Language of document : ECLI:EU:T:2016:496

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

15 septembre 2016 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inclusion du nom du requérant – Droits de la défense – Obligation de motivation – Base légale – Droit à une protection juridictionnelle effective – Non-respect des critères d’inscription sur la liste – Erreur manifeste d’appréciation – Droit de propriété – Droit à la renommée »

Dans l’affaire T‑340/14,

Andriy Klyuyev, demeurant à Donetsk (Ukraine), représenté par MM. B. Kennelly, J. Pobjoy, barristers, R. Gherson et T. Garner, solicitors,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. Á. de Elera-San Miguel Hurtado et J.‑P. Hix, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par Mme D. Gauci et M. T. Scharf, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision 2014/119/PESC du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26), et du règlement (UE) no 208/2014 du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1), et, d’autre part, de la décision (PESC) 2015/364 du Conseil, du 5 mars 2015, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et du règlement d’exécution (UE) 2015/357 du Conseil, du 5 mars 2015, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1), dans la mesure où le nom du requérant a été inscrit ou maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives, et, à titre subsidiaire, une demande visant à obtenir une déclaration d’inapplicabilité au requérant de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision (PESC) 2015/143 du Conseil, du 29 janvier 2015 (JO 2015, L 24, p. 16), ainsi que de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement (UE) 2015/138 du Conseil, du 29 janvier 2015 (JO 2015, L 24, p. 1),

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz, Mme I. Pelikánová, MM. A. Popescu et E. Buttigieg, juges,

greffier : Mme G. Predonzani, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 27 avril 2016,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Andriy Klyuyev, est l’ancien chef de l’administration du président ukrainien.

2        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées au regard de la situation en Ukraine à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

4        Le considérant 2 de la décision 2014/119 précise :

« Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent. 

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel de fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2014 ») apparaissent sur la liste, identique, figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant a été inscrit sur la liste avec les informations d’identification « ancien chef de l’administration du président ukrainien » et la motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Le 6 mars 2014, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne l’avis à l’attention des personnes auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues par les actes de mars 2014 (JO 2014, C 66, p. 1). Selon cet avis, « [l]es personnes concernées peuvent adresser au Conseil […] une demande de réexamen de la décision par laquelle elles ont été inscrites sur la liste […], en y joignant des pièces justificatives ».

11      Par des échanges de lettres au cours de l’année 2014, le requérant a contesté le bien-fondé de l’inscription de son nom sur la liste et a demandé au Conseil de procéder à un réexamen. Il a également demandé à avoir accès aux informations et aux preuves étayant ladite inscription.

12      Le Conseil a répondu à la demande de réexamen du requérant. Il a maintenu que, selon lui, les mesures restrictives visant le requérant étaient toujours justifiées pour les raisons exposées dans la motivation des actes de mars 2014. S’agissant de la demande d’accès au dossier du requérant, le Conseil lui a communiqué plusieurs documents relevant de son dossier, dont des documents des autorités ukrainiennes du 3 mars 2014 (ci-après la « lettre du 3 mars 2014 »), du 8 juillet 2014 et du 10 octobre 2014 (ci-après la « lettre du 10 octobre 2014 »).

13      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1) (ci‑après, pris ensemble, les « actes de janvier 2015 »).

14      La décision 2015/143 a précisé, à partir du 31 janvier 2015, les critères de désignation des personnes visées par le gel de fonds. En particulier, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 a été remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)       pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)       pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

15      Le règlement 2015/138 a modifié le règlement no 208/2014 conformément à la décision 2015/143.

16      Par lettre du 2 février 2015, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard et lui a communiqué un document des autorités ukrainiennes du 30 décembre 2014 (ci-après la « lettre du 30 décembre 2014 »), l’informant de la possibilité de présenter des observations. Par lettre du 17 février 2015, le requérant a invité le Conseil à revoir sa position et à lui fournir les autres éléments éventuels qui justifieraient la position du Conseil.

17      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »).

18      La décision 2015/364 a modifié l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant les mesures restrictives, en ce qui concerne le requérant, au 6 mars 2016. En conséquence, la décision 2015/364 et le règlement d’exécution 2015/357 ont remplacé la liste.

19      À la suite de ces modifications, le nom du requérant a été maintenu sur la liste avec les informations d’identification « ancien chef de l’administration du président ukrainien » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et en lien avec la mauvaise utilisation d’une charge par le titulaire d’une charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou les avoirs publics ukrainiens. »

20      La décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 ont été modifiés, en dernier lieu, respectivement, par la décision (PESC) 2016/318 du Conseil, du 4 mars 2016, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et par le règlement d’exécution (UE) 2016/311 du Conseil, du 4 mars 2016, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1).

21      La décision 2016/318 a modifié l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant les mesures restrictives, en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 mars 2017.

 Procédure et conclusions des parties

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 mai 2014, le requérant a introduit le présent recours.

23      Le 12 août 2014, le Conseil a déposé le mémoire en défense. Le même jour, il a déposé une demande de traitement confidentiel visant à obtenir que le contenu d’une annexe ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

24      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 septembre 2014, la Commission européenne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien du Conseil. Par ordonnance du 6 novembre 2014, le président de la neuvième chambre du Tribunal a admis cette intervention. Par acte déposé le 17 décembre 2014, la Commission a renoncé au dépôt de son mémoire en intervention.

25      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 septembre 2014, l’Ukraine a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Conseil. Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 24 décembre 2014, l’Ukraine a informé le Tribunal qu’elle se désistait de son intervention. Par ordonnance du 11 mars 2015, le président de la neuvième chambre du Tribunal a prononcé la radiation de l’Ukraine en tant que partie intervenante.

26      La réplique et la duplique ont été déposées, respectivement, par le requérant, le 31 octobre 2014 et, par le Conseil, le 18 décembre 2014. Le même jour, le Conseil a déposé une demande de traitement confidentiel visant à obtenir que le contenu d’une annexe ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

27      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 mai 2015, le requérant a adapté ses conclusions, de sorte que celles-ci visent également l’annulation de la décision 2015/364 et du règlement d’exécution 2015/357, en tant que ces actes le concernent. Le Conseil a présenté ses observations dans le délai imparti. Le 14 septembre 2015, il a également déposé une demande de traitement confidentiel visant à obtenir que le contenu de certaines annexes ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

28      Sur proposition de la neuvième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure du Tribunal, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

29      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

30      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 27 avril 2016.

31      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler, premièrement, la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 et, deuxièmement, la décision 2015/364 et le règlement d’exécution 2015/357, en tant qu’ils le concernent ;

–        à titre subsidiaire, déclarer l’inapplicabilité, à son égard, de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, ainsi que de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement 2015/138 ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

32      Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, en cas d’annulation partielle des actes de mars 2014, ordonner le maintien des effets à l’égard du requérant de la décision 2014/119 jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement no 208/2014 et, en cas d’annulation partielle des actes de mars 2015, ordonner le maintien des effets à l’égard du requérant de la décision 2014/119, telle que modifiée, jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement d’exécution 2015/357 ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2014, dans leur formulation initiale, en ce qu’ils visent le requérant

33      À l’appui de son recours visant l’annulation des actes de mars 2014 dans leur formulation initiale, le requérant invoque six moyens. Le premier est tiré d’une absence de base légale. Le deuxième est tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Le troisième est tiré d’un défaut de motivation. Le quatrième est tiré de la violation des droits de propriété et à la renommée. Le cinquième est tiré d’une erreur de fait et d’une erreur manifeste d’appréciation. Le sixième est tiré de l’absence d’éléments de preuve.

34      Par ses cinquième et sixième moyens, qu’il convient d’examiner en premier lieu, le requérant fait valoir, en substance, que la décision de lui imposer des mesures restrictives n’a pas été prise sur un fondement factuel suffisamment solide et que le Conseil a donc commis une erreur manifeste dans son appréciation.

35      Le Conseil fait valoir que la lettre du 3 mars 2014 indiquait qu’une enquête portant sur la participation du requérant au détournement d’importants fonds publics et à leur transfert ultérieur illégal hors du territoire ukrainien était en cours, ce qui correspondait à la motivation figurant dans les actes de mars 2014. En outre, le document du 8 juillet 2014 (voir point 12 ci-dessus) confirmerait qu’une enquête préparatoire avait été ouverte en Ukraine concernant le requérant, qui était soupçonné, notamment, d’un détournement de fonds publics pour des montants importants.

36      Il convient de rappeler que, si le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux critères généraux à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures restrictives, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union européenne s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou à tout le moins l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour étayer cette même décision, sont étayés de façon suffisamment précise et concrète (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, points 41 et 45 et jurisprudence citée).

37      En l’espèce, le critère prévu à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 dispose que des mesures restrictives sont adoptées à l’égard des personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics. Par ailleurs, il ressort du considérant 2 de ladite décision que le Conseil a adopté ces mesures « en vue de renforcer et de soutenir l’État de droit […] en Ukraine ».

38      Le nom du requérant a été inscrit sur la liste au motif qu’il était une « [p]ersonne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine ».

39      À l’appui du motif de l’inscription du requérant sur la liste, le Conseil invoque la lettre du 3 mars 2014. La première partie de cette lettre précise que les « services répressifs ukrainiens » ont engagé un certain nombre de procédures pénales pour enquêter sur des actes criminels commis par des anciens hauts fonctionnaires, parmi lesquels figure le requérant. La lettre précise ultérieurement, de manière générique, que l’enquête en question « a permis d’établir le détournement de fonds publics pour des montants importants et le transfert ultérieur illégal hors d’Ukraine ».

40      Il n’est pas contesté que c’est sur cette seule base que le requérant a été identifié « comme étant responsable de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119. En effet, la lettre du 3 mars 2014 est, parmi les éléments de preuve déposés par le Conseil au cours de la présente instance, le seul qui est antérieur aux actes de mars 2014 et, partant, la légalité desdits actes doit être appréciée au regard de ce seul élément de preuve.

41      Il y a lieu de considérer que, tout en provenant d’une haute autorité judiciaire d’un pays tiers, ladite lettre ne contient qu’une affirmation générale et vague liant le nom du requérant, parmi ceux d’autres anciens hauts fonctionnaires, à une enquête qui, en substance, aurait établi des faits de détournement de fonds publics. La lettre ne fournit aucune précision sur l’établissement des faits que l’enquête conduite par les autorités ukrainiennes était en train de vérifier et, d’autant moins, sur la responsabilité individuelle, ne fût-ce que présumée, du requérant à leur égard (voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2016, Azarov/Conseil, T‑332/14, non publié, EU:T:2016:48, point 46 ; voir également, par analogie, arrêt du 26 octobre 2015, Portnov/Conseil, T‑290/14, EU:T:2015:806, points 43 et 44).

42      Il convient encore de relever que, contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil (T‑256/11, EU:T:2014:93, points 57 à 61), confirmé sur pourvoi par arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil (C‑220/14 P, EU:C:2015:147), invoqués par le Conseil, en l’espèce, d’une part, celui-ci ne disposait pas d’informations concernant les faits ou les comportements spécifiquement reprochés au requérant par les autorités ukrainiennes et, d’autre part, la lettre du 3 mars 2014, même en l’examinant dans le contexte dans lequel elle s’insère, ne saurait constituer une base factuelle suffisamment solide au sens de la jurisprudence citée au point 36 ci-dessus pour inscrire le nom du requérant sur la liste au motif qu’il était identifié « comme étant responsable » de détournement de fonds publics (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2015, Portnov/Conseil, T‑290/14, EU:T:2015:806, points 46 à 48).

43      Indépendamment du stade auquel se trouvait la procédure dont le requérant était censé faire l’objet, le Conseil ne pouvait adopter des mesures restrictives à son égard à défaut de connaître les faits de détournement de fonds publics qui lui étaient spécifiquement reprochés par les autorités ukrainiennes. En effet, ce n’est qu’en ayant connaissance de ces faits que le Conseil aurait été à même d’établir qu’ils étaient susceptibles, d’une part, d’être qualifiés de détournement de fonds publics et, d’autre part, de remettre en cause l’État de droit en Ukraine, dont le renforcement et le soutien constituent, ainsi qu’il a été rappelé au point 37 ci-dessus, l’objectif poursuivi par l’adoption des mesures restrictives en cause (arrêts du 28 janvier 2016, Klyuyev/Conseil, T‑341/14, EU:T:2016:47, point 50, et du 28 janvier 2016, Azarov/Conseil, T‑331/14, EU:T:2016:49, point 55).

44      D’ailleurs, c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 120 et 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 65 et 66).

45      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que l’inscription du nom du requérant sur la liste ne s’appuie pas sur une base factuelle suffisante pour garantir le respect des critères de désignation des personnes visées par les mesures restrictives en cause fixés par la décision 2014/119.

46      En outre, il y a lieu de constater que cette illégalité a perduré jusqu’à l’entrée en vigueur des actes de mars 2015, qui ont remplacé la liste et modifié le motif d’inscription du requérant.

47      À la lumière de cette conclusion, il n’y a pas lieu de se prononcer sur l’argument du requérant visant à ce que l’inscription de son nom par les actes de mars 2014 soit déclaré comme étant illégale pour la période allant du 31 janvier au 6 mars 2015, c’est-à-dire à partir de l’entrée en vigueur des actes de janvier 2015 et jusqu’à l’entrée en vigueur de ceux de mars 2015. En effet, au vu de l’annulation des actes de mars 2014, en ce qu’ils concernent le requérant, celui-ci est censé ne pas avoir été assujetti aux mesures restrictives pendant cette période.

48      Par conséquent, il y a lieu d’accueillir les cinquième et sixième moyens, pris ensemble, et d’annuler la décision 2014/119 dans sa formulation initiale, en ce qu’elle vise le requérant, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens.

49      Il y a également lieu d’annuler, en tant qu’il vise le requérant, le règlement no 208/2014, dans sa formulation initiale, qui, aux termes de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, présuppose une décision adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité UE, par voie de conséquence de l’annulation de la décision 2014/119.

 Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2014, tels que modifiés par les actes de janvier et de mars 2015, en ce qu’ils visent le requérant

50      Par son mémoire en adaptation des conclusions, le requérant a demandé à étendre la portée de son recours afin que celui-ci vise l’annulation des actes de mars 2015, en ce qu’ils le concernent.

51      À l’appui de sa demande d’annulation des actes de mars 2014, tels que modifiés par les actes de janvier et de mars 2015, le requérant invoque sept moyens. Le premier est tiré de l’absence de base légale. Le deuxième est tiré de la violation des critères d’inscription. Le troisième est tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Le quatrième est tiré d’un défaut de motivation. Le cinquième est tiré de la violation des droits de propriété et à la renommée. Le sixième est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation et le septième est tiré de l’illégalité des critères d’inscription.

52      Il convient d’examiner, premièrement, le troisième moyen, deuxièmement, le quatrième moyen, troisièmement, les premier et septième moyens, pris ensemble, quatrièmement, les deuxième et sixième moyens, pris ensemble, et, enfin, le cinquième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

53      Par son troisième moyen, le requérant fait valoir que ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été violés, le Conseil n’ayant pas, d’une part, fourni des éléments de preuve et des informations à l’appui de sa désignation et, d’autre part, examiné, avec diligence et impartialité, les allégations concernant sa désignation à la lumière des observations formulées par le requérant dans sa lettre du 17 février 2015.

54      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

55      Au préalable, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux, à laquelle le traité UE reconnaît la même valeur juridique que les traités, comporte le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier, tandis que le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de ladite charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 98 à 100).

56      Il s’ensuit que, dans le cadre de l’adoption d’une décision maintenant l’inscription du nom d’une personne, d’une entité ou d’un organisme sur une liste de personnes, d’entités ou d’organismes faisant l’objet de mesures restrictives, le Conseil doit respecter le droit de cette personne, de cette entité ou de cet organisme d’être préalablement entendu lorsqu’il retient à son égard, dans la décision portant le maintien de l’inscription sur la liste, de nouveaux éléments, à savoir des éléments qui ne figuraient pas dans la décision initiale d’inscription sur cette liste (arrêt du 4 juin 2014, Sina Bank/Conseil, T‑67/12, non publié, EU:T:2014:348, point 68 et jurisprudence citée ; voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 62).

57      En l’espèce, il y a lieu de relever que le maintien du nom du requérant sur la liste à la suite des actes de mars 2015 se fonde sur la lettre du 30 décembre 2014.

58      À cet égard, il y a également lieu de rappeler que, avant d’adopter la décision de maintenir le nom du requérant sur la liste, le Conseil a communiqué au requérant la lettre du 30 décembre 2014 (voir point 16 ci-dessus). En outre, par lettre du 2 février 2015, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard, l’informant de la possibilité de présenter des observations (voir point 16 ci-dessus).

59      Il s’ensuit que le requérant a eu accès aux informations et aux éléments de preuve qui ont motivé le Conseil à maintenir les mesures restrictives à son égard et a pu formuler, en temps utile, des observations (voir point 16 ci-dessus).

60      Par ailleurs, le requérant n’a pas démontré que les difficultés alléguées concernant les informations reçues et le temps pour répondre aux allégations du Conseil l’ont empêché d’adapter ses conclusions en temps utile ou de développer des arguments pour sa défense.

61      Il résulte de ce qui précède que la communication des éléments de preuve pendant le cours de la procédure a été suffisante pour garantir l’exercice des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

62      Il y a donc lieu de rejeter le troisième moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

63      Par son quatrième moyen, le requérant fait valoir, premièrement, que la motivation du maintien de son nom sur la liste ne précise pas la nature ou l’objet de cette procédure pénale, ni en quoi elle concerne un détournement de fonds ou d’avoirs publics ou un abus de pouvoir en qualité de titulaire d’une charge publique ; deuxièmement, que par ladite motivation le Conseil se contenterait de reprendre le libellé des critères de désignation énoncés dans la décision et le règlement ; troisièmement, que ni la lettre du Conseil du 2 février 2015, ni la lettre du 30 décembre 2014, ni celle du Conseil du 6 mars 2015 ne sauraient corriger ce défaut et, quatrièmement, que le défaut de motivation est particulièrement grave compte tenu des griefs soulevés par le requérant au cours de l’instance, du délai important dont disposait le Conseil depuis l’inscription initiale du nom du requérant pour formuler des motifs et de l’absence totale d’urgence ou de risque de dilapidation des avoirs, les avoirs du requérant étant déjà gelés.

64      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

65      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE et l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux doit être adaptée à la nature de l’acte attaqué et au contexte dans lequel celui-ci a été adopté. Elle doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 94 et jurisprudence citée).

66      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 95 et jurisprudence citée).

67      En particulier, la motivation d’une mesure de gel d’avoirs ne saurait, en principe, consister seulement en une formulation générale et stéréotypée. Sous les réserves énoncées au point 66 ci-dessus, une telle mesure doit, au contraire, indiquer les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère que la réglementation pertinente est applicable à l’intéressé (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 96 et jurisprudence citée).

68      En l’espèce, d’une part, il convient de relever que, à l’instar du motif d’inscription initial, le motif, tel que modifié par les actes de mars 2015 (voir point 19 ci-dessus), énonce les éléments qui constituent le fondement de l’inscription du nom du requérant, à savoir, en substance, la circonstance qu’il fait l’objet d’une procédure pénale engagée par les autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics.

69      En outre, le maintien des mesures à l’égard du requérant est intervenu dans un contexte connu par celui-ci, qui avait pris connaissance, lors des échanges intervenus au cours de la présente instance, de la lettre du 30 décembre 2014, sur laquelle le Conseil a fondé le maintien des mesures restrictives à son égard, par laquelle le Conseil fournissait des précisions concernant l’inscription de son nom sur la liste (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 53 et 54 et jurisprudence citée, et du 6 septembre 2013, Bank Melli Iran/Conseil, T‑35/10 et T‑7/11, EU:T:2013:397, point 88), notamment une description circonstanciée des faits qui lui étaient reprochés.

70      D’autre part, s’agissant du caractère prétendument stéréotypé du motif d’inscription, il y a lieu de relever que, si les considérations figurant dans ce motif sont les mêmes que celles sur le fondement desquelles les autres personnes physiques mentionnées dans la liste ont été soumises à des mesures restrictives, elles visent néanmoins à décrire la situation concrète du requérant, qui, au même titre que d’autres personnes, a, d’après le Conseil, fait l’objet de procédures judiciaires présentant un lien avec des investigations portant sur des détournements de fonds publics en Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 115).

71      À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que les actes de mars 2014, tels que modifiés par les actes de janvier et de mars 2015, énoncent à suffisance de droit les éléments de droit et de fait qui en constituent, d’après leur auteur, le fondement.

72      Il y a donc lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur les premier et septième moyens, tirés de l’absence de base légale et d’une exception d’illégalité du critère d’inscription

73      Par son premier moyen, le requérant fait valoir que l’article 29 TUE n’était pas une base juridique appropriée pour adopter la décision, parce que le Conseil n’a pas prouvé qu’il avait porté atteinte à l’État de droit ou aux droits de l’homme en Ukraine. Au contraire, le requérant aurait facilité la pacification entre les parties en conflit au cours des évènements de février 2014 à Kiev et aurait assumé la responsabilité des négociations sur l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union.

74      En outre, les évolutions récentes en Ukraine, en ce qui concerne l’absence de procès équitable garanti au requérant et le non-respect des droits fondamentaux d’une manière plus générale, confirmeraient que le nouveau régime en Ukraine porte lui‑même atteinte à la démocratie et à l’État de droit, et viole de manière flagrante et systématique les droits de l’homme.

75      Il découlerait, enfin, de l’illégalité de la décision 2014/119 qu’il n’existe aucun fondement permettant d’édicter un règlement au titre de l’article 215 TFUE.

76      Par son septième moyen, formulé, en substance, au soutien de son deuxième chef de conclusions, le requérant soulève une exception d’illégalité et fait valoir que, si le critère d’inscription devait être interprété largement, de manière à prendre en compte toute enquête des autorités ukrainiennes, indépendamment de la question de savoir si elle est étayée, contrôlée ou encadrée par une décision ou une procédure judiciaire, ou tout abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer un avantage injustifié, indépendamment de la question de savoir s’il existe une allégation de détournement de fonds publics, un tel critère serait arbitraire et dépourvu d’une base juridique appropriée ou disproportionné par rapport aux objectifs des actes de mars 2014.

77      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

78      Il y a donc lieu d’examiner la conformité du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, aux objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et, plus particulièrement, la proportionnalité dudit critère au regard des objectifs susvisés.

79      Tout d’abord, il convient de rappeler que les objectifs du traité UE concernant la PESC sont énoncés, notamment, à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, qui prévoit ce qui suit :

« L’Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin : […] de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international. »

80      Ensuite, il convient de rappeler que le considérant 2 de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

81      Sur cette base, le critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, est le suivant :

« Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)       pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement […] »

82      Enfin, il convient de rappeler que la motivation de l’inscription du nom du requérant sur la liste, à la suite des actes de mars 2015, est la suivante :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et en lien avec la mauvaise utilisation d’une charge par le titulaire d’une charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou les avoirs publics ukrainiens. »

83      À titre liminaire, force est de constater que, ainsi que le reconnaît le Conseil dans ses écritures, les mesures restrictives à l’égard du requérant ont été adoptées dans le seul but de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine. Partant, les arguments du requérant tirés de ce que le critère d’inscription énoncé par la décision 2014/119 ne réalise pas d’autres objectifs de la PESC sont inopérants.

84      Il convient donc de vérifier si le critère d’inscription prévu par la décision 2014/119 et tel que modifié par la décision 2015/143, visant des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, correspond à l’objectif, invoqué par la même décision, de renforcement et de soutien de l’État de droit en Ukraine.

85      À cet égard, il convient de rappeler que la jurisprudence développée à l’égard des mesures restrictives concernant la situation en Tunisie et en Égypte a établi que des objectifs tels que ceux mentionnés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et d), TUE avaient vocation à être atteints par un gel d’avoirs dont le champ d’application était, comme en l’espèce, restreint aux personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds publics ainsi qu’aux personnes, entités ou organismes qui leur sont liés, c’est-à-dire à des personnes dont les agissements sont susceptibles d’avoir obéré le bon fonctionnement des institutions publiques et des organismes leur étant liés (voir, en ce sens, arrêts du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 92 ; du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 44, et du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 68).

86      En l’espèce, il y a lieu de constater, d’une part, que le critère d’inscription s’appuie, pour ce qui concerne le requérant, sur des infractions de « détournement de fonds publics » et, d’autre part, que ledit critère s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par la décision 2014/119 et la poursuite de l’objectif pertinent du traité UE qu’elle invoque, énoncé à son considérant 2, à savoir celui de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine.

87      À cet égard, il convient de rappeler que le respect de l’État de droit est l’une des valeurs premières sur lesquelles repose l’Union, ainsi qu’il ressort de l’article 2 TUE comme des préambules du traité UE et de ceux de la charte des droits fondamentaux. Le respect de l’État de droit constitue, en outre, une condition préalable à l’adhésion à l’Union, en vertu de l’article 49 TUE. La notion d’État de droit est également consacrée, sous la formulation alternative de « prééminence du droit », dans le préambule de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

88      La jurisprudence de la Cour et de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que les travaux du Conseil de l’Europe, à travers la Commission européenne pour la démocratie par le droit, fournissent une liste non exhaustive des principes et des normes qui peuvent s’inscrire dans la notion d’État de droit. Parmi ceux-ci figurent les principes de légalité, de sécurité juridique et d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ; des juridictions indépendantes et impartiales ; un contrôle juridictionnel effectif, y compris le respect des droits fondamentaux, et l’égalité devant la loi [voir, à cet égard, la liste des critères de l’État de droit adoptée par la Commission européenne pour la démocratie par le droit lors de sa cent-sixième session plénière (Venise, 11-12 mars 2016)]. En outre, dans le contexte de l’action extérieure de l’Union, certains instruments juridiques mentionnent notamment la lutte contre la corruption en tant que principe inscrit dans la notion d’État de droit [voir, par exemple, le règlement (CE) no 1638/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 2006, arrêtant des dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat (JO 2006, L 310, p. 1)].

89      Or, s’il ne peut être exclu que certains comportements concernant des faits de détournement de fonds publics soient en mesure de porter atteinte à l’État de droit, il ne saurait être admis que tout fait de détournement de fonds publics, commis dans un pays tiers, justifie une intervention de l’Union dans le but de renforcer et de soutenir l’État de droit dans ce pays, dans le cadre de ses compétences en matière de PESC. Pour que puisse être établi qu’un détournement de fonds publics est susceptible de justifier une action de l’Union dans le cadre de la PESC, fondée sur l’objectif de consolider et de soutenir l’État de droit, il est, à tout le moins, nécessaire que les faits contestés soient susceptibles de porter atteinte aux fondements institutionnels et juridiques du pays concerné.

90      Dans ce contexte, le critère d’inscription ne peut être considéré comme étant conforme à l’ordre juridique de l’Union que dans la mesure où il est possible de lui attribuer un sens compatible avec les exigences des règles supérieures au respect desquelles il est soumis, et plus précisément avec l’objectif de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine. Par ailleurs, cette interprétation permet de respecter la large marge d’appréciation dont le Conseil bénéficie pour définir les critères généraux d’inscription, tout en garantissant un contrôle, en principe complet, de la légalité des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, point 108 et jurisprudence citée, confirmé sur pourvoi par arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128).

91      Partant, ledit critère doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas, de façon abstraite, tout acte de détournement de fonds publics, mais qu’il vise plutôt des faits de détournement de fonds ou d’avoirs publics qui, eu égard au montant ou au type de fonds ou d’avoirs détournés ou au contexte dans lequel ils se sont produits, sont, à tout le moins, susceptibles de porter atteinte aux fondements institutionnels et juridiques de l’Ukraine, notamment aux principes de légalité, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, du contrôle juridictionnel effectif et d’égalité devant la loi, et, en dernier ressort, de porter atteinte au respect de l’État de droit dans ce pays (voir point 89 ci-dessus). Ainsi interprété, le critère d’inscription est conforme et proportionné aux objectifs pertinents du traité UE.

92      Cette conclusion n’est pas remise en question par l’argument du requérant tiré des évolutions récentes en Ukraine, en ce qui concerne l’absence de procès équitable garanti au requérant et le non-respect de ses droits fondamentaux.

93      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’Ukraine est un État membre du Conseil de l’Europe depuis 1995 et a ratifié la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et que le nouveau régime ukrainien a été reconnu comme étant légitime par l’Union ainsi que par la communauté internationale. Le Conseil n’a donc pas commis d’erreur en se fondant sur des éléments de preuve qui lui étaient fournis par une haute autorité judiciaire de ce pays quant à l’existence d’une procédure pénale relative à des allégations de détournement de fonds ou d’avoirs publics à l’encontre du requérant, sans mettre en cause la légalité et la légitimité du régime et du système judiciaire ukrainiens.

94      Certes, il ne saurait être exclu que, lorsque le requérant apporte des éléments de nature à démontrer que les faits qui lui sont reprochés sont manifestement faux ou détournés, il incombe au Conseil de vérifier les informations qui lui ont été fournies et d’exiger, le cas échéant, un complément d’information ou de preuve.

95      Toutefois, en l’espèce, le requérant évoque l’absence d’une véritable procédure judiciaire et, de façon plus générale, soulève des doutes sur la légitimité du nouveau régime ukrainien et sur l’impartialité du système judiciaire ukrainien.

96      Or, ces éléments n’étaient ni en mesure de mettre en cause la vraisemblance des accusations portées à l’encontre du requérant, ce qui fait l’objet de l’examen effectué dans le cadre des deuxième et sixième moyens ci-après, ni suffisants pour démontrer que la situation particulière du requérant aurait été affectée par les problèmes qu’il invoque relatifs au système judiciaire ukrainien, au cours des procédures qui le concernent et qui ont fondé l’adoption de mesures restrictives à son égard. Partant, dans les circonstances de l’espèce, le Conseil n’était pas tenu de procéder à une vérification supplémentaire des éléments de preuve qui lui avaient été fournis par les autorités ukrainiennes.

97      Du reste, dans la mesure où l’examen de l’argumentation du requérant impliquerait que le Tribunal se prononce sur la régularité de la transition du régime ukrainien et examine le bien-fondé des appréciations portées par diverses instances internationales à cet égard, y compris ses propres appréciations politiques, force est de constater qu’un tel examen ne relève pas de la portée du contrôle exercé par le Tribunal sur les actes qui font l’objet de la présente affaire (voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2013, Gbagbo/Conseil, T‑119/11, EU:T:2013:216, point 75).

98      La conclusion énoncée au point 91 ci-dessus n’est pas davantage remise en cause par l’argument, soulevé sous forme d’exception d’illégalité, selon lequel le critère d’inscription ne peut être interprété de manière à prendre en compte des enquêtes qui ne sont pas encadrées par une procédure judiciaire.

99      À cet égard, il convient de rappeler que, si le juge de l’Union a établi que l’identification d’une personne comme étant responsable d’une infraction n’impliquait pas forcément une condamnation pour une telle infraction (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, points 71 et 72), il n’en demeure pas moins que c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 120 et 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 65 et 66).

100    En l’espèce, le critère d’inscription énoncé par les actes de mars 2014, tel que modifié par les actes de janvier 2015, permet simplement au Conseil, conformément à l’arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil (T‑256/11, EU:T:2014:93), de tenir compte d’une enquête pour des faits de détournement de fonds publics comme élément pouvant justifier, le cas échéant, l’adoption des mesures restrictives, sans préjudice de la circonstance selon laquelle, à la lumière de la jurisprudence citée au point 99 ci-dessus et de l’interprétation du critère d’inscription aux points 78 à 91 ci-dessus, le simple fait de faire l’objet d’une enquête portant sur des infractions de détournement de fonds ne saurait, à lui seul, justifier l’action du Conseil au titre des articles 21 et 29 TUE.

101    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que le critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 est conforme aux objectifs de la PESC, tels qu’énoncés à l’article 21 TUE, dans la mesure où il vise les personnes identifiées comme étant responsables d’un détournement de fonds publics ukrainiens qui est susceptible de porter atteinte à l’État de droit en Ukraine.

102    La même conclusion s’impose en ce qui concerne les conclusions visant l’annulation du règlement no 208/2014. Celui-ci impose une mesure de gel de fonds prévu par une décision adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité UE et est donc conforme à l’article 215 TFUE, dans la mesure où il existe une décision valide au sens dudit article.

103    Il y a donc lieu de rejeter les premier et septième moyens.

 Sur les deuxième et sixième moyens, pris ensemble, tirés, respectivement, du non‑respect du critère d’inscription sur la liste et d’une erreur manifeste d’appréciation

104    Par ses deuxième et sixième moyens, le requérant soulève, en substance, deux arguments.

105    Par son premier argument, tiré de ce que l’inscription de son nom sur la liste ne répondait pas aux critères d’inscription, le requérant fait valoir que, conformément à l’arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil (T‑256/11, EU:T:2014:93), il ne pouvait pas être « identifié comme responsable » des infractions qui lui étaient reprochées, car il ne faisait pas l’objet d’une procédure judiciaire ou d’une enquête liée à une telle procédure judiciaire.

106    Par son second argument, tiré de ce que l’inscription de son nom sur la liste n’a pas été effectuée sur un fondement factuel suffisamment solide, le requérant fait valoir que le seul élément de preuve invoqué par le Conseil au soutien des actes de mars 2014, tels que modifiés, à savoir la lettre du 30 décembre 2014, ne constitue pas une base factuelle suffisamment solide au sens de la jurisprudence pertinente.

107    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

108    À titre liminaire, il y a lieu de relever que, à partir du 7 mars 2015, le requérant a fait l’objet des nouvelles mesures restrictives introduites par les actes de mars 2015 sur la base du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 et tel que « précisé » par les actes de janvier 2015. En effet, la décision 2015/364 n’est pas un simple acte confirmatif, mais constitue une décision autonome, adoptée par le Conseil au terme d’un réexamen périodique prévu à l’article 5, troisième alinéa, de la décision 2014/119.

109    Il y a donc lieu d’examiner la légalité de l’inscription du nom du requérant sur la liste, par les actes de mars 2015, compte tenu, tout d’abord, du critère d’inscription, tel que précisé par les actes de janvier 2015, ensuite, du motif d’inscription et, enfin, des éléments de preuve sur lesquels est fondée ladite inscription.

110    S’agissant, tout d’abord, du critère d’inscription, il y a lieu de rappeler que ce critère, tel que modifié par les actes de janvier 2015, prévoit que les mesures restrictives en question s’appliquent, notamment, aux personnes « identifiées comme étant responsables » de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, ce qui inclut les personnes « faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes » pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens (voir point 14 ci-dessus). En outre, ainsi qu’il a été précisé dans le cadre du premier moyen, ledit critère doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas de façon générique n’importe quel acte de détournement de fonds publics, mais plutôt un détournement de fonds ou d’avoirs publics qui est susceptible de porter atteinte au respect de l’État de droit en Ukraine (voir point 91 ci-dessus).

111    S’agissant, ensuite, du motif de l’inscription du nom du requérant sur la liste, il y a lieu de rappeler que, à partir du 7 mars 2015, le requérant est inscrit sur la liste au motif qu’il fait l’objet d’une « procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et en lien avec la mauvaise utilisation d’une charge par le titulaire d’une charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou les avoirs publics ukrainiens » (voir point 19 ci-dessus).

112    S’agissant, enfin, des éléments de preuve sur lesquels est fondée l’inscription du nom du requérant sur la liste, il y a lieu de relever, ainsi que le reconnaît le Conseil, que la légalité du motif d’inscription du nom du requérant, tel que modifié, doit être appréciée principalement au regard de la lettre du 30 décembre 2014 (voir point 16 ci-dessus), qui fait état des évolutions intervenues lors des diverses enquêtes concernant le requérant.

113    Cette lettre fait état, notamment, d’une enquête préliminaire dans le cadre d’une procédure pénale ouverte à l’encontre du requérant et concernant des faits de détournement de fonds publics. Cette enquête concernait, plus particulièrement, un détournement d’actions d’une société publique et de fonds publics.

114    Dans ces circonstances, en premier lieu, il y a lieu de relever que cette lettre, qui constitue l’élément de preuve sur lequel le Conseil s’est fondé pour l’adoption des actes de mars 2015, fournit une preuve suffisante du fait que, à la date de l’adoption des actes de mars 2015, le requérant faisait l’objet de procédures pénales portant sur un détournement de fonds ou d’avoirs publics.

115    En second lieu, il y a donc lieu de vérifier si le maintien du nom du requérant sur la liste à la suite des actes de mars 2015 en raison du fait que celui-ci faisait l’objet d’une procédure pénale pour de telles infractions satisfait au critère d’inscription, tel que précisé par les actes de janvier 2015 et tel qu’interprété dans le cadre du premier moyen (voir point 110 ci-dessus).

116    Compte tenu des infractions reprochées au requérant, dont la lettre du 30 décembre 2014 fait état, d’une part, il convient de rappeler que la poursuite des crimes économiques, tels que le détournement de fonds publics, est un moyen important pour lutter contre la corruption et que la lutte contre la corruption constitue, dans le contexte de l’action extérieure de l’Union, un principe inscrit dans la notion d’État de droit (voir point 88 ci-dessus).

117    D’autre part, il convient de relever que les infractions reprochées au requérant s’insèrent dans un contexte plus large où une partie non négligeable de l’ancienne classe dirigeante ukrainienne est soupçonnée avoir commis de graves infractions dans la gestion des ressources publiques, menaçant ainsi sérieusement les fondements institutionnels et juridiques du pays et portant notamment atteinte aux principes de légalité, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, du contrôle juridictionnel effectif et d’égalité devant la loi (voir points 89 à 91 ci-dessus). Cela est d’autant plus évident en l’espèce, dans la mesure où il s’agit de faits prétendument commis par l’ancien chef de l’administration du président ukrainien.

118    Il s’ensuit que, dans leur ensemble et compte tenu des fonctions exercées par le requérant au sein de l’ancienne classe dirigeante ukrainienne, les mesures restrictives en question contribuent, de manière efficace, à faciliter la poursuite des crimes de détournement de fonds publics commis au détriment des institutions ukrainiennes et permettent qu’il soit plus aisé, pour les autorités ukrainiennes, d’obtenir la restitution du fruit de tels détournements par ces dernières. Cela permet de faciliter, dans l’hypothèse où les poursuites judiciaires s’avéreront fondées, la répression, par des moyens judiciaires, des actes allégués de corruption commis par des membres de l’ancien régime, contribuant ainsi au soutien de l’État de droit dans ce pays (voir, en ce sens, la jurisprudence évoquée au point 85 ci-dessus).

119    Par ailleurs, il incombait au Conseil d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, s’appuyant sur une base factuelle suffisante, au sens de la jurisprudence citée au point 36 ci-dessus, indépendamment du stade de la procédure, au sens du code de procédure pénale ukrainien, et de l’éventuelle adoption de mesures conservatoires par les autorités ukrainiennes.

120    Certes, l’ouverture d’une procédure judiciaire au sens du code de procédure pénale ukrainien et l’éventuelle adoption de mesures conservatoires au niveau national peuvent constituer des indices importants aux fins d’établir l’existence des faits qui justifient l’adoption des mesures restrictives au niveau de l’Union et aux fins d’apprécier la nécessité d’adopter de telles mesures aux fins de garantir les effets des actions menées par les autorités nationales. Il n’en demeure pas moins que l’adoption des mesures restrictives relève de la compétence du Conseil, qui décide de manière autonome de la nécessité et de l’opportunité d’adopter de telles mesures, à la lumière des objectifs de la PESC, indépendamment d’une requête en ce sens des autorités du pays tiers concerné et de toute autre disposition prise par celles-ci au niveau national, pourvu qu’il s’appuie sur une base factuelle solide au sens de la jurisprudence pertinente (voir point 36 ci-dessus).

121    En outre, les arguments soulevés par le requérant ne remettent pas en cause l’existence de l’enquête menée par les autorités ukrainiennes, ni la vraisemblance des faits qui en font l’objet et qui ont amené le Conseil à adopter les mesures restrictives en question. Ces arguments visent plutôt à contester des aspects procéduraux, à savoir le fait que ladite enquête ne soit pas encadrée dans une véritable « procédure judiciaire », ou à réfuter des accusations portées par lesdites autorités à l’égard du requérant au sens du droit pénal ukrainien, en invoquant notamment l’absence du caractère frauduleux ou inapproprié de l’activité qui fait l’objet des accusations, questions qui concernent le bien-fondé de ces allégations.

122    À cet égard, force est de constater qu’il appartenait au Conseil non pas de vérifier le bien-fondé des enquêtes dont le requérant faisait l’objet, mais uniquement de vérifier le bien-fondé de la décision de gel des fonds au regard des éléments de preuve qui lui ont été soumis (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, point 77).

123    Enfin, s’agissant plus précisément de l’argument du requérant tiré des incohérences entre la lettre du 30 décembre 2014 et la « notification des soupçons », adressée par les autorités ukrainiennes au requérant le 23 décembre 2014, il y a lieu de constater que la lettre du 30 décembre 2014 décrit ponctuellement les faits visés par les différentes enquêtes ouvertes à l’égard du requérant. Il convient de relever que les différences constatées par le requérant entre les deux documents sont liées principalement à l’appréciation juridique des faits exposés, telle que notamment l’utilisation des fonds détournés à des fins personnels, ce qui ne remet pas en cause la vraisemblance des faits de détournement de fonds publics. La connaissance de ces faits, dont l’existence n’a pas été sérieusement remise en cause, a pu fournir au Conseil une base suffisante pour maintenir le nom du requérant sur la liste.

124    Il y a donc lieu de conclure que l’inscription du nom du requérant sur la liste, par les actes de mars 2015, sur la base des éléments de preuve fournis dans la lettre du 30 décembre 2014, est conforme au critère d’inscription, tel que modifié par les actes de janvier 2015 et interprété à la lumière de l’objectif sur lequel il est fondé, à savoir celui de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine.

125    Il y a dès lors lieu de rejeter les deuxième et sixième moyens.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit de propriété et du droit à la renommée

126    Par son cinquième moyen, le requérant, d’une part, fait valoir que son nom a été inscrit sur la liste sans respecter les garanties adéquates qui lui auraient permis de se défendre devant le Conseil et, d’autre part, invoque un défaut de proportionnalité des mesures restrictives. À cet égard, il souligne que le motif d’inscription ne prévoit plus l’infraction de transfert illégal de fonds publics ukrainiens hors d’Ukraine et que le Conseil n’aurait pas démontré que le gel total des avoirs, à la différence d’un gel partiel, était proportionné en l’espèce, car le gel de fonds ne se justifierait pas au-delà de la valeur des biens prétendument détournés.

127    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

128    Il convient de constater, à titre liminaire, que l’argument du requérant concernant ses droits de la défense a été écarté dans le cadre du troisième moyen (voir points 53 à 62 ci-dessus).

129    Il convient également de rejeter l’argument du requérant concernant le fait que le motif d’inscription ne prévoit plus l’infraction de transfert illégal de fonds publics ukrainiens hors d’Ukraine. En effet, bien que le transfert illégal de fonds publics hors d’Ukraine n’est plus prévu par le motif d’inscription, tel que modifié par les actes de mars 2015, il n’en reste pas moins que la référence au détournement de fonds publics, dans le cas où elle est fondée, suffit, à elle seule, à justifier les mesures restrictives à l’égard du requérant.

130    En ce qui concerne le grief tiré d’un défaut de proportionnalité des mesures restrictives, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 205 et jurisprudence citée).

131    En l’espèce, il est vrai que le droit de propriété du requérant est restreint, dès lors qu’il ne peut, notamment, pas disposer de ses fonds situés sur le territoire de l’Union, sauf en vertu d’autorisations particulières, et qu’aucun fonds ni aucune ressource économique ne peut être mis, directement ou indirectement, à sa disposition.

132    Toutefois, il convient, tout d’abord, de rappeler, ainsi qu’il a été établi dans le cadre des premier, deuxième, sixième et septième moyens, que, d’une part, le critère d’inscription, énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, est conforme aux objectifs de la PESC et que, d’autre part, l’inscription du nom du requérant sur la liste est conforme au critère d’inscription (voir points 79 à 103 et 109 à 124 ci‑dessus).

133    Ensuite, il convient également de constater, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel un gel de fonds ne se justifierait pas au-delà de la valeur des biens prétendument détournés, telle qu’elle résulte des informations dont disposait le Conseil, que, d’une part, les chiffres mentionnés dans la lettre du 30 décembre 2014 ne donnent qu’une indication de la valeur des avoirs qui auraient été détournés et, d’autre part, toute tentative visant à délimiter le montant des fonds gelés serait extrêmement difficile, sinon impossible, à mettre en œuvre en pratique.

134    D’ailleurs, les inconvénients générés par les mesures restrictives ne sont pas démesurés par rapport aux objectifs poursuivis, compte tenu, d’une part, du fait que ces mesures présentent, par nature, un caractère temporaire et réversible et ne portent, dès lors, pas atteinte au « contenu essentiel » du droit de propriété, et, d’autre part, qu’il peut y être dérogé afin de couvrir les besoins fondamentaux, les frais de justice ou bien encore les dépenses extraordinaires des personnes visées (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 209).

135    Enfin, s’agissant plus particulièrement des arguments tirés de la violation du droit à la renommée, il convient d’ajouter que l’adoption, par le Conseil, des mesures restrictives à l’égard du requérant ne comporte aucune appréciation sur la culpabilité de celui-ci en ce qui concerne les faits qui lui sont reprochés. En tout état de cause, dans la mesure où l’adoption de ces mesures est de nature à susciter l’opprobre et la méfiance à l’égard du requérant et, partant, à affecter sa renommée, force est de constater que de tels effets n’apparaissent pas comme étant démesurés par rapport aux objectifs poursuivis, ainsi qu’il ressort du point 118 ci-dessus.

136    Il y a donc lieu de rejeter le cinquième moyen et, par voie de conséquence, de rejeter le recours dans son entièreté, en ce qu’il vise l’annulation du maintien du nom du requérant sur la liste par les actes de mars 2015.

 Sur le maintien des effets de la décision 2014/119

137    À titre subsidiaire, le Conseil demande que, en cas d’annulation partielle des actes de mars 2014, pour des raisons de sécurité juridique, le Tribunal déclare que les effets de la décision 2014/119 soient maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement no 208/2014. Il demande également que, en cas d’annulation partielle des actes de mars 2015, les effets de la décision 2014/119, telle que modifiée, soient maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement d’exécution 2015/357.

138    Le requérant s’oppose à la demande du Conseil.

139    Il convient de rappeler que le Tribunal, d’une part, a annulé la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, dans leurs versions initiales, en tant qu’ils visent le requérant, et, d’autre part, a rejeté le recours en ce qu’il est dirigé contre les actes de mars 2015, en ce qu’ils concernent le requérant.

140    À cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il a été rappelé au point 108 ci-dessus, la décision 2015/364 n’est pas un simple acte confirmatif, mais constitue une décision autonome, adoptée par le Conseil au terme d’un réexamen périodique prévu à l’article 5, troisième alinéa, de la décision 2014/119. Dans ces circonstances, si l’annulation des actes de mars 2014, en ce qu’ils visent le requérant, comporte l’annulation de l’inscription du nom du requérant sur la liste pour la période antérieure à l’entrée en vigueur des actes de mars 2015, elle n’est pas, en revanche, susceptible de mettre en cause la légalité de cette même inscription pour la période postérieure à ladite entrée en vigueur.

141    Par conséquent, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la demande du Conseil visant le maintien des effets de la décision 2014/119.

 Sur les dépens

142    Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du règlement de procédure, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

143    En l’espèce, le Conseil ayant succombé en ce qui concerne la demande en annulation formulée dans la requête, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à cette demande, conformément aux conclusions du requérant. Le requérant ayant succombé en ce qui concerne la demande en annulation formulée dans le mémoire en adaptation des conclusions, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à cette demande, conformément aux conclusions du Conseil.

144    Par ailleurs, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La Commission supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision 2014/119/PESC du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement (UE) no 208/2014 du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, dans leurs versions initiales, sont annulés, dans la mesure où le nom de M. Andriy Klyuyev a été inscrit sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives, et ce jusqu’à l’entrée en vigueur de la décision (PESC) 2015/364 du Conseil, du 5 mars 2015, modifiant la décision 2014/119, et du règlement d’exécution (UE) 2015/357 du Conseil, du 5 mars 2015, mettant en œuvre le règlement no 208/2014.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par M. Klyuyev, en ce qui concerne la demande en annulation formulée dans la requête.

4)      M. Klyuyev est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil, en ce qui concerne la demande en annulation formulée dans le mémoire en adaptation des conclusions.

5)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Berardis

Czúcz

Pelikánová

Popescu

 

      Buttigieg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 septembre 2016.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2014, dans leur formulation initiale, en ce qu’ils visent le requérant

Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2014, tels que modifiés par les actes de janvier et de mars 2015, en ce qu’ils visent le requérant

Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

Sur les premier et septième moyens, tirés de l’absence de base légale et d’une exception d’illégalité du critère d’inscription

Sur les deuxième et sixième moyens, pris ensemble, tirés, respectivement, du non-respect du critère d’inscription sur la liste et d’une erreur manifeste d’appréciation

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit de propriété et du droit à la renommée

Sur le maintien des effets de la décision 2014/119

Sur les dépens


** Langue de procédure : l’anglais.