de l’existence d’un transfert d’entreprise (26).

49.      Le Supremo Tribunal de Justiça semble considérer que le fait que TAP a été habilitée à opérer sur le marché des vols charter et qu’elle l’a déjà fait «ponctuellement» s’opposait à l’existence d’un «transfert d’établissement», au sens de la directive. Or, nous partageons l’avis des parties demanderesses au principal selon lequel le fait qu’une entreprise est déjà active ou est susceptible de l’être sur un marché donné ne constitue pas un obstacle à ce que cette dernière assure la continuité d’activités similaires exercées par une autre entreprise qui a, entre‑temps, été dissoute, en étendant ainsi ses propres activités.

50.      S’agissant en particulier des vols effectués en 1994, il s’agit, comme le Supremo Tribunal de Justiça l’a constaté dans son arrêt, de contrats conclus par TAP directement avec les opérateurs touristiques pour des routes qu’elle n’assurait pas jusqu’alors dans la mesure où il s’agissait de routes traditionnelles d’AIA. Selon le Supremo Tribunal de Justiça, «TAP a exercé, comme n’importe quelle compagnie aérienne aurait pu le faire, une activité qui ne représente pas davantage que l’occupation d’un espace du marché laissé libre par la fermeture d’AIA».

51.      Or, comme le relèvent à juste titre les parties demanderesses au principal, le fait même que TAP a commencé à exercer une activité qui l’était auparavant par une autre entreprise de son groupe qu’elle avait, entre‑temps, dissoute constitue un indice important de l’existence d’un transfert d’établissement dans la mesure où il témoigne de la poursuite par TAP de l’activité précédemment exercée par AIA.

52.      Dans son arrêt, le Supremo Tribunal de Justiça s’appuie sur l’arrêt Süzen (27) pour considérer que la seule poursuite d’une activité exercée par une autre entreprise ne suffit pas à établir l’existence d’un transfert d’établissement (28). Cependant, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’une telle poursuite d’activité se double de la reprise d’éléments d’actifs importants, l’existence d’un transfert d’établissement ne fait guère de doute.

53.      La poursuite par TAP de l’activité précédemment exercée par AIA est également illustrée par un autre indice mis en avant par la juridiction de renvoi, à savoir la réintégration au sein de TAP de travailleurs qui étaient jusqu’alors détachés auprès de la société liquidée, et ce en vue d’exercer des fonctions identiques à celles qu’ils exerçaient au sein de cette société.

54.      Comme le Supremo Tribunal de Justiça l’a constaté dans son arrêt, il a été prouvé que deux employées, qui étaient jusqu’alors détachées par TAP auprès de la direction commerciale d’AIA, ont été, après la dissolution de cette dernière, placées par TAP au sein de sa propre direction commerciale à des postes dans le domaine des vols non réguliers ad hoc et des contrats de vols charter de la saison aéronautique de l’été de l’année 1993.

55.      Selon le Supremo Tribunal de Justiça, il ne s’agit pas d’un maintien par TAP de travailleurs précédemment employés par AIA. Ces travailleurs étaient liés à TAP par un contrat de travail. Il s’agissait donc de travailleurs qui étaient employés par TAP et non par AIA. Les salariées concernées étaient détachées par TAP pour exercer des fonctions auprès d’AIA et elles sont retournées, après la dissolution d’AIA, dans l’entreprise qui les employait. Dans son arrêt, le Supremo Tribunal de Justiça estime ainsi que le retour des travailleurs de TAP dans leur entreprise, après la dissolution d’AIA auprès de laquelle ils étaient détachés, résulte de l’accomplissement du contrat de travail qu’ils ont conclu avec leur employeur, à savoir TAP. Même si ces travailleurs ont été intégrés à des postes correspondant à leur catégorie et qu’ils ont exercé au cours de l’été de l’année 1993 des fonctions dans le domaine des vols non réguliers opérés par TAP cette année‑là, l’activité de ces travailleurs au sein de TAP ne permettrait pas, selon le Supremo Tribunal de Justiça, d’identifier l’organisation d’une entité économique autonome consacrée aux vols non réguliers.

56.      Cependant, comme le relèvent à juste titre les parties demanderesses au principal, la réaffectation des deux employées chez TAP à des fonctions directement liées au secteur des vols non réguliers est révélatrice de la poursuite de l’activité d’AIA par TAP, activité qui était exercée précédemment seulement de manière ponctuelle, de sorte qu’elle renforce encore un peu plus l’existence d’un transfert d’établissement. De plus, ces employées semblent constituer un «ensemble organisé» (29), puisqu’elles ont été affectées, au sein de TAP, à des fonctions semblables à celles qu’elles exerçaient chez AIA.

57.      Comme indices supplémentaires de l’existence d’un transfert d’établissement, il y a lieu de relever le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert. Comme le relève la Commission, AIA était une entreprise de transport aérien spécialisée dans les vols non réguliers. TAP, dont le cœur de métier est le transport aérien, était habilitée à exploiter tant des vols réguliers que des vols non réguliers, et donc habilitée à opérer sur le marché des vols charter, ce qu’elle faisait déjà, quoique de manière ponctuelle (30). Il existe donc une forte similarité entre les activités exercées par les deux entreprises.

58.      S’agissant, enfin, du critère tenant à une éventuelle suspension des activités, il a été établi que TAP avait commencé dès le 1er mai 1993, c’est‑à‑dire immédiatement après la dissolution d’AIA, à exploiter au moins une partie des vols charter qu’AIA s’était engagée à effectuer pour la saison d’été de l’année 1993. Il n’y a donc eu aucune suspension d’activité d’une durée significative. Bien au contraire, il y a eu continuité de l’activité, puisque environ quinze jours après la dissolution d’AIA, TAP s’est substituée à elle aux fins de l’exécution des contrats relatifs aux vols concernés.

59.      L’ensemble de ces indices témoignent, à notre avis, de l’existence d’un «transfert d’établissement», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive.

60.      Le Supremo Tribunal de Justiça est pourtant parvenu à une conclusion différente parce qu’il a retenu une interprétation trop restrictive de la condition relative au maintien de l’identité de l’entité transférée. Plus précisément, son raisonnement ne mentionne à aucun moment un arrêt de la Cour qui aurait cependant dû le conduire à une autre solution, à savoir l’arrêt Klarenberg (31), qui est antérieur de plusieurs jours à l’arrêt du Supremo Tribunal de Justiça et dont les conclusions de l’avocat général Mengozzi, que la Cour a suivies, avaient été présentées le 6 novembre 2008 (32).

61.      Dans son arrêt, le Supremo Tribunal de Justiça a donné une importance particulière au critère selon lequel, pour constater l’existence d’un «transfert», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive, il doit être possible d’identifier l’unité économique cédée dans le chef du cessionnaire (33).

62.      À cet égard, le Supremo Tribunal de Justiça a relevé qu’il n’avait pas été prouvé que TAP avait créé un service des vols non réguliers transposant précisément la structure qui était celle d’AIA. Eu égard à l’ensemble des faits constatés, TAP n’aurait pas repris une entité économique visant directement et de manière autonome à poursuivre l’activité de vols charter qui était précédemment réalisée par AIA. En particulier, il n’y aurait pas eu un transfert de plusieurs éléments séparés qui, ensuite, se seraient réorganisés au sein de TAP en faisant ressurgir une entreprise ou un établissement autonome. De plus, aucun indice ne révélerait chez TAP l’existence d’une unité consacrée à l’activité des vols charter organisée de manière autonome à cet effet.

63.      Il s’ensuit que, selon le Supremo Tribunal de Justiça, l’analyse globale des indices ne permet pas de reconnaître, au sein de TAP, un ensemble de moyens matériels et humains constituant un soutien à l’activité des vols charter, organisé de manière autonome à cet effet, à savoir une entité économique qui maintient son identité et poursuit de manière autonome une activité d’aviation commerciale non régulière au sein de TAP. Au contraire, le Supremo Tribunal de Justiça relève que l’équipement d’AIA, que TAP a ensuite utilisé, s’est dilué dans l’ensemble de l’équipement de TAP et que celle‑ci a effectué des vols réguliers et non réguliers pour lesquels elle a utilisé indistinctement son personnel et l’équipement de sa compagnie aérienne.

64.      Face à cette argumentation, il convient de préciser que, au sens de la directive, il peut y avoir transfert avec maintien de l’identité de l’entité transférée même lorsque celle‑ci ne conserve pas sa structure organisationnelle autonome. Autrement dit, contrairement à ce qu’a jugé le Supremo Tribunal de Justiça, la condition relative au maintien de l’identité ne signifie pas que l’entité économique transférée doit conserver son autonomie dans la structure du cessionnaire.

65.      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Klarenberg (34), l’argument de la partie défenderesse au principal était identique à celui retenu par le Supremo Tribunal de Justiça pour exclure l’existence d’un transfert d’établissement. Cette partie faisait valoir, en effet, que l’«entité économique», définie à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive, ne conserve son identité que si le lien organisationnel qui unit l’ensemble de personnes et/ou d’éléments est maintenu. En revanche, l’entité économique cédée ne conserverait pas son identité dans l’hypothèse où, par suite de la cession, elle perdrait son autonomie du point de vue organisationnel, les ressources acquises étant intégrées par le cessionnaire dans une structure entièrement nouvelle (35).

66.      La Cour a considéré qu’une telle conception de l’identité de l’entité économique, reposant sur le seul facteur relatif à l’autonomie organisationnelle, ne saurait être retenue, et ce, notamment, au vu de l’objectif poursuivi par la directive, qui consiste à assurer une protection effective des droits des travailleurs dans une situation de transfert. En effet, selon la Cour, cette conception impliquerait, en raison du seul fait que le cessionnaire décide de dissoudre la partie d’entreprise ou d’établissement acquise et de l’intégrer dans sa propre structure, l’exclusion de l’application de la directive à cette partie d’entreprise ou d’établissement, privant ainsi les travailleurs concernés de la protection accordée par celle‑ci (36).

67.      S’agissant du facteur relatif à l’aspect organisationnel, la Cour a précédemment jugé que celui‑ci concourt à définir l’identité d’une entité économique (37). Toutefois, elle a également jugé qu’une modification de la structure organisationnelle de l’entité cédée n’est pas de nature à faire obstacle à l’application de la directive (38).

68.      La Cour a également relevé que «l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive définit l’identité d’une entité économique en se référant à un ‘ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle‑ci soit essentielle ou accessoire’, mettant ainsi en exergue non seulement l’élément organisationnel de l’entité transférée, mais également celui de la poursuite de son activité économique» (39). Elle en a déduit qu’il convenait d’interpréter la condition relative à la préservation de l’identité d’une entité économique au sens de la directive en prenant en considération les deux éléments, tels que prévus à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de celle‑ci, qui, pris dans leur ensemble, constituent cette identité, ainsi que l’objectif de protection des travailleurs visé par la directive (40).

69.      Eu égard à ces considérations et afin de ne pas priver la directive d’une partie de son effet utile, la Cour a jugé qu’il convenait d’interpréter la condition relative à la préservation de l’identité d’une entité économique non pas en ce sens qu’elle exige le maintien de l’organisation spécifique imposée par l’entrepreneur aux divers facteurs de production transférés, mais en ce sens qu’elle suppose le maintien du lien fonctionnel d’interdépendance et de complémentarité entre ces facteurs (41).

70.      En effet, selon la Cour, le maintien d’un tel lien fonctionnel entre les divers facteurs transférés permet au cessionnaire d’utiliser ces derniers, même s’ils sont intégrés, après le transfert, dans une nouvelle structure organisationnelle différente, afin de poursuivre une activité économique identique ou analogue (42).

71.      Au vu de l’arrêt Klarenberg (43), il importe peu que l’entité reprise ait été dissoute dans l’organisation de TAP, dans la mesure où un lien fonctionnel a été conservé entre, d’une part, les éléments d’actifs et le personnel repris et, d’autre part, la poursuite de l’activité précédemment exercée par AIA.

72.      Dans son arrêt, le Supremo Tribunal de Justiça a accordé une importance particulière au fait que les avions et le personnel repris ont été utilisés pour les vols réguliers et pour les vols non réguliers. Cette circonstance est, selon lui, de nature à démontrer qu’il n’y a pas maintien d’une entité économique autonome consacrée à l’activité de vols non réguliers au sein de TAP.

73.      À cet égard, nous considérons qu’il importe peu que les éléments transférés aient été utilisés non seulement pour les vols non réguliers, mais également pour les vols réguliers. La condition relative au maintien de l’identité de l’entité reprise ne requiert pas un usage exclusif des éléments d’actifs transférés au bénéfice de l’activité poursuivie. Le lien fonctionnel entre ces éléments d’actifs et l’activité poursuivie demeure même si lesdits éléments sont utilisés également pour l’exercice d’une autre activité, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une activité analogue dans le secteur du transport aérien.

74.      Comme la Commission le fait valoir, il résulte de l’arrêt Klarenberg (44) que la dissolution d’AIA et l’intégration d’une partie importante de ses actifs dans la structure organisationnelle de TAP, même s’ils n’ont pas conservé d’identité «autonome», ne sont pas de nature à écarter l’application de la directive. Ce qui importe est que les moyens transférés conservent leur identité et soient utilisés, après le transfert, afin de poursuivre une activité économique identique ou analogue.

75.      Or, en l’espèce, les actifs d’AIA ont été utilisés dans un premier temps (saison aéronautique d’été de l’année 1993) afin de poursuivre une activité identique à celle d’AIA, à savoir les vols charter qu’AIA s’était engagée à effectuer, et ultérieurement afin de poursuivre une activité identique (vols charter organisés par TAP) ou similaire (vols réguliers de TAP).

76.      Comme la Cour l’a précisé dans son arrêt Klarenberg (45), les termes de l’article 6, paragraphe 1, premier et quatrième alinéas, de la directive confirment que, dans l’esprit du législateur de l’Union, celle‑ci a vocation à s’appliquer à tout transfert répondant aux conditions énoncées à son article 1er, paragraphe 1, que l’entité économique transférée conserve ou non son autonomie dans la structure du cessionnaire (46).

77.      Il revient, certes, en dernier lieu à la juridiction de renvoi de vérifier si les critères de l’existence d’un transfert d’établissement sont réunis en l’espèce. Selon une jurisprudence constante, il appartient à la juridiction nationale compétente d’établir, dans le cadre d’une appréciation globale de l’ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l’opération en cause, si l’identité de l’unité économique transférée a été préservée (47).

78.      Toutefois, le contexte particulier de l’affaire au principal, qui est la conséquence de prises de position divergentes de juridictions nationales, devrait, à notre avis, conduire la Cour à répondre d’une façon à la fois plus précise et directe à la juridiction de renvoi.

79.      Nous proposons donc de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que la notion de transfert d’établissement recouvre une situation dans laquelle une entreprise active sur le marché des vols charter est dissoute par décision de son actionnaire majoritaire, qui est lui‑même une entreprise active dans le secteur de l’aviation et qui, dans le cadre de la liquidation de la première entreprise:

–        se substitue à la société dissoute dans les contrats de location d’avions et dans les contrats de vols charter en cours auprès des opérateurs touristiques;

–        exerce des activités qui étaient auparavant exercées par la société liquidée;

–        réintègre certains travailleurs qui étaient jusqu’alors détachés auprès de la société liquidée et leur fait exercer des fonctions identiques, et

–        reprend des petits équipements de la société dissoute.

B –    Sur la deuxième question

80.      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, telle que le Supremo Tribunal de Justiça, était tenue, eu égard aux circonstances de fait présentées dans la première question et étant donné que les juridictions nationales de niveau inférieur qui ont jugé l’affaire avaient adopté des décisions contradictoires, de procéder au renvoi devant la Cour de la question préjudicielle relative à l’interprétation correcte de la notion de «transfert d’établissement», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive.

81.      Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la procédure instituée par l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (48).

82.      Dans le cadre de cette coopération, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (49).

83.      L’obligation de saisine instituée par l’article 267, troisième alinéa, TFUE s’inscrit ainsi dans le cadre de la coopération instituée en vue d’assurer la bonne application et l’interprétation uniforme du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres, entre les juridictions nationales, en leur qualité de juges chargés de l’application du droit de l’Union, et la Cour (50).

84.      Il convient de rappeler que l’obligation de saisir la Cour d’une question préjudicielle, prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, pour les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours a notamment pour but de prévenir que s’établisse, dans un État membre, une jurisprudence nationale ne concordant pas avec les règles du droit de l’Union (51).

85.      Selon la Cour, un tel objectif est atteint quand sont astreintes à cette obligation de renvoi, sous réserve des limites admises par la Cour dans son arrêt Cilfit e.a. (52), les cours suprêmes ainsi que toute juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel (53).

86.      Dans la mesure où il n’existe aucun recours juridictionnel contre la décision d’une juridiction nationale, cette dernière est, en principe, tenue de saisir la Cour au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE dès lors qu’une question relative à l’interprétation du traité FUE est soulevée devant elle (54).

87.      Il découle du rapport entre les deuxième et troisième alinéas de l’article 267 TFUE que les juridictions visées par le troisième alinéa jouissent du même pouvoir d’appréciation que toutes les autres juridictions nationales en ce qui concerne le point de savoir si une décision sur un point de droit de l’Union est nécessaire pour leur permettre de rendre leur décision. Ces juridictions ne sont, dès lors, pas tenues de renvoyer une question d’interprétation du droit de l’Union soulevée devant elles si la question n’est pas pertinente, c’est‑à‑dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige (55).

88.      En revanche, si elles constatent que le recours au droit de l’Union est nécessaire en vue d’aboutir à la solution d’un litige dont elles se trouvent saisies, l’article 267 TFUE leur impose, en principe, de saisir la Cour de toute question d’interprétation qui se pose (56).

89.      En présence d’un litige soulevant une question d’interprétation du droit de l’Union, l’exécution par une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne de son obligation de saisir la Cour constitue donc le principe et le renoncement à saisir la Cour l’exception.

90.      L’arrêt Cilfit e.a. (57) fait peser sur les juridictions nationales qui statuent en dernier ressort un devoir accru de motivation lorsqu’elles s’abstiennent d’interroger la Cour.

91.      Ainsi, s’agissant de la portée de l’obligation énoncée à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, telle qu’elle a été circonscrite par la Cour, il résulte d’une jurisprudence bien consolidée depuis cet arrêt qu’une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne est tenue, lorsqu’une question de droit de l’Union se pose devant elle, de déférer à son obligation de saisine, à moins qu’elle n’ait constaté que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. L’existence d’une telle éventualité doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de jurisprudence à l’intérieur de l’Union européenne (58).

92.      La Cour a précisé que, sans préjudice des enseignements résultant de l’arrêt Köbler (59), la jurisprudence découlant de l’arrêt Cilfit e.a. (60) laisse à la seule juridiction nationale le soin d’apprécier si l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable et, en conséquence, de décider de s’abstenir de soumettre à la Cour une question d’interprétation du droit de l’Union qui a été soulevée devant elle (61).

93.      Dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi demande à la Cour si, au vu de sa jurisprudence relative à la notion de transfert d’établissement et eu égard à l’existence de positions divergentes des juridictions nationales quant à l’interprétation à retenir au regard des faits de l’espèce, le Supremo Tribunal de Justiça était ou non fondé à n’éprouver «aucun doute raisonnable» relatif à la question d’interprétation soulevée et pouvait donc s’abstenir de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

94.      À cet égard, il importe de souligner que les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne doivent faire preuve d’une prudence particulière avant d’écarter l’existence de tout doute raisonnable. Elles doivent exposer les raisons pour lesquelles elles ont la certitude d’appliquer correctement le droit de l’Union.

95.      Cette prudence doit les conduire, en particulier, à vérifier de façon précise si l’application du droit de l’Union qu’elles retiennent prend dûment en compte les caractéristiques propres au droit de l’Union, les difficultés particulières que présente son interprétation ainsi que le risque de divergences de jurisprudence à l’intérieur de l’Union.

96.      Le Supremo Tribunal de Justiça a considéré que les notions figurant dans la directive, et en particulier celle de transfert d’établissement, étaient suffisamment claires en termes d’interprétation jurisprudentielle. Cela impliquait, selon lui, qu’il n’était pas nécessaire en l’espèce de procéder à un renvoi préjudiciel.

97.      Cette approche nous semble erronée car nous savons que l’interprétation de la notion de transfert d’établissement se singularise par une approche au cas par cas. Les affaires dont est successivement saisie la Cour permettent à cette dernière d’affiner la portée de cette notion. Il s’agit donc d’une jurisprudence en constante évolution. Cette particularité aurait dû conduire le Supremo Tribunal de Justiça à la prudence avant de décider de ne pas saisir la Cour.

98.      À cet excès de confiance dans le caractère consolidé de la jurisprudence de la Cour relative à la notion de transfert d’établissement s’ajoute une prise en compte incomplète de cette jurisprudence, qui a conduit le Supremo Tribunal de Justiça à retenir une interprétation erronée de cette notion.

99.      Dans une situation telle que celle en cause au principal, où il existe une jurisprudence de la Cour sur la notion à interpréter, une juridiction nationale qui est, en principe, soumise à une obligation de renvoi et qui considère que le litige dont elle est saisie soulève une question d’interprétation du droit de l’Union a le choix entre deux attitudes. Soit elle saisit la Cour afin d’obtenir des précisions supplémentaires au vu du litige qu’elle doit trancher, soit elle décide de ne pas exécuter son obligation de renvoi, mais elle doit alors accepter et appliquer la réponse déjà apportée par la Cour. Si elle n’adopte aucune de ces deux attitudes et qu’elle retient une autre interprétation de la notion du droit de l’Union en cause, cette juridiction commet une violation de ce droit qui doit être considérée comme étant suffisamment caractérisée (62). Cela découle d’une jurisprudence constante, en vertu de laquelle une violation du droit de l’Union est suffisamment caractérisée lorsqu’elle est intervenue en méconnaissance manifeste de la jurisprudence de la Cour en la matière (63).

100. En somme, s’il avait pris en compte de façon rigoureuse et complète la jurisprudence de la Cour, y compris la plus récente, le Supremo Tribunal de Justiça n’aurait pas pu éprouver de certitude quant à l’application du droit de l’Union qu’il a effectuée.

101. Il importe que la Cour adopte une position stricte quant au rappel de l’obligation de renvoi qui pèse sur les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne. En effet, comme l’avocat général Léger l’a précisé dans ses conclusions dans l’affaire Traghetti del Mediterraneo (64) et ainsi que l’illustre la présente affaire, «le manquement à une telle obligation risque de conduire la juridiction concernée à commettre une erreur [...], que ce soit une erreur dans l’interprétation du droit [de l’Union] applicable ou dans la déduction des conséquences qu’il convient d’en tirer pour l’interprétation conforme du droit interne ou pour l’appréciation de la compatibilité de celui‑ci avec le droit [de l’Union]» (65).

102. Par ailleurs, nous soulignons que le non‑respect par les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne de leur obligation de renvoi conduit à priver la Cour de la mission fondamentale qui lui est assignée par l’article 19, paragraphe 1, premier alinéa, TUE, qui est d’assurer «le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités».

103. Enfin, il ressort du dossier que, dans le cadre de la présente affaire, les juridictions portugaises avaient abouti à des positions divergentes quant à l’interprétation de la notion de transfert d’établissement. À notre avis, si l’existence, à elle seule, de décisions contradictoires rendues par des juridictions nationales ne saurait suffire pour déclencher l’obligation de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, il s’agit d’un élément de contexte qui vient renforcer le constat selon lequel le Supremo Tribunal de Justiça aurait dû adopter une position plus prudente et saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

104. Il découle de l’ensemble de ces éléments que, selon nous, l’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, telle que le Supremo Tribunal de Justiça, était tenue, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

C –    Sur la troisième question

105. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si le droit de l’Union, et en particulier la jurisprudence issue de l’arrêt Köbler (66), doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime national relatif à la responsabilité de l’État qui conditionne le droit à réparation à l’annulation préalable de la décision ayant causé le préjudice.

106. Nous rappelons que, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, du RRCEE, «[l]a demande d’indemnisation doit être fondée sur l’annulation préalable de la décision dommageable par la juridiction compétente».

107. Afin d’établir si cette condition est conforme ou non au droit de l’Union, il y a lieu, à titre liminaire, de rappeler que le principe de la responsabilité de l’État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables est inhérent au système du traité (67).

108. S’agissant de la responsabilité de l’État en raison d’une violation du droit de l’Union imputable à une décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort, la Cour a précisé que, eu égard à la spécificité de la fonction juridictionnelle ainsi qu’aux exigences légitimes de la sécurité juridique, la responsabilité de l’État, dans pareille hypothèse, n’est pas illimitée. Ainsi que la Cour l’a jugé, cette responsabilité ne saurait être engagée que dans le cas exceptionnel où la juridiction nationale statuant en dernier ressort a méconnu de manière manifeste le droit applicable. Afin de déterminer si cette condition est remplie, le juge national saisi d’une demande en réparation doit, à cet égard, tenir compte de tous les éléments caractérisant la situation qui lui est soumise et, notamment, le degré de clarté et de précision de la règle violée, le caractère délibéré de la violation, le caractère excusable ou inexcusable de l’erreur de droit, la position prise, le cas échéant, par une institution de l’Union ainsi que l’inexécution, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel au titre de l’article 267, troisième alinéa, TFUE (68).

109. Comme nous l’avons indiqué précédemment, cette méconnaissance manifeste du droit de l’Union applicable est présumée, en tout état de cause, lorsque la décision concernée intervient en méconnaissance manifeste de la jurisprudence de la Cour en la matière (69).

110. Un droit à réparation naîtra donc, si cette condition relative à la méconnaissance manifeste du droit de l’Union applicable est remplie, dès qu’il aura été établi que la règle de droit violée a pour objet de conférer des droits aux particuliers et qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation manifeste invoquée et le dommage subi par l’intéressé. Ces trois conditions sont, en effet, nécessaires et suffisantes pour engendrer au profit des particuliers un droit à obtenir réparation, sans pour autant exclure que la responsabilité de l’État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit national (70).

111. La Cour a également eu l’occasion de préciser que, sous réserve du droit à réparation qui trouve directement son fondement dans le droit de l’Union, dès lors que lesdites conditions sont réunies, c’est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu’il incombe à l’État de réparer les conséquences du préjudice causé, étant entendu que les conditions fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation (principe d’effectivité) (71).

112. C’est à l’aune du principe d’effectivité qu’il y a lieu, selon nous, d’examiner la modalité procédurale prévue à l’article 13, paragraphe 2, du RRCEE. Il convient, dès lors, de déterminer si une telle modalité procédurale est de nature à rendre, en pratique et dans des circonstances telles que celles en cause au principal, impossible ou excessivement difficile l’obtention d’une réparation par le particulier lésé.

113. Le point crucial est ici de déterminer si ce particulier bénéficie ou non d’une voie de recours contre un arrêt du Supremo Tribunal de Justiça qui lui porte préjudice. Interrogé à ce sujet lors de l’audience, le gouvernement portugais a, d’abord, apporté une réponse négative à cette question avant de nuancer sa réponse d’une façon peu convaincante. Il incombera à la juridiction de renvoi de vérifier l’état de son droit sur ce point. Dans le cas où cette juridiction aboutirait au constat selon lequel le particulier lésé ne dispose pas de voie de recours contre un arrêt du Supremo Tribunal de Justiça qui lui porte préjudice, il y aurait lieu pour elle de considérer que la modalité procédurale prévue à l’article 13, paragraphe 2, du RRCEE est contraire au principe d’effectivité dans la mesure où elle rend impossible l’obtention d’une réparation par ce particulier.

114. En tout état de cause, il nous semble ressortir des débats qui se sont tenus devant la Cour que, si une telle voie de recours contre un arrêt du Supremo Tribunal de Justiça devait être identifiée, elle paraîtrait largement théorique et difficile à mettre en œuvre (72). Par conséquent, dans la mesure où la modalité procédurale prévue à l’article 13, paragraphe 2, du RRCEE poserait, dans cette hypothèse, un obstacle sérieux à l’obtention d’une réparation par le particulier lésé, elle resterait, à nos yeux, contraire au principe d’effectivité. En effet, une telle modalité procédurale rendrait excessivement difficile l’obtention d’une réparation par ce particulier.

115. Nous concluons donc que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le droit de l’Union, et en particulier la jurisprudence issue de l’arrêt Köbler (73), doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime national relatif à la responsabilité de l’État qui conditionne le droit à réparation à l’annulation préalable de la décision ayant causé le préjudice.

IV – Conclusion

116. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées par les Varas Cíveis de Lisboa de la manière suivante:

1)      L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, doit être interprété en ce sens que la notion de transfert d’établissement recouvre une situation dans laquelle une entreprise active sur le marché des vols charter est dissoute par décision de son actionnaire majoritaire, qui est lui‑même une entreprise active dans le secteur de l’aviation et qui, dans le cadre de la liquidation de la première entreprise:

–        se substitue à la société dissoute dans les contrats de location d’avions et dans les contrats de vols charter en cours auprès des opérateurs touristiques;

–        exerce des activités qui étaient auparavant exercées par la société liquidée;

–        réintègre certains travailleurs qui étaient jusqu’alors détachés auprès de la société liquidée et leur fait exercer des fonctions identiques, et

–        reprend des petits équipements de la société dissoute.

2)      L’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, telle que le Supremo Tribunal de Justiça (Cour suprême, Portugal), était tenue, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

3)      Dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le droit de l’Union, et en particulier la jurisprudence issue de l’arrêt Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513), doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime national relatif à la responsabilité de l’État qui conditionne le droit à réparation à l’annulation préalable de la décision ayant causé le préjudice.


1 – Langue originale: le français.


2 –      JO L 82, p. 16, ci‑après la «directive».


3 – C‑224/01, EU:C:2003:513.


4 –      JO L 61, p. 26.


5 –      JO L 201, p. 88.


6 – Ci‑après le «RRCEE».


7 – Diário da República, 1re série, no 251, du 31 décembre 2007.


8 – Diário da República, 1re série, no 137, du 17 juillet 2008.


9 – Le Supremo Tribunal de Justiça se réfère, à cet égard, au point 15 de l’arrêt Süzen (C‑13/95, EU:C:1997:141).


10 –      Voir, notamment, ordonnance Gimnasio Deportivo San Andrés (C‑688/13, EU:C:2015:46, point 34 et jurisprudence citée).


11 –      Voir, notamment, arrêt Jouini e.a. (C‑458/05, EU:C:2007:512, point 24 et jurisprudence citée).


12 –      Voir, notamment, arrêt Amatori e.a. (C‑458/12, EU:C:2014:124, point 29 et jurisprudence citée).


13 –      Voir, notamment, arrêt Allen e.a. (C‑234/98, EU:C:1999:594, points 17, 20 et 21).


14 –      135/83, EU:C:1985:55.


15 – Point 30.


16 –      C‑319/94, EU:C:1998:99.


17 –      Point 32.


18 –      C‑399/96, EU:C:1998:532.


19 –      Point 35.


20 –      Voir, notamment, arrêt Amatori e.a. (C‑458/12, EU:C:2014:124, point 30 et jurisprudence citée).


21 –      Voir, notamment, arrêts Spijkers (24/85, EU:C:1986:127, point 13); Redmond Stichting (C‑29/91, EU:C:1992:220, point 24); Süzen (C‑13/95, EU:C:1997:141, point 14), ainsi que Abler e.a. (C‑340/01, EU:C:2003:629, point 33).


22 –      Voir, notamment, arrêt Liikenne (C‑172/99, EU:C:2001:59, point 35 et jurisprudence citée).


23 –      Ibidem (point 37 et jurisprudence citée).


24 –      Ibidem (point 39 et jurisprudence citée).


25 –      Ibidem (point 42 et jurisprudence citée).


26 –      Voir point 33 des présentes conclusions.


27 – C‑13/95, EU:C:1997:141.


28 – Point 15.


29 –      Arrêt Jouini e.a. (C‑458/05, EU:C:2007:512, point 32).


30 –      La Commission se réfère à l’arrêt du Supremo Tribunal de Justiça.


31 – C‑466/07, EU:C:2009:85.


32 – Conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Klarenberg (C‑466/07, EU:C:2008:614).


33 –      Point 3.6.1, dernier paragraphe.


34 – C‑466/07, EU:C:2009:85.


35 –      Point 42.


36 –      Point 43.


37 –      Voir, notamment, arrêts Allen e.a. (C‑234/98, EU:C:1999:594, point 27); Mayeur (C‑175/99, EU:C:2000:505, point 53); Liikenne (C‑172/99, EU:C:2001:59, point 34), ainsi que Klarenberg (C‑466/07, EU:C:2009:85, point 44).


38 –      Voir, notamment, arrêts Mayeur (C‑175/99, EU:C:2000:505, point 54); Jouini e.a. (C‑458/05, EU:C:2007:512, point 36), ainsi que Klarenberg (C‑466/07, EU:C:2009:85, point 44).


39 –      Arrêt Klarenberg (C‑466/07, EU:C:2009:85, point 45).


40 –      Ibidem (point 46).


41 –      Ibidem (point 47).


42 –      Ibidem (point 48).


43 – C‑466/07, EU:C:2009:85.


44 – Idem.


45 – Idem.


46 –      Point 50.


47 –      Point 49.


48 –      Voir, notamment, arrêts Schneider (C‑380/01, EU:C:2004:73, point 20); Stradasfalti (C‑228/05, EU:C:2006:578, point 44), ainsi que Kirtruna et Vigano (C‑313/07, EU:C:2008:574, point 25).


49 –      Arrêts Schneider (C‑380/01, EU:C:2004:73, point 21); Längst (C‑165/03, EU:C:2005:412, point 31), ainsi que Kirtruna et Vigano (C‑313/07, EU:C:2008:574, point 26).


50 –      Voir, notamment, arrêt Intermodal Transports (C‑495/03, EU:C:2005:552, point 38 et jurisprudence citée).


51 –      Ibidem (point 29 et jurisprudence citée).


52 – 283/81, EU:C:1982:335.


53 –      Voir, notamment, arrêt Intermodal Transports (C‑495/03, EU:C:2005:552, point 30 et jurisprudence citée).


54 –      Arrêt Consiglio nazionale dei geologi et Autorità garante della concorrenza e del mercato (C‑136/12, EU:C:2013:489, point 25 et jurisprudence citée).


55 –      Ibidem (point 26 et jurisprudence citée).


56 –      Ibidem (point 27 et jurisprudence citée).


57 – 283/81, EU:C:1982:335.


58 – Arrêt Intermodal Transports (C‑495/03, EU:C:2005:552, point 33).


59 – C‑224/01, EU:C:2003:513.


60 – 283/81, EU:C:1982:335.


61 –      Arrêt Intermodal Transports (C‑495/03, EU:C:2005:552, point 37 et jurisprudence citée).


62 –      Voir Pertek, J., «Renvoi préjudiciel en interprétation», JurisClasseur Europe Traité, fascicule 361, 2010, § 97.


63 –      Voir, notamment, arrêts Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391, point 43 et jurisprudence citée), ainsi que Fuß (C‑429/09, EU:C:2010:717, point 52 et jurisprudence citée).


64 – C‑173/03, EU:C:2005:602.


65 –      Point 66.


66 – C‑224/01, EU:C:2003:513.


67 –      Voir, notamment, arrêt Ogieriakhi (C‑244/13, EU:C:2014:2068, point 49 et jurisprudence citée).


68 –      Voir, notamment, arrêt Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391, point 32 et jurisprudence citée).


69 –      Ibidem (point 43 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêt Fuß (C‑429/09, EU:C:2010:717, point 52 et jurisprudence citée).


70 –      Voir, notamment, arrêt Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391, point 45 et jurisprudence citée).


71 –      Voir, notamment, arrêt Fuß (C‑429/09, EU:C:2010:717, point 62 et jurisprudence citée).


72 –      Lors de l’audience, le gouvernement portugais a, d’ailleurs, indiqué qu’il n’avait pas connaissance de cas dans lesquels l’article 696, sous f), du nouveau code de procédure civile portugais aurait été mis en œuvre dans une situation d’incompatibilité d’un arrêt du Supremo Tribunal de Justiça avec le droit de l’Union.


73 – C‑224/01, EU:C:2003:513.