Language of document : ECLI:EU:C:2015:451

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

9 juillet 2015 (*)

«Pourvoi – Concurrence – Ententes – Article 101 TFUE – Article 53 de l’accord EEE – Marché mondial des écrans d’affichage à cristaux liquides (LCD) – Fixation des prix – Amendes – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes (2006) – Point 13 – Détermination de la valeur des ventes en relation avec l’infraction – Ventes internes du produit concerné en dehors de l’EEE – Prise en compte des ventes des produits finis intégrant le produit concerné à des tiers dans l’EEE»

Dans l’affaire C‑231/14 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 8 mai 2014,

InnoLux Corp., anciennement Chimei InnoLux Corp., établie à Miaoli County (Taïwan), représentée par Me J.‑F. Bellis, avocat, et M. R. Burton, solicitor,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. A. Biolan, F. Ronkes Agerbeek et P. Van Nuffel, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh (rapporteur), Mme C. Toader, MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 février 2015,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 avril 2015,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, InnoLux Corp., anciennement Chimei InnoLux Corp. (ci‑après «InnoLux»), demande l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne InnoLux/Commission (T‑91/11, EU:T:2014:92, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui‑ci, d’une part, a réformé la décision C(2010) 8761 final de la Commission, du 8 décembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (Affaire COMP/39.309 – LCD), dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 7 octobre 2011 (JO C 295, p. 8, ci‑après la «décision litigieuse»), en fixant à 288 000 000 euros le montant de l’amende qui lui a été infligée à l’article 2 de cette décision et, d’autre part, a rejeté, pour le surplus, son recours tendant à l’annulation partielle de ladite décision, en tant qu’elle la concerne, ainsi qu’à la réduction du montant de cette amende.

 Le cadre juridique

2        Le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit à son article 23, paragraphes 2 et 3:

«2.      La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a)      elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [101 TFUE] ou [102 TFUE] [...]

[...]

Pour chaque entreprise [...] participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.

[...]

3.       Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle‑ci.»

3        Le point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci‑après les «lignes directrices pour le calcul des amendes») dispose, sous l’intitulé «Détermination de la valeur des ventes»:

«En vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte [...] avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’[Espace économique européen (EEE)] [...]»

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

4        Les antécédents du litige et la décision litigieuse, tels qu’ils ressortent des points 1 à 27 de l’arrêt attaqué, peuvent se résumer comme suit.

5        Chi Mei Optoelectronics Corp. (ci‑après «CMO») était la société de droit taïwanais qui contrôlait un groupe de sociétés établies dans le monde entier et actives dans la production d’écrans d’affichage à cristaux liquides à matrice active («Liquid Crystal Displays», ci‑après les «LCD»).

6        Le 20 novembre 2009, CMO a passé un accord de fusion avec les sociétés InnoLux Display Corp. et TPO Displays Corp. En vertu de cet accord, à compter du 18 mars 2010, TPO Displays Corp. et CMO ont cessé d’exister. L’entité juridique survivante a changé de dénomination sociale à deux reprises, passant d’abord d’InnoLux Display Corp. à Chimei InnoLux Corp. et, enfin, à InnoLux, partie requérante dans le présent pourvoi.

7        Au printemps de l’année 2006, Samsung Electronics Co. Ltd (ci‑après «Samsung»), société de droit coréen, a présenté à la Commission une demande visant à obtenir une immunité d’amende au titre de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3). À cette occasion, Samsung a dénoncé l’existence d’une entente entre plusieurs entreprises, dont la requérante, concernant certains types de LCD.

8        Le 23 novembre 2006, la Commission a accordé à Samsung l’immunité conditionnelle, conformément au point 15 de ladite communication, alors qu’elle l’a refusée à un autre participant à l’entente, à savoir LG Display Co. Ltd (ci‑après «LGD»), une autre société de droit coréen.

9        Le 27 mai 2009, la Commission a engagé la procédure administrative et a adopté une communication des griefs qui était adressée à seize sociétés, dont CMO et deux filiales européennes détenues à 100 % par cette dernière, à savoir Chi Mei Optoelectronics BV et Chi Mei Optoelectronics UK Ltd. Cette communication des griefs exposait, notamment, les raisons pour lesquelles, en application de la jurisprudence du Tribunal, ces deux filiales de CMO devaient être tenues pour solidairement responsables des infractions commises par cette dernière.

10      Les destinataires de la communication des griefs ont fait connaître à la Commission, par écrit, leur point de vue sur les objections soulevées à leur égard dans le délai prescrit. Par ailleurs, plusieurs de ces destinataires, dont la requérante, ont exercé leur droit d’être entendus oralement lors de l’audition qui s’est tenue les 22 et 23 septembre 2009.

11      Par demande d’informations du 4 mars 2010 et par lettre du 6 avril 2010, les parties ont été, notamment, invitées à soumettre les données relatives à la valeur des ventes qui seraient prises en considération pour le calcul des amendes et à présenter leurs observations sur cette question. CMO a répondu à ladite lettre le 23 avril 2010.

12      Le 8 décembre 2010, la Commission a adopté la décision litigieuse. Celle‑ci a été adressée à six des seize sociétés destinataires de la communication des griefs, dont la requérante, LGD et AU Optronics Corp. (ci‑après «AUO»). En revanche, les filiales de la requérante ne sont plus visées.

13      Dans la décision litigieuse, la Commission a constaté l’existence d’une entente entre six grands fabricants internationaux de LCD, dont la requérante, LGD et AUO, en ce qui concerne les deux catégories suivantes de ces produits, de taille égale ou supérieure à douze pouces: les LCD pour les technologies de l’information, tels que ceux destinés à équiper les ordinateurs portables compacts ainsi que les moniteurs d’ordinateurs, et les LCD pour les téléviseurs (ci‑après, pris ensemble, les «LCD cartellisés»).

14      Selon la décision litigieuse, cette entente a pris la forme d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci‑après l’«accord EEE»), laquelle s’est déroulée entre le 5 octobre 2001 et le 1er février 2006, à tout le moins. Pendant cette période, les participants à l’entente ont tenu de nombreuses réunions multilatérales, qu’ils appelaient «réunions Cristal». Ces réunions avaient un objet clairement anticoncurrentiel, dès lors qu’elles étaient l’occasion pour les participants, notamment, de fixer des prix minimaux pour les LCD cartellisés, de discuter de leurs projections de prix pour en éviter la diminution et de coordonner les augmentations de prix ainsi que les niveaux de production. Au cours de la période infractionnelle, les participants à l’entente se sont également rencontrés de manière bilatérale et ont fréquemment échangé des informations sur les sujets traités lors des «réunions Cristal». Ils ont, par ailleurs, pris des mesures afin de vérifier si les décisions adoptées lors de ces réunions étaient appliquées.

15      Pour la fixation des amendes infligées par la décision litigieuse, la Commission a eu recours aux lignes directrices pour le calcul des amendes. En application de celles‑ci, cette institution a défini la valeur des ventes de LCD cartellisés directement ou indirectement concernées par l’infraction. À cette fin, elle a établi les trois catégories suivantes de ventes effectuées par les participants à l’entente:

–        la catégorie des «ventes EEE directes», qui comprend les ventes de LCD cartellisés à une autre entreprise au sein de l’EEE;

–        la catégorie des «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», qui comprend les ventes de LCD cartellisés intégrés, au sein du groupe dont relève le producteur, dans des produits finis qui sont vendus à une autre entreprise dans l’EEE, et

–        la catégorie des «ventes indirectes», qui comprend les ventes de LCD cartellisés à une autre entreprise située en dehors de l’EEE, laquelle incorpore par la suite ces LCD dans des produits finis qu’elle vend dans l’EEE.

16      Cependant, la Commission a estimé qu’elle pouvait se limiter à prendre en compte les deux premières catégories mentionnées au point précédent, l’inclusion de la troisième catégorie n’étant pas nécessaire pour que les amendes infligées puissent atteindre un niveau dissuasif suffisant.

17      S’agissant de la requérante, la Commission a rejeté les objections de celle‑ci relatives au fait, notamment, que la valeur des ventes pertinentes aurait dû être calculée sans tenir compte de ses «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés».

18      Par ailleurs, en application de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, la Commission a confirmé l’immunité totale accordée à Samsung. En revanche, elle a considéré que la coopération fournie par la requérante ne lui donnait droit à aucune réduction de l’amende.

19      Tenant compte, notamment, de ces considérations, la Commission, à l’article 2 de la décision litigieuse, a condamné la requérante au paiement d’une amende de 300 000 000 euros.

 L’arrêt attaqué

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 février 2011, la requérante a introduit devant celui‑ci un recours tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse et à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée en vertu de cette décision.

21      À l’appui de sa demande, la requérante soulevait trois moyens, dont, notamment, le premier était tiré du fait que la Commission aurait appliqué une notion juridiquement erronée, à savoir celle de «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», lorsqu’elle a déterminé la valeur des ventes pertinentes pour le calcul de l’amende, et le troisième était tiré du fait que la valeur des ventes pertinentes retenue par la Commission à son égard aurait inclus à tort d’autres ventes que celles relatives aux LCD cartellisés.

22      Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli ce dernier moyen et, en conséquence, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, a réduit le montant de l’amende de la requérante à 288 000 000 euros. Pour le surplus, le Tribunal a rejeté le recours.

 Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

23      Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour:

–        d’annuler partiellement l’arrêt attaqué, dans la mesure où il a rejeté son recours en annulation partielle de la décision litigieuse;

–        d’annuler partiellement la décision litigieuse et, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée, et

–        de condamner la Commission aux dépens supportés tant devant la Cour que devant le Tribunal.

24      La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de la requérante aux dépens.

 Sur la demande de réouverture de la procédure orale

25      À la suite du prononcé des conclusions de M. l’avocat général, la Commission a, par acte déposé au greffe de la Cour le 6 mai 2015, demandé que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure. À l’appui de cette demande, la Commission fait valoir, en substance, que les conclusions présentées par M. l’avocat général déforment certains de ses arguments et se fondent sur des passages du pourvoi qui sont trompeurs et entachés d’erreurs de fait.

26      Il convient de rappeler que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure de la Cour ne prévoient pas la possibilité, pour les parties, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (voir arrêt Vnuk, C‑162/13, EU:C:2014:2146, point 30 et jurisprudence citée).

27      En vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice, requièrent son intervention. La Cour n’est liée ni par les conclusions de l’avocat général ni par la motivation au terme de laquelle il parvient à celles‑ci (voir arrêt Commission/Parker Hannifin Manufacturing et Parker‑Hannifin, C‑434/13 P, EU:C:2014:2456, point 29 et jurisprudence citée).

28      Par conséquent, le désaccord d’une partie avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions qu’il examine dans celles‑ci, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la procédure orale (arrêt E.ON Energie/Commission, C‑89/11 P, EU:C:2012:738, point 62).

29      Cela étant, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice (arrêt Nordzucker, C‑148/14, EU:C:2015:287, point 24).

30      Tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, à l’instar de la requérante, la Commission a exposé, tant au cours de la phase écrite de la procédure que lors de la phase orale de celle‑ci, l’ensemble de ses arguments de fait et de droit à l’appui de ses prétentions. Ainsi, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer et que ces éléments ont fait l’objet des débats menés devant elle.

31      Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur le pourvoi

32      À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque deux moyens. Le premier moyen est tiré d’erreurs de droit, en ce que, pour le calcul du montant de l’amende, le Tribunal, en violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, a pris en compte, par le recours à la notion de «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», les ventes internes des produits concernés par l’infraction réalisées par la requérante en dehors de l’EEE, en raison du seul fait de l’incorporation de ces produits dans les produits finis destinés à la vente à des tiers indépendants dans l’EEE. Le second moyen est tiré d’erreurs de droit, en ce que le Tribunal, en appliquant ladite notion à chacun des participants à l’entente verticalement intégrés, a enfreint le principe de non‑discrimination.

 Sur le premier moyen, relatif à la prise en compte, pour le calcul du montant de l’amende, des ventes de produits finis incorporant les produits concernés par l’infraction

 Argumentation des parties

33      En premier lieu, la requérante reproche au Tribunal d’avoir, en violation du point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes, inclus dans la valeur des ventes prises en compte pour le calcul de l’amende ses ventes dans l’EEE de produits finis, en tant que «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», alors que ces ventes ne sont pas en relation avec l’infraction, au sens de cette disposition.

34      En effet, selon la requérante, l’infraction constatée dans la décision litigieuse ne couvrant que les écrans LCD et non les produits finis dans lesquels ceux‑ci sont incorporés, les seules ventes au sein de l’EEE en relation avec l’infraction au sens dudit point 13 sont celles de LCD vendus à des tiers ou fournis à l’intérieur du groupe à des clients liés. Même si un LCD est un composant du produit fini, l’objet de la vente serait non pas un LCD destiné à être incorporé dans un produit fini, mais le produit fini lui‑même. Or, les ventes de produits finis ne seraient pas réalisées sur le marché concerné par l’infraction. Par conséquent, des ventes de produits finis au sein de l’EEE ne sauraient restreindre le jeu de la concurrence sur le marché des LCD dans l’EEE. Ces ventes ne relèveraient donc pas de la constatation d’infraction opérée dans la décision litigieuse.

35      La requérante considère également que le Tribunal a établi, à tort, une distinction entre les livraisons internes effectuées par des participants à l’entente intégrés verticalement, selon que ceux‑ci forment une entreprise unique avec l’acheteur auquel ils sont liés, correspondant à la catégorie des «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», ou qu’ils ne forment pas une telle entreprise unique avec un tel acheteur, correspondant à la catégorie des «ventes EEE directes». En effet, rien dans la constatation d’infraction ne justifierait une telle distinction, ladite constatation englobant les ventes intragroupe.

36      À cet égard, la requérante fait valoir que c’est à tort que le Tribunal a jugé, aux points 48 et 49 de l’arrêt attaqué, que le choix de tenir compte des «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés» se justifie d’autant plus qu’il ressort des éléments de preuve que les ventes de LCD cartellisés internes aux entreprises participant à l’entente se faisaient à des prix influencés par cette entente et que celles‑ci savaient que les prix des LCD cartellisés affectaient ceux des produits finis les intégrant. Ces constatations viseraient, en effet, l’ensemble des participants à l’entente. La distinction entre les ventes internes «réelles», pouvant être prises en compte en tant que telles pour le calcul de l’amende, et celles qui ne sont pas «réelles», pouvant être ignorées et remplacées par les ventes «réelles» à des tiers d’écrans LCD intégrés à un produit fini, serait, par conséquent, totalement artificielle.

37      En deuxième lieu, la requérante estime que la Commission a méconnu la jurisprudence du Tribunal issue de l’arrêt Europa Carton/Commission (T‑304/94, EU:T:1998:89), confirmée par la Cour dans l’arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:2363), en ce que, au lieu de traiter les ventes internes de la même manière que les ventes à des tiers, cette institution a appliqué à certains destinataires de la décision litigieuse un critère différent pour déterminer le lieu de leurs ventes internes.

38      Selon la requérante, dans le cas des ventes de LCD à des tiers, le critère utilisé par la Commission est le lieu de la livraison des LCD destinés à être incorporés dans les produits finis, quel que soit le lieu de vente des produits finis. En revanche, en ce qui concerne les livraisons internes de LCD effectuées par InnoLux, ce critère se référerait au lieu de livraison du produit fini dans lequel le LCD est incorporé, quel que soit le lieu de l’incorporation des LCD dans les produits finis. La Commission aurait ainsi réservé un traitement différent, moins favorable, aux livraisons internes de LCD effectuées par certains destinataires verticalement intégrés. En réalité, dès lors que l’entente concernait aussi bien des ventes internes que des ventes à des tiers, l’application correcte de l’arrêt Europa Carton/Commission (T‑304/94, EU:T:1998:89) aurait consisté à prendre en compte toutes les livraisons de LCD effectuées par n’importe quel participant à l’entente au sein de l’EEE, qu’elles aient été réalisées à l’intérieur du groupe ou en faveur de tiers.

39      En troisième lieu, la requérante fait valoir qu’il découle de l’arrêt Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, EU:C:1993:120), que la compétence de l’Union européenne s’étend non pas à toute vente réalisée au sein de l’EEE, mais uniquement aux ventes du produit concerné réalisées dans l’EEE et relevant de l’action concertée ayant fait l’objet de la constatation d’infraction. Or, en l’occurrence, l’infraction concernerait uniquement les LCD et non les produits finis en aval intégrant ceux‑ci. Dès lors, ce serait à tort que le Tribunal a jugé, au point 70 de l’arrêt attaqué, que l’arrêt Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, EU:C:1993:120) permettait la prise en compte des livraisons internes de LCD effectuées par la requérante en dehors de l’EEE en raison de leur intégration par des sociétés relevant de la même entreprise dans des produits finis et de leur vente par cette entreprise au sein de l’EEE.

40      La requérante estime également que le Tribunal, lorsqu’il indique, au point 46 de l’arrêt attaqué, que les ventes de produits finis intégrant des LCD «nui[sent] au jeu de la concurrence dans l’EEE» méconnaît le critère énoncé dans l’arrêt Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, EU:C:1993:120). En effet, ces ventes de produits finis ne seraient pas réalisées sur le marché de l’EEE concerné par l’infraction. Par définition, lesdites ventes ne pourraient pas, dès lors, restreindre le jeu de la concurrence sur ce marché. Il ne suffirait pas d’identifier les «ventes présentant un lien avec l’EEE» pour établir la compétence de l’Union en vertu du critère énoncé dans l’arrêt Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, EU:C:1993:120). Il devrait, en revanche, être démontré l’existence de ventes, au sein de l’EEE, du produit concerné par l’infraction, à savoir les LCD.

41      En quatrième lieu, la requérante estime qu’il est contraire au point 33 de l’arrêt Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission (6/73 et 7/73, EU:C:1974:18) de considérer que les livraisons internes de LCD à des installations de production situées dans l’EEE, comme dans le cas de Samsung, ne sont pas des ventes au sein de l’EEE lorsque les produits finis intégrant les LCD sont vendus en dehors de l’EEE. Le point de vue selon lequel une vente interne de LCD au sein de l’EEE restreindrait le jeu de la concurrence à l’intérieur de ce territoire uniquement lorsque le produit fini dans lequel le LCD est incorporé est vendu dans l’EEE serait erroné.

42      En cinquième lieu, la requérante soutient que le critère utilisé par la Commission et le Tribunal permettant d’identifier le lieu de ses livraisons internes entraîne un risque de sanctions concurrentes et de conflit de compétence avec d’autres autorités de la concurrence, en ce qu’il est susceptible d’aboutir à ce qu’une même transaction donne lieu à une constatation d’infraction et à une sanction de la part de multiples autorités de la concurrence dans le monde. Ainsi, dans la présente affaire, si la Commission inflige une amende relative à une transaction concernant un composant livré en dehors de l’EEE au motif qu’un produit fini incorporant ce composant a été vendu dans l’EEE, la même transaction pourrait être sanctionnée à la fois en dehors et au sein de l’EEE.

43      La Commission estime que le raisonnement que le Tribunal a adopté pour rejeter l’argumentation de la requérante n’est pas erroné en droit. En conséquence, le premier moyen serait dépourvu de fondement. Par ailleurs, le dernier argument présenté dans le cadre de celui‑ci serait nouveau et, partant, irrecevable, dès lors qu’il est soulevé pour la première fois dans le cadre du présent pourvoi.

 Appréciation de la Cour

44      Par son premier moyen, la requérante fait valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en incluant dans la valeur des ventes prises en compte pour le calcul de l’amende qui lui a été infligée, en tant que «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», ses ventes dans l’EEE de produits finis réalisées, après que les LCD cartellisés y ont été incorporés, par ses filiales situées en dehors de l’EEE et détenues par elle à 100 %, alors que ces ventes ne sont pas en relation avec l’infraction. En procédant ainsi, le Tribunal aurait méconnu tant le point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes que la jurisprudence pertinente de la Cour et du Tribunal ainsi que les limites de la compétence territoriale de la Commission.

45      Il convient de rappeler que l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 1/2003 prévoit que, pour chaque entreprise et chaque association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.

46      Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, la Commission doit apprécier, dans chaque cas d’espèce et au vu de son contexte ainsi que des objectifs poursuivis par le régime de sanctions établi par ledit règlement, l’impact recherché sur l’entreprise concernée, notamment en tenant compte d’un chiffre d’affaires qui reflète la situation économique réelle de celle‑ci durant la période au cours de laquelle l’infraction a été commise (arrêts Britannia Alloys & Chemicals/Commission C‑76/06 P, EU:C:2007:326, point 25; Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 53, ainsi que LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C‑227/14 P, EU:C:2015:258, point 49).

47      Selon la jurisprudence constante de la Cour, il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise qui constitue une indication, fût‑elle approximative et imparfaite, de la taille de celle‑ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des produits faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle‑ci (arrêts Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, EU:C:1983:158, point 121; Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 54, ainsi que LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C‑227/14 P, EU:C:2015:258, point 50).

48      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, si l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 laisse à la Commission une marge d’appréciation, il en limite néanmoins l’exercice en instaurant des critères objectifs auxquels celle‑ci doit se tenir. Ainsi, d’une part, le montant de l’amende susceptible d’être infligée à une entreprise connaît un plafond chiffrable et absolu, de sorte que le montant maximal de l’amende pouvant être mis à la charge d’une entreprise donnée est déterminable à l’avance. D’autre part, l’exercice de ce pouvoir d’appréciation est également limité par les règles de conduite que la Commission s’est elle‑même imposées, notamment dans les lignes directrices pour le calcul des amendes (arrêts Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 55, ainsi que LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C‑227/14 P, EU:C:2015:258, point 51).

49      Aux termes du point 13 desdites lignes directrices, «[e]n vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte [...] avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE». Ces mêmes lignes directrices précisent, à leur point 6, que «la combinaison de la valeur des ventes en relation avec l’infraction et de la durée [de celle‑ci] est considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction».

50      Le point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes a ainsi pour objectif de retenir comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de cette entreprise dans celle‑ci (arrêts Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, EU:C:2013:464, point 76; Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 57, ainsi que LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C‑227/14 P, EU:C:2015:258, point 53).

51      En conséquence, la notion de valeur des ventes visée à ce point 13 englobe les ventes réalisées sur le marché concerné par l’infraction dans l’EEE, sans qu’il importe de déterminer si ces ventes ont été réellement affectées par cette infraction, la partie du chiffre d’affaires provenant de la vente des produits faisant l’objet de l’infraction étant la mieux à même de refléter l’importance économique de cette infraction (voir, en ce sens, arrêts Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, EU:C:2013:464, points 75 à 78; Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, points 57 à 59; Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, points 148 et 149, ainsi que LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C‑227/14 P, EU:C:2015:258, points 53 à 58 et 64).

52      En l’espèce, il est constant, ainsi qu’il résulte, notamment, des points 73 et 90 de l’arrêt attaqué, que les ventes de la requérante prises en compte aux fins de la fixation du montant de l’amende au titre des «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés» ont été réalisées non pas sur le marché du produit concerné par l’infraction, en l’occurrence le marché des LCD cartellisés, mais sur un marché de produits distinct de celui‑ci, à savoir le marché en aval des produits finis incorporant les LCD cartellisés, lesdits LCD cartellisés ayant fait l’objet, dans un tel cas, d’une vente interne en dehors de l’EEE entre la requérante et ses filiales intégrées verticalement.

53      Il ressort cependant du point 45 de l’arrêt attaqué que les ventes des produits finis intégrant les LCD cartellisés ont été prises en compte non pas à concurrence de leur valeur entière, mais à concurrence de la seule fraction de cette valeur qui pouvait correspondre à la valeur des LCD cartellisés intégrés dans les produits finis, lorsque ces derniers ont été vendus par l’entreprise dont relève la requérante à des tiers indépendants établis dans l’EEE. Cette constatation n’a pas été contestée.

54      Contrairement à ce que soutient la requérante, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en jugeant, notamment, au point 47 de l’arrêt attaqué, que la Commission pouvait procéder à une telle prise en compte des ventes des produits finis pour le calcul du montant de l’amende.

55      Si, certes, la notion de «valeur des ventes» visée au point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes ne saurait s’étendre jusqu’à englober les ventes réalisées par l’entreprise en cause qui ne relèvent en rien du champ d’application de l’entente reprochée (voir arrêts Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, EU:C:2013:464, point 76; Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 57, ainsi que LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C‑227/14 P, EU:C:2015:258, point 53), il serait contraire à l’objectif poursuivi par l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 que les participants à une entente qui sont intégrés verticalement puissent, du seul fait qu’ils ont incorporé les produits faisant l’objet de l’infraction dans des produits finis en dehors de l’EEE, voir exclure du calcul de l’amende la fraction de la valeur de leurs ventes de ces produits finis réalisées dans l’EEE pouvant correspondre à la valeur des produits faisant l’objet de l’infraction.

56      En effet, ainsi que le Tribunal l’a relevé en substance au point 71 de l’arrêt attaqué, et comme la Cour l’a également déjà jugé, les entreprises intégrées verticalement peuvent tirer profit d’un accord de fixation horizontale des prix conclu en infraction à l’article 101 TFUE non seulement lors des ventes à des tiers indépendants sur le marché du produit faisant l’objet de cette infraction, mais également sur le marché en aval des produits transformés dans la composition desquels entrent ces produits, et ce à deux titres différents. Soit ces entreprises répercutent les majorations du prix des intrants qui résultent de l’objet de l’infraction sur celui des produits transformés, soit elles ne les répercutent pas, ce qui revient alors à leur conférer un avantage de coût par rapport à leurs concurrents qui se procurent ces mêmes intrants sur le marché des produits faisant l’objet de l’infraction (arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 60).

57      Il s’ensuit que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, aux points 70 et 71 de l’arrêt attaqué, que, lorsqu’une entreprise intégrée verticalement incorpore les produits faisant l’objet de l’infraction aux produits finis dans ses unités de production situées en dehors de l’EEE, la vente par cette entreprise de ces produits finis dans l’EEE à des tiers indépendants est susceptible d’affecter la concurrence sur le marché de ces produits et, partant, une telle infraction peut être considérée comme ayant eu des répercussions dans l’EEE, même si le marché des produits finis en question constitue un marché distinct du marché concerné par ladite infraction.

58      À cet égard, le Tribunal a d’ailleurs constaté, aux points 48 et 49 de l’arrêt attaqué, d’une part, qu’il ressort des éléments de preuve visés notamment, au considérant 394 de la décision litigieuse, non remis en cause devant cette juridiction, que les ventes de LCD cartellisés internes aux entreprises participant à l’entente se faisaient à des prix influencés par celle‑ci et, d’autre part, qu’il résulte, notamment, des considérants 92 et 93 de cette décision que lesdits participants savaient que les prix de ces LCD cartellisés affectaient les prix des produits finis intégrant ceux‑ci.

59      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits et, en principe, pour examiner les preuves qu’il retient à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt E.ON Energie/Commission, C‑89/11 P, EU:C:2012:738, point 64 et jurisprudence citée).

60      Or, si la requérante, à l’appui de son premier moyen, fait valoir que les éléments de preuve retenus aux points 48 et 49 de l’arrêt attaqué visaient non pas les seules entreprises intégrées verticalement pour lesquelles la Commission a eu recours à la notion de «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», mais également d’autres participants à l’entente, voire l’ensemble de ceux‑ci, elle ne reproche, en revanche, pas au Tribunal d’avoir dénaturé ces éléments de preuve.

61      Dans ces conditions, c’est à bon droit que le Tribunal a constaté, aux points 46, 70 et 84 de l’arrêt attaqué, que les ventes des produits finis, bien que n’ayant pas été réalisées sur le marché du produit concerné par l’infraction, ont néanmoins faussé le jeu de la concurrence dans l’EEE, en violation de l’article 101 TFUE, au détriment, notamment, des consommateurs. Le Tribunal n’a donc commis aucune erreur de droit en considérant, en particulier aux points 47 et 87 de cet arrêt, que les ventes des produits finis étaient en relation avec l’infraction dans l’EEE, au sens du point 13 des lignes directrices pour le calcul du montant des amendes.

62      Il convient, par ailleurs, d’observer que l’exclusion de ces ventes aurait pour effet de minimiser artificiellement l’importance économique de l’infraction commise par une entreprise donnée, dès lors que le seul fait d’exclure la prise en compte de telles ventes réellement affectées par l’entente dans l’EEE conduirait à infliger au final une amende sans relation réelle avec le champ d’application de cette entente sur ce territoire (voir, par analogie, arrêts Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, EU:C:2013:464, point 77; Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 58, ainsi que LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C‑227/14 P, EU:C:2015:258, point 54).

63      En particulier, ainsi que le Tribunal l’a constaté aux points 46, 47, 71 et 74 de l’arrêt attaqué, ne pas tenir compte de la valeur de ces ventes reviendrait nécessairement à avantager, sans justification, les entreprises intégrées verticalement qui, comme la requérante, font procéder à l’incorporation d’une partie significative des produits faisant l’objet de l’infraction dans leurs unités de production établies en dehors de l’EEE, en leur permettant d’échapper à une sanction proportionnée à leur importance sur le marché de ces produits et à la nocivité de leur comportement sur le jeu de la concurrence dans l’EEE.

64       À cet égard, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir établi une distinction entre les ventes effectuées par les participants à l’entente selon que ceux‑ci forment ou non une entreprise unique avec les sociétés procédant à l’incorporation des produits concernés par l’infraction dans les produits finis.

65      En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion d’entreprise, placée dans le contexte du droit de la concurrence, doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir, notamment, arrêts Hydrotherm Gerätebau, 170/83, EU:C:1984:271, point 11, ainsi que Arkema/Commission, C‑520/09 P, EU:C:2011:619, point 37).

66      En conséquence, ainsi que le Tribunal l’a constaté à bon droit au point 90 de l’arrêt attaqué, les participants à l’entente qui, comme la requérante, forment une entreprise unique, au sens de l’article 101 TFUE, avec les unités de production qui procèdent à l’incorporation des produits concernés dans les produits finis se trouvent dans une situation objectivement différente des participants à l’entente qui, à l’instar des requérantes dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt LG Display et LG Display Taiwan (C‑227/14 P, EU:C:2015:258, points 46 et 47), forment une entreprise distincte, au sens de cette disposition, de l’entreprise qui procède à ladite incorporation. En effet, alors que, dans le premier cas, les ventes du produit concerné revêtent un caractère interne, dans le second cas, lesdites ventes sont réalisées auprès d’entreprises tierces indépendantes. Cette différence de situation objective justifie dès lors que ces ventes soient traitées de manière différente. Or, la requérante n’a nullement contesté, dans le cadre du présent pourvoi, les considérations du Tribunal figurant, notamment, aux points 70 et 90 de l’arrêt attaqué concernant le caractère unique ou non des entreprises participant à l’entente.

67      Certes, ainsi que la requérante l’a fait valoir, dans l’arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 59), la Cour a jugé, dans un contexte interne à l’EEE, que, pour déterminer la valeur des ventes à prendre en compte pour le calcul du montant des amendes infligées pour violation de l’article 101 TFUE, il n’y a pas lieu d’opérer de distinction selon que ces ventes ont été effectuées avec des tiers indépendants ou avec des entités appartenant à une même entreprise.

68      Il ne résulte cependant pas de cet arrêt, contrairement à ce que la requérante a soutenu lors de l’audience devant la Cour, que les ventes internes devraient être traitées de la même manière que les ventes à des tiers indépendants, en ce sens que, dès lors que, en ce qui concerne ces dernières, seules ont été prises en compte celles qui ont été réalisées dans l’EEE, de la même manière, seules les ventes internes réalisées dans l’EEE devraient être comptabilisées pour le calcul de l’amende.

69      Ainsi que le Tribunal l’a jugé en substance aux points 73 et 74 de l’arrêt attaqué, il découle uniquement de l’arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:2363) que la valeur des ventes à prendre en compte aux fins du calcul de l’amende infligée à une entreprise intégrée verticalement doit, en principe, englober toutes les ventes relatives au produit concerné par l’infraction dans l’EEE, y compris les ventes internes de ce produit effectuées au sein de cette entreprise.

70      Rien n’exclut, en revanche, dans le cas où, comme en l’espèce, les ventes internes portant sur le produit concerné par l’infraction ont été effectuées au sein d’une entreprise intégrée verticalement en dehors de l’EEE, de prendre en compte, pour la fixation du montant de l’amende à infliger à un participant à une entente relevant de cette entreprise, les ventes des produits finis réalisées par celle‑ci dans l’EEE à des tiers indépendants. Au contraire, ainsi qu’il a été rappelé au point 56 du présent arrêt, il ressort précisément du point 60 de l’arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:2363) que ces ventes doivent, en principe, être prises en compte dès lors qu’elles ont nécessairement été affectées par cette infraction.

71      À cet égard, les arguments invoqués par la requérante concernant la compétence territoriale de la Commission sont dépourvus de toute pertinence.

72      Certes, ainsi que le Tribunal l’a rappelé au point 58 de l’arrêt attaqué, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, lorsque des entreprises établies en dehors de l’EEE, mais qui produisent des biens qui sont vendus dans l’EEE à des tiers, se concertent sur les prix qu’elles consentent à leurs clients établis dans l’EEE et mettent en œuvre cette concertation en vendant à des prix effectivement coordonnés, elles participent à une concertation qui a pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché intérieur, au sens de l’article 101 TFUE, et que la Commission est territorialement compétente à poursuivre (voir, en ce sens, arrêt Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission,C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, EU:C:1993:120, points 13 et 14).

73      En l’espèce, il est cependant constant que la Commission était compétente pour appliquer l’article 101 TFUE à l’entente en cause, dès lors que, comme il ressort des points 42 et 66 de l’arrêt attaqué, les participants à celle‑ci, dont la requérante, ont mis en œuvre cette entente de portée mondiale dans l’EEE en réalisant sur ce territoire des ventes du produit concerné par l’infraction à des tiers indépendants.

74      Le présent moyen de pourvoi porte, en revanche, sur une question distincte, à savoir le calcul du montant de l’amende à infliger à la requérante pour cette violation de l’article 101 TFUE. À cet égard, il importe, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 46 à 51 du présent arrêt, de déterminer la valeur des ventes à prendre en compte, afin que le montant de cette amende reflète l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de la requérante dans celle‑ci. Or, ainsi qu’il résulte des points 52 à 70 du présent arrêt, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré que la Commission pouvait, à cette fin, lorsque les ventes internes du produit concerné par l’infraction ont été réalisées par la requérante en dehors de l’EEE, tenir compte des ventes de produits finis réalisées par celle‑ci dans l’EEE à des tiers indépendants.

75      S’agissant, à cet égard, de l’allégation de la requérante selon laquelle la prise en compte desdites ventes pour le calcul d’une amende infligée au titre de la violation de l’article 101 TFUE est susceptible d’aboutir à ce qu’un même comportement anticoncurrentiel donne lieu à des sanctions concurrentes infligées par les autorités de la concurrence d’un État tiers, il convient d’observer que, contrairement à ce que soutient la Commission, cette allégation est recevable au stade du présent pourvoi au regard de l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure, dès lors qu’elle ne modifie nullement l’objet du litige. Toutefois, il suffit de rappeler que, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, ni le principe non bis in idem ni aucun autre principe de droit n’est susceptible d’obliger la Commission à tenir compte des poursuites et des sanctions dont fait l’objet une entreprise dans des États tiers (voir arrêts Showa Denko/Commission, C‑289/04 P, EU:C:2006:431, points 52 à 58; SGL Carbon/Commission, C‑308/04 P, EU:C:2006:433, points 28 à 34, et SGL Carbon/Commission, C‑328/05 P, EU:C:2007:277, points 24 à 35).

76      Quant à l’argument de la requérante tiré du point 33 de l’arrêt Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission (6/73 et 7/73, EU:C:1974:18), il suffit de constater que cet arrêt ne revêt aucune pertinence dans le cadre du présent moyen, dès lors que celui‑ci concernait, ainsi que le Tribunal l’a relevé à bon droit au point 87 de l’arrêt attaqué, non pas la fixation du montant des amendes infligées pour violation des règles de concurrence prévues par le traité FUE, mais les conditions d’application de l’interdiction de l’exploitation abusive d’une position dominante édictée à l’article 102 TFUE, en particulier la condition relative à l’affectation du commerce entre les États membres.

77      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.

 Sur le second moyen, relatif au principe de non‑discrimination

 Argumentation des parties

78      En premier lieu, la requérante fait valoir que la distinction opérée par le Tribunal entre les entreprises intégrées verticalement, selon qu’elles forment ou non une entreprise unique avec des entités liées, n’est fondée sur aucune différence pertinente. Ainsi, dans l’arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission (T‑128/11, EU:T:2014:88), le Tribunal, afin de rejeter l’argument selon lequel les ventes de LCD aux sociétés mères des requérantes dans cette affaire devaient être exclues, n’aurait pas invoqué le fait que les ventes en question étaient effectuées au sein d’une entreprise unique. Au contraire, le Tribunal, au point 89 de cet arrêt, aurait estimé que les ventes en question étaient, en réalité, des ventes à des entités liées relevant, à ce titre, de la constatation d’infraction, au seul motif que les ventes intragroupe étaient couvertes par l’entente. Or, de ce point de vue, il n’y aurait pas la moindre différence entre les livraisons intragroupe effectuées par les requérantes dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission (T‑128/11, EU:T:2014:88) et celles opérées par la requérante, en cause dans la présente affaire.

79      Selon la requérante, cette distinction est également dépourvue d’objectivité et de cohérence. Au point 140 de l’arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission (T‑128/11, EU:T:2014:88), le Tribunal préciserait que «les sociétés filiales à 100 % ont été considérées comme relevant de la même entreprise que les participants à l’entente, alors que les sociétés ayant une participation actionnaire dans celles qui faisaient partie de l’entente n’ont pas été considérées comme étant des sociétés mères dans la mesure où il n’était pas démontré que les conditions prévues à cette fin par la jurisprudence étaient remplies». La logique d’une distinction établie entre des sociétés intégrées verticalement, selon que les ventes pertinentes sont effectuées à destination de filiales liées ou de sociétés mères liées, serait cependant difficile à comprendre.

80      En second lieu, la requérante estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en se fondant, aux points 93 et 94 de l’arrêt attaqué, sur le principe de légalité pour rejeter ses arguments tirés du principe de l’égalité de traitement. En effet, il résulterait de l’arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a. (C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479) que ce n’est que lorsqu’une partie demande le bénéfice d’une méthode de calcul illégale de l’amende que le principe de légalité pourrait être invoqué pour lui refuser ce bénéfice. Or, en l’espèce, la requérante aurait été privée du bénéfice d’une méthode de calcul de l’amende parfaitement légale. La méthode appliquée aux livraisons intragroupe de LCD effectuées par LGD et AUO serait en effet celle dont le Tribunal et la Cour auraient confirmé le bien‑fondé dans les arrêts du Tribunal Europa Carton/Commission (T‑304/94, EU:T:1998:89) et de la Cour KNP BT/Commission (C‑248/98 P, EU:C:2000:625). Le Tribunal aurait encore confirmé la légalité de cette méthode dans l’arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission (T‑128/11, EU:T:2014:88) et, partant, il se contredirait dans l’arrêt attaqué.

81      La Commission considère que ce moyen est dépourvu de fondement et qu’il doit, partant, être rejeté.

 Appréciation de la Cour

82      Le second moyen visant, en substance, à mettre en cause la distinction opérée par le Tribunal entre les participants à l’entente selon qu’ils forment ou non une entreprise unique avec les sociétés procédant à l’incorporation des produits concernés par l’infraction dans les produits finis, il doit être rejeté comme étant non fondé pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 64 à 66 du présent arrêt relatifs au premier moyen.

83      En tout état de cause, en ce que le présent moyen vise les points 93 et 94 de l’arrêt attaqué, il doit être rejeté comme inopérant, dès lors qu’il porte sur des motifs surabondants qui ne sauraient entraîner l’annulation de cet arrêt (voir, notamment, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 148 et jurisprudence citée).

84      En effet, au point 92 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, sans que cela soit remis en cause dans le cadre du présent pourvoi, que, à supposer que ce fût à tort que la Commission ait omis de considérer que LGD et AOU formaient une entreprise unique avec les sociétés auxquelles elles étaient liées, cette circonstance ne pourrait aucunement profiter à la requérante, dès lors que ces prétendues erreurs, même si elles étaient avérées, ne démontreraient pas que la notion de «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés» est, elle‑même, erronée, la définition de cette notion étant indépendante des cas auxquels elle a été appliquée ou non. En conséquence, le Tribunal ayant rejeté l’argumentation de la requérante sur ce point comme étant irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, les considérations figurant aux points 93 et 94 de l’arrêt attaqué concernant le bien‑fondé de cette argumentation n’ont été présentées qu’à titre subsidiaire, ainsi qu’il ressort d’ailleurs de l’expression «en tout état de cause» précédant lesdits points.

85      Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter le second moyen comme étant, pour partie, non fondé et, pour partie, inopérant.

86      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

87      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

88      La Commission ayant conclu à la condamnation d’InnoLux et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      InnoLux Corp. est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.