Language of document : ECLI:EU:T:2016:519

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

20 septembre 2016(*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) n° 1049/2001 – Règlement (CE) n° 1367/2006 – Documents relatifs aux perturbateurs endocriniens – Refus partiel d’accès – Exception relative à la protection du processus décisionnel – Article 4, paragraphe 3, du règlement n° 1049/2001 »

Dans l’affaire T‑51/15,

Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Me B. Kloostra, avocat,

partie requérante,

soutenue par

Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, U. Persson, N. Otte Widgren, MM. E. Karlsson et L. Swedenborg, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par M. A. Buchet, Mme P. Mihaylova et M. J. Tomkin, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision de la Commission du 24 novembre 2014, référencée Ares (2014) 3900631, en ce qu’elle refuse l’accès à des documents relatifs aux perturbateurs endocriniens,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas (rapporteur), président, E. Bieliūnas et I. S. Forrester, juges,

greffier : Mme C. Herren, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 3 mai 2016,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), est une association de droit belge, qui se consacre notamment à la lutte contre les substances perturbant le système endocrinien.

2        Le 3 janvier 2014, la requérante a présenté à la Commission européenne, sur le fondement du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), et du règlement (CE) n° 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), une demande d’accès à l’ensemble des documents relatifs aux perturbateurs endocriniens.

3        Le 30 juin 2014, la Commission a octroyé un accès total à 19 des 55 documents concernés ainsi qu’un accès partiel à 15 d’entre eux et a refusé l’accès à 21 de ceux-ci.

4        Le 6 juillet 2014, la requérante a introduit une demande confirmative auprès de la Commission.

5        Par décision du 24 novembre 2014, référencée Ares (2014) 3900631 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a octroyé un accès partiel à 4 documents ainsi qu’un accès partiel supplémentaire à 3 autres et a confirmé le refus d’accès à 17 autres.

6        Dans la décision attaquée, la Commission a, tout d’abord, justifié son refus d’accès partiel ou total en prenant appui sur les exceptions visées à l’article 4, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, du règlement n° 1049/2001 (protection des relations internationales), à l’article 4, paragraphe 1, sous b), dudit règlement (protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu), à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, de ce même règlement (protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale) ainsi qu’à l’article 4, paragraphe 3, de celui-ci (protection du processus décisionnel). Ensuite, la Commission a relevé, s’agissant des documents concernés par ces deux dernières exceptions, qu’il n’existait pas d’intérêt public supérieur pouvant justifier la divulgation de ceux-ci. Enfin, soulignant qu’un large accès partiel avait été accordé à 4 documents et qu’un accès partiel supplémentaire l’avait été à 3 documents, la Commission a considéré qu’un accès supplémentaire n’était pas possible.

 Procédure et conclusions des parties

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 février 2015, la requérante a introduit le présent recours.

8        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 mars 2015, la Commission a demandé que le présent recours soit suspendu jusqu’à la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑673/13 P, Commission/Stichting Greenpeace Nederland et PAN Europe. La requérante a présenté ses observations relatives à cette demande dans le délai imparti. Le 2 juin 2015, le président de la troisième chambre du Tribunal a refusé de faire droit à ladite demande.

9        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 mai 2015, le Royaume de Suède a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien de la requérante. Par décision du 21 juillet 2015, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis cette intervention. Le Royaume de Suède a déposé son mémoire en intervention. Seule la Commission a déposé ses observations sur celui-ci dans le délai imparti.

10      La requérante, soutenue par le Royaume de Suède, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

11      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

12      À l’appui de son recours, la requérante soulève deux moyens, tirés, le premier, d’une violation du règlement n° 1367/2006 et, le second, d’une violation du règlement n° 1049/2001.

13      À cet égard, il convient de relever, à titre liminaire, que, dans le cadre du présent recours, la requérante conteste principalement les appréciations portées par la Commission concernant l’exception relative à la protection du processus décisionnel visée à l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 1049/2001, laquelle a été invoquée à l’égard des documents désignés sous les numéros 9, 13, 14, 15, 16, 17, 17a, 20, 22, 24, 25, 29, 30, 31, 37, 38, 39, 41, 42 et 43. En revanche, la requérante n’avance aucune argumentation à l’égard des appréciations de la Commission concernant les autres exceptions sur lesquelles celle-ci s’est fondée afin de justifier la non-divulgation des documents en cause.

14      Il s’ensuit, d’une part, que, en tant qu’il est fondé sur ces dernières exceptions, le refus de divulgation doit être considéré comme valide, et, d’autre part, que, dans le cadre du présent recours, il convient de limiter l’examen des arguments avancés par la requérante aux documents auxquels l’accès a été refusé sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001. À cet égard, il importe de préciser que, dans la mesure où l’accès à une partie de ces documents a également fait l’objet d’un refus sur le fondement d’une autre exception, lesdits arguments doivent être rejetés comme inopérants.

15      Le Tribunal estime opportun d’examiner, en premier lieu, le second moyen.

16      Ce moyen, par lequel la requérante fait valoir que la décision attaquée viole l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 1049/2001, comporte, en substance, trois branches.

17      Par la première de ces branches, la requérante argue que la Commission ne démontre pas dans la décision attaquée que le motif de refus visé par cette disposition serait applicable. En effet, il ne serait pas démontré que la divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel. Dans ce contexte, la requérante invoque la jurisprudence de la Cour et du Tribunal et soutient que la divulgation d’informations concernant la fixation des critères scientifiques relatifs aux perturbateurs endocriniens ne porte pas atteinte au processus décisionnel, mais peut, au contraire, dans le contexte du débat démocratique et de l’exercice par les citoyens de leurs droits démocratiques, le servir.

18      La Commission rétorque que la divulgation des documents auxquels l’accès a été refusé porterait gravement atteinte à son processus décisionnel et que la décision attaquée expose en détail le raisonnement suivi à cet égard. Dans ce contexte, elle réfute la pertinence de la jurisprudence invoquée par la requérante au soutien de son argumentation, en particulier en raison des différences liées à la nature des documents en cause et aux processus concernés, et soutient que la référence, notamment, au débat démocratique et aux droits des citoyens, est sans influence sur le fait que la divulgation des documents en cause compromettrait son processus décisionnel.

19      À cet égard, il convient de rappeler que le règlement n° 1049/2001 vise, comme l’indiquent son article 1er et son article 2, paragraphes 1 et 3, à accorder au public un droit d’accès aux documents des institutions dans tous les domaines d’activité de l’Union européenne, sous réserve de certaines exceptions qu’il définit.

20      Conformément à son considérant 1, ce règlement s’inscrit dans la volonté exprimée à l’article 1er, deuxième alinéa, UE, introduit par le traité d’Amsterdam, de marquer une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. Ainsi que le rappelle le considérant 2 du règlement n° 1049/2001, le droit d’accès du public aux documents des institutions se rattache au caractère démocratique de ces dernières.

21      Selon une jurisprudence constante, les exceptions à l’accès aux documents doivent être interprétées et appliquées de manière stricte, de façon à ne pas tenir en échec l’application du principe général consistant à conférer au public le plus large accès possible aux documents détenus par les institutions. Par ailleurs, le principe de proportionnalité exige que les dérogations ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché.

22      En outre, l’examen requis pour le traitement d’une demande d’accès à des documents doit revêtir un caractère concret. En effet, d’une part, la seule circonstance qu’un document concerne un intérêt protégé par une exception ne saurait suffire à justifier l’application de cette dernière. Une telle application ne saurait, en principe, être justifiée que dans l’hypothèse où l’institution a préalablement apprécié, premièrement, si l’accès au document porterait concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé et, deuxièmement, dans les hypothèses visées à l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1049/2001, s’il n’existait pas un intérêt public supérieur justifiant la divulgation du document visé. D’autre part, le risque d’atteinte à l’intérêt protégé doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique. Cet examen doit ressortir des motifs de la décision (voir arrêt du 7 juin 2011, Toland/Parlement, T‑471/08, EU:T:2011:252, point 29 et jurisprudence citée).

23      Aux termes de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001, l’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document.

24      Ainsi qu’il découle des principes énoncés au point 22 ci-dessus, l’application de cette exception suppose qu’il soit démontré que l’accès au document établi par l’institution pour son usage interne en cause était susceptible de porter concrètement et effectivement atteinte à la protection du processus décisionnel de l’institution et que ce risque d’atteinte était raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (voir arrêt du 7 juin 2011, Toland/Parlement, T‑471/08, EU:T:2011:252, point 70 et jurisprudence citée).

25      De surcroît, pour relever de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001, l’atteinte au processus décisionnel doit être grave. Il en est notamment ainsi lorsque la divulgation du document visé a un impact substantiel sur le processus décisionnel. L’appréciation de la gravité dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, notamment des effets négatifs de cette divulgation sur le processus décisionnel invoqués par l’institution (voir arrêt du 7 juin 2011, Toland/Parlement, T‑471/08, EU:T:2011:252, point 71 et jurisprudence citée).

26      En l’espèce, il convient, à titre liminaire, de relever, d’une part, qu’il n’est pas contesté que, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, les documents en cause sont des documents établis par la Commission pour son usage interne, au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001. Il convient de constater, d’autre part, qu’il découle du dossier, notamment de la demande d’accès du 3 janvier 2014 et des déclarations des parties lors de l’audience, que le processus décisionnel en cause en l’espèce est celui relatif à la spécification des critères scientifiques pour la détermination des propriétés perturbant le système endocrinien, en particulier en application du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil (JO 2009, L 309, p. 1), et du règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides (JO 2012, L 167, p. 1). Or, à la date de la décision attaquée, ledit processus n’était pas achevé, les actes visant à procéder à cette spécification n’ayant pas encore été adoptés.

27      Ensuite, il doit être souligné qu’il ressort de la décision attaquée que, eu égard au fait que la discussion sur les critères pour la détermination des propriétés perturbant le système endocrinien n’était pas arrêtée et que la Commission évaluait, au niveau de ses services, les possibles conséquences économiques, sociales et environnementales, cette institution a estimé que la divulgation prématurée de ses réflexions internes à un moment où la question restait encore ouverte et faisait l’objet d’une importante évaluation interne porterait gravement atteinte à son processus décisionnel, alors qu’elle devrait rester libre d’explorer toutes les options possibles dans ce domaine sensible, sans subir de pressions externes. À cet égard, la Commission a indiqué que le risque d’une ingérence de parties externes et de pressions abusives n’était pas hypothétique, étant donné que la divulgation demandée portait sur le sujet sensible des perturbateurs endocriniens, qui avait reçu beaucoup d’attention provenant de l’extérieur, de la part d’organisations et de représentants d’intérêts. Selon elle, une divulgation prématurée au public des documents susmentionnés porterait également atteinte à sa marge de manœuvre et diminuerait fortement sa capacité à contribuer à obtenir des compromis en interne.

28      Force est donc de constater que, dans la décision attaquée, la Commission justifie le refus de communication des documents en cause sur le fondement de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001, en raison, en substance, d’une part, de prétendues pressions et ingérences externes et, d’autre part, de la réduction de sa marge de manœuvre et de sa capacité à obtenir un compromis interne.

29      Il convient d’examiner si ces deux motifs invoqués par la Commission permettaient de refuser l’accès aux documents demandés sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001.

30      S’agissant, en premier lieu, des prétendues pressions et ingérences externes, il doit être rappelé que la protection du processus décisionnel contre une pression extérieure ciblée peut être de nature à constituer un motif légitime pour restreindre l’accès à des documents relatifs à ce processus décisionnel. Néanmoins, la réalité d’une telle pression extérieure doit être acquise avec certitude et la preuve que le risque d’affecter substantiellement ce processus était raisonnablement prévisible, en raison de ladite pression extérieure, doit être rapportée (voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2008, Muñiz/Commission, T‑144/05, non publié, EU:T:2008:596, point 86, et du 9 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, T‑516/11, non publié, EU:T:2014:759, point 71).

31      En l’espèce, il est à noter que, afin de démontrer l’existence d’un risque non hypothétique d’une pression et d’une ingérence extérieure, la Commission se borne à affirmer, dans la décision attaquée, que le sujet des perturbateurs endocriniens est sensible et que celui-ci a reçu beaucoup d’attention provenant de l’extérieur, de la part d’organisations et de représentants d’intérêts.

32      Or, de telles indications générales, vagues et imprécises, d’une part, ne permettent pas d’établir qu’il existerait, en l’espèce, une réelle pression extérieure dans le cadre du processus décisionnel en cause et, d’autre part, ne s’appuient sur aucun élément tangible permettant de les justifier.

33      Ces indications ne sont donc pas suffisamment concrètes et étayées pour établir la réalité d’une pression et d’une ingérence extérieure, ni, a fortiori, qu’un risque d’affecter substantiellement le processus décisionnel était raisonnablement prévisible, si les documents demandés avaient été divulgués.

34      En tout état de cause, il découle de la jurisprudence que la circonstance qu’un sujet est sensible et est suivi avec intérêt ne saurait constituer, en elle-même, une raison objective suffisante de craindre une atteinte grave au processus décisionnel, sauf à remettre en cause le principe même de la transparence voulu par le traité FUE (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2011, Toland/Parlement, T‑471/08, EU:T:2011:252, point 80).

35      S’agissant, en second lieu, de la réduction de sa marge de manœuvre et de sa capacité à obtenir un compromis interne, la Commission se borne, dans la décision attaquée, à avancer des affirmations générales, vagues et imprécises et n’apporte aucun élément permettant d’établir que, en l’espèce, la divulgation des documents induirait une moindre marge de manœuvre pour elle et une plus grande difficulté à obtenir un compromis au sein de ses services. La démonstration concrète de cette réduction n’est ainsi pas effectuée dans la décision attaquée.

36      En tout état de cause, il découle de la jurisprudence que la circonstance que la marge de manœuvre et la capacité à obtenir un compromis interne seraient réduites ne saurait caractériser un risque suffisamment grave et raisonnablement prévisible pour justifier l’application de l’exception prévue par l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001 (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2011, Access Info Europe/Conseil, T‑233/09, EU:T:2011:105, point 67).

37      Il résulte de ce qui précède que les motifs invoqués par la Commission dans la décision attaquée ne suffisent pas à établir que l’accès aux documents en cause était susceptible de porter concrètement et effectivement atteinte au processus décisionnel de la Commission, ni que ce risque d’atteinte était raisonnablement prévisible, ni même, a fortiori, que ce risque serait grave, comme le requiert la jurisprudence (voir points 24 et 25 ci-dessus).

38      Aucun des arguments avancés par la Commission dans la défense ne permet de remettre en cause cette conclusion.

39      En effet, la Commission affirme, dans la défense, d’une part, que le risque d’ingérence par des tiers et de pressions abusives n’a rien d’hypothétique, étant donné que la divulgation demandée porte sur le sujet sensible des perturbateurs endocriniens, pour lequel différentes organisations et associations représentatives ont manifesté un très fort intérêt, et, d’autre part, que la divulgation des documents en cause risquerait d’aboutir à une situation où elle ferait l’objet de tentatives répétées, de la part de tiers, de peser sur le résultat de ses délibérations, ce qui perturberait son processus décisionnel, réduirait sa marge de manœuvre et affaiblirait sa capacité à contribuer à la recherche de compromis. Ce faisant, la Commission reproduit, en substance, la motivation figurant dans la décision attaquée, sans apporter d’élément supplémentaire permettant d’en établir le bien-fondé. Cette affirmation doit donc être écartée pour les motifs exposés aux points 30 à 37 ci-dessus.

40      Quant aux autres arguments avancés dans la défense, force est de constater qu’ils ne sont pas en mesure d’établir le bien-fondé du refus d’accès aux documents demandés sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001.

41      Ainsi, premièrement, l’allégation selon laquelle les documents en cause sont des documents exclusivement destinés à un usage interne et la divulgation prématurée de réflexions internes au moment où la question de l’étude des critères pour l’identification des substances chimiques possédant des propriétés perturbatrices du système endocrinien est encore ouverte et fait l’objet d’une analyse interne, pourrait porter gravement atteinte au processus décisionnel doit être écartée. En effet, cette allégation vague et abstraite n’est étayée par aucun élément circonstancié qui permettrait de considérer que le risque d’une telle atteinte serait établi. En particulier, la circonstance générale, évoquée dans ce contexte, que les documents contiennent des réflexions internes sur les options stratégiques à l’étude pour les critères d’identification des substances concernées et que, dans le cadre de ces réflexions, la Commission doit analyser les conséquences potentielles sur les plans économique, social et environnemental, de manière à pouvoir prendre une décision éclairée et équilibrée, ne constitue pas un élément tangible permettant de conclure que ce risque d’atteinte serait, en l’espèce, raisonnablement prévisible et non purement hypothétique. En tout état de cause, le fait que les documents concernés soient destinés à un usage interne et visent une question qui est encore ouverte est sans pertinence. En effet, l’exception dont il est question à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001 vise l’accès à des documents à usage interne ayant trait à une question sur laquelle l’institution n’a pas encore pris de décision. Or, ni par son libellé, ni par l’intérêt qu’elle protège, cette exception n’exclut la possibilité de demander l’accès aux documents à usage interne contenant des analyses préliminaires (arrêt du 18 décembre 2008, Muñiz/Commission, T‑144/05, non publié, EU:T:2008:596, point 80) ou des options stratégiques en cours d’examen. Ainsi, le caractère préliminaire des documents en cause comme le fait qu’ils faisaient encore l’objet de commentaires et d’appréciations de la part de la Commission ne permettent pas de caractériser, en soi, une atteinte grave au processus décisionnel (arrêt du 9 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, T‑516/11, non publié, EU:T:2014:759, point 67). L’ensemble des arguments de la Commission concernant le caractère préliminaire des réflexions figurant dans les documents en cause et leur usage interne ne peuvent donc qu’être rejetés.

42      Deuxièmement, il convient également d’écarter l’allégation de la Commission selon laquelle la divulgation prématurée de réflexions internes altérerait la nature des communications entre les membres de ses services, entraverait le libre-échange d’idées et exercerait sur celui-ci un effet dissuasif. En effet, afin de se prononcer sur l’existence d’une raison légitime de craindre que la divulgation de documents puisse porter atteinte au processus décisionnel, la liberté d’expression des services n’est pas un élément qui joue un rôle décisif, la question déterminante consistant à apprécier si les inquiétudes de l’institution concernée sont objectivement justifiées (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2008, Muñiz/Commission, T‑144/05, non publié, EU:T:2008:596, point 90). Or, en l’espèce, l’allégation générale de la Commission n’est corroborée par aucun élément, cette institution procédant par pure affirmation, aucunement étayée par une argumentation circonstanciée. En particulier, elle ne comporte aucun élément précis et concret permettant de considérer que, en l’espèce, il serait raisonnablement prévisible que la divulgation des documents demandés aurait l’effet évoqué par la Commission, ses inquiétudes ne pouvant donc être considérées comme objectivement justifiées.

43      Troisièmement, il convient également d’écarter l’allégation selon laquelle, dans certains domaines sensibles, la simple divulgation du fait qu’une option particulière est envisagée peut déjà influer sur le comportement des opérateurs du marché. En effet, tout d’abord, lors de l’audience, la Commission a précisé que cette allégation figurant dans la défense était générale et ne visait qu’à faire valoir qu’une divulgation prématurée de documents internes pouvait avoir un impact. En tout état de cause, la décision attaquée ne s’appuie pas sur un tel motif pour justifier le refus d’accès aux documents. De plus, la Commission procède par pure affirmation et n’étaye cette allégation par aucun élément tangible et circonstancié, permettant de considérer que la crainte évoquée serait objectivement justifiée. Au demeurant, dans la mesure où, par son allégation, la Commission se réfère aux options politiques envisageables dans le contexte de la définition des critères d’identification des perturbateurs endocriniens, il est à noter que, dans la feuille de route de la Commission publiée en juin 2014 relative à ladite définition dans le contexte de la mise en œuvre des règlements n° 1107/2009 et n° 528/2012, la Commission expose, notamment, plusieurs de ces options, de sorte qu’elle ne peut pas prendre appui sur les conséquences d’une divulgation de celles-ci pour justifier un refus de divulgation de documents.

44      Il résulte de ce qui précède que la Commission a fondé à tort son refus de divulguer les documents en cause sur l’exception visée à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001.

45      Il s’ensuit que c’est à tort que la Commission a refusé l’accès aux documents référencés 9, 13, 14, 15, 16, 17, 17a, 20, 22, 24, 25, 29, 30, 31, 37, 38, 39, 41, 42 et 43 en invoquant l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001.

46      Partant, il y a lieu d’annuler la décision attaquée dans la mesure où elle refuse l’accès à ces documents uniquement sur le fondement de cette disposition, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres branches du présent moyen ainsi que le premier moyen.

47      Il convient encore de préciser, en réponse aux arguments développés par la Commission lors de l’audience concernant l’impact qu’aurait le présent arrêt sur ses processus décisionnels à venir, que les conclusions qui précèdent, d’une part, sont uniquement fondées sur les éléments avancés par la Commission dans la décision attaquée et, d’autre part, n’impliquent pas que cette institution devra donner accès aux documents demandés. À cet égard, il y a lieu de souligner que, conformément à l’article 266 TFUE, la Commission est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution du présent arrêt. Il lui incombera donc de procéder à un nouvel examen de la situation et de décider soit qu’un accès, le cas échéant partiel, aux documents demandés peut être accordé, soit de confirmer le refus d’accès auxdits documents, et ce en avançant des éléments permettant de justifier, à suffisance de droit, notamment au regard des exigences fixées par la jurisprudence visée aux points 21 à 25 ci-dessus, ce refus.

 Sur les dépens

48      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En outre, selon l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.

49      En l’espèce, la Commission ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il convient de la condamner aux dépens de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière. Le Royaume de Suède supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission européenne du 24 novembre 2014, référencée Ares (2014) 3900631, est annulée en ce qu’elle refuse l’accès aux documents désignés sous les numéros 9, 13, 14, 15, 16, 17, 17a, 20, 22, 24, 25, 29, 30, 31, 37, 38, 39, 41, 42 et 43, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Pesticide Action Network Europe (PAN Europe).

4)      Le Royaume de Suède supportera ses propres dépens.

Papasavvas

Bieliūnas

Forrester

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 septembre 2016.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.