Language of document : ECLI:EU:F:2015:70

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (deuxième chambre)

30 juin 2015 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Rémunération – Frais de voyage annuels – Article 7, paragraphe 3, et article 8 de l’annexe VII du statut – Fixation du lieu d’origine et du centre d’intérêts – Demande de révision du lieu d’origine – Notion de centre d’intérêts – Changement de résidence d’un membre de la famille – Délai écoulé entre la modification du centre d’intérêts et la demande de révision du lieu d’origine – Caractère exceptionnel de la révision »

Dans l’affaire F‑120/14,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

Caspar Curdt-Christiansen, fonctionnaire du Parlement européen, demeurant à Perl (Allemagne), représenté par Me A. Salerno, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par Mmes E. Taneva et N. Chemaï, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(deuxième chambre),

composé de MM. K. Bradley (rapporteur), président, H. Kreppel et Mme M. I. Rofes i Pujol, juges,

greffier : Mme X. Lopez Bancalari, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 avril 2015,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 25 octobre 2014, M. Curdt‑Christiansen a introduit le présent recours tendant à l’annulation de la décision du Parlement européen de rejeter sa demande de voir le centre de ses intérêts déplacé de Montréal (Canada) à Singapour et son lieu d’origine fixé, par voie de conséquence, à Larnaca (Chypre).

 Cadre juridique

2        Selon l’article 7, paragraphe 3, de l’annexe VII du statut, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « statut ») :

« Le lieu d’origine du fonctionnaire est déterminé, lors de l’entrée en fonctions de celui-ci, compte tenu du lieu de recrutement ou du centre de ses intérêts. Cette détermination pourra, par la suite, pendant que l’intéressé est en fonctions, et à l’occasion de son départ, être révisée par décision spéciale de l’autorité investie du pouvoir de nomination. Toutefois, tant que l’intéressé est en fonctions, cette décision ne peut intervenir qu’exceptionnellement et après production, par l’intéressé, de pièces justifiant dûment sa demande.

Cette révision ne peut aboutir à déplacer le centre d’intérêt de l’intérieur à l’extérieur des territoires des États membres de l’Union et des pays et territoires mentionnés à l’annexe II du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. »

3        L’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de l’annexe VII du statut dispose :

« Le fonctionnaire a droit annuellement pour lui-même et, s’il a droit à l’allocation de foyer, pour son conjoint et les personnes à charge au sens de l’article 2 de la présente annexe au paiement forfaitaire des frais de voyage du lieu d’affectation au lieu d’origine défini à l’article 7 de la présente annexe. »

4        En application de l’article 8, paragraphe 2, premier alinéa, de l’annexe VII du statut, le paiement forfaitaire prévu par le paragraphe 1 de la même disposition est effectué sur la base d’une indemnité calculée par kilomètre de la distance séparant le lieu d’affectation du fonctionnaire de son lieu de recrutement ou de son lieu d’origine.

5        La décision du secrétaire général du Parlement, du 18 mai 2004, arrêtant les dispositions générales d’exécution relatives à la détermination ou révision du lieu d’origine (ci‑après les « DGE du Parlement ») prévoit à son article 2 :

« 1.      Lors de l’entrée en fonctions du fonctionnaire, le lieu d’origine de celui-ci est présumé être le lieu de recrutement.

À la demande du fonctionnaire présentée dans un délai d’un an suivant son entrée en service et sur la base de pièces justificatives, son lieu d’origine est fixé au centre de ses intérêts, si ce dernier lieu ne coïncide pas avec le lieu de recrutement.

2.      Pour l’application des présentes [DGE] on entend :

–        par lieu de recrutement, l’endroit où le fonctionnaire avait sa résidence habituelle lors de son recrutement. […]

–        par centre d’intérêts, le lieu où le fonctionnaire conserve :

a)      ses attaches principales de nature familiale représentées, sauf cas exceptionnel dûment motivé, par, au choix du fonctionnaire :

1.      – ses père et mère, ou l’un d’eux, ou à défaut ses grands-parents ou l’un d’eux ; ou à défaut ses beaux‑parents ou l’un d’eux ; ou à défaut ses frères et sœurs ;

      ou

      – ses enfants, ou l’un ou plusieurs de ses enfants ;

ou

2.      le domicile des conjoints, à la double condition :

      – qu’il ait été leur résidence commune permanente antérieurement à l’entrée au service [de l’Union européenne] du premier des conjoints à intégrer une institution, en qualité de fonctionnaire, d’agent temporaire, d’agent auxiliaire ou d’agent contractuel, et

– qu’il soit constitué par un bien immobilier sur lequel ils ont, ou l’un d’eux a, des attaches patrimoniales ;

b)      des attaches patrimoniales représentées par des biens immobiliers bâtis ;

c)      ses intérêts essentiels de nature civique aussi bien actifs que passifs.

Au cas où les trois critères visés sous a), b) et c) ne sont pas réunis au même lieu, le centre d’intérêts du fonctionnaire est considéré comme se trouvant au lieu où au moins deux de ces trois critères sont réunis ou, à défaut, où se trouvent les attaches principales de nature familiale représentées, dans ce cas-là, exclusivement par les père, mère ou enfants du fonctionnaire.

[…]

4.      En cas de transfert d’une institution […] à une autre, le fonctionnaire conserve son lieu d’origine tel qu’il a été fixé par l’institution précédente. »

6        L’article 3 des DGE du Parlement est rédigé ainsi :

« À la demande du fonctionnaire et sur la base de pièces justificatives, il peut être procédé exceptionnellement à une révision du lieu d’origine en cours de carrière.

Cette révision ne peut être accordée que si tous les éléments pris en compte pour la fixation du centre d’intérêts ont disparu et qu’un autre centre d’intérêts peut être déterminé conformément aux conditions visées à l’article 2, paragraphe 2, deuxième tiret.

[…] »

7        Selon l’article 4 des DGE du Parlement :

« Au cas où le centre d’intérêts du fonctionnaire se déplace en dehors des territoires des États membres [de l’Union européenne] […], son lieu d’origine peut être révisé […] par décision spéciale de l’[a]utorité investie du pouvoir de nomination, afin de fixer son lieu d’origine à un point frontière des territoires [de l’Union européenne] sur le trajet direct vers le centre d’intérêts. »

8        Le contenu des articles 2, 3 et 4 des DGE du Parlement est identique à celui des articles 2, 3 et 4 de la décision de la Commission européenne, du 15 avril 2004, portant adoption des dispositions générales d’exécution relatives à […] [la] fixation du lieu d’origine […] (ci‑après les « DGE de la Commission »), parue aux Informations administratives no 57‑2004 du 8 juin 2004.

 Faits à l’origine du litige

9        Le requérant, de nationalité danoise, a été recruté par la Commission le 1er décembre 2003 en tant qu’agent temporaire et a été affecté à l’Office des publications officielles des Communautés européennes à Luxembourg (Luxembourg). Il a été nommé fonctionnaire stagiaire de cette institution le 1er août 2004 et titularisé le 1er mai 2005.

10      Lors de l’entrée en fonctions du requérant, la Commission a fixé son lieu d’origine à Luxembourg, compte tenu de son lieu de recrutement. Toutefois, le requérant a demandé à la Commission de réviser son lieu d’origine et de le fixer au centre de ses intérêts, en l’occurrence à Montréal, où résidait son père, sa mère étant décédée, ce que la Commission a fait par une décision transmise au requérant par note du 26 janvier 2004.

11      Le 1er mars 2006, le requérant a demandé à la Commission de réviser une nouvelle fois son lieu d’origine, en le fixant à Singapour, lieu où son père avait déménagé et où, en conséquence, se trouvait désormais son centre d’intérêts.

12      Par note du 6 juillet 2006, la Commission a rejeté la demande du requérant du 1er mars 2006 et l’a informé, en application de l’article 7, paragraphe 3, de l’annexe VII du statut et de l’article 4 des DGE de la Commission, que le lieu d’origine était désormais fixé, par révision et à compter du 1er avril 2006, à Nicosie (Chypre), « point frontière des territoires d[e l’Union européenne] sur le trajet direct vers [son] centre d’intérêts, Singapour ». Cette note a été suivie par une décision du 31 juillet 2006 fixant le lieu d’origine du requérant à Nicosie avec effet au 1er avril 2006.

13      Le 3 octobre 2006, le requérant a formé une réclamation sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision du 31 juillet 2006.

14      Par décision du 1er février 2007, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») de la Commission a rejeté la réclamation du 3 octobre 2006 en ce qu’elle demandait la révision de la décision du 31 juillet 2006 fixant à Nicosie le lieu d’origine du requérant et la fixation dudit lieu d’origine à Singapour. En revanche, elle a retiré la décision du 31 juillet 2006 de fixer à Nicosie le lieu d’origine du requérant, en estimant que, en application de l’article 7, paragraphe 3, de l’annexe VII du statut, une révision du lieu d’origine d’un fonctionnaire ne saurait intervenir sans une demande explicite en ce sens de sa part et que, en l’espèce, le requérant n’avait jamais demandé la fixation de son lieu d’origine à Nicosie.

15      Le 16 février 2008, le requérant a été transféré au Parlement à Luxembourg.

16      Par décision du 11 mars 2008 prenant effet à la date du transfert susmentionné, le Parlement a fixé le nouveau lieu d’origine du requérant à Nicosie, comme « [étant] le lieu d’origine tel que fixé par [son] institution précédente », en se référant à l’article 7, paragraphe 3, de l’annexe VII du statut et à l’article 2, paragraphe 4, des DGE du Parlement. Toutefois, il ressort du dossier que le requérant a demandé au Parlement le 12 mars suivant de corriger cette décision, au motif que le lieu d’origine fixé par la Commission était Montréal. Le Parlement a procédé à cette rectification par décision du 14 mars 2008.

17      Par courriels des 2 et 9 décembre 2013, le requérant a demandé que son centre d’intérêts soit déplacé de Montréal à Singapour et que, par voie de conséquence, son lieu d’origine soit fixé à Larnaca, point frontière des territoires de l’Union européenne sur le trajet direct vers son centre d’intérêts. La demande était justifiée, selon le requérant, par le fait que depuis 2006 son père vivait à Singapour.

18      Par lettre du 17 décembre 2013, le chef de l’unité « Droits individuels et rémunérations » de la direction « Gestion de la vie administrative » de la direction générale du personnel du Parlement a informé le requérant de sa décision de rejeter la demande de révision du lieu d’origine mentionnée au point précédent. En effet, il estimait que, selon l’article 3 des DGE du Parlement, une révision du lieu d’origine aurait pu être possible seulement si les critères pris en compte pour la fixation du lieu d’origine avaient été modifiés depuis la dernière décision du Parlement à cet égard et que, selon les documents fournis par le requérant, ces critères n’avaient pas changé depuis sa prise de fonctions au Parlement le 16 février 2008 (ci‑après la « décision litigieuse »).

19      Le 8 mars 2014, le requérant a introduit, en application de l’article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation contre la décision litigieuse.

20      La réclamation du 8 mars 2014 a été rejetée par décision de l’AIPN du 16 juillet 2014 (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

 Conclusions des parties

21      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision litigieuse, ainsi que, pour autant que de besoin, la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner le Parlement à l’ensemble des dépens de l’instance.

22      Le Parlement demande à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant à supporter l’ensemble des dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation de la décision de rejet de la réclamation

23      Selon une jurisprudence constante, des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont, dans le cas où cette décision est dépourvue de contenu autonome, pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée (arrêt du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8, point 8).

24      En l’espèce, la décision de rejet de la réclamation confirme la décision litigieuse, en précisant les motifs venant à l’appui de celle-ci. En pareille hypothèse, c’est bien la légalité de l’acte initial faisant grief, en l’espèce la décision litigieuse, qui doit être examinée en prenant en considération la motivation figurant dans la décision rejetant la réclamation, cette motivation étant censée coïncider avec cet acte (arrêt du 18 avril 2012, Buxton/Parlement, F‑50/11, EU:F:2012:51, point 21, et la jurisprudence citée). Par conséquent, les conclusions en annulation dirigées contre la décision de rejet de la réclamation sont dépourvues de contenu autonome et, par suite, doivent être regardées comme étant formellement dirigées contre la décision litigieuse, telle que précisée par la décision de rejet de la réclamation (arrêt du 6 mars 2013, Scheefer/Parlement, F‑41/12, EU:F:2013:31, point 20).

 Sur les conclusions en annulation de la décision litigieuse

 Arguments des parties

25      Par son moyen unique au soutien des conclusions en annulation de la décision litigieuse, le requérant reproche à l’administration une erreur dans l’application de l’article 7 de l’annexe VII du statut et des DGE du Parlement.

26      En particulier, le requérant considère que la décision litigieuse est motivée, en substance, par la circonstance que son père avait changé sa résidence de Montréal à Singapour en 2006 et qu’il n’y aurait donc eu aucun déplacement du centre de ses intérêts après son transfert de la Commission au Parlement.

27      Cette motivation se fonde, selon le requérant, sur la prémisse erronée de ce qu’il serait forclos, en 2013, à demander la révision de son lieu d’origine, puisqu’il aurait déjà pu le faire en 2006. Au contraire, il estime que tout fonctionnaire serait fondé à demander cette révision « le jour où cela semble [le] mieux correspondre à ses intérêts ». En l’absence d’une demande de révision, le lieu d’origine devrait rester celui fixé au moment du recrutement même si, suite au changement des circonstances ayant justifié la décision initiale, ce lieu serait devenu « fictif ».

28      À cet égard, le requérant fait valoir que les DGE du Parlement n’exigeraient pas que le changement réel du centre d’intérêts du fonctionnaire et la demande de révision du lieu d’origine soient concomitants et n’introduiraient, ni explicitement ni implicitement, aucun délai de forclusion pour présenter une telle demande.

29      Le requérant conclut que, saisie d’une demande de révision du lieu d’origine assortie des pièces justificatives requises, l’AIPN n’aurait d’autre choix que d’appliquer les règles en vigueur au jour du dépôt de la demande, de sorte que, en ajoutant une condition supplémentaire tirée du délai écoulé entre la présentation de la demande de révision du lieu d’origine et la date à laquelle les conditions du changement du lieu d’origine se seraient réalisées, l’AIPN aurait adopté une décision illégale.

30      Le Parlement demande au Tribunal de rejeter le moyen du requérant en soutenant, en substance, qu’entre la date de son transfert, en 2008, et celle de la décision litigieuse, en 2013, aucun changement, et moins encore un changement exceptionnel, de sa situation ne s’est produit.

31      En outre, selon le Parlement, le respect d’un délai raisonnable pour introduire une demande auprès de l’administration s’impose dans tous les cas où, dans le silence des textes, les principes de sécurité juridique ou de protection de la confiance légitime font obstacle à ce que les institutions de l’Union et les personnes physiques ou morales agissent sans aucune limite de temps, risquant ainsi, notamment, de mettre en péril la stabilité de situations juridiques acquises.

 Appréciation du Tribunal

32      Le Tribunal rappelle d’emblée que, selon la jurisprudence, pour déterminer le lieu d’origine au sens de l’article 7 de l’annexe VII du statut, l’administration doit vérifier, au cas par cas, que l’intéressé maintient un lien permanent avec un certain lieu (arrêt du 6 juin 1990, Gouvras-Laycock/Commission, T‑44/89, EU:T:1990:33, point 26). En outre, la notion de « centre d’intérêts » figurant dans les DGE du Parlement a une acception large et vise le lieu où le fonctionnaire conserve ses attaches familiales principales, ses attaches patrimoniales ou ses intérêts civiques, sans nécessairement y avoir sa résidence (voir, par analogie, arrêt du 12 décembre 1996, Mozzaglia/Commission, T‑137/95, EU:T:1996:201, point 64).

33      Pour ce qui est du remboursement des frais de voyage prévu par l’article 8 de l’annexe VII du statut, selon la jurisprudence, il a pour objectif de permettre au fonctionnaire et aux personnes à sa charge de se rendre, au moins une fois par an, à son lieu d’origine, afin d’y conserver des liens familiaux, sociaux et culturels (arrêts du 26 septembre 1990, Beltrante e.a./Conseil, T‑48/89, EU:T:1990:50, point 27, et du 2 juillet 2009, Giannini/Commission, F‑49/08, EU:F:2009:76, point 161).

34      Dans la présente affaire, par son moyen unique, le requérant reproche en substance au Parlement d’avoir commis une erreur dans l’application de l’article 7 de l’annexe VII du statut et des DGE du Parlement, en ce sens que l’administration aurait appliqué un délai de forclusion à sa demande de révision du lieu d’origine, alors qu’elle aurait dû prendre en compte exclusivement la demande de révision et les documents produits, sans aucune autre considération. Selon le requérant, les dispositions susmentionnées impliqueraient que les fonctionnaires intéressés disposent d’une « marge d’appréciation totalement discrétionnaire » pour décider de la date à laquelle introduire une telle demande et l’administration ne saurait tenir compte du délai écoulé entre le changement des conditions sous-jacentes à la fixation du lieu d’origine et la date d’introduction de la demande de révision du lieu d’origine.

35      Sans qu’il y ait besoin de statuer sur la recevabilité d’un tel moyen au regard de la règle de concordance entre la réclamation et la requête, le Tribunal estime que la thèse du requérant ne saurait prospérer.

36      En effet, il est vrai que ni l’article 7 de l’annexe VII du statut, ni l’article 3 des DGE du Parlement ne prévoient de délai de forclusion pour l’introduction des demandes de révision du lieu d’origine, à la différence de l’article 2, paragraphe 1, des mêmes DGE, selon lequel le fonctionnaire qui considère que son lieu d’origine, présumé être le lieu du recrutement, ne coïncide pas avec ce lieu doit demander que son lieu d’origine soit fixé au centre de ses intérêts dans le délai d’un an suivant l’entrée en service.

37      Toutefois, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le respect d’un délai raisonnable est requis dans tous les cas où, dans le silence des textes, les principes de sécurité juridique ou de protection de la confiance légitime font obstacle à ce que les institutions de l’Union et les personnes physiques ou morales agissent sans aucune limite de temps, risquant ainsi, notamment, de mettre en péril la stabilité de situations juridiques acquises (arrêts du 5 octobre 2004, Eagle e.a./Commission, T‑144/02, EU:T:2004:290, point 57, et du 8 février 2011, Skareby/Commission, F‑95/09, EU:F:2011:9, points 42 à 46).

38      En particulier, dans les actions susceptibles d’aboutir à une charge pécuniaire pour les institutions, le respect par le fonctionnaire concerné d’un délai raisonnable pour présenter une demande au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut, telle qu’une demande de révision du lieu d’origine, s’inspire aussi d’un souci de protection des finances publiques. Ce souci implique un devoir de l’intéressé de faire preuve de diligence en présentant sa demande dans un délai raisonnable à compter du moment où il prend connaissance d’un acte ou d’un fait nouveau substantiel, susceptible de modifier sa situation juridique (voir, en ce sens, s’agissant d’une action en indemnisation, arrêt du 12 juillet 2007, Eagle e.a./Commission, T‑144/02, EU:T:2007:222, points 57 et 59, et la jurisprudence citée).

39      En l’espèce, il ressort du dossier, premièrement, que le lieu d’origine du requérant a été fixé à Montréal, lieu de résidence de son père ; deuxièmement, qu’après le déménagement de son père de Montréal à Singapour en 2006 le requérant a refusé à deux reprises que son lieu d’origine soit révisé et fixé à Chypre, la première fois en contestant la décision de la Commission du 6 juillet 2006 qui fixait son lieu d’origine à Nicosie et la seconde fois le 12 mars 2008, lorsqu’il a demandé au Parlement de corriger la décision du 11 mars 2008 qui fixait son lieu d’origine à Nicosie ; troisièmement, que le requérant a attendu début décembre 2013 pour demander à l’administration de prendre en considération le changement de cette circonstance factuelle.

40      Il apparaît donc que la seule circonstance justifiant une éventuelle décision exceptionnelle de révision du lieu d’origine du requérant est intervenue en 2006, à savoir sept ans avant que le requérant n’introduise sa demande de révision du lieu d’origine, par courriels des 2 et 9 décembre 2013. Or, un tel délai est manifestement dépourvu de caractère raisonnable.

41      Par ailleurs, le requérant n’a avancé aucun argument ou circonstance susceptible de pouvoir justifier le délai écoulé entre le changement de résidence de son père et, par conséquent, le changement du centre de ses intérêts et l’introduction de sa demande de révision du lieu d’origine, se limitant à affirmer qu’il appartient au fonctionnaire d’introduire une telle demande « le jour où cela semble [le] mieux correspondre à ses intérêts ».

42      Interrogé sur cette question lors de l’audience, le requérant a fait état de ce que, par l’effet de la modification apportée par le règlement no 1023/2013 à l’article 8 de l’annexe VII du statut, le remboursement de ses frais de voyage annuels ne serait plus effectué en calculant la distance entre son lieu d’affectation, à savoir Luxembourg, et son lieu d’origine, à savoir Montréal, mais entre son lieu d’affectation et la capitale de l’État membre dont il a la nationalité, à savoir Copenhague (Danemark). Si son lieu d’origine était fixé à Larnaca, il ferait un gain dans le remboursement de ses frais de voyage annuels, en rapport avec la différence de distance entre Luxembourg et Copenhague et Luxembourg et Larnaca.

43      Or, bien qu’il ne puisse être reproché à un fonctionnaire de vouloir bénéficier de ses droits statutaires, la motivation avancée par le requérant pour sa demande de révision du lieu d’origine prend en considération exclusivement son intérêt et méconnaît la nécessité de respecter le principe de sécurité juridique tel que rappelé dans la jurisprudence citée au point 37 du présent arrêt, de sorte que l’argumentation en cause ne saurait être retenue.

44      En outre, et en tout état de cause, comme l’a souligné à juste titre le Parlement, en vertu du caractère exceptionnel de toute décision de modification du centre d’intérêts du fonctionnaire qui résulte de l’article 7, paragraphe 3, premier alinéa, de l’annexe VII du statut, même en présence d’une demande qui respecterait les conditions formelles pour que la modification du lieu d’origine soit accordée, l’AIPN peut refuser de faire suite à une telle demande en se fondant sur le caractère exceptionnel de la décision qui accorde la modification. Or, il est constant entre les parties que, du 16 février 2008, date de son transfert au Parlement, au 31 décembre 2013, le requérant a bénéficié du remboursement des frais de voyage annuels calculés sur la base de Montréal comme étant son lieu d’origine en vertu de la règle fixée à l’article 2, paragraphe 4, des DGE du Parlement, selon laquelle le fonctionnaire conserve son lieu d’origine en cas de transfert d’une institution à une autre institution, nonobstant le fait que le père du requérant avait déjà déménagé de Montréal à Singapour en 2006. Par conséquent, le remboursement pendant toute cette période des frais de voyage annuels calculés sur la base de Montréal comme lieu d’origine ne correspondait plus avec l’objectif de l’article 8 de l’annexe VII du statut tel que rappelé au point 33 du présent arrêt. Dans ces circonstances, l’AIPN était fondée à considérer que la demande de révision du lieu d’origine du requérant ne revêtait pas un caractère exceptionnel comme l’exigeait l’article 7, paragraphe 3, premier alinéa, de l’annexe VII du statut.

45      Il s’ensuit que le moyen unique du requérant doit être rejeté comme dépourvu de tout fondement en droit et que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

46      Aux termes de l’article 101 du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe supporte ses propres dépens et est condamnée aux dépens exposés par l’autre partie, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 102, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte ses propres dépens, mais n’est condamnée que partiellement aux dépens exposés par l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

47      Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que le requérant a succombé en son recours. En outre, le Parlement a, dans ses conclusions, expressément demandé que le requérant soit condamné aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure, le requérant doit supporter ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par le Parlement.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Curdt-Christiansen supporte ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par le Parlement européen.

Bradley

Kreppel

Rofes i Pujol

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 juin 2015.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       K. Bradley


* Langue de procédure : le français.