CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE
présentées le 21 juin 2017 (1)
Affaire C‑306/16
António Fernando Maio Marques da Rosa
contre
Varzim Sol – Turismo, Jogo e Animação SA
[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal da Relação do Porto (cour d’appel de Porto, Portugal)]
« Renvoi préjudiciel – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Directive 2003/88 – Article 5 – Repos hebdomadaire – Réglementation nationale prévoyant au moins une journée de repos par période de sept jours – Travail posté – Période de plus de six jours de travail consécutifs »
I. Introduction
1. La présente affaire a pour objet une demande de décision préjudicielle introduite par le Tribunal da Relação do Porto (cour d’appel de Porto, Portugal), portant sur l’interprétation des articles 5 des directives 93/104/CE (2) et 2003/88/CE (3) relatifs au repos hebdomadaire, ainsi que de l’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») relatif au droit à des conditions de travail justes et équitables. La juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si le repos hebdomadaire auquel le travailleur a droit en vertu desdites dispositions doit être accordé au plus tard le septième jour suivant six jours de travail consécutifs.
2. Dans les présentes conclusions, j’expliquerai les motifs pour lesquels je considère que cette question mérite une réponse négative et que, en vertu desdites dispositions, le jour de repos hebdomadaire peut être accordé n’importe quel jour à l’intérieur de chaque période de sept jours.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
3. La directive 93/104 a été abrogée et remplacée par la directive 2003/88 avec effet au 2 août 2004 (4). Les faits du litige au principal sont régis, rationae temporis, partiellement par la directive 93/104 et partiellement par la directive 2003/88 (5).
4. L’article 5 de la directive 93/104, intitulé « Repos hebdomadaire », dispose :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de sept jours, d’une période minimale de repos sans interruption de vingt‑quatre heures auxquelles s’ajoutent les onze heures de repos journalier prévues à l’article 3.
Si des conditions objectives, techniques ou d’organisation du travail le justifient, une période minimale de repos de vingt‑quatre heures pourra être retenue. »
5. L’article 5 de la directive 2003/88 reproduit à l’identique l’article 5 de la directive 93/104 (6).
B. Le droit portugais
1. Le code du travail de 2003
6. Il ressort de la décision de renvoi que la directive 93/104 a été transposée dans l’ordre juridique portugais lors de l’adoption du Código do Trabalho 2003 (7) (code du travail de 2003). Celui‑ci dispose, à son article 205, paragraphe 1 (8) :
« Le travailleur a droit à au moins un jour de repos par semaine. »
7. L’article 206, paragraphe 1, dudit code prévoit :
« Peut être accordée, toutes ou certaines semaines de l’année, une demi‑journée ou une journée de repos, outre la journée de repos hebdomadaire prescrite par la loi. »
8. L’article 207, paragraphe 1, dudit code dispose :
« Au jour de repos hebdomadaire obligatoire, s’ajoute une période de onze heures, qui correspond à la durée minimale de repos quotidien prévue à l’article 176. »
2. Le code du travail de 2009
9. La directive 2003/88 a été transposée dans l’ordre juridique portugais lors de l’adoption du Código do Trabalho 2009 (9) (code du travail de 2009).
10. L’article 232 dudit code dispose, à ses paragraphes 1 et 3 :
« 1. Le travailleur a droit à au moins un jour de repos par semaine.
[...]
3. Un texte résultant d’une négociation collective ou un contrat de travail peut prévoir un repos hebdomadaire complémentaire, continu ou discontinu, toutes ou certaines semaines de l’année. »
11. L’article 233, paragraphes 1 et 2, dudit code est ainsi rédigé :
« 1. Doivent être pris consécutivement, le repos hebdomadaire obligatoire et la période de onze heures correspondant au repos quotidien prévu à l’article 214.
2. La période de onze heures visée au paragraphe précédent est considérée comme effectuée, totalement ou partiellement, lors du repos hebdomadaire complémentaire pris consécutivement au repos hebdomadaire obligatoire. »
3. Les accords d’entreprise
12. Il ressort de la décision de renvoi que la relation de travail entre les parties du litige au principal était également régie par deux accords d’entreprise, datés respectivement de 2002 et de 2003 (10). Ces accords prévoient, notamment, pour un travailleur occupant la position du requérant au principal, le droit à deux jours de repos hebdomadaire consécutifs.
III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
13. Le requérant au principal, M. Maio Marques da Rosa, a été employé de 1991 à 2014 – depuis l’année 1999 en tant que caissier – par la société défenderesse, Varzim Sol – Turismo, Jogo e Animação SA (ci‑après « Varzim Sol ») qui possède et exploite un casino au Portugal. Le casino est ouvert tous les jours à l’exception des 24 et 25 décembre, pendant un certain nombre d’heures à partir de l’après‑midi jusqu’au matin.
14. À l’époque des faits au principal, les horaires des employés de Varzim Sol exerçant des fonctions dans les salles de jeux prévoyaient deux jours de repos consécutifs. Les caissiers, y compris le requérant, travaillaient par roulement sur les quatre horaires existants, conformément à l’horaire de travail prédéterminé et publié par Varzim Sol.
15. Au cours des années 2008 et 2009, le requérant a parfois travaillé pendant sept jours consécutifs. À compter de l’année 2010, Varzim Sol a modifié les plages horaires de sorte que les employés ne travaillent pas davantage que six jours consécutifs.
16. Le contrat de travail du requérant a pris fin le 16 mars 2014.
17. Le requérant a introduit un recours contre Varzim Sol visant à faire constater, en substance, que cette dernière ne lui avait pas accordé les jours de repos obligatoires auxquels il estimait avoir droit, en vertu de la législation portugaise et des accords d’entreprise. À cet égard, il a réclamé des indemnités et des dédommagements correspondant à la rémunération pertinente des heures supplémentaires travaillées, pour les septièmes jours consécutifs pendant lesquels il a dû travailler et pour l’absence du second jour de repos hebdomadaire, ainsi que pour les jours de repos compensatoires non accordés.
18. Le tribunal de première instance ayant rejeté son recours, le requérant a interjeté appel devant le Tribunal da Relação do Porto (cour d’appel de Porto).
19. Éprouvant des doutes quant à l’interprétation des articles 5 des directive 93/104 et 2003/88, cette dernière juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) À la lumière des articles 5 [des directives 93/104 et 2003/88], ainsi que de l’article 31 de la [Charte], dans le cas des travailleurs accomplissant un travail posté assorti de périodes de repos prises par roulement, qui travaillent dans des établissements ouverts tous les jours de la semaine mais qui ne fonctionnent pas 24 heures sur 24, le jour de repos obligatoire auquel le travailleur a droit doit‑il nécessairement être accordé à l’intérieur de chaque période de 7 jours, c’est‑à‑dire au moins le 7e jour suivant 6 jours de travail consécutifs ?
2) L’interprétation selon laquelle, s’agissant de ces travailleurs, l’employeur est libre de choisir, pour chaque semaine, les jours où tombent les journées de repos auquel le travailleur a droit, celui‑ci pouvant être tenu, sans percevoir de rémunération au titre des heures supplémentaires, de fournir jusqu’à dix jours de travail consécutifs (notamment entre le mercredi d’une semaine, précédé d’un repos le lundi et le mardi, jusqu’au vendredi de la semaine suivante, suivi d’un repos le samedi et le dimanche) est‑elle conforme à ces directives et dispositions ?
3) L’interprétation selon laquelle la période de 24 heures de repos ininterrompu peut tomber n’importe quel jour d’une certaine période de 7 jours de calendrier et la période suivante de 24 heures de repos ininterrompu (à laquelle s’ajoutent les 11 heures de repos quotidien) peut également tomber n’importe quel jour de la période de 7 jours de calendrier consécutive est‑elle conforme à ces directives et dispositions ?
4) L’interprétation selon laquelle, au lieu de prendre 24 heures de repos ininterrompu (auxquelles s’ajoutent les 11 heures de repos quotidien) tous les 7 jours, le travailleur peut prendre deux périodes, consécutives ou non, de 24 heures de repos ininterrompu réparties indifféremment sur les 4 jours de calendrier d’une certaine période de référence de 14 jours est‑elle conforme à ces directives et dispositions, eu égard également à l’article 16, sous a), de la directive [2003/88] ? »
20. Des observations écrites ont été déposées par le requérant au principal, Varzim Sol, les gouvernements portugais, hongrois, polonais, finlandais et suédois, ainsi que par la Commission européenne. Lors de l’audience, qui s’est tenue le 5 avril 2017, Varzim Sol, le gouvernement portugais ainsi que la Commission ont présenté leurs observations orales.
IV. Analyse
A. Sur l’objet des questions préjudicielles et les dispositions du droit de l’Union à interpréter
1. Sur les première à troisième questions préjudicielles
21. Par ses première à troisième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 5 des directives 93/104 et 2003/88 ainsi que l’article 31 de la Charte doivent être interprétés en ce sens que la période de repos hebdomadaire à laquelle le travailleur a droit doit être accordée au plus tard le septième jour suivant six jours de travail consécutifs ou si l’employeur est libre de choisir, pour chaque période de sept jours, le moment où la période de repos hebdomadaire tombe.
22. À titre liminaire, il convient de constater que les faits du litige au principal relèvent, pour partie, des dispositions de la directive 93/104, laquelle était en vigueur jusqu’au 1er août 2004, et, pour partie, de celles de la directive 2003/88, laquelle a procédé, avec effet à compter du 2 août 2004, à la codification des dispositions de la directive 93/104 (11). Toutefois, les articles 5 desdites directives étant rédigés en des termes identiques (12) et les réponses à donner aux trois premières questions posées par la juridiction de renvoi étant, en raison de cette identité, les mêmes quelle que soit la directive applicable, il y a lieu, pour répondre à ces questions, de faire uniquement référence aux dispositions de la directive 2003/88 (13). En outre, pour cette même raison, il convient de considérer que l’interprétation de l’article 5 de la directive 93/104 donnée par la Cour est pleinement transposable à l’article 5 de la directive 2003/88 (14).
23. Par ailleurs, il convient de constater que la première question vise spécifiquement le « cas des travailleurs accomplissant un travail posté assorti de périodes de repos prises par roulement, qui travaillent dans des établissements ouverts tous les jours de la semaine mais qui ne fonctionnent pas 24 heures sur 24 ». Cette formulation soulève la question de la pertinence éventuelle, en l’espèce, de l’article 17, paragraphe 4, sous a), de la directive 2003/88, en vertu duquel il peut être dérogé, notamment, à l’article 5 de cette même directive, pour les activités du travail posté (15).
24. Or, la juridiction de renvoi n’indique pas si elle estime que le requérant au principal devait être considéré, dans le cadre de son emploi auprès de Varzim Sol, comme un travailleur posté au sens de l’article 2, point 6, de la directive 2003/88 et/ou qu’il exerçait, auprès de cette société, un travail posté au sens de l’article 2, point 5, de cette directive (16). De surcroît, la juridiction de renvoi ne fait état d’aucun élément indiquant que le droit portugais prévoit des dérogations à l’article 5 de la directive 2003/88 pour les activités du travail posté, telles que permises par l’article 17, paragraphe 4, sous a), de cette directive (17). En effet, cette juridiction ne fait référence ni à cette dernière disposition ni aux dispositions du droit portugais, invoquées par le requérant, relatives aux travailleurs postés (18).
25. Dans ces conditions, je pars de l’hypothèse que le droit portugais ne prévoit pas de dérogations à l’article 5 de la directive 2003/88 pour les activités du travail posté (19), conformément à l’article 17, paragraphe 4, sous a), de cette directive, et que cette dernière disposition n’est donc pas pertinente pour statuer sur le litige au principal.
26. Il convient, en outre, de constater que la juridiction de renvoi ne fait pas davantage état d’éléments selon lesquels les accords d’entreprise régissant la relation de travail entre les parties du litige au principal contiendraient des dispositions dérogeant à l’article 5 de la directive 2003/88, conformément à l’article 18 de celle‑ci (20). Au contraire, il ressort de la décision de renvoi, que ces accords octroyaient au requérant le droit à un jour de repos hebdomadaire complémentaire, en plus de celui prévu à l’article 5 de la directive 2003/88 (21). En d’autres termes, lesdits accords attribuaient au requérant une protection plus étendue que celle prévue audit article 5 (22).
27. Eu égard à ce qui précède, je considère que les première à troisième questions préjudicielles visent non pas le cas où le droit national ou des conventions collectives permettent des dérogations à l’article 5 de la directive 2003/88, conformément, respectivement, à l’article 17, paragraphe 4, sous a), et à l’article 18 de ladite directive, mais plutôt la « situation par défaut » régie uniquement par l’article 5 de cette directive. En effet, la juridiction de renvoi relève, elle‑même, que les dispositions des codes du travail de 2003 et de 2009, et des accords d’entreprise applicables dans l’affaire au principal doivent être interprétées conformément à ce dernier article.
28. Enfin, il y a lieu de constater que, par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité à l’article 5 de la directive 2003/88 et à l’article 31 de la Charte de la situation où le travailleur peut être tenu de fournir jusqu’à dix jours de travail consécutifs « sans percevoir de rémunération au titre des heures supplémentaires ».
29. À cet égard, il convient de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que, exception faite de l’hypothèse particulière visée à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 en matière de congé annuel payé, celle‑ci se borne à réglementer certains aspects de l’aménagement du temps de travail, de telle sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs (23). Partant, la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure le requérant aurait droit, comme il le prétend (24), à la rémunération des heures supplémentaires dépend non pas de la directive 2003/88, mais éventuellement des dispositions pertinentes du droit national ainsi que des accords d’entreprise applicables.
30. En conclusion, je considère que les première à troisième questions doivent être comprises comme tendant à déterminer, en substance, si l’article 5 de la directive 2003/88 et l’article 31 de la Charte doivent être interprétés en ce sens que la période de repos hebdomadaire doit être accordée au plus tard le septième jour suivant six jours de travail consécutifs.
2. Sur la quatrième question préjudicielle
31. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur l’interprétation à donner à l’article 16, sous a), de la directive 2003/88 selon lequel les États membres peuvent prévoir, pour l’application de l’article 5, une période de référence ne dépassant pas quatorze jours (25).
32. À cet égard, la juridiction de renvoi n’a fait état d’aucun élément indiquant que la République portugaise aurait fait usage de la possibilité, prévue à l’article 16, sous a), de la directive 2003/88, de prévoir une telle période de référence pour l’application de l’article 5 de cette directive. Tant le requérant au principal que le gouvernement portugais et la Commission relèvent que cette possibilité n’a pas été retenue dans la législation portugaise.
33. Dans ces conditions, je propose à la Cour de constater, conformément à une jurisprudence constante, que la quatrième question est irrecevable (26).
B. Sur l’interprétation de l’article 5 de la directive 2003/88 et de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte
34. Aux termes de l’article 5 de la directive 2003/88, les États membres sont tenus d’assurer que tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de 7 jours, d’une période minimale de repos sans interruption de 24 heures (ci‑après la « période de repos hebdomadaire ») auxquelles s’ajoutent les 11 heures de repos journalier prévues à l’article 3 de cette directive.
35. Le requérant et le gouvernement portugais soutiennent, en substance, que, en vertu de l’article 5 de la directive 2003/88, la période de repos hebdomadaire doit être accordée au plus tard le 7e jour qui suit 6 jours de travail consécutifs. En revanche, Varzim Sol, les gouvernements hongrois, polonais, finlandais et suédois ainsi que la Commission estiment, en substance, que cette disposition impose seulement qu’une période de repos d’au moins 35 heures (27) soit accordée pour chaque période de 7 jours et que la période de repos hebdomadaire peut donc tomber n’importe quel jour pendant cette période de 7 jours.
36. Il convient de constater, tout d’abord, que les termes « au cours de chaque période de sept jours » figurant à l’article 5 de la directive 2003/88 ne comportent aucun renvoi exprès au droit des États membres et que, partant, ils doivent, selon la jurisprudence de la Cour, trouver une interprétation autonome et uniforme dans toute l’Union (28).
37. Pour les motifs exposés ci‑après, je me rallie à l’interprétation selon laquelle l’article 5 de la directive 2003/88 n’exige pas que la période de repos hebdomadaire soit nécessairement accordée au plus tard le septième jour qui suit six jours de travail consécutifs, mais qu’il résulte de cette disposition que ladite période doit être accordée à l’intérieur de chaque période de sept jours. Cette interprétation implique que, en application de ladite disposition, le travailleur peut, en principe, être tenu de travailler jusqu’à douze jours consécutifs (29), pour autant que les autres prescriptions minimales de la directive 2003/88 sont respectées, notamment celles relatives au repos journalier et à la durée maximale hebdomadaire de travail (30).
38. Premièrement, cette conclusion me semble découler d’une lecture littérale de l’article 5 de la directive 2003/88. En effet, les termes « au cours de chaque période de sept jours » ne visent pas un moment précis auquel la période de repos hebdomadaire doit intervenir, mais renvoient plutôt à une durée (sept jours) à l’intérieur de laquelle une telle période doit être accordée. En outre, le libellé de cette disposition ne fait aucune mention de « jours de travail consécutifs », mais exige, au contraire, que la période de repos hebdomadaire soit accordée au cours de chaque période de sept jours, indépendamment de savoir si, et dans quelle mesure, le travailleur a travaillé ou non pendant ces sept jours (31).
39. Il s’ensuit, selon moi, que la notion de « période de sept jours » figurant à l’article 5 de la directive 2003/88 désigne non pas une période dont le début est variable, en ce sens qu’elle commence à courir après la fin de chaque période de repos hebdomadaire, comme semble le considérer le requérant au principal et le gouvernement portugais, mais plutôt des périodes fixes qui se suivent (32).
40. Deuxièmement, il convient de noter que, dans d’autres textes du droit de l’Union, le législateur de l’Union a explicitement imposé aux États membres d’assurer aux travailleurs une période de repos après une certaine période de temps (33). Le fait que le législateur de l’Union a retenu une formulation plus souple à l’article 5 de la directive 2003/88, montre, selon moi, qu’il n’a pas voulu imposer que la période de repos hebdomadaire prévue à cet article soit accordée après un certain nombre de jours de travail consécutifs (34). J’ajoute que l’interprétation préconisée par le requérant et par le gouvernement portugais selon laquelle l’article 5 limite le nombre de jours de travail consécutifs à six ne trouve de soutien dans aucune des versions linguistiques de la directive 2003/88 (35).
41. Troisièmement, les travaux préparatoires afférents à la directive 93/104, qui a été remplacée par la directive 2003/88 (36), confirment, selon moi, que l’article 5 de celle‑ci vise à garantir aux travailleurs une période minimale de repos par semaine, tout en laissant aux législateurs nationaux et aux partenaires sociaux une certaine marge de manœuvre quant à l’aménagement du temps de travail (37). Cette compréhension est également celle qui sous‑tend les documents de la Commission relatifs à la transposition par les États membres des directives 93/104 et 2003/88 (38). En outre, si la version initiale de l’article 5 de la directive 93/104 faisait mention du repos dominical, cette disposition se limitait à prévoir que la période minimale de repos hebdomadaire comprenait « en principe » le dimanche (39).
42. Enfin, je considère que le fait d’imposer une période de repos hebdomadaire à l’intérieur de chaque période de sept jours est conforme à l’objectif essentiel de la directive 2003/88, tel que constaté par la Cour, à savoir de protéger de façon efficace la sécurité et la santé des travailleurs (40). À cet égard, il convient de noter que l’article 5 de la directive 2003/88 ne constitue que la règle de base applicable à tout travailleur, à laquelle s’ajoutent des règles particulières pour les secteurs d’activité qui sont caractérisés par une certaine pénibilité ou par des risques particuliers (41).
43. En ce qui concerne l’article 31 de la Charte, disposition également visée par les questions préjudicielles, il convient de constater que, aux termes du paragraphe 2 dudit article, tout travailleur a droit, notamment, à des périodes de repos hebdomadaire. Or, il ressort des explications relatives à la Charte (42) que ledit paragraphe se fonde sur la directive 93/104, ainsi que sur l’article 2 de la charte sociale européenne (43) et sur le point 8 de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (44).
44. Dans ces conditions, il convient de considérer, quant au droit au repos hebdomadaire, que la portée de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte correspond à celle de l’article 5 de la directive 2003/88. Il s’ensuit que l’article 31, paragraphe 2, de la Charte n’est pas susceptible d’apporter des éléments utiles supplémentaires aux fins de l’interprétation sollicitée de l’article 5 de la directive 2003/88.
45. Eu égard à ce qui précède, je considère que l’article 5 de la directive 2003/88 et l’article 31 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’exigent pas qu’une période de repos soit accordée au plus tard le septième jour après six jours de travail consécutifs, mais qu’ils imposent qu’une telle période soit accordée à l’intérieur de chaque période de sept jours. Pour rappel, cette interprétation vaut également pour l’article 5 de la directive 93/104 (45). Ladite interprétation implique que, en vertu desdites dispositions, le travailleur peut, en principe, être tenu de travailler jusqu’à douze jours consécutifs, pour autant que les autres prescriptions minimales de la directive 2003/88 sont respectées, notamment celles relatives au repos journalier et à la durée maximale hebdomadaire de travail (46).
46. Dans ce contexte, il convient de rappeler que, compte tenu du caractère minimal de l’harmonisation qu’opère la directive 2003/88, les États membres demeurent libres de prévoir des dispositions nationales accordant aux travailleurs une protection plus étendue, quant au repos hebdomadaire, que celle accordée par la directive 2003/88. Ainsi qu’il ressort explicitement de l’article 15 de cette directive, celle‑ci ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs (47). Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si et dans quelle mesure de telles dispositions plus favorables sont prévues par la réglementation portugaise (48) et/ou par les accords d’entreprises applicables au litige au principal (49).
V. Conclusion
47. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Tribunal da Relação do Porto (cour d’appel de Porto, Portugal) :
L’article 5 de la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, l’article 5 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail et l’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens que ces dispositions n’exigent pas que la période de repos hebdomadaire soit accordée au plus tard le septième jour après six jours de travail consécutifs, mais imposent que celle‑ci soit accordée à l’intérieur de chaque période de sept jours.